La séance est ouverte à neuf heures trente.
Je suis heureuse d'accueillir aujourd'hui M. Michel Pinault, président du Haut comité d'évaluation de la condition des militaires.
Vous avez eu l'obligeance de me présenter dès sa publication le dernier rapport du Haut comité, consacré à l'administration des militaires. Vous avez d'ailleurs su donner à ce document une certaine médiatisation, notamment pour ce qui concerne le système de calcul de l'indicateur du moral des armées, qui illustre l'impressionnante créativité administrative française !
Plus sérieusement, votre rapport met en évidence une dégradation de l'administration des militaires. C'est pourquoi il m'a semblé particulièrement important que vous puissiez faire partager vos analyses à notre commission, qui est particulièrement attentive aux aspects de la programmation militaire concernant les ressources humaines.
Pourquoi un rapport sur l'administration des militaires ? Ce travail est tout simplement l'aboutissement de nos travaux passés. En effet, lors de la préparation de nos précédents rapports sur différents aspects de la condition militaire, nous en venions régulièrement à des questions touchant à l'administration des militaires. Vous le savez : le Haut comité est une instance indépendante, qui choisit librement ses sujets de travail, dans un double souci d'apporter une contribution utile sur les questions de fond et de s'inscrire dans les débats à l'ordre du jour.
Concernant l'administration des militaires, quel est notre diagnostic d'ensemble ?
C'est, comme vous l'avez dit, celui d'une « dégradation » de ce service, terme que nous employons d'ailleurs dans notre rapport. Une chose nous a particulièrement frappés : l'administration des militaires était vue comme un modèle d'efficacité et d'attention portée aux personnels jusque dans les années 1960. Certes, elle bénéficiait alors d'une surabondance de moyens grâce au service national. Mais quoi qu'il en soit, cette administration était considérée comme efficace non seulement par les militaires eux-mêmes – ce qui est le plus important –, mais aussi par la société civile dans son ensemble, y compris la fonction publique civile, pour la qualité du suivi individualisé des carrières et pour tout ce qui relève de ce que l'on appellerait aujourd'hui les « ressources humaines ».
Or, aujourd'hui, cette avance est perdue, et du retard est pris par rapport aux pratiques qui ont cours dans le monde civil, que ce soit dans la fonction publique ou dans le secteur privé.
Quelles sont les causes de ce décrochage ?
Avant tout, il s'agit d'une contrainte d'efficacité résultant d'une limitation générale des moyens, en ressources humaines tant que budgétaires.
Ensuite, il faut noter que les attentes des « administrés » – si l'on peut employer ce terme pour désigner les militaires – ont évolué. Pour donner la mesure de cette évolution, j'évoque souvent une comparaison historique. Avant 1914, les recrues qui arrivaient aux quartiers étaient accueillies dans des casernes neuves et modernes. Qu'il s'agisse de la restauration, de l'hôtellerie ou des loisirs, le confort offert par ces casernes était largement supérieur à celui que connaissait la plus large part de la population française de l'époque, majoritairement rurale. Manger de la viande tous les jours et dormir dans un lit aux draps propres n'était pas permis à tout le monde dans les campagnes françaises d'alors… Mais aujourd'hui, ce rapport s'est inversé. En effet, les jeunes recrues appartiennent à des générations qui ont grandi avec un certain confort et un accès aisé aux nouvelles technologies. Elles ont l'habitude de services commodément accessibles, par exemple lorsqu'il s'agit de commander tel ou tel produit : leur réflexe est d'en passer commande sur Internet et d'en recevoir la livraison sous 48 heures, délai dans lequel il leur est possible d'en suivre étape par étape l'acheminement.
Parmi les causes de la dégradation constatée dans l'administration des militaires, il faut aussi mentionner une vieille tradition des armées françaises : le soutien, l'administration en général, sont vus comme des fonctions ancillaires, ou du moins secondaires, pour lesquelles « ça passera toujours ». Or, pour le Haut comité, dans les périodes de réformes que traverse le ministère de la Défense, c'est au contraire un facteur clé du maintien du moral des armées et de l'attractivité du métier des armes.
Pour mesurer la dégradation observée dans l'administration des armées, nous nous sommes heurtés à un problème méthodologique. Il s'agit, si j'ose dire, de deux arbres qui cachent la forêt : Louvois et les bases de défense. En règle générale, il est d'ailleurs difficile de mesurer ce que l'on appelle la « qualité du service rendu » par l'administration : les indicateurs disponibles donnent une image un peu lénifiante de la réalité, ou du moins un peu trop optimiste. Qui plus est, ces indicateurs sont incomplets. Nous avons donc formulé un ensemble de suggestions en vue de les améliorer.
Dans la réalité, les difficultés rencontrées ne se résument pas à la création des bases de défense, mais celle-ci n'y est tout de même pas étrangère. Et ce, d'abord, parce que cette réforme constituait un véritable choc culturel pour l'armée de terre. La culture de celle-ci était celle d'une administration de proximité, dans laquelle les chefs de corps avaient d'importantes responsabilités ; on retrouve là l'idée d'unicité du commandement. Cette culture a été confrontée de façon quelque peu orthogonale à la création des bases de défense.
Le Haut comité fait sur ce sujet un double constat. D'une part, les bases de défenses sont à nos yeux incontournables : il fallait mutualiser un certain nombre de moyens, et le modèle de la base de défense représente la meilleure formule pour le faire – c'est d'ailleurs celle qu'avaient déjà retenue les Britanniques.
Mais, d'autre part, nous sommes plus critiques sur la manière dont les bases de défense ont été déployées. En effet, le concept de base de défense était compris comme une entité géographique – à l'image de ce qui existait en France pour les bases navales ou aériennes, et de ce qui existe au Royaume-Uni. Or il y a eu un glissement dans la mise en oeuvre de ce concept, au point que parfois, les bases de défense ressemblent davantage à une circonscription administrative qu'à une communauté structurée. Cette dimension « géographique » du concept de base de défense a parfois été perdue de vue. De même, nous déplorons le caractère un peu hâtif du déploiement de ces bases. L'expérimentation du modèle a été écourtée, et sa généralisation a été mise en oeuvre sans que tous les outils nécessaires soient rôdés – je pense notamment aux outils de gestion des personnels et des soutiens, par exemple des commandes. C'est pourquoi les bases de défense ont connu une période de rodage difficile.
Aujourd'hui, nous sommes entrés dans ce que l'on pourrait appeler une phase d'enracinement de la réforme. On s'y accoutume.
Il n'en demeure pas moins que la création des bases de défense met en évidence une tendance que l'on a souvent dans les réformes : leur faire produire immédiatement des résultats qui, normalement, ne sont obtenus qu'au terme de plusieurs années. C'est ainsi que dès la création des bases de défense, on a supprimé des effectifs et pratiqué dans les budgets de fonctionnement des coupes que la réforme ne devait permettre qu'après davantage de temps.
À cet égard, le bilan de la création des bases de défense appelle à une certaine vigilance dans la mise en oeuvre de nouvelles réformes. Je fais référence ici aux changements en cours dans l'administration des soutiens, qui vont être placés sous la responsabilité du Service du commissariat des armées (SCA). Il y a toujours un risque à superposer les réformes avant que les précédentes ne soient stabilisées.
En somme, le diagnostic d'ensemble du Haut comité est que l'administration des militaires n'est plus aux standards du jour, ni du point de vue des militaires eux-mêmes, ni du point de vue des standards d'efficacité actuels.
J'en viens maintenant à nos recommandations.
La première est d'arrêter de prendre l'administration militaire par petits bouts, par petites parcelles, en traitant séparément les questions de la solde, du soutien de proximité ou d'infrastructures. Il faut changer de méthode. L'administration militaire pourrait s'inspirer plus étroitement des principes mis en oeuvre pour la modernisation de la fonction publique civile. Dans le cadre de la modernisation de l'action publique, on a en effet entamé, avec une certaine vigueur, une démarche orientée vers les usagers, qui écoute leurs besoins et qui mesure le service rendu. Nous disons donc dans le rapport qu'il faut, en tenant compte des particularités du monde militaire, entamer une démarche du même type.
Nous insistons également sur la nécessité d'entamer une véritable démarche qualité. Il faut une mesure plus précise de la satisfaction des usagers que celle fournie par les indicateurs actuellement à l'oeuvre. Cela ne concerne pas seulement la qualité du service rendu par les bases de défense mais l'ensemble de l'administration des militaires. Je crois qu'il y a des moments clés, à commencer par l'accueil des militaires, qui doit être efficace pour chacun d'entre eux : dans certaines bases de défense, ils n'ont pas accès aux GSBdD. Nous suggérons donc de systématiser un accueil efficace. D'autre part, il faudrait que les militaires puissent régler leurs formalités par voie informatique, directement. Mais le problème est qu'ils n'ont pas tous accès au réseau informatique ! Cela doit être facilité pour rendre ce canal efficace. La gendarmerie nationale a par exemple mis en place un espace de discussion sur son réseau intranet, le forum Gendcom, dont devraient s'inspirer les autres armées.
Nous avons également été étonnés de découvrir que les aspects administratifs de la condition militaire n'étaient pas abordés dans les écoles de formation des officiers. Ces sujets ne commencent à être vraiment enseignés que lorsqu'ils accèdent au grade de capitaine.
Le troisième axe de nos recommandations concerne la nécessité de tirer les leçons des réformes passées en termes de conduite et de pilotage de projet. Les changements de pilote ont été trop fréquents par le passé. Il y a, au ministère de la Défense, trop de structures qui s'occupent de la transformation. Il faut simplifier cet organigramme et, surtout, simplifier les procédures. Toute réforme interne doit avoir pour but d'aboutir, comme c'est le cas dans les entreprises privées que nous avons rencontrées, à une simplification. Dernier point, nous insistons sur le fait que, dans la phase actuelle de transformation, il faut préserver le soutien de proximité, celui assuré par les bases de défense.
Je voudrais vous interroger sur le système de paie Louvois et les doutes qui subsistent, parmi les militaires, sur son remplacement à moyen terme. Quel est votre sentiment par rapport à cette inquiétude qui perdure, alors que les dysfonctionnements continuent et portent atteinte au moral de nos troupes ?
Je partage votre avis : la superposition des réformes, RGPP, bases de défense, n'était pas bonne. À ce sujet, que pensez-vous du récent rapport de la Cour des comptes sur la mise en place du Service du commissariat aux armées et les difficultés rencontrées ?
Vous ne mentionnez pas, dans votre rapport, la question de la représentation collective, à travers les différents conseils de la fonction militaire (CFM) ; est-ce à dessein ?
Je suis étonné que la partie relative au suivi de nos blessés ne soit pas mieux prise en compte dans vos travaux. L'instruction administrative d'une demande de pension militaire peut demander 450 à 500 jours, sauf blessure grave contractée en OPEX. Quel est votre ressenti sur ce sujet ? Quelles sont les pistes d'amélioration possibles ?
Louvois a produit des résultats, nous le disons, dévastateurs. La gestion de ce projet est un cas d'école de ce qu'il ne faut pas faire : changements multiples des responsables, durée interminable de la gestation, démarrage après insuffisance de tests préalables, mécanisme de correction des dysfonctions dans l'urgence, créant des problèmes ailleurs ! Outre ce défaut de pilotage, il y avait également un manque d'harmonisation préalable des procédures et des systèmes d'information des ressources humaines (SIRH).
Pour la suite, le diagnostic a été fait : Louvois n'est pas réparable. Il y a donc eu changement complet du mode de gouvernance. Je crois qu'on a fait ce qu'il fallait de ce point de vue. Je ne me prononce pas pour l'avenir. Ce genre de projet est toujours très difficile à conduire. En tout cas, le HCECM a été frappé de voir, pour la première fois, des agents publics éplucher leur fiche de paie pour voir si elle ne comportait pas d'erreurs.
Monsieur Le Bris, il est vrai que le rattachement du soutien au SCA est en réalité au carrefour de deux réformes. Comme vous le savez le SCA est lui-même issu d'une réforme, encore en cours, d'intégration au sein d'un corps unique des différents commissariats qui existaient auparavant au sein de chaque armée. Or la fusion des corps n'est jamais chose facile, et le processus se poursuit actuellement. De fait le Haut comité estime que l'on confie au SCA une responsabilité lourde au moment où il est lui-même en cours de réforme. Je n'ai pas lu le rapport de la Cour des comptes que vous évoquez, le Haut comité établit ses propres constats de manière autonome. Toutefois, lorsque nous avons accès aux rapports de la haute juridiction financière nous les utilisons, bien évidemment. Dans mon souvenir, tel n'a pas été le cas concernant le rapport auquel vous faites allusion.
C'est volontairement que nous n'avons pas abordé le sujet de la représentation collective, qui est un sujet à soi seul et extrêmement complexe par ailleurs. Des réflexions ont été conduites au sein du CSFM. Toutefois cette question n'est pas apparue au centre des problèmes de nature administrative, dont nous avons à connaître. Nous avons, pour notre part, cherché à voir comment l'administration des militaires fonctionne. Cette question pourra être traitée à l'occasion de prochains travaux du haut comité. Mais comme vous le savez, son mandat va prochainement être renouvelé et je laisse à nos successeurs le soin de choisir leurs sujets d'étude.
Monsieur Audibert Troin, vous avez parfaitement raison : le suivi des blessés, des malades, des demandes de pensions fait effectivement partie de la sphère de l'administration telle que nous la concevons. Nous n'avons pas traité ce sujet en profondeur, si ce n'est sous deux angles. Nous avons d'abord insisté sur le haut degré de satisfaction des militaires à l'endroit du Service de santé des armées (SSA). Le Haut comité est un soutien fervent des actions, de la politique conduite et de la proximité du SSA. Nous n'avons entendu que des éloges de ce service dans les unités et chez les personnels en retour d'OPEX. Comme vous le savez, une réforme du SSA est en cours et nous avons souligné, dans nos rapports, que cette réforme devait préserver la qualité d'un service que je n'hésite pas à qualifier d'exceptionnelle.
Le suivi des blessés est effectivement pluriel et se comprend aussi bien en termes de soutien psychologique et médical qu'en termes d'assistance administrative pour tout ce qui concerne notamment les formalités relatives aux demandes de pensions d'invalidité ou de retraite. Nous n'avons pas traité ce sujet de manière approfondie dans le cadre du présent rapport car nous avions analysé la question à l'occasion de travaux précédents. Les hasards de la vie ont fait que nous connaissons bien les associations d'aide aux blessés – notamment l'association présidée par le général Thorette. Tout en reconnaissant leur travail et en appréciant extrêmement leur action, nous avions souligné qu'il n'était pas satisfaisant que des structures bénévoles aient en charge ces sujets à titre principal. Vous avez raison d'insister sur le fait que la procédure d'examen de demande de pension d'invalidité est longue et complexe. Elle inclut des commissions de réformes, suppose des allers-retours entre les experts, etc. Nous avons posé la question à des nombreuses reprises : ces demandes sont-elles traitées de manière suffisamment rapide ? Le délai de 450 jours que vous évoquez est en effet extrêmement long, je le considère tout à fait anormal et j'estime qu'il faudrait accélérer le traitement de ces dossiers.
Je vous rappelle aussi que dans la nébuleuse des soutiens qui s'occupent des blessés, des grands blessés et des personnes décédées, on retrouve les fonds de prévoyance, dont le système a été réformé. Je le connais bien puisque j'ai eu à travailler, au sein du Conseil d'État, sur la question de la bonne utilisation de leurs ressources – qui atteignent, de mémoire, quelque 800 millions d'euros.
Je souhaitais revenir sur le sujet de la reconversion des militaires. Chaque année, environ 30 000 militaires sortent de l'institution après avoir servi notre pays, afin de rejoindre la vie civile. On connaît l'importance de l'accompagnement en la matière, mais celui-ci peut parfois sembler insuffisant. Quelles sont vos recommandations pour que les militaires aient davantage de garanties par rapport à leur reconversion, même si vous soulignez que 60 % sont satisfaits de la manière dont celle-ci s'est effectuée, notamment grâce à l'action de l'agence Défense Mobilité, créée suite à votre rapport de 2009 ? Dans le domaine de la reconversion, on pense spontanément aux opportunités offertes dans la fonction publique, mais vous indiquez que le secteur privé participe de plus en plus à l'accueil des militaires. Quelles évolutions imaginez-vous à l'avenir ? Dans la mesure où les effectifs de la fonction publique décroissent tendanciellement, il faudra probablement informer davantage le monde de l'entreprise des possibilités qui existent en la matière, pour offrir plus de garanties à nos militaires dans leur reconversion.
Je souhaiterais poser deux questions. La première concerne le système Louvois. Celui-ci a été un échec, sans doute aussi parce que depuis des décennies nos armées ont évolué sur des cultures différentes. Dès lors je suis un peu étonné que vous évoquiez les SIRH en laissant entendre qu'il faudrait agir de même, en créant une grosse structure unique. Je ne suis pas certain qu'une telle démarche soit positive. Je salue à cet égard notre collègue Alain Rousset qui a su conserver le territoire de sa région Aquitaine – c'est un compliment, en hommage à son habilité politique. En effet, je ne suis pas persuadé que les grosses structures soient toujours source d'économies. Par ailleurs, et c'est le second point que je souhaite aborder, les chefs d'état-major se sont exprimés publiquement pour alerter les dirigeants civils quant à l'état critique dans lequel nous risquons de nous trouver. Vous êtes le président d'un Haut comité d'une condition qui risque de disparaître à mesure que les budgets alloués à la Défense sont réduits par les différents gouvernements depuis que le mur de Berlin est opportunément tombé. J'ai une interrogation éthique : les chefs d'état-major sont de condition militaire ; ils doivent être recrutés sur leurs compétences techniques. Trouvez-vous normal, monsieur le président, que ce soit le directeur de cabinet adjoint du ministre de la Défense qui auditionne les candidats à ces postes dans la perspective de leur vacance prochaine ? Trouvez-vous par ailleurs normal que les questions posées dans ce cadre soient des questions d'ordre non-professionnel ?
Je m'interroge et m'étonne sur l'annexe 8 du rapport, qui constitue censément l'indicateur de mesure du moral des militaires. Je ne suis pas certain que la méthode pseudo-scientifique utilisée soit de nature à conforter ce moral… Plutôt que de faire remplir des fiches à nos militaires, un simple entretien annuel sans prétention scientifique ne suffirait-il pas pour appréhender le moral des troupes à partir d'une synthèse des réponses ? À mon sens il faudrait faire disparaître cet indicateur. Compte tenu du nombre de paramètres et de coefficients de pondération utilisés dans la formule de calcul, on peut en réalité aboutir au résultat que l'on veut !
Je ne crois pas avoir vu de développements sur la formation dans votre rapport. Or l'armée est à ma connaissance le seul corps administratif qui sait organiser la formation permanente de ses membres, ce qui est tout à son honneur. La manière dont la mobilité s'effectue est certes parfois rude, mais beaucoup de choses intéressantes sont à mettre en avant et pourraient servir d'exemple dans d'autres administrations, d'État ou locales. En tant que président de collectivité territoriale, j'ai eu l'occasion de recruter beaucoup de militaires. Il s'agit de personnes extrêmement loyales, par ailleurs dotées de capacités de management très intéressantes. Il faut le faire savoir à l'ensemble des administrations. Étant assez sensible aux problématiques de formation, j'estime que les armées sont un bon exemple dans ce domaine.
Sur la reconversion, un constat tout d'abord : Défense Mobilité est une réussite. En outre nous avons relevé, dans notre rapport sur le suivi de la condition militaire, un progrès assez substantiel des départs vers la fonction publique, et ce en dépit des difficultés qui ont été soulignées. Un bémol tout de même : l'accroissement du taux de reconversion vers la fonction publique civile trouve principalement son origine dans les actions de civilianisation menées par le ministère de la Défense.
En ce qui concerne les actions de reconversion, nous continuons de faire face au lancinant problème des militaires du rang qui, malheureusement, partent trop prématurément, et qui dès lors ne peuvent bénéficier de tout l'éventail d'actions en la matière puisque celui-ci n'est pleinement déployé qu'au profit de ceux restés en poste au moins quatre ans. Ceci est très préjudiciable pour les militaires du rang. En quatre ans, l'institution a uniquement le temps de délivrer une formation militaire. Des formations plus facilement valorisables dans le civil ne peuvent être envisagées qu'après cette première phase initiale de formation au métier militaire. Si les militaires du rang restaient plus longtemps dans les armées, objectif que tout le monde poursuit – sept ans par exemple –, on aurait le temps de combiner les formations avec un cursus honorum, une progression, etc. À cet égard, je souscris totalement aux propos du président Rousset : il y a dans les armées une mécanique de formation interne qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Mais elle s'applique assez souvent dans des domaines de spécialité, pas toujours transposables dans le secteur civil, avec une difficulté particulière bien connue de la présidente Adam, celle de la validation des acquis de l'expérience qui s'opère malheureusement sur un mode extrêmement restrictif.
Quels sont les débouchés pour les militaires ? En effet, monsieur Pueyo, il est possible de se tourner davantage vers les entreprises. J'ai en outre constaté une chose assez paradoxale, abordée par le président Rousset : l'effort de reconversion vers les collectivités territoriales n'est pas assez important. Je pense que Défense Mobilité devrait s'adresser davantage à l'Association des départements de France…
… ou encore à l'Association des régions de France. Il existe clairement une demande en la matière. Sans chercher à en tirer exemple tant la situation de leur armée est différente, je remarque qu'aux Pays-Bas les militaires du rang – qui restent plus longtemps que les nôtres dans les cadres – bénéficient parallèlement d'une formation militaire et d'une préparation à des métiers civils, notamment sous forme d'alternance. Mais il faut pour cela que la durée de présence dans les corps soit plus longue, au-delà de quatre ou cinq ans.
Dans la fonction publique civile les entretiens d'appréciation approfondis se développent et remplacent la notation traditionnelle. Je pense comme M. Chambefort qu'il s'agit d'une bonne chose qui a également cours dans l'armée. Ainsi chaque unité rédige un rapport sur le moral dont je sais qu'il est exploité. Cette procédure peut être améliorée par la généralisation des correspondants ressources humaines car il est souhaitable qu'un militaire en quête de conseil puisse, par exemple, sur une question aussi aiguë que sa carrière dans le contexte actuel, se tourner vers un interlocuteur identifié qui pourrait lui envoyer les bons signaux.
Quand j'évoque l'harmonisation des SIRH je ne sous-entends pas que les systèmes doivent tous être semblables mais bien plutôt qu'ils doivent relever d'un même concept nonobstant d'inévitables variantes. C'est loin d'être le cas aujourd'hui, à telle enseigne que des rubriques traitant de réalités identiques portent des intitulés différents selon les armées. L'idée que nous défendons est celle d'une harmonisation minimale des concepts et non de l'imposition d'un modèle unique, qui donnerait d'ailleurs lieu à d'interminables discussions sans grande chance d'aboutir.
En tant que président du Haut comité d'évaluation de la condition militaire, je ne peux répondre à la seconde question de M. Dhuicq qui est hors du champ de la mission du comité, qui s'attache à l'examen de la condition militaire d'un point de vue pratique. Je ne pense d'ailleurs pas que vous attendiez véritablement une réponse de ma part.
Je tiens à alerter car j'estime qu'il s'agit d'une dérive dangereuse que nous avons connue autrefois quant aux critères de sélection des officiers.
Nul ne peut nier que la réduction des moyens de la Défense, qui a débuté bien avant la période actuelle, influence l'appréciation que portent les militaires sur leur condition. Nous nous sommes rendus avec mon collègue Gwendal Rouillard dans huit pays africains dans lesquels nos forces sont déployées ; nous avons pu parler longuement avec les militaires et constater l'émergence d'un doute très profond à tous les échelons, un doute que partagent certainement les troupes de métropole qui vivent au quotidien la paupérisation de leur cadre de vie et de certains domaines professionnels. Les moyens accordés à l'instruction sont eux aussi limités et un tireur de missiles antichar peut en être réduit à ne tirer qu'un missile au cours de sa carrière. Les militaires se demandent jusqu'où ira la réduction des moyens et, je me félicite de l'intervention de mon collègue Rousset, ils font des efforts remarquables pour rester à l'écoute. Pour avoir moi-même pratiqué les rapports sur le moral pendant dix-sept ans, je peux témoigner que les remontées du terrain se font même si elles se diluent inévitablement au cours de leur transmission. Nous avons senti en Afrique parmi les hommes, dont la qualité est unanimement reconnue, une union, je dirais même une communion, quel que soit leur grade et je suis convaincu que les difficultés se situent ailleurs, dans la réduction des moyens et le manque de visibilité pour l'ensemble de la communauté militaire.
Je partage nombre de vos réflexions. Nous soulignons dans le rapport que peu de corps de l'État ont fourni et devront fournir autant d'efforts au sein de la collectivité nationale. C'est le sentiment des militaires. Nous avons constaté également, qu'au-delà de l'administration qui est l'objet de notre rapport, les capacités d'entraînement étaient atteintes y compris dans des régiments de premier rang.
La période est difficile mais, en dépit des réformes successives, le coeur de la condition militaire a été préservé jusqu'à aujourd'hui et il faut qu'il en soit ainsi dans le futur. Je veux parler du régime de retraite dont seules les limites d'âge ont été touchées à la marge. Ont notamment été conservés les bonifications, la retraite avec jouissance immédiate et le quart de place, critiqué mais très important. Il s'agit de continuer à préserver ces éléments de la condition militaire car les militaires sont prêts à beaucoup d'efforts mais ils ont besoin de savoir où ils vont. Les décideurs ont peut-être, un peu trop à mon sens, compté sur la capacité des militaires à atteindre les buts fixés coûte que coûte, en dépit des difficultés. Il s'agit là d'un compliment implicite mais les réformes complexes ne peuvent reposer sur ce seul axiome. L'abnégation et la volonté ne sont pas tout.
C'est pour moi un plaisir renouvelé, d'autant que notre texte constitutif prévoit que nous rendons compte de nos travaux à la Représentation nationale.
La séance est levée à onze heures.