Vote sur l'autorisation de publication du rapport de la mission d'information sur la stabilité et le développement de l'Afrique francophone (M. Jean-Claude Guibal, président – M.Philippe Baumel, rapporteur).
La séance est ouverte à neuf heures cinquante.
Nous avons à décider aujourd'hui de la publication de deux rapports très importants.
S'agissant de la publication du rapport de la mission d'information sur l'Afrique francophone, vous vous souvenez que Philippe Baumel et Jean-Claude Guibal, respectivement rapporteur et président de la mission, nous ont présenté ce rapport le 15 avril dernier.
J'ai estimé à l'issue de cette réunion qu'il était préférable de reporter le vote sur l'autorisation de publication de ce rapport. En effet, il me paraissait utile que le rapporteur puisse enrichir son projet à la lumière des remarques qui avaient été formulées par plusieurs de nos collègues au cours de la réunion. Il est vrai que formellement, d'après le règlement de l'assemblée, un rapport n'engage que ses auteurs, c'est-à-dire le rapporteur et les membres de la mission d'information, et non pas la commission. Celle-ci ne vote pas sur le contenu du rapport mais se borne à autoriser ou non sa publication. Cette autorisation de publication a une portée limitée mais malgré tout importante car elle a pour but d'empêcher la publication de propos diffamatoires à l'égard de tiers ce qui, je le souligne, n'était pas le cas en l'espèce. Cependant, cette subtilité juridique concernant l'autorisation de la publication échappe en général aux observateurs extérieurs. Par conséquent, si certaines orientations du rapport ne réunissent pas un consensus au sein de la commission, il me paraît qu'il n'est pas illégitime que les membres de la commission demandent à ce que le rapporteur prenne en compte les observations exprimées au cours de la réunion de présentation.
Aussi, il m'a semblé que s'agissant d'un rapport publié par la commission des affaires étrangères, il est légitime de bien réfléchir aux conséquences diplomatiques que pourraient avoir sa publication, même si, bien entendu, nous sommes habitués à ne pas nous émouvoir des réactions que peuvent provoquer un rapport lorsqu'il comporte des analyses de fond tout à fait fondées.
Concernant la nouvelle version du rapport, modifié à la marge il faut le rappeler, Philippe Baumel et Jean-Claude Guibal ont fait un travail de précision.
Je voudrais brièvement rappeler les principaux axes de ce rapport.
Nous avons beaucoup débattu ensemble il y a plus d'une dizaine de jours sur la présentation de ce rapport. L'idée n'était pas de créer une polémique mais de faire un certain nombre de propositions et de préconisations afin d'essayer d'ouvrir un champ nouveau dans la relation entre notre pays et les pays d'Afrique centrale et du Sahel.
J'ai vu la polémique fleurir dans la presse mais sincèrement je pense que l'essentiel n'était pas là. L'essentiel était d'aller plus avant sur une analyse de notre relation avec ces pays qui est trop souvent dans la réaction et pas suffisamment dans l'anticipation. Nous avons essayé de démontrer que la France avait une expertise exceptionnelle sur l'Afrique, dont nous sommes peut-être le seul pays à disposer. Ainsi, c'est parce que nous avons cette expertise qu'il était urgent et nécessaire d'envisager d'autres formes de coopération, au niveau gouvernemental notamment, afin d'essayer de nourrir une autre relation avec l'ensemble des pays africains.
Nous avons essayé de nous poser la question à la fois du bilan de nos politiques et de ce que pourrait être une autre relation de développement. Nous proposons de faire en sorte de fixer des objectifs à l'horizon de 2030 ou de 2050. Aussi, il faudrait parfois inciter à une forme de planification afin d'éviter les aléas de politiques qui évoluent au gré des alternances et faire en sorte que l'argent que nous dépensons sur ce type de stratégie soit un peu plus pertinent et un peu plus utile.
Nous tenions à rappeler que sur des questions essentielles comme la santé et l'éducation les objectifs que nous nous fixons ne sont pas tenus. C'est parce que nous avons eu ce souci de sincérité que nous avons été en capacité de montrer qu'il y avait d'autres possibilités et d'autres chemins possibles. Voilà ce que nous avons voulu faire.
Je tiens à préciser que sur la question des interventions militaires de la France à l'étranger, qui a créé un peu de polémique, à aucun moment nous n'avons regretté ces interventions. Nous avons même écrit dans le rapport que c'était l'honneur de la France d'avoir su agir rapidement même si elle était trop souvent seule, malheureusement. Pour autant, nous ne devons pas nous en tenir là. N'être que dans la réaction militaire permet une réponse rapide à une situation de crise mais ces crises ont souvent des racines bien plus profondes qui sont liées au mal développement, à l'inégalité de répartition des richesses et à l'absence de véritable création de richesse dans un certain nombre de ces États.
Nous avons reformulé un certain nombre de passages sur certaines relations bilatérales et sur la situation dans divers pays africains qui étaient quelque peu accablants.
Concernant le chapitre sur la légitimité des États, notre but n'était pas de porter une analyse trop acerbe sur la situation institutionnelle d'un certain nombre d'États d'Afrique noire. Mais, il s'agissait de démontrer que malgré les efforts de démocratisation et la création d'institutions, que ce soit la création d'assemblées nationales et de sénats, de commissions de suivi et d'organisation des élections, on constate que l'essentiel du pouvoir n'est pas dans ces institutions. L'essentiel du pouvoir, depuis la décolonisation, demeure entre les mains d'un système souvent lié au président. Le théâtre démocratique ne constitue pas l'effectivité du pouvoir dans un certain nombre d'États. Ce sont des faits que cela nous plaise ou pas. À mon avis, il fallait décrire cette situation afin d'essayer de l'analyser et pour essayer d'avoir nous-mêmes une vision différente de thématiques que nous avons tous promues depuis une cinquantaine d'années mais qui, à l'aube du XXIème siècle, méritent un autre regard.
Nous avons essayé, modestement, d'être utiles avec ce rapport. Bien sûr il a pris un peu de relief mais après tout il n'est pas plus mal qu'un rapport de l'Assemblée nationale en prenne un peu.
Je tiens à souligner que nous avons élaboré ce rapport en parfaite harmonie avec Philippe Baumel. Nous y avons apporté quelques modifications pour le rendre plus lisse pour des lecteurs extérieurs, en particulier ceux qui sont concernés par ce que nous disons. Avec ce rapport, nous voulions rappeler quelques réalités essentielles. Il est à la mode de parler de l'Afrique comme le nouveau continent émergent. En réalité, beaucoup de pays africains sont extrêmement vulnérables, font face à des difficultés immenses : il nous paraissait nécessaire de le dire.
Je n'ai malheureusement pas pu assister à la présentation de ce rapport le 15 avril dernier. Cependant, il me semble excellent, et je ne comprends pas qu'il doive faire l'objet d'un second examen par la commission. Il me semble qu'il y a dans notre pays une séparation entre les pouvoirs exécutif et législatif, et que nous sommes en droit d'avoir un regard critique sur la politique africaine de la France. Les observations que vous faites, singulièrement sur l'aide au développement, nous aurions pu les faire depuis plusieurs décennies. Force est de constater qu'aujourd'hui, notre aide aux pays les moins avancés a reculé, et que la présence française dans une partie de l'Afrique est avant tout militaire et militaro-humanitaire. Cela ne correspond pas aux nécessités de notre rayonnement et à la dette que nous avons envers ces pays. Cette dette, c'est celle de l'esclavagisme, puis de la colonisation, enfin de l'exploitation des richesses naturelles de ces pays, en particulier de l'uranium au Niger. A l'heure actuelle, nos interventions militaires font de nous les obligés de régimes peu recommandables, qu'il s'agisse du Tchad ou même de l'Algérie, dont nous avons obtenu le survol du territoire pour notre opération au Mali. Pour une fois qu'un rapport ne se contente pas d'enfiler les lieux communs comme des perles, je pense que nous devons vraiment le publier et même en assurer une large diffusion.
Je suis, moi aussi, très attaché à la publication de ce rapport, dans la mesure où notre vote ne signifie pas une adhésion sur le fond, et que nous ne pouvons que reconnaître le travail considérable accompli par ses auteurs. En revanche, si nous devions voter sur le fond, je n'apporterais pas mon suffrage. Aussi pertinentes que soient certaines de vos analyses, le rapport me semble déséquilibré, car bien trop négatif. Je suis absolument contre l'« afro-pessimisme ». Je partage avec vous certains constats : je les ai moi-même faits au retour de notre déplacement avec Pierre Lellouche dans les pays du Sahel, au mois de mars. Mais dans l'ensemble, il y a dans ce rapport des accents un peu donneurs de leçon, une forme d'arrogance qui pourrait s'apparenter à du néocolonialisme.
Je suis pour que nous puissions nous exprimer en toute liberté, y compris sur des sujets sensibles. Je vous l'avais exprimé au cours de la réunion précédente, Madame la Présidente, et je vous avais même félicité pour avoir toujours entretenu et favorisé ce climat de liberté dans nos débats. Mais j'ai par la suite appris que vous aviez demandé à ce que ce rapport soit lissé, voire réécrit, pour certaines de ces parties. Et à présent, vous nous demandez de voter sur un rapport dont la substance a été altérée. Je ne peux l'admettre. Les députés sont libres ; le politiquement correct ne peut guider les travaux de notre commission. Nous devons soutenir Philippe Baumel et Jean-Claude Guibal qui ont beaucoup travaillé sur ce rapport ; cela ne vous engage pas et engage encore moins le Gouvernement français. Je vais devoir m'abstenir sur ce nouveau texte, alors même que j'en approuve le fond !
Cela me rappelle un précédent d'un de vos prédécesseurs qui avait refusé que la Commission publie un rapport. Mal lui en prit, puisque je l'ai publié chez un éditeur. En tant qu'anarchiste de droite et voltairien, je trouve effectivement regrettable que l'on demande des réécritures. Il est hors de question que ce rapport ne soit pas publié sinon je me demande bien ce que c'est la liberté du travail parlementaire et tant pis si cela choque certains partenaires africains.. Ce n'est pas la première fois que l'on a des problèmes comme ceux-là. Personnellement je suis pour des relations étroites avec ce grand continent qui va devenir de plus en plus prégnant dans les relations internationales et pour ce qui nous concerne. Il est évident qu'il faut publier ce rapport. Chacun peut dire ce qu'il en pense dans une annexe qui n'engage que lui-même.
Je voudrais dire que le fond du travail, les objectifs, et l'analyse du rapport sont extrêmement pertinents. Je m'interroge seulement sur la mise en cause de la légitimité de certains chefs d'états africains. Je ne suis pas particulièrement convaincu que cela arrange les relations internationales de la France, notamment avec un pays d'Afrique centrale sur lequel nous mettons de l'espoir pour les années à venir dans cette zone. Je me félicite que le rapporteur et le président aient modifié leur projet sur ce point.
Je trouve que le procédé des rapports mixtes « majorité-opposition » est excellent et que c'est dommage qu'il y ait une sorte de réécriture. Il y a une séparation des pouvoirs. Le rôle de l'assemblée, c'est aussi de dire ce qu'un gouvernement ne peut pas dire, qu'il soit de gauche ou de droite. Si par moment il y a des épithètes ou des qualificatifs pas très aimables sur certains, cela reflète néanmoins les opinions des rapporteurs. C'est donc un précédent qui me gêne.
Je trouve surréaliste ce terme de lissage et de réécriture. Il y a une séparation des pouvoirs. C'est l'honneur des parlementaires de pouvoir écrire ce qu'ils ont envie d'écrire. Lorsque j'ai rédigé le rapport sur les paradis fiscaux avec Monsieur Bocquet, j'ai refusé toute modification et nous avions été d'une grande fermeté.
Les modifications qui ont été apportées l'ont été par le rapporteur et le président et n'ont été dictées par personne d'autre. Je ne peux pas accepter que vienne de façon récurrente l'idée que, parce qu'on exprime une opinion, on est la voix du gouvernement dans cette assemblée. J'ai le droit moi-aussi, ainsi que plusieurs de mes collègues, d'avoir une opinion qui n'est pas celle des rapporteurs, de l'exprimer, et de laisser libre choix aux rapporteurs de la prendre en compte ou pas. C'est exactement ce qui a été fait. Personne n'a dicté au rapporteur et au président les quelques réécritures qui ont été faites. Ils l'ont fait de leur propre chef.
J'ai souligné l'extrême qualité de ce rapport, qui a auditionné de très nombreuses personnes et qui dit les choses de manière franche. En revanche, il m'a semblé, et je l'ai dit aux rapporteurs, que je trouvais qu'il y avait certaines formulations qui pourraient avoir un effet contre-productif. Mais le président et le rapporteur ont été extrêmement libres. Il n'a jamais été question dans mon esprit de ne pas autoriser la publication du rapport. J'ai simplement demandé qu'on se donne plus de temps avant de publier un rapport qui allait certainement provoquer des réactions.
Ce qui a été fait a permis, je pense, d'éviter qu'il y ait des propos contre-productifs sur le message délivré, mais rien n'a été modifié sur le fond. Je veux dire d'ailleurs à Noël Mamère que les critiques à propos de l'aide au développement n'ont pas été modifiées.
Bien entendu je vous propose d'autoriser la publication de cet important rapport, sachant que dès lors qu'il donne une vision assez pessimiste, je ne doute pas que nous ayons des réactions, mais après tout tant mieux s'il suscite un débat constructif.
Présentation du rapport d'information sur les nouvelles données de la géopolitique de l'énergie (MM. Christian Bataille et André Schneider, co-rapporteurs)
Fondée sur le charbon, la Révolution industrielle a montré que la maîtrise de l'énergie commande les rapports entre les puissances. Cet élément s'est renforcé avec le pétrole, l'un des éléments du passage au premier rang des Etats-Unis dès la fin du XIXe siècle, et ensuite avec le gaz naturel.
Ce constat ne s'est pas démenti depuis. Les hydrocarbures ont conservé leur prééminence dans le bouquet énergétique mondial, acquise dès les années 1960. Ils en représentent actuellement 53%, dont un peu plus de 31% pour le pétrole et de 21% pour le gaz naturel, alors que, pour mémoire, l'autre grande source d'énergie, le charbon, est à 29%.
La France est une exception dans le monde pour avoir substitué l'énergie nucléaire à son déficit en ressources propres en matière d'hydrocarbures.
Le pétrole est peut-être une arme de combat, d'une efficacité d'ailleurs supérieure à la force militaire. La Russie, puissance impériale, l'a compris.
Les Etats-Unis voudront peut-être de la même façon et par les mêmes méthodes affirmer une suprématie en Asie et en Amérique du Sud. La Révolution du gaz et du pétrole de schiste les propulse au premier rang pour le gaz et peut-être même pour le pétrole. Elle leur en donne la faculté.
D'autres puissances émergentes, si leur sous-sol révèle des richesses, seront dans l'avenir tentées d'agir de la même façon. Il leur faudra cependant la durée.
Bien peu de pays, notamment les pays européens, auront la capacité de desserrer le noeud coulant du pétrole comme viennent de le faire magistralement les Etats-Unis.
Pour ce qui concerne les échanges de produits énergétiques, il faut d'abord remarquer que l'on assiste, depuis 2005, à la montée en puissance des hydrocarbures non conventionnels, gaz et pétrole de schiste. Leur exploitation est pour l'instant cantonnée aux Etats-Unis, et concerne un peu le Canada, mais les volumes sont cependant déjà significatifs au regard de la production mondiale : de l'ordre de 4 à 5% pour le pétrole, et plus de 8% pour le gaz naturel. Ils sont appelés à se développer. Une petite production est déjà constatée pour le pétrole en Argentine et pour le gaz en Chine.
Ensuite, il faut observer que non seulement la production, mais aussi et surtout les exportations et les réserves actuellement prouvées de pétrole et de gaz naturel sont concentrées sur un assez petit nombre de pays. Les grands pays importateurs, notamment des pays européens, sont ainsi en situation de dépendance potentielle vis-à-vis de ces Etats.
La situation n'est cependant pas la même pour le pétrole et pour le gaz naturel.
Pour le pétrole, les grands exportateurs sont, d'après les chiffres de l'Agence internationale de l'énergie, l'Arabie saoudite, 18,7% du total, la Russie, 12% et ensuite autour de 5à 6% chacun, d'autres pays du Moyen-Orient : Irak, Koweït et Emirats arabes unis.
Les réserves prouvées sont tout aussi concentrées avec 48% du total mondial pour le Moyen-Orient, dont 15,5% en Arabie, 28% pour la Russie et les pays d'Asie centrale de l'ex-Union soviétique, et un peu plus de 17% pour le Venezuela.
A l'opposé, si l'on excepte les Etats-Unis, très grand producteur de pétrole avec une production comparable à celle de l'Arabie saoudite et de la Russie, mais qui restent un grand importateur de pétrole, avec plus de 20% encore du total mondial en 2012, les grands importateurs pétroliers nets sont les grandes puissances économiques, la Chine, avec 13% du total, l'Inde, avec 9%, le Japon, la Corée du Sud et ensuite les pays européens.
Pour compléter ce panorama, il faut rappeler qu'une large partie de la production de pétrole, environ 40%, est contrôlée par les pays de l'OPEP. L'OPEP fixe à ses membres des quotas de production. Ceux-ci détiennent, selon les estimations, entre 75% et 80% des réserves prouvées. En outre, le paysage pétrolier n'est pas tant dominé par les grandes compagnies multinationales issues des mégafusions des années 1990 et 2000, les Supermajors, dont Total, que par les compagnies nationales des pays producteurs, dont celles des membres de l'OPEP naturellement.
La situation de dépendance politique qui pourrait en résulter est cependant tempérée par le fait que, sous réserve de quelques contraintes dues aux différences de qualité, les barils de pétrole sont interchangeables les uns les autres. Il y a donc un véritable marché mondial du pétrole avec des prix qui évoluent de manière coordonnée pour les différents bruts de référence, parmi lesquels le Brent de la Mer du Nord.
Mais, le rôle très politique du pétrole est quand même rappelé par le fait que c'est l'Arabie saoudite, grâce à ses capacités de production aisément mobilisables, principal pays de l'OPEP, qui peut jouer le rôle le producteur d'appoint permettant la régulation du marché, ce qu'elle a en général fait jusqu'à ces derniers mois.
S'agissant du gaz naturel, la situation n'est comparable à celle du pétrole que pour ce qui concerne la concentration de la production, des exportations et aussi des importations.
Grâce à la révolution du gaz de schiste, les Etats-Unis sont maintenant le premier producteur mondial, à raison de 20% du total, mais ils ne sont pas encore exportateurs. L'Iran, qui est le quatrième producteur mondial, n'est pas non plus exportateur, en raison , pour l'essentiel, du volume de sa consommation intérieure.
Les échanges internationaux sont donc dominés par trois grands exportateurs : la Russie, avec 24% du total mondial, le Qatar, 14%, et la Norvège, 12%. Les autres exportateurs sont de moindre importance : Canada, Algérie, Turkménistan et Pays-Bas.
Pour l'avenir, et c'est un élément important, l'essentiel des réserves mondiales actuelles se trouvent, en l'état, en Iran (18,2%), en Russie (16,8%), au Qatar (12,3%) et au Turkménistan (9,4%).
Face à ces pays, les grands importateurs de gaz naturel sont le Japon (14,7% du total), puis l'Allemagne (9,1%), l'Italie (7,4%), la Corée du Sud (6,3%) et la Chine (5,9%).
Contrairement au pétrole, les échanges internationaux de gaz naturel manquent de souplesse, car le méthane ne se transporte que dans des conditions très particulières de pression ou de température. Ces échanges sont donc très contraints par les infrastructures, gazoducs ou bien terminaux de liquéfaction et de regazéification du GNL transporté par navire méthanier.
Pour l'Europe, les deux tiers de l'approvisionnement se font par gazoduc, et dans le cadre de contrats de long terme, lesquels restent d'ailleurs pour plus de la moitié d'entre eux indexés sur le prix du pétrole, et pour un tiers par GNL. Pour l'Asie, c'est en quasi-totalité par méthanier. En 2012, 71% du GNL mondial a été destiné à l'Asie.
Si la Russie domine les exportations par gazoduc, et reste le producteur d'appoint du gaz naturel, le Qatar domine l'offre de GNL au niveau mondial.
Il en résulte qu'il n'y a pas de marché mondial du gaz naturel, mais trois grands compartiments de marché avec des prix différents : l'Amérique du Nord, avec un prix très bas, actuellement de 3 dollars par million d'unités thermiques britanniques, le Mbtu, qui est la référence ; l'Europe, avec un prix qui était encore autour de 10 dollars il y a quelques semaines ; et l'Asie qui était autour de 15 à 16 dollars, depuis que le Japon a arrêté toutes ses centrales nucléaires.
Pour être tout à fait exhaustif, les pays importateurs sont dépendants, mais dans le cadre d'une interdépendance ou d'une dépendance réciproque avec les pays exportateurs. La plupart des pays exportateurs sont dépendants des importateurs pour leur balance commerciale, ainsi que pour leur budget, et aussi pour le niveau de vie de leurs populations, qui bénéficient d'une énergie largement subventionnée. Dans l'ensemble du monde, l'Agence internationale de l'énergie recense ainsi environ 550 milliards de dollars d'aides à la consommation d'énergie principalement d'ailleurs au Moyen-Orient et en Asie centrale, en Amérique latine (Venezuela et Argentine) et en Russie.
En l'état, il n'y a pas de géopolitique des autres sources d'énergies semblable à celle des hydrocarbures. Ni les échanges de charbon, ni ceux d'uranium, ni naturellement les renouvelables n'en ont la teneur. Il faut cependant être vigilant sur les équipements de production des renouvelables, notamment sur les terres rares qui sont utilisées pour certains de leurs composants, et sur lesquelles travaille d'ailleurs en ce moment l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques : la Chine a un quasi-monopole de fait.
Dans un tel contexte, plusieurs enjeux diplomatiques ou de sécurité sont clairement perceptibles, à différents niveaux.
D'abord, la région du Moyen-Orient a été identifiée comme stratégique depuis l'accord du Quincy dit pétrole contre sécurité, entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite, en 1945.
Ensuite, les échanges de pétrole, mais aussi de gaz naturel par méthanier, reposant sur la liberté des mers, la sécurité de quelques points de passage très difficiles à contourner, en l'état, est essentielle aux marchés mondiaux et à la stabilité. Le premier d'entre eux est naturellement le détroit d'Ormuz, où passent chaque jour 17 millions de barils, ce qui représente 20% de la consommation et 35% des échanges internationaux de pétrole. Cette « veine jugulaire », selon la formule de Cyrus Vance, a pu faire l'objet de menaces de minage par l'Iran, à certains moments, depuis 1979. L'utilité des différentes bases américaines dans le Golfe a donc été démontrée. La France aussi a une base dans le Golfe, à Abou Dhabi.
Les autres points de passage névralgiques sont Suez, Bab el Mandeb, au sortir de la Mer rouge, dont l'accès a dû être libéré à partir de 2008 de la piraterie maritime, ainsi que Malacca et Panama, de même que, dans une moindre mesure le Bosphore et les Dardanelles, et les détroits danois.
Le deuxième enjeu diplomatique est aussi bien connu, c'est celui de l'utilisation des hydrocarbures et du pétrole comme arme politique. Il y a les exemples d'embargo unilatéral, comme celui des Etats-Unis vis-à-vis du Japon en 1940 et 1941, ou celui de l'Arabie saoudite contre le Royaume-Uni et la France au moment de Suez, et naturellement celui des pays arabes contre certains pays occidentaux au moment de la guerre du Kippour, à l'origine du premier choc pétrolier en 1973.
Il y a aussi l'utilisation de l'instrument qu'est le pétrole par la communauté internationale ou certains pays, au titre des sanctions. Que ce soit pour empêcher le ravitaillement de la Rhodésie ou de l'Afrique du Sud en raison de leur politique de discrimination raciale alors en cours, ou pour empêcher l'Irak de Saddam Hussein de mener une politique contraire à la stabilité régionale grâce aux recettes pétrolières, la communauté internationale a eu recours aux hydrocarbures.
Enfin, selon un point de vue plus large, il faut considérer que l'exploitation des hydrocarbures donne aux pays qui en tirent profit un poids politique accru. Le rapport retient deux exemples de pays forts différents.
Le premier est naturellement la Russie, pour laquelle, par l'intermédiaire de Gazprom, le gaz naturel est un instrument de politique extérieure. Son accès à prix favorable est l'une des contreparties d'une proximité avec la Russie et un élément clef de l'adhésion au projet eurasiatique. A l'opposé, comme le montre le cas de l'Ukraine, tout éloignement vis-à-vis de la Russie, ou en l'espèce, tout rapprochement avec l'Union européenne et l'OTAN, entraîne de ce fait des difficultés gazières. Le gaz a aussi été l'un des éléments de la crise ukrainienne qui a débuté l'an dernier avec l'annexion de la Crimée et s'est poursuivie par le volet non encore clos du séparatisme armé dans l'Est de l'Ukraine.
Un élément particulièrement significatif du rôle des hydrocarbures dans la grande stratégie russe est la politique déployée vis-à-vis des pays de l'Asie centrale. L'objectif est de conserver le bénéfice du transit de leur gaz et de leur pétrole par la Russie. C'est une partie complexe, un nouveau « grand jeu », dont l'accord de l'automne dernier sur le statut de la Mer Caspienne est l'un des éléments.
Le deuxième exemple de pays dont le rôle international doit beaucoup aux hydrocarbures, et dans son cas au GNL, est le Qatar. Ce pays de 2 millions d'habitants, dont 200.000 nationaux, dispose, à la fois sur le plan diplomatique, sur le plan militaire, depuis sa participation aux opérations en Libye, mais aussi sur le plan économique et culturel, d'un rôle, d'une influence et d'une visibilité internationales sans commune mesure avec sa très faible population.
Ces fondamentaux étant rappelés, l'exploitation aussi surprenante que spectaculaire d'une quantité aussi importante de gaz et de pétrole de schiste aux Etats-Unis a eu trois effets majeurs.
Le premier, particulièrement appréciable, est que les marchés pétroliers et gaziers ont été correctement alimentés depuis le milieu des années 2000, malgré plusieurs événements majeurs qui ont pesé sur la production, alors même que la demande énergétique allait croissant au niveau mondial, notamment en gaz et en pétrole.
Pour le pétrole, plusieurs événements politiques majeurs ont perturbé la production, notamment dans la zone stratégique de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, en Libye, en Irak, au Yémen, mais aussi au Nigéria et au Soudan. De même, il faut rappeler que le renforcement des sanctions contre l'Iran en 2012, a entraîné le retrait d'environ un million de barils jour du marché mondial. Pourtant, aucune crise mondiale consécutive à ces ruptures d'approvisionnement n'est intervenue.
La production d'huile de schiste américaine est donc venue à point nommé pour renforcer les capacités de production mondiales, qui sont passées de 82 à plus 91 millions de barils jour de 2000 à 2013.
Pourtant, on a assisté à une augmentation des prix spectaculaire, passant de 24 dollars le baril en 2002 à un maximum de plus de 140 dollars en juillet 2008. Ensuite, après un effondrement temporaire au moment de la crise financière, le niveau des prix a été contenu autour de 100 dollars le baril jusqu'à l'effondrement imprévu de ces derniers mois, lequel fait l'objet de développements ultérieurs.
Globalement, une marge de capacité de production a été restaurée grâce aux nouveaux puits américains et on note aussi qu'à partir de 2007, l'indicateur qu'est la consommation chinoise de pétrole par rapport à la production américaine de pétrole, qui n'avait cessé d'augmenter, s'est mis à diminuer, réduisant ainsi la tension éventuelle sur la ressource entre les deux plus grandes puissances mondiales.
Pour ce qui concerne le gaz naturel, la production américaine de gaz de schiste a permis aussi de surmonter sans autre difficulté qu'un prix plus élevé du GNL sur le marché asiatique, les conséquences de Fukushima et de l'appel du Japon aux ressources du marché mondial. Sans cette production, les Etats-Unis seraient restés des importateurs majeurs de gaz naturel, et notamment du GNL russe qu'ils avaient prévu d'importer au début des années 2000 à partir des terminaux du Grand Nord.
La deuxième conséquence majeure de l'exploitation du pétrole et du gaz de schiste concerne les Etats-Unis.
Il ne faut pas hésiter à parler de révolution, notamment pour le gaz, car on assiste à un retour de la puissance américaine, ce qui dément d'ailleurs au passage le pronostic ou le diagnostic récurrent sur son déclin.
Il faut aussi remarquer que la mise au point de la technique d'extraction, fracturation de la roche et forage horizontal, est le résultat d'une politique de recherche publique de long terme, qui a son origine dès les années 1970.
Les résultats sont en tout état de cause là.
D'abord, les Etats-Unis sont le premier producteur mondial de gaz naturel, mais ils ont aussi retrouvé en matière pétrolière une production comparable à celle de l'Arabie saoudite et de la Russie. La question de savoir s'ils sont ou non le premier producteur mondial de pétrole reste encore en suspens tant que les statistiques annuelles 2014 et les premières statistiques pour 2015 ne sont pas publiées.
Ensuite, sur le plan économique, le boom du gaz de schiste a eu un impact très impressionnant. Il a permis une abondance à faible coût. Les puits non conventionnels sont de plus en plus rentabilisés par le seul pétrole, ce qui fait du gaz un produit joint dont le bénéfice est très proche du prix de vente. Par conséquent, l'industrie américaine a bénéficié d'une production croissante d'électricité à partir du gaz à bas prix, et d'une énergie et de matières premières très avantageuses pour son raffinage et son industrie chimique. Ces deux banches ont atteint une compétitivité telle qu'elles ont menacé non seulement le raffinage et la chimie européenne, mais aussi ces mêmes branches en Asie. Par conséquent, de nombreux projets industriels ont été prévus pour être créés ou délocalisés aux Etats-Unis.
Il faut aussi constater de manière globale que le déficit commercial américain s'est réduit, en raison non seulement de la très forte baisse des importations gazières et pétrolières, mais aussi par exemple de l'accroissement des exportations de charbon, pour le plus grand bénéfice des Etats-Unis qui réduisent ainsi leurs émissions de gaz à effet de serre, pendant que celles de l'Allemagne ont recommencé à augmenter, puisque produire de l'électricité à partir du charbon est devenu en Europe plus intéressant qu'à partir du gaz naturel. Le gaz naturel émet en effet beaucoup moins de CO2 que le charbon.
Contrairement à ce qui a pu être dit, la ressource est durable, et non éphémère, et son exploitation va se maintenir dès lors que les conditions de prix assureront la rentabilité des nouveaux puits qui remplaceront les plus anciens. A la différence des gisements traditionnels qui exigent un investissement initial très important, mais sont ensuite exploités sur le simple engagement des coûts opérationnels, les gisements non conventionnels sont fondés sur un grand nombre de puits dont le renouvellement est plus fréquent.
Enfin, les Etats-Unis sont autosuffisants en gaz naturel et vont être en mesure d'exporter du GNL dès l'année prochaine puisque les premiers terminaux d'exportation de GNL, en Louisiane, vont être opératoires, et d'autres le seront dans les mois et les années qui suivront. Les Etats-Unis ont aussi la perspective de s'approcher de l'autosuffisance en pétrole. Le taux de dépendance actuel qui est d'un tiers, contre 60% au début des années 2000, devrait se réduire autour de 25%, voire moins, vers 2020. D'ailleurs, les Etats-Unis sont déjà excédentaires en produits raffinés : une partie du brut qu'ils importent est donc, de fait, destinée aux exportations de produits raffinés.
Plusieurs éléments sont à l'origine de ce succès, notamment des entreprises souvent moyennes, nombreuses et très dynamiques dans la finance et l'ingénierie, et, aussi, le droit civil américain qui reconnaît à celui qui possède le sol, la propriété du sous-sol.
Sur un plan plus international, le gaz et le pétrole de schiste pourraient avoir plusieurs conséquences majeures.
En effet, la carte des gisements possibles établie par l'US EIA, l'Agence américaine d'information sur l'énergie, et les évaluations qui en résultent, mettent en évidence des facultés nouvelles de production de gaz et de pétrole en dehors des zones de production traditionnelles, et aussi des possibilités de prolongation ou de renouvellement de la production dans les zones traditionnelles.
C'est donc une nouvelle donne de la géographie des hydrocarbures au niveau mondial. Pour le pétrole, l'huile de schiste, les principaux pays sont la Russie, les Etats-Unis, la Chine, l'Argentine, et la Lybie, mais l'Europe n'est pas absente notamment la France.
Pour le gaz, ce sont la Chine, l'Argentine, l'Algérie, les Etats-Unis, le Canada, le Mexique, l'Australie et l'Afrique du Sud qui sont a priori les pays les mieux dotés, mais l'Europe n'est pas non plus absente.
Hors de l'Union européenne, l'intérêt manifesté pour cette nouvelle ressource est d'ailleurs significatif, notamment en Argentine, en Chine, en Australie, pour l'après-gaz de houille, et même en Russie, en Arabie saoudite et en Algérie. Pour les pays qui entament les recherches ou qui débutent l'exploitation, il faut bien mesurer qu'un délai de dix ans, considéré comme incompressible, s'écoule entre le début de l'exploration et les premières conséquences industrielles. En outre, les conditions américaines sont jugées par les professionnels comme spécifiques, et l'impossibilité de les répliquer pourrait se traduire par des coûts plus élevés.
Le deuxième enseignement global de la révolution du gaz de schiste, lequel est largement illustré par les projections à long terme de l'Agence internationale de l'énergie, est que les grands équilibres énergétiques mondiaux sont en train de se reconfigurer et qu'ils vont en l'état se traduire par un face-à-face entre l'Europe et les très grandes puissances asiatiques pour l'accès aux ressources des pays tiers exportateurs, tant en pétrole qu'en gaz naturel. Et cela va intervenir dans un contexte incertain où les capacités des grands exportateurs actuels du Moyen-Orient dépendront tant du niveau des investissements qui seront faits pour maintenir la production, que de l'évolution de la démographie et de leur capacité concernés à mener les réformes pour changer leur mode de consommation énergétique actuel, qui est très peu économe, et obère donc les facultés d'exportation.
La troisième partie du rapport concerne donc les enseignements à tirer de cette nouvelle géographie de l'énergie sur le plan des relations internationales.
Le premier d'entre eux concerne les Etats-Unis, avec deux éléments essentiels.
D'abord, la nouvelle perspective de leur indépendance énergétique modifie les termes de leur implication dans le monde, notamment au Proche et au Moyen-Orient, dont ils assurent la sécurité. Leur premier engagement a été celui pris dans le cadre du Pacte dit pétrole contre sécurité, du Quincy, conclu en 1945 entre le président Roosevelt au retour de Yalta et le Roi Ibn Séoud, accord renouvelé en 2005 sous la présidence de George W. Bush. Cet engagement régional américain a été renforcé au fur et à mesure que le Royaume-Uni s'est retiré du Golfe, notamment à partir de 1967, et avec l'indépendance ensuite des pays du Golfe.
Néanmoins, et cela a été observé non seulement lors des entretiens aux Etats-Unis, notamment au département d'Etat (DoS) et au département de la Défense (DoD), mais aussi à Paris, quatre éléments font que l'on ne devrait pas assister à un désengagement américain du Proche et Moyen-Orient.
Le premier est d'ordre économique. La région est trop importante pour l'équilibre du marché mondial du pétrole. Sa brusque déstabilisation aurait des conséquences qui affecteraient également les Etats-Unis, car le marché du pétrole est mondial, mais aussi leurs Alliés, notamment leurs alliés européens et asiatiques, d'une manière trop périlleuse.
Les trois autres éléments sont d'ordre politique. D'abord, les Etats-Unis ne peuvent s'abstraire de toute implication dans la stabilité régionale. Leur désengagement d'Irak n'a que peu duré, car les événements les y sont rappelés avec Daech. Ensuite, la sécurité d'Israël leur impose d'être présents. Enfin, il y a la lutte contre le terrorisme qui est une menace beaucoup trop importante pour la sécurité non seulement régionale mais aussi globale pour qu'elle puisse être ignorée.
Evidemment, les termes de cette implication de nature davantage politique qu'économique des Etats-Unis au Proche-Orient sont d'autant plus complexes que les relations avec l'allié traditionnel qu'est l'Arabie saoudite se sont compliquées ces dernières années, notamment en raison de la possibilité d'un éventuel accord nucléaire avec l'Iran, même si certains signes récents montrent une certaine évolution.
Cet accord avec l'Iran, dont le principe a fait l'objet d'un compromis difficile entre le Congrès et le président Obama, à la suite de l'accord cadre du 2 avril, pourrait permettre une première normalisation des relations avec l'Iran, mais il est clair qu'il faudrait beaucoup d'autres conditions que cet accord et la convergence d'intérêts dans la lutte contre Daech, pour que l'Iran cesse d'être une source de préoccupations pour les Etats-Unis.
Le deuxième élément politique majeur qu'apportent aux Etats-Unis la révolution du gaz de schiste sur le plan international concerne les exportations. A terme, une fois les projets en cours de terminaux de GNL autorisés et achevés, les Etats-Unis devraient disposer d'une capacité d'exportation du même ordre que celle du Qatar, ce qui leur permettrait de jouer un rôle majeur sur le marché très politique des échanges internationaux de gaz naturel, surtout en Asie.
Tous les aspects de la question ne sont pas tranchés, notamment la question juridique qui soumet à autorisation les exportations, sauf en présence d'un accord de libre-échange, auquel cas la procédure est automatique. Le débat interne est entre les partisans des exportations, notamment pour des motifs de politique étrangère, et ceux qui souhaitent conserver les avantages d'un marché intérieur très abondant, garant de la compétitivité économique de l'industrie comme par ailleurs du confort du consommateur américain, très sensible au prix de l'énergie.
La question de la doctrine d'exportation fait aussi l'objet d'un examen. Actuellement, elle est celle d'une alimentation du marché mondial, donc d'une livraison vers l'Asie, où les prix sont les plus élevés. Elle est moins strictement commerciale qu'il n'apparaît. En effet, la simple détente du marché mondial libère des capacités d'exportation venant d'autres pays producteurs, au profit de l'Europe, et, d'ailleurs, les contrats conclus avec des opérateurs français et lituaniens montrent que les exportations de gaz américains peuvent déjà intervenir au bénéfice du lien transatlantique.
Le deuxième enseignement majeur des nouvelles données de la géopolitique de l'énergie est que la baisse de l'ordre de 50% des cours du pétrole depuis juillet 2014 et l'actuel niveau des cours, de l'ordre de 60 dollars pour le Brent, doivent continuer à être interprétés avec prudence.
Une telle évolution a en effet surpris, et même pris de cours, les marchés, c'est-à-dire les professionnels, et elle s'explique non pas par une baisse de la demande, mais par un excès d'offre au demeurant assez léger, dans un contexte de moindre croissance de la demande.
Elle s'accompagne de transferts de l'ordre de 500 milliards de dollars des pays producteurs vers les pays consommateurs. Cette situation est très favorable à la France, dont la facture pétrolière serait allégée de 17 milliards d'euros pour un baril au cours actuel. La facture pétrolière et gazière passerait ainsi avec ce cours de 62,5 milliards d'euros en 2013 à 41 milliards en 2015.
Sur le plan sectoriel, c'est un effet favorable, même s'il est fragile, un « été indien », pour le raffinage, et c'est aussi favorable aux secteurs économiques autres que ceux liés au pétrole.
A la fois producteur et consommateur, les Etats-Unis sont dans une situation intermédiaire.
En revanche, les pays producteurs sont en grande difficulté, notamment ceux sous sanctions, la Russie et l'Iran, mais aussi les très nombreux pays dont l'équilibre budgétaire est fondé sur un prix du pétrole élevé, parmi lesquels l'Algérie, le Venezuela, et le Nigéria. Les pays disposant d'importantes réserves financières accumulées grâce aux exportations passées, notamment ceux du Golfe, ont en revanche d'importantes capacités de résistance et peuvent attendre.
Les pays producteurs sont d'autant plus préoccupés qu'il n'y pas de certitude sur la durée des cours actuels. L'Agence internationale de l'énergie estime que le réajustement de l'offre et de la demande se fera d'ici la fin de la décennie, mais pense même à un certain rééquilbrage du marché dès la fin du second semestre. Il est très difficile de faire des prévisions car la première conséquence de la baisse des cours a été d'affecter la trésorerie des entreprises pétrolières, ce qui a conduit à un report des investissements qui sont la clef des capacités de production futures. Tout élément nouveau est examiné et évalué soigneusement. Après l'accord cadre du 2 avril avec l'Iran, l'Agence américaine d'information sur l'énergie a évalué à 600.000 barils jour le supplément de production sur le marché d'ici fin 2015, mais cela dépend du calendrier de la levée des sanctions.
L'incertitude est d'autant plus importante que l'on a des interrogations sur deux éléments essentiels de l'ajustement du marché.
Le premier concerne l'Arabie saoudite. Contrairement à ce qu'elle avait fait au moment de l'effondrement des cours consécutifs à la crise financière de 2008, celle-ci n'a pas réduit sa production et n'a pas non plus souhaité que l'OPEP prenne un décision de réduction des quotas, le 27 novembre dernier.
Il y a deux explications à cela. L'une est d'ordre économique et commercial, et semble devoir être privilégiée. Comme il n'y pas baisse de la demande, mais excédent de production, toute diminution de sa propre production entraînerait celle des parts de marché de l'Arabie, sans aucune perspective de les reprendre en l'absence d'une demande ultérieure suffisamment dynamique. L'autre explication, d'ordre politique, est fondée sur le constat que les pays les plus en difficulté, l'Iran d'abord, et la Russie ensuite, sont pour le premier le concurrent régional de l'Arabie, et perçu par elle comme une menace, et par ailleurs les deux principaux soutiens de Bachar el Assad. En outre, ce serait aussi un moyen d'affirmer, par rapport aux producteurs américains, la capacité de l'Arabie, qui dispose de réserves financières très larges lui permettant de surmonter pendant plusieurs années des cours déprimés, à conserver la maîtrise du marché.
Il y a, en effet, une interrogation majeure qui concerne le mode d'ajustement du marché mondial du pétrole. Celui-ci fonctionne-t-il encore avec l'Arabie saoudite comme producteur d'appoint ou est-il en train de changer en s'ajustant dorénavant sur le coût d'exploitation du producteur marginal, comme la théorie économique le voudrait ? En d'autres termes, le rôle de régulateur n'est-il pas en train d'être repris par le pétrole américain ?
C'est une question à laquelle il est encore trop tôt pour apporter une réponse, mais qui mérite d'être posée. L'exploitation des gisements de gaz et de pétrole de schiste repose sur un très grand nombre de puits dont la durée de production optimale en début de cycle, est moins longue que celle des puits classiques. Par conséquent, le maintien de la production exige des investissements fréquents pour ouvrir de nouveaux puits. Ainsi, toute augmentation des cours relance l'investissement et la production, ou bien, à l'opposé toute baisse des cours diminue l'investissement et la production, non pas de manière instantanée certes, mais avec des délais beaucoup plus brefs que dans le cas de figure du champ conventionnel.
C'est dans quelques mois que nous aurons les premiers éléments de réponse à cette question essentielle. On peut tout juste observe que pour la première fois, l'Agence américaine d'information sur l'énergie, l'EIA, a anticipé une baisse en mai de la production de pétrole de schiste, de l'ordre de 570.000 barils jour.
Dans un tel contexte d'ensemble, il est possible de tirer un certain nombre de conséquences pour l'Europe, étant au préalable rappelé quatre éléments.
Le premier est la dépendance énergétique de l'Union européenne. Celle-ci est actuellement très élevée à raison de 88% pour le pétrole et brut et de 66% pour le gaz naturel, et elle est, en l'état, destinée à augmenter, en raison de l'épuisement des gisements pétroliers de la Mer du Nord, et des gisements gazier de cette même Mer du Nord et de Groningue.
Le deuxième élément, sur lequel l'actualité complète presque chaque jour notre information, est la relation de l'Union européenne avec son principal fournisseur non seulement de gaz naturel, à raison de 32%, mais aussi de pétrole, à raison de 34%, qu'est la Russie. Cette relation est de plus en plus difficile.
On constate que Gazprom se plie difficilement aux règles du marché intérieur, notamment du troisième paquet « énergie » sur la séparation patrimoniale, et que la Russie cherche clairement à mettre l'Union européenne en concurrence ouverte non seulement avec la Chine, mais aussi avec la Turquie, ce que d'ailleurs le Premier ministre turc a décliné lorsqu'après l'annonce de l'abandon de South Stream, Gazprom a proposé de livrer le gaz qui transite actuellement par l'Ukraine par la Turquie uniquement.
La Commissaire européenne à la concurrence, Mme Margrethe Vestager, vient d'ailleurs d'adresser trois griefs à Gazprom, au titre des pratiques anticoncurrentielles et abus de position dominante soupçonnés.
Le troisième constat est de long terme. Les perspectives d'abondance de la ressource en gaz et en pétrole que l'on constate au niveau mondial, grâce au non conventionnel, repoussent à très loin tout scénario de type « pic pétrolier », ou « dernière goutte de pétrole », mais elles ne garantissent pas pour autant l'approvisionnement de l'Europe, compte tenu des facteurs d'instabilité croissante dans l'Arc de crise qui va de l'Atlantique à l'Océan indien, et où se trouve une majeure partie de la production et des réserves.
Le quatrième élément de réflexion concerne la recherche de nouvelles sources d'approvisionnements en hydrocarbures, différentes des sources actuelles. Cette recherche est indépendante de la question climatique et des négociations en cours : elle ne concerne pas le niveau de la ressource, mais son origine. En outre, il faut relever que dans le cadre de son scénario dit 450 compatible avec l'hypothèse d'une modification du mix énergétique mondial permettant de contenir à 2° le niveau de la température terrestre, l'Agence internationale de l'énergie prévoit le maintien d'un certain niveau de consommation d'hydrocarbures dans les prochaines décennies, à l'horizon 2040.
Dans cette perspective et comme le propose la Commission européenne dans le cadre de sa stratégie, il appartient à l'Europe de fonder sa sécurité énergétique, tant sur le renforcement du marché intérieur, que sur la diversification des fournisseurs et des voies d'accès au gaz naturel et sur la valorisation de ses propres ressources, en allant jusqu'à l'exploration voire l'exploitation du gaz et du pétrole non conventionnels qu'apparaît contenir son sous-sol.
Lorsque l'on évoque la diversification des fournisseurs, il ne s'agit pas de cesser toute relation avec la Russie, qui reste incontournable en raison de l'importance des volumes, avec selon les années de 120 à 150 milliards de mètres cubes, mais de banaliser d'une certaine manière la relation en la réduisant à un aspect commercial, tout en ayant naturellement, par ailleurs, une politique russe, celle que les circonstances permettront, sur le plan politique.
Le renforcement du marché intérieur est déjà en cours, avec notamment les flux inversés ou flux rebours, progressivement installés, et qui permettent de ravitailler en gaz les pays d'Europe orientale, d'Ouest en Est. L'objectif est de décloisonner l'Europe de l'Est où les négociations avec Gazprom sont moins avantageuses qu'avec les opérateurs gaziers des grands pays consommateurs de l'Ouest.
Pour sa part, la diversification des fournisseurs passe en partie par l'accès au GNL, notamment américain, car il faut tenir compte des perspectives limitées qu'offrent les alternatives du gaz norvégien et aussi du gaz algérien, tant que le gaz de schiste n'y est pas exploité. De ce point de vue, l'Europe est bien équipée en terminaux, notamment sur la façade atlantique, et là où l'on en manquait, à l'Est, deux projets sont venus combler ce manque dans la Baltique : l'un en Lituanie pour les Pays Baltes ; l'autre en Pologne.
Mais cette diversification passe aussi par les tubes, par les gazoducs du Corridor Sud, pour avoir accès via la Turquie, aux gisements d'Azerbaïdjan, et au-delà de la Caspienne et d'Asie centrale. C'est aussi une voie d'accès aux gisements sous-marins de Méditerranée orientale, situés entre Chypre, la Syrie, le Liban, Israël et l'Egypte. Il convient donc que les infrastructures montent en puissance pour que les capacités, actuellement réduites, soient à terme au rendez-vous.
Au passage, on observe que pour le gaz comme pour le pétrole, la diversification est la stratégie suivie par la Chine, qui évite toujours de trop se lier avec un fournisseur.
Il convient enfin de développer, pour qu'elles soient toujours adaptées aux besoins, les installations de stockage de gaz naturel. L'Agence internationale de l'énergie prévoit l'augmentation du recours au gaz, qui émet beaucoup moins de CO2 que le charbon pour la même quantité d'énergie.
Enfin, le dernier volet d'une stratégie européenne de sécurité énergétique qui serait complète, concerne la valorisation des ressources propres.
Il faut mentionner le gaz de houille et le biogaz, qui suivent leurs cours, même si le premier pourrait d'ores et déjà être davantage développé.
Le rapport évoque aussi sur le gaz et le pétrole de schiste pour lesquels les pays européens sont encore frileux, sauf la Pologne, où les résultats ne sont pas au rendez-vous pour l'instant, le Royaume-Uni et le Danemark, lequel veut en faire l'un des instruments de sa transition énergétique.
Cette frilosité donne l'impression que l'Europe manque une étape essentielle du progrès, ce qui est regrettable.
D'abord, ses ressources en hydrocarbures non conventionnels ne sont pas négligeables, selon l'EIA, l'Agence américaine d'information sur l'énergie.
Ensuite, c'est d'un intérêt économique et industriel majeur pour assurer le maintien sur nos territoires d'une industrie chimique et du raffinage, comme l'a remarqué notre collègue Frédéric Barbier dans le cadre d'un rapport d'information de la commission des affaires économiques en avril 2014.
L'enjeu est naturellement essentiel en termes d'emplois et en termes économiques. Il l'est aussi d'un point de vue géopolitique, car en l'absence de filière d'aval des hydrocarbures en Europe, l'actuelle géopolitique des matières premières, déjà suffisamment complexe, ne manquera pas de se doubler d'une géopolitique des produits finis.
Enfin, il est clair, dès lors que la simple présence d'hydrocarbures de schiste sera avérée, que les pays correspondants de l'Union européenne, et les entreprises qui les fournissent, auront dans les négociations avec les fournisseurs une carte supplémentaire à jouer. Ce n'est pas à négliger.
Pour la France, cette question de l'exploration d'abord, avant même d'envisager l'exploitation, est très sensible puisque notre pays a interdit jusqu'à la recherche, et il est avec la Bulgarie le seul Etat membre de l'Union à avoir pris une mesure de prohibition.
Néanmoins, nous jugeons indispensable de la poser.
D'abord, ce serait inutilement tronquer les conclusions auxquelles conduit logiquement l'examen objectif des données de la géopolitique de l'énergie. Ensuite, trois impératifs recommandent à notre pays d'exploiter les importantes ressources que les données publiées et confirmées par la géologie, selon les experts américains du département de l'énergie, invitent à prendre en considération : d'abord, le rétablissement de sa balance commerciale, en substituant des produits nationaux à des produits importés ; ensuite, la compétitivité et l'emploi dans un secteur pétrochimique et du raffinage qui a été particulièrement mis à mal, sans même évoquer l'activité directe issue de l'extraction ; enfin, la solvabilité de notre pays dans les relations avec les détenteurs internationaux de dette publique, dès lors que l'évolution actuelle du déficit n'exclut pas que celle-ci atteigne de l'ordre de 100% du PIB. Les producteurs de matières premières sont toujours considérés comme des pays financièrement plus sûrs.
A l'issue de plus d'un an de travaux, plusieurs éléments s'imposent clairement comme des fondamentaux de la géopolitique de l'énergie.
D'une part, le sujet est très évolutif et mouvant, et il peut varier de façon spectaculaire et rapide.
Il est aussi clair que l'on ne pouvait traiter la question du gaz et des huiles de schiste sans aborder globalement le sujet du gaz et du pétrole.
L'exploitation de cette ressource non conventionnelle, abordée aux Etats-Unis dans des délais très courts et avec une grande virtuosité technique, a remis ce pays au premier rang des pays producteurs d'hydrocarbures.
Les idées des pics de production et de fin du pétrole s'éloignent en banalisant un peu plus les hydrocarbures.
Les ressources non conventionnelles ont contribué au fort recul actuel des cours. Ce recul représente une chance pour certains pays développés, en premier lieu pour l'Europe et le Japon. Par contre, il met en difficulté des producteurs de premier rang, comme la Russie et l'Iran.
Le rôle de l'Arabie saoudite et du Moyen-Orient reste pourtant majeur. Nous n'avons pas perçu une volonté de désengagement des Etats-Unis de cette région du monde. Il serait prématuré de tirer des conclusions trop affirmatives, mais il est clair que l'apport des énergies non conventionnelles a permis de surmonter sans à-coup des accidents politiques graves autour de la Méditerranée ou des séismes géologiques ou techniques comme au Japon. Cette nouvelle donnée contribue par ailleurs à fluidifier et à améliorer les échanges mondiaux.
Je vous remercie pour ce très bon rapport, précieux pour notre réflexion, qui montre bien les enjeux diplomatiques, militaires, fiscaux ou économiques. Vous insistez à juste titre sur le bouleversement induit par l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste depuis une dizaine d'années et la nouvelle donne que cela introduit au niveau mondial. Votre analyse permet aussi d'évacuer quelques lieux communs.
Vous avez aussi raison d'insister sur la situation de l'Europe, dont les ressources sont insuffisantes et en voie d'épuisement, ainsi que sur les grands pays émergents d'Asie. Vous invitez à prendre en considération des questions comme la modification de l'implication des Etats-Unis au Proche-Orient et votre vision est nuancée sur cet aspect. La deuxième observation est que l'Europe doit avoir une stratégie de sécurité énergétique, pour éviter une dépendance vis-à-vis de la Russie ou d'autres pays producteurs.
Nous aurons sans doute un débat sur votre proposition de recourir au gaz et au pétrole de schiste, présents dans notre sous-sol, question sur laquelle le gouvernement et la majorité sont d'un avis opposé au vôtre, tant pour la recherche que pour l'exploitation. On peut se demander si le gaz et le pétrole de schiste n'arrivent pas trop tard, dès lors que nous sommes, désormais, résolument engagés dans une politique de transition énergétique. Je rappelle aussi que c'est la loi de 2011, proposée par l'ancienne majorité, qui a interdit la fracturation hydraulique.
Enfin, il faut garder en tête l'exemple de la Pologne dont les pétroliers étrangers se sont retirés, déçus par rapport aux perspectives initialement annoncées. Il reste une dimension aléatoire. Je dois m'absenter mais vous indique d'ores et déjà que je suis favorable à la publication de votre rapport.
Ce rapport est très intéressant et de très grande qualité, et j'en partage les conclusions. J'avais présenté un rapport sur le même sujet en 2006, et je constate des constantes, même si, à l'époque, on ne parlait pas de gaz et de pétrole de schiste. Je voudrais insister sur un point essentiel, à savoir le fait que les pays producteurs sont aussi des plus en plus des pays consommateurs.
C'est le cas de la Russie, qui consomme les deux-tiers du gaz qu'elle produit. L'un des problèmes auxquels elle fait face est celui de réduire sa consommation interne pour pouvoir exporter plus. Sauf à améliorer son efficacité énergétique, ses capacités d'exportation rencontreront de grands problèmes à l'avenir. Cela suppose des investissements extrêmement lourds, et dans le contexte actuel de sanctions, notamment, cela pose de grandes difficultés au pays. L'Arabie saoudite a une population aujourd'hui de presque 30 millions d'habitants, dont beaucoup d'immigrés, et sa consommation intérieure croît fortement. Elle a des capacités de production très importantes, mais elle envisage néanmoins déjà de se doter d'une industrie nucléaire pour sa production d'électricité. C'est la même chose en Iran : son choix, il y a longtemps, d'une industrie nucléaire civile, s'explique par sa consommation intérieure. L'Iran est importateur net de gaz. Il n'est pas en capacité aujourd'hui de développer sa production, même s'il sera peut-être à terme le deuxième producteur mondial, et sa consommation va continuer à lui poser des problèmes. Enfin, il y a le cas de l'Indonésie, dont la production de gaz est de plus en plus destinée au marché intérieur et qui diminue ses exportations vers l'Asie, notamment la Chine et le Japon. Je crois qu'il est nécessaire de prendre en compte ces aspects.
Nous ne serons pas d'accord sur les orientations de ce rapport quant à la question du gaz et du pétrole de schiste. Nous sommes à la veille de la très importante conférence Paris Climat 2015 dont on espère qu'elle se traduira par un engagement international permettant de limiter le réchauffement climatique à 2°C dans le futur. Nous sommes loin de cette perspective, qui appelle des mesures contraignantes. Les experts du GIEC sont unanimes et s'accordent à dire qu'il est indispensable de définir des politiques énergétiques décarbonées. Il y a donc une certaine contradiction à persister à vouloir exploiter le gaz de schiste, producteur d'effet de serre et de CO2. Je regrette donc que la question de la géopolitique de l'énergie soit abordée uniquement sous l'angle du pétrole et du gaz, car il y a d'autres voies à explorer. Comme dans ce rapport, au sein de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, notre collègue Bataille insiste sur cette question. C'est une erreur. Il nous faut changer de logiciel. Lorsque l'Homme est passé de l'âge de pierre à l'âge de fer, ce n'est pas parce qu'il a manqué de pierres, mais parce qu'il a changé de rapport à la nature et aux ressources naturelles. Aujourd'hui, dans certains pays, comme le Canada, la Pologne, les Etats-Unis, l'exploitation du gaz de schiste montre les problèmes qu'elle soulève et qu'il s'agit d'une illusion à court terme.
Quant aux aspects géopolitiques, les Etats-Unis ne se désintéressent pas du Proche-Orient, tout au contraire, en témoigne l'accord qu'ils sont en train de négocier avec l'Iran, qui exerce un contrôle sur le détroit d'Ormuz, en compétition avec l'Arabie saoudite. C'est la même chose en ce qui nous concerne, le déplacement du Président de la République dans les pays du Golfe ces jours-ci le confirme. Notre pays est le seul en Europe à vendre des armes et du matériel aux pétromonarchies sunnites qui combattent l'Iran chiite. Nous nous mettons dans la dépendance de ces pays qui ne brillent pas par leur démocratie. Plutôt que de travailler en direction des énergies renouvelables, malgré les rapports comme celui de l'ADEME, plutôt que d'inciter les autres pays à une révolution énergétique, nous restons dans cette dépendance qui peut avoir des conséquences graves en termes géopolitiques. Je ne peux donc pas être d'accord avec ce rapport et je voterai contre. L'idée récurrente selon laquelle l'avenir de la planète passe par les gaz de schiste est dangereuse et doit être combattue.
Je veux féliciter les rapporteurs pour la qualité de leurs travaux, en particulier pour les précisions qu'ils apportent sur ce que l'on croît confusément connaître. Ils répondent à des idées fausses, dressent un état objectif des lieux et de la situation et permettent de mieux comprendre aussi la politique actuelle. Le rapport a le mérite de ne pas aboutir à des conclusions définitives, mais de poser les bonnes questions me semble-t-il.
Il pose bien le problème auquel l'Europe sera confrontée et le défi actuel pour la France. Il faut commencer par faire les bonnes analyses, poser les bonnes questions et ensuite chacun réfléchira aux réponses qui lui paraissent les plus appropriées.
Il s'agit d'un rapport exhaustif, lucide et courageux. J'aurais seulement une petite remarque concernant, ce qui me semble manquer, l'incidence de la spéculation financière sur le prix du pétrole. De nombreuses études, souvent américaines, ont été publiées et presque toutes concluent que l'irruption de la spéculation, surtout au New York Mercantile Exchange (NYMEX), joue à court terme. Cela peut se traduire par un différentiel de 30 à 40 dollars le baril, ce qui est énorme, mais au bout de deux ans le prix finit par s'ajuster à la réalité du rapport entre l'offre et la demande. La baisse brutale des prix que l'on a récemment observée ne traduisait d'ailleurs pas un changement brutal de ce rapport, mais sa prise de conscience. La spéculation n'a pas d'incidence géopolitique car elle n'influe pas à long terme.
Je vous remercie d'avoir dénoncé la fable du pic du pétrole que l'on nous ressort tous les cinq ans et que la réalité dément à chaque fois. Noel Mamère a cité le Cheikh Ahmed Zaki Yamani, dont je rappelle qu'il fut fondateur de l'OPEP, qui a dit exactement : « L'âge de pierre ne s'est pas terminé par manque de pierres. L'âge du pétrole ne s'achèvera pas avec le manque de pétrole », le pétrole n'étant pas appelé à disparaître rapidement.
Les rapporteurs ont réalisé un excellent travail qui me laisse pantois. Il nous engage à un effort de modestie et de scepticisme à l'égard des affirmations des économistes et des politiques. En 1973, à la suite du choc pétrolier, on affirmait la fin du pétrole et comme nous n'en avions pas, on mit au point la formule « nous n'avons pas de pétrole mais nous avons des idées ». Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie et des finances, expliquait en 1997 sur un ton assez définitif, alors que le baril du pétrole était coté autour de 55 dollars, qu'il était de l'intérêt des Etats-Unis que le prix du pétrole excède 40 dollars.
La question du commerce extérieur est intéressante. Si l'euro et le prix du pétrole baissent, l'enjeu du commerce extérieur est très différent. Vous parlez de 20 milliards d'économies annuelles, mais je ne vois pas une amélioration de notre commerce extérieur de cette ampleur.
Enfin, les développements sur le gaz de schiste sont intéressants. D'un point de vue géopolitique, on a longtemps considéré que les Etats-Unis deviendraient dépendants sur le plan énergétique et que cela provoquerait leur abaissement. C'est le contraire que l'on observe.
Je suis souvent sceptique, vous le savez, à l'égard des Etats-Unis, mais j'ai été très admiratif de leur vitalité et de leur énergie pour se sortir du noeud coulant du pétrole avec rapidité et efficacité. Beaucoup ont souri au début, mais les Etats-Unis sont revenus au niveau de l'Arabie Saoudite et de la Russie en termes de production, quasiment au premier rang et cela leur donne autant de puissance que les tanks. Les Etats-Unis ont fait ce que l'Europe ne fait pas. Nous avançons timidement l'idée dans ce rapport que l'on pourrait au moins faire des recherches. Le département de l'Energie américain, manifestement très bien documenté sur les gisements européens, a été très affirmatif sur les gisements français dans le sud-est et le pétrole de schiste sous le bassin parisien. Il existe des techniques permettant l'extraction à des milliers de mètres en sous-sol.
Nous évaluons effectivement les économies à 20 milliards d'euros. Même si des paramètres financiers nous échappent, le prix du pétrole aujourd'hui, autour de 60 dollars le baril, devrait se stabiliser. J'ajoute que cela peut avoir aussi des effets induits redoutables. Dans ma circonscription, Vallourec est affecté, comme d'ailleurs aussi Schlumberger, par les baisses de commandes de tubes car la recherche en profondeur devient moins rentable avec la baisse des prix. Ces entreprises vont licencier des milliers de personnes. Emmanuel Macron participait ce matin à une table-ronde pour aborder l'avenir du site Saint-Saulvien de Vallourec.
Je veux souligner le vrai bonheur qu'aura été ce travail commun. En 2002 l'incertitude sur la fin du pétrole régnait. Certains de nos partenaires juraient la main sur le coeur qu'ils ne se tourneraient pas vers les énergies non conventionnelles puis ont fait tout le contraire, car ils ont senti l'opportunité. Il est important de poser cette question en France, sinon il ne faudra pas avoir des regrets lorsque nous serons distancés. Dans ce rapport, nous avons essayé de traiter les questions en profondeur, c'était passionnant et j'en finirai par une remarque : nous aurions intérêt à partager certaines idées avec d'autres pays plutôt que de les sous-estimer.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Informations relatives à la commission
Au cours de sa réunion du mercredi 6 mai 2015 à 9h45, la commission des affaires étrangères a nommé :
– Mme Elisabeth Guigou, rapporteure sur le projet de loi autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc (n°2725) ;
– M. Armand Jung, rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français (n°2705).
– M. Gwenegan Bui, rapporteur pour avis sur la révision du projet de loi de programmation militaire 2014-2019.
– M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur, sous réserve de leurs dépôts, du projet de loi , adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part, (n°2758) et du projet de loi autorisant la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la Géorgie, (n°2791).
La séance est levée à onze heures quarante-cinq.