Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Séance en hémicycle du 8 décembre 2015 à 15h00
Information de l'administration et protection des mineurs — Présentation

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons aujourd’hui, avec ma collègue la garde des sceaux, pour soumettre à votre examen un projet de loi tout entier dédié à l’information de l’administration par la justice et à la protection des mineurs.

Vous vous souvenez évidemment qu’au coeur de l’été nous avions déjà abordé avec vous ces questions. Lorsque le Conseil constitutionnel s’est prononcé, nous avons décidé ensemble de vous soumettre un nouveau texte et de prendre, en consultant le Conseil d’État, toutes les garanties juridiques pour trouver le bon équilibre entre l’impératif de protection des mineurs et l’exigence, tout aussi importante, du respect de la présomption d’innocence. C’est cet équilibre que le texte assure clairement désormais.

Notre détermination à vous présenter un texte rapidement tenait évidemment à la gravité des dysfonctionnements que nous avaient révélés les inspections générales de nos ministères, et dont nous avons longuement parlé dans cette assemblée. Elle tenait aussi à notre volonté commune d’en finir avec une situation insécurisante pour les magistrats, inconfortable pour les administrations et, à vrai dire, incompréhensible pour les familles que nous avons rencontrées et qui toutes nous ont dit leur attente d’un service public irréprochable et exemplaire.

Ce dont nous discutons ce soir, vous le savez bien, n’est pas virtuel. Ce n’est pas davantage un phénomène isolé, malheureusement.

À l’école, par exemple, en dépit des efforts accomplis il y a plus de dix ans pour lever le tabou sur les crimes et délits sexuels sur les mineurs, ces violences existent. Mes services m’ont ainsi fait part de plus de quatre cents situations qui avaient déjà donné lieu entre 2012 et 2014 à des échanges entre la justice et l’éducation nationale. Mais depuis les événements dramatiques de Villefontaine, qui ont sans aucun doute libéré également la parole, il n’est pas une semaine sans que nous soyons informés d’un ou plusieurs événements dramatiques qui sont couverts par ce projet de loi.

C’est dire l’importance de ce texte dont la garde des sceaux vous a rappelé la lettre et l’esprit. En vous proposant un dispositif d’ensemble, c’est une rupture majeure que nous avons voulu introduire dans les relations entre l’autorité judiciaire et l’administration, afin que les dysfonctionnements systémiques identifiés à Villefontaine ne se reproduisent pas.

Ce n’est pas que rien n’ait été fait depuis deux cents ans, mais nous avions toléré collectivement d’en rester à un cadre incertain, laissant apparaître des failles pourtant visibles à tous ; visibles aux prédateurs aussi, il ne faut pas en douter.

Face à cette réalité, nous avions besoin d’adresser à la société un signal fort quant à notre intransigeance à l’égard de ces violences insoutenables et quant à la cohésion de nos deux institutions pour les combattre.

Empêcher les prédateurs de nuire aux enfants, tel est notre objectif. Mais cela ne veut évidemment pas dire agir sans discernement dès qu’une rumeur se propage ; cela ne veut pas dire se contenter de procédures qui seraient activées ici par une indiscrétion, là par une information apportée par la presse. Parce que les faits sont trop graves, parce que les situations sont trop sensibles, nous avions besoin d’un cadre clair et rigoureux, un cadre indispensable pour assurer la protection des usagers, mais aussi pour apporter les indispensables garanties aux personnes mises en cause.

C’est là tout le sens de ce texte, que nous avons patiemment travaillé, la garde des sceaux l’a dit, en reprenant avec attention les débats que nous avons eus ici, à l’Assemblée nationale, mais aussi au Sénat, avec les parlementaires de la majorité comme de l’opposition. Et je sais que cette attention, ce pragmatisme, se sont aussi manifestés dans les travaux de votre commission grâce à l’excellent travail de votre rapporteur Erwann Binet, que je salue, mais aussi grâce aux contributions des parlementaires de notre majorité qui, dès le mois de juin, ont débattu avec nous des enjeux de ce texte.

Je veux aussi rendre hommage à l’esprit de responsabilité de l’opposition républicaine, qui a souhaité joindre ses réflexions à cette initiative gouvernementale. Je pense en particulier à MM. Claude de Ganay et Guy Geoffroy, dont les préoccupations en matière de lutte contre la pédophilie et la détention d’images pédopornographiques se trouvent pleinement prises en compte dans ce texte. Un accord s’est formé dans votre assemblée la semaine passée. Il sera pleinement respecté.

Je vous le dis, la force de ce texte tiendra à l’impulsion politique que votre assemblée saura lui donner et à l’engagement que nous prendrons, Gouvernement et Parlement réunis, de donner enfin aux professionnels les outils nécessaires pour que la situation que nous avons déplorée à Villefontaine ne se reproduise plus.

Mais la force de ce texte tiendra aussi, j’en suis certaine, au fait que nous avons, avec la garde des sceaux, déjà créé les conditions d’un changement radical des pratiques de nos professionnels. Dès le printemps, vous le savez, nous avons réuni en Sorbonne les procureurs généraux et les recteurs d’académie afin de leur rappeler toutes les deux l’immense vigilance dont ils doivent faire preuve dans ces domaines. Nous les avions alors chargés de travailler pour améliorer la fluidité des échanges d’information entre nos services.

Les inspections générales, de leur côté, ont produit dès l’été des recommandations pour que les liens aléatoires qui existaient entre nos services deviennent des procédures claires et sécurisées.

Dès la rentrée, nous nous sommes saisies de l’ensemble de ces préconisations et nous les avons mis en oeuvre. Nous avons installé des « référents éducation nationale » dans tous les parquets et des « référents justice » dans chaque rectorat. Nous avons, par circulaire commune du 16 septembre dernier, mis en place des procédures officielles et sécurisées d’échange d’informations. Heureux hasard du calendrier, c’est à partir de demain que plus de soixante référents de mon ministère seront formés pendant trois jours, avec l’appui de la chancellerie, que je remercie, pour que chacun maîtrise au mieux les procédures en question et pour que chacun sache le cadre juridique dans lequel s’inscrit cette transmission d’informations, mais aussi les décisions que l’administration sera amenée à prendre, à titre conservatoire ou à titre disciplinaire.

Avec le renfort de ce texte de loi, nous devons construire ce que vingt-deux circulaires n’étaient pas parvenues à construire depuis deux cents ans. Voilà notre ambition et voilà le défi que nous devons collectivement relever.

Je crois d’ailleurs que le partenariat étroit que nous avons engagé avec la garde des sceaux pourra servir de modèle à d’autres administrations évidemment touchées par ces phénomènes. Je pense aux collectivités territoriales, qui sont elles aussi concernées par ce texte et avec lesquelles nous avons d’ores et déjà eu des échanges. Nous sensibiliserons les élus locaux à ces nouvelles procédures.

En fin de compte, ce projet de loi viendra accompagner un changement de pratiques des acteurs. C’est son objectif et c’est la condition de son efficacité. Il est attendu par nos services, qui veulent être sécurisés et qui seront aussi pleinement responsabilisés, car les deux vont naturellement de pair.

C’est pour cela qu’avec la garde des sceaux, nous avons tenu à ce que les garanties ne soient pas seulement celles que doit prendre le parquet avant de transmettre une information, mais qu’elles soient celles aussi de l’administration détentrice d’une information communiquée par l’autorité judiciaire. C’est pour cela que tous les destinataires de l’information seront soumis au secret professionnel. C’est pour cela aussi que les transmissions devront se faire par écrit. C’est pour cela enfin que les informations figurant au dossier de l’agent devront bien entendu être effacées lorsque l’enquête se sera conclue par une décision de non-culpabilité.

Et je peux vous assurer – je m’adresse en particulier à M. Dominique Raimbourg et à Mme Marie-Anne Chapdelaine – que, s’ils ne sont pas mentionnés dans ce texte qui touche au code de procédure pénale, les droits des fonctionnaires mis en cause sont bien entendu garantis par le statut général.

Mesdames et messieurs les députés, la garde des sceaux et moi-même vous présentons ce soir un texte qui ne vise pas seulement à dénoncer les dysfonctionnements, mais un texte pour agir. En nous apportant votre soutien sur un projet enrichi de vos propositions et du travail conduit par le rapporteur et l’ensemble des membres de la commission des lois, vous donnerez à nos professionnels les instruments d’une véritable efficacité institutionnelle, sans renoncer à aucune des garanties qui sont accordées aux personnes. C’était au fond votre demande. C’est ce que nous vous proposons aujourd’hui d’adopter. Je vous en remercie par avance.

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