Nous poursuivons nos auditions de cet après-midi en recevant M. Stéphane Fouks, qui est le président de Havas Worldwide France, société qui portait auparavant le nom d'Euro RSCG.
Cette société a rempli, à l'automne dernier et au cours des quatre premiers mois de cette année, une mission de conseil en communication auprès du ministère de l'Économie et des finances, en particulier auprès de MM. Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac.
Par ailleurs, monsieur Fouks, vous êtes un proche de Jérôme Cahuzac, et, si on en croit la presse, vous l'avez conseillé après les révélations de Mediapart sur le compte qu'il aurait détenu à l'étranger.
Comme vous le savez, cette commission d'enquête a pour objet de faire la lumière sur d'éventuels dysfonctionnements dans l'action du Gouvernement et des services de l'État dans la gestion de « l'affaire Cahuzac ». Certains d'entre eux pourraient avoir consisté en une forme d'instrumentalisation de l'action administrative au sein de la stratégie de communication de l'ancien ministre délégué chargé du budget.
Avant d'aller plus loin, il me revient de vous préciser que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Stéphane Fouks prête serment.)
Si vous le souhaitez, je vais vous laisser la parole pour que vous exposiez quel a été votre rôle dans cette affaire.
Selon Fabrice Arfi, c'est vous qui l'avez l'appelé, le 3 décembre 2012, après qu'il a adressé à Jérôme Cahuzac un courriel lui posant cinq questions en lien avec son compte non déclaré à l'étranger. Le confirmez-vous ?
Après avoir reçu ce courriel, Jérôme Cahuzac m'a appelé pour me demander mon avis sur ce qu'il convenait de faire. Je lui ai dit que je voulais d'abord mieux comprendre ce qui se passait. J'ai donc appelé un correspondant chez Mediapart, puis Fabrice Arfi, avec qui j'ai eu une conversation. Cela m'a permis d'organiser la réunion entre Jérôme Cahuzac et Fabrice Arfi, destinée à permettre l'échange d'informations nécessaire.
À la toute fin. Lorsqu'il m'a téléphoné pour me dire qu'il avait pris rendez-vous avec le juge Van Ruymbeke, j'ai compris à demi-mot ce qu'il en était.
Après avoir aidé à organiser la rencontre avec M. Arfi, avez-vous conseillé Jérôme Cahuzac sur l'attitude à avoir face aux accusations de Mediapart ?
Lors de son premier appel, je lui ai évidemment demandé si ces accusations étaient fondées. C'est la première question que l'on pose en pareil cas, même à un ami. Il m'a répondu, comme il l'a fait à beaucoup d'autres, qu'elles étaient totalement infondées.
J'ai ensuite essayé de comprendre avec Fabrice Arfi jusqu'à quel degré il détenait des preuves. Il a d'ailleurs eu cette formule que j'ai relevée car je l'ai trouvée, à l'époque, savoureuse : « Jérôme Cahuzac peut-il me prouver qu'il n'a pas de compte en Suisse ? » Cette sorte d'inversion de la charge de la preuve est une question qui se pose à la communication – même si, en l'espèce, il faut reconnaître que le travail réalisé par Fabrice Arfi était juste et que ses révélations étaient exactes.
Avez-vous recommandé à Jérôme Cahuzac de s'adresser directement à l'UBS pour qu'elle confirme qu'il ne détenait pas de compte ?
Je ne suis pas un spécialiste : ma formation de juriste est un lointain souvenir. Dans cette affaire, mon rôle a été de dire à quelqu'un qui s'affirmait innocent de se défendre et d'aller sur les plateaux de télévision et dans les médias pour défendre son innocence, et ce d'autant que les premiers documents publiés par Mediapart¸ il faut se le rappeler, n'étaient pas totalement convaincants. Ainsi, il était fait mention du rapport de cet inspecteur des impôts qui prétendait que Jérôme Cahuzac possédait plusieurs maisons à différents endroits. Le premier papier comprenait des éléments manifestement inexacts, sur la base desquels j'ai conseillé à Jérôme Cahuzac d'aller se défendre.
Par la suite, je suis très peu intervenu dans cette affaire. D'abord parce que, du point de vue de la communication, elle ne se déroulait pas tous les jours et ne nécessitait pas une présence régulière aux côtés de Jérôme Cahuzac.
Vous êtes intervenu, nous y reviendrons, en tant qu'ami et non dans le cadre du contrat qui liait votre société au ministère de l'économie et des finances.
Le moment où la Suisse répond à la demande française concernant l'éventuelle détention par Jérôme Cahuzac d'un compte à l'UBS entre 2006 et 2010 est important. Nous savons que les autorités suisses ont informé les conseils de Jérôme Cahuzac de la teneur générale de cette réponse. Dans les heures qui ont suivi, l'information selon laquelle la réponse de la Suisse est négative est publiée dans Le Nouvel Observateur et dans un article important du Journal du dimanche. Avez-vous eu cette information sur la réponse de la Suisse ? Si tel est le cas, avez-vous participé à des entretiens avec ces deux hebdomadaires ?
Je n'ai à aucun moment parlé à aucun journaliste du Journal du dimanche sur cette affaire. J'ai en revanche parlé avec la journaliste du Nouvel Observateur.
Par les conseils de Jérôme Cahuzac. Il s'agissait d'un document dont on ne connaissait pas la teneur exacte, mais qui allait dans le sens de ce que vous avez dit.
Bref, vous avez été informé par les conseils de Jérôme Cahuzac de la teneur de la réponse des autorités suisses.
Oui. Et j'ai conseillé à la journaliste du Nouvel Observateur, conformément à mon orientation naturelle en tant que communicant, de ne pas y toucher. Dans une affaire judiciaire, seule la justice peut vous blanchir. Il ne sert à rien de passer par les médias pour tenter de peser d'une manière ou d'une autre sur le cours des choses. Quand des documents existent, mieux vaut les laisser être utilisés et révélés par les voies judiciaires, surtout s'ils sont favorables, que d'en faire quoi que soit.
Non. Elle m'appelle parce qu'elle est au courant et veut discuter de cette information.
Elle ne me le dit pas, et je demande rarement aux journalistes quelles sont leurs sources.
Les conseils de Jérôme Cahuzac vous ont-ils dit qu'ils ont eu des contacts avec le Journal du dimanche ?
Je ne crois pas qu'ils aient eu de tels contacts. En tout cas, nous n'en avons pas parlé.
J'allais le dire !
Mais je ne l'aurais de toute façon pas fait car, de mon point de vue, ç'aurait été contraire à l'intérêt de Jérôme Cahuzac.
À ce moment-là, je suis persuadé de son innocence. En étant manifestée par la justice et non par les médias, cette innocence aura beaucoup plus de force. Je vous invite à vous reporter à la façon dont j'ai traité d'autres affaires médiatiques : je ne procède pas par fuites dans les médias. Je préfère assumer, parfois, le temps long de la justice pour qu'à la fin les choses soient comme elles doivent être.
Bref, je considérais vraiment qu'il appartenait à la justice, si elle le désirait, de faire sortir ce document, et certainement pas à nous.
D'après lui, ce sont ses avocats en Suisse qui l'ont appelé pour lui indiquer, non pas qu'ils avaient lu la lettre, mais que les autorités helvétiques leur avaient indiqué que la réponse était négative. Ces mêmes avocats vous appellent-ils directement ?
Oui. Je réponds : « Chouette, il n'y a plus qu'à laisser faire les choses ! »
Pour la raison que je vous ai donnée. Étant convaincu de l'innocence de Jérôme, je pensais qu'il serait beaucoup plus efficace que l'information soit utilisée et communiquée par la justice que par les médias. Lorsque les médias communiquent une information, il y a toujours – et c'est normal – un doute.
Lors de son audition, j'ai posé à Jérôme Cahuzac les questions suivantes : « Quel rôle M. Stéphane Fouks a-t-il joué dans votre communication durant toute cette période ? L'aide qu'il vous a apportée était-elle gratuite ou rémunérée ? Dans ce dernier cas, s'inscrivait-elle dans le cadre du contrat signé par le ministère de l'économie et des finances et celui du budget avec l'agence Havas Worldwide ? »
Voici ce qu'il me répond : « M. Stéphane Fouks n'a joué aucun rôle dans ma communication. D'abord, aux termes du contrat signé entre le ministère et l'agence, ce n'était pas lui qui était chargé de cette mission. Ensuite, il était un ami très proche ; ne lui ayant pas dit la vérité, je vois mal comment il aurait pu m'aider dans ma communication ! M. Fouks n'a joué aucun rôle institutionnel dans cette affaire. »
Êtes-vous étonné de cette réponse ?
Non, parce qu'il existe une ambiguïté liée au mot « institutionnel ». Il est évident que je n'ai eu aucun rôle institutionnel. Nous ne nous sommes parlé sur ce sujet que trois ou quatre fois pendant cette période. Il a été ensuite douloureux pour moi de découvrir qu'un ami m'avait menti.
Comme les avocats, les communicants ne sont pas forcément responsables des actions ou des turpitudes de leurs clients. Lorsque, en plus, il s'agit d'amis, c'est plus douloureux.
Il vous appelle le 3 décembre. Immédiatement après, vous appelez Laurent Mauduit, puis Fabrice Arfi. La rencontre a lieu dès le 4 au matin, à onze heures trente, d'après les déclarations des intéressés.
Oui. Je crois avoir convaincu Jérôme Cahuzac, ou contribué à le convaincre, qu'il était préférable de rencontrer les journalistes. Il est toujours mieux d'avoir une discussion avec les personnes qui vous accusent et produisent des éléments contre vous. Mediapart faisant un travail de presse, un échange de points de vue était recommandable, même s'il n'y avait aucune chance que les parties se mettent d'accord. L'attitude consistant à conseiller à un ami ou à un client de rencontrer des journalistes qui l'accusent est normale et naturelle.
Alors pourquoi Jérôme Cahuzac nous répond-il : « M. Stéphane Fouks n'a joué aucun rôle dans ma communication » ?
J'ai toujours indiqué publiquement que Jérôme et moi avions eu évidemment quelques conversations à ce sujet. Quand un de vos amis est accusé et se dit innocent, vous lui dites : « Défends-toi ! »
Cela étant, je ne me suis pas chargé de sa défense, je n'ai pas organisé ses interviews, je n'ai pas parlé aux médias d'une manière proactive. Il a donc formellement raison lorsqu'il affirme que je n'ai joué aucun rôle institutionnel dans sa communication. C'est ce qui a d'ailleurs paru sur le site Le Lab d'Europe 1, selon lequel je n'étais pas effectivement en charge de sa communication.
Pour ce qui est du Nouvel Observateur, c'est la journaliste qui vous contacte pour avoir la confirmation de l'information ?
Oui. Elle m'appelle pour discuter de ce que je peux en penser. Je lui fais donc part de mon raisonnement, qui est de ne rien en faire parce que, dans ce type d'affaire, il faut laisser le temps de la justice se dérouler normalement.
À quelque niveau que ce soit. Je n'ai jamais parlé de cette affaire avec aucun journaliste du Journal du dimanche.
Lorsque Jérôme Cahuzac vous informe que la réponse de la Suisse est négative, en parlez-vous à des collaborateurs ou à des tiers ?
Il se réjouit de cette nouvelle. Je suppose que vous vous en réjouissez aussi puisque vous pensez qu'il est innocent.
Certainement pas à mes collaborateurs. C'était quelque chose de séparé puisque j'agissais comme ami et que l'agence n'était pas en charge de la défense de Jérôme Cahuzac.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est un métier où l'on apprend à se taire.
En l'occurrence, ce n'était pas dans le cadre de votre métier mais, avez-vous dit, au titre de votre amitié avec Jérôme Cahuzac.
J'exerçais un rôle amical de conseil qui renvoie quand même à des règles professionnelles. Dans ce métier, on apprend à garder les choses pour soi. Nous sommes parfois détenteur des secrets de nos clients et nous sommes tenus à une forme de secret professionnel lorsque nous réalisons des opérations financières ou de communication pour lesdits clients. Depuis longtemps, les communicants – en tous cas les bons – ont appris à se taire.
Il n'y a pas d'ordre chez les communicants. Notre profession n'est pas héritée de Vichy.
Il n'y a pas de texte, en effet, mais il existe un syndicat professionnel qui édicte des règles déontologiques.
Revenons-en à l'accord-cadre conclu entre votre société et le ministère de l'économie et des finances. Une décision cosignée par MM. Moscovici et Cahuzac confie à Havas une mission de conseil en communication. Pourriez-vous nous décrire cette mission ? Comment est-elle est reconduite ? Pouvez-vous nous éclairer sur son contenu car les sommes versées sont forfaitaires : 16 000 euros chaque mois.
Pas chaque mois. Au total, vous avez quatre factures sur une période d'un an.
Je rappelle que l'appel d'offres a été passé dans le cadre d'un marché lancé par la majorité précédente, qui avait sélectionné différentes agences de communication pour répondre aux éventuels appels d'offres de Bercy.
Il y a six factures, toutes de 16 000 euros. Chacune est accompagnée d'une annexe d'une page décrivant les prestations – note d'éléments de langage, note de stratégie, etc.
Vous avez les pièces. Au total, l'agence aura facturé 64 000 euros dans un marché d'un montant maximum de 130 000 euros. Elle a réalisé de nombreuses notes de cadrage, des travaux sur l'état de l'opinion concernant différents sujets, ainsi que des media trainings visant à préparer les interventions médiatiques des ministres. Bref, sa réponse s'inscrit dans le cadre de ce marché.
Pour votre information, nous avons copie de six factures de 16 000 euros hors taxe, soit 19 136 euros toutes taxes comprises. Le montant est le même mois après mois.
Le montant est en effet forfaitaire mais vous pourrez vérifier que ce n'est pas mois après mois.
J'ai ces documents devant moi. Ce n'est pas vous qui nous les avez communiqués mais l'État, à qui nous les avons demandés.
Les personnes qui ont fourni ces prestations ne sont jamais intervenues dans l'affaire Cahuzac ?
Non. Pour ce qui me concerne durant la période, je n'ai participé à une réunion à Bercy qu'une seule fois, pour un déjeuner amical avec Jérôme Cahuzac et un autre ami. Je n'ai participé à aucune réunion avec aucun membre des cabinets. Il n'y a pas eu d'implication de ma part dans ce dossier. L'équipe qui en était chargée connaissait très bien Bercy, elle avait une bonne compréhension de la mécanique qui peut lier ou parfois tendre les relations entre le ministère de l'économie et celui du budget et s'employait à faciliter la nécessaire coordination entre les deux départements. Bien entendu, elle apportait également ses connaissances en matière de problématiques d'opinion et de problématiques médiatiques.
Non. C'est très difficile… Au fond, il m'a fait mentir. Même si j'ai menti et me suis trompé de bonne foi, c'est forcément très désagréable. Ma réaction, au moment où il m'apprend qu'il m'a menti, est de lui dire que je ne peux plus rien faire. Ayant spontanément expliqué que je croyais à l'innocence de Jérôme, je ne pouvais épouser une thèse totalement opposée. Non seulement j'avais perdu toute crédibilité et toute légitimité pour le faire, mais j'avais aussi perdu toute envie. Un ami qui vous ment, cela rend forcément les choses plus difficiles.
De mon point de vue, pas Jérôme Cahuzac. Encore une fois, j'étais convaincu de son innocence. Pour éviter tout soupçon et pour qu'il soit vraiment blanchi, il fallait que l'initiative vienne de la justice et non des médias.
Nous avons eu deux réactions. Le ministre de l'économie et des finances nous a dit hier que cet article l'avait mis en colère. Le procureur de Paris, lui, nous a indiqué avoir eu un doute. Il est donc légitime que notre commission se demande à qui cela a profité.
Je le répète, pas à Jérôme Cahuzac. En tout cas, je ne le pensais pas à ce moment-là même si, rétrospectivement, l'affaire est bien sûr plus complexe.
Connaissant ce que vous connaissez maintenant, pensez-vous que la publication a pu profiter à Jérôme Cahuzac ?
Oui, mais in fine, non. Nous vivons une époque où il est impossible de cacher la vérité. La question n'est pas de savoir si elle va sortir – elle finit toujours par le faire – mais de savoir, éventuellement, quand et comment elle sortira. Tous les professionnels de la communication le disent : le mensonge est une arme imbécile qui se retourne contre ceux qui l'utilisent.
Combien de contacts avez-vous eu avec Jérôme Cahuzac entre le 3 décembre et le jour où il reconnaît posséder un avoir non déclaré à l'étranger.
D'un point de vue déontologique, l'existence d'un accord-cadre portant également sur la communication de crise des ministres ne posait-elle pas un problème ? L'entreprise que vous présidez conseillait les deux ministres. N'y avait-il pas un risque de confusion entre ce que vous faisiez à titre amical et les prestations qui étaient facturées ?
La question est légitime. La manière dont j'y ai répondu a été tout d'abord de considérer que l'on ne peut jamais renoncer à défendre un ami. Il faut assumer la charge de ce devoir d'amitié. Pour le reste, comme la crise ne concernait pas le ministère mais la personne, il était clair que le contrat ne jouait pas dans cette affaire. C'est la raison pour laquelle je n'en ai parlé à aucun des collaborateurs de l'agence. Ma relation avec Jérôme Cahuzac n'était qu'amicale. Pour l'essentiel, d'ailleurs, elle consistait à lui dire : « Puisque tu te dis innocent, défends-toi ! Si tu ne te défends pas, personne ne le fera à ta place. »
M. Valls nous a dit hier qu'il vous avait vu pendant cette période. Quelles ont été vos réflexions et observations sur l'affaire Cahuzac ?
Nous n'avons pas parlé de cette affaire parce que nous ne pouvions pas en parler : qu'auriez-vous voulu qu'il me dise ? S'il avait des informations, ce n'est pas à moi qu'il devait les donner. J'ai donc évité le grotesque de lui poser des questions auxquelles il n'aurait pas pu répondre. Nous nous sommes vus, nous avons parlé de beaucoup de choses, y compris de politique, mais pas de ce sujet sur lequel nous n'avions rien à échanger.
M. Pierre Moscovici nous a confirmé hier, sous la foi du serment, la tenue d'une réunion à l'Élysée le 16 janvier, à laquelle participaient le Président de la République, le Premier ministre, M. Jérôme Cahuzac et lui-même. Notre commission – faut-il le rappeler ? – est indépendante du pouvoir exécutif et possède des pouvoirs d'enquête importants. Elle travaille sous le regard des Français, qui attendent d'elle qu'elle fasse toute la lumière sur les dysfonctionnements dont elle est saisie. J'émets solennellement le voeu qu'elle aille jusqu'au bout de son enquête. Nous ne devons pas nous arrêter à la porte de Matignon. Il est incontournable que nous entendions le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault. Non seulement il était présent à cette réunion, mais il est celui qui aurait pu démettre Jérôme Cahuzac entre le 4 décembre et le 19 mars. Comme des échanges ont eu lieu avec M. Valls, M. Moscovici et Mme Taubira, il est important pour nous de recueillir sa position sur cette affaire.
En tant que membre de la commission d'enquête, je réitère donc mon souhait d'entendre à nouveau Jérôme Cahuzac en raison de la contradiction, apparue hier au grand jour, avec M. Moscovici, et je demande l'audition du Premier ministre.
Nous en débattrons après l'audition. Le rapporteur et moi en avons parlé. Selon la procédure que nous avons toujours suivie, je vous ferai voter, le cas échéant, sur les auditions à mener.
Avez-vous des questions à poser à M. Fouks ?
M. Cahuzac vous a-t-il dit qu'il cherchait à obtenir des autorités suisses une lettre infirmant les propos de Mediapart ?
Vous en a-t-il néanmoins parlé, ou le lui avez-vous conseillé comme étant le meilleur moyen pour établir la vérité ?
Pour moi, c'était aux autorités judiciaires françaises et suisses d'établir la matérialité du compte de Jérôme Cahuzac. Cela dépasse mes compétences de communicant.
De même que vous lui avez fait rencontrer M. Arfi, vous auriez pu lui suggérer une démarche en ce sens. Cela n'a pas été jusque là ?
Mme Untermaier fait allusion à la possibilité que Jérôme Cahuzac avait d'écrire à l'UBS pour lui demander, selon une rédaction soigneusement pesée certes, de confirmer que l'établissement et lui étaient en relation d'affaires et qu'il y détenait un ou plusieurs comptes. D'après ce que M. Moscovici nous a dit hier, cette démarche avait été évoquée. M. Cahuzac vous en a-t-il parlé ?
Vous avez parlé d'une demi-douzaine de rencontres avec Jérôme Cahuzac dans la période qui nous intéresse. À quel moment se sont-elles produites ?
Plutôt au début. Nous nous sommes vus le soir de la sortie du papier de Mediapart. Nous avons eu ensuite des échanges téléphoniques, puis, avec l'enquête, l'affaire est pour ainsi dire sortie du champ de la communication pure. D'un certain point de vue, la communication avait atteint son objectif : éviter que la condamnation médiatique ne précède la condamnation juridique. Trop souvent, des personnes attaquées médiatiquement se retrouvent condamnées médiatiquement alors même qu'elles seront peut-être plus tard blanchies par la justice.
J'ai eu aussi Jérôme Cahuzac au téléphone pour préparer son débat avec Jean-Luc Mélenchon et lui donner des éléments de sensibilité et de positionnement sur ces sujets. Après, cela s'est arrêté. Dès lors que nous avions le document du procureur de Paris, il était pour moi assez clair que l'affaire avait pris un autre tour et que la communication n'avait strictement plus aucun rôle à jouer.
Jusqu'à quand avez-vous été convaincu par l'affirmation de Jérôme Cahuzac selon laquelle il n'avait pas de compte en Suisse ?
Je me suis vraiment trompé de bonne foi. J'ai longtemps cru à son innocence et je n'étais pas convaincu par les affirmations de Mediapart : les éléments apportés posaient des questions mais aucun n'apportait de preuve ; certains – même s'ils étaient rapportés par des personnes interrogées par Mediapart et non affirmés par le média lui-même – étaient même matériellement inexacts. J'ai commencé à avoir beaucoup plus de doutes à partir du moment où le procureur de la République transmet le document. Pour qui sait lire les communiqués de presse comme nous apprenons à le faire, cette personne s'est forgée une conviction très forte, qui va certainement au-delà des éléments exprimés dans le communiqué. Le doute est alors devenu inquiétude.
Ne pensez-vous pas que vous avez participé à convaincre le monde des médias, voire le monde politique, de l'innocence de Jérôme Cahuzac ?
Je pense que Jérôme Cahuzac a réussi à convaincre beaucoup de monde de son innocence, y compris moi.
Je n'ai pas envie de le dire comme cela. En tout cas, nous sommes nombreux à avoir cru à l'innocence de Jérôme Cahuzac.
Le soir même de la déclaration de Mediapart, vous rencontrez Jérôme Cahuzac. Un mois après, le 8 janvier, lorsqu'il se déporte de son dossier au ministère, vous informe-t-il de cette décision ?
On a suffisamment communiqué autour de cette « muraille de Chine » pour qu'il puisse vous informer de la mesure !
Encore une fois, je ne suis pas entré dans les aspects techniques du dossier auprès de lui. Comme il vous l'a dit, je n'ai pas eu de rôle institutionnel. Donc je n'ai pas examiné avec lui ces détails.
Selon ce que nous a dit M. Moscovici hier, une réunion se tient le 16 janvier, après le Conseil des ministres. Quatre personnes y participent : le Président de la République, le Premier ministre, Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac.
Lors de la rédaction de la demande d'entraide administrative et fiscale aux autorités suisses, Jérôme Cahuzac est présent. Il semblerait que c'est lui qui élargit le champ de la demande d'investigation. En êtes-vous informé ?
Non. Dans la seule discussion, de cadre plus général, que nous avons à ce moment-là, je lui conseille seulement d'obtenir le plus vite possible la preuve la plus large possible qu'il n'a pas de compte en Suisse. Nous sommes dans cette situation un peu particulière où on demande à la personne que l'on accuse de faire la preuve de son innocence. En soi, cela interroge notre métier et, probablement, vous pose également question. Ce que je fais remarquer à Jérôme Cahuzac, c'est que dans ces conditions il n'a pas d'autre choix que d'obtenir la preuve la plus large et la plus indiscutable possible de son innocence et de l'absence d'un compte en Suisse. Encore une fois, je lui dis cela parce que je suis alors convaincu qu'il n'en a pas.
Je serai peut-être redondant mais il est important que notre commission fasse litière de certaines rumeurs.
Vous n'êtes pas un expert fiscal helvétique, c'est entendu, mais vous restez néanmoins un expert de la communication jouissant d'une certaine notoriété et d'une certaine expérience en la matière. Entre le 4 décembre et le 19 mars, vous n'avez pas eu d'éléments d'information et d'analyse provenant du monde médiatique ou de la communication vous laissant penser que finalement, comme beaucoup d'entre nous, vous étiez en train de vous faire berner ?
Pas d'éléments qui fussent des preuves. J'ai évidemment rencontré des personnes – journalistes ou autres – qui m'ont fait état de leur conviction que Jérôme Cahuzac avait un compte en Suisse. Je les ai entendues, d'autant que l'on ne pouvait pas exclure qu'elles aient raison. Mais ma conviction à ce moment-là est que personne n'a apporté de preuve et je crois la parole de Jérôme Cahuzac, dite avec force, sur son innocence.
C'est de toute façon la pire des choses à faire. Notre métier est un métier d'exercice de la vérité. Nous travaillons à construire des marques dans le monde entier. Comment construire la confiance sur le mensonge ? Cette problématique vaut aussi, de manière générale, pour les politiques. J'observe par parenthèse que les cultures sont différentes entre le monde de l'entreprise et le monde politique à ce sujet.
Quoi qu'il en soit, la culture et la discipline de l'agence Havas en matière de communication de crise pour l'ensemble de ses clients dans le monde, c'est d'être toujours dans la vérité.
Nous faisons du reste une différence entre la vérité et la transparence, qui est pour nous un faux ami car elle met tout au même niveau. Dire de quelqu'un qu'il est transparent n'est pas forcément un compliment !
En revanche, la culture de notre métier veut que tout ce qui est dit doit être vrai. C'est d'autant plus important que nous vivons dans une société qui a de la mémoire, que tout se sait et que tout s'entend.
Pour répondre précisément à votre question, si Jérôme Cahuzac m'avait dit qu'il avait un compte en Suisse, je lui aurais bien évidemment conseillé de démissionner et d'expliquer qu'il avait fait une connerie. Alors l'affaire n'aurait pas pris l'ampleur qu'elle a prise aujourd'hui.