La séance est ouverte à 17 heures.
Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.
La délégation aux Outre-mer reçoit en audition M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer, chargé d'un rapport visant à identifier les moyens de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires (secteur public et secteur privé).
L'ordre du jour appelle l'audition de M. Patrick Lebreton, député de La Réunion, membre de notre Délégation, qui vient d'être nommé par le Premier ministre parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Sa mission vise à identifier les moyens de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires, tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
Mon cher collègue, je vous laisse la parole pour un propos introductif présentant votre mission, après quoi les autres membres de la Délégation pourront vous poser des questions.
Ma lettre de mission m'a été remise par M. le ministre des Outre-mer le 13 avril dernier, dans ma commune de Saint-Joseph. Dès avant cette date, la mission qui allait m'être confiée a suscité bien des commentaires, et j'ai même été sollicité pour soutenir des demandes individuelles de mutation, ce qui m'a quelque peu surpris. En réalité, je n'ai été chargé ni d'instruire des demandes particulières ni de donner mon sentiment sur les affectations, mais bien de la mission suivante : travailler à la régionalisation de l'emploi, dans les secteurs tant public que privé. Et la réflexion sur ce sujet essentiel doit selon nous aboutir au principe suivant : à compétence requise, recrutement local.
Dans les outre-mer, l'attente est grande. Il importe donc de résister à la tentation d'intenter de faux procès. Je rappelle à ce propos que la régionalisation de l'emploi faisait partie des trente propositions de M. François Hollande pour l'outre-mer lorsqu'il était candidat à l'élection présidentielle. Élu Président de la République le 6 mai 2012, il a annoncé le lancement de cette mission, qu'il a souhaité me voir confier, lors de ses voeux aux ultramarins, le 3 janvier 2013, soit moins d'un an plus tard : à ceux qui lui reprochent de jouer la montre, on pourrait faire valoir ces délais pour le moins convenables.
Le problème de l'emploi est crucial dans nos territoires. La régionalisation de l'emploi devrait à mes yeux faire l'objet d'un consensus. On a d'ailleurs parlé ces derniers temps d'« union sacrée » à ce propos et M. Cyrille Hamilcaro, représentant de la droite à La Réunion, a même appelé les membres de sa famille politique à se joindre à notre démarche.
Dans le cadre de cette mission, priorité sera donnée au dialogue avec les syndicats et avec les acteurs de l'insertion au sens large – associations, entreprises, administrations –, bref à toutes les bonnes volontés, d'où qu'elles viennent ; et elles sont nombreuses. C'est dans cette perspective que je me présente aujourd'hui devant vous, en toute modestie. Sur ce sujet plus encore que sur d'autres, nous devons nous garder de toute polémique stérile et de tout clivage qui nous détournerait des intérêts des ultramarins.
Sans nous laisser aller aux faux procès, nous ne devons pas non plus verser dans les fausses promesses. Soyons clairs : je ne suis pas chargé de trouver des pistes de création d'emplois, mais des moyens d'ouvrir davantage aux ultramarins les emplois, publics et privés, qui existent déjà dans leur territoire d'origine. Il ne s'agit donc pas de proposer un catalogue de mesures inapplicables, ni de s'en tenir à un rapport écrit par un haut fonctionnaire et au bas duquel je me contenterais d'apposer ma signature.
Je suis toutefois convaincu qu'il nous faudra bousculer certains conservatismes politiques et économiques. Il importe d'abord de proscrire tout slogan. Très vite, les journalistes m'ont ainsi demandé s'il fallait parler de « régionalisation de l'emploi » ou de « préférence régionale ». Ma réponse est simple : ce que nous voulons, c'est que les ultramarins bénéficient d'un meilleur accès à l'emploi chez eux. Ce qui impose de définir au préalable, et sans tarder, ce qu'est un originaire.
Dans la fonction publique, le critère du « centre des intérêts matériels et moraux », ou CIMM – qui permet aux ultramarins exerçant dans l'éducation nationale de bénéficier d'une bonification de 1 000 points lorsqu'ils rentrent chez eux après avoir passé une première année dans l'hexagone –, paraît assez pertinent mais demeure fragile du point de vue juridique. C'est le ministre de l'Éducation nationale lui-même qui nous l'a confirmé. Nous devons donc nous attacher à doter ce critère d'un fondement légal solide et d'un contenu incontestable. D'autres pistes peuvent être explorées, dont la maîtrise de la langue, l'ascendance ou les usages culturels.
S'agit-il d'une rupture d'égalité ? Au-delà de l'égalité républicaine, parlons d'égalité réelle : en matière d'emploi, l'ultramarin est souvent discriminé chez lui. Dans nos territoires éloignés de l'hexagone, le chômage atteint des niveaux record et la précarité s'aggrave. Isolés, nous sommes parfois victimes d'un système de cooptation, voire de copinage, qui nous exclut de l'emploi et des postes d'encadrement. Nous sommes aussi victimes – disons-le sans tabou – de nos propres mentalités. À La Réunion, comme ailleurs sans doute, le syndrome tendant à minimiser ce qui ne vient pas de la métropole a la vie dure ! Un chef d'entreprise que nous avons auditionné nous a ainsi confié que, des deux excellents commerciaux qu'il envoyait aux mêmes clients, c'était toujours le « Zoreille » – le métropolitain – qui rapportait un contrat, et non le Réunionnais. Ce phénomène appelle sans doute une véritable révolution culturelle, qui ne se décrète pas et excéderait largement les limites de notre mission.
Il nous incombe en revanche de prendre acte des difficultés que rencontrent nos régions ultrapériphériques. Pour ma part, je plaide pour que nous le fassions dans le cadre des lois fondamentales de la République. Nous devons redéfinir nos modèles, et je le dis tout net car je sais que nous sommes attendus sur ce sujet : dans la fonction publique, il faut instaurer une nouvelle règle qui permette de substituer la transparence au piston. Il convient donc de trouver des leviers réglementaires afin de faire de l'égalité d'accès aux emplois une égalité réelle et de tenir compte de notre éloignement, de nos difficultés structurelles, de notre histoire, de notre culture, mais aussi de nos richesses. Loin de rompre avec la République, nous souhaitons davantage de République, de justice et d'équité. Cela vaut dans le public comme dans le privé : l'objectif est donc commun même si les problèmes sont différents.
Dans l'emploi public, le retour des ultramarins dans leur région d'origine, sur lequel plusieurs d'entre vous m'ont déjà interrogé, est essentiel. Mais ne nous leurrons pas : l'on ne pourra pas affecter à un même poste deux ultramarins, l'un qui attend de rentrer au pays, l'autre qui vient de réussir son concours sur place. Le temps est venu de mettre un terme au désordre et aux dérives nés de la réforme des mutations adoptée en 2002 dans la police et qui faisait prévaloir l'ancienneté du fonctionnaire sur l'ancienneté de la demande. Cette réforme a rendu quasi impossible le retour des policiers dans leur région d'origine et les a privés d'une vie familiale normale, à rebours d'une exigence de plus en plus souvent exprimée.
Nous nous intéresserons également à l'accès à la fonction publique d'État et aux formations qui y préparent, aux conditions d'avancement, à la fluidité des mobilités. Nous étudierons sans tabou le phénomène des « chasseurs de primes », ces fonctionnaires âgés de plus de 55 ans qui viennent dans les îles pour s'y constituer un pécule afin de préparer leur retraite, phénomène encouragé par la réforme des conditions de mutation dans la police que nous venons de mentionner. Nous tenterons d'inciter l'administration d'État à mieux intégrer les locaux, surtout à des postes de responsabilité, postes qui nous sont souvent interdits dans les faits.
Dans le secteur privé, nous devons aller à la rencontre des employeurs pour définir avec eux une démarche partenariale qui favorise l'embauche et la promotion de nos compatriotes ultramarins. Aujourd'hui, quelques entreprises jouent le jeu de l'embauche locale, selon le fameux principe « à compétence requise, recrutement local ». Il nous faudra aussi échanger avec celles qui le font moins volontiers afin qu'elles prennent conscience du fait qu'elles y ont, elles aussi, intérêt. Nous devons en outre identifier les mécanismes permettant d'enrayer la fuite de nos élites et de faciliter leur retour au pays après une expérience de mobilité formatrice.
Comment inciter les employeurs à favoriser le recours aux ressources humaines disponibles sur place ? Faut-il rapprocher le demandeur d'emploi des offres locales ? Mettre en réseau tous les talents ultramarins de par le monde ? Inciter les entreprises à adopter des chartes de bonnes pratiques en ce sens ? Adapter les formations locales aux besoins des acteurs économiques ? Autant de pistes qui devront être explorées, dans le respect du principe de non-discrimination.
Telle que nous la concevons, la régionalisation de l'emploi n'a rien d'un repli sur soi : c'est le moyen de valoriser nos atouts, de faire émerger nos nombreux talents. Les outre-mer ont besoin qu'une élite nouvelle, jeune, motivée, les entraîne vers le progrès social et vers une profonde modification de notre système économique, depuis longtemps dépassé. Or la régionalisation de l'emploi peut être un puissant moteur de ce changement.
Avant même de formuler des propositions, mon rapport doit être l'occasion d'une « opération vérité » dans les secteurs tant public que privé. Lorsque nous avons commencé la tournée des ministères, très vite, une question s'est posée : qui occupe les emplois dans les outre-mer ? Pour le comprendre, il convient de reprendre le travail entrepris en 2012 par le préfet Jean-Marc Bédier, aujourd'hui à la retraite, en l'étendant au secteur privé.
La mission est complexe, les difficultés nombreuses. Certains ont même pu dire que l'on m'avait tendu un piège en me la proposant. Mais parce que nous avions demandé, avant l'élection présidentielle, au candidat à la Présidence, M. François Hollande, de prendre en considération ce problème criant, il est de notre devoir de considérer cette mission comme l'opportunité d'ouvrir des perspectives d'avenir.
J'en viens à la méthode. Notre objectif est de formuler une quinzaine de propositions, dont quatre ou cinq principales, susceptibles d'être traduites en actes législatifs ou réglementaires. Notre principe directeur consistera à rechercher l'efficacité en refusant les pressions, la surenchère, les tentatives d'instrumentalisation – je songe à une émission télévisée sur l'emploi diffusée ce soir à La Réunion et à la manifestation organisée dimanche dernier sur le thème « done Kréol travay ». Bref, nous ne nous laisserons pas détourner de notre cap.
Quant au calendrier, nous avons commencé de travailler un peu avant la remise officielle de la lettre de mission, le 13 avril, et nous devons remettre notre rapport le 2 septembre. Notre travail comportera trois étapes. La première, qui devrait durer jusqu'à la seconde quinzaine du mois de juin, consistera à recueillir des informations auprès des ministères, des syndicats, etc. Elle inclura, sur une durée d'une semaine à dix jours, une tournée des outre-mer, notamment des DOM – Guyane, Guadeloupe, Martinique. Je ne souhaite pas m'en tenir à un cadre exclusivement préfectoral : nous nous adresserons non seulement aux DIRECCTE (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) mais aussi à nos collègues députés et sénateurs pour qu'ils nous orientent dans notre quête d'informations. Une fois cette première étape achevée, et alors que l'architecture de notre travail commencera de se dessiner, il serait bon, monsieur le président, que vous nous auditionniez à nouveau. J'en profite pour signaler que je serai prochainement entendu par le Sénat. La deuxième étape correspondra à une phase de recadrage et de vérification des informations recueillies. La troisième, enfin, qui correspond à la rédaction du rapport, occupera le mois d'août afin que le travail puisse être rendu début septembre.
Merci, mon cher collègue, pour cette présentation, qui confirme s'il en était besoin la complexité de la question cruciale dont vous êtes saisi. Elle met en effet en jeu la légalité républicaine, dans le cadre de laquelle votre travail doit s'inscrire, ainsi que la définition même de l'originaire, de l'ultramarin. La régionalisation de l'emploi figurait d'emblée au programme de travail de notre Délégation ; toutefois, nous ne l'examinerons pas en elle-même puisque vous vous en chargerez dans votre rapport. Nous sommes tout disposés à vous auditionner à nouveau dès que vous l'estimerez nécessaire.
Le problème est en effet complexe. Peut-on maintenir dans leur territoire d'origine nos compatriotes qui ont réussi un concours de la fonction publique ? Comment le faire dans le respect de la légalité républicaine ? En répondant à cette question, ne tombons pas dans un piège. Lorsque la mission a été lancée, certains de nos compatriotes ont pensé qu'il s'agissait de leur permettre de rentrer chez eux. Nombreux sont en effet les domiens, notamment dans la police et dans l'éducation nationale, qui travaillent en France hexagonale et qui voudraient revenir. L'année dernière, le ministre de l'Éducation nationale a annoncé que tous les lauréats des concours pourraient effectuer leur stage dans leur territoire d'origine. Mais la pente naturelle est souvent de trouver son sort injuste quelle que soit la situation. Bref, qui ne risque rien n'a rien, mais prenons garde que ce rapport ne produise un effet boomerang sur nos compatriotes et sur nous-mêmes.
Chez nous, en Guadeloupe, il faudra rencontrer le directeur de l'emploi, visiter les centres de gestion, le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) et échanger avec les syndicats, notamment le LKP (Liyannaj kont pwofitasyon ou Collectif contre l'exploitation outrancière), un syndicat très dur dont le porte-parole est le directeur-adjoint d'une antenne locale de Pôle Emploi. Je suis toute disposée à apporter ma contribution à la mission, mais la situation est vraiment complexe. Ne parlons pas du privé. Dans la fonction publique territoriale, bien des Guadeloupéens en voie de titularisation estiment qu'ils bénéficient d'un acquis, qu'ils ne travaillent pas pour la commune, pour la population, mais pour le maire et, très souvent, pour quelqu'un de très éloigné qui envoie de l'argent. C'est un véritable problème de mentalité. Voilà pourquoi il faut tout mettre sur la table.
Si nous n'avons pas l'intention de proposer un catalogue de mesures, nous devrions très rapidement identifier, au cours de notre tournée, les sujets sur lesquels il nous faudra prendre position, ce que nous ferons au prisme de ce que nous permettent notre Constitution et les lois de notre République.
S'agissant des fonctionnaires ultramarins de l'éducation nationale qui sont appelés à travailler dans l'hexagone, notre premier souhait a été de rencontrer directement le ministre pour étudier les moyens de faciliter leur retour et, avant toutes choses, leur recrutement local. Mais nous ne pouvons pas mentir : on ne saurait encourager les ultramarins à se présenter à un concours organisé sur place dans la mesure où l'on ne peut pas, comme je l'ai dit, affecter deux personnes au même poste. L'absence de règle claire encourage les démarches individuelles. Comment pouvons-nous, nous, politiques, intervenir, comme on nous demande régulièrement de le faire, si nous ne savons pas comment les choses se passent ?
La création d'une commission administrative paritaire locale dans la police, qui fait partie des propositions qui nous ont été communiquées, paraît très difficile. Elle risque de favoriser ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir au niveau local, au détriment de tous les autres intervenants, y compris le pouvoir syndical national. Certains estiment qu'il est plus facile aux fonctionnaires de l'éducation nationale de rentrer chez eux, grâce à la fameuse bonification de 1 000 points qui tient compte du centre des intérêts matériels et moraux. Nous avons toutefois appris du ministre de l'Éducation nationale que, contrairement à ce que nous pensions, il ne s'agit pas d'une garantie sanctuarisée, assise sur un fondement juridique solide, mais d'un acquis fragile, subordonné à l'absence de recours de la part du ministère. Il serait donc extrêmement difficile de la transposer à la police.
Dans nos propositions, nous devrons suggérer de ne plus s'en tenir au seul critère du CIMM tel qu'il existe aujourd'hui. On nous dit que certaines pistes seraient exclues par notre Constitution, mais comment faire si nous ne pouvons nous appuyer sur la maîtrise de la langue ? Une juge réunionnaise nous a d'ailleurs confirmé qu'il lui semblait fondamental de prendre en considération la langue d'origine. En effet, certaines condamnations sont prononcées à cause d'une incompréhension linguistique, du fait de la faible représentation des originaires dans la justice outre-mer. On le comprend d'autant plus aisément que l'on se souvient du chiffre souvent cité de 120 000 illettrés à La Réunion.
Au cours de notre déplacement, nous veillerons à éviter les erreurs d'appréciation : loin de moi l'idée d'aller définir en Guadeloupe ce qu'est un ultramarin guadeloupéen ! Nous serons donc à votre écoute, mes chers collègues, sans toutefois nous laisser enfermer par telle ou telle définition.
Chez nous, presque tous les juges viennent de l'hexagone. En primaire et en maternelle, beaucoup d'enseignants sont métropolitains. Nous avons connu des grèves demandant qu'on ne les fasse pas travailler, et cela arrive encore. Il faudra donc faire preuve de vigilance. Dans ma circonscription, j'ai incité la directrice de l'établissement pénitentiaire et le directeur-adjoint, deux métropolitains fraîchement arrivés, à apprendre le créole car ils auront affaire à des personnes qui, tout en posant des problèmes d'adaptation évident, ne parlent que cette langue.
La Réunion connaît un problème rarement évoqué, même si deux rapports au moins ont déjà été remis sur le sujet, dont celui du préfet Jean-Marc Bédier, concernant l'emploi dans la fonction publique des personnes originaires des outre-mer. Selon certaines statistiques, entre 2001 et 2012, 25 000 métropolitains seraient venus travailler à La Réunion tandis que 28 000 Réunionnais résideraient dans l'hexagone.
Nous manquons aujourd'hui des moyens de vérifier les diplômes des premiers. Or, ces moyens existent : il faut les mettre en place.
Autrefois, les fonctionnaires en poste à La Réunion, notamment dans l'éducation nationale, étaient en grande partie des natifs de l'île, qui est aussi le département français où l'on parle le plus le créole. Il faut en tenir compte dans l'enseignement dispensé aux tout petits si l'on veut lutter plus efficacement contre l'illettrisme qui frappe aujourd'hui 120 000 personnes à La Réunion.
L'Institut départemental de préparation aux concours de la fonction publique doit être mieux outillé et bénéficier à davantage de ressortissants de l'île.
Dans le secteur privé de la santé, on fait venir des infirmières et des aides- soignantes de Belgique et d'autres pays européens alors que nous pourrions les former et les recruter au sein de la population locale. De telles injustices, qui font coexister deux sociétés distinctes et entraînent une certaine ségrégation, sont de nature à susciter des troubles. On le vérifie encore plus à Mayotte.
Il est regrettable qu'en la matière, la France ultramarine paraisse en retard sur des pays comme la Malaisie, les États-Unis et l'Afrique du Sud.
On ne peut continuer ainsi à désavantager les diplômés de nos régions, ce qui provoque beaucoup d'émoi et parfois même des drames.
Dans l'hexagone, on confie souvent aux ultramarins, y compris dans l'éducation nationale, les postes de travail les plus difficiles ou les moins intéressants. On croirait parfois être revenu aux années soixante quand on faisait venir des travailleurs d'outre-mer pour remplir les tâches dont ne voulaient pas les hexagonaux.
Une France soucieuse de l'égalité des droits, de surcroît avec un gouvernement de gauche, ne saurait supporter que perdurent de telles discriminations.
Alors que des parents consentent aujourd'hui des sacrifices importants pour que leurs enfants franchissent les barrières sociales et acquièrent une formation professionnelle, ceux-ci ne trouvent d'emploi qu'en venant dans l'hexagone. Si certains le font parce qu'ils le souhaitent librement, beaucoup d'autres le font par contrainte économique.
La région Réunion incite ses jeunes à poursuivre des études au Canada mais ceux-ci ne peuvent ensuite revenir travailler chez eux faute d'équivalence des diplômes. Comme au temps de l'Union soviétique, quand on allait faire, à Moscou, des études de médecine ou d'ingénieur et qu'on ne pouvait ensuite exercer chez soi le métier correspondant. On se prive ainsi de talents. Or, La Réunion a besoin des siens.
Nous devrons rester modestes dans les propositions que nous formulerons à la fin de notre mission et je ne ferai aucune promesse avant d'avoir formalisé mon rapport, notamment à l'intention des syndicats de gardiens de la paix.
Nous ne pouvons en effet aboutir à des conclusions sérieuses que si nous disposons de chiffres susceptibles d'être exploités et incontestables, ce à quoi nous nous employons actuellement afin d'établir des statistiques permettant de retracer les évolutions depuis 2002.
On ne peut pas demander au Gouvernement de résoudre aujourd'hui en urgence tous les problèmes accumulés outre-mer depuis de nombreuses années.
Le moment venu, nous nous efforcerons de définir objectivement, s'agissant des affectations dans la fonction publique locale, le partage entre originaires de nos départements et personnes venant de l'extérieur, notamment de la métropole, ces derniers ne devant représenter à terme, selon les préconisations de certains, qu'un effectif de 25 % des nominations.
Je suis bien entendu preneur de toutes vos propositions concernant notamment le statut et les débouchés de nos élites. Quelles mesures adopter pour leur donner davantage envie de venir vivre et travailler au pays ? Nous ne voulons pas proposer de dispositifs auxquels on pourrait adresser le reproche d'être trop coûteux pour les finances publiques compte tenu du contexte actuel.
C'est pourquoi nous sélectionnerons quelques suggestions, entre cinq et dix, que nous reviendrons vous présenter ici.
L'attente est forte parmi les populations des outre-mer, avec l'espoir et la volonté de faire toute la lumière sur la régionalisation. Il ne faut pas se cacher les choses, surtout quand on est confronté à 800 demandes de retour par an dans des postes de gardiens de la paix locaux, eu égard à la faiblesse des possibilités.
La Réunion, comptant 60 % de jeunes au chômage et 5 000 diplômés annuels, ne saurait accepter de voir fuir sa matière grise. Nous souffrons, en outre, d'un complexe vis-à-vis des hexagonaux et, dans une moindre mesure, vis-à-vis des Antillais. Certains employeurs locaux préfèrent souvent recourir à eux plutôt qu'à des créoles.
Posons franchement les bonnes questions : savons-nous bien nous vendre ? La langue ne nous handicape-t-elle pas ?
Notre population locale est particulièrement peu présente dans les fonctions d'encadrement, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Des agents publics venant de l'hexagone, nommés chez nous pour trois ans, n'ont évidemment pas le temps d'apprendre à nous connaître vraiment. Il faudra donc faire une véritable révolution culturelle, chez nous comme en métropole, au regard du principe d'égalité et au regard de son application aux mutations. En effet, un Réunionnais muté à Paris est évidemment bien plus coupé de ses racines qu'un Marseillais par exemple.
Des initiatives ont été prises au niveau de la région. Certaines renferment quelques contradictions, quand, par exemple, on fait venir des chercheurs d'Israël. D'autres, en revanche, vont dans le bon sens, comme les aides accordées aux entreprises favorisant l'embauche locale.
La définition du Réunionnais devra viser le résident insulaire et natif, mais aussi le résident hexagonal qui aimerait retrouver la terre de ses ancêtres.
Nous n'échapperons pas à une analyse froide de la situation mais la « réunionnisation » des cadres est déjà une réalité dans certaines communes. Ceux qui voudraient nous donner des leçons ne sont pas forcément les mieux placés pour le faire. Mais je m'abstiendrai de toute polémique.
Il est important que, parmi les propositions que nous présenterons, certaines puissent être immédiatement applicables, quitte à ce qu'elles soient peu nombreuses.
La commande d'un rapport sur l'emploi outre-mer au préfet Jean-Marc Bédier par l'ancien Président de la République s'est faite dans un contexte très particulier, c'est-à-dire la perspective, à court terme, de l'élection présidentielle. De sorte que le rapport a été remis le 5 mai 2012 ! On peut comprendre qu'il n'ait pas été suivi d'effets… Mais nous aurons à en reparler avec son auteur.
Ne pouvant me rendre partout dans les outre-mer, je compte aussi sur vous pour que vous me fassiez bénéficier de remontées d'informations.
L'emploi outre-mer est un sujet passionnant, souvent passionné, gardons-nous qu'il ne devienne aussi passionnel et qu'il nous fasse manquer de discernement pour trier les problèmes et les solutions les plus adaptées.
Tous les ultramarins ne peuvent trouver un emploi dans leur département d'origine. Ils doivent donc pratiquer une certaine mobilité. C'est pourquoi nous devons notamment nous intéresser à la problématique juridique des mutations des fonctionnaires. Le cadre actuel est-il satisfaisant ou bien faut-il prévoir son remplacement ?
On invoque souvent le régime juridique existant pour protéger certaines situations acquises. Je pense plus particulièrement à la mutation des hauts fonctionnaires dans les préfectures et les rectorats. Il y a un an et demi, le poste de secrétaire général du rectorat de La Réunion se trouvant vacant, l'un des critères retenus par l'administration afin d'y pourvoir résidait dans la mobilité du fonctionnaire, exigeant que celui-ci ait déjà effectué au moins cinq ans de service dans une autre administration ou en dehors du territoire de La Réunion. Était-ce vraiment indispensable, alors que l'on dispose, sur place, de fonctionnaires compétents mais ne répondant pas au critère de mobilité ? Ne peut-on parfois déroger à la règle générale ? La promotion interne ne risque-t-elle pas de s'avérer insuffisante si on la conditionne par des règles de mobilité trop rigide ?
MM. Jean-Marc Bédier et Daniel Paillette furent, je crois, les rares préfets réunionnais.
On observe également, à l'université de La Réunion, des difficultés d'accès aux postes d'enseignants pour les jeunes diplômés de cette même université. On leur préfère souvent, pour des postes de maîtres de conférences, des enseignants venus de l'hexagone afin, nous dit-on, d'éviter les phénomènes de consanguinité intellectuelle. Or, dans toutes les autres universités françaises, le taux de recrutement interne est, au minimum, de 40 à 50 %. Pourquoi la situation est-elle différente outre-mer, principalement à La Réunion ? Formulons donc le souhait de rétablir un certain équilibre qui efface le sentiment d'injustice.
C'est pourquoi, je propose à M. Patrick Lebreton, dans le cadre de son rapport, de travailler, de manière prioritaire, sur ces deux sujets : la mobilité des fonctionnaires et le recrutement des universitaires.
La situation de La Réunion est différente de celle de la Guadeloupe et probablement aussi de celle de la Martinique. Il faut donc bien distinguer les territoires, ainsi que les domaines, c'est-à-dire le secteur public, pour lequel nous devrons fixer de nouvelles règles de mutation, et le secteur privé, pour lequel il sera beaucoup plus difficile de légiférer.
Nos collectivités d'outre-mer doivent s'organiser pour être aussi des lieux de promotion professionnelle et de carrière pour leurs ressortissants. Toutefois, étant issu du corps préfectoral, je rappelle que celui-ci fait exception par rapport au reste de l'administration car il est demandé à ses membres de signaler les territoires dans lesquels ceux-ci ont des attaches afin de ne pas y être nommés. Nous ne devons pas exclure les outre-mer de cette règle générale car la mobilité géographique constitue aussi une opportunité de progression dans la carrière.
Je partage l'analyse de M. Jean-Jacques Vlody et de Mme Hélène Vainqueur-Christophe sur l'insuffisance des postes offerts outre-mer pour tous les ultramarins. Mais nous manquons encore de chiffre précis pour arrêter une position définitive et pour savoir quelles règles d'équilibre il faudra retenir, notamment sur les mutations des fonctionnaires. Celles relatives aux policiers concentrent un certain nombre de difficultés et de contraintes. Quand nous disposerons de statistiques parfaitement exploitables, nous pourrons affirmer combien de personnes peuvent revenir au pays et au bout de combien de temps. Il sera alors possible, par exemple, de conseiller à un ultramarin de choisir un autre métier que la police s'il entend rentrer chez lui plus tôt.
Les postes préfectoraux devraient être offerts aussi, en plus grand nombre, aux ultramarins. Nous étudierons comment faire évoluer les choses dans cette administration.
De même pour la justice. Sur les 82 agents de la Cour d'appel de La Réunion et de Mayotte, on compte seulement trois Réunionnais ! Je puis citer néanmoins le cas d'une juge réunionnaise, mariée à un métropolitain, qui a pu, contre son autorité de tutelle, revenir à La Réunion au moyen d'un référé, écartant ainsi les risques de collusion qu'on lui opposait.
Instituer une sorte d'observatoire des cadres – et pas seulement des cadres réunionnais ! –, cet observatoire servant aussi d'outil d'évaluation des mutations et d'instrument de repérage des talents et des compétences, me semble une idée fructueuse.
Il faudra également bousculer les conservatismes. En tout cas, il me semble qu'aujourd'hui un premier message est passé : notre rapport s'articulera autour d'un petit nombre de propositions réalistes et opérationnelles, sur le plan législatif comme sur le plan réglementaire, en vue de faire avancer les choses.
La séance est levée à 18 heures 30.