Notre mission a fait le choix de vous entendre conjointement, messieurs, car vous représentez l'un et l'autre des ministres impliqués dans le suivi des plans sociaux, de leur amont à leur aval. L'anticipation et l'accompagnement participent du même système global et votre action est nécessairement imbriquée.
La difficulté de définir le périmètre de notre mission tient à la prise en compte des actions d'anticipation. Nous avons décidé de limiter ce thème sans l'exclure. Cette limitation s'imposait, car nous savons que nous ne pouvons pas travailler dans de bonnes conditions sur toutes les politiques d'anticipation et d'évolution des filières et des territoires. Néanmoins, comme ce sont des domaines dont vous avez également la charge, il serait intéressant que vous nous présentiez rapidement les orientations du Gouvernement en la matière.
Nous souhaitons nous pencher sur les enjeux liés à la qualité du reclassement, à la sécurisation des parcours, à la revitalisation – question importante qui doit donner lieu, pour les parcours individuels comme pour les territoires, à un traitement plus qualitatif et moins quantitatif – et à la gouvernance des politiques d'accompagnement. Cette dernière devra relever le défi du pilotage, car la transposition de l'Accord national interprofessionnel (ANI), la montée en puissance des collectivités locales avec la future loi sur la décentralisation, et l'évolution de la formation professionnelle exigeront des adaptations. L'importance de ce sujet peut également se lire dans la multiplicité des outils et des acteurs qu'il mobilise : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), la politique de formation professionnelle, le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), le médiateur du crédit et de la sous-traitance, Oséo, la Banque publique d'investissement (BPI) et les commissaires du redressement productif (CRP).
Le projet de loi transposant l'ANI cherche à concilier le retour de l'État régulateur avec la confiance dans la démocratie sociale, deux orientations qui peuvent pourtant entrer en contradiction.
Votre mission s'inscrit en effet dans un champ plus restreint que notre domaine d'intervention, puisque nous avons à connaître de situations d'entreprises en difficulté qui ne sont pas forcément engagées dans une procédure collective. Ce positionnement très en amont permet d'ailleurs de les aider efficacement. A contrario, lorsque nous sommes sollicités alors qu'une procédure collective a déjà été enclenchée – parfois même à la veille d'une liquidation –, notre capacité d'action se trouve fortement réduite, certains outils n'étant plus mobilisables à ce stade.
Il est ardu, vous l'avez noté, de tracer la frontière entre l'action du ministère du redressement productif et celle du ministère de l'emploi. Dans nos postes, nous avons, Pierre-André Imbert et moi, connaissance au même moment des difficultés que peuvent rencontrer les entreprises et notre coopération s'organise avec fluidité. Nos services régionaux participent ainsi aux mêmes cellules de veille qui reçoivent les signaux émis par les entreprises ; ces messages peuvent être de faible intensité : demandes de chômage partiel, non-paiement de dettes fiscales et sociales, difficultés à régler des fournisseurs.
Les CRP ont été conçus pour assurer la fonction d'interlocuteur unique et privilégié des chefs d'entreprise dans les régions. Ils participent à l'élaboration d'un diagnostic commun visant à déterminer la nature des difficultés rencontrées et à la définition des actions, sur mesure, à conduire : si les problèmes de l'entreprise relèvent de relations avec d'autres sociétés, le CRP les met en relation avec la bonne médiation ; s'ils proviennent de tensions avec le secteur bancaire, le CRP sollicite l'antenne locale de la Banque de France et la médiation nationale du crédit. La première mission du CRP fut d'installer rapidement dans les régions l'équivalent du CIRI, qui existe pour l'ensemble du pays. Le CIRI ne traite que des entreprises comptant plus de 400 salariés et n'ayant pas encore ouvert de procédure collective. Son fonctionnement repose sur une culture de confidentialité exigée par la fragilisation qu'entraîne, pour une entreprise, la publicité de ses difficultés – notamment avec les banquiers et les fournisseurs. Voilà pourquoi, nos services diffusent des chiffres bruts et n'évoquent des entreprises qu'avec leur autorisation et une fois celles-ci hors de danger.
Les CRP sont des instances, alors que le CIRI a été créé en 1982. Nous installons et formons les commissaires et nous clarifions les relations entre leurs missions de prévention et celles originellement dévolues à l'inspection du travail et aux services du ministère de l'emploi. L'objectif est, à terme, de faire des CRP des CIRI régionaux. Une réunion avec des CRP a lieu tous les vendredis matin. Le pôle économique de la DATAR participe parfois à ces sessions afin d'élargir la vision de la situation. Tous les commissaires sont réunis une à deux fois par trimestre et ces assemblées sont un lieu d'information et de formation. La prochaine rencontre se tiendra le 8 mars et l'ANI devrait figurer à son ordre du jour.
Nous avons fait le choix heureux de travailler dans une grande proximité qui permet de répondre à la forte contrainte des délais, que ce soit en amont ou a fortiori au cours d'une procédure collective risquant de déboucher sur un redressement ou une liquidation judiciaire. Le but principal de notre action est la poursuite de l'activité de l'entreprise, mais nous devons également faire émerger très rapidement des solutions sociales. Nous cherchons donc à acquérir une vision globale des questions financières, économiques et sociales sur les sujets liés à la restructuration, notre attention se focalisant sur des aspects différents selon les étapes de la procédure et de l'accompagnement. Nous veillons à ne pas séparer la recherche d'un repreneur du traitement du chapitre social. C'est la logique qui a présidé à la création des CRP et à leur ancrage décentralisé en relation avec les services. L'émergence d'une culture commune se révèle nécessaire, car les CRP proviennent d'origines administratives variées. Cette hybridation, au bout de six mois d'expérience, fonctionne et stimule, dans les territoires, un apprentissage collectif qui est un atout pour l'action de l'État.
Les signaux sont générés par le recours aux dispositifs, mais aussi par les élus, les représentants du personnel ou les chefs d'entreprise. L'emploi de plusieurs outils permet de faire émerger des solutions : un moratoire des dettes fiscales et sociales peut, par exemple, être prononcé en même temps que du chômage partiel, qui allégera la trésorerie et favorisera une potentielle reprise. Pour les CRP et l'ensemble des services, la tâche demeure ardue et peut s'avérer infructueuse, mais, au total, cette mobilisation réussit, depuis six à huit mois, à sauver davantage d'entreprises qu'auparavant.
J'aimerais que vous évoquiez l'utilisation actuelle des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), leur évaluation et l'anticipation des prochaines mutations. L'intervention de l'État répond à une logique économique et sociale – notamment dans le soutien à la reconversion des territoires et des salariés ; quels sont les moyens efficaces et les effets de levier que vous pouvez mobiliser à l'appui de cette action ? Nous pourrions nous contenter de constater que le budget de l'État dévolu à ces dispositifs a triplé depuis 2009 et célébrer l'importance qui leur est accordée. Cependant, les montants sont relativement faibles, puisque seuls 290 millions d'euros seront débloqués en 2013. Pourriez-vous nous apporter un éclairage politique sur cette situation ?
La loi dispose que l'entreprise in bonis assure le financement du PSE et, notamment, de son dispositif central, le congé de reclassement. Cela ne donne donc pas lieu à l'ouverture d'une ligne de dépenses dans le budget de l'État, mais les services y veillent – par des lettres d'observation, par des constats de carence et, plus sûrement, par un dialogue permanent avec l'entreprise et les représentants des salariés – et s'assurent de l'efficacité de l'accompagnement des employés vers un nouvel emploi. Les dispositifs en place permettent de mobiliser dans la durée des parcours de formation ou de reconversion qui, s'ils ne créent pas directement des emplois, facilitent la reprise d'un poste. L'État insiste sur le fait que les PSE doivent être tournés vers l'emploi. Le système fonctionne correctement, car les sociétés in bonis doivent financer des dispositifs bien dotés.
Pour les entreprises comptant moins de 1 000 salariés en Europe ou se trouvant en situation de redressement et de liquidation judiciaire, l'instauration du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) fut un apport notable, car il met en place un dispositif équivalent au congé de reclassement pour les salariés d'entreprises qui ne possèdent pas – ou qui ont perdu – les moyens de les accompagner dans une dynamique de reconversion. Même dans les cas de liquidation judiciaire les plus délicats, l'État apporte le soutien de la politique de l'emploi pour éviter les ruptures brutales, qui entraînent des drames personnels. Le CSP permet ainsi d'accompagner les salariés financièrement et de les aider dans leur période de reconversion.
Quelle est la composition de la cellule de veille à laquelle vous avez fait allusion, monsieur Vallaud ? Se situe-t-elle à l'échelle départementale ou régionale ?
Les entreprises ont fait appel au chômage partiel en 2008 et en 2009. Réunir l'ensemble des partenaires pour activer le volet formation a requis beaucoup de temps. Les salariés doivent pouvoir utiliser ces périodes pour se former afin d'accroître leurs compétences et rester dans l'entreprise lorsque l'activité reprend, ou rejoindre une autre société du même bassin. Les pouvoirs publics travaillent-ils à améliorer leur réactivité dans ce domaine ?
Par quelle voie la liste des outils à la disposition des CRP est-elle communiquée aux élus locaux ? Ces derniers se trouvent immédiatement sollicités en cas de difficulté et cette position de premier interlocuteur exige de respecter, avant même l'instauration du dialogue social, une grande confidentialité.
Le bassin de Vitré a eu la chance, avec six autres territoires, d'expérimenter le contrat de transition professionnelle (CTP), créé par Jean-Louis Borloo en 2006. Le CTP a entraîné une vraie révolution des mentalités, puisque les salariés ont pu se rendre compte qu'ils pouvaient réaliser d'autres tâches que celles effectuées dans la même entreprise pendant des années et exporter, dans d'autres établissements, les compétences qu'ils avaient développées. Ainsi, les salariés bénéficiant de CTP ou de CSP profitent d'un meilleur accompagnement. Par conséquent, le CSP peut-il être étendu à tous et combien une telle mesure coûterait-elle ?
Comme M. le rapporteur l'a très bien dit, consacrer seulement un peu plus de 250 millions d'euros à ces politiques publiques, au moment où la dégradation de l'économie française s'accélère, pose question. Quels moyens supplémentaires conviendrait-il de mobiliser pour mettre en oeuvre une véritable stratégie de reconstruction des filières industrielles ?
Le CRP de ma région joue un rôle très utile. Donnez également une mission aux sous-préfets dans ce domaine, car, entourés de leurs équipes, ils se tiennent dès le premier jour à nos côtés lorsque des entreprises rencontrent des difficultés. Ils connaissent bien leurs arrondissements et pourraient apporter un complément précieux à l'action des CRP. La région Centre est composée de six départements et s'étend sur 430 kilomètres du nord au sud et sur 270 kilomètres d'est en ouest, ce qui constitue un vaste territoire à couvrir pour les CRP.
Bien qu'elle ait connu un désastre économique important il y a quelques années, ma circonscription n'a pas bénéficié des CTP. Je le regrette d'autant plus que cet outil fonctionne. Les raisons de ce succès tiennent au fait qu'il rassemble tous les acteurs d'un même bassin d'emploi – chefs d'entreprise, élus et services de l'État. En revanche, je suis beaucoup plus critique envers le CIRI. Dans le dossier Johnson&Johnson que vous suivez comme vos prédécesseurs, monsieur Vallaud, où est le CIRI ? Votre proposition de constituer des CIRI régionaux m'apparaît pertinente, mais en dehors d'une entreprise et d'un hôpital, aucune structure n'emploie plus de 400 salariés dans ma circonscription. La Cour des comptes met régulièrement – et avec raison – l'accent sur l'insuffisance du maillage d'entreprises de taille moyenne. Mais n'oubliez pas les entreprises de 50 salariés !
La Cour des comptes a également publié un excellent rapport sur le chômage partiel, qui souligne que l'Allemagne a dix fois plus mobilisé cet outil que notre pays.
Instances régionales, les cellules de veille sont exclusivement animées par les services de l'État. Les directions locales de Pôle emploi n'y participent pas, mais les DIRECCTE relaient leur message, et je ne pense pas que beaucoup d'informations, même mineures, nous échappent. Par contre, un certain nombre de chefs d'entreprise ne s'adressent pas aux services de l'État. Ce sont souvent les CRP qui effectuent cette démarche, les entrepreneurs décidant ou refusant de saisir cette opportunité. Il importe donc d'instaurer des relations de proximité et de confiance avec les chefs d'entreprise. Nous connaissons leurs réticences à faire part de leurs difficultés. Le mentorat permet de lever ce tabou, puisque ce sont des patrons qui parlent à leurs semblables – à l'origine, de projets de développement, mais les problèmes rencontrés par certains d'entre eux peuvent être évoqués dans ce cadre.
Les outils à la disposition de cette politique publique ne sont pas si nombreux. Les CRP et les médiations participent aux relations entre les entreprises et aux discussions entre celles-ci et les banques, dans un statut de tiers intéressé prévu par les accords de place ayant instauré les médiations ; cette présence compte beaucoup dans les échanges. En outre, la Banque de France peut réaliser des audits sur la trésorerie des entreprises afin d'imaginer des solutions techniques, comme des ponts de trésorerie ou des moyens d'obtenir des délais. Ces opérations ne doivent pas se substituer à la réflexion de fond : le traitement financier ne structure pas la réponse industrielle. C'est la raison pour laquelle je suis attaché à la culture industrielle du CIRI.
Les CRP sont souvent situés dans les pôles 3E (entreprises, emploi et économie) des DIRECCTE dont ils partagent la culture. Nous entretenons également des relations denses avec les collectivités locales pour rechercher des solutions de reprise. L'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) joue également un rôle, même si elle est dépourvue de représentation territoriale, en s'appuyant sur les agences régionales de développement (ARD) qui sont les référents locaux. Quant aux sous-préfets, beaucoup se mobilisent déjà en relayant l'action des CRP. Leur investissement – ainsi que celui des préfets de département – répond à une nécessité, les CRP ne pouvant pas tout faire eux-mêmes dans des régions aussi industrielles que le Nord-Pas-de-Calais ou Rhône-Alpes. Le préfet de l'Eure s'est ainsi beaucoup impliqué dans le dossier M-Real.
Nos services déconcentrés doivent assurer une fonction de placement de certains outils – celui du chômage partiel comme ceux contenus dans le dispositif d'aide à la réindustrialisation (ARI) –, capables de procurer de la souplesse aux entreprises.
Le chômage partiel renvoie à la culture de l'anticipation qui exige le partage de l'information plutôt que la méfiance réciproque. L'ANI, s'inscrit dans ce mouvement de prise de conscience et de développement des bonnes pratiques, car il vise non seulement à favoriser l'échange de renseignements en amont sur la stratégie et les difficultés de l'entreprise, mais aussi à donner à l'entreprise, par la négociation collective, un ensemble d'outils – dont le chômage partiel – pour affronter les périodes délicates. Cet accord cherche donc à ancrer l'anticipation dans le dialogue social.
L'outil du chômage partiel a démontré son intérêt lors de la grave crise économique de 2009. Il a été modifié à quatre ou cinq reprises depuis lors, afin de l'améliorer et de favoriser sa diffusion. L'ANI poursuit cette nécessaire logique de réforme, car cet instrument n'est bien employé que par les grandes entreprises industrielles – 18 % des heures sont utilisées par l'industrie automobile. Mais même en 2009, le recours au chômage partiel n'a pas représenté plus de 14 000 équivalents temps plein (ETP) car cet instrument est inadapté aux PME. L'ANI simplifie donc l'architecture du chômage partiel en fusionnant les deux dispositifs existants et en allégeant les dossiers de demande. Par ailleurs, le ministère du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a lancé une campagne de sensibilisation. Tous les intervenants – comme l'ordre des experts-comptables, qui conseille les PME dans l'utilisation des instruments de ressources humaines – doivent s'impliquer. Récemment, un chef d'entreprise, confronté à une forte difficulté conjoncturelle, a refusé de mettre en place du chômage partiel pour ne pas envoyer un signal négatif à ses clients. Il convient d'agir pour accroître l'acceptabilité de cet outil par le développement de la culture de l'anticipation – pour le chômage partiel comme pour les autres dispositifs. L'accroissement des dépenses budgétaires liées au chômage partiel prouvera que son emploi s'est répandu.
Le CSP, qui s'adresse aux salariés subissant un licenciement économique, a démontré son efficacité même si son coût est élevé. L'ANI étendra l'expérimentation qui a élargi son accès aux salariés précaires. Dans le flux d'entrées et de sorties de l'emploi, le licenciement économique reste minoritaire ; l'élaboration d'un PSE se trouve toujours précédée de la fin des contrats à durée déterminée et intérimaires, or ces salariés ne bénéficient d'aucun accompagnement. Ouvrir le CSP à ces publics précaires permet de le renforcer – dans un respect global d'équilibre budgétaire – et de tester son efficacité sur d'autres catégories d'employés. Ces expériences se révèlent parfois complexes, car les profils sont très différents, notamment dans l'intérim.
La collaboration étroite de nos deux ministères se retrouve dans les filières : la rénovation du Conseil national de l'industrie (CNI) et l'action des comités stratégiques de filières (CSF) poursuivent ainsi l'objectif de conjuguer les dispositifs d'emploi et de compétence et de les intégrer dans les perspectives industrielles. Les démarches collectives, déclinées régionalement, doivent s'articuler avec une vision stratégique de la filière, notamment l'encouragement aux évolutions technologiques. Connaître les compétences utiles dans l'avenir – et s'assurer que les dispositifs de formation et de reconversion des salariés sont efficaces pour les développer – exige de fixer un cap. La déclinaison territoriale de cette politique de filière doit prendre en compte la dimension industrielle et doit définir l'aire de mobilité des salariés, car la reconversion peut s'opérer d'une filière à une autre, mais à l'intérieur du bassin de vie du salarié.
Une circulaire du mois de juillet a porté sur les enjeux qualitatifs de la revitalisation. Comment pourrait-on rendre objectives les conditions de validation, par les DIRECCTE, des plans négociés, une fois l'ANI mis en oeuvre ?
Certains dispositifs peuvent créer des inégalités dans l'accompagnement des salariés. Les moyens conférés par les CRP, les CTP et les CSP ne bénéficient pas à tous. Ainsi, les chômeurs qui ont cumulé des CDD et les sous-traitants qui subissent les plans sociaux d'autres sociétés, pâtissent de ces inégalités – parfois de manière plus violente que les entreprises qui leur passaient des commandes. En effet, ces dernières peuvent verser des indemnités supra légales pour accompagner leur réorganisation interne, alors que les sous-traitants ne reçoivent pas de soutien financier ; sauf à imaginer la création d'un fonds qui permette de les accompagner dans le cadre de la restructuration territoriale ? Les moyens aujourd'hui mis en oeuvre suffisent-ils ?
Je suis tout à fait d'accord avec le rapporteur. Lors des procédures de revitalisation, le préfet et l'entreprise choisissent un territoire, la tendance allant, dans la lignée de la circulaire à laquelle vous avez fait allusion, vers l'émergence de plates-formes départementales. Je comprends que l'objectif d'un plan de revitalisation soit de reconstituer autant d'emplois qu'il en a été détruit. Néanmoins, les plates-formes contribuent à émietter l'aide aux salariés et aux territoires : ceux qui ont perdu leur travail ne sont pas forcément les bénéficiaires de l'aide à l'emploi, puisque les nouveaux postes peuvent se situer loin de leur domicile. Quelle est votre vision sur cette question ?
Les pouvoirs publics vont-ils réellement donner une impulsion forte au développement du chômage partiel ? Renforcer l'anticipation exige de se donner des moyens pour favoriser l'utilisation du chômage partiel – l'ANI reste discret sur ce point. Comme la Cour des comptes l'a montré, l'Allemagne a eu massivement recours à ce procédé de 2003 à 2005, ce qui lui a permis de faire diminuer son taux de chômage.
La convention de revitalisation cherche en effet à recréer, dans un bassin d'activité, autant d'emplois qu'il en a été supprimé. Nous essayons de mobiliser les fonds de la revitalisation pour engager la réindustrialisation sur le site même des destructions de postes. Avec les CRP, nous réalisons des audits industriels pour déterminer s'il est possible que l'entreprise qui ferme soit reprise – pour la même activité ou pour une autre. Il convient de s'appuyer de plus en plus sur les fonds de revitalisation afin de diminuer les coûts de la reprise de l'entreprise ou ceux de sa reconversion. Nous rencontrons quelques succès dans ce domaine, même si cette démarche reste complexe. Les crédits dévolus à la revitalisation permettent souvent de reconstituer les emplois disparus, mais nous nous interrogeons sur l'effet d'aubaine qu'ils induisent.
Enfin, la reprise de salariés licenciés dans le cadre de la convention de revitalisation donne lieu au versement de bonifications majorées.
Le dispositif de la revitalisation est encore jeune et sa pratique a beaucoup évolué. Au départ, il mettait l'accent sur la responsabilité territoriale de l'entreprise notamment envers les prestataires, les sous-traitants et les commerces. Il a donc été conçu pour s'adresser davantage aux territoires qu'aux salariés : les conventions sont ainsi conclues le plus souvent après les licenciements, puisqu'elles sont signées six mois après la notification à l'administration. De bonnes pratiques, consacrées par l'ANI, visent à anticiper la recherche d'activités de réindustrialisation et de reconversion pour accroître la possibilité de sauver l'activité – identique ou connexe – et de conserver les salariés.
La revitalisation couvre aussi la sous-traitance de proximité. Or la longueur des procédures de PSE et l'arrêt de l'activité ont déjà eu un impact sur les sous-traitants en termes d'emploi. Le sous-traitant peut, en outre, se situer en dehors du périmètre de la revitalisation. Dans ce cas, les plates-formes et la mutualisation visent à prendre davantage en compte les interdépendances et les impacts induits par une revitalisation. Alors qu'à l'origine le dispositif était tourné vers la distribution d'aides à l'embauche, de prêts à taux zéro destinés aux PME, ou de réduction du coût de locaux destinés à des reprises, il a évolué vers plus de mesures qualitatives, car si les effets des fonds distribués doivent perdurer à moyen terme pour soutenir le développement économique, les salariés doivent aussi retrouver rapidement du travail. La circulaire vise à trouver ce délicat point d'équilibre, en associant des dispositions qualitatives aux mesures quantitatives.
Permettez-moi d'insister sur la question de l'objectivation des critères. Jugez-vous souhaitable de différencier les obligations pesant sur les entreprises selon qu'elles affrontent ou non des difficultés financières ? L'ANI modifie le moment où le juge judiciaire peut être saisi, mais le problème jurisprudentiel d'élaboration de critères d'évaluation des difficultés économiques des entreprises et des engagements qu'elles souscrivent subsiste.
Les textes régissant le PSE disposent clairement que les moyens consacrés par l'entreprise au reclassement doivent être modulés en fonction des moyens de l'entreprise ou du groupe auquel elle appartient. L'effort des entreprises pour adapter les compétences des salariés à leur poste de travail est également pris en compte. Cette question fondamentale rejoint celle de l'anticipation. Le reclassement échouera en effet si les salariés devant faire face à la perte de leur emploi, perçoivent un financement pour entrer dans un dispositif de reconversion sans avoir reçu la moindre formation depuis des années.
L'ANI confère à l'État le rôle central de garant de l'application de la modulation, qui nécessite l'évaluation de la qualité des mesures sociales au regard des moyens du groupe. Or, le dialogue social se concentre souvent, dans les faits, sur le montant de la prime supra légale. Les lettres d'observation peuvent pointer l'absence de mesures de reclassement dans le plan malgré la santé du groupe, mais elles ne possèdent pas d'effet contraignant. L'objectif de la procédure d'homologation est de s'assurer que les sommes engagées permettent la reconversion et la sécurisation du parcours professionnel des salariés.
Le dispositif de revitalisation constitue un autre levier pour prendre en compte la situation financière de l'entreprise et du groupe. La contribution de l'entreprise ne peut pas descendre en-dessous d'un seuil égal à deux fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé, le préfet pouvant prescrire une étude d'impact social et territorial pour apprécier le montant global des disparitions de postes. En revanche, il n'existe pas de plafond pour cette mesure, mais si l'entreprise décide ne pas signer de convention de revitalisation, elle doit s'acquitter d'une contribution au Trésor public de quatre SMIC par emploi supprimé. Ce système conduit donc bien souvent à fixer la modulation dans une fourchette, comprise entre deux et quatre SMIC – même si certaines entreprises acceptent de porter leur participation à six, huit, dix, voire douze SMIC et que d'autres, connaissant des difficultés financières, se contentent de rester entre zéro et quatre SMIC.
La modulation en fonction de la situation de l'entreprise est déjà pratiquée et l'élaboration de critères précis pourrait conduire à des rigidités. En outre, si la rentabilité devait s'apprécier site par site, nous savons que des artifices comptables – comme la localisation des actifs immatériels – permettraient de transférer les éléments de valorisation de l'entreprise. Nous préférons donc retenir une définition simple, voire tautologique : un site rentable est celui qui trouve un repreneur.
Évaluer la modulation en fonction de la situation de l'entreprise et des efforts qu'elle a consentis pour la formation de ses salariés tout au long de leur carrière peut donner lieu à des jugements très subjectifs. Qui portera cette appréciation ? D'un département ou d'une situation à l'autre, les estimations pourront varier. Les négociations, qui aboutissent en effet souvent à la simple détermination du montant du chèque d'indemnité, peuvent prendre du temps et je m'interroge sur le rôle d'une personne extérieure qui aurait le pouvoir de fixer le niveau de l'effort auquel les entreprises doivent consentir.
Le projet de loi transcrivant l'ANI prévoit que l'homologation intervienne à la fin de la procédure d'information et de consultation. N'est-ce pas trop tard pour influer sur la qualité des mesures d'accompagnement du plan social ?
La loi comporte déjà des obligations de formation. L'employeur doit préserver l'employabilité de ses salariés et il est déjà arrivé qu'un chef d'entreprise soit condamné pour ne pas avoir rempli cette exigence. Néanmoins, cet impératif de maintien de l'employabilité est très peu mis en oeuvre. Comment assurer son effectivité ?
Actuellement, les DIRECCTE mènent un dialogue avec le chef d'entreprise et les représentants des salariés. Elles formulent des remarques, notamment par des lettres d'observation, sur les différentes versions du plan qui sont discutées. Le rôle de l'administration s'apparente à du conseil : faire connaître les bonnes pratiques et apporter des suggestions plus ou moins fermes en tenant compte – et là entre la part de subjectivité – des spécificités de chaque bassin d'activité et des caractéristiques d'ancienneté, d'âge et de formation des salariés. Tout l'esprit de l'ANI repose sur le renforcement de la négociation collective. L'homologation du plan consacrera, en fin de processus, l'aboutissement du dialogue social ; elle dépendra de la bonne application de la loi et, notamment, des garanties apportées à la sécurisation des parcours professionnels. Elle ne sera pas un couperet qui tombera en fin de procédure, mais un soutien au dialogue entre l'État, les chefs d'entreprise et les représentants des salariés pour améliorer les mesures du plan.
Les bonnes pratiques sont déjà partagées grâce aux retours – effectués par l'administration du ministère du travail – sur les expériences réalisées sur le territoire. L'inévitable dose de subjectivité doit s'appuyer sur l'examen objectif des actions conduites dans le pays. Ainsi, les formations seront adaptées aux évolutions des métiers dans les bassins d'emploi et à la situation des salariés d'une entreprise, et seront prises en compte par la commission de suivi du plan de reclassement, puis par Pôle emploi au terme du congé de reclassement.
Comment seront formalisés les critères d'évaluation de la qualité du plan social ?
Quels seront les recours ouverts aux salariés jugeant l'homologation abusive ?
Les salariés et les chefs d'entreprise pourront former un recours contre l'homologation du plan, puisqu'il s'agit d'une décision administrative qui, en tant que telle, peut faire l'objet d'une procédure devant la juridiction administrative. En cas de refus d'homologation, l'entreprise pourrait revoir les mesures contenues dans le plan.
En revanche, l'application d'une grille trop rigide dans le processus d'homologation diminuerait la capacité d'adaptation du plan aux spécificités du territoire. Presque tous les PSE donnent lieu à l'envoi d'une lettre d'observation par la DIRECCTE. Ces lettres sont adressées au chef d'entreprise, avec une copie au comité d'entreprise ; elles fournissent des éléments développés et précis. Ainsi, elles peuvent faire état d'améliorations à apporter en termes de durée de congé de reclassement, de budget et de mutualisation des formations, de prise en compte de ce qui existe dans le territoire concerné, ou d'accompagnement des salariés pour la création d'entreprise. Les critiques appuyées à l'encontre de ces lettres sont rares. Elles sont perçues comme un élément important du dialogue social et comme un moyen de concentrer les discussions sur l'objectif fondamental poursuivi par la puissance publique, à savoir la sécurisation des parcours des salariés, ce qui inclut le retour à l'emploi.
Vous avez présenté la DIRECCTE comme garante du dialogue et comme force de proposition. Il me semble pourtant que sa participation aux discussions pourrait être mal perçue. En outre, elle s'exposerait à la critique d'apparaître comme juge et partie si, dans le cas d'un échec des négociations, elle homologuait un plan ayant intégré ses suggestions. Son rôle doit donc être précisé.
La DIRECCTE envoie des lettres d'observation plus que de suggestion sur le contenu d'un PSE. Elle n'évoque jamais le sujet des indemnités extralégales qui ne font pas partie de sa mission. Elle formule des observations sur la qualité des mesures de reclassement au regard de sa connaissance du bassin et des qualifications des salariés. En se concentrant sur ce point, elle ne risque pas d'apparaître comme juge et partie ; d'ailleurs, ses interventions suscitent très peu de polémiques. Elle veille avant tout à ce qu'un plan ne soit pas vierge de toute mesure de reclassement même si cette absence était compensée par le versement d'indemnités plus fortes. En effet, les salariés peuvent rencontrer des difficultés à gérer le montant élevé d'un chèque et se retrouver dans une situation délicate ensuite sans avoir été aidés pour rebondir professionnellement. Les lettres d'observation et l'homologation apparaissent donc comme deux instruments complémentaires.
L'ANI procède à la fois à une déjudiciarisation et à une montée en puissance du juge administratif, accompagnées d'une distinction temporelle. Cette évolution est positive, car elle mettra un terme aux possibilités de contester et de suspendre la mise en oeuvre des PSE, le recours au juge sur le contenu du plan n'étant ouvert qu'une fois celui-ci adopté.
Toutefois, si la loi ne fixe pas les critères d'homologation du plan, les conflits de jurisprudence ne devraient pas cesser. Ce sujet devra être étudié, car il est source d'incertitude et pose un problème d'attractivité de la France pour les investissements étrangers.
Pensez-vous qu'il convienne d'appréhender la question des licenciements diffus ?
De nouvelles formes de relations entre l'État et l'entreprise en crise vont-elles émerger ? Je pense notamment au passif public : pourrait-on le recycler pour ne pas aggraver la situation de l'entreprise qui se redresse, et assumer ainsi une fonction de co-investisseur ?
Aborder le sujet du passif public renvoie à la doctrine que l'on se fixe sur son usage pour les entreprises en difficulté. Le créancier public pourrait-il – comme d'autres – convertir ses dettes en capital ? Est-ce opportun ? Dans quelles conditions et dans quel but effectuer une telle opération ? Je n'ai pas encore de réponses à apporter à ces questions, mais elles sont posées. La réflexion doit être entourée de précautions, car toutes les situations ne se valent pas.
S'il n'y a pas de licenciement diffus aujourd'hui, nous pressentons que la responsabilité territoriale de l'entreprise ne doit pas y être étrangère. Néanmoins, cette question mérite que l'on s'y penche et elle a d'ailleurs fait l'objet d'au moins une proposition de loi.
Ce sujet se trouve lié à celui de l'obligation de revitalisation ; il pose le problème de la responsabilité territoriale de l'entreprise, qui ne se limite pas forcément à un périmètre précis, mais touche l'ensemble du territoire.
L'ANI ne remet pas en cause le contrôle de la loi opéré par le juge. Si la mise en oeuvre d'un processus de restructuration – que l'ANI cherche à empêcher – se révélait inévitable, cet accord favorisera le dialogue social et la conclusion d'accords collectifs – pour surmonter de manière optimale une telle situation et pour assurer notamment le reclassement des salariés –, au détriment de batailles judiciaires. L'ensemble des dispositions de l'ANI ambitionne de fournir davantage d'outils et d'opportunités pour surmonter les conflits – que la tension sociale ne cessera de générer – par la discussion plutôt que par la confrontation.