L'audition commence à onze heures cinquante-cinq.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Philippe Van Troye, directeur général d'Electrabel, opérateur principal – sinon unique – en Belgique, et qui appartient au groupe GDF-Suez, ainsi que M. Éric De Keuleneer, professeur à l'Université libre de Bruxelles.
Cette commission a choisi d'observer la place du secteur électronucléaire dans trois pays voisins dont l'approche est sensiblement différente : le Royaume-Uni, la Belgique et l'Allemagne.
La Belgique se trouve dans une situation quelque peu similaire à celle de la France puisque l'électricité d'origine nucléaire représente une part majoritaire de la production totale – 54 % –, part destinée du reste à décroître. On peut relever néanmoins une différence entre nos deux pays : les centrales nucléaires françaises sont principalement utilisées en base alors qu'elles sont en Belgique en semi-base et de ce fait – est-ce une réalité ? – davantage sollicitées.
La Belgique a fait un choix clair : la loi adoptée en 2003 proscrit la construction de nouvelles centrales nucléaires et impose la fermeture des centrales existantes après quarante ans d'exploitation, en l'occurrence entre 2015 et 2025. Cette limite est-elle intangible ?
Il semble que cette décision ait fait l'objet de débats assez vifs. L'exploitant principal des réacteurs devant fermer en 2015 a en effet travaillé à obtenir leur prolongation. Je crois savoir, en outre, qu'en raison de fissures, neutralisées par la suite, certaines centrales ont dû être fermées pendant un temps assez long, ce qui a suscité des problèmes entre les pouvoirs publics belges et l'opérateur, relevant même du contentieux, beaucoup d'argent étant en jeu. On rapporte enfin que la rente nucléaire a donné lieu, en 2011 et 2012, à des évaluations contrastées entre le régulateur – la Commission de régulation de l'électricité et du gaz, la CREG – et l'exploitant – manière pudique de dire qu'ils n'étaient pas d'accord du tout.
Nous devons échanger librement sur tous ces points : loin de nous l'idée de juger les comportements de nos voisins.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Philippe Van Troye et Éric De Keuleneer prêtent successivement serment.)
Electrabel est en effet l'opérateur principal mais pas le seul propriétaire des centrales nucléaires belges. Nous partageons l'unité de Tihange 1 avec EDF à hauteur de 50 % chacun et EDF Luminus a une participation dans les unités de Doel 3, Doel 4, Tihange 2 et Tihange 3.
L'opérateur prend les décisions quotidiennes mais des comités techniques et des comités de gestion communs se réunissent régulièrement. C'est le résultat d'une histoire du nucléaire qui était assez commune, au début, entre la Belgique et la France concernant les PWR.
La durée de vie des centrales nucléaires est limitée à quarante ans d'exploitation, non pour des raisons techniques mais politiques. Une loi a été votée en 2003 en ce sens et a été amendée fin décembre 2013 pour autoriser l'unité de Tihange 1 à poursuivre son activité jusqu'en 2025. Nous avons entamé depuis plusieurs années des discussions avec le gouvernement belge et avec le régulateur chargé de la sûreté nucléaire, l'Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN), de manière à développer un programme visant à identifier les éléments critiques qui doivent faire l'objet ou d'une maintenance particulière ou d'améliorations de la sûreté si la centrale est exploitée au-delà de quarante ans.
Plusieurs organismes jouent un rôle dans la gestion des déchets et le démantèlement des centrales : la Commission des provisions nucléaires (CPN) procède tous les trois ans à une révision de nos connaissances en matière de coûts de démantèlement et de gestion des déchets, laquelle est elle-même confiée à l'Organisme national belge des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies (ONDRAF).
Notre programme de provisionnement se fondait jusqu'à présent sur des scénarios prévoyant une fermeture de toutes les unités après quarante ans d'exploitation. Nous sommes en train de le réviser à la suite de la décision de prolonger l'activité de l'unité de Tihange 1 de dix ans, avec l'idée de démanteler tous nos sites suivant un séquencement, les plus récentes devant fermer vers 2025 et les plus anciennes en 2015.
La rente de rareté nucléaire a fait l'objet d'un long débat, d'expertises et de contre-expertises. La Banque nationale de Belgique a publié un rapport en avril 2011 établissant la méthodologie à utiliser.
Selon la logique de merit order – de préséance économique – des unités utilisées, dans un marché libre, le prix de vente de l'électricité est fixé par la dernière unité mise en service à son coût marginal. Si vous utilisez du gaz naturel, le prix sera fonction du coût marginal de production du gaz naturel et, pour les technologies nucléaires, la marge sera importante entre le prix de l'électricité et son coût variable de fonctionnement – il s'agit donc d'une marge intramarginale qui n'a rien d'anormal.
Je reviens au débat sur l'énergie en Belgique, un second aspect ayant fait l'objet de discussions. Quand le marché de l'énergie, jusqu'alors régulé, a été ouvert, le secteur nucléaire avait été amorti (il l'a été au bout de vingt ans de fonctionnement), et les unités nucléaires pouvaient générer une rente intramarginale. Comme aucun dispositif particulier n'a été mis en place au moment de l'ouverture de ce marché, dans un contexte où les prix, dans les années 2000, ont augmenté sensiblement, l'exploitant a vu sa marge s'accroître. Cette situation se reproduit si vous décidez de prolonger une unité nucléaire amortie car les investissements que vous réalisez éventuellement ne seront pas ceux de la construction d'une nouvelle unité. Se pose donc toujours la question de savoir quel est le profit raisonnable qu'on peut réaliser – et je rappelle que ce secteur n'est pas le seul concerné.
J'ai travaillé sur la question du bonus-malus consistant à augmenter la facturation pour neutraliser les tensions de consommation et, à l'inverse, à diminuer la facturation lorsque la consommation est faible. Or, si j'ai bien compris, une facturation qui ne serait pas au prix moyen ferait disparaître la rente en question.
Seulement, en Belgique, nous n'avons pas gardé de tarification. Il est difficile de comparer nos deux pays où l'approche n'est pas tout à fait la même. Les autorités politiques belges ont instauré une redevance pour recapturer une rente jugée excessive. Une loi programme a été votée à cette fin en 2008, complétée par une loi en 2012 fixant l'ensemble des contributions de répartition à 550 millions d'euros par an, sur la base d'une analyse de rente réalisée en fonction des coûts de 2007. Or, du point de vue de l'exploitant, si l'on observe l'évolution des marchés de l'électricité en Europe, cette rente devrait faire l'objet d'une réévaluation.
Je suis le secteur de l'énergie, tout en lui restant extérieur, depuis une vingtaine d'années. J'ai été appelé par le gouvernement belge en 1999 à présider un groupe d'experts pour préparer la libéralisation du marché de l'énergie. Celles de nos recommandations concernant la rente nucléaire, alors déjà évidente, n'ont malheureusement pas été suivies. Aussi m'arrive-t-il encore de formuler des suggestions et certaines sont parfois entendues.
Le débat en Belgique tourne en effet autour de la rente nucléaire et sur la manière de la capter. En France, le problème se pose différemment puisque vous avez gardé un système de tarification, de contrôle des prix, une bonne partie de la rente nucléaire revenant par conséquent au consommateur sous la forme de prix raisonnablement plus bas que dans d'autres pays et plus bas que les prix du marché. En Belgique, en revanche, la rente a été pendant de nombreuses années captée entièrement par les producteurs et, depuis 2006-2007, très partiellement par l'État. J'ai observé que les producteurs nucléaires, partout en Europe, avaient, de façon très concertée, fortement combattu toute taxation de la rente et qu'ils avaient toujours présenté cette obligation légale comme une contribution qu'ils payaient presque volontairement en échange d'une prolongation de l'activité des centrales.
La première redevance était basée sur un accord avec le gouvernement belge, établissant bien le lien entre les 250 millions d'euros et la prolongation des unités de Doel 1, Doel 2 et Tihange 1. Or cet accord n'a pas été respecté.
Tout à fait. Le propos de M. Van Troye illustre le fait que c'était une obsession pour les producteurs nucléaires de bien lier le paiement de la redevance à une prolongation de l'exploitation des unités. Le Gouvernement est revenu sur ce point, selon moi à juste titre, parce que l'accord était fondé sur des informations mensongères concernant le prix de revient. Electrabel continuait de prétendre qu'il était de 30 à 35 euros par mégawattheures (MWh) alors que je prétendais qu'il n'était, en 2004-2005, que de 15 à 20 euros par MWh. Les études évoquées l'ont estimé à quelque 20 euros par MWh.
Tout à fait. Mais il ne tient pas compte du risque civil.
Le débat reste centré autour du prix de revient du nucléaire amorti, du nucléaire prolongé, du nucléaire nouveau, prix variant très sensiblement selon le cas. Pour le nucléaire amorti, il est de l'ordre de 15 euros par MWh. Les études de la CREG et de la Banque nationale l'évaluent, quant à elles, à quelque 20 euros mais en tenant compte de marges bénéficiaires importantes.
Sur une durée de vie de quarante ans. Les centrales belges ont été amorties en vingt ans et prolongées de vingt à quarante ans sans compensation économique. Le consommateur a, par conséquent, supporté la charge de l'amortissement sur vingt ans.
Vous considérez donc que le coût, auparavant plus élevé, est réduit à presque rien après vingt ans d'amortissement.
Tout à fait : la charge d'amortissement était bien sûr plus élevée pendant les vingt premières années d'exploitation de chaque centrale ; comme le marché était régulé, le coût de production était intégralement facturé au consommateur. On lui a promis que les coûts baisseraient une fois les unités amorties pour ensuite lui expliquer que, le marché étant désormais libéralisé, la rente profiterait à l'exploitant et non à lui. Cette vision certes quelque peu schématique ne vise pas du tout M. Van Troye qui n'était en fonction à l'époque. Je pense également que les pouvoirs publics belges et le régulateur belge se sont montrés complètement naïfs ou complaisants.
Le prix de revient du nucléaire belge amorti est très faible et, depuis 2002, il n'est retourné à la collectivité belge que sous forme de cette petite taxe représentant quelques euros par MWh. J'évalue donc le prix de revient à 14 euros par MWh en exploitation courante. La prolongation pour une tranche de 900 MW se fera aussi grâce à des investissements de jouvence et un impact sur les prix à mon avis beaucoup plus faible que celui accepté par le Gouvernement.
Le coût du démantèlement et du retraitement a déjà été dans une très large mesure entièrement facturé au consommateur et a fait l'objet d'une mise en provision d'abord comptable puis effective au sein d'une filiale du groupe GDF-Suez, Synatom. Ces montants sont significativement plus importants, proportionnellement, que ceux dont il est question dans votre étude mais sans qu'on sache s'ils sont suffisants. Ces provisions sont encore largement détenues par les producteurs, ce qui est un non-sens économique et financier puisqu'elles se trouvent par là à la merci de la santé de ces derniers. Ces provisions ont été individualisées afin de s'assurer que l'argent sera disponible même en cas de défaillance du producteur nucléaire.
Ces provisions n'ont pas vraiment été sanctuarisées puisqu'elles restent au sein du groupe. Je fais partie de ceux qui plaident, depuis quinze ans, pour leur sortie du groupe et les progrès en la matière se sont révélés très faibles.
Il y a donc de l'argent pour le démantèlement et pour le retraitement.
Pendant plusieurs années, nous avons retraité le combustible usé, en France, mais cette opération a été interrompue par une décision politique, il y a plusieurs années. Il est aujourd'hui stocké dans des piscines ou à sec selon qu'il provient du site de Doel ou de celui de Tihange. Différents scénarios sont envisagés tous les trois ans : celui de la reprise du retraitement ou celui d'une évacuation directe.
Quand vous évoquez une décision politique, il s'agit d'une décision prise par les pouvoirs publics et non par l'opérateur ?
Le débat se pose en effet en termes différents dans les deux pays, notamment pour ce qui concerne la rente.
Néanmoins, même si la schizophrénie n'est pas tout à fait la même qu'en Belgique, l'opérateur nucléaire, en France, verse des dividendes à l'État.
La loi belge prévoit la fermeture des réacteurs nucléaires au bout de quarante ans d'exploitation avec une exception pour l'unité de Tihange 1. Qui a décidé cette prolongation de dix ans : l'opérateur, l'AFCN ou le Gouvernement ? Est-ce pour des raisons de vieillissement trop important de la centrale que cette décision n'a pas été prise pour Doel 1 et 2 ? Est-ce que les investissements se seraient révélés trop importants pour pouvoir prolonger la durée de l'exploitation de ces unités ? Votre réponse m'intéresse d'autant plus que les mêmes questions vont se poser en France.
Ma deuxième question porte sur la prolongation de l'unité de Tihange 1 : le programme d'investissements est de 600 millions d'euros. Dans le même temps, EDF a annoncé 50 milliards d'euros pour le « grand carénage ». Malgré la difficulté d'établir des comparaisons, comment expliquez-vous qu'on consacre, d'un côté, 600 millions d'euros pour un réacteur et, de l'autre, 50 milliards d'euros pour les 58 réacteurs français.
Ma troisième question concerne les unités de Doel 3 et Tihange 2, fermées pour cause de fissures, puis rouvertes. L'Autorité de sûreté nucléaire française avait émis des réserves sur cette réouverture et souhaité que soient réalisés des tests complémentaires. Nous avons donc une autorité de sûreté, d'un côté de la frontière, qui estime que ces réacteurs ne peuvent pas redémarrer, et une autorité de sûreté, de l'autre côté de la frontière, qui considère que la reprise d'activité est possible. Quelle est votre appréciation sur cette divergence plutôt inquiétante ?
La décision de prolongation de l'unité de Tihange 1 est avant tout politique et fait suite à une étude lancée par le secrétaire d'État à l'énergie sur les perspectives de sécurité d'approvisionnement d'électricité en Belgique. Cette étude a conclu que si l'on maintenait la décision de fermeture à la fois des unités de Doel 1, Doel 2 et Tihange 1, des problèmes surviendraient à l'horizon 2015, et que le meilleur moyen d'y répondre était la prolongation de dix ans de l'une des unités. Le choix de Tihange 1 ne répond pas à des considérations techniques – nous avions établi des dossiers de prolongation pour les unités de Doel 1 et 2 et Tihange 1 – mais en partie économiques : on a préféré le moindre coût.
Les différences ont essentiellement porté sur les plans de jouvence à réaliser au sein de ces unités. Il fallait remplacer certains équipements des unités de Doel 1 et 2 – d'ailleurs pas spécifiquement nucléaires –, ce qui n'était pas le cas pour le site de Tihange 1.
La prolongation de l'exploitation des unités de Doel 1 et 2 aurait coûté 900 millions d'euros contre 600 millions d'euros pour l'unité de Tihange 1.
Il s'agit donc d'une décision politique et économique mais qui n'a rien à voir avec la sûreté nucléaire !
De manière à préparer cette décision, nous avions dès 2008 lancé des études sur la question de savoir quels investissements seraient nécessaires pour pouvoir prolonger les unités au-delà de quarante ans et nous avions fourni à l'Autorité de sûreté un dossier proposant des éléments de réponse sur le remplacement des équipements vieillissants et sur les améliorations à apporter en matière de sûreté.
Aussi, les sommes de 600 et 900 millions d'euros évoquées concernent également la sûreté ?
Tout à fait. Les 600 millions d'euros consacrés au site de Tihange 1 prévoient le remplacement d'équipements mais aussi des améliorations de sûreté. Sur ces 600 millions, 200 seront consacrés à ce qu'on appelle en France la « bunkérisation » qui permet de mettre le réacteur à l'arrêt en toute sûreté et garantit sa résistance aux agressions extérieures. Ce dispositif est spécifique au site de Tihange 1 car toutes les autres unités disposaient d'emblée d'un système de « bunkérisation » de plusieurs trains de mise à l'arrêt, de plusieurs sources de refroidissement.
Quant à la comparaison entre les 600 millions d'euros dont il est ici question avec les 50 milliards d'euros qu'EDF va consacrer au grand carénage, il convient de rester très prudent : la configuration initiale n'est pas toujours la même. Les stress tests réalisés à l'échelle européenne sont à cet égard instructifs.
Je sous-entends que les systèmes de sûreté mis en place dans le design initial, complexes, peuvent être très différents. En Belgique, les centrales étant très proches de zones très habitées ou très industrielles, on a fait le choix, pour les unités de Tihange 2, Tihange 3, Doel 3 et Doel 4, de plusieurs trains de sûreté bunkérisés, de plusieurs sources de refroidissement indépendantes, ce qui a certes renforcé le coût de l'investissement initial mais, si l'on procède à un stress test, on obtient un design globalement plus robuste.
Quelque 600 millions d'euros pour prolonger l'exploitation d'une centrale, ce n'est pas grand-chose…
Si vous partez du principe que 1 000 MW produisent en moyenne, si l'on retire les révisions, 7,5 TWh par an, cela représente environ 8 euros de coût supplémentaire par MWh qui vous donnent droit, en toute logique, à une rémunération raisonnable sur le capital nouveau que vous investissez.
Le gouvernement belge a accepté que le coût de ce plan de jouvence serait d'environ 14 euros par MWh ; ce qui, à mon avis, est excessif. Il faudrait vérifier la somme de 600 millions d'euros. Quant à la rémunération du capital, le gouvernement belge a accepté qu'elle soit de l'ordre de 9 % sur un financement constitué entièrement de fonds propres. C'est très curieux car le régulateur, pour des investissements dans le secteur électrique, n'accepte un coût du capital que de 4 à 5 %, estimant qu'une partie substantielle peut être financée par l'emprunt et eu égard à la rémunération du marché. Donc fixer un rendement à 9 % semble très élevé, d'autant qu'il concerne les 600 millions d'euros pendant toute la durée de la prolongation alors qu'année après année, les montants sont amortis. Le calcul de la rémunération du capital est exorbitant.
Vous êtes en train de nous expliquer qu'il est très rentable de prolonger la vie des centrales.
Tout à fait. La Belgique est un cas spécifique : les centrales amorties permettent de produire à un coût très faible et le plan de jouvence ne devrait pas augmenter ce coût réel de plus de 10 euros par MWh. Si l'on part de 14 ou 15 euros aujourd'hui, on arrive à 25 euros par MWh alors que les prix du marché, même après leur baisse, sont encore de l'ordre de 40 à 45 euros par MWh. Et l'opération reste d'autant plus rentable que le coût de démantèlement est déjà intégré et que, dans une certaine mesure, la prolongation de dix ans retarde la nécessité du coût du démantèlement. On aurait presque dû imputer les coûts de jouvence sur les provisions de démantèlement.
J'y insiste : en France, en cas de prolongation de l'exploitation d'un réacteur nucléaire au-delà de quarante ans, l'Autorité de sûreté nucléaire exigerait le respect des normes de sûreté les plus importantes en vigueur sur le territoire national, à savoir celles concernant l'EPR. Estimez-vous que les normes en vigueur à Tihange 1 équivalent à ce référentiel de sûreté ou bien, comme cela ne vous est pas demandé, vous n'avez pas pris les mesures le permettant ?
Les autorités de sûreté belge et française ont une approche assez similaire. Elles demandent que les options de sûreté supplémentaires permettent de répondre aux mêmes exigences de résistance à différents types d'incidents et d'accidents. Évidemment, pas plus en Belgique qu'en France on ne saurait faire d'une centrale d'il y a quarante ans un EPR. C'est une question de fonctionnalité, pas de design. En outre, les autorités de sûreté française et belge travaillent régulièrement ensemble sur ces sujets.
Alors comment expliquez-vous cette différence d'appréciation tout de même frappante entre l'Autorité de sûreté française et l'Autorité de sûreté belge concernant les unités de Doel 3 et Tihange 2 ?
Il y a eu en effet une demande de l'Autorité de sûreté nucléaire française – qui participait d'ailleurs à l'analyse du dossier avec l'Autorité de sûreté belge – de ne pas autoriser dès le début 2013 le redémarrage des unités mentionnées avant que ne soit réalisée une série de tests complémentaires, notamment en matière d'essais mécaniques et de résistance des cuves. Or les unités concernées sont restées fermées pendant six mois pour que ces essais soient effectués, cela sous le contrôle de l'Autorité de sûreté belge qui, puisque tous les tests complémentaires ont répondu aux attentes, a émis un avis positif.
L'expertise et l'indépendance de l'Autorité de sûreté nucléaire française sont unanimement reconnues dans le monde. Reste qu'elle a autorisé l'exploitation des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim pour dix années supplémentaires mais que pour des raisons politiques, un autre chemin a été pris…
L'autorisation a été donnée pour cinquante ans par l'Autorité de sûreté belge pour l'unité de Tihange 1 avec 600 millions d'euros d'investissements. Le rapport qualité-prix est tout à fait raisonnable. Je rappelle que la centrale de Fessenheim apporte à EDF 500 millions d'euros par an.
Dans l'un des documents que j'ai fait distribuer se trouve un résumé de la décision du conseil des ministres à propos de la prolongation d'exploitation de l'unité de Tihange 1, qui montre que la base des coûts ne se situe plus aux alentours de 15 euros par MWh. Les ordres de grandeur sont donc assez différents.
C'est vrai mais la manière dont on est passé à 28 euros reste tout de même un mystère.
Ce n'est pas un mystère : la CREG vérifie nos coûts et ce sera le cas dans le cadre de la programmation de Tihange 1.
Mais les 28 euros ne sont pas validés.
Il est très intéressant pour cette commission d'entendre des personnalités qui n'ont pas le même point de vue, ce qui nous permet d'être mieux éclairés. Une dernière question : la prolongation de l'exploitation de l'unité de Tihange 1 a-t-elle été prise par le Gouvernement ou par le Parlement ?
L'audition s'achève à douze heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire
Réunion du jeudi 30 janvier 2014 à 11 h 30
Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Philippe Baumel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, M. Jean-Louis Costes, Mme Françoise Dubois, M. Claude de Ganay, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Frédérique Massat, Mme Sylvie Pichot, M. Patrice Prat, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter
Excusés. - M. Damien Abad, M. Christian Bataille, M. Francis Hillmeyer, M. Hervé Mariton, M. Franck Reynier