La réunion

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L'audition débute à midi.

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Je remercie M. Yves Kaluzny, conseiller politique auprès de la mission de soutien aux secteurs stratégiques, au sein de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (ministère des affaires étrangères), et M. Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la direction générale de l'énergie et du climat (ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie) d'avoir accepté notre invitation. Vos regards croisés, messieurs, nous aideront à mieux cerner les fragilités et les forces d'AREVA et d'EDF, dont nous venons d'entendre les représentants.

Durant ces auditions, nous avons notamment évoqué la pression à la hausse qu'exerce la demande asiatique sur les cours de l'uranium, ainsi que la prise de position du Gouvernement demandant à AREVA de prendre en considération les intérêts du Niger dans les négociations en cours. L'argument que nous a opposé AREVA est d'ordre technique : si l'exploitation de l'uranium nigérien devient trop coûteuse, elle perd de son intérêt pour l'entreprise. Nous avons également discuté du rôle du Conseil de politique nucléaire, où la question de l'approvisionnement et celle des relations entre AREVA et EDF sont souvent traitées.

Nous attendons de vous que vous abordiez ces sujets sous un angle politique. Les contrats à long terme d'approvisionnement en uranium, généralement passés par des sociétés ayant un fort caractère national, font jouer les relations entre États et relèvent donc de la diplomatie et de la géopolitique.

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Yves Kaluzny et Charles-Antoine Louët prêtent successivement serment.)

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Yves Kaluzny, conseiller auprès de la mission de soutien aux secteurs stratégiques, direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, ministère des affaires étrangères

Je tiens à préciser que je ne suis pas conseiller politique, mais chargé de mission pour le secteur nucléaire.

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Yves Kaluzny, conseiller auprès de la mission de soutien aux secteurs stratégiques, direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, ministère des affaires étrangères

Je m'efforce d'apporter des éclairages techniques.

Lorsqu'on aborde la question de l'uranium, il faut avoir en tête la localisation des ressources et la répartition de la production par pays et par sociétés.

L'uranium est abondant sur la planète. Le « Livre rouge » publié par l'Agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE et par l'Agence internationale de l'énergie atomique recense plus de 5 millions de tonnes de réserves prouvées et plus de 15 millions de tonnes de réserves estimées, sans tenir compte du minerai contenu dans les phosphates ou dans l'eau de mer.

À s'en tenir aux tendances actuelles, ces réserves représentent respectivement 100 et 300 ans de production d'énergie électronucléaire. Par comparaison, les réserves prouvées de pétrole équivalent à 59 ans de production, celles de gaz à 56 ans et celles de charbon à 109 ans.

Pour ce qui est de la répartition sur la surface du globe, 44 % des ressources en uranium sont situées dans des pays faisant partie de l'OCDE, principalement l'Australie, le Canada et les États-Unis. Cette proportion est de 17 % pour le pétrole et de 8 % pour le gaz.

Le continent américain pèse pour un peu moins de 20 %, de même que l'Afrique – Niger, Namibie et Afrique du Sud. L'Asie centrale et la Russie disposent de 25 à 30 % des réserves et l'Australie de plus de 20 %. Les coûts de l'exploitation des ressources sont également évalués selon les pays producteurs.

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Je relève, dans le tableau que vous nous avez fourni, que ces coûts sont élevés au Niger.

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Yves Kaluzny, conseiller auprès de la mission de soutien aux secteurs stratégiques, direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, ministère des affaires étrangères

Le Niger dispose de 5 % des ressources mondiales. C'est loin d'être négligeable, mais on n'est pas obligé de passer par le Niger si l'on veut s'approvisionner en uranium…

Pour ce qui est maintenant des pays producteurs, c'est le Kazakhstan qui arrive en tête. Sa production a connu la plus forte croissance de ces cinq dernières années. Le Canada, pays qui exploite l'uranium de longue date, garde un niveau de production élevé. L'Australie également, même si elle limite les quantités de minerai extrait de son sol. Le Niger occupe le cinquième rang, avec un niveau non négligeable de production.

Les principales compagnies productrices sont, par ordre d'importance, la société kazakhe KazAtomProm, AREVA, le canadien CAMECO, le russe ARMZ Uranium One, puis les mineurs généralistes Rio Tinto et BHP Billiton.

Ce tour d'horizon montre que nous disposons d'uranium pour de nombreuses décennies et que la ressource est bien répartie entre les continents.

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Parmi ces entreprises, lesquelles sont liées aux États ?

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Yves Kaluzny, conseiller auprès de la mission de soutien aux secteurs stratégiques, direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, ministère des affaires étrangères

KazAtomProm est lié à l'État kazakh et ARMZ Uranium One à l'État russe par l'intermédiaire de son actionnaire principal RosAtom. En revanche, Rio Tinto et BHP Billiton sont des sociétés cotées en bourse avec un flottant important.

S'agissant de la sécurité de l'approvisionnement de la France en uranium, il faut d'abord souligner le rôle majeur d'AREVA et d'EDF.

L'entreprise EDF mène une politique de diversification multiple, puisqu'elle concerne à la fois les mines, les régions de provenance et les fournisseurs. Aujourd'hui, AREVA reste un fournisseur de référence pour EDF, mais sa part est limitée à 40 % pour des raisons de sécurité d'approvisionnement – le reste provenant d'une dizaine d'autres fournisseurs.

L'entreprise complète cette politique de diversification par la constitution d'un stock de sécurité. Ce stock d'uranium sous toutes les formes correspond à un peu plus de deux ans de besoin. En pratique, les électriciens européens disposent d'un peu plus de trois ans de stock en moyenne, afin d'avoir le temps de pallier une éventuelle rupture d'approvisionnement.

Quant à AREVA, sa politique consiste à maîtriser des ressources lui assurant sur ses livraisons une visibilité de plus de vingt ans. Cet objectif stratégique a été approuvé par le conseil de surveillance de l'entreprise.

À la fin de 2012, AREVA avait en portefeuille environ 200 000 tonnes de réserves prouvées d'uranium, 100 000 tonnes de réserves mesurées et 175 000 tonnes de ressources inférées. C'est à partir des deux derniers chiffres que l'on réalise des études supplémentaires permettant de quantifier l'uranium réellement présent dans les dépôts et de déterminer s'il est exploitable. Ces quantités seront alors requalifiées en « réserves prouvées » et entreront en compte dans la constitution de la visibilité à vingt ans que l'entreprise se donne pour objectif.

En tant que deuxième producteur mondial, AREVA recherche des gisements de fort volume et souhaite se placer comme un fournisseur de référence vis-à-vis de ses clients.

Parmi les mines les plus importantes, on peut citer le gisement de Cigar Lake, au Canada, dont les teneurs en uranium sont les plus fortes au monde, les mines du Kazakhstan, qui figurent parmi les plus rentables et dont les ressources potentielles sont importantes, et la Mongolie, où existent des perspectives de gisements de fort volume, mieux situés par rapport aux clients potentiels que les mines des zones arctiques.

Ce sont les organes de gouvernance d'AREVA et d'EDF qui assurent le premier contrôle sur les politiques de ces sociétés. Les conseils d'administration, conseils stratégiques ou conseils de surveillance examinent et approuvent régulièrement la politique minière de la première, la politique d'approvisionnement de la seconde.

La gestion des risques implique que l'on considère ceux-ci sous leurs différentes natures.

D'abord le risque minier : une mine n'est jamais à l'abri d'un incident d'exploitation conduisant à une interruption de la production. Il faut donc s'approvisionner à des mines différentes, ce qui ne signifie pas forcément auprès de producteurs différents : compte tenu des investissements nécessaires, il est courant que les producteurs s'associent en joint-venture (coentreprise) pour l'exploitation d'une mine donnée.

Le deuxième risque tient à l'environnement de la mine. À cet égard, la conclusion de partenariats locaux constitue une précaution primordiale.

Vient ensuite un risque global et géopolitique, plus difficile à appréhender en tant que tel. La parade réside dans la diversification géographique des approvisionnements, de manière à éviter qu'une région ne pèse de façon excessive.

Une stratégie robuste repose donc sur des réponses diversifiées : plusieurs mines et plusieurs fournisseurs dans plusieurs régions du monde. On doit l'assortir de la constitution de stocks stratégiques permettant de faire face à une interruption brutale de la fourniture.

Plus généralement, je rappelle que le réseau diplomatique apporte un soutien aux entreprises dans leurs relations avec les pays qui détiennent des mines d'uranium ou qui envisagent d'en ouvrir. En effet, comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, les interlocuteurs des entreprises françaises sont souvent des sociétés d'État et les questions d'exploitation minière sont traitées dans ces pays au plus haut niveau politique.

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Le président du directoire d'AREVA a indiqué qu'il avait fait réaliser, en accord avec les autorités du Niger, une étude indépendante sur les potentialités des mines de ce pays. Le ministère des affaires étrangères a-t-il la copie de ce document ?

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Yves Kaluzny, conseiller auprès de la mission de soutien aux secteurs stratégiques, direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, ministère des affaires étrangères

Vous faites allusion au rapport d'audit commandé conjointement par AREVA et l'État du Niger sur les coentreprises COMINAK et SOMAÏR. Ce document, que je n'ai pas en ma possession, devait établir un bilan technico-économique de la situation minière afin d'alimenter les négociations entre l'État nigérien et AREVA.

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Vous semblez parfois parler d'AREVA et d'EDF comme de sociétés privées complètement autonomes alors qu'elles sont très majoritairement détenues par l'État. Dès lors que l'État français intervient sur le plan diplomatique pour aider localement ces entreprises dont il est l'actionnaire principal, on pourrait s'attendre à ce qu'il dispose des informations nécessaires au suivi des négociations !

Qui plus est, le ministre délégué chargé du développement a pris hier dans l'hémicycle des positions claires à ce sujet, dans le droit fil de la rupture avec la « Françafrique » annoncée tant par le Président de la République que par le ministre des affaires étrangères. Sachant que les relations que ces pays amis et fragiles entretiennent avec les pays occidentaux peuvent se révéler compliquées, comment analysez-vous l'évolution de nos liens avec le Niger ?

Nos interlocuteurs d'EDF et d'AREVA nous ont déjà donné des indications sur la sécurisation et la diversification de l'approvisionnement. Comment ces questions s'articulent-elles avec la politique étrangère de la France ?

En Australie, l'exigence croissante d'un respect des populations autochtones a contraint AREVA à abandonner un projet. Le ministère des affaires étrangères a-t-il une idée de la façon dont on pourrait relier la problématique de l'accès aux ressources et ces attentes en matière de respect des populations, mais aussi de respect des normes environnementales ?

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Vous avez évoqué les risques géopolitiques qui pourraient peser sur l'accès aux ressources d'uranium. Confirmez-vous néanmoins que, au-delà des 130 ans de réserves estimées, on pourrait aller jusqu'à 5 000 ans si la recherche conduisait au saut technologique attendu ?

Au moment où s'engage le débat sur la transition énergétique, il est important de montrer que, à la différence de ce qui se passe pour le pétrole et le gaz, la ressource exigée par nos centrales nucléaires est quasiment inépuisable si la France continue d'investir dans la recherche, non pas sur l'EPR qui est une technologie d'attente, mais sur la quatrième et sur la cinquième génération.

J'aimerais donc que l'on retire du débat la question de la rareté de la ressource. Certes, la quasi-absence d'uranium en France est en soi un handicap mais, de ce point de vue aussi, les risques me semblent moindres que pour le pétrole ou pour le gaz.

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Quel intérêt présente la production nucléaire au regard des enjeux de maîtrise des importations de matières premières et, plus globalement, de maîtrise de la ressource ?

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L'État donne-t-il à des sociétés comme AREVA des consignes concernant la sécurité de nos concitoyens à l'étranger, notamment face au risque de prise d'otages ? Existe-t-il des échanges entre les entreprises et les services de renseignement ?

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Yves Kaluzny, conseiller auprès de la mission de soutien aux secteurs stratégiques, direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, ministère des affaires étrangères

Bien que je ne sois pas expert en la matière, je sais qu'il existe des consignes et des coopérations avec les États pour assurer la sécurité des sites, notamment dans le Sahel.

Vous avez tous entendu les déclarations du ministre Pascal Canfin sur l'état de la négociation avec le Niger. Le problème qui se pose est de trouver un juste équilibre entre la rentabilité commerciale des sociétés impliquées et l'aspiration de l'État du Niger à recueillir les bénéfices de l'extraction de l'uranium. Le ministère des affaires étrangères s'est efforcé de jouer le rôle de facilitateur entre la société AREVA et l'État du Niger en proposant la désignation d'un médiateur, M. François Bujon de l'Estang, pour jouer les bons offices entre les deux parties et globaliser les différents aspects de la négociation. Mais il n'appartenait pas au ministère de s'immiscer dans le détail d'une négociation commerciale que seule AREVA doit mener.

Les exigences croissantes en matière de respect des populations locales et de l'environnement s'imposent à nous indépendamment de toute relation d'État à État. Ce ne sont évidemment pas ces relations qui pourraient amener l'Australie à passer outre la volonté de ses populations et d'ouvrir contre leur gré une mine d'uranium !

Un projet minier, quel qu'il soit, est toujours complexe. Une mine a toujours des effets sur l'environnement. Il convient de les réduire au minimum et cela impose des discussions avec les populations locales, qui doivent trouver leur intérêt dans le projet.

Ainsi, après la récente signature par AREVA et une société mongole d'un accord créant une société minière pour mettre en exploitation des gisements prometteurs, les premières actions consisteront à expliquer aux populations ce que sont réellement les implantations minières et à insérer cette activité dans le tissu économique local. Le ministère des affaires étrangères et son réseau diplomatique sont présents pour aider nos entreprises dans leurs relations avec les États et pour leur suggérer telle ou telle action ; ils ne peuvent certainement pas imposer à la Mongolie d'accepter une activité minière d'AREVA si l'implantation locale ne peut être réalisée correctement. L'exemple du Canada est à cet égard emblématique, puisque les principales mines d'uranium se trouvent au nord du pays et qu'il faut composer avec les exigences des populations autochtones.

L'estimation des réserves et de l'horizon que nous avons devant nous, monsieur Gorges, dépend beaucoup des technologies que nous saurons mettre en oeuvre. Avec les réacteurs actuellement en fonctionnement et ceux de la troisième génération, l'horizon est en effet de l'ordre du siècle. Dans l'hypothèse d'un passage à la quatrième génération – réacteurs à neutrons rapides –, cet horizon recule à environ 2 500 ans pour les ressources connues et 8 500 ans pour les ressources estimées. En d'autres termes, si l'on arrive à transformer les perspectives de quatrième génération en technologie fiable, la barrière de la ressource sera levée. Cependant, même si nous n'arrivons pas tout de suite à ce niveau de développement, nous n'avons pas le couteau sous la gorge pour ce qui est de l'approvisionnement.

La production électronucléaire actuelle, monsieur Sordi, permet d'éviter l'importation de combustibles fossiles. Son arrêt total devrait être compensé, dans un premier temps, par des importations de gaz et de charbon, ainsi que par des investissements dans les infrastructures correspondantes. Mais le représentant du ministère en charge de l'énergie sera plus à même que moi de parler du bilan énergétique de la France.

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Je donne donc la parole à M. Charles-Antoine Louët, à qui incombe la tâche difficile de nous dire à quelle heure surgira la quatrième génération. (Sourires.)

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Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la Direction générale de l'énergie et du climat, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Le principe de la quatrième génération est de valoriser l'ensemble des isotopes de l'uranium, donc de faire un usage beaucoup plus complet du minerai. Gardons-nous toutefois de présentations trop schématiques. Comme l'a dit M. Kaluzny, cette technologie est en développement. Des réacteurs à neutrons rapides ont fonctionné mais il n'y a pas aujourd'hui de déploiement à l'échelle industrielle. Or cette technologie aura nécessairement un coût et obéira à des équilibres économiques différents de ceux que nous connaissons. Comme pour les hydrocarbures, la durée des réserves est fonction du prix que l'on est disposé à consacrer à l'extraction de la ressource. Si les prix de l'énergie augmentent, peut-être sera-t-on prêt à payer l'uranium beaucoup plus cher, ce qui conduira à une réévaluation des réserves à technologie inchangée – avant qu'un basculement ne se produise en faveur de la quatrième génération. Je ne crois pas qu'on puisse opposer les deux technologies de ce point de vue. Leurs équilibres, je le répète, sont différents. L'avenir nous dira comment l'une se développera par rapport à l'autre.

Sur le plan purement physique, néanmoins, un parc exclusivement composé de réacteurs à neutrons rapides supprime le besoin de mines. Les chiffres que vous évoquez, monsieur Gorges, proviennent d'une étude du CEA réalisée à partir d'une hypothèse très schématique : si le parc français était uniquement composé de réacteurs de quatrième génération, nous aurions 5 000 ans devant nous avec les seules réserves d'uranium appauvri présentes sur le territoire national.

Pour en venir à une présentation plus générale, l'approvisionnement en uranium est un enjeu important de la sécurité énergétique de la France. Au même titre que l'approvisionnement en hydrocarbures, il est régi par la loi de 1974 relative aux économies d'énergie, laquelle soumet EDF, opérateur unique de nos centrales nucléaires, à des obligations en la matière, ce qui n'est pas le cas pour AREVA.

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Ce sont les représentants de l'État au sein du conseil d'administration qui s'assurent du respect de ces obligations ?

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Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la Direction générale de l'énergie et du climat, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Elles n'ont un caractère régalien que sur un point, la constitution d'un stock stratégique correspondant à deux ans de consommation du parc nucléaire. EDF fait une déclaration annuelle qui est vérifiée.

La constitution d'un stock fait partie, à côté de la diversification des fournisseurs et des pays d'origine, de la panoplie de mesures que les entreprises peuvent prendre pour assurer la sécurité de leur approvisionnement. Mais pour EDF et pour elle seule, il s'agit d'une contrainte juridique.

Il vous a été montré ce matin que les réserves et les mines d'uranium étaient plutôt bien réparties dans le monde et que les risques géopolitiques sont de tout autre nature que ceux qui pèsent sur l'approvisionnement en hydrocarbures, d'autant que la part du minerai d'uranium dans le coût de la production d'électricité est très faible. Il faut y ajouter une considération d'ordre cinétique : compte tenu de la taille des stocks que l'on est en mesure de constituer, une rupture de l'approvisionnement en gaz ou en pétrole provoque immédiatement l'entrée en gestion de crise ; le processus serait beaucoup plus lent s'agissant de l'uranium, en raison du stock stratégique mais aussi des « en-cours » de fabrication. Il n'y a pas de pipeline ou de point d'entrée pour l'uranium.

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Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la Direction générale de l'énergie et du climat, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

L'ordre de grandeur n'est pas le même, en effet. C'est ce qui explique que notre suivi opérationnel et géopolitique soit moins rapproché. Sur le plan juridique, nous nous en tenons à l'obligation concernant les stocks. Cette disposition permet quand même de voir venir : dans l'hypothèse d'une rupture brutale de 25 % de nos importations, nous pourrions tenir huit ans, ce qui laisse le temps de trouver d'autres sources d'approvisionnement.

Cela dit, l'État exerce un suivi important de l'action d'EDF et d'AREVA dans le cadre des organes de gouvernance de ces deux entreprises. Nous nous assurons qu'EDF a bien une politique d'approvisionnement à long terme et son représentant vous a sans doute expliqué que la couverture à long terme de ses contrats d'approvisionnement lui a permis de maîtriser les soubresauts récents du marché à court terme de l'uranium. Nous vérifions aussi la diversification des origines géographiques et des fournisseurs, dont dépend la sécurité d'approvisionnement d'EDF – même si le rôle d'AREVA doit rester majeur.

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Dans le parcours professionnel des fonctionnaires de votre service, quel degré d'étanchéité existe-t-il avec les opérateurs que sont AREVA et EDF ?

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Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la Direction générale de l'énergie et du climat, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

L'éthique et l'intégrité des fonctionnaires ne sauraient être mises en cause, quelle que soit l'évolution de leur carrière. Du reste, personne dans mon service n'a travaillé chez EDF ou chez AREVA. Et ceux qui voudraient travailler ensuite dans ce secteur sont soumis à des règles déontologiques strictes. Il me serait impossible de rejoindre demain ces entreprises !

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Pourtant, un de mes camarades de promotion est conseiller politique du directeur général de l'énergie et du climat alors qu'il a travaillé à Fessenheim.

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Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la Direction générale de l'énergie et du climat, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Je parlais de ma sous-direction.

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À ma connaissance, le précédent directeur général avait aussi travaillé dans le secteur nucléaire.

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Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la Direction générale de l'énergie et du climat, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Oui, mais pour l'administration.

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Au vu des recherches en cours, la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) a-t-elle une évaluation de ce que pourrait être le coût du mégawattheure produit par des centrales de quatrième génération, comparé par exemple à celui du mégawattheure éolien ? Si l'on nous affirme que la technologie de quatrième génération nous ménage une ressource en uranium pour à peu près 5 000 ans, que dire des réserves de vent, de soleil, d'énergie hydraulique marine, etc. ? Puisque certains semblent fantasmer sur la prolongation de ressources épuisables, je rappelle qu'il existe des ressources inépuisables qui sont encore plus intéressantes, et à des coûts, semble-t-il, largement inférieurs à ceux que permettrait une exploitation industrielle des réacteurs de quatrième génération. Ces aspects ne sont pas négligeables pour une commission d'enquête consacrée aux coûts de l'énergie.

Lors de l'audition du représentant d'EDF, j'ai été étonné d'apprendre que près de 60 % des activités de fabrication du combustible – conversion, enrichissement… – se font à l'étranger, alors même qu'AREVA a les capacités pour le faire en France. La DGEC exerce-t-elle un suivi à ce sujet ? Existe-t-il une politique au niveau national, ou, à défaut, une réflexion sur le fait qu'un électricien national, très largement détenu par l'État, recourt à l'étranger pour se procurer ces services ?

Enfin, quelle est la vision de la DGEC concernant les deux filières d'approvisionnement des réacteurs, celle qui consiste à enrichir de l'uranium naturel et celle qui consiste à fabriquer du MOX ? Les services de l'État ont-ils évalué leur rentabilité respective ?

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Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la Direction générale de l'énergie et du climat, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Pour ce qui est de la quatrième génération, le développement industriel d'une technologie plutôt que d'une autre est affaire de coût. En l'état actuel des études, il serait envisageable – si l'on décide un jour de le faire – de déployer des réacteurs de quatrième génération dans les années 2040 ou 2050. À de tels horizons, ce sont des objectifs de coûts qui sont fixés, dans l'idée que ces coûts seront en concurrence avec ceux de l'éolien, de l'EPR, du gaz, etc. L'ordre de grandeur est donc d'une centaine d'euros le mégawattheure. Toutefois, il n'existe pas aujourd'hui de concept industriel permettant d'annoncer un coût précis. En dernier ressort, si les études montrent qu'il ne faut pas passer à la phase industrielle, il faudra se conformer à la rationalité économique et renoncer !

Quant à la fabrication du combustible à l'étranger – mais cela vaut aussi pour la conversion et pour l'enrichissement –, elle résulte d'un mouvement que l'on observe depuis les années 2000. Alors qu'AREVA était le fournisseur quasi exclusif d'EDF, l'électricien a désormais un portefeuille de fournisseurs beaucoup plus diversifié. Mais la réciproque est vraie : le portefeuille de clients d'AREVA s'est également diversifié. L'État, bien entendu, s'assure que les usines de cette entreprise trouvent des débouchés et observe le taux de diversification d'EDF. S'il considère que ce taux descend au point de mettre en péril les bases industrielles françaises, il peut demander un réexamen. L'enjeu n'est pas de contraindre l'électricien national à commander à AREVA, mais de disposer d'un outil industriel performant qui puisse vendre aussi bien à EDF qu'à d'autres électriciens. Lorsque des opérations importantes d'investissement et de rénovation sont nécessaires dans notre pays et que d'autres pays choisissent de ne pas réinvestir, nous devons alors pouvoir demander à EDF de participer à la couverture des surcoûts.

J'en viens à votre dernière question. Le traitement-recyclage qui permet de fabriquer le MOX est prescrit par la loi française – en l'occurrence par le code de l'environnement. C'est donc avant tout pour des raisons écologiques qu'il est opéré en France, l'objectif étant de réduire la consommation des matières premières et la quantité de déchets. Mais il convient aussi de prendre en compte les aspects économiques. Un recyclage qui serait antiéconomique est à éviter. En l'espèce, les coûts paraissent assez équilibrés entre la filière MOX et la filière uranium. Les modèles économiques étant différents, la variation de certaines données – par exemple les cours de l'uranium – pourra donner l'avantage à l'une ou à l'autre…

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Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la Direction générale de l'énergie et du climat, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Il faut prendre en compte les différents segments de la valeur. Dans le cas des hydrocarbures, une grande partie de cette valeur réside dans les molécules. La valeur ajoutée provient donc largement de l'étranger, où se trouvent de ce fait le plus grand nombre d'emplois. S'agissant de l'uranium, l'extraction se fait également à l'étranger. La filière MOX en revanche, ne produit des emplois qu'en France, puisque c'est à l'usine de La Hague que s'effectue le recyclage.

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En résumé, selon vous, cette filière est écologique et créatrice d'emplois.

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Nous demanderons à l'Autorité de sûreté nucléaire son avis sur la question !

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Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la Direction générale de l'énergie et du climat, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Le recyclage est écologique dans la mesure où le code de l'environnement précise bien qu'il s'agit de réduire la production de déchets…

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Beaucoup d'activités mentionnées par le code de l'environnement ne sont pas écologiques pour autant !

Disposez-vous d'études démontrant que les deux filières ont des coûts équivalents ?

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Charles-Antoine Louët, sous-directeur « Industrie nucléaire » à la Direction générale de l'énergie et du climat, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Oui. Je vous les adresserai.

L'audition s'achève à midi cinquante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du jeudi 6 février 2014 à 11 h 30

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. François Brottes, M. Claude de Ganay, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Sandrine Hurel, Mme Frédérique Massat, Mme Sylvie Pichot, M. Patrice Prat

Excusés. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Françoise Dubois