La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Mesdames, messieurs (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent), mercredi dernier, à San Bernardino, en Californie, les États-Unis ont été frappés par la folie meurtrière djihadiste. Il s’agit de l’attentat le plus sanglant que ce pays ait connu depuis le 11 septembre 2001 : quatorze personnes ont été tuées et vingt et une blessées.
Dans ces circonstances tragiques, le peuple américain, si présent à nos côtés après les attentats de janvier et du 13 novembre, peut être assuré de l’entière solidarité et de la compassion de la France et de notre assemblée.
En votre nom, j’adresse mes condoléances aux familles des victimes et exprime notre soutien aux blessés.
Je vous invite à observer une minute de silence.
Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.
La parole est à M. Jean-Charles Taugourdeau, pour le groupe Les Républicains.
Monsieur le Premier ministre, dans quelques minutes va nous être soumis le vote de la rectification du budget de la France. Un cadeau de Noël s’y cache : l’annulation du redressement fiscal de Mediapart, qui a une dette envers le Trésor public depuis juin 2009. Pourquoi ? Simplement parce que Mediapart s’est auto-attribué depuis cinq ans le taux de TVA plus que réduit de 2,1 % réservé à la presse imprimée.
Monsieur le Premier ministre, quel message envoyez-vous aux entrepreneurs, aux artisans, aux commerçants, aux agriculteurs, aux professions libérales qui subissent redressements et même refus de crédit d’impôt, et qui doivent rembourser les trop-perçus ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Quel message envoyez-vous aux familles auxquelles on demande de rembourser les trop-perçus d’aides sociales même plusieurs années après les faits ?
Vous aimez assurément la presse, monsieur le Premier ministre ! Vous nous avez déjà fait le coup avec le journal L’Humanité, il y a deux ans : un trou de 4 millions d’euros rebouché en trente secondes ici même sur le compte de la liberté de la presse… Et voilà de nouveau des députés socialistes de votre majorité qui votent en catimini un amendement pour annuler le redressement fiscal de Mediapart et lui faire un cadeau de Noël de 4 100 000 euros de fraude fiscale. Vous allez me dire que votre ministre du budget s’y est opposé. C’est vrai. Mais ils l’ont voté avec votre rapporteure générale du budget !
Ma question est simple, monsieur le Premier ministre. Quand je pense à « Moi Président » qui voulait une République exemplaire… eh bien, pensez-vous être encore crédible en matière de justice sociale et de justice fiscale ? Votre réponse intéresse tous les contribuables et justiciables de France.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Vous m’interrogez, monsieur Taugourdeau, sur un amendement voté par les députés et concernant le cas de Mediapart.
Je voudrais d’abord revenir sur un ensemble de mesures que nous avons prises au sein du Gouvernement pour soutenir la presse.
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Les événements récents nous ont montré à quel point la liberté d’expression et la liberté de la presse
Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
Ce n’est pas la question !
…étaient des valeurs auxquelles la République était attachée et auxquelles celle-ci devait réaffirmer son soutien de manière massive.
C’est pour cette raison que nous avons entamé, l’année dernière, une réforme à laquelle nous nous étions engagés de soutien au pluralisme de la presse, pour soutenir les hebdomadaires et les périodiques ayant une parution autre que quotidienne et leur faire bénéficier également d’aides qui s’appliquaient jusqu’à présent aux seuls quotidiens à faibles ressources publicitaires.
C’est une réforme dont nous sommes fiers et qui a été votée ici par les députés, afin de soutenir des quotidiens et des périodiques qui font vivre le débat démocratique dans notre pays.
Vous parlez de la presse en ligne et de la TVA applicable à ce secteur. Vous savez très bien que ce gouvernement a également pris une loi afin d’aligner le taux de la TVA applicable à la presse en ligne sur celui de la TVA applicable à la presse papier. C’est une position que nous avons constamment défendue auprès des instances communautaires, car nous considérons qu’elle est conforme à la convergence qui existe aujourd’hui entre les différents organes de presse.
Et nous continuerons à défendre cette position auprès de la Commission européenne.
La loi est la loi. Nous considérons qu’elle doit s’appliquer.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Tant que la décision d’appliquer un même taux de TVA à la presse en ligne n’a pas été entérinée par la Commission – et telle est la position que le Gouvernement a défendue lors de la discussion de cet amendement –, la loi doit s’appliquer.
La parole est à Mme Marie Récalde, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, au cours des derniers jours, la barbarie terroriste a encore frappé. Elle a frappé aux États-Unis, au Tchad, au Royaume-Uni, en Égypte, au Mali, en Tunisie. Notre groupe, comme, je le crois, l’ensemble de la représentation nationale, joint ses pensées à celles des peuples touchés.
La France est engagée en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. À leur tour, la Chambre des communes au Royaume-Uni et le Bundestag en Allemagne ont pris des décisions importantes pour intensifier les efforts de la coalition dans la lutte contre Daech et l’islamisme radical.
Le Président de la République se trouvait la semaine dernière sur le porte-avions Charles de Gaulle…
…aux côtés de nos troupes engagées contre l’État islamique.
Cette guerre, nous la menons contre un mouvement qui asservit des peuples en Irak, en Syrie et en Libye. Un mouvement qui vole, qui assassine, qui pille et qui cherche à détruire notre héritage culturel commun.
Nos sociétés doivent tenir bon. La démocratie, l’État de droit, la République et ses valeurs ne peuvent pas, ne doivent pas vaciller face à la menace. Le but des terroristes est de nous fragiliser et de dénaturer ce que nous sommes et ce que nous représentons.
Monsieur le Premier ministre, à l’heure où les Français expriment légitimement leurs craintes, vous avez raison de dénoncer les outrances dangereuses de tous ceux qui veulent répondre à la violence par la stigmatisation et la haine.
Dans cet état d’esprit et dans le respect de nos valeurs humanistes et républicaines, pouvez-vous nous dire comment la France compte intensifier ses efforts pour combattre le terrorisme ?
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la députée, vous avez raison, le terrorisme doit concerner l’ensemble de la communauté internationale. Il a déjà frappé de nombreux pays et il a frappé la France. Nous devons unir nos efforts pour faire face à ces actes barbares et à cette menace présente et constante.
Nous le faisons d’abord à travers notre riposte militaire au Levant, en Irak et en Syrie. Dès le dimanche 15 novembre, vous le savez, notre aviation est intervenue pour accentuer les frappes. Nos chasseurs bombardiers ont visé des fiefs de Daech, des unités de commandement comme des camps d’entraînement.
Depuis la fin du mois de septembre, nous avons frappé en Syrie, simultanément aux nombreuses missions de renseignement, et ces frappes se poursuivent aujourd’hui. Nous avons conduit huit frappes sur Raqqa.
Des frappes ont également eu lieu en Irak sur des positions de Daech proches de Mossoul.
Pour intensifier notre action militaire, nous avons déployé pendant deux semaines le porte-avions Charles de Gaulle en Méditerranée orientale, vous l’avez rappelé. Il reprendra prochainement ses activités, lorsqu’il sera arrivé dans le Golfe persique.
Avec nos alliés américains, nous avons ciblé des camps d’entraînement, des sites pétroliers et logistiques et, je viens de le rappeler, des postes de commandement, principalement dans les régions de Raqqa et de Deir ez-Zor. Ces frappes ont eu des effets importants sur les capacités de commandement de Daech, ses flux logistiques et ses ressources financières. Nous visons, nous frappons, nous détruisons les bastions où se préparent les attaques que Daech mène contre nous.
Je remercie une nouvelle fois l’ensemble du Parlement d’avoir voté si massivement, le 25 novembre dernier, en faveur de la prolongation de l’engagement de nos forces aériennes en Syrie.
Nous maintenons également notre effort en Irak où nos avions de combat frappent tous les jours. Depuis le 19 septembre 2014, nous avons conduit au Levant, en Irak et en Syrie, trois cent trente frappes au total, et nous allons continuer à frapper Daech – l’État islamique – sans relâche jusqu’à le détruire.
Être forts pour mener la guerre contre Daech, c’est nécessairement renforcer la coalition composée de l’ensemble des pays qui partagent ce même objectif. C’est le sens des initiatives du Président de la République auprès du président Obama, du président Poutine et de l’ensemble de nos alliés européens. Ce dialogue est indispensable pour être efficaces sur le plan militaire mais également pour trouver une solution politique en Syrie.
Madame la députée, c’est à travers cette mobilisation – et je salue les votes de la Chambre des communes et du Bundestag grâce auxquels la Grande-Bretagne et l’Allemagne sont à nos côtés – qu’avec nos armées, dont je salue l’engagement et le courage, nous vaincrons le terrorisme.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le Premier ministre, dimanche dernier, avec 27 % des suffrages, le Front national est devenu le premier parti de France.
C’est un séisme politique !
Bien sûr, les jugements moraux ne suffisent pas pour dénoncer l’imposture du FN. Mais rappelons-le, le Front national c’est l’extrême-droite. Anti-dreyfusards au XIXème siècle, collaborateurs des nazis au XXème siècle, manipulateurs et menteurs au XXIème siècle, l’extrême-droite n’a pas d’autre horizon que le repli sur soi et la haine de la diversité humaine.
Aujourd’hui, prenons garde. La gauche a raison : il faut retirer nos listes pour empêcher le FN de s’emparer ne serait-ce que d’une région.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Mais, je le dis avec gravité, monsieur le Premier ministre, au-delà des élections régionales, c’est un redoutable défi auquel nous sommes confrontés, en France mais aussi en Europe.
Ce défi, c’est celui de stopper cette gangrène qu’est l’extrême-droite, qui prospère depuis vingt ans en dépit des grandes déclarations politiques stériles qui disent entendre les colères et les inquiétudes et qui font des promesses. J’ai la sensation que ce ne sont que des mots.
Évidemment la crise économique nourrit le terreau du Front national, mais l’Histoire nous enseigne que pour réduire l’extrême-droite, il faut mener des politiques publiques qui améliorent concrètement la vie quotidienne des peuples.
Ma question est simple : je le dis ici, chacun, à gauche comme à droite, a sa responsabilité, mais ne pensez-vous pas, monsieur le Premier ministre, que notre majorité doit agir mieux et plus vite contre les fractures qui minent notre pays ?
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le député, nous sommes entre les deux tours de ces élections régionales. Nous devons donc ici, dans l’enceinte de la République qu’est le Parlement où bat le coeur de la démocratie, respecter cette campagne.
Les enseignements et les leçons que nous devons en tirer ne sont pas nouveaux. Nous connaissons d’ailleurs souvent les réponses.
Ce que je peux vous répondre, c’est que le premier enseignement est le suivant : même s’il y a eu un sursaut de participation, l’abstention reste beaucoup trop importante – un Français sur deux seulement s’est déplacé. Le seul message que nous puissions faire passer en vue du scrutin de dimanche prochain, c’est d’aller voter, voter pour l’avenir des régions et voter pour une certaine conception de la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Notre deuxième inquiétude tient naturellement au niveau du vote de l’extrême-droite et au péril qu’il peut représenter pour la République et pour l’image de notre pays.
Face à cela, d’ici dimanche prochain, le reste, me semble-t-il, appartenant au débat, je peux vous faire au moins trois réponses.
La première est de rester dignes, à la hauteur de l’attente et des exigences des Français ; la deuxième, pour ce qui concerne la majorité, je ne peux vous répondre que cela, c’est de nous rassembler – c’est ce qui a été fait dans les régions et c’est ainsi que nous répondons à l’attente des Français ; la troisième leçon, c’est que partout vive la République. C’est le choix qu’a fait la majorité et c’est ainsi que nous apporterons une réponse aux Français. La seule réponse dans ces moments-là, au-delà du débat démocratique, c’est la République, ses valeurs, l’autorité de l’État, qui doit s’imposer partout, et la défense de notre manière d’être français et de vivre ensemble.
Voilà, monsieur le député, les premières leçons que nous pouvons tirer du premier tour, mais une campagne électorale se juge aux résultats du deuxième tour. Pour le reste, je vous donne donc rendez-vous après.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
C’est avec le regard et l’émotion d’un député du Front de gauche de la région PACA que je veux adresser ma question à M. le Premier ministre.
Les démocrates de ma région sont sous le choc. Nous vivons un moment terrible et grave, qui appelle un véritable deuxième état d’urgence. Notre responsabilité dans ces résultats est très certainement collective. Toutefois, les choix politiques de la droite qui a, pendant des années, augmenté la dette et le chômage, réduit les moyens,…
…donc l’efficacité de services publics majeurs tels que l’éducation nationale, la police, la justice ou encore l’hôpital public, qui a aussi blessé la démocratie et ouvert la porte à tous les amalgames et toutes les intolérances, portent une responsabilité majeure.
Ce n’est pas en 2002 ni en 2012 que le Front national a explosé ! C’est aujourd’hui !
Notre gouvernement actuel, pris dans le carcan austéritaire et libéral européen qui mène l’Europe à sa ruine, n’a pu corriger et infléchir cette dérive. Les Français souffrent, les salaires n’ont jamais été aussi bas, le chômage n’a jamais été aussi élevé, avec comme seule perspective de voir les licenciements facilités, les entreprises recevoir des milliards sans contre-parties en termes d’emploi ou de voir baisser les moyens des collectivités territoriales.
Les Français souffrent et, comme cela ne suffisait pas, la réforme territoriale mise en place sans consulter les citoyens n’est pas comprise.
En PACA, la métropole marseillaise vacille déjà à l’occasion de l’élection de son président, qui fut une mascarade !
Aujourd’hui se pose la question de l’infléchissement de ces choix politiques.
Dimanche prochain, l’absence au deuxième tour de toute force de gauche dans ma région laisse le FN à même de s’engouffrer, sans contrôle, dans des politiques ultralibérales, antisociales, stigmatisantes et sécuritaires dramatiques pour les citoyens.
Monsieur le député, chacun d’entre nous, moi le premier, est prêt à entendre les souffrances, les urgences, les attentes de nos concitoyens pour mieux comprendre, si cela était nécessaire, les raisons qui expliquent l’abstention et le vote en faveur de l’extrême-droite dans une région, la vôtre, où il y a à la fois des défis considérables, de la pauvreté et beaucoup de richesses.
Je voudrais uniquement vous rappeler, si nous poursuivions sur cette analyse, que l’une des régions qui a connu l’un des conflits sociaux les plus lourds, ces dernières années, l’une des régions qui connaît une des crises majeures de l’agriculture et de son territoire rural, c’est la Bretagne. Vous voyez bien, monsieur Gaby Charroux, que parfois les électeurs, dans des circonstances difficiles, peuvent être amenés à faire aussi d’autres choix. En l’occurrence, ils ont fait confiance au ministre de la défense Jean-Yves Le Drian.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Cela veut dire que s’en tenir aux seules explications économiques et sociales, même si elles sont indéniables, ne suffit pas. En ce qui concerne ces régions, pour que les choses soit claires, je veux rappeler qu’il y a quatre départements d’outre-mer, où il y a des élections dimanche prochain. Je veux rappeler qu’en Corse, il y a des élections dimanche prochain. Je veux rappeler que, dans neuf régions de l’hexagone, il y a un deuxième tour avec des triangulaires. Dans ces quatre régions d’outre-mer, en Corse et dans ces neuf régions de l’hexagone, la gauche est rassemblée et elle peut l’emporter.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Moi, monsieur Gaby Charroux, ce qui m’intéresse, c’est que ce rassemblement puisse l’emporter.
Dans trois autres régions, parce que c’est ainsi que la majorité en a décidé – c’est l’honneur du Gouvernement que je préside et du Parti socialiste que d’avoir dit les choses clairement –, quand la République est en cause, il n’y a pas d’autre décision à prendre que celle que nous avons prise.
Cette décision est difficile pour les élus et les militants. Elle est difficile aussi, bien sûr, pour la majorité sortante en PACA, qui avait permis par exemple, avec le soutien de l’État, de sauver et de soutenir Fralib. J’ai encore en mémoire ce qu’un responsable de la CGT de cette entreprise disait il y a quelques jours sur le rôle de la région et de l’État.
Je comprends parfaitement ce que cela peut représenter pour ces élus et pour ces militants, mais quand la République est en cause – l’histoire de votre parti le montre bien –, on va directement à l’essentiel. On appelle à voter contre le Front national et pour ceux qui aujourd’hui peuvent sauver les régions Grand-Est, Nord-Pas-de-Calais-Picardie et PACA de l’extrême-droite.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Yannick Favennec, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le Premier ministre, la crise de notre agriculture est loin d’être terminée. Si les médias se sont progressivement désintéressés de ce sujet, nos éleveurs continuent, eux, à s’enfoncer inexorablement dans une détresse économique et morale insoutenable.
Cet été, votre ministre de l’agriculture avait pris des engagements, certes timides, mais qui avaient au moins le mérite d’être concrets. La colère estivale passée, votre gouvernement se retrouve face à des promesses qu’il n’a toujours pas su tenir, laissant le monde agricole dans la désespérance la plus totale.
La crise de l’élevage n’est finalement que le reflet d’une France qui ne parvient plus à se redresser, d’une France marquée par la perte de compétitivité et le chômage, d’une France qui s’enlise dans une précarité sans précédent, d’une France qui n’a plus confiance. C’est la France des territoires perdus de la République, la France périphérique, cette France d’à côté.
Dimanche, de nombreux Français ont fait le choix de ne pas aller voter ou de voter Front national non seulement pour exprimer leur exaspération, mais aussi pour rejeter une politique attentiste, à laquelle ils ne croient plus.
À la fracture sociale, s’ajoute désormais la cassure territoriale, que nous n’avions pourtant cessé de vous annoncer. Comment pouvons-nous encore demander à nos agriculteurs de se lever tous les matins pour aller travailler, alors même que les coûts de production sont toujours plus importants ? À titre d’illustration, un élevage de porcs moyen en Pays de la Loire perd 7 000 euros par mois, sans qu’aucun outil efficace ne soit mis en place pour y remédier.
Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire pour que nos agriculteurs vivent enfin dignement de leur travail ? Quand allez-vous prendre conscience que la France est victime d’un développement à deux vitesses intolérable et inacceptable ?
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
Monsieur le député, je vous rappelle que le soutien à l’élevage a été décidé en juin et en septembre, et que 40 000 dossiers de tous les départements ont été traités dans des cellules d’urgence, au sein desquelles sont représentés l’administration dans sa totalité, les organisations professionnelles agricoles et les chambres d’agriculture, ainsi que les centres de gestion. Sur ces 40 000 dossiers, 23 000 sont d’ores et déjà traités. En tout, 180 millions d’euros d’allégements de charges sur la MSA et 155 millions d’allégements de charges tout court seront versés.
Je vous rappelle, monsieur le député, qu’il y a eu une crise, il n’y a pas si longtemps, en 2008 : la crise du lait. Il a fallu attendre un an pour que les premières aides soient versées. Cette année, alors que le plan a été décidé au mois de septembre, les premières aides seront versées pour 10 000 éleveurs d’ici à la fin de l’année, en particulier aux éleveurs porcins.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mais je veux aller plus loin sur ces sujets. Les crises, tout le monde en a connu et, dans l’agriculture, tout le monde continuera à en connaître, parce que le fond de la crise, c’est la question des prix. Et la question des prix, c’est celle des marchés, qui se pose non pas seulement en France ou en Europe, mais à l’échelle mondiale.
Vous parlez du lait. Pensez bien qu’aujourd’hui, indépendamment de notre volonté, les grandes entreprises exportatrices dépendent des prix sur la poudre de lait qui se vend sur le marché extra-européen.
La condition, pour éviter qu’on revienne à tel niveau est non de prétendre, comme vous, que rien n’a été fait, mais de permettre aux agriculteurs de s’organiser d’une manière telle qu’ils puissent passer les moments difficiles et profiter de ceux où les prix sont élevés. C’est comme cela – et non en posant la question comme vous le faites – que l’on sortira le monde agricole et le monde rural de sa désespérance.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, les bonnes nouvelles sont rares pour les familles depuis trois ans. Je vous rappelle quelques-unes de vos mesures aux effets dévastateurs : la baisse du plafond du quotient familial, la modulation des allocations familiales, le report du versement de la prime de naissance, la baisse des allocations en 2014 et en 2015, ou encore le raccourcissement du congé parental. La liste est longue !
Vendredi, vous avez fait adopter un amendement au projet de loi de finances rectificative, portant à 2 euros la réduction forfaitaire de cotisations par heure travaillée au bénéfice des particuliers employeurs, reprenant ainsi une proposition que le groupe Les Républicains avait déposée dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale et que vous aviez rejetée à l’époque.
Votre volte-face est une bonne nouvelle pour les familles de France. C’est une mesure importante pour le secteur de l’emploi à domicile, qui avait connu une forte dégradation depuis que vous aviez supprimé la déclaration au forfait en 2013. Néanmoins, l’adoption de cette mesure en catimini ne suffit pas à rassurer les Français, ni à rendre claire votre politique familiale.
Les Français n’attendent pas de vous de la clarté et de la cohérence sur vos combinaisons électorales avec vos ex-alliés : ils attendent de vous de la clarté et de la cohérence sur la politique économique, sur l’emploi, sur la sécurité, sur l’immigration, sur votre politique fiscale – à ce sujet, vous auriez pu éviter de faire un cadeau fiscal de 4,5 millions d’euros à Mediapart quand les artisans et les Français croulent sous l’impôt – ou encore en matière de politique familiale.
Alors, monsieur le Premier ministre, afin d’être clair, comptez-vous également faire volte-face sur le quotient familial, sur les allocations familiales ? Monsieur le Premier ministre…
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Merci, monsieur le député.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, notre politique familiale est claire, elle est cohérente.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Elle a d’abord été guidée par une exigence : ramener la branche famille à l’équilibre, alors que nous avions trouvé des comptes extrêmement dégradés. Notre deuxième volonté a été de garantir la pérennité de la branche famille. C’est ce qui nous a conduits, certes, à faire des économies, mais des économies justes. Ces économies justes ont d’abord consisté à moduler les allocations familiales en instaurant une dégressivité en fonction des revenus des familles. Effectivement, les familles dont les revenus sont supérieurs à 6000 euros par mois et qui ont deux enfants ont vu leurs allocations familiales réduites, mais cependant maintenues…
…afin de respecter le principe d’universalité des prestations familiales.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Cette politique nous a permis de réorienter nos aides en faveur des familles les plus démunies, d’abord des familles monoparentales, qui ont vu augmenter le complément familial et l’allocation de soutien familial, et ensuite des familles les plus pauvres. Elle nous permet aussi de poursuivre une politique de construction de lieux d’accueil pour les jeunes enfants.
Ce qui fait l’excellence et la qualité de la politique familiale française, c’est cette capacité à combiner un taux d’activité professionnelle des femmes élevé et un taux de fécondité élevé. Cette politique familiale est juste, elle est au plus près des besoins des familles, elle est moderne…
…et nous n’en changerons pas. Nous la confirmerons, et nous nous félicitons que vous apportiez aujourd’hui votre soutien aux mesures prises la semaine dernière en faveur de l’emploi familial !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.
La parole est à M. Hugues Fourage, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.
La ruralité est une chance pour la France et un terrain d’innovation. Aujourd’hui, les campagnes concernent 44 % de la population française, soit plus de 27 millions d’habitants et 82 % des communes. La ruralité se conjugue au pluriel. En profonde mutation, elle recouvre des situations et des trajectoires d’une grande diversité : campagnes péri-urbaines sous l’influence d’une grande ville, campagnes agricoles et industrielles en mutation, ou bien encore campagnes hyper rurales de très faible densité. Le pluriel s’impose : il n’y a plus une France rurale, mais des ruralités.
Notre ligne de conduite, c’est la cohésion sociale et territoriale. Depuis trois ans, nous reconstruisons une politique dynamique en faveur des territoires ruraux. Cette politique prend à bras-le-corps le sentiment d’abandon, de déclassement parfois éprouvé par nos concitoyens ruraux. Elle récuse la fatalité. Non, la République n’abandonne personne, elle n’abandonne aucun territoire !
Au cours de deux comités interministériels, de nombreuses mesures ont ainsi été prises concernant l’accès aux services publics, notamment la santé, l’éducation, le développement économique, le soutien au commerce et à l’artisanat, la transition écologique, l’évolution de l’agriculture. On relèvera également, plus récemment, l’extension du dispositif du prêt à taux zéro à 30 000 communes rurales ou encore, la semaine dernière, la redéfinition du zonage pour les zones de revitalisation rurale, avec des mesures d’exonération fiscale et sociale, sans oublier le dispositif de revitalisation des centres bourgs.
Cette politique, c’est le symbole d’un État garant de la solidarité nationale, de la reconnaissance et de la confiance qu’il porte à tous les territoires de la République. Madame la ministre, pouvez-vous nous dire quel est l’état d’avancement de la politique que vous menez en faveur des territoires ruraux ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, vous avez raison de souligner la diversité des territoires ruraux, qui appelle des réponses différenciées en fonction du contexte.
Vous avez aussi rappelé que ces territoires ruraux n’étaient pas des oubliés de la République, comme le prouvent les deux comités interministériels qui se sont réunis pour proposer plus de soixante-sept mesures concrètes particulièrement bien adaptées à ces territoires.
Vous avez évoqué les préoccupations exprimées par leurs habitants en ce qui concerne l’accès aux services publics et le maintien de ces derniers. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’accélérer le déploiement des maisons de services au public, pour atteindre 1000 maisons d’ici la fin de l’année 2016 : 450 seront d’ores et déjà labellisées d’ici la fin de cette année. Nous avons également souhaité accélérer le développement des maisons pluridisciplinaires de santé : là aussi, une forte progression est enregistrée.
Oui, nous voulons un aménagement du territoire équilibré, harmonieux, d’où la nécessité de conforter la politique de soutien aux centres bourgs, qui jouent un rôle essentiel de maillage dans nos territoires, avec une action coordonnée qui porte sur le logement, le commerce et l’artisanat, mais aussi sur les espaces publics et les services publics. Ainsi, 300 millions d’euros supplémentaires seront consacrés à ces centres bourgs. Avec l’augmentation de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, et la revitalisation des zones rurales, c’est par une politique globale que nous arriverons à lutter contre ce sentiment d’abandon ou de relégation, en nous appuyant sur les collectivités locales, qui jouent un rôle essentiel pour donner à tous nos concitoyens un cadre de vie adapté et agréable. Pour nous, il n’y a pas de territoires ou de citoyens de seconde zone !
Monsieur le Premier ministre, tout autant que la députée, c’est la citoyenne picarde, écologiste, de gauche, qui s’adresse à vous aujourd’hui, une citoyenne qui fera dimanche son devoir en votant pour Xavier Bertrand, non pas par adhésion, mais parce que, lorsque l’essentiel est en jeu, on ne peut pas s’en remettre aux autres et on ne peut pas fuir ses responsabilités.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Quand l’essentiel est en jeu, il n’est pas de « ni-ni » qui tienne. Et l’essentiel, c’est le refus du repli nationaliste qui ne veut pas voir le monde tel qu’il est, qui offre des solutions factices, qui ne résout jamais rien, qui mène inexorablement aux conflits.
La France offre, en ce début décembre, des visages terriblement contradictoires. C’est tout à la fois le pays vers lequel le monde converge pour trouver des solutions au défi climatique, le pays que le monde soutient lorsqu’il est victime d’attaques terroristes, parce qu’il incarne des valeurs universelles, et un pays qui offre à l’extrême droite des scores jusqu’ici jamais atteints. Ayons la lucidité de constater que ces replis identitaires et nationalistes guettent toutes les sociétés, et pas seulement la France. Ayons la lucidité de constater que les marqueurs de la droite et de la gauche, qui structuraient le débat politique, ne suffisent plus aujourd’hui pour expliquer ce qui se joue.
Ce qui se joue, c’est une tension entre l’ouverture au monde et la tentation du repli ; c’est un choix entre la coopération et un isolationnisme vain ; c’est, ici, la fidélité de la France à son message – la liberté –, à sa promesse – l’égalité – et à son fondement – la fraternité. Vous avez dit la semaine dernière que la République était à reconstruire. Monsieur le Premier ministre, quelles initiatives êtes-vous prêt à prendre pour que chacun se sente partie prenante de cet indispensable chantier ?
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Madame Pompili, il n’y a pas un mot à enlever à votre question. Je veux saluer vos premiers mots, la dignité de votre intervention et des choix que vous soutenez, les choix dignes de Pierre de Saintignon et de tous ceux qui l’entouraient dimanche soir.
Dans ces moments où l’essentiel se joue, je le disais il y a un instant, la seule attitude qui compte, la seule attitude digne, à la hauteur des événements, à la hauteur de l’exigence des Français, c’est de défendre la République. Vous avez resitué dans un contexte historique fort juste ces moments, cette semaine où se joue l’avenir de la planète, autour des négociations sur le climat, cette période où la France, comme de nombreux pays, est touchée par la menace terroriste. N’oublions pas que les attaques ont eu lieu il y a un peu plus de trois semaines, seulement, et qu’elles ont causé 130 morts et des centaines de blessés. Nous savons – et je le répéterai – que la menace est toujours présente. Dans ces moments-là où, en effet, la démocratie et la République sont en jeu, vous avez, par votre expression, il y a un instant, témoigné de ce que peut être la dignité en politique et combien, nous tous, nous devrions la partager, car cette dignité, cette attitude, est attendue par nos compatriotes.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Si chacun de nous peut se tromper, mal orienter ses analyses, vous avez aussi raison, madame Pompili, de souligner combien il est important de faire preuve de lucidité. J’ai essayé, dans mon premier discours de politique générale, en avril 2014, de rappeler quels étaient les grands défis du pays. Nous les avons à nouveau rappelés ensemble, après les attentats du mois de janvier, puis, une fois encore, il y a quelques semaines. Nous savons qu’il y a des plaies béantes, que nous sommes confrontés à des chantiers et à des défis considérables concernant nos territoires urbains et ruraux, l’école de la République, la manière de vivre ensemble.
Cependant, j’ai une conviction, qui devrait tous nous rassembler. Ce qui se joue élection après élection, et ce qui se jouera encore dimanche prochain, c’est la confrontation de deux conceptions. La première est celle d’une République, d’une France, d’une nation protectrice, ouverte, qui promeut un patriotisme source de rassemblement – les Français l’ont encore dit en brandissant les couleurs nationales, en chantant la Marseillaise, en se retrouvant après ces moments terribles. C’est cette idée de la France que nous devons défendre. La deuxième conception est celle que nous avons déjà connue par le passé : étriquée, petite, qui, au fond, amène tout simplement à la haine des autres. C’est ce choix qui se joue.
Notre responsabilité, hommes et femmes de l’arc républicain, de gauche ou de droite, c’est d’apporter des solutions et c’est d’entendre, bien évidemment, les messages des Français. Mais aujourd’hui, et d’ici à dimanche, il s’agit de faire vivre la République partout, sans aucune hésitation, sans « ni-ni », en étant clair. Or, dans cette majorité – vous avez raison, madame Pompili – nous sommes clairs. Quand l’essentiel de la République et de la France est en cause, on n’hésite pas un seul instant, on est à la hauteur des événements et on défend jusqu’au bout la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le Premier ministre, les chiffres du chômage du mois d’octobre ont été dévoilés la semaine dernière : nous avons appris avec tristesse qu’il y avait 42 000 chômeurs supplémentaires, soit une hausse de 3,7 % en un an. Aujourd’hui, 2,9 millions de Français sont au chômage, soit 10,6 % de la population active, avec des variantes très importantes en fonction des territoires. D’une manière générale, les anciens départements industriels du Nord et de l’Est, ainsi que ceux du Sud-Est sont les plus touchés.
Le chômage continue de progresser dans notre pays alors qu’il recule chez une grande partie de nos voisins. Ainsi, en Allemagne, le taux de chômage est de 6 %, son plus bas niveau depuis la réunification. Je pense que cela est dû à la deuxième position que notre pays occupe en matière de prélèvements obligatoires, qui sont les plus élevés parmi les pays développés, avec 45,2 % du PIB. Pis, la plus forte progression du chômage est constatée chez les jeunes de moins de 25 ans, avec 1 point de plus sur trois mois, au lieu de 0,2 point dans les autres catégories d’âge. Pourtant, la jeunesse était censée être une priorité de votre majorité.
Comme moi, monsieur le Premier ministre, je suis sûr que vous pensez que, cette fois-ci, c’en est trop. Le peu d’embauches qui ont lieu s’effectuent aujourd’hui en CDD car les employeurs nourrissent des craintes quant à l’embauche de salariés sur le long terme, en raison du poids des charges, de l’évolution économique incertaine et de l’instabilité des règles et des normes.
Monsieur le Premier ministre, que compte faire votre gouvernement pour répondre à la souffrance et à l’inquiétude de nos compatriotes en matière d’emploi ? Face à la menace terroriste que nous subissons, vous avez déclenché, avec raison, une riposte de grande ampleur. Pourquoi ne pas faire de même contre le chômage qui gangrène nos territoires et devient un véritable fléau pour notre société ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Monsieur le député, bien évidemment, les chiffres du mois dernier ne sont pas satisfaisants. En effet, pour combattre le chômage, il faut réunir deux préalables. Le premier est la croissance, qui est là, qui excède nos prévisions mais qui est insuffisante pour compenser le nombre important d’arrivées sur le marché du travail. Le deuxième préalable est que l’économie crée de l’emploi. Si le climat des affaires est aujourd’hui meilleur, ce n’est, là encore, pas suffisant. Les emplois créés le sont en intérim ou en CDD courts, ce qui explique les mouvements de bascule, les variations très fortes que nous connaissons d’un mois sur l’autre.
Face à ce constat, aujourd’hui, le Gouvernement est particulièrement mobilisé. Premier sujet : les emplois non pourvus. Il est faux de croire que, dans notre pays, on en dénombrerait 800 000, comme je peux l’entendre parfois – je considère qu’un emploi de deux heures par semaine ne peut être rangé dans cette catégorie ; on recense en réalité 200 000 à 300 000 emplois non pourvus, dans l’hôtellerie, la restauration, la métallurgie, l’industrie, ce qui nécessite impérativement une réponse de notre part.
Pour cela, il faut améliorer les formations en direction de ce public : tel est l’objet du plan « 100 000 formations » que nous avions mis en place l’an dernier. Cet effort en faveur de l’accès des demandeurs d’emploi au marché du travail a produit des résultats particulièrement intéressants
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
puisque près de 60 % des personnes concernées trouvent un emploi durable. Comme le Président de la République l’a annoncé, 150 000 formations prioritaires seront proposées l’an prochain.
Deuxième sujet : nous connaissons un chômage de personnes peu ou pas qualifiées. La garantie jeunes, que nous avons mis du temps à mettre en oeuvre, est aujourd’hui généralisée : 30 000 jeunes sont concernés cette année, et ils seront près de 60 000 l’an prochain. Parmi ceux-ci, 95 % ne bénéficient pas d’emploi et ne sont pas engagés dans une formation ou un parcours éducatif. Ce dispositif constitue un véritable levier qui nous permettra de diminuer le chômage des jeunes.
La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères.
Le 26 novembre dernier s’est tenu à l’Élysée, sous la présidence de M. François Hollande, Président de la République, le quatrième sommet France-Océanie. Après six années d’interruption, ce sommet a permis de renouer les fils d’un dialogue interrompu entre la France et l’Océanie, à un moment où les puissances régionales s’investissent de plus en plus massivement dans cette région afin d’accroître leur influence, et alors que la France a une voix à porter dans cette région. Elle y a une histoire, elle y a trois de ses territoires et 700 000 de ses ressortissants. Il était donc nécessaire que ce dialogue soit renoué.
Le sommet a également été l’occasion d’apporter un éclairage particulier sur les effets dévastateurs du changement climatique dans les États d’Océanie. Cette région a une double particularité : elle est au dernier rang des pollueurs de la planète, ses émissions de gaz à effet de serre ne représentant que 0,03 % des émissions mondiales et, en même temps, au premier rang des puits de carbone de la planète grâce à ses océans.
C’est pour cette raison que, lors du sommet France-Océanie, les États de cette région ont demandé à la France de porter sa parole à l’occasion de la COP21 sur deux sujets particuliers. La limite des deux degrés, tout d’abord, demeure trop élevée : les effets du changement climatique s’aggraveront dans la région si la barre maximum n’est pas fixée à un degré et demi. A ensuite été évoquée la place des océans dans la COP21, dont ils semblent être le parent pauvre.
Ma question est donc double : l’objectif d’un degré et demi est-il susceptible d’être atteint ? Les océans auront-ils la place qu’ils méritent dans les discussions ?
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
Monsieur le député Philippe Gomes, je vous demande de bien vouloir excuser M. Fabius, le ministre des affaires étrangères, et Mme Girardin, la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie, tous deux retenus à la COP21, sujet majeur que vous évoquez dans votre question.
Comme vous l’avez rappelé, le 26 novembre dernier s’est ouvert à l’Élysée le quatrième sommet France-Océanie, qui n’avait pas été convoqué depuis 2009. Il s’est tenu en présence du Président de la République française et de tous les chefs d’État et de Gouvernement de Mélanésie, Polynésie et Micronésie ainsi que de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Le Président de la République l’a rappelé à cette occasion : la France est pleinement un pays du Pacifique. Nous partageons, grâce à la Nouvelle-Calédonie, dont vous êtes l’un des représentants, grâce à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, la vie et le destin de la grande famille océanienne.
La COP21 est un sommet majeur pour l’avenir de la planète ; le Premier ministre le rappelait encore à l’instant. Les enjeux du dérèglement climatique nous concernent tous et nous considérons qu’un accord à Paris contraignant, exigeant et opposable à tous est à portée de main. Les négociations sont en cours à ce sujet. L’objectif est effectivement de limiter le réchauffement climatique à un degré et demi…
…ou deux degrés au maximum par rapport à l’ère préindustrielle.
Le sommet France-Océanie nous a permis de recueillir les positions des pays d’Océanie avant la Conférence sur le climat et Laurent Fabius, en tant que président de la Conférence, est en relation étroite avec l’ensemble de leurs négociateurs au Bourget.
Ce sommet a également été l’occasion pour le Président de la République française de rappeler le soutien de la France à la demande de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française d’obtenir le statut de membre plein au sein du Forum des îles du Pacifique. Je vous remercie de cette question qui portait sur deux sujets fondamentaux, monsieur le député.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, j’emprunterai ces mots à Benjamin Franklin : « Rien n’est certain, à part la mort et l’impôt. »
Les Français sont excédés. Ils attendent de vous une réponse claire et immédiate à l’insécurité économique qui règne désormais dans notre pays. La France s’enfonce chaque jour dans un marasme de plus en plus profond. Les Français sont en colère, ils se font entendre.
Je constate que la France est malheureusement en tête du palmarès des pays où les impôts sont les plus élevés, selon l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économique. Chez nos voisins, les finances publiques sont plus saines. Les entreprises retrouvent des marges de manoeuvre. Le chômage baisse. François Hollande n’a cessé de marteler que les impôts n’augmenteraient plus ; les taxes, quant à elles, continuent d’augmenter. Le projet de loi de finances rectificative pour 2015 contient par exemple des dispositions qui visent à accroître la fiscalité écologique. Nous sommes favorables à cette fiscalité à condition que, dans le même temps, d’autres taxes baissent.
Aujourd’hui, faut de pouvoir compter sur votre gouvernement pour faire baisser le chômage, les Français attendent de lui qu’il en finisse avec le matraquage fiscal. À défaut, les ménages puiseront encore plus dans leur bas de laine, s’ils n’ont pas déjà quitté le pays.
Monsieur le Premier ministre, ma question est double : quand prendrez-vous en compte les propositions fiscales de l’opposition comme vous venez enfin de le faire en matière de sécurité ? Quand allez-vous réagir à cette urgence fiscale ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
Madame la députée, vous n’êtes sans doute pas très bien informée sur les différents sujets que vous abordez.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Si c’était le cas, vous auriez noté que le pacte de responsabilité et de solidarité mis en oeuvre depuis maintenant dix-huit mois par le Président de la République et le Gouvernement a permis d’alléger très substantiellement les prélèvements sur les entreprises. Cette baisse de charge a pour conséquence aujourd’hui que le coût du travail français est parfaitement compétitif par rapport au coût du travail allemand. Cette politique, nous la menons. Les annonces qui ont été faites ont été mises en oeuvre budget après budget.
Madame la députée, vous avez essayé de mentionner les propositions ou les aspirations de l’opposition, mais nous ne savons véritablement rien.
Chaque mardi, chaque mercredi aux questions au Gouvernement, un certain nombre de vos collègues nous demandent de procéder à davantage de dépenses, mais nous ne savons toujours pas comment ils entendent faire baisser le niveau des dépenses publiques afin de permettre une éventuelle baisse de la fiscalité.
Au-delà des déclarations d’intention, madame la députée, il serait utile que l’opposition fasse un travail de clarification sur la fiscalité, comme sur le budget ou encore sur sa stratégie politique. Il me semble d’ailleurs que, ces derniers jours, les Français ont estimé que la position de l’opposition n’était peut-être pas si claire, qu’elle manquait de précision quand, au contraire, le Gouvernement prenait quant à lui ses responsabilités.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme Fanny Dombre Coste, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Vendredi dernier, notre assemblée a adopté une mesure constituant un nouveau coup de pouce pour l’emploi à domicile. Grâce à ce mécanisme, notre majorité souhaite soutenir les salariés travaillant à domicile et leurs employeurs. Garde d’enfants, soutien aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap, entretien du domicile : les activités des services à la personne bénéficieront ainsi d’un effort soutenu.
Dès le mois de décembre, la déduction forfaitaire sera relevée à deux euros par heure travaillée. Cette mesure simple, efficace et à effet immédiat favorisera l’embauche, l’augmentation de la durée des contrats proposés et la diminution du recours au travail au noir, comme l’a expliqué Christian Eckert lors de l’examen de la loi de finances rectificative.
En effet, la bataille de l’emploi doit être menée sur tous les fronts : le front des politiques actives pour l’emploi telles que les emplois d’avenir, le soutien à l’apprentissage et le soutien à l’embauche dans les petites entreprises ; le front de la compétitivité des entreprises avec le pacte de responsabilité à propos duquel il conviendra d’avancer vers des engagements concrets ; le soutien au pouvoir d’achat des Français pour consolider la consommation des familles ; le front international, où la baisse de l’euro rééquilibre la compétition internationale, et la lutte contre les abus des multinationales, fiscaux en particulier, que nous avons renforcée la semaine dernière lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative.
L’allégement adopté vendredi, par-delà sa portée sociale, encouragera l’embauche par les particuliers employeurs dans tous les territoires et contribuera ainsi à amplifier les dynamiques initiées par notre majorité. Quels effets pouvons-nous en attendre ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Comme Laurence Rossignol l’a dit à M. Berrios, cette mesure proposée par plusieurs députés de votre groupe, madame la députée Dombre Coste, et reprise par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, est en effet une bonne nouvelle.
Le secteur des services à la personne présente un fort potentiel de création d’emplois. Au regard de la situation du chômage, nous devons impérativement l’accompagner. Nous savons qu’il existe des blocages dont résultent de fortes baisses d’activité dans ce secteur malgré l’importance des besoins. Le travail dissimulé en fait partie et doit impérativement être combattu. En effet, cette situation n’est acceptable ni pour les employés, qui ne sont pas protégés, ni pour les employeurs, qui prennent des risques. L’un des effets de la mesure est donc de rendre le dispositif plus attractif auprès des particuliers employeurs en leur montrant que respecter le cadre légal, beaucoup plus protecteur pour les salariés, ne leur coûtera pas plus cher.
Grâce à la mesure, le coût total du travail pour l’employeur baissera d’environ 9 % avant application du crédit d’impôt de 50 %. Cette mesure a été prise, il faut bien le dire, afin de compenser la suppression de l’abattement de cotisations mise en place en 2011, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Protestations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Elle assurera d’ailleurs un niveau d’exonération supérieur à celui prévu par le dispositif antérieur et constitue un nouveau signal fort de soutien à l’emploi direct réalisé par les deux millions de particuliers employeurs. Elle vise trois objectifs : l’augmentation du nombre d’heures des personnes actuellement employées afin de lutter contre la précarité, le retour dans le cadre légal et la création de plusieurs milliers d’emplois.
Monsieur le Premier ministre, dimanche, par leur vote, les Français ont poussé plusieurs cris et ces cris vous sont adressés : le cri des pauvres et des laissés pour compte, le cri des classes moyennes et le cri du monde rural, de ces territoires interstitiels dont nous avons si souvent témoigné ici. La France, c’est aussi nous. Dans nos territoires, l’agriculture est en souffrance et rien ne vient apaiser ses inquiétudes, ni à court terme, en raison de la conjoncture, ni à moyen et long termes, en raison de vos hésitations en Europe, des errements de vos politiques internationales et surtout de la vision du monde rural que vous martelez, pétrie d’idéaux environnementaux et dénuée de toute vision économique dynamique. Ni l’agriculture ni les autres formes d’économie n’y auront leur place demain si vous continuez ainsi. Et pourtant, la France, c’est aussi nous.
Dans nos territoires, l’enjeu est démographique et social. Les attentes en matière de service sont de plus en plus fortes et la capacité à les satisfaire de plus en plus faible. Et pourtant, la France c’est aussi nous. Dans nos territoires, il faut des infrastructures modernes. Le Gouvernement ne répond pas aux attentes en matière de numérique, de téléphonie mobile et de sécurité sanitaire. Et pourtant, la France, c’est aussi nous. Et pourtant, nos territoires offrent énormément d’avantages dans le contexte actuel, en matière de sécurité mais surtout de qualité de vie. Ils sont animés de dynamiques très fortes. Qu’attendez-vous pour nous donner de vrais moyens de regarder vers demain ? Qu’attendez-vous pour nous dire clairement si vous comptez continuer à asphyxier 80 % de la France afin d’en chasser définitivement les gens qui y vivent et y sont attachés ou si vous allez enfin redéfinir votre politique d’aménagement du territoire ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Je pourrais d’abord vous répondre, monsieur Viala, que ces problèmes, ces sujets, ces défis et ces souffrances sont là depuis bien longtemps. Je pourrais vous répondre précisément que nous avons engagé depuis plusieurs mois déjà, comme l’a rappelé Sylvia Pinel il y a un instant, toutes les actions indispensables à ces territoires, notamment la mise en place des maisons de services au public, des maisons de santé et d’un plan sans précédent en matière de couverture numérique conjuguant l’engagement de l’État, des conseils départementaux et des opérateurs qui doivent pleinement assumer leurs responsabilités. Nous avons tenu, il y a quelques mois encore à Vesoul, un comité interministériel consacré à ce sujet et présidé par le chef de l’État.
Mais je vais vous dire le fond de ma pensée, avec tout le respect que je vous dois, à vous élu de l’Aveyron, département rural comme bien d’autres que beaucoup d’entre nous connaissent. L’idée même d’opposer, comme vous le faites, plusieurs France et de faire croire ici, dans cet hémicycle, et à travers lui aux Français, qu’un gouvernement quel qu’il soit abandonnerait là les territoires urbains et les banlieues et là les territoires ruraux, que nous ne respecterions pas cette France qui a toujours raison, cette France rurale qui dit la vérité, c’est le meilleur moyen – je vous le dis très honnêtement, monsieur le député – de continuer à conforter l’extrême droite dans ce même discours !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Au lieu de tenir ce type de discours et d’opposer en permanence plusieurs France, essayons plutôt d’apporter ensemble des réponses. Vous faites des propositions, nous agissons. Rien n’est jamais parfait et il faut être lucide sur l’action des politiques publiques menées dans les territoires ruraux grâce aux régions, aux départements, à l’intercommunalité, à l’État et souvent en effet à l’Union européenne. En la matière, comment pouvez-vous dire que nous n’agissons pas au niveau de la PAC et de l’Union européenne ? Comment pouvez-vous dire que nous n’agissons pas au niveau international alors que le ministre de l’agriculture s’efforce de lever tous les embargos, notamment avec la Russie ? C’est avec ce discours caricatural ne reposant sur aucun fait qu’on affadit et qu’on met en cause le discours et l’action publics ! Au lieu de tenir ce discours, essayons de travailler ensemble car c’est au fond ce que les citoyens de votre circonscription et de votre département attendent, monsieur le député ! Assez de cette démagogie ! Un peu de réalisme et de hauteur de vue !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Monique Rabin, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, ma question s’adresse à Mme la ministre du travail. En cette période troublée, nous n’avons pas envie de vivre dans un monde replié sur lui-même. Nous sommes au contraire heureux de vivre dans un monde ouvert, qui profite à tous les Européens, permettant notamment les déplacements et les détachements professionnels.
Toutefois, ces détachements doivent être encadrés. Nous ne supportons plus que certaines entreprises bafouent notre droit au nom du profit. Elles le font au détriment de leurs salariés mais aussi des entreprises qui, elles, déclarent leurs salariés. Nous attendons donc que des sanctions efficaces soient prises.
Depuis 2012, nous avons engagé un combat contre les travailleurs détachés illégaux, avec la loi de notre collègue Gilles Savary, qui renforce et facilite les contrôles, et augmente les sanctions. La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, adoptée au mois de juillet, est venue compléter l’arsenal : elle impose notamment aux transporteurs routiers étrangers qui effectuent des opérations de cabotage les mêmes règles sociales et la rémunération au SMIC, pour mettre fin à la concurrence déloyale.
Vendredi, conformément aux engagements d’Emmanuel Macron
« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains
concernant les délais de publication des décrets d’application, un décret a été pris, qui donne les moyens à l’administration de réagir vite. L’État peut désormais suspendre immédiatement les prestations d’une entreprise et prononcer des amendes allant jusqu’à 10 000 euros par salarié concerné.
L’arsenal juridique que nous avons créé est complet. Pouvez-vous le détailler, madame la ministre, afin d’éclairer la représentation nationale ?
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, madame la députée Monique Rabin, vous avez raison de rappeler que ce qui est en jeu, ce n’est pas la libre circulation des travailleurs dans l’espace européen, mais les abus et les fraudes au détachement. Le détachement est une forme légale de travail et, dans l’Union européenne, la France est le troisième pays à envoyer le plus de travailleurs détachés.
Si nous avons fait de la lutte contre le travail illégal l’une de nos priorités, c’est parce que ces abus et ces fraudes fragilisent en profondeur notre modèle social, en niant les protections dues aux salariés que nous avons patiemment conquises tout au long des luttes sociales, mais aussi parce qu’ils créent une concurrence déloyale entre les entreprises.
Grâce à la loi Savary, notamment, notre arsenal est l’un des plus importants au niveau européen. La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques l’a complété, en augmentant les sanctions prévues. Le décret que j’ai publié vendredi donne désormais à l’administration le pouvoir de prononcer la suspension des chantiers, une sanction des plus fortes et des plus efficaces.
Les abus constatés portent sur la déclaration du travailleur détaché, le respect des horaires de travail, la rémunération et les conditions d’hébergement. Les contrôles ont été multipliés, passant de 500 en juillet à 1 800 contrôles par mois aujourd’hui. Les 500 plus grands chantiers sur le territoire français ont été contrôlés et des amendes administratives, qui peuvent aller jusqu’à 500 000 euros, sont prononcées. Nous faisons aussi pression au niveau européen pour que la directive de 1996 soit révisée.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, dimanche, nous voterons pour le second tour des élections régionales dans treize nouvelles régions. Cette refonte des régions laisse perplexe, d’autant que les économies ne sont pas au rendez-vous.
Le passage de vingt-deux à treize régions, qui sera effectif au 1er janvier 2016, avait pourtant un objectif double : alléger le mille-feuille territorial et réaliser de substantielles économies. Ce big-bang régional se voulait l’un des volets les plus emblématiques de la réforme territoriale, lancée tambour battant par François Hollande durant l’été 2014.
À quelques jours d’un vote qui décidera de la couleur politique de ces super-régions, cette refonte, avec ses airs d’usine à gaz, suscite indifférence et perplexité. L’absence d’adhésion de nos concitoyens vis-à-vis de super-régions dont les centres de décision se situeront à des centaines de kilomètres de leur lieu de vie s’est traduite par une abstention record. Campagne oblige, la surenchère de certains candidats, qui promettent de ne pas déménager tel ou tel service, n’arrange rien à l’affaire. D’où la confusion, voire la grande pagaille, qui entoure une réforme qui se voulait pourtant ambitieuse.
Ainsi, dans certaines grandes villes, on ne sait toujours pas ce qu’il adviendra des hôtels de région, ces bâtiments souvent clinquants et onéreux sortis de terre dans les années 1980 à la suite des lois de décentralisation, ou plus récemment. À Clermont-Ferrand, un hôtel de région a été inauguré l’an dernier pour 80 millions, mais c’est à Lyon que les nouveaux élus de la région Rhône-Alpes siégeront bientôt !
Quant à la bouffée d’oxygène que ce vaste chantier doit apporter aux caisses publiques – 10 milliards d’économies à terme selon le Gouvernement –, cet objectif en laisse plus d’un sceptique. L’efficacité économique aurait dû être la priorité de cette réforme, mais, hélas, cet argument a été oublié par le Gouvernement. Il est encore temps, monsieur le Premier ministre, de ne pas faire de cette réforme une occasion manquée. Que comptez-vous faire pour que cette réforme territoriale, réalisée en dépit du bon sens, soit au moins source d’économies ?
Plusieurs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
Madame la présidente, monsieur le député Tardy, nous sommes à quelques jours du second tour et, à vous entendre, nous avons l’impression que personne ne souhaite se présenter…
…et que tous font demi-tour ! Et pourtant, c’est avec enthousiasme que les candidats se présentent pour gérer ces grandes régions, dont le PIB sera plus élevé, la valeur ajoutée disponible plus importante, et les compétences étendues.
La réorganisation de l’administration déconcentrée de l’État fait actuellement l’objet d’une concertation, qui se passe bien, comme vous avez pu le constater.
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Les grandes régions seront en charge de la stratégie industrielle de la France, objet de grande satisfaction pour la plupart des candidats et des élus sortants. Je ne comprends donc pas, à cinq jours des élections, votre question, à moins qu’elle ne signifie que vous ne souhaitez pas gérer des régions qui auront une force extraordinaire dans les domaines des lycées, des transports, du développement économique, de l’enseignement supérieur et de la recherche – l’avenir de la France !
Mêmes mouvements - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera contre ce projet de loi de finances rectificative – PLFR – pour 2015 pour de nombreuses raisons. Regardons le cadre que le Gouvernement et l’exécutif ont voulu poser, suite en particulier à la déclaration du Président de la République, opposant le pacte de sécurité et le pacte de stabilité. C’est dans le contexte de ce choix extrêmement grave que s’est déroulé notre débat autour du collectif budgétaire. Il n’apportera à notre pays, ni la sécurité ni la stabilité. Nous ne cesserons pas de le répéter, monsieur le secrétaire d’État : il n’y a pas de sécurité ni de souveraineté sans de solides finances publiques.
Les débats de ces dernières semaines auront été l’occasion de le préciser mais rappelons qu’autant sont légitimes les nouvelles dépenses de sécurité auxquelles notre pays est appelé, autant le montant de ces dépenses ne justifie pas une telle explosion des principes de saine gestion des finances publiques.
Le contexte est également marqué par la COP21. Notre groupe partage l’impératif de vigilance face aux changements climatiques. Nous sommes convaincus en effet qu’un accord international doit être obtenu pour éviter que le climat entre dans de périlleuses évolutions que nous ne maîtriserions plus. Pour autant, soyons attentifs à ce que les promesses et les discours autour de la COP21, celui en particulier que porte l’exécutif, ne détournent pas les politiques elles-mêmes des atouts de notre pays. Faisons bien la différence entre énergie décarbonée et énergie renouvelable.
Soyons attentifs à ce que signifie la méthode de la COP21 en termes de proximité du précipice, de recherche du sauveur, de baguette magique, voire même de légitimation de méthodes autoritaires – méthodes autoritaires ou glissades fiscales.
Tout ceci m’amène à ce texte, dont l’une des principales caractéristiques est de programmer l’explosion de la fiscalité écologique. Nous l’avons dit lors des questions au Gouvernement : nous ne sommes pas opposés à la logique même d’une fiscalité écologique, à condition qu’elle ne conduise pas à une augmentation globale de la fiscalité.
Tel n’est pas le cas. Les augmentations sont considérables puisque la taxe carbone devrait coûter dix centimes de plus par litre, quel que soit le carburant, d’ici 2020 – avant d’atteindre une augmentation de vingt centimes par litre. Il faut que nos concitoyens le sachent.
Cette augmentation de la fiscalité est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, en 2016, les prélèvements obligatoires ne baissent pas. Le débat de 2016 porte sa part de mystère. Le Gouvernement met en avant des baisses d’impôt, mais est bien obligé, au final, de constater que les prélèvements obligatoires ne baissent pas. Pourquoi ? Il n’y a pas de miracle, la réponse est simple et la cause lisible : l’augmentation de la fiscalité écologique selon les principes définis dans ce collectif budgétaire.
Certaines erreurs ont cependant été reconnues dans ce collectif, il faut l’admettre. Il en est ainsi de la meilleure prise en compte des emplois à domicile. Cela étant, le fait de réparer une erreur aujourd’hui ne vaut pas absolution. Il y a eu en effet une pente fâcheuse de la part du Gouvernement et de la majorité, une reconnaissance d’erreur partielle aujourd’hui. Nous prenons acte mais cela n’excuse pas.
Surtout, ce texte aggrave la situation par ailleurs. Prenons l’exemple du prélèvement de 255 millions d’euros sur le FNGRA, le Fonds national de gestion des risques en agriculture. L’évocation de ce sujet agricole m’amènera d’ailleurs à constater, pour m’en féliciter, que des mesures proposées par notre collègue Marc Le Fur, en termes d’évolution de la fiscalité agricole, ont été prises en compte. Tant mieux pour la modernisation de l’investissement en agriculture. C’est une logique que vous assumez avec une infinie discrétion et Marc Le Fur a fait preuve d’un sens certain des responsabilités en agissant ainsi car cela permettra sans doute d’augmenter également la capacité des exploitations.
Ce collectif pèche par une absence de maîtrise de la dépense publique, faute d’arbitrage, hélas assumé par la majorité.
…les investissements d’avenir, le compte d’affectation spéciale « Transition énergétique ». Le Gouvernement et la majorité organisent le dérapage des dépenses budgétaires. C’est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi de finances rectificative.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Madame la présidente, monsieur le tout jeune secrétaire d’État au budget, qui vient de remplacer M. Eckert, lequel n’a pas le temps de nous honorer de sa présence.
Il est au Sénat.
Il est à Bruxelles !
C’est une simple observation.
Mes chers collègues, même si ce projet de loi comporte quelques mesures qui vont dans le bon sens et qui sont conformes aux demandes formulées depuis le début de la mandature par le groupe UDI, nous voterons contre pour trois raisons.
Tout d’abord, quelles sont ces bonnes mesures ?
Il s’agit tout d’abord des incitations fiscales en faveur des emplois à domicile. La majoration de 0,75 euro à 2 euros de l’heure est significative mais intervient après trois années de réduction continue des aides à ce type d’activité, qui ont entraîné une perte de plusieurs dizaines de milliers d’emplois.
Le groupe UDI se félicite que vous vous en soyez rendu compte mais vous avez mis du temps et c’est un peu tard.
C’est le cas également des dispositions visant à assurer la conformité avec le droit européen de plusieurs mesures fiscales en faveur de l’investissement dans les PME, l’immobilier ou en matière de fiscalité sur le tabac.
C’est enfin le cas des dispositions en matière de fiscalité agricole qui sont modestes, timides mais qui vont dans la bonne direction.
Cependant, trois raisons nous incitent à voter contre ce projet de loi. Tout d’abord, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, les prélèvements obligatoires continuent d’augmenter. Rappelons les épisodes précédents.
En 2014, Jean-Marc Ayrault, alors encore Premier ministre, avait affirmé que neuf ménages sur dix seraient préservés des hausses d’impôt. Selon une récente et très intéressante étude de l’INSEE, ce sont en réalité 80 % des ménages qui ont été pénalisés par la politique du Gouvernement, à hauteur de 5,2 milliards d’euros, soit une perte moyenne de pouvoir d’achat de 220 euros par ménage.
Le mouvement se poursuit en 2015 : les prélèvements obligatoires augmenteront, d’après les dernières prévisions, de 12,8 milliards d’euros ; ils passeront de 958 milliards d’euros en 2014 à presque 971 milliards d’euros en 2015.
Il n’y a donc pas de pause fiscale en 2015, pas plus qu’il n’y en a eu en 2014.
Que se passera-t-il en 2016 ? Je vous rassure, mes chers collègues, cela continue, puisque, selon les propres prévisions du Gouvernement, inscrites dans le projet de loi de finances, l’augmentation sera de 22 milliards. Les prélèvements obligatoires passeront en effet de 971 milliards en 2015 à près de 993 milliards en 2016.
Pour 2017, rassurez-vous encore mes chers collègues, la hausse se poursuivra, notamment à la suite du fameux article 11 de ce PLFR, relatif à la fiscalité des énergies, qui représente une hausse de 1,9 milliard d’euros par an en 2017 et de 2 milliards supplémentaires chaque année, soit 10 milliards de plus en cinq ans.
Selon le rapport de Mme la rapporteure générale, cette mesure pèserait pour 60 % sur les ménages – 6,5 milliards – et pour un gros tiers sur les entreprises – 3,5 milliards d’euros.
Alors que l’impact économique de cette mesure sera considérable, nous regrettons qu’il n’ait pas été évalué, et que le Gouvernement agisse sans la moindre coordination européenne.
Par ailleurs, le Gouvernement ne parvient à réduire le déficit pour l’année 2015 qu’en apparence, en recourant à des artifices comptables. Le prélèvement de 245 millions sur le FNGRA en est un premier exemple. Cette recette ne sera pas reconductible, elle ne constituera pas une ressource pérenne mais fragilisera ce fonds.
La prétendue amélioration du solde budgétaire de 1,1 milliard d’euros par rapport à la prévision initiale est un trompe-l’oeil.
Nous découvrons tout d’abord qu’il existe un excédent de 700 millions du compte d’avances aux collectivités territoriales. Vous expliquez que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises avait donné un meilleur résultat que prévu. Cette somme, qui figure dans le compte d’avance, sera naturellement reversée aux collectivités locales l’année prochaine. En attendant, nous affichons 800 millions d’euros d’amélioration du solde grâce à une recette qui n’en est pas une puisqu’elle appartient aux collectivités territoriales.
D’autre part, la ligne relative aux prêts aux États étrangers est améliorée de 600 millions d’euros qui, en réalité, correspondent au report à l’année prochaine de la dette d’un État africain. Il n’y a donc aucune amélioration – au contraire, on constate plutôt une légère détérioration.
Enfin, la dette publique poursuit son irrésistible ascension. Nous étions à 95,6 % du PIB en 2014 mais nous serons à 96,3 % à la fin de l’année.
Dès que le taux d’intérêt remontera, ce ne sera pas une économie de 2 milliards mais une hausse continue à partir de 2018. Il y aura peut-être un autre gouvernement à cette époque. Nous voterons contre ce projet de budget.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Dommage que vous interrompiez M. de Courson, c’était très intéressant ! Il est vrai que son discours déplaît à la majorité !
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, madame la rapporteure générale, chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative avait été annoncé comme celui de la COP21, celui de la transition énergétique, celui de la fiscalité écologique. Malheureusement, comme nous vous l’avions fait remarquer dès la discussion générale, ce collectif est loin d’être à la hauteur des enjeux cruciaux de ce sommet pour le climat.
Les articles 11 et 12, présentés comme ceux devant répondre aux enjeux de la transition énergétique, ne poursuivent en fait que deux objectifs : d’une part, limiter la progression du prix de l’électricité, grâce au financement de la contribution au service public de l’électricité par la contribution climat énergie, et d’autre part, trouver des débouchés à la production agricole au travers d’un encouragement fiscal au carburant E10 contenant des agrocarburants.
À cette déception pour les écologistes, s’est ajoutée la minoration des montants remboursés au titre de l’indemnité kilométrique vélo, une mesure pourtant votée dans le cadre de la loi de transition énergétique, et plus largement, le refus du Gouvernement d’avancer sur le sujet des transports. Je pense notamment aux mesures que nous vous avons proposées et que vous n’avez pas soutenues pour limiter le trafic des poids lourds, de plus en plus nombreux sur nos routes, mais de plus en plus épargnés par la fiscalité, puisqu’étonnamment, la contribution climat énergie appliquée aux ménages ne s’applique pas aux poids lourds.
Les ambitions d’une politique nationale de report modal, prônée à l’époque par le Grenelle de l’environnement, semblent pour l’instant abandonnées, et pourtant notre pays n’a jamais eu autant besoin de développer les modes de transport alternatifs à la route, pour les passagers comme pour les marchandises. Transports collectifs, fret ferroviaire, transport fluvial, circulations douces sont l’avenir des transports et notre fiscalité doit leur donner la priorité.
On notera toutefois les aspects positifs de ce PLFR : la progression de la contribution climat énergie fixée à 30,50 euros en 2017, conformément à la trajectoire définie par la loi de transition énergétique, et la création du compte d’affectation spéciale « Transition énergétique ». Si celui-ci n’est pour l’instant qu’une manière de faire financer la contribution au service public de l’électricité par les autres énergies via la contribution climat énergie, c’est un outil qui peut être utile à l’avenir pour mettre en oeuvre la transition énergétique. Les écologistes ont toujours défendu le principe pollueur-payeur, et l’affectation des taxes sur les comportements polluants au financement des alternatives.
C’est le principe de ce compte d’affectation spéciale, qui sécurise le financement des énergies renouvelables. Espérons qu’à l’avenir, la fiscalité sur les comportements polluants puisse être étendue de manière cohérente au trafic aérien et routier, et que puissent être financés, au-delà des seules énergies renouvelables, les économies d’énergie et les transports collectifs.
Ce projet de loi de finances rectificative acte également des avancées importantes issues du débat parlementaire, comme la neutralisation de l’avantage au diesel pour les véhicules de société, les sociétés pouvant désormais récupérer également la TVA sur l’essence, et surtout la publicité du reporting pays par pays des grandes entreprises qui seront, à partir de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, conduites à rendre publiques, selon une répartition par pays – y compris donc dans les paradis fiscaux – des informations telles que le chiffre d’affaires, les effectifs, les bénéfices et les impôts payés. C’est une avancée majeure pour la lutte contre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale agressive de certaines entreprises, qui font tout aujourd’hui pour échapper à l’impôt et refusent ainsi de contribuer à l’effort public.
Ce sont des avancées, mais elles apparaissent bien fragiles et incertaines à l’heure où nous devons, comme le disait notre collègue Jean-Noël Carpentier, faire mieux et plus vite contre les fractures sociales qui gangrènent notre société. Force est de constater que ce collectif budgétaire n’est à la hauteur ni des enjeux sociaux, ni des enjeux écologiques qui sont devant nous. Le groupe écolo partagera donc aujourd’hui son vote, sur ce projet de loi de finances rectificative, entre le pour et l’abstention.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
Sur l’ensemble du projet de loi, le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure générale, chers collègues, nous nous apprêtons à adopter, en première lecture, le projet de loi de finances rectificative pour 2015. Comme lors de l’examen du projet de loi de finances, notre assemblée a très substantiellement modifié le texte, parfois sans l’aval du Gouvernement mais avec un regard que j’ai senti malgré tout bienveillant.
Des avancées ont été réalisées, notamment pour les collectivités. Je relèverai tout d’abord l’extension du bénéfice des attributions du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, le FCTVA, au titre des dépenses d’investissement en matière d’infrastructures réalisées, dans le cadre du plan « France très haut débit », par les collectivités territoriales sur la période 2016-2022. En effet, ce bénéfice s’est éteint, comme il était prévu, fin 2014.
Plusieurs groupes, ainsi que notre commission des finances, ont ainsi défendu cette extension, sans toutefois avoir résolu les conditions pour l’année 2015, que nous aurons semble-t-il à traiter dans le cadre de la navette ; c’est du moins l’engagement que nous avons perçu chez notre secrétaire d’État au budget.
Un autre amendement adopté permettra de faciliter l’exercice par les préfets de leur mission de traitement des demandes par les collectivités du bénéfice du FCTVA, et donc à garantir l’efficacité du contrôle préfectoral sur cette enveloppe qui s’élevait à 6 milliards d’euros l’an dernier. Nous avons également pérennisé le mécanisme de garantie de perte de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les départements dont la baisse annuelle de CVAE dépasse les 5 % – un « tunnel » bienvenu, en quelque sorte.
La fin de l’exonération de TASCOM – taxe sur les surfaces commerciales – votée pour les établissements ouverts avant 1960 dans les zones touristiques internationales, après le renforcement du taux pour lequel le groupe RRDP s’est particulièrement engagé l’an dernier, est une avancée de plus. Merci toutefois au Gouvernement de mieux faire contrôler cette taxe, dont le caractère déclaratif génère quelquefois quelques oublis.
Notre groupe avait déposé à l’article 24, qui propose des ajustements à l’intégration fiscale progressive, dite IFP, l’amendement de notre collègue Jeanine Dubié visant à permettre aux établissements publics de coopération intercommunale nouvellement créés de délibérer à nouveau sur une IFP qui s’avère inopérante dans la pratique, dans la limite de douze années fixée par le code général des impôts. Il a enfin été adopté, ce qui leur permettra de délibérer dès le mois de janvier : c’est une bonne nouvelle.
Nous avions également déposé, après l’article 25, un amendement visant à appliquer aux remises gracieuses concernant les redevances des agences et offices de l’eau des départements d’outre-mer, qui sont des taxes et impôts de toute nature, les règles de droit commun prévues par le livre des procédures fiscales. Adopté, ce dispositif permettra d’accorder des remises gracieuses de majorations d’impôts à certains redevables, notamment les régies publiques des services d’eau des collectivités locales.
Au sujet des dispositifs qui marquent ce PLFR du sceau de la fiscalité écologique, là encore, les députés ont fait évoluer le texte, par exemple en affectant au compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » d’un montant de 5,5 milliards d’euros créé par le Gouvernement les recettes issues de la taxe carbone portant sur les consommations de charbon, de produits pétroliers ou de carburants, soit environ 160 millions d’euros supplémentaires.
En ce qui concerne l’article 11 et la fiscalité des énergies, un véritable changement se profile à l’horizon – très proche – de 2017 dans les modes de financement de la transition énergétique. Les recettes attendues d’une plus forte taxation des énergies fossiles et les affectations supplémentaires au profit du rachat de l’électricité éolienne et solaire, aux tarifs sociaux et à l’aménagement du territoire, vont véritablement dans le bon sens.
Le groupe RRDP se réjouit de l’adoption de son amendement visant à inclure le transport par câble dans la liste des activités de transport de personnes et de marchandises qui bénéficieront d’un taux de TICPE – taxe intérieure sur la consommation sur les produits énergétiques – réduit de 0,50 euro par mégawattheure,.
En effet, qu’il soit aérien ou au sol, le transport guidé ou par câble est un transport certes utilisé dans les zones de montagne, mais également en milieu urbain : on peut notamment penser aux deux « ficelles » lyonnaises, au futur téléphérique qui, dans le cadre du plan de déplacements urbains de l’agglomération de Lyon, reliera Décines-Charpieu au parc de Miribel-Jonage, ou au Poma 2000 qui dessert la vieille ville de Laon. Le plan de déplacements urbains de Grenoble prévoit lui aussi l’utilisation d’un tel système.
Le fait d’exclure du dispositif le transport par câble alors que Mme la ministre de l’écologie venait de publier une ordonnance prévoyant de lui attribuer les mêmes servitudes publiques qu’à n’importe quel autre mode de transport – train ou tramway, urbain ou non – posait un problème, désormais résolu.
Concernant les questions agricoles, nous nous félicitons que l’Assemblée ait adopté à l’unanimité l’amendement de notre groupe visant à assouplir les règles en vigueur concernant la déchéance du droit de dégrèvement de cinq ans de la taxe foncière sur le non-bâti dans les parcelles exploitées par des jeunes agriculteurs.
Toutefois, pour le prélèvement de 255 millions d’euros sur le FNGRA, nous regrettons la demande de retrait de l’amendement consensuel destiné à flécher cette somme vers le développement agricole et rural ; mais ne doutons pas que le Gouvernement tiendra les engagements pris en séance publique.
Pour conclure, je tiens à saluer l’adoption des amendements de notre commission des finances tendant à étendre aux entreprises multinationales l’obligation de publication du reporting pays par pays, jusqu’ici réservée aux établissements bancaires. Bien qu’il soit une simple mesure de transparence, le dispositif initial, qui avait suscité les interrogations légitimes du Gouvernement avant de devenir, avec l’appui de l’OCDE, la norme européenne, est une mesure d’avenir qui va dans le sens de l’histoire.
Le groupe RRDP, vous l’aurez compris, se prononcera favorablement sur ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, chers collègues, le projet de loi de finances rectificative pour 2015, sur lequel nous avons à nous prononcer aujourd’hui, ne porte pas les inflexions budgétaires qui s’imposent face à la situation économique et politique du pays.
Chômage de masse, hausse des inégalités, injustice fiscale, soumission face au poids de la dette et des exigences de Bruxelles : face à de tels défis, qui appellent des réponses fortes, novatrices et justes, le choix fait est celui de la fuite en avant et de l’entêtement à appliquer de vieilles recettes, qui ont pourtant conduit notre pays et l’ensemble de l’Europe dans cette situation – baisses de charges pour les entreprises, financées par une vaste cure d’amaigrissement des services publics et de l’investissement local ; réduction des déficits par le démantèlement progressif de la Sécurité sociale et de tout ce qui contribue à faire société et à améliorer le vivre-ensemble.
À l’évidence, la voie de l’austérité, terrible de conséquences pour ceux qui souffrent, est une voie sans issue pour notre pays et pour toute l’Europe. Jour après jour, elle mine nos biens communs, ces biens qui appartiennent à tous nos concitoyens.
Alimenté par la mise en concurrence de tous contre tous, le sentiment d’injustice est aujourd’hui profond. Le ressentiment, la défiance à l’égard d’un système qui renforce les inégalités plutôt qu’il ne les combat, le sont tout autant. Les profits illimités pour certains, le chômage de longue durée, la précarité et la pauvreté pour d’autres : voilà la réalité d’un système qui marche de travers. Les résultats des élections de ce dimanche trouvent aussi leur source ici.
À l’urgence sociale s’ajoute toutefois une autre urgence qui doit, à l’évidence, guider l’action politique : l’urgence écologique. Les mesures cosmétiques ne sauraient être à la hauteur des enjeux. Le productivisme, la marchandisation de la société, le libre-échange font un mal terrible à notre planète. Renoncer au désastreux traité transatlantique doit être, à cet égard, un préalable à toute politique environnementale et sociale protectrice.
À l’évidence, ce budget rectificatif ne répond pas à tous ces enjeux et s’inscrit dans la logique des précédentes lois de finances. Néanmoins, le travail parlementaire aura permis d’obtenir une avancée notable sur l’évasion fiscale, avec l’extension de l’obligation de reporting public à l’ensemble des grandes entreprises, quel que soit le secteur d’activité. Cela permettra de faire la lumière sur le recours, par ces entreprises, aux paradis fiscaux.
L’enjeu est ici colossal : chaque année, la fraude et l’évasion fiscale coûtent à la France entre 60 et 80 milliards de recettes, soit l’équivalent, à peu de chose près, du produit de l’impôt sur le revenu. Une telle avancée montre que lorsque la gauche est ambitieuse, fière de ses valeurs et de ce qu’elle défend, elle sait s’unir pour prendre des mesures qui vont dans le sens de la justice fiscale.
Mes chers collègues, le combat reste long pour redonner à la démocratie, aux citoyens et à leurs représentants, le pouvoir qu’ils ont perdu au profit d’une finance hors de contrôle et des grandes multinationales prédatrices.
Il nous faut agir aujourd’hui sur plusieurs leviers. À l’échelon européen, il nous faut déconstruire, pas à pas, le carcan « austéritaire » qui mène l’Europe à la ruine. Nous devons revenir sur tous ces traités budgétaires qui piègent la démocratie et la mise en place d’alternatives progressistes ambitieuses.
Nous devons aussi revoir le rôle de la Banque centrale européenne. Les milliards qu’elle a mis sur la table sont partis dans la nature, sans aucune utilité, sauf pour les banques et la finance. L’action de notre banque centrale doit être contrôlée démocratiquement et les citoyens impliqués dans sa gestion.
Par ailleurs, la question de la dette est un enjeu majeur. Les États européens, les peuples, sont aujourd’hui sous une tutelle imposée par les marchés financiers et administrée par la Commission de Bruxelles. La lumière doit être faite sur un système d’endettement qui nous conduit à être toujours plus endettés alors que nous n’avons jamais été aussi riches ! Voilà trois leviers sur lesquels le Gouvernement de notre pays ne peut rester silencieux à l’échelon européen.
En France, dans un contexte politiquement lourd, la culture, l’éducation, la formation doivent être des priorités pour que chacun trouve sa place dans notre société.
Enfin, la compétitivité ne peut être l’alpha et l’oméga de notre politique économique et budgétaire. Les milliards jetés par les fenêtres ne sont plus acceptables. Les aides accordées aux entreprises doivent être pilotées, pour que chaque euro dépensé soit utile à la collectivité. C’est une exigence vitale pour que l’on puisse, enfin, remettre durablement notre pays sur de bons rails : ceux du progrès humain et de l’exemplarité écologique. Considérant que ce budget ne relève pas les défis auxquels nous sommes confrontés, les députés du Front de gauche voteront contre ce PLFR.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à M. Dominique Lefebvre, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure générale, chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative pour 2015 est celui des engagements pris et des engagements tenus, à commencer par celui de la réduction du déficit public, mais aussi et surtout celui du financement de nos priorités politiques et du respect de nos engagements. Je veux d’abord saluer une nouvelle fois le secrétaire d’État au budget, Christian Eckert.
Il est retenu au Sénat. Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, le dialogue avec lui, toute la semaine dernière, a encore été franc, direct et chaleureux, aussi bien vis-à-vis de l’opposition que de la majorité ; et ce dialogue a toujours été riche et constructif avec la majorité parlementaire.
Le débat sur ce projet de loi de finances rectificative a en effet permis d’avancer en profondeur dans de nombreux domaines, et tout particulièrement sur trois volets importants : la fiscalité écologique, la fiscalité des entreprises et la fiscalité agricole.
Ces trois sujets abordés, il faut le souligner, avaient fait l’objet d’un travail parlementaire de grande qualité, notamment par le biais de deux missions d’information de la commission des finances, travail qui trouve ainsi son débouché dans le texte que nous allons voter.
La fiscalité écologique, d’abord, au moment où se poursuit et va s’achever par un accord, nous l’espérons tous, la COP21 à Paris. Les dispositions que nous allons adopter s’inscrivent dans les orientations de la loi sur la transition énergétique car, oui, nous voulons une fiscalité écologique plus efficace.
La transition énergétique en 2016 représentera 4,7 milliards d’euros, avec un changement bienvenu du financement de la contribution au service public de l’électricité vers les énergies fossiles et la création d’un compte d’affectation spéciale « Transition énergétique ».
Nous avons renforcé les mesures contenues dans ce texte, en donnant notamment un signal important, Eva Sas l’a rappelé, par l’inscription de la trajectoire de la contribution climat énergie pour les années 2017 à 2019.
Deuxième volet fiscal ayant fait l’objet de nombreuses avancées : la fiscalité des entreprises et le soutien à l’investissement productif, avec l’adoption de plusieurs mesures à la suite des propositions de la mission de nos collègues Christophe Caresche et Olivier Carré pour rendre plus lisibles et plus cohérents les différents dispositifs fiscaux existants – notamment sur l’ISF PME.
Par ces dispositions, c’est le financement de nos PME, de nos entreprises de taille intermédiaire et de nos entreprises innovantes, qui feront la croissance de demain, qui en est amélioré.
La fiscalité agricole, enfin, grâce au travail de François André et des autres membres de la mission ainsi que l’adoption à l’unanimité – il faut le souligner – de mesures importantes visant à l’adapter, à l’assouplir et à la simplifier afin notamment de mieux prendre en compte la volatilité des revenus agricoles.
Enfin, puisque je ne pourrai citer dans le temps imparti toutes les avancées de ce texte, je tiens à souligner l’adoption de deux mesures importantes proposées par le Gouvernement qui étaient demandées depuis plusieurs mois par une grande partie de cet hémicycle.
La première permet de corriger les effets excessifs de l’entrée en vigueur de la majoration des valeurs locatives des terrains constructibles pour le calcul de la taxe foncière sur les propriétés bâties.
La seconde relève la déduction fiscale forfaitaire pour l’emploi à domicile de 75 centimes à 2 euros par heure travaillée.
S’agissant spécifiquement de l’aspect budgétaire, je ne reviendrai pas davantage sur les assertions infondées du rapporteur général du budget du Sénat concernant la fin de gestion budgétaire de 2015. Je rappelle avec force que ce PLFR est bien celui de l’engagement tenu sur la maîtrise des dépenses publiques et sur le déficit public !
Nous avons certes traversé une année mouvementée et cela s’est traduit dans le budget de l’État : nous avons mobilisé des moyens exceptionnels pour la sécurité des Français qui se sont ajoutés aux aléas récurrents que l’on rencontre lors de l’exécution du budget.
Les redéploiements effectués tout au long de l’année ont donc été naturellement plus importants que l’an dernier mais ils ont été entièrement financés par des économies.
Ainsi, en définitive, les recettes sont-elles alignées avec les prévisions et la dépense, une fois encore, est parfaitement tenue.
Le déficit de l’État se réduit en effet de 1,1 milliard par rapport à la loi de finances initiale pour 2016 et c’est désormais une baisse de 12,3 milliards de ce déficit qui est anticipée en 2015 par rapport à 2014.
Bref, malgré des circonstances exceptionnelles, nous arrivons à tenir nos objectifs de dépenses et de solde budgétaire et public, n’en déplaise aux Cassandre de la droite !
J’observe d’ailleurs qu’à la droite de cet hémicycle – les interventions de nos collègues Mariton et Courson en témoignent –, on a toujours autant de mal à assumer le bilan des deux derniers quinquennats sur le plan budgétaire
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains
notamment quant à la gestion désastreuse des finances publiques menée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy,
Mêmes mouvements
qu’il s’agisse de la dette, du déficit ou du rythme de la dépense publique.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
…ce projet de loi de finances rectificative apporte a contrario la preuve du sérieux budgétaire de ce Gouvernement et de notre majorité parlementaire ! C’est pour cette raison que le groupe SRC le votera.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi de finances rectificative pour 2015.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 561 Nombre de suffrages exprimés: 542 Majorité absolue: 272 Pour l’adoption: 296 contre: 246 (Le projet de loi est adopté.)
La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.
La Conférence des Présidents réunie ce matin a arrêté les propositions d’ordre du jour pour la semaine de contrôle du 11 janvier :
Questions sur la politique de gestion des déchets et économie circulaire ;
Débat sur la politique d’accueil touristique ;
Débat sur les politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l’éducation nationale ;
Questions sur la politique en matière d’énergie ;
Questions sur l’état d’urgence et la politique pénale ;
Débat sur la sidérurgie et la métallurgie françaises et européennes.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifié, en application de l’article 103 du règlement, de deux projets de loi autorisant l’approbation de conventions et accords internationaux (nos 3152, 3298, 3086, 3124).
Ces textes n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je vais mettre aux voix chacun d’entre eux, en application de l’article 106 du règlement.
L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.
L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames et messieurs les députés, nous débattons de cette question pour la deuxième fois puisque, après les événements tragiques de Villefontaine et de Rennes, nous avions souhaité faire diligence – nous avions donc introduit dans un texte de loi visant à transposer des directives européennes à peu près l’équivalent des dispositions dont nous allons débattre aujourd’hui.
Nous avons en effet été soucieux d’apporter une réponse législative prompte permettant d’organiser de façon plus stricte et plus méthodique la transmission des informations par l’autorité judiciaire à des administrations ou des établissements publics concernant les personnes ayant fait l’objet d’une condamnation ou de poursuites visant des actes de nature sexuelle.
Après ces événements tragiques, la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et moi-même avons réagi immédiatement puisque, dès le lendemain, nous avons diligenté une double inspection de façon à clarifier les circonstances dans lesquelles ils avaient eu lieu – la personne mise en cause avait fait l’objet d’une condamnation quelques années auparavant pour détention d’images pédopornographiques et cela n’avait pas été signalé à l’éducation nationale.
Nous avons tous été transis de stupeur en découvrant que cette personne s’était livrée à des agressions sexuelles absolument ignobles sur des enfants.
Nous avons donc réagi à travers cette double inspection mais, également, en prenant rapidement un certain nombre de décisions communes avec la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui les détaillera tout à l’heure.
Je vous rappelle simplement que nous avons convoqué très rapidement une réunion avec les recteurs et les procureurs généraux afin de les sensibiliser à ces nécessaires transmissions.
Nous avons aussi immédiatement mis en place un groupe de travail sous l’autorité de la direction des affaires criminelles et des grâces de façon à mieux définir les conditions dans lesquelles ces transmissions doivent être effectuées et, surtout, l’usage devant être fait des éléments signalés.
Nous avons également installé un autre groupe afin d’élaborer un guide méthodologique qui servira à l’autorité judiciaire mais, surtout, à l’éducation nationale et à toutes les administrations qui emploient des personnes intervenant auprès de mineurs.
Les dispositions que nous avions adoptées dans le cadre d’une loi de transposition de diverses adaptations au droit de l’Union européenne ont fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel, à la suite d’une saisine par les sénateurs. Si cette disposition a été censurée, c’est parce qu’elle est apparue comme un cavalier législatif au sein de ce texte de transposition : ce n’est pas sa pertinence qui a été remise en cause.
Depuis, nous avons veillé, non seulement à réagir très vite, en faisant adopter cette disposition législative, mais aussi à la sécuriser le mieux possible. Nous avons donc élaboré un projet de loi, que le Conseil d’État, auquel nous l’avions soumis, a précisé et consolidé. Le texte que nous vous présentons aujourd’hui n’est pas un texte de circonstance, mais un texte de principe, et les parlementaires l’ont bien compris, puisque les débats qui ont eu lieu en juin et en juillet ont été très approfondis.
Entre-temps, puisque le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, nous avons pris des mesures d’importance : la ministre de l’éducation nationale et moi-même avons diffusé, le 16 septembre, une circulaire rappelant les conditions de diffusion de l’information et transmettant la liste des référents « éducation nationale » au sein des parquets, et des référents « justice » au sein des rectorats, de façon à ce que ce double réseau de référents soit opérationnel dès la rentrée.
Nous avons constaté, sur la base du rapport qui nous a été transmis, qu’il était absolument indispensable d’aménager l’article 11 du code de procédure pénale, de façon à permettre cette dérogation faite au secret de l’enquête et de l’instruction. Même si les observations des députés nous avaient permis d’élaborer des dispositions solides, nous avons souhaité sécuriser davantage le texte, avec l’aide du Conseil d’État.
Je le disais tout à l’heure : ce sont des circonstances tragiques qui nous ont conduits à prendre ces dispositions. Nous avons en effet constaté que, si les circulaires qui énonçaient la nécessité de la transmission d’information de l’autorité judiciaire aux administrations étaient suffisantes dans le cas de condamnations, il était en revanche important, pour les poursuites, de déroger à l’article 11, relatif au secret de l’enquête et de l’instruction.
C’est donc une loi de principe que nous vous proposons, qui vise à répondre à des questions difficiles : celle du moment où il convient de transmettre ces informations ; celle des agents concernés par cette transmission ; celle, enfin, des infractions qui la rendent nécessaire.
Nous introduisons deux articles nouveaux dans le code de procédure pénale. Un alinéa ajouté à l’article 11, qui pose le cadre général de la transmission de l’information par l’autorité judiciaire à toutes les administrations et concerne tous les agents, oblige le procureur de la République à transmettre l’information en cas de condamnation, mais également en cas de mise en examen et de poursuites engagées. Nous modifions par ailleurs l’article 706-47, en y ajoutant un alinéa 4, visant les personnes en contact habituel avec des mineurs, sur des infractions qui sont spécifiquement énumérées. Cet alinéa oblige le procureur de la République à informer les administrations, en cas de condamnation, mais également pour certains contrôles judiciaires. Par ailleurs, cette disposition permet aussi au procureur de la République d’informer les administrations en cours de procédure, c’est-à-dire en cas de mise en examen, mais également en cas de garde à vue, ou même d’audition libre, si des indices graves et concordants permettent d’établir une suspicion avant condamnation.
Nous avons apporté d’autres modifications au code de procédure pénale. S’agissant des contrôles judiciaires, nous introduisons une interdiction supplémentaire : celle d’exercer une activité en contact habituel avec des mineurs. C’est cette interdiction qui va fonder le caractère obligatoire de la transmission de l’information pour les personnes placées sous contrôle judiciaire.
Nous avons également modifié d’autres codes. Dans le code de l’action sociale et des familles, nous introduisons une incapacité juridique, en levant la condition de quantum. Actuellement, c’est une condamnation de plus de deux mois qui permet de déclencher cette incapacité juridique pour les personnes qui exercent dans des établissements accueillant des mineurs, ou qui dirigent de tels établissements. En supprimant cette condition de quantum, nous élargissons le champ de l’interdiction. C’est une disposition que vous avez votée à l’unanimité il y a peu de temps, sur la base d’une proposition de loi du député Claude de Ganay.
Nous modifions également le code du sport, de façon à rendre applicable l’interdiction d’exercer un encadrement sportif, non seulement aux personnes qui sont rémunérées pour cela, mais également aux personnes qui exercent à titre bénévole.
Nous modifions, enfin, le code de l’éducation, pour que les mesures disciplinaires prévues pour les personnels intervenant dans des établissements d’enseignement privé concernent également les établissements du premier degré, qui n’étaient pas mentionnés jusqu’à présent.
Dans ce projet de loi, nous avons fait l’effort – et je crois que nous y avons réussi – sous l’éclairage des débats que nous avons eus ensemble en juin, de concilier deux exigences difficilement conciliables. D’un côté, nous avions l’ambition d’assurer la meilleure protection possible aux enfants et aux mineurs qui sont placés sous la responsabilité des institutions et des administrations : c’est à la fois une obligation pour la puissance publique, une nécessité morale et un impératif juridique. De l’autre, nous avons tenu à respecter l’un des grands principes de notre droit, la présomption d’innocence, pour les personnes qui n’ont pas encore fait l’objet de condamnations.
Nous avons cherché à concilier ces deux exigences, comme nous avions déjà essayé de le faire au mois de juin. Le projet de loi que nous vous présentons aujourd’hui a été précisé et consolidé par le Conseil d’État, et il me semble que les dispositions, telles que nous les avons écrites, présentent désormais une totale sécurité. Ces dispositions permettent d’informer en cas de condamnation, mais aussi en cours de procédure, c’est-à-dire en amont de la condamnation, en cas de mise en examen, de garde à vue, et même, je le répète, d’audition libre, s’il existe des indices graves et concordants.
Parce que nous avons voulu assurer la meilleure protection possible des enfants, nous sommes remontés très en amont, jusqu’à l’audition libre. Mais nous avons aussi voulu mettre en place des garanties afin d’assurer le respect de la présomption d’innocence. C’est ainsi que la personne mise en cause, et qui fera l’objet d’un signalement à son administration, sera informée de cette transmission d’information. Si celle-ci se fait très en amont, c’est-à-dire au stade de la garde à vue ou de l’audition libre, la personne pourra faire une déclaration, qui sera consignée dans un procès-verbal. Toute transmission s’effectuera par écrit.
Si la décision de justice conclut à l’absence de culpabilité, il faudra, non seulement que l’autorité judiciaire transmette à l’employeur cette décision de justice, mais aussi que la mention antérieure soit effacée du dossier de la personne concernée. Nous rappelons par ailleurs dans ce texte que le secret professionnel s’applique à tout destinataire de ces informations. Nous avons donc réussi, me semble-t-il, à trouver ce chemin extrêmement étroit entre la meilleure protection des mineurs et le respect de la présomption d’innocence.
Votre commission des lois a encore amélioré le texte, notamment au sujet de la non-inscription sur le bulletin no 2 du casier judiciaire. En effet, si la juridiction a décidé de ne pas inscrire sa décision dans ce bulletin, il faudra que le parquet s’assure qu’elle n’est pas transmise à l’employeur ; et, si le signalement a été fait plus en amont, il importe que l’administration soit informée de cette décision de la juridiction.
Je veux remercier les parlementaires qui se sont fortement impliqués : vous tous, qui êtes là cet après-midi, qui vous êtes impliqués en juin, mais aussi sur ce projet de loi, puisque vous avez réussi à déposer des amendements, malgré le travail très sérieux effectué par le Gouvernement, et le travail très méticuleux assuré par le Conseil d’État. Malgré tout le travail que nous avons fourni, vous avez trouvé des motifs de déposer des amendements, dont nous débattrons tout à l’heure. Je veux remercier le rapporteur, M. Erwann Binet, mais aussi Mme la députée Joëlle Huillier, ainsi que M. le député Dominique Raimbourg qui, au mois de juin, avait été très actif. Je sais qu’il est resté très fortement impliqué sur ce texte.
Il nous restera à régler la question des personnes qui ont déjà fait l’objet de condamnations. Nos lois n’étant pas rétroactives, les dispositions contenues dans ce texte ne s’appliquent qu’aux situations nouvelles : les condamnations nouvellement prononcées et les procédures nouvellement engagées. Mais il est possible, et même probable, qu’il se trouve, dans ces administrations, des personnes qui ont déjà fait l’objet de condamnations. Jusqu’alors, selon notre droit, l’administration avait accès au bulletin no 2 du casier judiciaire au moment du recrutement. Nous avons donc rédigé un projet de décret permettant à l’administration de consulter le bulletin no 2 en cours de carrière. Ce décret a été soumis au Conseil d’État, qui nous a rendu cet après-midi, à quinze heures cinquante, un avis favorable. Nous avions prévu de publier ce décret au tout début de l’année 2016, mais il pourra finalement l’être dans les tout prochains jours, puisque nous avons prévu de le contresigner très prochainement.
Voilà où nous en sommes : nous avons réussi à trouver un chemin de crête très difficile et très étroit, pour aboutir à ce texte satisfaisant. Nous sommes tous soulagés : nous étions extrêmement choqués, extrêmement malheureux, profondément scandalisés par cette faille incroyable existant dans notre droit, et que nous avions essayé de combler par des circulaires. Il y a longtemps que nous aurions dû nous rendre compte que les circulaires n’étaient pas suffisantes, en tout cas en deçà des condamnations. Il est réconfortant de savoir que nous disposons désormais d’un dispositif qui permettra d’éviter que toute personne qui se sera rendue coupable d’actes délictueux sur des enfants puisse encore avoir un contact avec des enfants, et éventuellement continuer à les mettre en danger ; ou que toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation, même s’il n’a pas commis d’actes délictueux sur des enfants, soit signalée, de façon à ce que les mesures conservatoires soient prises. C’est le moins que nous devions aux enfants qui nous sont confiés.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons aujourd’hui, avec ma collègue la garde des sceaux, pour soumettre à votre examen un projet de loi tout entier dédié à l’information de l’administration par la justice et à la protection des mineurs.
Vous vous souvenez évidemment qu’au coeur de l’été nous avions déjà abordé avec vous ces questions. Lorsque le Conseil constitutionnel s’est prononcé, nous avons décidé ensemble de vous soumettre un nouveau texte et de prendre, en consultant le Conseil d’État, toutes les garanties juridiques pour trouver le bon équilibre entre l’impératif de protection des mineurs et l’exigence, tout aussi importante, du respect de la présomption d’innocence. C’est cet équilibre que le texte assure clairement désormais.
Notre détermination à vous présenter un texte rapidement tenait évidemment à la gravité des dysfonctionnements que nous avaient révélés les inspections générales de nos ministères, et dont nous avons longuement parlé dans cette assemblée. Elle tenait aussi à notre volonté commune d’en finir avec une situation insécurisante pour les magistrats, inconfortable pour les administrations et, à vrai dire, incompréhensible pour les familles que nous avons rencontrées et qui toutes nous ont dit leur attente d’un service public irréprochable et exemplaire.
Ce dont nous discutons ce soir, vous le savez bien, n’est pas virtuel. Ce n’est pas davantage un phénomène isolé, malheureusement.
À l’école, par exemple, en dépit des efforts accomplis il y a plus de dix ans pour lever le tabou sur les crimes et délits sexuels sur les mineurs, ces violences existent. Mes services m’ont ainsi fait part de plus de quatre cents situations qui avaient déjà donné lieu entre 2012 et 2014 à des échanges entre la justice et l’éducation nationale. Mais depuis les événements dramatiques de Villefontaine, qui ont sans aucun doute libéré également la parole, il n’est pas une semaine sans que nous soyons informés d’un ou plusieurs événements dramatiques qui sont couverts par ce projet de loi.
C’est dire l’importance de ce texte dont la garde des sceaux vous a rappelé la lettre et l’esprit. En vous proposant un dispositif d’ensemble, c’est une rupture majeure que nous avons voulu introduire dans les relations entre l’autorité judiciaire et l’administration, afin que les dysfonctionnements systémiques identifiés à Villefontaine ne se reproduisent pas.
Ce n’est pas que rien n’ait été fait depuis deux cents ans, mais nous avions toléré collectivement d’en rester à un cadre incertain, laissant apparaître des failles pourtant visibles à tous ; visibles aux prédateurs aussi, il ne faut pas en douter.
Face à cette réalité, nous avions besoin d’adresser à la société un signal fort quant à notre intransigeance à l’égard de ces violences insoutenables et quant à la cohésion de nos deux institutions pour les combattre.
Empêcher les prédateurs de nuire aux enfants, tel est notre objectif. Mais cela ne veut évidemment pas dire agir sans discernement dès qu’une rumeur se propage ; cela ne veut pas dire se contenter de procédures qui seraient activées ici par une indiscrétion, là par une information apportée par la presse. Parce que les faits sont trop graves, parce que les situations sont trop sensibles, nous avions besoin d’un cadre clair et rigoureux, un cadre indispensable pour assurer la protection des usagers, mais aussi pour apporter les indispensables garanties aux personnes mises en cause.
C’est là tout le sens de ce texte, que nous avons patiemment travaillé, la garde des sceaux l’a dit, en reprenant avec attention les débats que nous avons eus ici, à l’Assemblée nationale, mais aussi au Sénat, avec les parlementaires de la majorité comme de l’opposition. Et je sais que cette attention, ce pragmatisme, se sont aussi manifestés dans les travaux de votre commission grâce à l’excellent travail de votre rapporteur Erwann Binet, que je salue, mais aussi grâce aux contributions des parlementaires de notre majorité qui, dès le mois de juin, ont débattu avec nous des enjeux de ce texte.
Je veux aussi rendre hommage à l’esprit de responsabilité de l’opposition républicaine, qui a souhaité joindre ses réflexions à cette initiative gouvernementale. Je pense en particulier à MM. Claude de Ganay et Guy Geoffroy, dont les préoccupations en matière de lutte contre la pédophilie et la détention d’images pédopornographiques se trouvent pleinement prises en compte dans ce texte. Un accord s’est formé dans votre assemblée la semaine passée. Il sera pleinement respecté.
Je vous le dis, la force de ce texte tiendra à l’impulsion politique que votre assemblée saura lui donner et à l’engagement que nous prendrons, Gouvernement et Parlement réunis, de donner enfin aux professionnels les outils nécessaires pour que la situation que nous avons déplorée à Villefontaine ne se reproduise plus.
Mais la force de ce texte tiendra aussi, j’en suis certaine, au fait que nous avons, avec la garde des sceaux, déjà créé les conditions d’un changement radical des pratiques de nos professionnels. Dès le printemps, vous le savez, nous avons réuni en Sorbonne les procureurs généraux et les recteurs d’académie afin de leur rappeler toutes les deux l’immense vigilance dont ils doivent faire preuve dans ces domaines. Nous les avions alors chargés de travailler pour améliorer la fluidité des échanges d’information entre nos services.
Les inspections générales, de leur côté, ont produit dès l’été des recommandations pour que les liens aléatoires qui existaient entre nos services deviennent des procédures claires et sécurisées.
Dès la rentrée, nous nous sommes saisies de l’ensemble de ces préconisations et nous les avons mis en oeuvre. Nous avons installé des « référents éducation nationale » dans tous les parquets et des « référents justice » dans chaque rectorat. Nous avons, par circulaire commune du 16 septembre dernier, mis en place des procédures officielles et sécurisées d’échange d’informations. Heureux hasard du calendrier, c’est à partir de demain que plus de soixante référents de mon ministère seront formés pendant trois jours, avec l’appui de la chancellerie, que je remercie, pour que chacun maîtrise au mieux les procédures en question et pour que chacun sache le cadre juridique dans lequel s’inscrit cette transmission d’informations, mais aussi les décisions que l’administration sera amenée à prendre, à titre conservatoire ou à titre disciplinaire.
Avec le renfort de ce texte de loi, nous devons construire ce que vingt-deux circulaires n’étaient pas parvenues à construire depuis deux cents ans. Voilà notre ambition et voilà le défi que nous devons collectivement relever.
Je crois d’ailleurs que le partenariat étroit que nous avons engagé avec la garde des sceaux pourra servir de modèle à d’autres administrations évidemment touchées par ces phénomènes. Je pense aux collectivités territoriales, qui sont elles aussi concernées par ce texte et avec lesquelles nous avons d’ores et déjà eu des échanges. Nous sensibiliserons les élus locaux à ces nouvelles procédures.
En fin de compte, ce projet de loi viendra accompagner un changement de pratiques des acteurs. C’est son objectif et c’est la condition de son efficacité. Il est attendu par nos services, qui veulent être sécurisés et qui seront aussi pleinement responsabilisés, car les deux vont naturellement de pair.
C’est pour cela qu’avec la garde des sceaux, nous avons tenu à ce que les garanties ne soient pas seulement celles que doit prendre le parquet avant de transmettre une information, mais qu’elles soient celles aussi de l’administration détentrice d’une information communiquée par l’autorité judiciaire. C’est pour cela que tous les destinataires de l’information seront soumis au secret professionnel. C’est pour cela aussi que les transmissions devront se faire par écrit. C’est pour cela enfin que les informations figurant au dossier de l’agent devront bien entendu être effacées lorsque l’enquête se sera conclue par une décision de non-culpabilité.
Et je peux vous assurer – je m’adresse en particulier à M. Dominique Raimbourg et à Mme Marie-Anne Chapdelaine – que, s’ils ne sont pas mentionnés dans ce texte qui touche au code de procédure pénale, les droits des fonctionnaires mis en cause sont bien entendu garantis par le statut général.
Mesdames et messieurs les députés, la garde des sceaux et moi-même vous présentons ce soir un texte qui ne vise pas seulement à dénoncer les dysfonctionnements, mais un texte pour agir. En nous apportant votre soutien sur un projet enrichi de vos propositions et du travail conduit par le rapporteur et l’ensemble des membres de la commission des lois, vous donnerez à nos professionnels les instruments d’une véritable efficacité institutionnelle, sans renoncer à aucune des garanties qui sont accordées aux personnes. C’était au fond votre demande. C’est ce que nous vous proposons aujourd’hui d’adopter. Je vous en remercie par avance.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, deux événements, survenus l’un en Isère, l’autre en Ille-et-Vilaine au printemps dernier, nous ont révélé un grave dysfonctionnement dans le circuit de transmission des informations entre les autorités judiciaires et les administrations chargées d’accueillir des mineurs.
Ces affaires mettaient en cause deux enseignants préalablement condamnés par la justice.
En Isère, l’enseignant avait été condamné en juin 2008 à six mois d’emprisonnement avec sursis, assortis d’une mise à l’épreuve pendant deux ans avec obligation de se soigner, pour recel de bien provenant de la diffusion d’images de mineurs à caractère pornographique. L’éducation nationale n’a appris la condamnation de l’enseignant qu’au moment où celui-ci a été placé en garde à vue pour des faits de viol commis cette année, en 2015, sept ans après sa condamnation.
En Ille-et-Vilaine, l’ex-compagne d’un enseignant a prévenu l’éducation nationale de sa condamnation prononcée en 2006 pour des faits de pédopornographie. À la demande de l’administration, le procureur de la République de Rennes a fait état d’une peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans, mais également de poursuites en cours depuis 2011 pour atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans par ascendant et détention d’images pédopornographiques en récidive. Dans les deux cas, les dossiers administratifs des intéressés ne comportaient aucune mention de leur situation.
Immédiatement, madame la garde des sceaux, madame la ministre, vous avez diligenté une enquête administrative, confiée conjointement à l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et à l’Inspection générale des services judiciaires. Deux rapports ont été rendus consécutivement. Le premier, en mai dernier, a mis en évidence les défaillances à l’origine des deux affaires. Le deuxième, rendu un mois plus tard, présente un regard plus large et une analyse structurelle sur la communication d’informations judiciaires de nature pénale concernant les fonctionnaires de l’éducation nationale mis en cause ou condamnés.
Un certain nombre d’obstacles ont ainsi été mis en évidence pour expliquer le défaut de communication entre les magistrats du ministère public et les établissements d’enseignement. À la lecture de ces deux rapports, les difficultés de transmission sont de nature organisationnelle mais aussi de nature juridique. Pendant la phase précédant le jugement, la transmission des informations entre l’autorité judiciaire et l’éducation nationale reste aléatoire, le secret de l’instruction et la présomption d’innocence faisant obstacle, aux yeux de nombreux procureurs, à une transmission d’informations à ce stade de la procédure. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les vingt-deux circulaires n’ont souvent pas été suivies d’effet. Après le jugement, la transmission des informations entre l’autorité judiciaire et l’éducation nationale se heurte, du côté de l’autorité judiciaire, à des difficultés de nature organisationnelle et une inadaptation des moyens informatiques mis à la disposition des parquets. Du côté de l’administration, l’organisation territoriale des rectorats ne permettait une identification des interlocuteurs en leur sein, avec de surcroît une absence de dispositif d’alerte structuré.
Cette analyse a conduit la mission à formuler quinze préconisations destinées à combler les failles identifiées. Neuf de ces propositions sont de nature technique et organisationnelle. Elles ont été rapidement mises en oeuvre par le Gouvernement. Une circulaire conjointe du 16 septembre 2015 définit les modalités d’échange des informations entre autorités judiciaires et services de l’éducation nationale. L’efficacité et la pérennité du circuit de transmission des informations sont assurées par des « référents justice » auprès des recteurs d’académie, et, en miroir, par des magistrats « référents éducation nationale » auprès de chaque parquet.
Les autres préconisations de la mission d’inspection sont de nature législative. Il s’agit de prévoir formellement que le procureur de la République informe les administrations des poursuites et des condamnations de leurs agents, de créer une modalité de contrôle judiciaire d’interdiction d’entrer en contact avec des mineurs et d’inclure dans les infractions donnant lieu à une vigilance particulière la consultation habituelle et la détention d’images pédopornographiques.
Avec la même célérité que pour les mesures de nature réglementaire, le Gouvernement a présenté dès le mois de juin des amendements au projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, alors en cours d’examen devant l’Assemblée nationale, pour transcrire au plus vite dans le droit des recommandations. Les évolutions proposées ont été adoptées. Mais nous savons la censure qui leur a été réservée, dans sa décision du 13 août 2015, par le Conseil constitutionnel, considérant qu’elles ne présentaient pas de lien avec l’objet du projet de loi – censure pour des objections de forme, donc, et non pour des motivations de fond.
Le Gouvernement a, par voie de conséquence, déposé le présent projet de loi. Avant cela, le Conseil d’État, je tiens à le préciser, a approuvé dans son avis la conciliation opérée entre les impératifs de protection des mineurs et l’indispensable garantie de la présomption d’innocence.
Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions prévues dans le texte. Outre le fait qu’elles ont déjà été longuement discutées par notre Assemblée, comme je l’ai dit, elles ont été présentées de manière exhaustive par Mmes les ministres dans leurs interventions.
Lors de sa réunion du mercredi 2 décembre 2015, la commission des lois n’a apporté qu’une seule modification notable au projet de loi. Elle a modifié l’article 1er afin d’encadrer les transmissions d’informations à l’administration, à l’initiative du ministère public, dans les cas où la juridiction exclut expressément la mention de la condamnation au bulletin no 2 du casier judiciaire.
Nous formalisons donc aujourd’hui dans le code de procédure pénale un dispositif de communication organisé pour l’ensemble des infractions et une information obligatoire pour les affaires concernant des mineurs, assortie bien évidemment de garanties. Nous prévoyons également, dans le code du sport, dans le code de l’action sociale et des familles et dans le code de l’éducation, que les personnes faisant l’objet de poursuites ou de condamnations soient plus systématiquement écartées du voisinage des enfants.
Nous le faisons par un projet de loi qui n’est pas un texte de circonstance rédigé dans l’urgence pour répondre à l’émotion du printemps dernier. Votre texte, mesdames les ministres, corrige les manques et parfois les incohérences de la loi. Ces corrections, il convenait de les opérer sans tarder. Je me réjouis que le projet de loi ait fait l’objet en commission, la semaine dernière, d’un vote favorable à l’unanimité.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée examine le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs.
De récentes affaires de pédophilie survenues dans des établissements scolaires – je pense bien sûr au drame de Vïllefontaine, en Isère, ou encore à celui d’Orgères, en Ille-et-Vilaine – ont mis en avant la nécessité de renforcer la protection juridique des mineurs dans les meilleurs délais. Il est apparu que des personnes mises en cause pour des actes pédophiles avaient pu continuer à exercer leur activité professionnelle au contact de mineurs, alors même qu’elles avaient déjà été condamnées pour détention d’images pédopornographiques et pour recel de bien provenant de la diffusion d’images pédopornographiques. Quel parent pourrait accepter que son enfant soit encadré par une personne ayant commis des actes de nature pédophile et ayant été condamnée par la justice à ce titre ?
Ces deux affaires ont mis en lumière la nécessité d’améliorer le contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant des activités ou des professions impliquant un contact habituel avec des mineurs, afin d’éviter de nouvelles infractions. Dans leur rapport commun de juin 2015, l’Inspection générale des services judiciaires et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation et de la recherche ne disaient pas autre chose.
Ainsi, ce projet de loi balaie plusieurs pans du droit : le code de procédure pénale, le code de l’action sociale et des familles, le code du sport et le code de l’éducation. L’objectif est de contrôler efficacement les antécédents judiciaires des personnes exerçant des activités impliquant un contact avec des mineurs et, de façon plus générale, des personnes exerçant une activité soumise au contrôle des autorités publiques, par exemple les agents de sécurité privée, les personnels des entreprises de transports publics, ou encore les médecins et les avocats.
Le texte institue donc à la fois un régime général, applicable à toutes les personnes exerçant des activités soumises à contrôle public, mises en cause pour des infractions de tous types, et un régime particulier pour les personnes en contact avec les mineurs, mises en cause pour certaines infractions.
Concrètement, pour le régime général, le projet de loi permettra au procureur de la République d’informer l’administration ou les organismes de tutelle des condamnations non définitives, mais aussi des mises en examen ou des poursuites engagées. Pour les personnes exerçant une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs, et pour certaines infractions spécifiquement énumérées, notamment les infractions sexuelles et les infractions commises sur des mineurs, le texte obligera le procureur de la République à informer l’administration des condamnations non définitives et de certains contrôles judiciaires prononcés contre ces personnes. Le dispositif lui permettra également d’informer l’administration, en cours de procédure, des poursuites, des mises en examen, mais aussi des suspicions avant même l’engagement des poursuites.
En outre, l’article 3 du projet de loi reprend la proposition de loi de mes collègues Claude de Ganay et Guy Geoffroy, adoptée par l’Assemblée nationale le 3 décembre dernier, visant à rendre automatique l’incapacité pénale d’exercice pour les personnes définitivement condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d’images pédopornographiques. Ainsi, le projet de loi crée une interdiction pouvant être prononcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire : l’interdiction d’une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs. Le groupe Les Républicains se félicite que le Gouvernement ait pris en compte le travail réalisé par l’opposition sur ce sujet qui, en tout état de cause, fait consensus.
Avant de conclure, permettez-moi de revenir un instant sur l’avis formulé par le Conseil d’État sur ce projet de loi.
Suite aux discussions que nous avions eues à l’été 2015 sur le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, il était important de connaître l’avis du Conseil d’État, car les uns et les autres avaient émis des doutes sur la constitutionnalité des mesures envisagées.
Le Conseil d’État a estimé que la transmission d’une information relative à une condamnation pénale, même non définitive, ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence ou au respect de la vie privée. En revanche, il a considéré que la transmission d’informations nominatives, par le ministère public, à des stades antérieurs de la procédure pénale, devait être justifiée par des impératifs constitutionnels. Ainsi, en fonction des risques encourus dans un domaine d’activité déterminé, le maintien de l’ordre public, la sécurité des personnes ou des biens ou le bon fonctionnement du service public pourront justifier la transmission d’informations nominatives à caractère pénal. En ce qui concerne les personnes exerçant une activité impliquant un contact habituel avec les mineurs, la transmission d’informations à caractère pénal les concernant se justifie par la prévention des atteintes à la sécurité des mineurs, en particulier à leur intégrité physique et psychique.
Cependant, le Conseil d’État a considéré que l’interdiction d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs, prononcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ne devait pouvoir être décidée, s’agissant d’une mesure présentencielle, que si les circonstances font craindre la commission d’une nouvelle infraction.
En définitive, le groupe Les Républicains se félicite de la reprise de la proposition de loi de notre collègue Claude de Ganay dans le volet de ce projet de loi relatif à la protection des mineurs. Il soutient le Gouvernement dans son initiative, plus large, de renforcer le contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant des activités soumises à vérification de la part des autorités publiques, tout ceci dans le cadre strictement fixé par le Conseil d’État. Aussi, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le rapporteur, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après l’adoption, la semaine dernière, dans le cadre de la « niche » du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à rendre automatique l’incapacité pénale d’exercice pour les personnes condamnées pour des faits de pédophilie ou de détention d’images pédopornographiques, nous abordons à nouveau le sujet grave de la lutte contre la pédophilie et de la protection des mineurs.
Quelques mois après les affaires de pédophilie survenues dans des établissements scolaires, notre devoir de législateur est d’améliorer notre droit afin d’éviter que de tels drames ne se reproduisent. Pour cela, il était avant tout nécessaire d’analyser les circonstances dans lesquelles l’autorité judiciaire et l’éducation nationale ont pu partager des informations relatives à ces condamnations, d’étudier les conditions de nomination de ces enseignants et de déterminer si les services de l’éducation nationale avaient été informés.
Tels étaient les objectifs de l’enquête administrative diligentée par les ministres de la justice et de l’éducation nationale. Le rapport d’étape remis en mai 2015 a permis de constater que, ni dans l’Isère, ni en Ille-et-Vilaine, l’éducation nationale n’avait pris connaissance des condamnations, quelques années plus tôt, de ces deux enseignants. Dans l’Isère, l’éducation nationale n’avait appris la condamnation de l’enseignant survenue en 2008 que lorsque celui-ci a été placé en garde à vue pour les faits de viol commis en 2015 ; avant cette date, rien dans le dossier administratif de l’intéressé ne semblait de nature à alerter son administration. En Ille-et-Vilaine, l’éducation nationale n’a été prévenue de la condamnation de l’enseignant survenue en 2006 que par l’ex-compagne de celui-ci.
En outre, il semble évident que la législation actuelle ne garantit pas systématiquement la mise à l’écart de certains milieux professionnels des personnes condamnées pour infraction sexuelle contre mineur. Ces affaires ont donc mis en lumière des failles de notre droit, que nous devions rapidement corriger en améliorant dans les meilleurs délais la législation relative aux infractions sexuelles commises contre les mineurs.
Le parcours n’aura pas été sans embûches. Une proposition de réforme avait d’abord été introduite dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne. La disposition concernée avait finalement été, comme vingt-six autres articles, déclarée contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel avait considéré qu’elle ne présentait pas « de lien, même indirect » avec l’objet du projet de loi. Le groupe UDI vous avait d’ailleurs mis en garde contre les dangers de la « surtransposition », dans un texte qui aurait dû se limiter à une stricte transposition du droit européen.
Le présent projet de loi apparaît, enfin, comme un véhicule législatif adapté pour remédier aux dysfonctionnements qu’ont révélés ces affaires. Nous espérons qu’il entrera rapidement en vigueur.
En vertu de ce texte, le procureur de la République sera tenu d’informer l’administration des condamnations et de certaines mesures de contrôle judiciaire prononcées à l’encontre de personnes exerçant une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs. Il aura également la faculté d’informer l’administration des mises en cause dès lors qu’elles résulteront d’indices graves et concordants, des poursuites engagées et des mises en examen prononcées.
En outre, le texte met en place un régime général, applicable à toutes les personnes exerçant des activités soumises à contrôle par l’administration et mises en cause pour des infractions pénales : le procureur de la République pourra alors informer l’administration ou les organismes de tutelle non seulement des condamnations non définitives, mais aussi des mises en examen ou des poursuites engagées. Sur ce point, je proposerai par voie d’amendement que la possibilité soit transformée en obligation : il s’agirait de garantir l’application de cette mesure dès lors qu’une personne serait mise en cause ou condamnée.
Par ailleurs, nous retrouvons dans ce texte la disposition adoptée la semaine dernière à l’initiative de notre collègue Claude de Ganay. Aujourd’hui, selon le code de l’action sociale et des familles, l’incapacité pénale d’exercice n’est automatique que lorsque la personne a été condamnée pour un crime, ou à une peine d’emprisonnement d’au moins deux mois sans sursis pour un délit. Cela peut aboutir à des situations inacceptables : des individus reconnus coupables de délits sexuels envers des mineurs et n’ayant été condamnés qu’à des peines de prison avec sursis peuvent continuer à travailler avec des mineurs. Rendre l’incapacité d’exercice indépendante de la nature et du quantum de la peine prononcée permet de rendre le prononcé de cette peine plus systématique. C’est donc une disposition utile.
Outre ces dispositions, le projet de loi apporte plusieurs modifications à notre droit, dans différents codes, notamment le code de l’éducation et le code du sport, afin de renforcer le contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant des activités impliquant un contact avec des mineurs.
Mes chers collègues, ce projet de loi comporte des dispositions essentielles, nécessaires à l’amélioration de la protection des mineurs. De même que nous avons voté la proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains, le groupe UDI votera bien évidemment en faveur du présent projet de loi, fruit d’un travail de co-construction entre le Gouvernement et les parlementaires sur un sujet qui dépasse les clivages partisans.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs.
L’article 1er vise à mettre en place deux dispositifs : d’une part, un dispositif général ouvrant la possibilité, pour le ministère public, d’informer par écrit l’administration de l’existence d’une condamnation ou de poursuites contre une personne qu’elle emploie ; d’autre part, un dispositif spécial rendant obligatoire l’information de l’administration par le ministère public lorsque l’infraction concerne une personne mineure. Il est ainsi prévu d’ouvrir au ministère public une possibilité ou, selon les cas, une obligation d’informer l’administration en cas de poursuites ou de condamnation d’une personne qu’elle emploie, y compris à titre bénévole.
Ce projet de loi se situe dans la continuité de la proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains discutée le jeudi 3 décembre. Mon collègue Joël Giraud avait salué la mise en place d’une incapacité pénale automatique pour les personnes définitivement condamnées pour des infractions délictuelles de pédophilie.
Ces deux textes, consensuels, ont déjà été débattus à l’occasion de l’examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dit « DADUE pénal ». Pour prévenir et faire face aux récentes affaires de pédophilie survenues dans des établissements scolaires, au printemps 2015, dans les communes de Villefontaine et d’Orgères, le Gouvernement avait présenté des dispositions visant à renforcer notre législation pénale.
Dans le cadre du « DADUE pénal », la ministre de l’éducation nationale, de concert avec la garde de sceaux, avait présenté des amendements visant à ouvrir au ministère public la possibilité d’informer les administrations et les organismes compétents de l’existence d’une enquête ou d’une instruction en cours concernant une personne dont l’activité professionnelle ou sociale est en lien avec des mineurs. Or ces dispositions, bien qu’adoptées par l’Assemblée nationale en lecture définitive, ont été censurées par le Conseil constitutionnel, non pas sur le fond, mais parce qu’elles ne représentaient pas « de lien, même indirect » avec l’objet du projet de loi examiné, celui-ci ne tendant qu’à la transposition de directives européennes. Cette critique avait déjà été exprimée lors de l’examen des amendements du Gouvernement, lesquels n’avaient pas été déposés dans des conditions optimales.
Ce dispositif peut toutefois susciter quelques inquiétudes. Je veux parler de la présomption d’innocence dans le cadre de la protection de mineurs placés sous l’autorité de majeurs. Ce sujet a d’ailleurs été évoqué tout à l’heure par Mme la garde des sceaux. La seule ouverture d’une enquête ou d’une instruction ne peut pas constituer une preuve suffisante de la commission des faits par la personne soupçonnée. Plus encore, l’utilisation d’informations non définitives pourrait porter préjudice à la réputation et à l’honneur de la personne concernée.
Face à ces difficultés, des garanties ont été prévues dans le dispositif général. En revanche, les garde-fous sautent en cas de condamnation ou de poursuites pour des infractions commises sur des mineurs par des personnes travaillant dans des administrations en lien avec les mineurs. Tout en protégeant l’ensemble des usagers et agents de l’administration, a fortiori les mineurs, nous souhaitons renforcer la protection des personnes poursuivies.
L’inquiétude demeure quant au respect de la proportionnalité entre les garanties apportées par de telles dispositions et les risques encourus pour la réputation, l’honneur et l’atteinte à la vie des personnes en cas d’erreur. Je ne peux m’empêcher de rappeler ici le drame d’Outreau. Une erreur judiciaire avait entraîné la suspicion à l’égard de l’ensemble des acquittés de cette terrible affaire ; elle avait conduit certains d’entre eux à la dépression ou, pire, au suicide. Il faut donc rester prudent et s’attacher au respect des droits de la défense, en particulier de la présomption d’innocence et du principe de proportionnalité entre les risques encourus et les peines prononcées.
Il convient également de rester attentif face aux amalgames, aux dénonciations calomnieuses et infondées qui peuvent entraîner le renforcement de rumeurs, surtout à l’heure d’internet et du stockage des informations. Il est bien connu que toutes les informations publiées sur internet ne s’effacent pas et peuvent être partagées, diffusées, stockées, ce qui introduit un risque quant à la protection de la présomption d’innocence et du droit à la réhabilitation des individus.
L’avis du Conseil d’État nous encourage à renforcer notre législation en matière de protection des administrations, notamment celles accueillant des mineurs, en cas de condamnation ou de poursuites exercées contre leurs agents.
Je note que le Gouvernement, conformément à l’avis de Dominique Raimbourg, rapporteur du « DADUE pénal », a élaboré un dispositif équilibré évitant les écueils que je viens d’évoquer.
Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera ce projet de loi, qui est un texte de précision, de juste équilibre rassurant en matière d’information de l’administration pour la protection des mineurs.
Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, après les événements dramatiques du printemps, la mission d’inspection qui a été diligentée a relevé de graves défaillances et pointé des dysfonctionnements majeurs dans la transmission des informations à l’administration par l’institution judiciaire : défaillances et dysfonctionnements qui, pour assurer impérativement la protection des mineurs, appellent la mise en place du dispositif qui nous est proposé aujourd’hui et que, pour notre part, nous approuvons.
Nous soutenons la définition d’un cadre juridique précis régissant les modalités de communication entre le ministère public et l’autorité administrative en cas de mises en cause, de poursuites ou de condamnations de personnes exerçant une activité soumise à l’autorité ou au contrôle des autorités publiques.
Ce dispositif permettra d’uniformiser les pratiques et de veiller à ce que les administrations de tutelle soient informées à temps, et avec la précision suffisante, pour prendre le cas échéant les mesures conservatoires nécessaires, et les sanctions qu’appellerait une éventuelle décision de justice.
L’enjeu essentiel consiste à trouver un juste équilibre : respecter la présomption d’innocence, le secret de l’enquête, de l’instruction et du délibéré tout en permettant à l’administration de prendre des mesures conservatoires.
La difficulté majeure du dispositif proposé réside dans la possibilité de transmission de l’information au moment de l’enquête. À ce stade, bien en amont de l’établissement formel de la culpabilité, donc du prononcé du jugement, il convient de prendre toutes les précautions nécessaires, les garanties précises doivent être prévues au regard des graves conséquences que peut engendrer cette transmission d’informations.
Sur ce point, nous relevons avec satisfaction que le projet de loi assortit la transmission d’informations de plusieurs garanties : la transmission de l’information sera soumise à l’appréciation de l’autorité judiciaire ; les infractions pouvant y donner lieu seront limitées ; la transmission devra se faire via un support écrit ; cette communication sera confidentielle ; la personne concernée sera informée de cette transmission ; l’autorité destinataire sera informée de l’issue définitive de la procédure ; l’information sera effacée lorsque la procédure s’est terminée par une décision de non-culpabilité.
Le dispositif proposé apparaît ainsi équilibré et sécurisé ; il met fin à l’incertitude des échanges entre la justice et l’éducation nationale.
S’agissant de la transmission de l’information, une fois le jugement rendu, les questions juridiques ne se posent pas dans les mêmes termes. En effet, la transmission d’une information relative à une condamnation pénale, même non définitive, ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence ou au respect de la vie privée, dès lors que cette condamnation a été prononcée publiquement, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans son avis du 19 novembre.
Dans cette hypothèse, et comme l’a souligné le rapport des deux inspections générales, des dysfonctionnements sont donc à la fois matériels et organisationnels : problèmes d’organisation, insuffisance des moyens informatiques, manque d’interlocuteurs clairement identifiés investis de responsabilités claires au sein des rectorats et absence de dispositif d’alerte structuré.
C’est pourquoi nous insistons pour que ce dispositif juridique soit accompagné d’un renforcement des moyens humains et matériels des services de l’institution judiciaire et de l’éducation nationale.
Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche voteront ce projet de loi qui tout en établissant des règles claires et précises concilie l’impératif de protection des mineurs et l’indispensable respect du principe constitutionnel de présomption d’innocence.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis, depuis plusieurs années, élue de Villefontaine, commune du nord de l’Isère comptant environ 18 000 habitants, et qui est sortie, en mars, de son relatif anonymat suite à l’affaire d’abus sexuels perpétrés sur des enfants de six et sept ans par le directeur de l’une des écoles de la ville. Celui-ci avait, l’année précédente, sévi dans une école de Saint-Clair-de-la-Tour, autre commune de ma circonscription.
Ces faits horribles ont meurtri les enfants, dévasté les parents, choqué le personnel communal des écoles et le corps enseignant, dont le professionnalisme ne doit pas être remis en cause par le crime de l’un d’entre eux. Ils ont aussi blessé une ville, ses habitants, ses agents, ses élus qui se sentent, bien sûr, profondément touchés par cette affaire, mais qui doivent aussi lutter désormais contre l’image donnée de leur commune, notamment dans les médias.
Et parce que les faits commis à Villefontaine ne sont ni plus ni moins graves que ceux, similaires, qui ont été – hélas – commis ailleurs en France, je forme le souhait qu’après le « scandale Villefontaine », on ne parle pas de « loi Villefontaine », mais plutôt de loi pour la protection des mineurs.
Vous me pardonnerez une digression qui peut paraître décalée, mais je tenais à relayer la demande des nombreux Villards et Villardes qui m’ont, ces dernières semaines et ces derniers mois, fait part de leur volonté de ne pas voir leur ville stigmatisée.
Cette affaire, ainsi que bien d’autres, a révélé les défaillances qui peuvent exister au sein de l’institution scolaire et le défaut anormal de communication entre la justice, qui dispose d’informations utiles, et l’éducation nationale, qui en a besoin.
En effet, ces enseignants – à Villefontaine, à Orgères, pour citer les exemples les plus récents – avaient été condamnés des années auparavant pour avoir détenu ou visionné des images à caractère pédopornographique, mais l’information n’avait pas été transmise à l’éducation nationale et ils avaient donc pu continuer à exercer leur métier au contact de mineurs.
Le Gouvernement s’est engagé à tout faire pour qu’il n’y ait plus d’affaire de pédophilie de ce type dans les écoles, et je veux saluer sa réactivité. Il y a d’abord eu l’enquête conjointe des inspections générales des services judiciaires et de l’éducation nationale, qui a permis d’identifier les failles dans la relation entre les deux institutions et de proposer des améliorations juridiques et organisationnelles pour une meilleure information des établissements recevant des mineurs.
La réponse administrative a été mise en place dès la rentrée de septembre, à travers la circulaire du 16 septembre 2015 destinée à renforcer le partenariat entre les deux ministères et l’installation de référents « justice » dans chaque académie et de référents « éducation nationale » dans chaque tribunal de grande instance, pour garantir les échanges d’information.
Quant à la réponse législative, le Gouvernement a pris la responsabilité de déposer, l’été dernier, un amendement au projet de loi relatif à l’adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne qui prévoyait la transmission, par le procureur de la République, d’informations facultatives, dès l’ouverture d’une enquête préliminaire, sur une personne mise en cause pour certaines infractions.
Les dispositions que nous avons votées ont été censurées par le Conseil constitutionnel au motif qu’elles constituent des cavaliers législatifs. Même si le véhicule législatif ne s’est, finalement, pas révélé être le bon, on ne peut pas reprocher au Gouvernement d’avoir voulu agir rapidement, dans l’intérêt des enfants.
Nous avons aussi voté, la semaine dernière, en première lecture, la proposition de loi de notre collègue Claude de Ganay, qui vise à rendre plus systématique la peine complémentaire d’interdiction d’activité auprès des mineurs pour les personnes condamnées pour infractions sexuelles sur des enfants.
Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui reprend les dispositions votées cet été ainsi que la proposition de notre collègue, et respecte la ligne de crête proposée le Conseil d’État. Ce dispositif ne doit pas, en effet, remettre en cause la présomption d’innocence ou apparaître en contradiction avec nos normes constitutionnelles et nos engagements internationaux.
Rien dans la loi, à ce jour, n’oblige les services de la justice à transmettre aux administrations compétentes des informations sur les condamnations ou interdictions professionnelles qui concernent leurs agents. Il existe bien des circulaires, comme celle du 11 mars 2015, mais elles sont difficilement applicables car entrant souvent en contradiction avec les dispositions législatives et l’article 11 du code de procédure pénale sur le secret de l’enquête et de l’instruction.
Je me réjouis donc que l’article 1er du texte propose d’obliger le parquet à transmettre l’information en cas de condamnation ou de placement sous contrôle judiciaire des professionnels ou bénévoles exerçant habituellement auprès des mineurs, pour des faits d’infractions sexuelles, de violence ou d’exhibition.
Je me félicite également que l’article 3 permette d’écarter un individu définitivement condamné pour des délits sexuels de la direction ou de l’exercice d’une activité au sein d’un établissement social ou médico-social accueillant des mineurs ou relevant de l’aide sociale à l’enfance.
Ces dispositions sont conformes à l’avis du Conseil d’État qui a estimé que la transmission d’une information relative à une condamnation pénale, même non définitive, ne portait pas atteinte à la présomption d’innocence ou au respect de la vie privée dès lors que cette condamnation a été prononcée publiquement.
Le juge administratif suprême a aussi admis les cas de transmission obligatoire lorsqu’ils sont liés à une liste spécifique d’infractions, ce que prévoit le projet de loi.
La possibilité, et non l’obligation, pour la justice, de transmettre à l’administration des informations sur les cas de personnes condamnées ou poursuivies, sans contacts habituels avec des mineurs, répond aussi à une préconisation du Conseil d’État.
En effet, celui-ci considère que la transmission d’informations, dans ces cas-là, doit être justifiée par des impératifs comme le maintien de l’ordre public, la sécurité des personnes ou des biens ou le bon fonctionnement du service public. Il ne saurait être question de généraliser l’obligation à tous les cas et à tous les stades de la procédure, au risque de fragiliser la constitutionnalité du texte et d’attenter aux droits de l’homme et à la vie privée.
C’est la raison pour laquelle nous ne pourrons accepter les amendements qui veulent imposer une obligation dans tous les cas. La transmission de l’information doit rester facultative dans certaines situations et son opportunité laissée à l’appréciation du procureur de la République, comme le propose la juridiction administrative suprême.
D’ailleurs, le projet de loi apporte les garanties préconisées par le Conseil d’État : la transmission se fera par écrit, la personne concernée en sera avisée et l’autorité destinataire connaîtra l’issue de la procédure engagée afin d’agir en conséquence. Dans le cas d’une non-culpabilité, l’information sera effacée du dossier afin de préserver l’honorabilité de la personne mise en cause.
Le dispositif proposé aujourd’hui permet donc de mieux protéger les enfants, tout en garantissant la présomption d’innocence. Il n’est pas contradictoire avec la Constitution ni avec nos engagements internationaux en matière de respect des droits de l’homme.
Mes chers collègues, il n’y a plus de temps à perdre. Trop de drames se sont succédé ces dernières années et certains auraient été évités grâce aux mesures qui nous sont présentées aujourd’hui. L’incompréhension et la colère des familles nous commandent de réagir très rapidement. C’est ce qu’a fait le Gouvernement, c’est ce qu’il nous revient de faire aujourd’hui au Parlement.
Je veux saluer l’esprit de responsabilité qui a présidé sur tous les bancs de cet hémicycle, au regard du faible nombre d’amendements déposés sur ce texte, en commission des lois comme en séance publique. Cela traduit la solidité juridique et technique du dispositif proposé, mais aussi l’ardente volonté de chacune et chacun d’entre nous d’agir vite et efficacement pour protéger nos enfants et faire en sorte que ces horreurs et ces erreurs ne se reproduisent plus.
Le groupe socialiste, républicain et citoyen apportera bien entendu son plein soutien à ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre de l’éducation nationale, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie pour examiner le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs.
Nous ne pouvons que nous féliciter que le Gouvernement ait pris toute la mesure des enjeux révélés lors des affaires de pédophilie survenues dans des établissements scolaires au printemps 2015, d’une part, à Villefontaine en Isère et, d’autre part, à Orgères en Ille-et-Vilaine.
À l’occasion de ces deux affaires, il était apparu que des personnes mises en cause pour des actes pédophiles avaient pu continuer à exercer leurs fonctions professionnelles au contact de mineurs, alors même qu’elles avaient déjà été condamnées en 2006 et en 2008 respectivement pour détention d’images pédopornographiques et pour recel de bien provenant de la diffusion d’images pédopornographiques.
Comme beaucoup de Français, j’avais été profondément choqué en constatant cette faille considérable dans notre législation, incapable de protéger nos enfants de tels prédateurs. Dans cet esprit, j’avais déposé le 8 avril 2015, aux côtés de mes collègues du groupe Les Républicains, une première proposition de loi visant à interdire à toute personne condamnée pour des délits sexuels, indépendamment de la nature et du quantum de la peine prononcée, d’exploiter ou de diriger un établissement, service ou lieu de vie et d’accueil régi par le code de l’action sociale et des familles, ou d’y exercer.
Devant l’urgence, j’avais décidé de commuer cette proposition de loi en amendement lors de l’examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne – DADUE. Cet amendement, rejeté en première lecture par le Gouvernement sans raison valable, avait finalement trouvé écho en seconde lecture avec l’aide de Dominique Raimbourg, que je tiens ici à remercier.
Malheureusement, le Sénat s’était opposé à cette démarche, tant pour des raisons de forme que pour des motifs de fond. Le dispositif gouvernemental – à l’exclusion donc de celui issu de mon amendement – avait alors été jugé comme portant une atteinte substantielle au principe constitutionnel de présomption d’innocence.
Enfin, toujours dans la même volonté de remédier aux failles juridiques pour garantir la sécurité de nos enfants, j’ai déposé une proposition de loi qui, après avoir été adoptée à l’unanimité en commission des lois, a été votée à l’unanimité en séance publique le 3 décembre dernier, comme vous avez bien voulu le rappeler, mesdames les ministres – et je vous en remercie.
Neuf mois se sont écoulés depuis les événements tragiques de Villefontaine. Que de temps perdu !
L’article 3 du projet de loi que nous examinons modifie l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles afin de supprimer la condition relative au quantum de la peine prononcée en cas de condamnation pour des délits de nature sexuelle commis envers des mineurs. En ce sens, il a la même portée juridique que le dispositif contenu dans l’article unique de ma proposition de loi. Convaincu que la législation pénale relative aux infractions sexuelles commises contre les mineurs doit aujourd’hui faire l’objet d’améliorations dans les meilleurs délais, je ne peux que me réjouir que le dispositif prévu dans ma proposition de loi ait été intégré dans le projet de loi du Gouvernement.
L’école est un sanctuaire républicain, où la violence des hommes n’a pas sa place. Nous ne pouvons que nous féliciter, sur l’ensemble de ces bancs, que cette proposition émanant des parlementaires de l’opposition soit écoutée par le Gouvernement et sa majorité. L’adoption de cet article consacre ainsi pour moi la victoire du bon sens, au-delà des clivages partisans, dans le seul souci de l’intérêt général et de la protection de l’enfance.
Naturellement, madame la garde des sceaux, madame la ministre de l’éducation nationale, je voterai, ainsi que mon groupe, votre projet de loi.
Madame la présidente, mesdames les ministres, chers collègues, nous allons voter un texte destiné à mieux protéger nos mineurs lorsqu’ils peuvent se trouver en présence d’adultes dangereux susceptibles de leur porter atteinte.
Le chemin de crête dont vous parliez est un chemin toujours étroit, où le risque de tomber est toujours présent. Il reste périlleux, voire risqué, de légiférer dans la précipitation après un fait divers odieux – heureusement isolé – pour rendre l’action publique lisible, efficace et, surtout, conforme à notre droit. L’émotion, certes très légitime, est une très mauvaise conseillère dès lors que l’on risque de toucher à des principes fondamentaux, constitutionnels et conventionnels. Le principe de précaution, même s’il s’agit de mineurs, ne doit pas effacer ou occulter la présomption d’innocence, le secret de l’enquête, le secret de l’instruction ou le secret du délibéré, principes cardinaux de notre droit pénal.
Il est heureux d’avoir su prendre un peu de temps. Nous bénéficions ainsi à la fois de l’avis du Conseil d’État et d’une étude d’impact. Ce temps, finalement assez court, a permis de faire le point sereinement, en posant le constat et en faisant le bilan, pour écrire un texte qui améliorera la prévention, car tel est bien l’objectif : protéger les enfants et prévenir tout incident au sein de l’école, ainsi que dans les établissements sportifs et dans tous les endroits où peuvent se trouver des enfants potentiellement en danger.
Ce projet de loi est parti du constat de la quasi-absence de communication entre la justice et l’éducation nationale. C’est regrettable – dans les deux sens, du reste, car ces deux administrations, comme bien d’autres, devraient nécessairement travailler ensemble. Les circulaires, parce qu’elles sont trop nombreuses, ont démontré leurs limites par leur caractère totalement illisible : trop de circulaire tue la circulaire.
Or, nous posons aujourd’hui un cadre juridique strict, précis et limité, avec des garanties. C’est indispensable, dès lors que l’autorité judiciaire est chargée d’informer l’autorité administrative de la mise en cause, dans des procédures pénales, de personnes exerçant une activité soumise à l’autorité et au contrôle des autorités publiques. Ce projet de loi est consolidé. Il s’appuie sur des préconisations élaborées à l’issue de deux rapports approfondis des inspections générales ministérielles.
Je partage également l’avis du Conseil d’État et souscris aux limites qu’il pose en précisant que la décision pénale doit être rendue publiquement pour pouvoir être communiquée. Je partage également l’avis du Conseil d’État, qui demande de concilier les impératifs majeurs de la protection des mineurs et la garantie de la présomption d’innocence.
À ce stade de la discussion générale, il me semble utile d’évoquer trois points. Le premier, cela a déjà été dit, concerne les garanties importantes apportées par le projet de loi. Tout d’abord, ce n’est pas rien que le ministère public soit le pivot de la transmission. Il faut aussi souligner la limitation des infractions retenues, avec toutefois un large spectre – peut-être même un peu trop large –, l’utilisation d’un support écrit, la confidentialité, que j’espère absolue, de la communication et l’information de la personne concernée sur cette transmission.
À cet égard, mesdames les ministres, je souhaiterais que la personne concernée, lorsqu’elle est informée de cette transmission, soit également informée de ses droits et, le cas échéant, des voies de recours. Il s’agit là d’un point important du débat, car la simple information ne suffit pas. En effet, le fait d’informer une administration n’est pas neutre et peut avoir des conséquences très graves, par exemple pour l’accès à un poste.
Le droit de suivi posé dans la loi fait que, je l’espère, l’information de l’autorité administrative sur l’issue de la procédure sera assurée avec la même célérité que la communication initiale – l’un doit en effet aller avec l’autre. Il faut aussi, bien évidemment, assurer l’effacement de l’information lorsque la procédure aboutit à une non-culpabilité.
Pour ce qui concerne les fichiers, une mise à jour s’impose. Vous avez, à cet égard, et c’est vraiment un progrès, évoqué un décret pour actualiser les fichiers en temps réel, le plus vite possible.
Le troisième point est la surcharge que connaissent actuellement les parquets, où magistrats et fonctionnaires croulent sous le travail – ils reçoivent les plaintes, classent, orientent et requièrent. L’adoption du texte fera reposer sur eux une charge supplémentaire et, si l’étude d’impact est optimiste à ce propos, je le suis, pour ma part, un peu moins.
Je conclurai en soulignant que ce projet de loi, qui nous fait sortir d’une situation ambiguë et incohérente, sera très largement voté – je le constate et j’en suis heureuse, car il améliore l’arsenal pénal et sécurise l’autorité judiciaire, l’administration et les familles. Surtout, il protège mieux des victimes potentielles mineures.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre de l’éducation nationale, chers collègues, le projet de loi que nous examinons a pour objet de fixer le cadre dans lequel le ministère public peut ou doit transmettre à des autorités publiques ou à des personnes privées exerçant une mission de service public des informations nominatives à caractère pénal. Il modifie le code de l’action sociale et des familles, le code du sport, le code de l’éducation et, de façon plus délicate et à juste titre discutée, le code de procédure pénale.
Ce texte prévoit une obligation et une possibilité pour les autorités judiciaires d’informer l’administration compétente des procédures mettant en cause une personne placée sous son contrôle et exerçant une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs s’il s’agit d’infractions graves commises contre des mineurs ou de nature sexuelle. Il donne aussi au ministère public la possibilité, dans certaines conditions et sous sa seule appréciation, d’informer l’administration de procédures mettant en cause une personne dont l’activité professionnelle est placée sous son contrôle. Il permet enfin de prononcer une interdiction d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
Je rappelle que ce texte tire les conséquences d’antécédents judiciaires relatifs à l’exercice d’activités professionnelles ou sociales en contact avec les mineurs. Il vient après le constat, dressé dans le cadre d’une mission conjointe de l’Inspection générale de l’éducation et de la recherche et de l’Inspection générale des services judiciaires, de difficultés réelles rencontrées dans la transmission de l’information entre l’autorité judiciaire et l’éducation nationale, notamment pour la phase précédant le jugement.
Les difficultés d’ordre juridique rendaient aléatoire une information nominative, à laquelle font par nature obstacle la présomption d’innocence et le secret de l’instruction. Le doyen Carbonnier, que j’ai déjà cité dans une précédente intervention, écrivait en 1979 : « À peine apercevons-nous le mal que nous exigeons le remède. Qu’un scandale éclate, qu’un accident survienne, qu’un inconvénient se découvre, la faute en est aux lacunes de la législation. Il n’y a qu’à faire une loi, et on la fait. »
Nous avons décidé en 2012 de ne pas soumettre le temps législatif au temps médiatique. J’ai hésité, je l’avoue, malgré les tragiques événements, et j’ai un moment redouté que nous ne cédions à une satisfaction de papier, mais la lecture de l’étude d’impact et de l’avis rendu par le Conseil d’État me confortent dans l’idée qu’il convenait sans doute d’encadrer plus avant par la loi cette communication d’informations judiciaires. Je le dis avec d’autant plus de force que, très attachée, comme vous tous, à la présomption d’innocence et redoutant de plonger dans le désespoir ou de pousser au suicide des personnes qui seraient injustement soupçonnées, il me paraissait essentiel que soit menée une réflexion rigoureuse permettant de trouver le juste équilibre entre la nécessaire information que commande une situation critique, les risques encourus et les garanties constitutionnelles et conventionnelles de la présomption d’innocence et du respect de l’instruction et de la vie privée.
La communication d’une information par l’autorité judiciaire après la phase de jugement ne porte pas atteinte à la vie privée et à la présomption d’innocence, dès lors que la condamnation a été prononcée publiquement – tel est l’avis du Conseil d’État.
La question est plus délicate pour les stades précédant le jugement. La communication d’une information qui affecte des droits protégés par notre Constitution et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a ainsi suscité de nombreuses interrogations, indispensables et, je l’espère, utiles pour sécuriser ce texte. Au bout du compte, il appartiendra à l’autorité judiciaire d’apprécier et de faire le bilan des droits protégeant la personne et des risques encourus pour la sécurité et l’ordre public en cas de non-transmission de l’information.
Il nous appartiendra à nous aussi, parlementaires, de contrôler l’application du dispositif ainsi proposé à la représentation nationale et de mesurer les effets de sa transparence comme ses conséquences humaines et en droit – c’est-à-dire en contentieux.
Parti des antécédents judiciaires concernant des mineurs, le projet de loi élargit le champ de ces mesures pour prendre aussi en compte le public vulnérable. Le texte proposé pour l’article 11-2 du code de procédure pénale prévoit ainsi une information écrite sur des décisions, énumérées dans ladite loi, rendues contre une personne, employée ou bénévole, lorsqu’en raison de la nature des faits ou des circonstances de leur commission, cette information est nécessaire pour permettre de prendre les mesures utiles.
J’avais à plusieurs reprises exprimé le souhait que ces mesures ainsi encadrées, si elles étaient mises au service des mineurs, le soient aussi au service de personnes fragiles – non seulement les personnes âgées, mais aussi celles qui souffrent d’un handicap, ces dernières étant quelquefois hébergées ou employées dans des lieux de travail tels que les établissements et services d’aide par le travail, les ESAT. C’est donc chose faite et je vous en remercie.
Pour conclure, je rappellerai qu’il n’y a évidemment pas de risque zéro, vous le savez aussi bien que moi, et qu’en tout état de cause, ce projet de loi, s’il facilite une information pour prévenir un risque, ne peut exclure la vigilance des autorités administratives ou privées en charge d’un service public, ni leur responsabilité dans les suites à donner à l’information ainsi transmise par l’autorité judiciaire.
Compte tenu de l’importance de l’objectif poursuivi et du travail d’analyse entrepris, je voterai ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 6 .
Je vais retirer cet amendement, car il est satisfait. Le texte donne en effet la possibilité d’apporter des informations à une autorité qui emploie des personnes vulnérables, en particulier des personnes souffrant d’un handicap. La seule interrogation que j’avais, et dont j’ignore si elle relève d’un décret, est de savoir à quel stade doit intervenir cette information. Est-ce au stade de l’orientation, en particulier pour les personnes handicapées orientées par la maison départementale des personnes handicapées – MDPH – du Conseil général vers les ESAT ? Dans quelles conditions et comment cela se fera-t-il ?
L’amendement no 6 est retiré.
Je suis saisie de trois amendements, nos 8 rectifié , 2 et 3 , pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme la garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 8 rectifié .
Cet amendement vise à tirer les conséquences des observations du Défenseur des droits et de l’initiative prise par l’excellent rapporteur du texte, M. Binet, qui a proposé deux amendements prévoyant de ne pas limiter l’information de l’administration par l’autorité judiciaire aux cas où la victime est âgée de moins de quinze ans.
Je tiens à rappeler qu’en droit français les circonstances aggravantes concernent les actes commis sur les mineurs de quinze ans. C’est pourquoi, au titre du parallélisme et pour permettre à l’autorité judiciaire de se prononcer conformément au droit, il convient de respecter ces dispositions.
Sur le fondement des observations du Défenseur des droits, il est proposé que tous les crimes et délits fassent l’objet d’un signalement. Or le présent texte, conformément aux préoccupations qui ont été plusieurs fois soulevées depuis le mois de juin, a pour objectif d’être à la fois le plus précis et le plus efficace possible. Il est évident que la facilité consisterait à prévoir un signalement systématique, quelle que soit la gravité des actes, lorsque les victimes sont des mineurs. En revanche l’efficacité et la proportionnalité nous conduisent plutôt à sérier les actes et les procédures méritant d’être signalés.
Le présent texte donnera au procureur l’obligation de signalement dans des cas très précis tout en lui laissant, dans les autres cas, la possibilité de procéder à un signalement si les éléments qui sont en sa possession le conduisent à estimer que celui-ci est pertinent.
Je tiens à vous donner quelques éléments statistiques, car il est toujours bon, lorsqu’on adopte une disposition normative, de connaître ses effets. Si tous les crimes et délits étaient concernés, quelque 60 000 affaires seraient signalées. Si seuls les meurtres et les autres actes graves commis sur les mineurs sont concernés, le procureur conservant la possibilité de signaler les délits, le nombre des affaires signalées tombe à 600.
L’amendement du Gouvernement tire donc, je le répète, les conséquences des observations du Défenseur des droits, tout en prenant en considération la préoccupation du rapporteur qui enrichit le texte.
Madame Untermaier, le décret d’application de la loi prévoira un signalement particulier concernant les personnes handicapées. Je vous propose de participer à une séance de travail afin que nous réfléchissions ensemble à la réponse à apporter à cette préoccupation que vous avez exprimée mais qui, de notre point de vue, n’est pas d’ordre normatif.
La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur, pour soutenir les amendements nos 2 et 3 et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement no 8 rectifié .
Je serai très bref, puisque Mme la garde des sceaux a présenté mes deux amendements, qui visent à reprendre la première des trois propositions – la seule du reste à portée législative – que le Défenseur de droits a formulées à la fin de la semaine dernière.
Cela dit, je reconnais que le cas des violences volontaires et donc des délits pose un problème de proportionnalité. C’est pourquoi je retire mes deux amendements au profit de celui du Gouvernement que la commission n’a évidemment pas pu examiner. C’est donc à titre personnel que j’émets un avis favorable.
L’amendement no 8 rectifié est adopté.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 1 .
Cet amendement vise à combler une lacune dans l’exercice des droits de la défense en matière de suspension, pour les informations recueillies au cours de la garde à vue. En effet, même si le procureur n’en tire aucune conséquence, à la suite des explications fournies par l’intéressé dans le cadre de l’exercice des droits de la défense, l’autorité disciplinaire peut avoir une appréciation différente. Il est dès lors indispensable que l’intéressé puisse de nouveau se défendre. Tel est l’objet de cet amendement.
Cet amendement vise à ce que le fonctionnaire concerné soit informé de la transmission : la mesure est déjà satisfaite à l’alinéa 23 qui renvoie à l’alinéa 9 de l’article 1er.
Il est également proposé que le fonctionnaire bénéficie du principe du contradictoire avant qu’une quelconque sanction ne soit prononcée par l’administration. Cette garantie est déjà prévue dans la procédure du droit commun, à l’article 19 du statut général de la fonction publique. Il en est de même du droit à la communication du dossier et du passage devant une instance comprenant des représentants du personnel, ce qui va dans le sens souhaité par les auteurs de l’amendement.
Le seul apport de celui-ci consiste à faire recueillir l’avis du fonctionnaire concerné par l’administration dans la foulée d’une communication ne donnant pas lieu à une procédure disciplinaire. Je ne suis pas certain que ce cas spécifique mérite une disposition législative ad hoc.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, madame Chapdelaine, à retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
La parole est à Mme la ministre, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 1 .
Le Gouvernement souhaite également le retrait de l’amendement, pour les raisons évoquées par M. le rapporteur.
Tout d’abord, lorsqu’il s’agit d’une sanction, le statut général des fonctionnaires prévoit déjà cette procédure. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une suspension, l’amendement aurait pour effet de donner plus de garantie au fonctionnaire qui a commis une infraction qu’à celui qui a commis une faute disciplinaire n’ayant pas le caractère d’infraction pénale. C’est la raison principale pour laquelle que je suis défavorable à l’amendement. En effet, une telle disposition serait paradoxale dans la mesure où la commission d’une infraction pénale est a priori plus grave que celle d’une faute disciplinaire exclusive de toute incrimination pénale.
De plus, l’amendement introduit une confusion entre la suspension et la mesure disciplinaire. Or, comme vous le savez – la jurisprudence est du reste constante en la matière –, la mesure de suspension est une mesure non pas disciplinaire mais strictement conservatoire, prise pour préserver le bon fonctionnement du service. Elle n’est pas prise contre l’agent suspendu, qui conserve tous ses droits. Elle est même protectrice de l’agent quand il s’agit de le préserver de la rumeur ou d’une situation locale inconfortable.
L’amendement no 1 est retiré.
L’article 1er, amendé, est adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 7 .
Cet amendement vise à compléter le code de l’action sociale et des familles en prévoyant de donner à la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées la possibilité de saisir le procureur si elle a un doute sur une situation particulière.
Je le retire puisque Mme la garde des sceaux m’a confirmé que les réponses aux questions relatives aux personnes handicapées seront apportées dans le cadre réglementaire.
L’amendement no 7 est retiré.
Les articles 2, 3, 4 et 5 sont successivement adoptés.
Le projet de loi est adopté.
La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.
Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous examinons ce soir un texte simple, composé de deux articles, l’article 2 concernant l’extension du dispositif à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna.
Cette proposition de loi, déposée à l’initiative de Jean-Pierre Sueur et adoptée par le Sénat en novembre dernier, vise à corriger une erreur introduite par inadvertance dans la loi du 11 octobre 2013 dont l’article 15 modifiait les conditions de financement des partis politiques en remplaçant le plafonnement par année et par parti par un plafonnement par année et par personne physique. Il n’était pas concevable, en effet, de sanctionner un parti politique qui aurait pu ne pas avoir connaissance du fait qu’une même personne avait contribué au financement de plusieurs partis politiques.
Cette correction intervient pour éviter tout contournement de l’intention du législateur. Un tel contournement s’est d’ailleurs produit car, du fait d’une interprétation stricte de la loi pénale, une juridiction n’a pu sanctionner un parti politique qui avait accepté des financements contraires à la loi.
L’objectif de cette proposition de loi est de faire en sorte que les dispositions relatives aux sanctions prévues par notre législation contre les financements émanant de personnes morales ou d’États étrangers et au plafonnement de ces financements soient totalement respectées.
Cela se conçoit d’autant mieux que, depuis un peu plus de deux ans, le Gouvernement et le Parlement, notamment la majorité, ont fait des efforts considérables pour améliorer la transparence de la vie politique, conforter la déontologie et rendre incontestable le financement de l’activité des responsables politiques.
Vous examinerez prochainement un projet de loi relatif à l’impartialité et à la déontologie des fonctionnaires, et vous avez créé la Haute autorité pour la transparence de la vie publique : il n’était pas concevable que nous laissions perdurer une telle faille dans la loi, d’autant qu’elle provient d’une erreur parlementaire.
C’est cette erreur que nous allons réparer. Le rapporteur Pascal Popelin va vous présenter dans le détail ce texte difficile sur lequel il a travaillé très rigoureusement, très consciencieusement et très laborieusement.
Sourires.
Le Gouvernement est naturellement soulagé de pouvoir combler cet oubli et de faire en sorte que soit assurée la transparence de la vie politique, y compris pour les partis qui se croient astucieux.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Je vous remercie, madame la garde des sceaux, d’avoir souligné la complexité de ce texte pour le rapporteur que je suis. Je m’efforcerai de ne pas être laborieux en vous le présentant.
La proposition de loi visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale dont nous sommes saisis aujourd’hui a été adoptée à l’unanimité par le Sénat le 5 novembre 2015 et c’est avec la même unanimité que la commission des lois de l’Assemblée nationale l’a approuvée le 25 novembre dernier.
Déposée le 9 juin 2015 par notre collègue sénateur Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste de la Haute assemblée, ce texte vise à rétablir les sanctions pénales contre les partis politiques ayant accepté des dons de personnes morales – cette notion de personnes morales s’entend sur le plan juridique et n’a rien à voir avec la moralité.
Absolument !
Ces sanctions ont été involontairement supprimées par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, en raison d’un défaut de coordination de certaines dispositions consécutivement à l’adoption par le Sénat d’un amendement, au demeurant très intéressant, tendant à lutter contre certaines mauvaises pratiques liées au financement des partis politiques.
Cette mésaventure vient donc confirmer la pertinence du proverbe qui nous enseigne que l’enfer peut être pavé de bonnes intentions.
La faille juridique n’a été détectée par personne, jusqu’à ce qu’en juin 2015, confronté à une violation manifeste de la loi du 11 mars 1988 sur le financement des partis par une formation politique qui n’a pas plus la tête haute que les mains propres, le juge pénal se retrouve dans l’incapacité de lui appliquer les sanctions antérieurement prévues dans notre droit pour réprimer le financement illégal des partis par une personne morale.
Parce qu’il ne peut y avoir durablement de veine pour la canaille, le législateur a souhaité alors immédiatement intervenir. Dès le mois de juin, à l’initiative de notre excellent collègue Dominique Raimbourg, l’Assemblée nationale a introduit un dispositif rétablissant en substance le droit antérieur lors de la discussion du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, adopté définitivement le 23 juillet dernier.
Cette disposition ne semblait pas sans lien avec l’objet du projet de loi puisqu’elle visait à renforcer la sécurité juridique des procédures pénales. Las, telle n’a pas été l’analyse du Conseil constitutionnel qui, saisi par plusieurs sénateurs, a jugé l’article en question sans « lien, même indirect, avec le projet de loi initial ».
« Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage » : la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise, modestement, à en terminer avec ce chemin de croix législatif. Elle a pour objet unique de rétablir les sanctions, à savoir un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende, à l’encontre de tout bénéficiaire de dons consentis par une personne morale, quel que soit le montant du don, qu’il s’agisse d’une personne morale de droit français ou de droit étranger, y compris un État étranger.
Revenant sur l’un des seuls points du débat évoqué lors de l’examen en commission, je souhaite rassurer les quelques collègues qui s’interrogeaient sur le caractère intentionnel ou non de l’acceptation d’un don illégal. Je veux redire ici que l’objet de cette proposition n’est que de rétablir l’état du droit antérieur à 2013, qui réprimait le fait d’avoir accepté un don illicite.
Je rappelle en outre que, conformément à un principe général du droit pénal, l’élément intentionnel est bien nécessaire pour que l’infraction soit constituée. L’article 121-3 du code pénal dispose en effet qu’« il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».
Je précise aussi que les mêmes sanctions demeurent, sans changement, applicables aux partis recevant des dons d’une même personne physique en méconnaissance du plafond de 7 500 euros par an.
L’un des mérites de la loi sur la transparence de 2013 est en effet, à mes yeux, d’avoir fixé ce nouveau plafond qui s’appliquait auparavant, non par donateur, mais par parti politique : une même personne pouvait donc donner chaque année 7 500 euros à autant de partis qu’elle le souhaitait – et cela s’est vu.
En tant que rapporteur, après avoir vérifié la solidité juridique du nouveau dispositif, je propose à l’Assemblée nationale de se prononcer de manière à permettre une adoption rapide de cette proposition de loi.
Cette suggestion me semble poser d’autant moins de difficultés que la rédaction issue des travaux du Sénat, en particulier d’un amendement du rapporteur Michel Delebarre, s’inspire très largement de celle que l’Assemblée avait retenue dans la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne en juillet dernier.
Nous sommes donc invités à nous prononcer sur un texte dont nous avons déjà eu l’occasion d’approuver, pour l’essentiel, le dispositif. Je remercie l’ensemble des groupes, qui ont fait le choix de ne déposer aucun amendement.
En conséquence, rien ne s’oppose à l’adoption, sans modification, de la proposition de loi. Celle-ci permettra de redonner au plus vite à notre droit toute son efficacité pour contribuer au respect de bonnes pratiques en matière de financement des partis politiques. Je crois que nous pouvons décider de cela simplement, rapidement et sans doute unanimement.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes invités à examiner une proposition de loi déposée et adoptée à l’unanimité par le Sénat qui, sous couvert d’une simple rectification, a toute son importance. Il s’agit en effet de rétablir les sanctions pénales contre les partis politiques ayant accepté des dons de personnes morales, sanctions qui ont tout bonnement disparu de notre droit.
Je rappellerai brièvement les circonstances qui ont abouti à cette situation. Ainsi que le prévoit la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, les dons des personnes physiques sont possibles mais plafonnés, tandis que ceux des personnes morales sont totalement prohibés depuis 1995.
Il y a deux ans, lors de l’examen de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, notre assemblée avait initié, à juste titre, une réforme des dons et cotisations aux partis politiques. Ainsi, sont désormais inclus dans le calcul du plafond annuel des dons aux partis politiques, non seulement les dons, mais également les cotisations versées par les adhérents à un parti politique. En outre, les partis doivent fournir chaque année à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques la liste des personnes ayant consenti des dons.
Autre modification qui fait l’objet du texte que nous examinons : le plafond annuel des dons aux partis politiques par les personnes physiques, fixé à 7 500 euros, s’applique non plus par parti politique mais par donateur. Par conséquent, une même personne physique ne peut plus donner une telle somme à plusieurs partis politiques. Elle ne peut la donner qu’à un seul.
Le plafond par parti laissait en effet beaucoup de marges de financement, ainsi que l’avait constaté le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques en 2010. Il favorisait, en outre, l’élaboration de montages financiers entre formations politiques, faisant intervenir des micropartis et favorisant la constitution de nombreuses petites formations. La réforme était donc fondée.
En revanche, après cette modification, l’article 11-5 de la loi du 11 mars 1988 sur les sanctions applicables à la méconnaissance des règles applicables aux dons et cotisations ne pouvait rester en l’état. Un parti politique aurait pu être pénalement sanctionné pour avoir accepté un don d’une personne physique ayant déjà atteint le plafond de 7 500 euros, après avoir versé des dons à d’autres partis, circonstance qu’il pouvait ignorer. Ainsi, sont désormais sanctionnés les seuls partis ayant accepté des dons de plus de 7 500 euros d’une même personne physique. Cette nouvelle rédaction a eu pour effet non volontaire de supprimer l’applicabilité des sanctions pénales à un parti politique acceptant des dons – quel qu’en soit le montant – de personnes morales.
Ironie du sort, nous avons, bien malgré nous, supprimé les sanctions pénales applicables aux partis politiques illégalement financés par des personnes morales, à l’occasion d’un texte visant améliorer la transparence financière de la vie publique !
Cette proposition de loi n’est pas une première tentative. Notre assemblée avait adopté une mesure identique en juin 2015, à l’occasion du débat sur la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne. Le Conseil constitutionnel avait alors jugé l’article sans « lien, même indirect, avec le projet de loi initial ».
Cette situation devrait collectivement nous inciter à réfléchir sur notre manière de légiférer. Les conditions d’examen de la plupart des textes, le plus souvent dans la précipitation, nous font parfois adopter des mesures incohérentes, allant à l’encontre de l’objectif poursuivi.
Sans nul doute, nous devons rétablir au plus vite le dispositif encadrant le financement des partis politiques. Le groupe UDI votera bien évidemment la proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la loi sur la transparence de 2013 a été une réelle avancée pour le contrôle et la transparence du financement des partis politiques.
Elle est à l’origine de l’instauration de mesures aussi diverses que le plafonnement des dons par individu, la publicité des rattachements financiers des parlementaires à un parti politique, l’interdiction des rattachements de complaisance et de l’utilisation de l’indemnité représentative des frais de mandats – IRFM – des parlementaires pour financer des campagnes électorales, ou encore la publicité du versement de la réserve parlementaire aux collectivités locales et aux associations.
Toutefois, du fait d’une mauvaise réécriture de l’article 11-5 de la loi de 1988, le financement illégal des partis politiques n’était plus pénalisé. Il s’agit d’un bug législatif, lié aux délais très contraints dans lesquels ces textes importants ont été étudiés. Rappelons, à l’instar du président de la commission des lois, les conditions rocambolesques dans lesquelles le texte a été étudié.
L’amendement en question a été voté le 15 juillet au Sénat. Le texte a ensuite été étudié le lendemain en commission mixte paritaire pour être à nouveau examiné par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 17 juillet, avec une séance publique le 22 juillet, pour que tout soit voté avant la fin de la session parlementaire extraordinaire. Le souffle me manque…
Avec un tel calendrier, difficile de repérer toutes les erreurs et, surtout, de travailler sereinement à la confection de la loi.
À plusieurs reprises, de concert avec les membres de la commission des lois, la plus chargée en travail à l’Assemblée nationale, puisque 40 % des textes y sont étudiés – je le rappelle, car certains pensent que les parlementaires ne font rien –, nous avons dénoncé la frénésie législative causée par un ordre du jour surchargé de textes. Il est fort regrettable que nous n’ayons pas été suffisamment entendus sur les conséquences de cette surcharge, qui peut engendrer parfois du bavardage mais aussi certaines malfaçons.
Cette erreur, qui a entraîné la dépénalisation d’une partie des dons illégaux aux partis politiques, a permis au trésorier d’un parti politique fautif, le Front national, d’éviter une mise en examen. Pour rappel, Jeanne, le microparti personnel de Marine Le Pen est plus riche que le FN. Ce microparti a imposé aux candidats FN-Rassemblement Bleu Marine d’emprunter de l’argent à des taux prohibitifs, tout en leur fournissant des prestations parfois curieuses, via une société amie, Riwal. Ainsi, aux municipales à Lille et Dunkerque, les candidats FN ont acheté deux sites internet – l’un à un prestataire du Nord pour 8 250 euros, l’autre à Jeanne pour 9 000 euros – dont personne n’a trouvé trace.
C’est à cette occasion que l’erreur a été constatée, car personne ne l’avait vue auparavant, y compris la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Il faut y remédier. C’est ce que fait cette proposition de loi en réécrivant le délit de financement illégal d’un parti politique, qui est réintroduit dans la loi de 1988 relative à la transparence financière de la vie politique. Cet article avait déjà été introduit cet été dans un projet de loi transposant des directives européennes, mais il a été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier législatif. Cela nous arrive parfois quand nous voulons aller trop vite et légiférer dans l’urgence, comme nous l’avons fait à l’instant en votant le projet de loi relatif à protection des mineurs.
Il s’agit donc d’une proposition de loi nécessaire, que notre groupe votera, mais nous estimons qu’il faut aller plus loin, car les récentes affaires, le microparti Jeanne et Bygmalion en tête, ont montré que d’autres failles importantes devaient être colmatées au plus vite, à moins qu’on ne préfère multiplier les rustines. Il est regrettable que l’occasion n’ait pas été saisie d’entreprendre une réforme plus ambitieuse.
Toutefois, le député socialiste Romain Colas, présent dans l’hémicycle, a écrit un rapport sur le financement politique et déposé récemment une proposition de loi sur le sujet. Nous espérons que celle-ci pourra colmater les brèches identifiées déjà depuis plusieurs années.
Parmi les mesures attendues figurent la levée du secret professionnel des commissaires aux comptes à l’égard de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques – CNCCFP – et la soumission de ces commissaires à une rotation obligatoire au bout d’un certain nombre d’années.
La transparence devrait également être renforcée : les instances dirigeantes des partis, les flux financiers entre partis ou la liste des principaux prestataires devraient ainsi être publiés dans le rapport annuel. Par ailleurs, la répartition du financement public des partis et les règles des dépenses électorales devraient être revues. La CNCCFP devrait enfin pouvoir recruter des experts et procéder à des contrôles sur place.
Nous continuons donc à arpenter la voie plus vertueuse que nous traçons depuis 2012 sur ces sujets d’une très forte sensibilité pour nos concitoyens. Si aujourd’hui nous réparons une erreur de parcours, nous serons bien présents pour continuer notre marche en avant.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons la proposition, adoptée par le Sénat, visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale.
La proposition de loi, présentée par nos collègues sénateurs du groupe socialiste et républicain vise à corriger une malfaçon législative issue de nos débats à l’occasion des lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique. En effet, l’adoption de l’article 16 de la loi ordinaire a eu pour conséquence la suppression involontaire des sanctions pénales encourues par les personnes publiques en cas de financement d’un parti politique.
L’article 11-5 de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, tel que modifié par la loi de 2013, prévoit que seules les personnes physiques n’ayant consenti un financement qu’à un seul parti politique peuvent se voir appliquer les sanctions pénales encourues, soit une amende de 3 750 euros et un an d’emprisonnement, ou l’une des deux peines seulement. En revanche, les personnes morales peuvent consentir un financement à un seul ou plusieurs partis sans se voir appliquer de sanctions pénales, alors que ce mode de financement est explicitement interdit.
Cette difficulté, déjà soulevée, avait d’ailleurs amené Dominique Raimbourg, rapporteur du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne dit « DDADUE pénal », à insérer un amendement dans le texte, visant à éliminer cette scorie juridique. Il faut pourtant noter que de nombreux efforts ont été consentis pour renforcer la transparence des dons aux partis politiques. Plafonnement des dons par individu, fixé à 7 500 euros par an et par personne physique, publicité des rattachements, interdiction des rattachements de complaisance, interdiction d’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat pour financer des campagnes électorales, publicité de la réserve parlementaire : autant d’avancées qui ont permis des progrès notables en matière de contrôle et de renforcement de la transparence des financements des partis politiques.
Toutefois, aujourd’hui, le financement illégal des partis politiques par les personnes morales n’est plus pénalisé. La faute en revient – M. Molac vient de le dire excellemment – au rythme de travail et aux méthodes utilisées pour légiférer dans nos assemblées. Obligés d’examiner dans des délais de plus en plus contraints des textes examinés pour la plupart en procédure accélérée, comme ce fut le cas pour le DDADUE pénal, ou sur des amendements régulièrement déposés hors délais, les députés manquent parfois à leur mission principale de vigie législative.
Afin de combler ces lacunes, nous sommes invités à légiférer de nouveau. Le texte vise à rétablir les sanctions pénales applicables en matière de financement des partis politiques par une personne morale française ou étrangère, ainsi que par un État étranger. Ces sanctions pénales seraient la condamnation au paiement d’une amende de 3 750 euros et à un an d’emprisonnement, sanctions désormais cumulatives et non plus optionnelles, comme celles prévues pour les personnes physiques. L’article 2 prévoit l’application de ces sanctions en Polynésie française, Nouvelle-Calédonie et dans les îles de Wallis et Futuna.
Le texte, qui vise à combler une faille législative, est d’autant plus nécessaire et urgent aujourd’hui. En effet, cette omission involontaire, à l’occasion de l’examen des lois de 2013, a permis au Front national d’échapper à une mise en examen pour financement illégal du microparti Jeanne, de Marine Le Pen. Celui-ci imposait apparemment aux candidats FN-Rassemblement bleu Marine d’emprunter de l’argent à des taux prohibitifs, en contrepartie de prestations fournies par une société amie, Riwal.
Cette affaire, tout comme l’affaire Bygmalion pour Les Républicains, a révélé des failles importantes dans notre droit. Il en va ainsi des obligations imposées à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, notamment du secret professionnel qui lui est opposé par les commissaires aux comptes des partis politiques.
Des mécanismes complémentaires pourraient permettre d’accroître la transparence de la vie politique française : une nouvelle répartition du financement public des partis politiques, la publication des flux financiers entre les partis ou la diffusion de la liste des principaux prestataires des partis.
Pour autant, je note que des propositions de consolidation ont été évoquées, notamment lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2016 et sur la question des règles de financement des campagnes électorales. Le président de la commission des lois a d’ailleurs invité le rapporteur sur le programme « Vie politique, cultuelle et associative » à formuler des propositions en ce sens.
Aussi pour finir, et parce que cette proposition de loi est de bon sens, en ce qu’elle rétablit une disposition et une incrimination qui n’auraient jamais dû être supprimées puis censurées, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera le texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la ministre, je me bornerai à quelques mots pour indiquer que notre groupe votera cette proposition de loi, qui vise à rétablir les sanctions pénales contre les partis politiques ayant accepté des dons de personnes morales. Il s’agit ici de revenir sur la suppression malencontreuse et involontaire de ces sanctions lors du vote de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, incroyable faille juridique qui n’a été découverte qu’au printemps dernier…
La proposition de loi de notre collègue sénateur Jean-Pierre Sueur répare cette erreur pour l’avenir, et nous sommes bien sûr favorables à cette rectification. Cette proposition de loi adoptée à l’unanimité par le Sénat le sera certainement aussi par notre assemblée. Cela permettra de rétablir au plus vite le dispositif encadrant le financement des partis politiques.
Il n’y a guère plus à dire sur le texte. Mais ceci étant précisé, cet épisode malheureux interroge sur notre façon d’élaborer la loi et sur nos méthodes de travail. La source d’une telle erreur réside manifestement dans l’inflation législative et la multiplication des procédures accélérées qui en découle, précipitant les débats et limitant la navette, ce qui signifie aussi délai restreint entre l’examen des textes en commission et en séance, délai réduit pour le dépôt des amendements, juxtaposition de textes en séance et en commission, publication tardive des rapports parlementaires.
Or, si la dégradation du travail législatif est régulièrement dénoncée, rien ne change vraiment. Ainsi, le projet de loi Macron est passé de 106 à 295 articles après son examen par l’Assemblée ; le projet de loi sur la santé compte 236 pages, et son article 51 pas moins de trente-neuf sous-alinéas. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est en quelque sorte un cas d’école, dont il importerait de tirer toutes les leçons. Tel est en tout cas le voeu que formulent les députés du Front de gauche en votant ce texte.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner une proposition de loi qui vise à rectifier, comme M. le rapporteur l’a parfaitement expliqué, une omission survenue lors de l’examen de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Nous sommes dans la situation – et il convient d’en sortir au plus vite – où l’interdiction pour un parti politique d’accepter tout don d’une personne morale, si elle reste valable, n’est plus sanctionnée pénalement si elle vient à ne pas être respectée. Pour le dire vite, cela demeure interdit, mais il n’y a plus de conséquences.
Il s’agit donc de restaurer dans le droit l’intention du législateur, qui n’a jamais souhaité que cette situation puisse se produire. Or elle s’est produite. Certains ont déjà profité de ce vide juridique pour échapper à une sanction qui aurait pourtant dû leur être appliquée. La situation a été révélée en juin 2015. Je ne rappellerai pas ici l’affaire qui a permis d’identifier ce problème : nous l’avons tous en mémoire.
Immédiatement, Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés du Sénat ont déposé une proposition de loi destinée à remédier à la situation. Nous avons tenté de faire de même à l’Assemblée nationale, à l’initiative de notre collègue Dominique Raimbourg, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, que nous avons voté en lecture définitive le 23 juillet. Le Conseil constitutionnel n’a pas vu cette tentative d’un bon oeil – j’ose croire que ce n’était pas sur le fond –, puisqu’il a estimé que cette disposition était sans lien avec l’objet du projet de loi en question.
Il restait donc la piste sénatoriale pour sortir de l’ornière. Nos collègues du Sénat ont examiné et adopté à l’unanimité, le 5 novembre, le texte de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire en commission des lois lors de son examen, le groupe SRC considère ce texte comme étant abouti. Les sénateurs, s’ils ont rétabli les peines encourues sans les modifier, ne se sont pas contentés de réécrire les dispositions manquantes : ils les ont précisées en définissant l’infraction de manière plus précise, et ont prévu les dispositions permettant son application sur l’ensemble du territoire. Le travail du Sénat a été de qualité sur l’ensemble de ces points et, étant donné la nécessité de réparer au plus vite l’erreur qu’a constitué la suppression des sanctions pénales prévues par la loi du 11 mars 1988, notre groupe se réjouit à la perspective que cette proposition de loi puisse être votée de manière conforme par notre assemblée, ce qui permet de ne pas retarder inutilement son adoption.
D’autres propositions pourront néanmoins se faire jour en matière de financement et de transparence de la vie politique et publique à l’occasion de nos débats, et faire l’objet d’examen et de discussion à l’occasion de prochains textes. Je pense tout particulièrement au projet de loi pour la transparence de la vie économique que devrait présenter – sans doute au printemps prochain – M. le ministre des finances et des comptes publics, qui en a déjà présenté les grandes orientations.
Ce texte et celui examiné aujourd’hui viendront utilement compléter notre arsenal pour la transparence de la vie publique, que nous avons profondément réformé et renforcé depuis 2012. Je pense aux textes suivants, déjà adoptés ou encore en cours d’examen, que Mme la garde des sceaux a cités pour certains tout à l’heure : les lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, qui ont créé la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et instauré de nouvelles obligations déclaratives pour les principaux responsables publics du pays ; le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui constitue le pendant des textes relatifs à la transparence pour la fonction publique tout en modernisant le titre I du statut, dont j’ai l’honneur d’être la rapporteure et qui sera examiné par la commission des lois du Sénat la semaine prochaine ; les lois organique et ordinaire du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives avec le mandat de député ou de sénateur, qui sont de nature à renforcer l’exemplarité de notre vie publique ; le projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société, qui a été adopté – avec modifications – par le Sénat en novembre dernier et est en attente d’examen par notre assemblée.
Par ailleurs, plusieurs textes sont venus améliorer la transparence et l’encadrement de l’exercice électoral. Les derniers textes en date, les propositions de loi organique et ordinaire de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle, seront examinés dès demain en commission des lois.
Enfin, plusieurs textes ont prévu des avancées, notamment pour la protection des lanceurs d’alerte dans certains domaines. Je pense par exemple à la loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, ou bien encore à la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Cette liste a vocation à s’allonger avec le texte que défendra le Gouvernement au printemps, que j’ai déjà évoqué, ainsi que des initiatives parlementaires.
L’exécutif a par ailleurs pris des mesures fortes dans son domaine de compétence. La France a ainsi rejoint en avril 2014 le « Partenariat pour le gouvernement ouvert » aux côtés de 64 autres pays. Cette initiative multilatérale, qui rassemble des représentants des gouvernements, d’organisations non gouvernementales – ONG – et de la société civile, vise à favoriser un mode d’élaboration de nos politiques publiques de manière plus ouverte et concertée. La France a élaboré en juillet de cette année son plan national d’action pour répondre à ces engagements, qui rejoignent par ailleurs nos propres travaux sur la réforme de la fabrique de la loi.
C’est donc une action déterminée et globale que mène notre majorité depuis 2012 pour la transparence et l’exemplarité de la vie publique.
Notre pays avait du chemin à faire – et en a encore à bien des égards – en la matière. Notre vieille tradition jacobine n’y est sans doute pas pour rien. Même si des progrès ont été accomplis, notre gouvernance est encore relativement peu ouverte et collaborative. Les apports que nous pouvons tirer de la société civile ou des citoyens sont pourtant nombreux, comme tend à le prouver la consultation citoyenne initiée par Axelle Lemaire en amont de l’examen parlementaire du projet de loi relatif au numérique. Le texte a été enrichi par les internautes, qui ont voté près de 150 000 fois et déposé plus de 8500 arguments, amendements et propositions de nouveaux articles.
Nous avons donc progressé sur ces questions. En décembre de l’année dernière, la France s’est ainsi hissée de la seizième à la troisième place au classement Open Data Index, qui évalue chaque année l’ouverture des données publiques sur le plan international.
Pour autant, il nous reste une marge de manoeuvre en matière de transparence de la vie publique pour nous hisser au niveau des meilleurs standards internationaux. L’ONG Transparency International nous le rappelle tous les ans. Bien que nous disposions d’un cadre juridique solide depuis les lois du 11 mars 1988 relatives à la transparence financière de la vie politique, il nous faut continuellement remettre l’ouvrage sur le métier et nous interroger sur la manière d’améliorer notre exemplarité. La proposition de loi portée par notre collègue Romain Colas…
…avec l’appui du groupe SRC, pour une législation sur le financement des campagnes électorales et des partis politiques se propose de poursuivre dans cette voie après le travail de qualité réalisé dans son rapport sur le même sujet en juillet dernier. Vingt-cinq nouvelles propositions étaient sorties de ce travail, qui avait permis de constater que nous disposions d’un cadre législatif solide, mais que l’imagination de certains esprits retors pouvait encore y trouver des failles. Il faut donc le renforcer.
Plusieurs propositions sont très opérationnelles et concrètes ; d’autres sont d’une nature générale et viennent poser des principes de bon sens. Ces dispositions sont donc de nature à prévenir les dérives liées aux micro-partis. La vie politique ne pourrait qu’en sortir grandie. Nous attendons donc avec grand intérêt l’examen de votre proposition de loi, cher collègue !
La crédibilité de nos institutions est l’enjeu du sujet qui nous occupe aujourd’hui. Derrière elle, c’est la République tout entière qui se renforce au fur et à mesure que l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prend corps : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
Qui sait ? Le travail que nous menons ce soir contribuera peut-être, comme l’écrivait Marcel Proust, à « substituer à l’opacité des sons la transparence des idées ». Il me semble que cette réflexion est particulièrement nécessaire en cette période.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, depuis 1988, les partis politiques bénéficient en France d’une aide publique, constituée depuis 1990 de deux fractions.
La première, calculée pour cinq ans, revient aux partis politiques ayant réuni un électorat suffisant lors des précédentes élections législatives. Ce montant est en principe proportionnel au nombre de suffrages obtenus par les partis politiques concernés au premier tour des élections législatives générales. En outre, pour favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, ce montant est d’autant plus réduit que l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe est important.
La seconde fraction repose sur le nombre de parlementaires qui déclarent se rattacher pour l’année au parti politique de leur choix bénéficiant de la première fraction.
À côté de l’aide publique, les partis politiques peuvent également bénéficier d’un financement privé. Mais, compte tenu du financement public, le juge constitutionnel a admis des limitations législatives à cette possibilité. Ainsi, le financement d’un parti politique par une personne morale, à l’exception d’un autre parti politique ou bien d’une personne physique, est interdit si le montant des dons cumulés excède 7 500 euros par an.
Or, l’article 15 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est venu modifier la prise en compte de ce plafond. En effet, auparavant, le plafond annuel de 7 500 euros s’appréciait par parti politique, ce qui permettait à une même personne de donner la somme maximale à plusieurs partis, y compris à des « micro-partis » collectant au profit d’un seul parti. Le législateur a décidé que ce plafond ne s’appréciait plus par parti politique, mais par donateur, quel que soit le nombre de partis bénéficiant d’un don de cette personne.
Cependant, la nouvelle rédaction de l’article 11-5 de la loi du 11 mars 1988, entrée en vigueur le 13 octobre 2013, a permis que la violation de la règle pour une personne morale ne soit plus sanctionnable. En plafonnant à 7 500 euros par an les dons des personnes physiques aux partis politiques, la modification établie en 2013 a en effet supprimé, « légistiquement », les sanctions des dons des personnes morales aux partis politiques, alors que les débats parlementaires attestent que telle n’était pas la volonté du législateur.
Résultat : au printemps 2015, dans le cadre d’une procédure judiciaire, les juges d’instruction se sont trouvés dans l’incapacité de poursuivre un parti politique – le Front national – pour financement par une personne morale. La nouvelle rédaction de la disposition ne pénalisait plus le financement d’un parti politique par une personne morale, puisqu’entrait dans l’incrimination de cet article le seul financement illégal par une personne physique.
En l’état du droit, le financement d’un parti politique par une personne morale reste illégal mais l’interprétation stricte de la loi pénale empêche d’incriminer ceux qui effectuent ou reçoivent un tel don. Cette impasse n’a pas manqué d’avoir un certain retentissement médiatique, d’où la nécessité de cette proposition de loi.
Madame la ministre, le présent texte vise ainsi à corriger la malfaçon législative opérée en octobre 2013, qui vient souligner la précipitation dans laquelle nous avions voté. Son article unique vise à redéfinir l’infraction, sans modifier les peines encourues, de telle sorte que soit passible de ces sanctions – 3 750 euros d’amende et un an d’emprisonnement – le don d’une personne morale, au même titre que le don d’une personne physique, au-delà du plafond légal. De plus, afin d’éviter toute interprétation restrictive, sont également mentionnés explicitement les dons reçus d’États étrangers ou de personnes morales de droit étranger, desquels les partis ne peuvent recevoir ni contributions, ni aides matérielles.
Par ailleurs, l’article clarifie le régime des sanctions contre les donateurs, afin de garantir qu’un donateur, personne physique ou morale, soit punissable pénalement pour tout don versé en violation des mêmes dispositions.
La proposition de loi vise donc à réparer la lacune pour l’avenir, mais signalons que le principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère fait obstacle à l’engagement de poursuites pénales pour des faits commis entre le 13 octobre 2013 et la date d’entrée en vigueur de la loi qui sera issue du texte en discussion.
Même s’il est regrettable que cette proposition de loi vienne illustrer la précipitation parfois dangereuse dans laquelle nous sommes obligés de mener nos travaux, le groupe Les Républicains votera ce texte, sachant que son adoption permettra au moins un rétablissement utile de l’incrimination.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le financement de la vie politique est un enjeu majeur pour toute démocratie puisqu’il touche aux moyens qui lui sont donnés pour fonctionner et permettre la diffusion des idées et des projets indispensables à l’expression autant que faire se peut éclairée du suffrage. Ainsi, la démocratie a un coût. Rapporteur spécial des crédits consacrés au financement des partis politiques, je sais à quel point il est important que notre pays consacre des moyens adaptés à l’exigence d’un débat public vivace et pluraliste. Je sais aussi qu’un financement public, sain et transparent participe pleinement de la confiance dont doit bénéficier notre système politique.
Beaucoup a été dit sur les raisons qui ont conduit à la rédaction du texte que notre collègue Jean-Pierre Sueur a déposé il y a quelques mois. Les propos tenus lors de la discussion générale au Sénat, ainsi que ceux de notre rapporteur et de nos collègues ont très justement rappelé la chronologie des événements qui nous conduisent à débattre aujourd’hui. Il est temps que nous agissions, au regard des conséquences que le vide juridique actuel est susceptible d’engendrer. Encadrer les financements politiques, c’est renforcer la démocratie, c’est permettre aux élus d’exercer leurs mandats en indépendance, au service de l’intérêt public, sans interférences de tel ou tel généreux, mais bien souvent intéressé, donateur. Ce soir, il s’agit avant tout de réparer notre droit. L’acceptation de dons de personnes morales par des partis politiques constitue une entorse, un dévoiement, une atteinte à l’indépendance des organisations politiques à l’égard des puissances financières. En outre, ces dons engendrent des inégalités entre les formations susceptibles de nuire à la sincérité des scrutins. Réintroduire les sanctions qui répriment ce manquement est donc une absolue nécessité. Cette conviction, partagée par l’ensemble des parlementaires qui, au Sénat, en séance, comme à l’Assemblée nationale, en commission des lois, ont unanimement voté cette proposition de loi, ne souffre aucune réserve.
Cela étant, il est, de mon point de vue, nécessaire d’aller plus loin. Il nous faut aussi savoir infléchir certaines pratiques et imposer un cadre rénové, répondant aux exigences de notre temps. En matière de droit applicable aux partis et aux campagnes électorales, il nous revient de privilégier l’action et l’anticipation à la réaction. Au nom de notre commission des finances, j’ai été amené à produire, comme cela a été rappelé, un rapport sur les modes de financement des partis politiques.
Préludes à sa rédaction, les auditions que j’ai menées, tant avec la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, le groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe, le Conseil d’État qu’avec la Cour des comptes ou Transparency International, ont débouché sur un triple constat. Premièrement – et c’est heureux – les dépenses engagées dans le cadre du fonctionnement de la vie politique française demeurent modestes en comparaison avec les grandes démocraties à l’échelle du globe. Deuxièmement, l’encadrement légal des financements politiques dans notre pays est relativement complet. Troisièmement, il doit néanmoins pouvoir s’adapter à l’émergence de nouvelles pratiques.
Outre la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, plusieurs textes récemment déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale s’attellent à cette indispensable modernisation. Dès demain, les propositions de loi du président Urvoas relatives à la modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle seront examinées en commission des lois et devraient recueillir l’assentiment d’une large majorité. Pour faire suite aux conclusions de mon rapport, j’ai déposé, avec d’autres – notamment le rapporteur Popelin –, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, deux propositions de loi qui ont pour ambition de moderniser la législation en matière de financement des campagnes électorales et des partis politiques, tout en responsabilisant leurs acteurs. Nous savons, aujourd’hui plus que jamais, que celles et ceux qui s’affranchissent de la règle, qui choisissent de la contourner à leur profit alors qu’ils exercent ou prétendent exercer des responsabilités, nuisent gravement au pacte qui doit unir les citoyens à leurs représentants. Certains comportements intolérables prospèrent dans les failles de notre réglementation. Nous savons ainsi qu’un microparti proche de la présidente du Front national a pu organiser un véritable système pour réaliser des marges, au détriment du contribuable, sur le remboursement public des frais de campagne de candidats investis par l’extrême droite. Quand on aspire à gérer, quand on prétend briguer de hautes fonctions, user de telles pratiques est indigne et doit être purement et simplement prohibé.
De fait, notre droit a ses faiblesses et ses carences, que l’émergence de nouvelles pratiques fait apparaître. C’est à nous, législateurs, qu’il appartient de définir les nouvelles normes et d’adapter le droit aux modalités contemporaines des campagnes et des financements politiques. Je pense notamment, je l’évoquais à l’instant, à la multiplication des micropartis et des primaires ouvertes, dont les comptes doivent être encadrés, ainsi que le suggère l’assemblée générale du Conseil d’État dans un avis récent.
Dans la droite ligne des textes que je viens d’évoquer et de ceux qui, depuis 2012, comme l’a rappelé Françoise Descamps-Crosnier, ont été votés sur la moralisation de la vie publique, le non-cumul des mandats et la parité, je souhaite qu’au-delà du sujet qui nous occupe aujourd’hui, nous poursuivions collectivement la consolidation d’un écosystème des financements politiques vertueux, basé sur la responsabilité des acteurs et une transparence accrue.
Les élus que nous sommes savent démontrer leur attachement aux grands principes qui fondent notre République. Ils doivent en faire autant dans la promotion de l’éthique des activités politiques, pour eux-mêmes et pour les formations auxquels ils appartiennent. J’ai donc bon espoir de voir ce texte adopté par l’ensemble des députés par-delà les frontières partisanes et j’espère que nous saurons, dans les prochaines semaines, avancer collectivement pour rénover plus largement la législation sur le financement des campagnes et des partis politiques.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis plus de deux ans, le fait, pour un parti, de recevoir des dons d’une personne morale n’est plus pénalisé, alors que c’est bien sûr illégal. Comment en est-on arrivé là ? La réponse est simple et tient à la précipitation dans l’examen des projets de loi sur la transparence de la vie publique. Cette bourde – il n’y a pas d’autre mot – a été révélée par l’AFP en juin dernier. Certains ont dû tomber de leur chaise en la découvrant mais, vu d’ici, ce n’est malheureusement pas étonnant. On parle en effet d’un projet de loi déposé fin avril et voté définitivement début septembre, durée de laquelle il faut soustraire le mois d’août, le tout, bien sûr, en procédure accélérée. L’erreur est humaine, et nous avons tous notre part de responsabilité. Je le dis d’autant plus volontiers que j’ai voté ces lois. Peut-être, cependant, qu’avec moins de précipitation, le Gouvernement aurait été plus attentif, et les parlementaires également. Rappelons aussi que c’est le trésorier du Front national qui a découvert cette anomalie, et que son parti ne pourra donc pas être poursuivi pour de potentiels délits pendant cette période. Une « bourde parlementaire qui profite au FN », comme le titrait Le Monde à l’époque, voilà qui, dans le contexte actuel, est d’autant moins banal.
Passé ces constats, il nous faut réparer cette erreur, car le financement par une personne morale doit rester strictement interdit et pénalisé pour le donneur comme pour le receveur. Il faut donc adopter cette proposition de loi conforme dès cette première lecture pour qu’elle soit applicable au plus vite, ce qui devrait déjà être le cas. J’aimerais, à ce titre encore, faire part d’un petit regret sur la forme, car il aurait sans doute été possible d’aller plus vite et de ne pas attendre six mois pour qu’une si petite proposition de loi soit votée. Cela ne devrait plus être qu’un mauvais souvenir d’ici ce soir. Je le répète, je voterai sans problème cette proposition de loi, qui est un élément essentiel de notre législation sur le financement des partis politiques.
Malgré tout, madame la ministre, il faut aller plus loin. J’espère vivement que ce texte n’est pas le dernier de la législature sur le sujet, car les affaires récentes et en cours qui concernent plusieurs partis et micropartis montrent bien que notre législation n’est pas encore adaptée pour lutter contre certaines dérives. Au mois de septembre 2014, j’ai déposé une proposition de loi relative à la transparence financière des partis et des groupements politiques. J’y propose, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, que la Cour des comptes effectue le contrôle juridictionnel du financement des partis politiques et reçoive toutes les pièces et justificatifs nécessaires. Je propose également que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques transfère ses missions relatives aux partis politiques à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, ce qui lui permettrait de se concentrer sur le lourd contrôle des comptes de campagne. Je propose enfin que la publication des comptes d’un parti soit accompagnée de nouveaux éléments, comme la liste de ses principaux prestataires, ainsi que la liste des autres partis avec lesquels il entretient des flux financiers. Ce ne sont que des idées versées au débat, auxquelles s’ajoute le rapport de Romain Colas, au nom de la commission des finances et, bien sûr, le rapport Nadal de janvier 2014, ainsi que les rapports annuels de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Bref, nous avons la matière nécessaire pour moderniser la législation existante et renforcer la transparence des partis politiques. Cette transparence et l’irréprochabilité qui lui est liée sont des éléments essentiels de la confiance des citoyens, qui est en ce moment bien affaiblie : je ne vous fais pas un dessin. À quand, donc, un nouveau texte qui permettrait de moderniser tout cela ?
Nous allons débattre dès demain, en commission des lois, des propositions de loi du président Urvoas pour moderniser les règles applicables à l’élection présidentielle. Je regrette que cette modernisation soit limitée aux prochaines échéances électorales. Nous y reviendrons sans doute mais, par exemple, pourquoi faudrait-il réduire d’un an à six mois la durée de prise en compte des dépenses électorales avant l’élection présidentielle, sans que cette règle s’applique aux autres élections ? Voilà une nouvelle preuve, s’il en fallait une, qu’un texte plus global est attendu et nécessaire. D’ici 2017, nous avons le temps de mener une vraie réflexion ; je la demande, en tout cas.
Je veux redire mon soutien à cette proposition de loi et, d’avance, ma satisfaction de la voir votée. Je redis également qu’elle doit nous servir de leçon pour les textes à venir ; je pense en particulier à une réforme constitutionnelle qui s’annonce, elle aussi, expresse. Le temps parlementaire peut effectivement être long mais chacun des termes que nous écrivons dans la loi doit être pesé. Il y va de notre crédibilité, de l’efficacité de nos institutions et, dans le cas présent, de l’action politique.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
L’article 1er est adopté.
L’article 2 est adopté.
La proposition de loi est adoptée.
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la réutilisation des informations du secteur public ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi et de la proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal Officiel de la République française ;
Discussion de la proposition de loi d’expérimentation pour des territoires zéro chômage de longue durée ;
Discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures trente.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly