Commission des affaires étrangères

Réunion du 17 septembre 2014 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international

La séance est ouverte à dix-sept heures

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Je remerciele ministre des affaires étrangères de sa présence pour une audition consacrée à l'actualité internationale. Nous sommes convenus qu'il traiterait principalement de l'Irak, de l'Ukraine et de l'inquiétante épidémie de maladie à virus Ebola.

S'agissant de l'Irak, nous avons tous été frappés par la gravité particulière de vos propos, monsieur le ministre, et lors de votre dernière audition par notre commission, le 20 août, et en séance publique. Cette organisation terroriste transnationale qu'il est désormais convenu d'appeler par son acronyme arabe, Daech, afin de ne pas accréditer son projet d'État islamique, fait peser un danger mortel, et ô combien cruel, en Irak et dans l'ensemble de la région mais aussi, potentiellement, en Europe. Vous avez puissamment contribué à la prise de conscience et à la mobilisation au plan international. La France a été aux avant-postes de la lutte qui s'est engagée contre Daech et elle continue de se tenir à la pointe de l'initiative. Le Président de la République s'est rendu en Irak vendredi dernier ; puis la France a organisé, lundi dernier, une importante conférence internationale sur la paix et la sécurité en Irak, que le Président de la République a ouverte avec le président irakien, M. Fouad Massoum.

Quel bilan faites-vous de cette conférence de Paris, monsieur le ministre ? Dans quel climat les échanges se sont-ils déroulés ? Quels engagements ont été pris ? À deux jours de la réunion qui doit se tenir au Conseil de sécurité des Nations Unies, à la demande des États-Unis, sur la situation en Irak, quelle appréciation portez-vous sur la mobilisation internationale et sur son organisation ? Pourriez-vous préciser la contribution de la France ?

Nous avons noté que l'Iran n'avait pas participé à la conférence de Paris, et de hauts dirigeants iraniens auraient tenu des propos critiques à l'égard de la coalition internationale. Pensez-vous que les conditions d'une relation plus constructive avec l'Iran dans le dossier irakien et dans la lutte contre Daech pourraient être bientôt réunies ? Du point de vue de la France, quelles seraient ces conditions ?

Vous évoquerez certainement l'imbrication de la crise en Syrie et de la crise en Irak. La situation est très différente dans les deux pays, à la fois sur le terrain et au regard du droit international, mais Daech est présent des deux côtés de la frontière et le président Obama a déclaré ne pas exclure des frappes en Syrie. Pouvez-vous préciser la position de la France, dont nous avons noté qu'elle est beaucoup plus prudente ?

Nous attendons aussi de vous, monsieur le ministre, un point sur la situation en Ukraine. Ce conflit a déjà causé plus de 3 000 morts et le déplacement de plusieurs centaines de milliers de personnes. Le cessez-le-feu en oeuvre depuis dix jours seulement est apparemment l'objet de violations croissantes. Dans le même temps, le parlement ukrainien, la Rada, débat des lois sur l'amnistie et l'autonomie des régions orientales qui constituent le volet politique de l'accord conclu à Minsk entre Russes et Ukrainiens.

Les derniers jours ont aussi été marqués par la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine par le Parlement européen et la Rada, mais l'annonce tardive du report à fin 2015 de l'entrée en vigueur de son volet économique suscite des interrogations. S'agit-il d'une concession à la Russie ? S'agit-il d'une aide de l'Union européenne à l'Ukraine, puisque celle-ci continuera dans l'intervalle à bénéficier de tarifs douaniers réduits sur ses exportations en Europe sans devoir abaisser ou supprimer ses propres tarifs comme le prévoit l'accord d'association? Pourriez-vous faire le point sur les négociations engagées entre l'Union européenne, l'Ukraine et la Russie sur les questions économiques et énergétiques, dont le prix du gaz, sujet déterminant ?

Enfin, monsieur le ministre, vous nous parlerez de la maladie à virus Ebola qui frappe l'Afrique de l'ouest depuis plusieurs mois. Le bilan de l'épidémie est déjà très élevé et les risques de propagation de la contagion sont très inquiétants ; les conséquences seront très graves sur les plans sanitaire, économique et social. La Sierra Leone, le Liberia et la Guinée sont les trois pays les plus durement touchés ; d'autres, tels le Nigeria et le Sénégal, le sont dans une moindre mesure. Des voix s'élèvent qui appellent la communauté internationale à se mobiliser contre ce qui est déjà une tragédie. Les institutions internationales - la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l'Union européenne - débloquent des moyens importants sous l'égide de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). L'action des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France est en pointe dans les trois pays les plus touchés. Comment la France compte-t-elle se mobilier et mobiliser ses partenaires ?

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Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international

C'est pour moi un plaisir renouvelé d'être devant votre commission. Je traiterai pour commencer de l'Irak. Lorsque nous en avons parlé le 20 août, la crise avait franchi une nouvelle étape qui avait conduit la France à prendre plusieurs initiatives. Je m'étais ainsi rendu à Erbil le 10 août, avant que se tienne, le 15 août, la réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne.

Qu'est-il advenu depuis lors ? Vendredi dernier, j'ai accompagné le Président de la République à Bagdad, puis à Erbil. À Bagdad, nous avons rencontré le président irakien ainsi que le nouveau président, sunnite, du Parlement, et le premier ministre, M. Haïdar al-Abadi, un chiite. Détail qui en dit long : au déjeuner auquel nous a conviés le président Fouad Massoum, toutes les composantes de la société irakienne étaient représentées. Le nouveau gouvernement était presque entièrement constitué, seuls les postes de ministre de la défense et de ministre de l'intérieur, que le premier ministre occupe à titre intérimaire, restant à pourvoir. Le parlement irakien n'ayant pas avalisé les nominations des deux personnalités que le premier ministre lui a proposées hier, il devra remettre l'ouvrage sur le métier. M. Haïdar al-Abadi est un homme de valeur ; il a vécu à l'étranger et il est tourné vers le concret. Il a expressément sollicité que nous l'aidions dans la lutte contre Daech par des frappes aériennes.

À Erbil, la population a manifesté une grande reconnaissance à la France. L'accord conclu entre les Kurdes et le gouvernement irakien comporte une partie financière et une partie institutionnelle ; l'un des reproches faits à M. al-Maliki par les Kurdes était qu'il ne les laissait disposer ni des milliards d'euros qui devraient leur revenir ni de l'autonomie institutionnelle qu'ils appellent de leurs voeux. Nous nous sommes à nouveau rendus dans les camps de réfugiés. Mme Valérie Amos, responsable des opérations humanitaires pour l'Organisation des Nations unies (ONU) en Irak, estime à 1,8 millions le nombre des personnes déplacées. Elles vivent dans des conditions très sommaires, qui s'aggraveront encore lorsque, sous peu, la température baissera. Cet afflux considérable de réfugiés crée des difficultés de toutes sortes ; ainsi, la rentrée des classes ne peut se faire, ce qui irrite les familles kurdes.

Pour ce qui est de l'accueil des réfugiés, l'attitude de la France, que je rappellerai en quelques mots, m'a semblé mieux comprise. Il ne saurait être question pour nous d'accueillir tous les membres des minorités irakiennes ; outre que cela est impossible, ce serait une victoire pour les terroristes. Nous entendons donc leur apporter une aide sur place, mais il existe des cas extrêmes que nous ne pouvons ignorer, si bien que nous avons décidé d'accueillir, à titre provisoire je l'espère, les réfugiés qui ont des liens avec la France. Cela se fera à Paris, Lyon, Marseille et Sarcelles, toutes villes qui comptent des communautés irakiennes importantes. Quelques dizaines de réfugiés sont déjà présents sur notre sol et une centaine d'autres suivra. Ce nombre est sans commune mesure avec la masse innombrable des personnes déplacées en Irak mais cette attitude ouverte et responsable correspond à ce que la France peut et doit faire. Elle est comprise par les autorités irakiennes et les responsables des minorités et j'ai ressenti à ce sujet une pression moindre que lors de ma visite à Erbil en août.

La conférence internationale sur la sécurité en Irak que nous avons organisée avec les autorités irakiennes s'est tenue lundi 15 septembre à Paris. Elle a été ouverte par le Président de la République et par le président Fouad Massoum. Toutes nos invitations ont reçu une réponse positive. Étaient représentés les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité, de nombreux pays arabes, l'ONU, l'Union européenne, la Ligue arabe et certains pays qui, telle la Norvège, font des efforts particuliers pour parvenir à une solution. En tout, vingt-neuf participants étaient réunis.

Au cours de la réunion, qui s'est très bien passée, des nuances se sont exprimées mais l'unité s'est faite sur plusieurs points importants, que j'ai brièvement évoqués devant vous tout à l'heure, en séance publique. L'entente est d'abord apparue sur la nécessité absolue de combattre Daech, qui menace toute la région et, au-delà, nous tous, puisque son idéologie binaire est limpide : ou vous êtes avec nous, ou l'on vous passe par les armes. Il était très frappant de constater, au fil des interventions, que chacun se sent menacé.

L'accord s'est aussi fait pour dire que si une aide extérieure est indispensable, le combat, sous peine d'être voué à l'échec, doit être mené d'abord par les populations locales.

La même unité a prévalu pour souligner que si la dimension militaire de cette lutte est essentielle, l'efficacité commande de la compléter par un volet financier. Une conférence aura lieu à Bahreïn à ce sujet. Les terroristes ont malheureusement mis main basse sur 500 millions de dollars à Mossoul mais ce pactole finira par s'épuiser. Cependant, ils continuent de vivre des produits de la vente du pétrole – ce qui signifie que quelqu'un le leur achète – et de « dons ». Il faut donc couper les circuits financiers qui les alimentent.

On s'est encore accordé, pays musulmans en tête, sur un quatrième point : le combat contre Daech ne peut être conçu uniquement sur une base sécuritaire, il doit être mené aussi sur le plan idéologique.

Enfin, une solidarité effective avec la population irakienne, par de l'argent et des vivres, doit se manifester. La France fait beaucoup mais elle ne peut agir seule. L'Union européenne et l'ONU doivent se mobiliser ; ne pas le faire, ce serait faillir à un devoir mais aussi laisser le champ libre à Daech, qui se donne une dimension sociale.

Pour autant, des nuances demeurent. J'ai pu les apprécier au cours des précieuses rencontres informelles dont la Conférence a permis la tenue. Le degré d'engagement des pays diffère, et j'ai aussi noté que des différences d'attitude persistent au sein de la communauté sunnite.

La Turquie est un cas en soi. Son concours est essentiel.

Que va-t-il se passer maintenant ? Mon collègue ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, était hier à Abou Dhabi, d'où nos avions ont décollé pour des missions de survol du nord du territoire irakien. Sur le plan diplomatique, plusieurs rencontres sont prévues. Ainsi, je me rendrai vendredi à une réunion du Conseil de sécurité en formation ouverte – c'est-à-dire avec des invités - consacrée à l'Irak. L'ordre du jour du Conseil de sécurité, fixé par les États-Unis qui le président actuellement, prévoit une autre réunion la semaine prochaine, consacrée cette fois aux moyens d'empêcher des combattants étrangers de rejoindre les rangs de Daech. L'assemblée générale des Nations Unies qui va s'ouvrir traitera également de la situation en Irak.

Enfin, le président de la République, chef des armées, sera certainement interrogé au sujet de l'Irak lors de la conférence de presse prévue demain et dira ses intentions. La France a déjà livré des armes, des médicaments et des vivres, et elle accueille des réfugiés. Il revient au président de la République de dire si nous irons plus loin, et la consultation du Parlement dépendra des décisions qu'il annoncera. Contrairement à ce qu'a avancé récemment un ancien haut dirigeant français, la situation objective n'est pas la même que celle qui prévalait du temps de Saddam Hussein. Il y a, me semble-t-il, une menue différence entre aller combattre une organisation terroriste réelle à la demande d'un gouvernement réel et aller combattre un gouvernement au motif de détruire quelque chose qui n'existe pas.

Nous n'étions pas hostiles à la présence de l'Iran à la conférence de Paris et nous le lui avons fait savoir, mais nous ne pouvions pas l'inviter si le consensus ne se faisait pas à ce sujet. Nous souhaitions inviter l'Iran parce que l'on ne peut faire l'impasse sur la géographie et parce que ce pays exerce une très forte influence sur la communauté chiite ; or, le Premier ministre irakien est lui-même chiite. Mais l'invitation n'ayant pas été jugée possible par plusieurs participants, elle n'a pas été lancée.

Comment combattre efficacement Daech sans rien entreprendre en Syrie ? Les hommes de Daech y sont plus nombreux qu'en Irak, et si l'entité terroriste est attaquée dans ce pays, elle se repliera en Syrie où elle commettra d'autres exactions. Cela étant, la situation n'est pas la même en Irak et en Syrie. L'Irak nous demande d'intervenir. En Syrie, l'action contre Daech passe par une aide accrue à l'opposition modérée.

J'en viens à l'Ukraine, dont je me suis longuement entretenu lundi avec mon homologue russe, Sergueï Lavrov. Sur le terrain, le cessez-le-feu est modérément respecté, mais l'important est qu'aussi bien les Ukrainiens que les Russes disent qu'il doit l'être. Sur le plan diplomatique, le protocole de Minsk, signé sous l'égide de l'OSCE et à l'élaboration duquel nous avons prêté la main, règle les questions dans le temps en fixant la date d'élections dans les régions de Donetsk et de Lougansk et en traitant du respect des frontières. Nous tenons beaucoup à ce que cet accord soit appliqué. Je l'ai dit, pour ce qui est du cessez-le-feu proprement dit, des coups de canif à l'accord ont déjà eu lieu. L'OSCE s'attache à remplir son rôle ; la France et l'Allemagne ont proposé de lui fournir des drones pour surveiller la frontière.

L'Ukraine a d'autre part ratifié l'accord d'association avec l'Union européenne. Son volet politique est d'application immédiate ; le volet économique entrera en vigueur le 31 décembre 2015 au plus tard, de nombreuses questions techniques n'ayant pas été réglées.

Il est préoccupant qu'entre-temps la situation politique se soit modifiée en Ukraine. Le Premier ministre Arseni Iatseniouk comme Mme Ioulia Timochenko ont refusé l'alliance que leur proposait le président Porochenko, adoptant une ligne plus dure que la sienne, en appelant par exemple à l'adhésion de l'Ukraine à l'Alliance atlantique. À la veille des élections législatives prévues le 26 octobre, des considérations de politique intérieure peuvent expliquer ces prises de position, mais elles compliquent encore la tâche de M. Porochenko, qui s'efforce de maintenir des relations équilibrées et avec la Russie et avec l'Union européenne. On se félicitera donc qu'il se soit trouvé une majorité à la Rada pour adopter la loi portant statut spécial pour certains districts des régions de Lougansk et de Donetsk ; cela va dans le sens du protocole de Minsk. Je ne prétends pas que le cours des événements sera facile, mais je pense que, sauf dérapage, on ira ainsi, cahin-caha, jusqu'aux élections du 26 octobre. Nous avons fait savoir que nous étions disposés à poursuivre, si cela est nécessaire, les discussions engagées entre la chancelière Angela Merkel et les présidents Hollande, Porochenko et Poutine lors des célébrations du 70e anniversaire du Débarquement en Normandie.

Mme Annick Girardin s'est courageusement rendue en Guinée et au Sénégal pour faire le point sur la propagation de la maladie à virus Ebola. Les chiffres relatifs à la contagion sont disparates mais tous extrêmement inquiétants. Le président Obama a décidé l'envoi de 3 000 soldats pour aider à combattre cette épidémie qui doit être prise très au sérieux. Nous sommes en première ligne, comme nous le devons : outre que les ONG font, sur place, un travail remarquable, nous avons envoyé du personnel soignant et des chercheurs, demandé à l'Institut Pasteur d'intervenir et prévu des places dans les hôpitaux pour nos ressortissants éventuellement infectés, ainsi qu'un dispositif spécifique de rapatriement. Parce que la lutte contre la fièvre Ebola suppose des fonds, nous avons mobilisé l'Agence française de développement. Nous avons aussi demandé à nos amis européens de faire ce qu'ils doivent. Mme Margaret Chan, directrice générale de l'OMS, juge que la rapidité de la propagation de l'épidémie dépend des systèmes de santé des pays infectés ; étant donné la faiblesse de ceux des pays principalement touchés, la maladie sera difficilement contenue et l'on ne peut écarter l'hypothèse que les États qui les jouxtent soient à leur tour contaminés ; cela aurait des conséquences très graves. La mobilisation doit donc être totale. Lors de sa prochaine réunion, jeudi, le Conseil de sécurité se saisira de la question, comme le fera l'assemblée générale des Nations unies. La France sera au premier rang dans cette lutte qui concerne nos amis africains et nous-mêmes.

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Monsieur le ministre, je vous remercie. Avant de donner la parole aux députés qui souhaitent vous poser des questions, je salue la présence parmi nous pour la dernière fois de notre collègue Thérèse Guilbert, suppléante de M. Frédéric Cuvillier.

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Il ne faudrait pas que l'épidémie de fièvre hémorragique soit à l'origine d'une psychose telle que des grandes réunions prévues en Afrique, dont le prochain Sommet de la francophonie, qui doit se tenir à Dakar, en viennent à être annulées. Mais l'on n'a pas le sentiment que la lutte contre la contagion par le virus Ebola dans les pays concernés soit suffisamment coordonnée pour être efficace ; qu'en est-il ? La France avait d'autre part proposé que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies s'entendent pour renoncer à exercer leur droit de veto afin de ne pas faire obstacle à l'adoption de résolutions autorisant des interventions militaires à visées humanitaires ; la question sera-t-elle à nouveau abordée lors des réunions à venir ?

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Je me félicite de la présence française en Irak et des visites que le Président de la République et vous-même y avez fait. Certains analystes estiment que des frappes aériennes ne suffiront pas à régler la question et qu'il faudra aussi des troupes au sol ; qu'en sera-t-il ? D'autre part, combien d'otages sont détenus en Irak ?

Votre vision de la situation en Ukraine m'a semblé quelque peu optimiste, et les prises de position de M. Iatseniouk et de Mme Timochenko, pour attendues qu'elles puissent être, ne risquent-elles pas de rendre difficiles les élections législatives prévues fin octobre ?

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La coalition peut certes intervenir en Irak sur le fondement de l'article 51 de la Charte des Nations unies, mais l'opération sera-t-elle assise aussi sur un mandat explicite du Conseil de sécurité ? Mon groupe politique aurait souhaité l'organisation d'un débat au Parlement sur cette nouvelle opération militaire de la France. Après l'Afghanistan, la Libye, le Mali, la Centrafrique, maintenant l'Irak. Outre que cela fait beaucoup, que se passera-t-il ensuite ? L'intervention en Libye a créé le chaos et la destruction. En Irak, les États-Unis ont une responsabilité écrasante dans l'évolution de la situation. En bref, une intervention militaire, se soldant par une victoire précaire, ne suffira pas à régler la question. Comment la communauté internationale gagnera-t-elle la bataille des valeurs ? Quelle position la Chine et la Russie, présentes à la conférence de Paris, ont-elles décidé de prendre ? L'un des objectifs de cette guerre est-il d'éliminer M. Bachar al-Assad ?

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Le ministre de la défense a déclaré que la France souhaite que se manifeste, lors de l'assemblée générale des Nations unies une « mobilisation globale » pour contrer la menace terroriste en Libye. Que faut-il entendre par cette formule absconse ?

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Le ministre des affaires étrangères égyptien a déclaré ne pas voir d'objection à une intervention visant à éliminer Daech, mais il a ajouté que si l'on n'intervient pas aussi contre les barbares qui sévissent en Somalie, contre Boko Haram et contre les groupes terroristes qui exercent leurs talents au sud de la Libye, la question ne sera pas réglée ; qu'en pensez-vous ?

Les frappes aériennes américaines ont ciblé un pick-up dont cinq occupants ont été tués, et le seul rescapé a révélé aux Kurdes que parmi les morts figuraient, entre autres, un Tchétchène et un Turc ; quel est le degré d'internationalisation de Daech ? Enfin, comment s'articule la conférence de Paris, à laquelle ont participé les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, et une démarche d'arbitrage international de l'ONU ?

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Vous considérez que le protocole de Minsk et la signature de l'accord d'association avec l'Union européenne ont ouvert une période un peu moins inquiétante pour l'Ukraine. Mais n'est-ce pas là une étape que M. Poutine, dans son ambition impérialiste, considérerait comme nécessaire avant de reprendre sa marche vers le rétablissement d'une autre Russie que celle d'aujourd'hui ? La détente relative actuellement constatée permettra-t-elle de réduire les sanctions imposées à la Russie ? Celles qui ont déjà été appliquées sont-elles suffisantes pour faire réfléchir les Russes, qui répondent par un embargo sur le gaz, les fruits et les légumes ?

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Nous sommes directement concernés par les agissements de Daech et nous devons employer tous les moyens pour le combattre. Je me félicite de votre décision de participer à la coalition internationale prête à intervenir en Irak par des frappes aériennes, évidemment insuffisantes mais nécessaires ; j'étais de ceux qui vous y encourageaient. Je pense que vous n'avez aucune intention d'envoyer des troupes au sol et j'espère que nous ne le ferons pas. Si le soutien de l'Iran au régime de Bachar al-Assad contre les sunnites de Syrie est connu, son rôle en Irak est obscur. J'ai le sentiment que l'Iran ne commencera à bouger que si les sunnites atteignent Bagdad et surtout s'ils représentent une menace pour le Sud chiite de l'Irak ; avez-vous des informations sur le jeu de l'Iran, dont le poids régional est déterminant ?

Les 2 000 hommes de la force Sangaris resteront-ils en Centrafrique après que la MINUSCA sera entièrement déployée ? Aujourd'hui, la RCA est, de fait, coupée en deux ; ne faut-il pas se satisfaire de cette partition implicite ?

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Ne peut-on craindre que la France soit amenée à dépêcher des troupes au sol en Irak si l'engagement aérien apparaît insuffisant ?

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Vous avez parlé des « nuances » qui se sont exprimées lors de la conférence de Paris mais vous n'avez fait mention ni des ambiguïtés ni des doubles jeux. Ainsi la Turquie a-t-elle récemment envoyé des troupes combattre Bachar al-Assad dans d'autres rangs que ceux des opposants modérés. De même, il est très difficile de déterminer qui finance les groupes terroristes ; dans ce contexte, peut-on espérer que les vivres leur seront coupés ? Dans un autre domaine, en quoi l'envoi de 3 000 soldats américains peut-il aider à contenir une épidémie ? Enfin, selon moi, la validation juridique de l'intervention de la coalition internationale en Irak est acquise par le vote à l'unanimité, le 15 août dernier, de la résolution 2170 du Conseil de sécurité.

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La parole est maintenant à M. Thierry Mariani, puis à M. Jean-Paul Bacquet, qui reviennent tous deux d'un voyage en Russie.

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Je commencerai, monsieur le ministre, par vous poser une question au nom de mon collègue Jacques Myard, contraint de s'absenter : qu'en est-il du droit de suite des États-Unis en Irak et en Syrie ?

En vertu de quelle logique une quatrième vague de sanctions a-t-elle été imposée à la Russie 24 heures après la signature du protocole de Minsk – un protocole que vous avez jugé « excellent », monsieur le ministre ? Alors que les entreprises américaines en Russie poursuivent sans ciller de gigantesques projets - General Electric à Irkoutsk, Exxon ses projets de forages en mer de Kara - les entreprises françaises, traumatisées par « l'effet BNP » et la crainte de mesures de rétorsion américaines, préfèrent se tenir à l'écart. De plus, les Russes jugent les Chinois plus fiables. Ne serons-nous pas les principales victimes de ces sanctions ? C'est ce que redoutent toutes les entreprises françaises en Russie.

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L'« impérialisme poutinien » dont je viens une nouvelle fois d'entendre parler est-il autre chose qu'une vue de l'esprit ? Les conditions dans lesquelles s'est fait le démantèlement de l'URSS ne laissaient-elles pas prévoir des événements de ce type ? Lors de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, la reconnaissance prématurée de l'indépendance de la Croatie par l'Allemagne n'a pas été sans conséquences pour l'avenir de la région.

En RCA, la MINUSCA se met en place, mais un État s'installe-t-il dans ce pays qui n'en a plus ? Au Mali, la reconstruction est-elle engagée et, si elle l'est, les entreprises françaises y joueront-elles un rôle ?

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Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international

Le Président de la République et moi-même avons rencontré le Président Diouf il y a peu, monsieur Dufau. Il n'est pas prévu à ce stade d'annuler le Sommet de la francophonie prévu à Dakar et tout est fait pour qu'il ait lieu ; de même, Mmes Touraine et Girardin font tout pour que la coordination de la lutte contre l'épidémie fonctionne au mieux.

Partant du constat que le Conseil de sécurité des Nations unies, dont la fonction théorique est celle de juge de paix, se trouve souvent paralysé par l'utilisation abusive du droit de veto, nous allons, avec le Mexique, reprendre notre proposition. Dans le prolongement de l'idée de M. Hubert Védrine, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité suspendraient volontairement leur droit de veto en cas de « crime de masse », ainsi défini par le Secrétaire général de l'ONU. Cette proposition ne suscite jusqu'à présent qu'un succès d'estime auprès de nos amis membres permanents du Conseil de sécurité, mais l'ONU se disqualifiera si cette décision n'est pas prise. La proposition permettrait à chaque grand pays de continuer d'utiliser le droit de veto lorsqu'il est concerné tout en donnant plus de marge de manoeuvre pour l'exercice d'un droit international que défend la France.

M. Rochebloine et Mme Saugues s'inquiètent d'un possible envoi de troupes françaises au sol en Irak ; il n'en est pas question.

On ne peut, monsieur Asensi, entonner le péan selon lequel nous conduirions trop d'opérations militaires. La France n'est pas un pays va-t-en-guerre mais l'état du monde est désespérant, et si nous n'agissions pas il serait pire encore. Chacun convient que sans notre intervention les terroristes auraient conquis le Mali et qu'en RCA, un génocide aurait eu lieu à coup sûr. En Libye, l'erreur commise a été de ne pas prévoir le suivi de l'intervention militaire ; or, on ne peut penser tout résoudre en se limitant à larguer des bombes. Nous pouvons jouer un rôle, mais les populations doivent prendre elles-mêmes les choses en mains car l'époque n'est plus où l'on traçait les lignes de l'extérieur.

J'ai évoqué la probabilité que les choses suivent leur cours cahin-caha jusqu'aux élections prévues le 26 octobre ; mon optimisme au sujet de l'Ukraine est donc tout relatif.

L'adoption de la résolution 2170 et la demande d'intervention exprimée par l'Irak font qu'un mandat exprès du Conseil de sécurité n'est juridiquement pas nécessaire pour que la coalition intervienne. Or, alors que ni la Chine ni la Russie n'ont émis d'objection à l'intervention en Irak lors de la conférence de Paris, consulter le Conseil de sécurité sans que la légalité internationale l'exige ferait courir le risque que la question de la Syrie soit également abordée et que se reproduise alors le blocage déjà constaté.

Pour débattre de l'intervention en Irak, mon collègue Jean-Yves Le Drian sommes à votre disposition, et s'il devait y avoir un engagement, fût-il aérien, des forces françaises, le Parlement en serait informé comme il l'est systématiquement en pareil cas.

Je pense, monsieur Terrot, que les propos du ministre de la défense ont été mal interprétés. La situation en Libye est très préoccupante, nul n'en disconvient, et M. Le Drian a appelé pour cette raison à la mobilisation de la communauté internationale, mais il n'est pas question que la France intervienne. Je me suis entretenu avant-hier avec M. Bernardino León, représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU en Libye ; nous pouvons aider les Nations unies dans leur tâche mais, je le répète, il n'est pas question que nous intervenions.

La France n'a pas la vision du monde de certains régimes – celui de M. Bachar al-Assad – qui considèrent que tous leurs opposants sont des terroristes et que tous les groupes terroristes, où qu'ils soient, sont en cheville. Pour notre part, monsieur Glavany, nous considérons que Daech a une particularité qui le distingue d'Al Qaeda et d'autres nébuleuses : il veut une implantation territoriale.

L'Iran, qui veut exercer une influence prépondérante dans les pays qui l'entourent, est très présent et très influent en Irak, monsieur Poniatowski. Le gouvernement irakien actuel, dans sa diversité, et le président lui-même, souhaitent entretenir de bonnes relations avec l'Iran. Je pense comme vous que la réaction iranienne serait vive si quelque chose se produisait au Sud.

La MINUSCA se déploie en RCA ; nous adapterons le dispositif Sangaris, car nous n'avons pas vocation à demeurer sur place en permanence. Les rapports que l'on m'a remis sur la situation en Centrafrique sont un peu moins alarmistes que les précédents. Je ne pense pas que la solution de la partition du pays soit la bonne, car il faut apprécier l'influence que cela aurait, au-delà de la RCA, au Tchad et au Soudan. La semaine prochaine se tiendra à New York une réunion consacrée à la Centrafrique, et il faudra rappeler à la présidente et aux autorités de transition qu'ils ont l'obligation de préparer les élections sans plus tarder.

Les 3 000 soldats dont le président Obama a annoncé l'envoi pour lutter contre la fièvre Ebola auront pour tâche de construire des hôpitaux de campagne.

Pour ce qui est d'intervenir en Syrie, les États-Unis n'ont encore rien décidé.

C'est vrai, monsieur Mariani, les sanctions touchent à la fois ceux à qui elles sont imposées et ceux qui les prennent. Elles nous pèsent d'autant plus que la France est le deuxième investisseur étranger en Russie, et je sais les inquiétudes des hommes d'affaires français. Mais l'on ne peut ni laisser sans réagir porter atteinte à la sécurité européenne, ni déclarer la guerre à la Russie ; il faut donc décider des sanctions graduées.

Au Mali, monsieur Bacquet, nous veillons, dans le strict respect du droit international, à ce que les entreprises françaises soient présentes et bien traitées.

La séance est levée à dix-huit heures trente.