Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Réunion du 11 février 2015 à 8h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 8 heures 45.

Présidence de M.Éric Ciotti, président.

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Monsieur Conesa, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Nous avons pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de vos travaux qui entrent totalement dans le champ de notre commission d'enquête.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues dans le cadre d'une commission d'enquête de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite, monsieur Conesa, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Pierre Conesa prête serment).

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Pierre Conesa, maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris

J'ai rédigé un rapport intitulé « Quelle politique de contre-radicalisation en France ? » pour le compte de la Fondation d'aide aux victimes du terrorisme (FAVT) et à la suite d'un entretien avec M. Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, en mars 2014 ; on s'était étonné auprès du ministre, qui avait partagé notre constat, de l'absence d'une politique de contre-radicalisation en France qui aille au-delà de la seule action policière. Il existe un programme européen, le Réseau d'alerte contre la radicalisation ou Radicalization awareness network (RAN), auquel participent toutes les administrations concernées, celles-ci ne travaillant en revanche jamais ensemble.

La FAVT a financé cette étude et l'a publiée en décembre 2014, mais celle-ci n'a suscité aucun intérêt, ce qui prouve la difficulté pour le débat public d'intégrer un tel sujet. Malheureusement, les attentats des 7, 8 et 9 janvier dernier lui ont donné une actualité brûlante, mais dans un contexte d'angoisse où sont davantage soulevées les questions de l'efficacité des services de renseignement, de la police et de l'administration pénitentiaire que celles ayant trait aux causes de ces attaques.

J'ai sollicité les élus locaux pour cette étude de terrain, réalisée dans le cadre de la Maison des sciences de l'homme, mais sur les trente demandes de rendez-vous, je n'ai reçu que deux réponses positives. Le sujet de la radicalisation s'avère politiquement gênant. Je souhaitais également rencontrer des représentants des associations musulmanes et des radicaux, l'attache de ces derniers m'ayant été fournie par une chercheuse, Mme Ouisa Kies, qui a conduit des entretiens en prison.

La radicalisation n'est pas propre aux musulmans – que l'on songe aux black blocs, aux identitaires, à l'intégrisme juif –, mais la nature du phénomène se révèle spécifique pour cette population. On y retrouve les méthodes de recrutement des sectes – enfermement, idéologie totalitaire, fascination pour la cause épousée –, mêlées à la revendication d'une identité politico-religieuse portée par le salafisme. Le processus repose sur une stratégie de ghettoïsation de la communauté musulmane française, les salafistes prétendant s'exprimer au nom de celle-ci puisqu'ils se pensent les meilleurs pratiquants ; cela conduit à un conflit constant avec la République sur les cantines scolaires, les piscines ou le port du voile intégral. La montée du salafisme est un problème politique qui n'est pas cantonné au domaine du religieux.

La radicalisation salafiste s'alimente des conflits internationaux. La récupération du discours sur l'imminence de l'apocalypse – fréquent dans les sectes - se nourrit ainsi de la situation syrienne. Par ailleurs, les musulmans sont présentés comme victimes de persécutions partout dans le monde. Enfin, ce mouvement récupère une idéologie tiers-mondiste qui s'est développée dans les années 1980 et 1990 auprès de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et qui repose aujourd'hui sur la figure de héros positif du combattant pour le djihad.

La timidité voire la veulerie des représentants officiels de la communauté musulmane s'avère frappante : après les tueries perpétrées par Mohammed Merah et Mehdi Nemmouche, le Conseil français du culte musulman (CFCM) et le collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) ont surtout appelé à ne pas stigmatiser les musulmans. J'ai souhaité rencontrer des membres du CCIF, mais ils ont décliné ma demande arguant que la radicalisation n'était pas leur problème. Ces organisations ont adopté une stratégie de victimisation afin de bénéficier d'une créance politique auprès de la République. Même après les attentats de janvier 2015 à Paris, le CCIF a publié un communiqué odieux qui n'évoquait que la nécessité d'éviter toute stigmatisation.

On perçoit la communauté française musulmane par le CFCM – lieu de rivalités entre Marocains, Algériens, Tunisiens et Turcs d'une telle intensité qu'une présidence tournante a dû être instaurée – et par les salafistes. Or l'intégration de cette communauté s'est effectuée silencieusement. Beaucoup de présidents d'association, d'imams et de théologiens ont trouvé leur place dans la société française en défendant un droit à l'indifférence se situant à l'opposé du droit à la différence promu par les salafistes. Cette partie de la communauté musulmane s'est mobilisée contre la radicalisation en tenant des séminaires sur les moyens de lutter contre celle-ci ; ces musulmans affirment être les mieux placés pour connaître la communauté et les lieux où se réunissent et où prient les salafistes ; ils veulent constituer un réseau d'alerte, mais le bureau des cultes, structure très utile, se trouve hélas logé au ministère de l'intérieur, de même qu'est rattaché aux préfectures le « numéro vert » mis en place au printemps 2014. Cette tonalité policière, probablement involontaire, facilite l'accusation de collaboration et de traîtrise à l'islam portée par les salafistes envers ces musulmans. Il conviendrait donc de rattacher le bureau des cultes à une autre structure que le ministère de l'intérieur. Aucune politique de lutte contre la radicalisation ne peut se mener sans discours théologique et ce n'est pas au ministre de l'intérieur d'en tenir un.

Nous nous trouvons dans une situation similaire à celle de la marche des beurs que les enfants d'immigrés, nés Français, avaient lancée en 1983 pour demander à la République l'application de ses propres principes et de sa devise « Liberté, égalité, fraternité ». Cette initiative avait bénéficié d'une grande mobilisation sociale et médiatique, mais le Parti socialiste y avait répondu en créant « SOS racisme » sans y intégrer le moindre leader de cette marche. Ainsi, l'une des premières revendications de « SOS racisme » fut de demander l'octroi de la carte de séjour de dix ans, alors que les participants de la marche étaient Français ! Ceux-ci se sont sentis trahis et ce sont leurs enfants qui leur disent aujourd'hui que l'action républicaine s'avère vaine. Le processus de réislamisation s'est nourri de ce terreau. Ne ratons pas à nouveau la main tendue des classes moyennes musulmanes !

Depuis la guerre en ex-Yougoslavie et l'utilisation de l'armée comme instrument de politique extérieure, le bilan de cette dernière s'avère dramatique. En Yougoslavie, les méthodes d'action ont permis d'arrêter une guerre civile, mais l'armée a ensuite été utilisée continuellement, comme en Somalie pour faire de l'ingérence humanitaire ou en Libye où l'on a bombardé le pays en outrepassant le mandat de l'Organisation des Nations unies (ONU) – et encore la résolution avait été votée par des pays ne représentant que 9 % de la population mondiale. Nous vivons encore sur l'idée que nos positions reflètent « l'opinion publique internationale », notion fort commode qui nous permet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, de définir la sécurité internationale. M. John Kerry, secrétaire d'État américain, a critiqué la Russie en affirmant que l'on ne pouvait plus, au XXIe siècle, envahir des territoires ; or les États-Unis ont envahi l'Irak dans la plus grande illégalité. Ils pensent que le passé peut s'effacer, mais cela est loin d'être le cas. La décision du président Jacques Chirac de ne pas participer à la guerre en Irak fut le dernier moment où la France ne suivit pas la politique américaine ; c'est le gouvernement actuel qui est plus dur que les Américains lorsque nous avons ridiculement proposé de bombarder les sites chimiques en Syrie.

Les sites salafistes insistent sur la disproportion entre notre silence lorsque 2 000 personnes sont tuées à Gaza et notre déploiement de force militaire dès que quatre Occidentaux sont tués. Comment voulez-vous répondre à cet argumentaire ?

Nous avons besoin de l'Iran pour résoudre les conflits en Afghanistan, en Irak, en Syrie et au Liban, mais on n'invite pas ce pays à une conférence internationale à Paris ! Les diplomates de la filière politique et affaires stratégiques du ministère des affaires étrangères et du développement international sont devenus néoconservateurs quinze ans après les Américains.

À partir de la guerre en Yougoslavie, les interventions dans des opérations multilatérales devaient reposer sur un policy planning, négocié dans le cadre de l'ONU, cohérent entre tous les pays intervenant. Au Quai d'Orsay, le centre de décision s'est déplacé des directions géographiques vers la filière des affaires stratégiques induisant une conception des programmes indépendante de leur objet. L'actuelle intervention militaire en Irak ne s'est ainsi accompagnée d'aucune conditionnalité politique. Quatorze des dix-neuf auteurs des attentats du 11 septembre 2001 étaient Saoudiens, mais le président George W. Bush expliqua en 2002 que l'axe du mal était constitué de l'Iran, de l'Irak et de la Corée du Nord, trois pays dont aucun ressortissant n'avait participé au 11 septembre. Le discours de victimisation des musulmans porte, y compris dans les classes moyennes qui pensent que la politique extérieure française ne prend absolument pas en compte leur sensibilité.

Une vidéo circule actuellement sur Internet montrant une femme décapitée en Arabie saoudite sur un parking public avec des gens qui circulent autour de la scène en riant. Il est difficile d'expliquer que l'on doit combattre l'État islamique, mais que l'on soutient l'Arabie saoudite. J'étudie la situation en Arabie saoudite depuis vingt ans et j'entends constamment dire que le pays évolue alors que ce n'est pas le cas ; le salafisme représente un sous-produit du wahhabisme, diffusé par l'Arabie saoudite à partir des années 1980 pour lutter contre les Frères musulmans. Je travaillais à cette époque dans les services de renseignement où l'on constatait qu'une grande partie de l'aide américaine transitant par l'Arabie saoudite et le Pakistan allait vers les plus islamistes de ceux que l'on nommait à l'époque les combattants de la liberté. Les Saoudiens ont conditionné l'octroi d'une aide au Pakistan à l'ouverture de madrasas hanbalites, les plus proches du rite saoudien, qui ont produit les talibans. On raisonnait selon l'adage « les ennemis de nos ennemis sont nos amis », alors que les ennemis de nos ennemis peuvent être des ennemis poursuivant leur propre stratégie.

Il importe donc de refonder le logiciel de notre politique étrangère.

En outre, il y a lieu de réformer le droit d'asile à l'échelle européenne. Conçu dans les années 1950 avec le sentiment de culpabilité de ne pas avoir accueilli les juifs persécutés par le nazisme, le droit d'asile fut élaboré pour ouvrir nos pays aux dissidents du bloc communiste. Or le Londonistan à Londres a prouvé que les personnes bénéficiant de ce système n'étaient pas toutes, loin s'en faut, des défenseurs de la liberté ; beaucoup tenaient un discours de haine effrayant et les Britanniques ont ouvert les yeux après l'attentat de 2005 en se rendant compte que la présence de ces gens sur leur territoire ne permettait pas la sanctuarisation de celui-ci. Ils ont donc extradé vers la France Rachid Ramda après dix ans de refus obstinés. Il faut donc conditionner l'octroi de l'asile politique en Europe au statut de défenseur de la liberté, le fait d'être persécuté par un régime dictatorial ne devant pas suffire à voir sa demande acceptée – surtout si l'on est accusé d'actes terroristes comme la plupart des leaders du Londonistan.

M. Saïd Arif a été condamné pour préparation d'un attentat au marché de Noël à Strasbourg ; après sa condamnation, il a été assigné à résidence dans le centre de la France et s'est échappé en Suède où il a été arrêté de nouveau et extradé en France avant de disparaître une seconde fois. Dans de tels cas, la République est bafouée. Mais que faire de ces personnes une fois leur peine de prison effectuée ? Quant à la cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), il lui arrive de rendre des arrêts surréalistes, comme celui concernant les pirates somaliens. Quand le droit porte atteinte à la justice, il faut réformer le droit.

La France devrait demander un siège à l'Organisation de la conférence islamique (OCI), créée par l'Arabie saoudite pour lutter contre la Ligue arabe, elle-même fondée par Gamal Abdel Nasser à l'époque du panarabisme. L'OCI regroupe des États laïques et religieux et notre pays compte plus de musulmans qu'un tiers des pays membres de cette organisation. Aujourd'hui, l'Inde est le pays musulman le plus important et seuls 9 % de musulmans dans le monde sont arabes. Je préférerais qu'un ambassadeur français de confession musulmane explique ce que signifie être musulman en France plutôt que d'entendre les délires des associations saoudiennes des droits de l'homme sur le respect de la religion et de la laïcité. Pourquoi une fatwa serait-elle applicable dans un pays non musulman ? Dans l'appréhension de ce type de questions à dimension internationale, on nous oppose une charia que l'on se refuse à critiquer du fait de son caractère religieux.

Les grands programmes de contre-radicalisation chez nos principaux partenaires européens sont caractérisés par une parole publique qui affiche l'objectif politique de reflux de la radicalisation, par une organisation reposant sur les collectivités locales – le maire étant jugé le meilleur connaisseur de la population et le plus à même d'utiliser les services sociaux et de travailler avec les services de police – alors que la France a choisi les préfectures, et par la fourniture de moyens par l'État.

Les responsables publics doivent désigner la cible, à savoir le salafisme. Les autres dénominations – terrorisme islamiste, djihadisme – sont privées de signification car elles ne précisent pas ce qui, à l'intérieur de la pratique musulmane, constitue un danger pour la République. La désignation permet de faire comprendre aux autres musulmans que l'islam n'est pas un problème et que seul ce courant l'est. Nous n'avons pas à interdire le salafisme – pendant la guerre froide, les partis communistes étaient autorisés en Europe de l'Ouest –, mais nous devons clarifier la situation et le débat pour mener le combat sur les plans idéologique et théologique.

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Je partage votre interrogation sur le rattachement du bureau des cultes au ministère de l'intérieur. Il conviendrait de créer un ministère de la citoyenneté, de la laïcité et des cultes, car le sujet s'avère très transversal. Un bureau des cultes dirigé par un chef de bureau au ministère de l'intérieur ne répond pas à l'enjeu.

Votre analyse était passionnante, mais quelles sont vos véritables réponses à la radicalisation ? Votre étude comporte-t-elle des pistes d'action ? Je ne suis pas certain que l'obtention d'un siège à l'OCI constitue une solution pertinente. Le Gouvernement envoie des messages, notamment à la jeunesse via Internet, mais comment combattre la pratique salafiste de l'islam en France ?

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Pierre Conesa, maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris

Il n'existe pas d'observatoire français chargé d'étudier les sites salafistes francophones. Or les jeunes quittant notre pays pour la Syrie ne sont ni anglophones ni arabophones. Nos chercheurs travaillent sur les interprétations rédigées en anglais des sites anglophones. Si l'on ne connaît pas le discours, on ne peut pas bâtir de contre-discours. Nous sommes en train de réfléchir avec M. Farhad Khosrokhavar à la création d'un observatoire des radicalisations à la Maison des sciences de l'homme, afin de pallier cette lacune. Pour mon rapport, j'ai utilisé une petite étude réalisée par une normalienne stagiaire au bureau des cultes sur les discours salafistes francophones ; il est étonnant que ces productions soient si peu nombreuses.

Le bureau des cultes fonctionne avec une petite équipe placée au ministère de l'intérieur depuis la loi de 1905 sur la laïcité. Je ne suis pas le premier à proposer son déplacement, mon rapport relevant d'ailleurs l'ensemble de propositions qui n'ont jamais été mises en oeuvre. Ainsi, le rapport de M. Jean-Pierre Obin, commandé à la suite de la publication du livre Les territoires perdus de la République qui décrivait les problèmes posés par la montée des intégrismes religieux pour l'enseignement de certaines disciplines au collège, mettait déjà en lumière ces difficultés, mais le ministre de l'Éducation nationale de l'époque a enterré le rapport pensant que la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics réglerait le problème. Aujourd'hui, Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche dresse le même constat qu'il y a plus de dix ans ! Le rapport Obin proposait déjà de détacher le bureau des cultes du ministère de l'intérieur.

De même, Mohammed Arkoun, ancien professeur au Collège de France, défendait la création d'une faculté de théologie musulmane, puisque la pensée musulmane ne peut se régénérer que dans des pays occidentaux, aucun pays arabe ne garantissant une liberté d'expression suffisante pour avancer des idées nouvelles. Certains imams en France sont reconnus internationalement et s'avèrent capables de construire un discours novateur sur l'islam. Cette faculté aurait permis de former des imams et des aumôniers pour les prisons. La faculté de Strasbourg avait accepté d'accueillir ce projet, mais l'administration de l'enseignement supérieur s'y est opposée. Seule une petite cellule de recherche a été créée à la Maison des sciences de l'homme. Les Français de confession musulmane ne comprennent pas que ces idées, qui paraissaient intéressantes, n'aient pas abouti.

Qui doit émettre la politique de contre-radicalisation ? Ce n'est pas le Gouvernement, car on ne ramène pas un transcendant à la raison par des cours d'instruction civique. Nous avons besoin d'un discours théologique construit et de prendre en compte la diversité de la société musulmane ; par ailleurs, il faut éradiquer le discours de la victimisation et critiquer notre politique extérieure. Le service d'information du Gouvernement (SIG) a eu raison de produire une vidéo et d'ouvrir un site « stop djihadisme », mais nous devons faire émerger un discours public qui ne soit pas tenu par les autorités politiques.

Je souhaite offrir aux musulmans français dont j'ai pu constater les efforts de mobilisation une forme de reconnaissance et je suis en train d'organiser un séminaire de lutte contre la radicalisation à l'institut du monde arabe (IMA). L'objectif est de montrer que la France les entend et qu'ils doivent donc apprendre à communiquer. Les élus locaux devraient également les rencontrer pour témoigner de l'attention qu'on leur porte. Nous devons dresser le constat de la non-représentation par les structures officielles de ces musulmans qui se sont intégrés en toute discrétion. Il existe une variété d'opinions comme pour les juifs qui ne sont pas tous représentés par le conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et le consistoire. Il convient également de valoriser les réussites des membres de cette communauté, comme celles de M. Yazid Sabeg ou de M. Mohed Altrad, P-DG du groupe Altrad, leader européen des échafaudages de chantier ; les habitants des banlieues ne connaissent pas ces succès. Les jeunes Turcs qui arrivent en France ne se présentent pas comme des victimes puisqu'ils ne proviennent pas d'une ancienne colonie française et développent une culture entrepreneuriale différente de celle des Maghrébins. Il y a lieu d'écouter ces gens qui vivent ici et agissent contre la radicalisation !

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Je partage votre volonté de désigner l'ennemi par son nom et de le définir par le salafisme. Toutefois, dès que j'ai tenté d'expliquer que nous étions attaqués non par l'islam mais par le salafisme, je me suis heurté à des réticences Pourquoi ce refus ?

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Pierre Conesa, maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris

Je vous félicite d'avoir pris cette responsabilité, car celui qui s'avance se trouve souvent attaqué ; j'ai travaillé une trentaine d'années dans l'administration française, ce qui m'a inspiré un petit livre Surtout ne rien décider – Manuel de survie en milieu politique, et j'ai souvent été confronté au problème que vous décrivez.

Mon propos est d'ordre politique. Que des salafistes soient quiétistes, nous nous en réjouissons ! Qu'ils nous aident alors à lutter contre le djihadisme, notamment en bâtissant un discours théologique adapté ! Un des imams que j'ai rencontré, non salafiste, m'a affirmé être prêt à lancer une fatwa contre le djihad contre la France : cela peut constituer une piste intéressante et les salafistes, s'ils sont quiétistes, pourraient nous y aider. Ceux qui disent que la situation est plus compliquée qu'on ne le pense n'ont, en général, pas travaillé sur le sujet.

L'Algérie a payé un prix très lourd pour s'être trompée sur l'islamisme. Les membres du front islamique du salut (FIS), proche des Frères musulmans, qui ont rejoint le groupe islamique armé (GIA) et le groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) étaient tous salafistes. La loi sur la réconciliation induit la coexistence des assassins et des victimes. L'absence de hiérarchie religieuse dans le sunnisme rend difficile pour de nombreux musulmans de voir que le salafisme promeut une pratique pervertie de l'islam.

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Courrier international a récemment publié un dossier intitulé « L'islam vu par les musulmans », dans lequel un éditorialiste indien écrivait qu'il fallait relire le Coran à la lumière du contexte actuel et ne plus céder aux interprétations littérales, souvent d'inspiration saoudienne. M. Abdennour Bidar, philosophe français, affirmait dans ce même dossier que le monstre était sorti de notre propre ventre. Pensez-vous qu'il existe une possibilité que le monde musulman s'engage dans une révolution philosophique et religieuse à l'échelle internationale ?

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Pierre Conesa, maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris

Je n'ai pas de réponse à cette question car c'est la scène politique et religieuse française qui m'intéresse. J'ai rencontré des gens très attachés à la laïcité qui m'ont fait part de leur respect de la loi républicaine, y compris celle sur le voile. Les réclamations et les dépôts de plainte ont d'ailleurs considérablement diminué depuis le vote de la loi. Il y a lieu de concilier des revendications légitimes liées au respect de la religion et les pratiques républicaines. Certains veulent instaurer des fêtes mobiles pour que ceux qui souhaitent fêter Yom kippour ou l'Aïd puissent le faire plutôt que l'Ascension : une telle mesure ne menacerait pas la République !

Dans Passion française, M. Gilles Kepel a montré que les candidats aux élections ayant des noms à connotation musulmane se répartissaient dans l'ensemble du champ politique et que ceux qui se réclamaient de la communauté musulmane s'avéraient très minoritaires. Le processus d'intégration est donc à l'oeuvre. Alors ministre de l'intérieur, M.Jean-Pierre Chevènement avait demandé à rencontrer le recteur de la Zitouna à Tunis pour connaître sa conception de l'islam, mais un représentant du ministère de l'intérieur tunisien a assisté à l'ensemble de l'entretien pour reprendre chaque propos du recteur. Les pays occidentaux constituent le véritable espace de liberté pour la pensée musulmane et, parmi ceux-ci, la France compte la plus importante population musulmane – seul 1 % des habitants des États-Unis sont musulmans, dont la moitié sont des convertis.

Des imams français procèdent à une lecture historique remarquable du Coran, en remettant notamment en perspective certains versets, et effectuent un travail de distanciation critique que la liberté de parole de la République doit protéger. Pourquoi j'ai cessé d'être islamiste ? est un livre récent et très intéressant, écrit par M. Farid Abdelkrim, qui évoque la trajectoire d'un homme découvrant l'islam, puis l'islamisme et les Frères musulmans, avant de comprendre que la République offre l'espace pour le débat public qui permet de répondre à ses interrogations.

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Dans l'indifférence générale, les acteurs locaux – élus et enseignants – expliquent depuis de nombreuses années aux « bien-pensants » comment tout cela finira. Les jeunes en train de basculer sont tous traités depuis longtemps par les services.

Cela fait longtemps que l'on écoute les musulmans dans les quartiers, ce qui nous vaut des accusations de communautarisme. Ceux qui veulent empêcher la présence des mères voilées lors des sorties scolaires ne font que décréter la fin de ces dernières dans ces quartiers. À Sarcelles, les femmes musulmanes sont voilées, les femmes juives portent des perruques et les femmes assyro-chaldéennes, chrétiennes d'Orient, ont également le voile. La République doit être égale pour tous.

C'est localement que l'on traitera ces questions, mais aucune organisation n'existe pour le faire ! Sur le plan politique, il est ainsi difficile de faire émerger de ces quartiers des gens solides qui ne revendiquent pas d'appartenance communautaire. On mène de grandes réflexions à l'échelon national, mais il faut déployer des cellules localement. Comment peut-on décliner efficacement, à l'échelon local, une politique de lutte contre la radicalisation qui permettrait de lutter contre des phénomènes inquiétants – par exemple l'ouverture de structures éducatives confessionnelles qui peuvent être gérées par des salafistes – et de plus en plus prégnants ?

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Pierre Conesa, maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris

Je ne suis pas élu local, donc je ne peux pas vous répondre. Les femmes qui portent le voile aujourd'hui ne sont en effet pas des radicales ; elles souhaitent marquer par là un signe de solidarité avec les musulmans et d'appartenance à une famille musulmane, comme les femmes occidentalisées qui, lors de la guerre d'Algérie, ont remis le voile pour montrer leur soutien à l'indépendance. Notre regard sur le voile a changé aujourd'hui : nous voyons tous des femmes portant le foulard dans la rue et nous nous y sommes habitués, d'autant plus que les lois de 2004 et du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public sont respectées.

Le Premier ministre a annoncé qu'un grand effort serait consenti pour le recrutement dans les services de renseignement. Il faut avoir des agents musulmans pour connaître la teneur des propos tenus dans une mosquée salafiste. Si l'on ne sélectionne les candidats que sur le critère des diplômes, on pourrait manquer de personnes adaptées à la cible. M. Rachid Abou Houdeyfa, imam salafiste de la mosquée de Brest, incite ses ouailles à voter, et sa confrérie l'a dénoncé au motif qu'une telle position allait à l'encontre de la charia et pourrait conduire à ce que la loi de la République soit supérieure à celle du coran ; nous devons nous intéresser à ces gens qui peuvent émerger parce que la République a abandonné son discours globalisant sur l'islam.

Un journaliste m'a dit qu'il convenait de « désethniciser » le débat : il faut bien sûr empêcher des jeunes de partir en Syrie, mais cette politique doit s'accompagner du vote d'une loi de la République interdisant à tout citoyen français de rejoindre un champ de bataille faisant l'objet d'une résolution de l'ONU. Il est anormal qu'un Français juif aille faire son service dans Tsahal pour aller se battre dans les territoires occupés. Cette différence de traitement n'est pas comprise par beaucoup de personnes.

Une élève voilée assiste à mon cours à Sciences Po, ce qui ne pose aucun problème puisqu'elle pratique le débat critique. En revanche, ma femme, enseignante, constate la montée progressive de la ghettoïsation alimentée par des demandes spécifiques pour la cantine ou les heures de prière. C'est le salafisme qui déploie cette technique de démarcation entre ce qui est musulman et ce qui ne l'est pas. Face à ces personnes, il faut une autorité publique définissant les frontières de ce que l'on peut accepter et de ce que l'on doit refuser.

En juin 2014, le CFCM a, enfin, publié un texte sur le vivre ensemble dans lequel il énonce les règles musulmanes compatibles avec celles de la République. Il prend position contre le hijab en rappelant que le coran ne prescrit pas son port. Cette démarche vers la République s'effectue dans un contexte différent depuis les attentats de janvier dernier car la République n'a plus à démontrer sa tolérance. Je connais M. Robert Ménard depuis longtemps et je me suis rendu à Béziers pour étudier les rapports entre ce maire, dépeint comme un membre du Front national (FN), et la communauté musulmane. Entre les deux tours de l'élection municipale de mars dernier, il a fait l'objet d'une campagne parisienne sur sa proximité idéologique avec le FN : ces attaques lui ont fait perdre des voix dans le centre-ville, mais lui en ont fait gagner dans les quartiers sensibles, dans lesquels la communauté musulmane se trouve surreprésentée. M. Ménard a accordé le palais des expositions à des associations musulmanes voulant fêter la rupture du jeûne pour l'Aïd : la République a déjà apporté la preuve de sa volonté d'intégration et ce sont maintenant aux musulmans de l'aider à faire face au défi de la « salafisation » et de la violence.

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Je partage votre avis sur la politique étrangère française, mais quelle est l'alternative permettant d'empêcher que naisse une solidarité entre les musulmans français et leurs coreligionnaires opprimés sur les théâtres de guerre ?

Je soutiens également vos propositions de détacher le bureau des cultes du ministère de l'intérieur et de faire reposer la politique de contre-radicalisation sur les maires et non sur les préfets. Les maires détectent les problèmes sur le terrain, mais se trouvent souvent impuissants à les résoudre. Quel est l'outil qui permettrait de conduire un travail local, en profondeur et efficace à long terme ?

Je vous sens agacé et désabusé : est-ce bien le cas ?

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Pierre Conesa, maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris

Je ne suis certainement pas désabusé sur notre pays. À la direction des affaires stratégiques du ministère de la défense, on avait commandé une étude sur le processus de poussée de l'islam politique en Algérie, en Libye, en Tunisie, en Syrie et en Irak, et on avait oublié l'Arabie saoudite ! On ne considérait pas l'Arabie saoudite comme un problème et je fais mon autocritique sur ce point.

Les juges du parquet antiterroriste m'ont dit que 70 à 80 % des gens qui revenaient de Syrie n'étaient passés ni par la mosquée ni par la prison. Un observatoire de la radicalisation permettrait d'étudier les processus de recrutement. La radicalisation en prison est déjà très étudiée – par M. Fahrad Khosrokhavar et Mme Ouisa Kies notamment – et il convient d'examiner d'autres lieux moins connus.

La FAVT finance une étude sur l'écho dans la communauté française musulmane des crises qui déchirent le monde arabo-musulman, dont il sera intéressant d'analyser les conclusions. De mon point de vue, cette partie du monde est déchirée par une guerre de religion : les luttes entre chiites et sunnites concernent neuf États de cette région. Dans ce cadre, ce ne sont pas les Occidentaux sur leurs blancs chevaux qui sépareront les belligérants car ils représentent l'ennemi commun de ceux qui se battent entre eux. Nos interventions militaires – en Somalie ou en Libye – sont motivées par des considérations de politique intérieure depuis 1991 et l'effondrement du bloc communiste, et non par des analyses locales. Les musulmans pourraient arguer que l'objectif de protéger la population libyenne pourrait s'étendre aux Palestiniens. En Afghanistan, les Occidentaux ont lancé une guerre pour tuer ben Laden puis pour libérer les femmes et instaurer la démocratie, très beaux principes qui ne séduisent que ceux qui ne se sont jamais rendus dans ce pays ; en effet, ce sont les chefs de tribus qui assurent la sécurité et l'idée de monopole de la force n'y a aucune pertinence. Au total, les Occidentaux y sont restés plus longtemps que les Soviétiques, y ont consacré le même effort de défense – sans parler des sociétés militaires privées –, ont étendu le conflit au Pakistan et ont installé un gouvernement très fragile. Les Afghans avaient déjà repoussé les Britanniques à l'époque de leur puissance impériale, puis les Soviétiques forts de leur complexe militaro-industriel et les Occidentaux y retournent en commettant les mêmes erreurs. Si ce sont des chrétiens qui vont libérer la femme afghane dans un esprit de croisade, ils échoueront immanquablement. Pour nous faire plaisir, les dictatures du monde arabe illustraient leur modernité par le respect des droits de la femme, si bien que, lorsqu'elles furent renversées, les nouveaux régimes comme celui de Libye ont immédiatement rétabli la polygamie pour marquer la rupture.

Il y a des guerres dans lesquelles nous ne pouvons pas intervenir. La crise la plus grave depuis la fin de la seconde guerre mondiale s'est déroulée au Congo : elle a entraîné la mort de 2,5 millions de personnes et jamais nous avons ressenti la nécessité d'y envoyer des troupes. La moitié de l'Europe considère que sa sécurité ne se joue pas en Irak. Je n'insiste pas sur le rôle dramatique de certains intellectuels médiatiques adeptes du « Nous sommes tous des Libyens », « Nous sommes tous des Ukrainiens », « Nous sommes tous des je-ne-sais-pas-quoi ». Tout le monde sait que la moitié des Ukrainiens sont russophones et on n'aurait pas agi autrement si on avait voulu alimenter la crise. L'interpellation du politique par le médiatique est devenue un critère de décision. Après les attentats, le véritable défi, une fois que l'on a augmenté les moyens de la police et des services de renseignement, réside dans la parole politique, c'est-à-dire dans la désignation de l'ennemi contre lequel se battre.

Des villes comme Amsterdam conduisent elles-mêmes la politique de contre-radicalisation. M. Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, fut le premier à imposer la loi républicaine ; sa maison a été caillassée après qu'il a décrété le couvre-feu et sa fille a été menacée. Lorsqu'il a refusé la construction d'une mosquée en l'absence d'un permis de construire, il fut vivement critiqué, mais les associations ont demandé et obtenu un permis et la mosquée verra le jour. L'État doit soutenir ces maires et doit pouvoir les mettre en relation avec des théologiens ou des psychiatres formés pour les zones où les problèmes se concentrent.

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Je partage largement votre constat sur nos erreurs géopolitiques, découlant de notre suivi de la politique américaine. En revanche, notre commission doit élaborer des propositions et les vôtres ne sont pas assez développées. Dans notre cadre républicain, qui diverge du modèle communautariste britannique, quel rapport devons-nous fonder entre la laïcité et l'islam ? Comment pouvons-nous tisser des liens avec les classes moyennes musulmanes ? Un universitaire vient d'être mis à pied pour avoir refusé de poursuivre son cours auquel assistait une étudiante voilée. L'université est un espace de liberté dans lequel évoluent des personnes majeures, mais doit-on tolérer les signes religieux dans un espace public ? Ces affichages ne traduisent-ils pas une ghettoïsation religieuse ?

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Pierre Conesa, maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris

La médiatisation du sujet du port du voile et des signes religieux à l'école ou dans l'espace public biaise gravement le débat. Le traitement des attentats de janvier dernier par BFM TV et la mise en scène de ces événements – notamment lors de la traque des terroristes par la police et la gendarmerie – préparent la future génération de terroristes. Au lieu de donner la parole à des personnes expliquant que le terrorisme n'a jamais permis de gagner une guerre, ces médias structurent la vie du pays autour de ces attaques. L'aumônière nationale des prisons m'a ainsi dit que les détenus suivaient ces images avec enthousiasme et pensaient à ce qu'ils feraient une fois sortis de leur établissement pénitentiaire. Les chaînes d'information continue ont entretenu un climat de tension alors qu'elles ne disposaient d'aucun renseignement.

Monsieur le président, l'existence du débat critique constitue le critère devant conditionner la position de chacun. Des étudiants ont contesté des enseignants d'arabe de l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) sous prétexte que ceux-ci ne venaient pas d'un pays arabe. La posture de l'étudiant doit être appréciée localement.

Depuis les attentats de janvier dernier, ce sont aux élites de la communauté musulmane de montrer leur sens de la République. M. Farid Abdelkrim a rencontré une étudiante en médecine voilée qui allait se marier avec un musulman, mais celui-ci lui avait dit qu'elle pourrait abandonner ses études de médecine ; il lui a donc parlé à de nombreuses reprises pour la dissuader d'arrêter ses études. Elle a suivi ses conseils, a terminé ses études et a refusé de se marier. Il ne doit pas y avoir de choix binaire à effectuer, et la prise en compte des avantages de la République par rapport à la charia augmente dans la population musulmane.

Quand on lit un numéro du Monde titrant « Sur tous les fronts » et expliquant que l'Europe n'a jamais été aussi menacée, c'est à se demander si ces journalistes ont entendu parler de la guerre froide, période au cours de laquelle 2 000 chars soviétiques pouvaient déferler en Europe centrale. Jamais une guerre n'a été gagnée par le terrorisme.

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Vous avez durement critiqué la politique étrangère de la France. Daech regroupe 40 000 hommes armés, occupe un territoire plus vaste que la Grande-Bretagne et peuplé de 10 millions d'habitants, perçoit 10 millions de dollars par jour de recettes pétrolières, et représente une forte menace terroriste. Si je vous comprends bien, il ne faut rien faire ; cela me semble un peu court. L'action de la coalition internationale est-elle vraiment inutile ?

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Pierre Conesa, maître de conférences à l'institut d'études politiques de Paris

Le terrorisme ne vient pas de là-bas, mais d'ici parce qu'il y a cette situation là-bas, ce qui est fort différent. On intervient dans des problèmes internes à l'islam par une action militaire, nourrissant ainsi le discours de la victimisation. Nous assistons à une guerre de religion entre chiites et sunnites, dans laquelle nous ne pouvons rien faire d'autre que de défendre les minorités ou d'aider les Kurdes. En tout cas, devenir des belligérants dans ces combats constitue une erreur politique majeure. Les pays du Golfe possèdent 600 avions de combat et pouvaient tout à fait devenir les fers de lance de l'action militaire. Les Émirats arabes unis ont retiré leurs forces en prétextant l'absence de moyens déployés par les Américains pour secourir les pilotes d'avion tombés en territoire ennemi ! C'est le monde à l'envers ! Il ne faut surtout pas que ce soient des hélicoptères américains ou français qui effectuent ces missions. La décision d'intervenir fut prise dans un contexte d'émoi suscité par les égorgements perpétrés par Daech, mais les responsables politiques doivent mettre à distance l'émotion et penser la complexité ; dans le cas contraire, ils commettent des erreurs stratégiques comme celle-là.

Rapportés à la taille de la population musulmane, les départs en Syrie restent moins importants en France que dans d'autres pays. Cette communauté est en cours d'intégration, le communautarisme s'avérant plus important en Belgique et au Royaume-Uni. En France, résident les plus larges communautés juive, musulmane et arménienne de tous les pays occidentaux, et s'entendre donner des leçons sur l'intégration me laisse toujours dubitatif. Si les démocraties cessaient de se donner des conseils en mettant en avant leur propre modèle, le débat sur ces questions s'en trouverait moins tendu.

La séance est levée à 10 heures 30.