Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration de la République, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre du texte auquel la commission mixte paritaire a abouti la semaine dernière et, je crois que nous l’espérons tous, pour donner un ultime élan à ce texte absolument indispensable au bon fonctionnement des institutions.
Il y a une forme de hasard dans le calendrier d’examen de ce projet de loi. Il vient en débat une dernière fois à l’Assemblée nationale un an tout juste après les terribles événements qui ont marqué la vie de chacun des enfants de l’école Mas de la Raz à Villefontaine.
Il y a un an, les enfants et leurs familles ont vécu avec horreur un scénario qui leur semblait impensable. L’école de la République, dans laquelle ils avaient confiance, avait laissé perdurer dans ses murs un prédateur sexuel, condamné quelques années auparavant pour des faits graves qui auraient dû conduire l’institution scolaire à le révoquer.
Faute d’information, elle n’a pu le faire et c’est finalement à moi qu’il est revenu, bien trop tard malheureusement, de radier ce directeur d’école. C’était il y a un an, le 30 mars 2015.
Nous connaissons tous l’enchaînement dramatique des faits et les dysfonctionnements graves et systémiques que cette affaire nous a révélés, s’agissant de l’absence de transmission d’informations entre l’autorité judiciaire et les administrations.
Comme vous tous dans cet hémicycle, j’ai été profondément choquée et marquée par ces événements que je ne pouvais imaginer possibles, dix ans après que ma collègue ministre, Ségolène Royal, a pris une série d’actes forts contre ce fléau qu’est la pédophilie.
Et comme vous tous aussi, j’ai eu le souci de dépasser l’émotion et la colère pour me concentrer sur la construction de mécanismes et de procédures de nature à empêcher à tout jamais cette situation choquante de se reproduire.
Ce long travail, je l’ai engagé avec la collaboration active de Christiane Taubira à qui je veux rendre hommage. Autant vous dire que c’est avec la même détermination que nous le poursuivons avec son successeur, Jean-Jacques Urvoas.
En aboutissant à un texte commun, la commission mixte paritaire a fait une oeuvre essentielle : elle a fédéré les volontés exprimées dans les deux chambres autour de quelques principes forts, qui changeront véritablement la pratique de nos institutions.
Loin du flou auquel les magistrats étaient jusqu’alors réduits, obligation sera demain faite à ces derniers de porter à la connaissance des administrations les condamnations les plus graves prononcées à l’encontre de personnes travaillant habituellement au contact des mineurs.
Dans un cadre désormais sécurisé et apportant toutes les garanties nécessaires pour les personnes mises en cause, les transmissions d’informations pourront intervenir en amont des condamnations pénales.
Je veux insister sur l’importance de ces mesures au sujet desquelles nous avons eu de nombreux débats. Ce qui m’importe à moi, en tant que ministre de l’éducation nationale, c’est que mon administration puisse intervenir au bon moment au nom de la protection des mineurs bien sûr, mais aussi avec le souci de protéger les intérêts des personnes mises en cause, qui demeurent présumées innocentes.
Si je me range aujourd’hui à la position que votre commission mixte paritaire a adoptée, c’est parce que j’ai confiance dans les nouveautés que ce texte apporte et dans l’esprit de responsabilité des magistrats.
Avec ce texte, nous permettrons, dans tous les cas, aux magistrats, dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à domicile avec surveillance électronique, d’interdire à un individu mis en examen d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec un mineur.
Je veux, comme vous tous, croire que lorsqu’il existera des indices graves et concordants de l’existence d’une infraction grave, les magistrats s’emploieront sans tarder à engager des poursuites ou à décider une mise en examen. C’est à ce stade-là que mon administration sera informée.
Ce compromis auquel vous êtes parvenus, par-delà les approches partisanes, sera la base sur laquelle de nouvelles pratiques se mettront en place dans les tribunaux comme dans les administrations.
Je veux donc saluer l’esprit de responsabilité qui vous anime sur tous les bancs de cette assemblée et le travail qu’ont conduit votre rapporteur Erwan Binet et le président de la commission des lois. J’ai mesuré, depuis un an, l’engagement de celui-ci pour que ce texte aboutisse et qu’un compromis solide soit trouvé afin de faire avancer le droit et les pratiques.
C’est une ambition qui a animé beaucoup d’entre vous depuis le départ. Je pense en particulier à Cécile Untermaier ou encore à Colette Capdevielle, qui ont travaillé sur ces sujets.
Je voudrais saluer également les avancées qui ont été réalisées concernant le régime d’incapacité pour diriger ou exercer au sein des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil régis par le code de l’action sociale, ainsi qu’en matière de surveillance des entourages des assistants maternels.
Nous avons là un très bel exemple de la coopération active entre les deux assemblées puisque ce sujet était venu en débat au Sénat. Nous avions fait confiance à l’Assemblée pour avancer et détailler les mécanismes. Nous avons aujourd’hui une oeuvre collective, qui a mobilisé les contributions sur tous les bancs, dans toutes les chambres. Je ne doute pas que M. de Ganay y reviendra dans le cadre de la discussion générale. Je l’espère en tout cas.
En adoptant ce texte, l’Assemblée nationale apportera donc sa contribution pour faire avancer le droit sur ce sujet extrêmement sensible et pour lequel notre législation avait du retard. Un retard qui n’est pas sans conséquence : à refuser un cadre légal clair et précis, nous avions laissé perdurer des failles visibles pour les prédateurs sexuels dont on sait qu’ils recherchent précisément des contextes professionnels dans lesquels ils peuvent côtoyer des enfants.
En adoptant ce texte, vous devez aussi avoir conscience que si vous donnez pour la première fois un cadre sécurisé aux professionnels, vous n’apportez pas une réponse complète aux errements du passé, qui, par définition, ne sont pas concernés par un texte qui ne peut être rétroactif.
Je me souviens, lorsque j’étais allée voir les familles à Villefontaine, que plusieurs d’entre elles m’avaient dit leur satisfaction que la loi évolue, mais aussi leur angoisse : et si d’autres prédateurs étaient toujours en fonction au sein de l’école, protégés par la méconnaissance de leurs condamnations passées ?
Sur cette question, j’avais pris l’engagement devant les familles de prendre mes responsabilités. Cet engagement est tenu. Ce matin même, j’ai publié au Bulletin officiel de l’éducation nationale la circulaire régissant l’opération de contrôle systématique des antécédents judiciaires que j’ai voulue pour les agents en contact avec des mineurs relevant de mon ministère. Il s’agit là d’une opération inédite, qui consistera à contrôler les casiers B de 850 000 agents et à croiser les informations avec le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles, le FIJAIS.
Cette mesure m’est apparue indispensable. Indispensable pour montrer aux familles que nous avons tiré toutes les leçons de l’affaire de Villefontaine. Indispensable aussi pour que l’on en finisse avec la suspicion qui pèse sur les agents de l’éducation nationale. Cette suspicion, nous devons démontrer qu’elle n’est pas fondée, non par le discours mais par les actes et par la transparence sur les opérations de contrôle.
C’est la même volonté de transparence, vous le savez, qui m’a conduite à solliciter une enquête administrative sur l’affaire de Villemoisson-sur-Orge dans laquelle, en 2007, un enseignant n’a pas été sanctionné par l’éducation nationale alors qu’il avait été condamné de manière définitive par un tribunal anglais. Comme pour Villefontaine, je tirerai toutes les conséquences du rapport que me remettra prochainement l’inspection générale sur cette affaire.
Pour que notre organisation soit sans faille face aux prédateurs, les textes sont nécessaires mais insuffisants. Nous avons donc, avec la chancellerie, préparé depuis un an les professionnels de terrain, dans les parquets comme dans les rectorats, à fonctionner avec les nouveaux principes que, je l’espère, vous adopterez largement. Ainsi, depuis la rentrée scolaire 2015, des « référents éducation nationale » sont nommés dans chaque parquet et des « référents justice » sont identifiés dans chaque rectorat. En fin d’année dernière, les référents de mon ministère ont été formés pendant trois jours avec l’appui de la chancellerie, pour que chacun maîtrise le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les transmissions d’informations ainsi que les décisions que l’administration est amenée à prendre, à titre conservatoire ou disciplinaire. Nous avons également mis en place des procédures officielles et sécurisées d’échange d’informations.
Pour tout vous dire, les textes d’application prévus par le projet de loi sont même déjà prêts, puisque nos administrations ont travaillé tout au long de la procédure parlementaire pour que nous mettions en oeuvre cette loi au plus vite dans l’intérêt de tous.
Aussi me suis-je permis de m’ouvrir à votre rapporteur de mon regret après que la commission mixte paritaire eut retenu le renvoi à des décrets en Conseil d’État plutôt qu’à des décrets simples pour la mise en oeuvre de cette loi. Comprenez-moi bien, il ne s’agit aucunement de faire une quelconque offense à cette institution garante du droit. C’est au contraire en plein accord avec le Conseil d’État que nous avions opté pour des décrets simples que nous pourrions publier plus rapidement. Sachant que votre assemblée est sensible à cette rapidité d’exécution, j’ai déposé en ce sens un amendement dont j’espère qu’il recueillera votre accord.
Mesdames, messieurs les députés, le texte de la commission mixte paritaire qui est soumis à votre approbation nous offre le cadre qui nous a tant manqué ces dernières années pour protéger les mineurs. Il nous donne à nous, ministres, la capacité de ne pas simplement dénoncer les dysfonctionnements, mais d’agir avec les professionnels de terrain. En nous apportant votre soutien sur un projet très largement co-construit avec votre assemblée, vous nous donnerez les instruments d’une redoutable efficacité, sans jamais renoncer à aucune des garanties qui sont accordées aux personnes. C’était votre demande et c’est le sens du travail qui a été conduit par votre rapporteur, en collaboration avec le Sénat. Vous êtes parvenus à un texte efficace et novateur. Je vous remercie par avance de son adoption.