La réunion

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puis deMme Marie-Christine Dalloz,Secrétaire

La commission examine un rapport d'information sur le transport stratégique (M. François Cornut-Gentille, rapporteur spécial).

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Mes chers collègues, avant de commencer cette réunion, je voudrais rendre hommage en votre nom à tous à la mémoire de notre collègue Henri Emmanuelli, qui nous a quittés il y a une semaine. Il a tenu un rôle éminent dans notre commission, et, au-delà, s'est toujours passionné pour les questions de finances publiques. Malgré son caractère parfois rugueux, nous l'apprécions tous, et son départ constitue une perte pour notre commission Samedi dernier, je me suis rendu à ses obsèques à Mont-de-Marsan, où j'ai représenté la commission. La cérémonie fut très émouvante, et, à titre personnel, je veux témoigner de l'estime que je lui portais, car c'est un homme qui a toujours eu le souci de défendre l'intérêt général.

Je vous rappelle que nous nous retrouverons mercredi 12 avril prochain afin d'examiner le projet de programme de stabilité que le Gouvernement doit transmettre aux autorités européennes avant la fin du mois d'avril. Nous recevrons M. Didier Migaud, en qualité de président du Haut Conseil des finances publiques, qui chaque année émet un avis sur les prévisions macroéconomiques du programme de stabilité. Ensuite, à l'issue du Conseil des ministres, les ministres viendront présenter le programme de stabilité devant la Commission.

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Je vous présente aujourd'hui un rapport sur le transport stratégique ; c'est un sujet qui peut sembler ardu ou spécialisé, mais je souhaite montrer qu'il emporte des enjeux outrepassant largement cet aspect apparemment technique.

Le point de départ de mon travail a été le rapport de la Cour des comptes « Les opérations extérieures (OPEX) de la France », publié au mois d'octobre 2016, et réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat.

Seules quelques pages à la fin de ce document important sont consacrées au transport stratégique. Toutefois, mon attention a été attirée par les observations des magistrats de la Cour qui relatives à « une forte dépendance à des moyens non militaires dans un secteur opérationnel sensible ». Les magistrats indiquent, par ailleurs, rencontrer de nombreuses difficultés à établir le coût réel de l'heure de vol par avion. Ils signalent enfin un certain nombre d'anomalies, et appellent de leurs voeux « une clarification des conditions de recours aux deux prestataires principaux de transport stratégique ».

Mon rapport se compose de quatre parties, dans une démarche se voulant pédagogique. Après la présentation d'aide quelques données générales sur le transport stratégique, qui ne sont pas nécessairement connues de tous, la deuxième partie porte sur les failles du transport militaire aérien, qui conduisent à un réel abandon de souveraineté. La troisième partie souligne de très fortes fragilités dans les contrats d'externalisation. La dernière partie relève que, pour le transport stratégique ainsi que sur bien d'autres sujets le concernant, le ministère de la défense doit interroger ses pratiques.

La France est engagée dans des OPEX depuis un certain nombre d'années ; actuellement les deux opérations principales que sont Barkhane et Chammal impliquent plus de 6 500 militaires. Ces actions représentent un réel défi opérationnel puisque les théâtres d'opération se situent à plus de 4 000 kilomètres et s'étendent sur plusieurs milliers de kilomètres.

Le travail de la Cour des comptes a porté sur la période 2012-2015, pendant laquelle se sont déroulées les opérations Serval au Mali et Sangaris en Centrafrique, alors que, jusqu'à la fin de l'année 2014, se poursuivait encore le retrait de nos troupes projetées en Afghanistan.

L'ensemble de ces opérations entraîne des flux gigantesques d'hommes et de matériels dont l'évolution des coûts peut donner une idée. Au début des années 2000, ces coûts de transport se situaient entre 10 et 20 millions d'euros, ce qui paraît raisonnable. Entre 2004 et 2010, ils se sont élevés à environ 70 millions d'euros par an ; puis entre 2011 et 2012 à environ 200 millions d'euros ; en 2013 un pic de 231 millions d'euros est atteint, suivi en 2014 d'une chute à 125 millions d'euros ; en 2015, on observe une remontée de ces coûts à 152 millions d'euros. Nous ne disposons pas encore des chiffres pour l'année 2016.

Le pic de 2013 s'explique par le déploiement en un mois de plus de 18 000 tonnes de matériel, qui a impliqué 169 affrètements d'avions au cours de la période. Cela a représenté à peu près 15 % du surcoût des OPEX.

Certes, le transport maritime, par définition bien plus lent que le transport aérien, y participe aussi, mais l'essentiel des coûts reste cependant imputable au transport aérien, qui est trente fois plus cher.

Le rapport est principalement centré sur le transport stratégique, à savoir le transport de la métropole vers les théâtres d'opération, mais il ne faut pas négliger le transport tactique au sein même des théâtres d'opération qui est assuré en grande partie par les mêmes acteurs.

Auprès de l'état-major, le service responsable de ces acheminements est le centre de soutien des opérations et des acheminements (CSOA). Il est le maître d'oeuvre de ces externalisations ; c'est lui qui émet les bons de commande et constate le service fait. De son côté, le service spécialisé de la logistique et du transport (SSLT), service payeur, dépend du commissariat des armées.

La deuxième partie de mon rapport voudrait mettre en lumière les failles impressionnantes dans notre patrimoine, qui nous entraînent vers une perte de souveraineté.

Dans le domaine des vols stratégiques patrimoniaux, le peu d'équipements dont nous disposons est à bout de souffle. Je mentionnerai : deux Airbus A340 pouvant transporter 41 tonnes de fret, qui ont quasiment 23 ans de moyenne d'âge ; trois Airbus A310 de 31 ans de moyenne d'âge ; onze Lockheed C-130 Hercules, qui ne transportent que 25 tonnes, et ont plus de 50 ans de moyenne d'âge. Comme nous pouvons le constater, nous connaissons une grande misère.

Dans le domaine du transport tactique, impliquant des transporteurs moins importants, je rappelle que notre flotte de Transall a une moyenne d'âge de 35 ans. En 2011, nous disposions de 46 de ces appareils ; seule une vingtaine est opérationnelle aujourd'hui et en dépit de cette réduction du parc, la disponibilité du matériel a chuté de 56 % à 40 %.

Nous assistons ainsi à un effondrement de nos capacités : la disponibilité de nos C-130 âgés de 30 ans a chuté de 72 % à 22 % ; nous nous trouvons dans une situation critique.

Il est en général de bon ton de considérer que tout cela est vrai, mais que la situation devrait s'améliorer : je voudrais exprimer mes doutes à ce sujet. En 2014, nous avons passé un contrat pour la commande de douze Airbus A330 Multi Role Tanker Transport (MRTT) ; or ces avions ne seront livrés qu'au compte-gouttes à partir de la fin 2018.

Nous allons donc assister à l'effondrement de nos capacités alors que la mise à disposition de nos nouveaux avions se fera selon un rythme bien plus lent ; les difficultés vont donc croître en dépit de cette commande.

Vient ensuite le feuilleton de l'Airbus A400M Atlas, que certains présentent comme la solution. Je considère qu'il n'en est rien, car les retards qui ont été pris sont considérables ; cet avion était attendu en 2009 alors que les premières livraisons ont commencé en 2013. Lors d'une audition récente, le chef d'état-major de l'armée de l'air évoquait un taux de disponibilité d'un appareil sur dix alors que les comparaisons montrent qu'il faut au moins cinq à six A400M pour remplacer un Antonov.

On voit bien que les besoins capacitaires sont loin d'être satisfaits, quand bien même l'A400M serait livré à échéance.

La réalité est donc la suivante : en 2013 – année de surcharge opérationnelle –, les vols stratégiques patrimoniaux ne représentent qu'à peine 7 % des vols et lorsque l'intensité des opérations extérieures est plus faible, ce taux s'élève à environ 20 %. En réalité, pour 70 % des affrètements pour nos théâtres d'OPEX, nous recourons à des prestataires privés extérieurs.

Nous sommes liés par quatre contrats, dont deux sont de moindre importance.

Au titre des plus importants figure le contrat SALIS (Strategic Air Lift Interim Solution), passé dans le cadre de l'OTAN. Par ce contrat, la France achète des heures prépayées et les utilise au fil de l'année. Les coûts de ce dispositif sont renchéris par le fait que, les avions étant stationnés à Leipzig, lorsque la France les utilise, elle doit payer toute heure de vol comprise entre le départ de Leipzig vers les théâtres d'opération, via Châteauroux, et le retour à cette base, que l'avion soit chargé ou non. Cette situation entraîne un surcoût rendant valable le recours aux appareils concernés surtout dans le cadre d'allers-retours.

Le second contrat, très important, est un marché à bons de commande ; il a été attribué en 2011 à la société ICS (International Chartering Systems) et a été reconduit pour quatre années en 2015. Comme le souligne la Cour des comptes, ICS est le premier prestataire privé de la France pour les OPEX.

Pour les quatre années étudiées par la Cour, la facture s'élève à presque 185 millions d'euros pour le contrat SALIS passé par l'OTAN, celle d'ICS étant de 198 millions d'euros, sans inclure le coût des vols tactiques qui vient se surajouter à celui de ces deux contrats.

La France se trouve ainsi placée sous le coup d'une dépendance diplomatique angoissante qui résulte de la volonté d'avoir accès au plus gros transporteur actuel qu'est l'Antonov. Cet appareil peut transporter 100 tonnes de matériel, voire un peu plus ; les autres très gros transporteurs sont le McDonnell-Douglas C-17 Globemaster III ainsi que le Boeing 747, dont la capacité d'emport est proche de 70 tonnes, mais dont l'utilisation est moins aisée. De leur côté, les appareils Iliouchine 76 et Airbus A340 ou A330 peuvent transporter 40 tonnes, ce qui les situe très en dessous des capacités de l'Antonov.

Il existe une vingtaine d'exemplaires d'Antonov, détenus par trois compagnies : Flight Unit FU-224, qui est en réalité une émanation du ministère de la défense russe ; Volga Dniepr, société russe à capitaux privés, et Antonov Airlines (ADB), société privée ukrainienne. Un oligopole formé de ces trois compagnies règne sur l'accès à l'Antonov, ce qui signifie que nos projections vers les théâtres extérieurs en sont totalement dépendantes.

Déjà délicate avant 2015, la situation a été rendue encore plus problématique par la crise ukrainienne, car depuis, les Antonov du ministère de la défense russe liés au contrat SALIS font défaut. Cette situation a conduit les utilisateurs à se tourner vers Volga Dniepr, qui a refusé, et vers Antonov Airlines, qui a accepté. Cette situation a entraîné une série de rebondissements qui a abouti à un surenchérissement des coûts.

Il est d'ailleurs étonnant de constater que les autorités françaises agissent comme si elles avaient affaire à deux sociétés normales. Or il est bien évident que, s'agissant de sociétés de droit privé russe comme ukrainienne, les autorités diplomatiques des pays impliqués y sont très attentives...

Cette situation ne semble pas émouvoir les autorités françaises, et l'on constate simplement que, depuis quelques années, elles s'appliquent à trouver une sorte d'équilibre – comme si de rien n'était – entre les contrats passés avec la société russe et la société ukrainienne. Ainsi, par le biais du contrat SALIS de l'OTAN, nous travaillons avec les Russes, et, via le contrat ICS, nous travaillons avec les Ukrainiens. Sous cette réserve, personne ne semble donc considérer qu'il y a un sérieux problème à prendre en compte.

Par ailleurs, la fragilité de ces deux contrats rend la situation encore plus préoccupante.

À ses débuts, le contrat SALIS de l'OTAN était assez large, mais depuis un certain nombre d'années, beaucoup d'acteurs s'en sont retirés : le Canada en 2011, le Royaume-Uni en 2015, puis la Grèce, la Finlande et la Suède, alors que la Pologne ne souhaite pas travailler avec la société russe, ce qui se conçoit aisément. Aussi, ce contrat OTAN, qui constituait un point fort de notre action dans les théâtres extérieurs, devient-il une réelle difficulté. Il doit donc être complètement repensé ; à défaut, d'autres solutions doivent être recherchées ; or le ministère se comporte comme si la crise ukrainienne n'existait pas et qu'aucune question ne se posait.

De son côté, le contrat ICS n'est pas sans faiblesses. Ainsi ai-je été étonné en prenant connaissance des conditions de son renouvellement en 2015. Ce contrat de quatre ans est confirmable tous les ans ; or la crise ukrainienne a entraîné les changements que j'ai indiqués : retrait de Flight Unit, modification substantielle du contrat puisqu'on y a fait entrer les Ukrainiens qui n'y étaient pas partie. Tous les juristes peuvent considérer qu'il s'agit d'une modification substantielle du contrat qui aurait dû entraîner un second appel d'offres ; or il n'en a rien été. Lorsque l'on interroge le SSLT à ce sujet, il recourt à une notion qu'à ma connaissance, hors du ministère de la défense, les juristes ne semblent pas connaître : celle de fournisseur additionnel.

Quant au retrait de Flight Unit, il est présenté non pas comme une modification substantielle du contrat, mais comme une indisponibilité temporaire, ce qui me paraît éminemment discutable. On constate donc qu'un certain nombre de questions se posent au sujet de la gestion juridique de ce contrat.

Il faut noter, par ailleurs, que, pour les vols tactiques, le ministère de la défense travaille avec ICS Singapour. Cela me semble d'autant plus curieux que, dans le domaine du transport stratégique, depuis longtemps le ministère de la défense ne connaît qu'un ICS basé en France. C'est pourquoi je souhaiterais savoir pourquoi le ministère éprouve le besoin de recourir à ICS Singapour pour le transport tactique.

Pour ajouter au climat que j'ai pu percevoir sur ces sujets – qui sont sensibles et appellent à demeurer attentif –, je signale que, depuis fin 2016, un dossier anonyme relevant un certain nombre de points circule au sein du CSOA et du SSLT ainsi qu'auprès d'affréteurs. Afin d'éviter les risques de manipulation, je me suis abstenu de l'utiliser car la concurrence est forte entre les différentes compagnies ; or je n'ai pas pour rôle d'aider les uns ou d'accabler les autres. Il n'en demeure pas moins que la circulation de ce document témoigne d'un climat auquel il conviendrait de mettre un terme.

Outre ces faiblesses, le suivi financier me paraît devoir être approfondi. J'ai précédemment indiqué que les vols SALIS étaient intéressants surtout dans le cadre du prépositionnement, lorsqu'il s'agit de flux entrants et sortants réguliers. À l'inverse, le contrat ICS est intéressant en période de montée en charge rapide lors du lancement d'une opération ; or il apparaît que la gestion du CSOA n'a pas pris en compte cette réalité qui semble évidente lorsque l'on prête attention à l'emploi des deniers publics.

Pour sa part, la Cour des comptes a constaté que le CSOA et le SSLT ont été incapables de fournir une grille tarifaire permettant de mettre en évidence la stratégie mise en oeuvre par le ministère afin de déterminer quel est le prestataire extérieur le mieux adapté à telle ou telle mission. À ce stade nous ignorons si le ministère dispose de cette évaluation ou s'il ne souhaite pas la communiquer ; dans les deux hypothèses cela est préoccupant.

La dernière partie de mon rapport excède la seule question du transport stratégique, mais la focalisation sur ce sujet doit amener le ministère de la défense à interroger ses pratiques ainsi qu'à assurer un meilleur suivi dans un certain nombre de domaines.

Le premier sujet est celui de la sous-estimation chronique du coût des OPEX. Vous savez tous fort bien que ces opérations sont financées à hauteur d'environ 450 millions d'euros tous les ans alors que le milliard d'euros est souvent dépassé.

Le ministère de la défense y trouve un intérêt, car comme l'explique régulièrement le ministre, les surcoûts sont payés par la solidarité interministérielle. Mais cela peut présenter des effets pervers, singulièrement dans le système que je viens de décrire ; quand on sait que les surcoûts seront pris en charge à l'échelon interministériel, on est peut-être moins attentif au suivi des dépenses engagées.

Le contrôle a posteriori exercé dans le cadre de la loi de règlement intervient très tard, et dans la culture qui est celle de l'Assemblée nationale aujourd'hui, n'entre pas dans ces détails. D'une certaine façon, cela explique le laisser-aller budgétaire.

Voilà le premier point sur lequel le ministère doit conduire une réflexion.

Dans le domaine du suivi des externalisations, trois problèmes me paraissent devoir attirer l'attention du ministère de la défense.

Le premier est celui de la faiblesse du suivi des externalisations, dont bien des rapports parlementaires ont fait état. Externaliser ne signifie pas se décharger sur un prestataire public ; pour la puissance publique, si l'externalisation veut être efficace et attentive aux deniers publics, elle suppose au sein même des services du ministère un certain nombre de personnes se donnant les moyens de contrôler, de poser des questions, et de tirer le meilleur profit des contrats en cours. Or nous avons le sentiment qu'aujourd'hui les choses ne se passent pas exactement ainsi.

Le deuxième point porte sur le fait que les acteurs privés, lors des actions d'externalisation du ministère – y compris dans le cas que nous venons d'indiquer –, sont assez peu contrôlés, et pas uniquement dans le suivi de leurs actions. Certains parlementaires suggèrent qu'une forme d'agrément des sociétés concernées soit conduit a priori. Cette formule, singulièrement dans ces domaines stratégiques, me paraîtrait être de bonne méthode.

Enfin, il y a sans doute lieu de s'interroger sur les secondes carrières militaires. De nombreux militaires se reconvertissent dans le civil, ce qui est certainement une bonne chose pour eux comme pour la défense, mais qui appelle un suivi. De fait, on observe que certains intervenants dans les entreprises que je viens d'évoquer sont d'anciens officiers.

Il y aurait donc lieu de s'interroger au sujet de la part devant être faite entre le code pénal, qui semble tout interdire sous la menace de peines très graves, et le fonctionnement réel des commissions de déontologie, qui semble assez lâche et paraît tout autoriser. Il me semble qu'un dispositif nouveau reste à imaginer pour les cas véritablement sensibles, pour lesquels on ne saurait se contenter d'une déclaration. Un suivi dans la durée doit être institué, car les intéressés peuvent être agréés pour tel ou tel poste, et ensuite prendre d'autres fonctions. En tout état de cause, tel qu'il est exercé aujourd'hui, ce suivi me semble insuffisant.

Je souhaite enfin formuler deux remarques de portée plus générale.

Premièrement, j'espère que vous aurez saisi l'intérêt d'un rapport d'information sur le transport stratégique – sujet apparemment technique qui pose des questions de souveraineté, de clarté et de solidité de notre politique de défense. Et même si les sommes concernées ne représentent que quelques dizaines de millions d'euros dans un budget de plusieurs milliards, elles font apparaître des enjeux considérables.

Un double éclairage est ainsi porté sur nos armées ; on voit dans la presse et les débats ce qui est formidable : l'engagement militaire, nos technologies superbes, nos militaires qui assurent l'opération Sentinelle ; c'est là la face lumineuse de notre défense.

Mais une face plus problématique existe, que j'ai souhaité faire apparaître. Il faut toutefois reconnaître qu'aucun incident majeur n'est survenu, des exploits techniques ont été réalisés, y compris par les sociétés que j'ai évoquées. Tout cela a fonctionné sans problème notable, et peu de pays sont capables de le faire. Cependant, et sans diminuer la qualité des uns et des autres, vous constatez bien que compte tenu de la précarité et la fragilité du système, nous ne sommes pas à l'abri de problèmes très sérieux.

Dans le débat électoral qui s'annonce, un consensus existe pour considérer que tout va bien, et qu'il suffit de mettre un peu plus d'argent. C'est peut-être le cas, mais à travers l'exemple que je vous ai donné, on voit bien que c'est un suivi et une méthodologie qui sont nécessaires. Il ne s'agit pas que d'argent.

Ma seconde remarque, monsieur le président, portera sur la mission de contrôle.

À la lecture du rapport, vous constaterez que je me suis beaucoup appuyé sur la Cour des comptes ainsi que sur les travaux de nos collègues parlementaires : Philippe Meunier, Philippe Nauche, Christophe Guilloteau, Serge Grouard, Marie Récalde, Alain Marty, mais aussi sur le rapport de Bernard Cazeneuve et Louis Giscard d'Estaing, publié en 2011.

Ces questions sont posées depuis longtemps par le Parlement ; or nous constatons qu'il ne nous est pas pleinement répondu. Je suis convaincu que, par rapport au contrôle de la Cour des comptes ou des corps de contrôle, le contrôle parlementaire apporte quelque chose de plus, une force d'interpellation. On voit bien que des questions sont posées et que personne ne s'en occupe ; il me semble que le rôle du contrôle parlementaire consiste à poser ces questions en termes d'enjeux politiques, et à obliger les divers acteurs à y apporter des réponses.

À l'évidence, on constate qu'interpellés depuis six ou sept ans sur ces sujets, l'exécutif et l'administration ont plutôt réagi en cachant la poussière sous le tapis au lieu d'essayer de trouver des solutions. Je pense que le rôle du Parlement, mieux que dans l'inflation législative, réside dans ce travail d'interpellation.

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Vous évoquez l'éventualité de conflits d'intérêts, notamment dans le cas du contrat conclu avec ICS ; ce sont surtout des officiers généraux qui sont concernés...

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Le problème est que les généraux ne savent jamais compter : ils estiment toujours les besoins au maximum. Cela était vrai hier dans les arsenaux, et demeure vrai aujourd'hui pour toutes les prestations. Et Clemenceau disait que lorsque des étoiles tombent du ciel, il y a toujours des manches de généraux pour les rattraper.

Nous aimerions donc connaître l'opinion du chef d'état-major des armées ainsi que celui des chefs d'état-major des armées de terre et de mer en particulier. Plus les généraux dépensent, et plus ils ont l'impression d'être importants et en position stratégique.

Par ailleurs, même si cela n'épuise pas le sujet d'aujourd'hui, l'Airbus militaire ne répond pas aux besoins. L'A400M pose tout d'abord le problème de sa conception ainsi, désormais, que celui de sa fiabilité. Et les Français sont ceux qui le font voler le plus, ce qui ne signifie d'ailleurs pas que cet avion vole beaucoup, celui des Allemands étant cloué au sol.

C'est pourquoi il serait utile d'entendre les présidents successifs d'Airbus, MM. Gallois et Enders, à ce sujet. Car, s'ils sont toujours très bons pour les conférences de presse, ils le sont beaucoup moins pour approfondir les problèmes difficiles.

Enfin, les opérations concernées sont très complexes, et vous avez rappelé que la distance séparant Gao et Bamako est équivalente à celle qui sépare Marseille de Dunkerque. Cela dit, la Cour des comptes a raison de s'inquiéter, et il faut y voir clair ; au demeurant, à l'époque, la Cour ne s'est guère préoccupée de savoir combien coûtaient les déplacements du général Leclerc entre Koufra et Benghazi ou entre Tripoli et Gabès.

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Je remercie le rapporteur spécial pour son travail très instructif.

Le nombre de 6 500 militaires en OPEX illustre à l'envi le rôle éminent du transport stratégique.

En parlant de faiblesses, vous êtes modéré, monsieur le rapporteur, car nous sommes bien au-delà : il y a des trous dans le filet. La nécessité de revoir l'ensemble de la méthodologie du transport stratégique constitue une question de fond.

Vous avez évoqué une sous-estimation des coûts ; chaque année, 15 % du coût des OPEX sont le fait des transports stratégiques, c'est assez colossal. La mémoire me fait défaut : qu'est-ce qui a pu justifier en 2013 la dépense exceptionnelle de 231 millions d'euros, soit plus que le doublement des sommes habituelles ?

Enfin, l'abandon de souveraineté pour des missions aussi stratégiques est inquiétant ; mais ce qui l'est encore plus aujourd'hui, c'est de savoir à qui nous confions ces missions. Nous connaissons l'état des relations entre la Russie et l'Ukraine, nous n'allons pas nous voiler la face : les données que ces pays sont susceptibles de collecter à l'occasion du transport de nos armées constituent pour eux des mines de renseignements.

Nous sommes au fait des tensions existant entre ces deux pays ; la géopolitique connaît aujourd'hui une évolution permanente. Je rentre ce matin de Bulgarie, et je peux témoigner à mon modeste niveau que les pressions internationales exercées sur les Balkans demeurent considérables.

Il ne s'agit plus d'un abandon de souveraineté, il y a un réel danger à continuer de travailler dans la forme actuelle. Imaginez-vous que nous puissions disposer des moyens de conduire une autre politique ? Dans un premier temps la question serait de méthode, dans un second temps, elle sera de volonté.

Je ne doute pas que vous êtes animé de cette volonté ; la question est de savoir quelles sont les sommes nécessaires à la prise en compte du transport stratégique dans sa vraie dimension.

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Je vous remercie, monsieur le président, de vos mots pour Henri Emmanuelli, que je n'ai malheureusement côtoyé que pendant cinq ans. S'il était brut et rugueux, il n'en avait pas moins l'intérêt général chevillé au corps.

Monsieur le rapporteur, entretenons-nous des relations avec les États-Unis dans le secteur du transport stratégique ? Avons-nous passé des contrats avec eux ? L'accession de Donald Trump à la présidence risque-t-elle de modifier ces relations ?

Nous constatons que, compte tenu des délais de construction des appareils et de l'âge avancé de certains matériels, le transport stratégique appelle une planification de long terme. Le transport stratégique fait-il l'objet de discussions au sein des instances européennes ? Car c'est à cet échelon que nous devrions conduire cette réflexion.

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Je reviendrai sur l'arbitrage entre externalisation et internalisation, et plus particulièrement sur l'option patrimoniale. Dès 2011, nos collègues Bernard Cazeneuve et Louis Giscard d'Estaing ont posé la question de l'opportunité qu'il pourrait y avoir à faire l'acquisition d'avions Antonov.

Il est frappant d'observer que, lors des débats portant sur la loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2014-2019, le transport stratégique a été évoqué sans que ne soit jamais envisagée une possible internalisation dans ce domaine ; or peu de temps avant, nos collègues avaient insisté sur ce sujet. À tel point que cela ne figure pas dans la LPM ; comment expliquez-vous cela ?

Comme vient de le demander Marie-Christine Dalloz, comment relancer ce débat ? Depuis cinq à six années, la Cour des comptes comme le Parlement ont posé des questions, et pourtant rien ne bouge. Votre rapport traite de la dimension stratégique, mais aussi de la dimension financière, et les surcoûts liés à l'externalisation devraient constituer l'occasion de conduire une approche intelligente de l'internalisation.

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À Alain Rodet j'indiquerai que les chefs d'état-major ont effectivement été interrogés, non pas par moi, mais par d'autres dans le cadre du contrôle. Leur problème est celui de la projection des hommes, l'intendance suivra ; et cette mission d'acheminement est très dure.

Je conçois qu'à chaud on puisse agir de la sorte ; en revanche, dans la durée, nous nous sommes installés dans un système que nous aurions dû interroger ; c'est cela qui est déplaisant. Nous voyons bien que les majorités successives mettent sous le tapis un certain nombre de choses qui sont dérangeantes pour l'administration comme pour elles-mêmes.

Je crois que le rôle du Parlement, au lieu de se cantonner dans le soutien godillot du Gouvernement ou, au contraire, dans la critique d'opposition, est de poser des questions incontournables. Je n'ai pas envie de faire plaisir au gouvernement actuel ni au précédent, je dis simplement que ces questions se posent depuis un certain temps, mais qu'elles n'ont pas été abordées. Je pense que c'est vraiment le rôle d'un parlement moderne de se positionner sur ces sujets.

C'est aussi une façon de répondre à la question posée sur l'Airbus A400M, programme qui voulait mettre en valeur un projet européen ainsi que l'entente franco-allemande. Toutes ces bonnes intentions, auxquelles j'adhère dans une certaine mesure, nous ont conduits à prendre nos désirs pour des réalités. Les majorités qui se sont succédé ici disposaient d'informations – souvent peu précises – concernant l'Airbus A400M, mais comme elles ne voulaient gêner personne, elles ne disaient rien. Dix ans après, nous nous trouvons dans une situation extrêmement problématique sur les plans financier et stratégique notamment.

À monsieur Hetzel, je puis indiquer que les discussions relatives à la LPM demeurent « correctes » : on discute un peu, mais on ne souhaite pas gêner les uns ou les autres. Du coup, nous ne rendons pas service à notre pays, parce que ni la majorité ni l'opposition ne posent les vraies questions. Et les états-majors sont parfaitement conscients de ces problèmes ; le contraire serait préoccupant. En revanche, le politiquement correct, consiste à ne pas le dire ; or je pense que le rôle du Parlement est de le faire, faute de quoi le pays risque de connaître des situations difficiles.

À Marie-Christine Dalloz, je dirais qu'il ne s'agit pas de faiblesses, mais d'un risque considérable. Le fait que les choses se passent bien est la preuve du professionnalisme de tous ceux qui ont la charge de ces opérations, mais cela relève aussi de l'heureux hasard ; c'est ce que j'ai souhaité souligner en pointant toutes les difficultés.

Par ailleurs, le pic de 2013 s'explique par la montée en charge de notre dispositif en Afrique ainsi que le retrait de l'Afghanistan ; il n'y a rien d'autre à chercher.

Je ne suis pas en mesure d'estimer les moyens nécessaires à la conduite d'une autre politique. La question est plutôt celle d'une démarche générale : cesser de se contenter de dire que la défense constitue une seule question de moyens. L'exécutif et l'administration doivent être animés d'une réelle volonté, et s'ils sont défaillants dans cet exercice, il revient au Parlement de les conduire – par-delà la question des crédits – à travailler autrement.

Si le rapport n'est pas forcément aimable pour les exécutifs qui se sont succédé, je n'ai pas voulu les accabler pour autant. Aussi, à Christine Pires Beaune, j'indique que nous sommes totalement dépendants des États-Unis, singulièrement pour le ravitaillement en vol. Nous pourrions noircir le tableau en montrant que, sans les États-Unis, nous ne pourrions conduire aucune opération de chasse aérienne.

C'est cela la réalité : nous ne pouvons pas transporter nos troupes sans les Russes et les Ukrainiens, et nos Rafale ne peuvent voler sans les Américains.

Lorsque l'on est conscient de cette situation, on ne peut qu'avoir la préoccupation de trouver des solutions de moindre dépendance et de diversification des sources. Cela passe par une extension du domaine patrimonial, ce que Bernard Cazeneuve et Louis Giscard d'Estaing proposaient en 2011 ; acheter un ou deux Antonov il y a cinq ou six ans aurait coûté 200 ou 300 millions d'euros.

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La situation est compliquée : oui, l'Europe devrait être la solution. L'OTAN se fonde sur deux systèmes, le système américain et le système SALIS ; or les deux connaissent les fragilités que nous avons évoquées.

Les problèmes que je soulève sont complexes, et je n'ai pas solution miracle à proposer ; en revanche, ce n'est pas parce que la solution est difficile à trouver que nous ne devons pas desserrer l'étau de la dépendance.

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Merci, monsieur le rapporteur pour la qualité de votre travail et les réponses que vous avez fournies.

En application de l'article 146 du Règlement, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

Information relative à la commission

La commission a reçu en application de l'article 12 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) :

– un projet de décret de transfert de crédits d'un montant de 1 332 499 euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), du programme 129 Coordination du travail gouvernemental de la mission Direction de l'action du Gouvernement à destination du programme 169 Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation.

Le présent mouvement tire la conséquence des conclusions de la réunion interministérielle du 23 novembre 2016. Lors de cette réunion, le principe d'un transfert de la tutelle de l'établissement Conseil national des communes « Compagnons de la Libération » (CNCCL) du ministère de la justice vers le ministère de la défense a été acté. Pour que ce ministère possède tous les leviers de la tutelle, cette réunion a également prévu le transfert des crédits de la subvention pour charges de service public prévue en loi de finances initiale sur le programme 129 ;

– un projet de décret de virement de crédits d'un montant de 4 600 000 euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), du programme 2016 Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur de la mission Administration générale et territoriale de l'État à destination du programme 176 Police nationale de la mission Sécurités.

Le présent décret vise à exécuter les crédits du plan Tourisme, ouverts sur le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Les crédits transférés permettront à la préfecture de police de Paris de financer les travaux de déploiement de caméras de dernière technologie dans les principaux sites et aires touristiques non équipées à Paris (7 zones touristiques) et en Île-de-France (autoroute A1, tunnel du Landy, abords du Stade de France, sécurisation des hôtels des portes de Paris accueillant des touristes internationaux) ;

– un projet de décret de transfert de crédits d'un montant de 1 527 106 euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), du programme 123 Conditions de vie outre-mer de la mission Outre-mer à destination du programme 232 Vie politique, cultuelle et associative de la mission Administration générale et territoriale de l'État.

Ce décret a pour objet de transférer, du programme 123 Conditions de vie outre-mer de la mission Outre-mer vers le programme 232 Vie politique, cultuelle et associative de la mission Administration générale et territoriale de l'État, les crédits nécessaires au financement de la mission des observateurs de l'ONU dans le processus d'établissement des listes électorales en Nouvelle-Calédonie.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 28 mars 2017 à 12 heures

Présents. - M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. François Cornut-Gentille, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Faure, M. Patrick Hetzel, M. Régis Juanico, M. Jacques Pélissard, Mme Christine Pires Beaune, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. Laurent Wauquiez

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Joël Giraud, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Valérie Rabault