Madame la secrétaire d'État, au cours des auditions de la mission, nous avons pu prendre la mesure de la diversité des actions menées en faveur de la recherche et de sa valorisation grâce aux financements du PIA, de l'ampleur et de l'intérêt de ces financements, de l'avancement des projets, ainsi que des procédures mises en place pour en assurer une gestion conforme aux décisions prises par les jurys.
Cependant, il nous est apparu aussi une problématique nouvelle, spécifique aux programmes d'investissement d'avenir et à leur articulation avec le financement de la recherche opéré par votre ministère et la stratégie qu'il conduit. C'est de cette problématique dont nous voudrions nous entretenir avec vous aujourd'hui.
Nous nous intéressons en particulier à la réussite des initiatives d'excellence (IDEX) et à leur articulation future avec les communautés d'universités et établissements (COMUE) qui se mettent en place à la suite de la loi du 22 juillet 2013.
Nous nous interrogeons aussi sur la poursuite des actions menées et la pérennité des structures créées par le PIA après la fin de celui-ci. Comment seront-elles financées ?
En outre, il semble que les équipements d'excellence (EQUIPEX), créés par le PIA, ne soient pas financés en totalité par celui-ci. Comment votre ministère organise-t-il la gestion de cette situation ?
De plus, les financements du PIA n'ont-ils pas déséquilibré l'expression de la stratégie de la recherche ? Si oui, comment est-il envisagé d'y remédier pour l'avenir ?
Enfin, madame la ministre, je vous prie d'excuser l'absence du deuxième rapporteur, notre collègue Patrick Hetzel, retenu en séance publique par l'examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Peut-être est-il utile d'abord de situer le PIA par rapport aux budgets récurrents de la recherche. Le PIA représente un financement d'un milliard d'euros par an pour la recherche – en incluant les IDEX – alors que les budgets de l'enseignement supérieur et de la recherche et de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES) s'élèvent respectivement à 23 milliards d'euros et 26 milliards d'euros, salaires compris.
La présentation du PIA vous a probablement déjà été faite par nombre des personnes que vous avez auditionnées, notamment par le directeur général pour la recherche et de l'innovation. Pour ma part, je vais plutôt m'intéresser à la valeur ajoutée apportée par le PIA, qui a été confortée par le rapport de Louis Gallois sur la compétitivité française. Nous constatons en effet que la compétitivité dépend des coûts de production mais plus encore de la diffusion de l'innovation issue de la recherche et de l'élévation du niveau de qualification des salariés. Pour y parvenir, nous devions disposer d'un outil réactif qui puisse établir des priorités, qui soit donc à la main du Premier ministre sans avoir la lourdeur des dispositifs interministériels. Le PIA peut être cet outil de relance car il présente ces qualités : il repose sur un esprit de projet et sur la capacité à utiliser les opérateurs en place, que ce soit l'Agence nationale de la recherche (ANR), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ou d'autres opérateurs, le travail de fond étant assuré par les ministères.
Comment est assurée la cohérence entre les choix stratégiques du commissaire général à l'investissement et les vôtres ?
Il faudrait avoir une vision totalement datée pour imaginer un système figé où le lancement de projets serait séparé des recherches fondamentales récurrentes sans lesquelles il ne peut y avoir de renouvellement de la recherche technologique. En réalité, les recherches fondamentale et technologique se nourrissent l'une de l'autre. La première doit être ouverte aux besoins socio-économiques et aux enjeux sociétaux car on ignore les applications concrètes qui pourront naîtront de ses découvertes. Ces applications peuvent être totalement inattendues et très utiles à l'économie, à la santé, à l'environnement, à la lutte contre le changement climatique, etc. Une vision dogmatique serait pénalisante pour les deux types de recherche : le Commissariat général à l'investissement (CGI) ne ferait que répondre aux opportunités en risquant d'être déconnecté de la recherche et de la vie des laboratoires alors que les services des différents ministères concernés – en particulier celui de l'enseignement supérieur de la recherche – et les laboratoires se trouveraient dans une sorte de continuum qui ne serait pas remis en cause.
Lors de mon arrivée, en 2012, j'ai trouvé qu'il n'y avait pas suffisamment d'interactions entre le CGI et les services des ministères. Cette situation pouvait même susciter des difficultés entre les services des différents ministères, les acteurs de l'enseignement supérieur de la recherche et le CGI. Une fois admis qu'un outil comme le CGI était très utile pour la relance par l'innovation et l'élévation des qualifications, en particulier celle des jeunes, il convenait de l'intégrer dans la stratégie nationale de la recherche, dans celle de l'enseignement supérieur et dans la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche.
Il y a donc une cohérence entre les choix stratégiques du commissaire général à l'investissement et les vôtres.
On trouvera sûrement des failles à cette cohérence et il existe des marges de progression, notamment sur des points techniques comme le préciput qui est versé par l'ANR aux établissements hébergeant les équipes portant les projets. Cependant, le PIA et l'enseignement supérieur et la recherche doivent s'inscrire dans une même stratégie. C'est nécessaire pour que les actions du PIA soient efficaces et qu'elles servent à faire évoluer le système de l'enseignement supérieur et de la recherche. C'est nécessaire pour que ce dernier soit stimulé, qu'il apporte toute sa compétence et qu'il renouvelle l'innovation. Par exemple, sans financement par les crédits récurrents, il n'y aura pas de renouvellement de la recherche technologique, clinique ou translationnelle dans le domaine de la santé.
Depuis deux ans, nous avons tout fait pour parvenir à un fonctionnement intégré au lieu de fonctionnements parallèles. Ce n'est pas un chemin semé de roses, mais rien n'est facile dans le contexte de compétition internationale que nous connaissons. Nous devions répondre très vite à un besoin de cohérence mais aussi de simplification. Ainsi, il fallait notamment remédier au problème de la multiplication des contrôles. Un même laboratoire peut fait l'objet de cinq contrôles différents dans l'année : par le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) qui a pris le relais de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), par le CGI, par la Cour des comptes, etc. Nous devons faire un effort dans ce domaine pour atteindre notre objectif, c'est-à-dire avoir une recherche qui fonctionne mieux et qui contribue davantage à la création d'emplois.
Qu'adviendra-t-il des structures créées grâce au PIA, une fois que ce financement aura cessé ? Comment le ministère prendra-t-il le relais ? C'est une source de questions sinon d'inquiétudes pour nombre de chercheurs.
Pour en terminer sur le sujet de cette fausse opposition entre appels à projet et crédits récurrents, j'aimerais donner un chiffre : les appels à projet représentent 10 % des crédits totaux. Dans notre pays, la part des crédits récurrents reste très importante et c'est peut-être ce qui nous a permis de recevoir entre autres récompenses des prix Nobel ou des médailles Fields depuis deux ans et demi. Nous n'avons pas basculé dans un système où il n'y aurait plus que des appels à projet.
Exactement, et nous avons calibré le budget de l'ANR en fonction de ce qu'elle était en mesure de réaliser. À notre arrivée, beaucoup de projets étaient bloqués. Nous avons rétabli des crédits récurrents, nous avons « nettoyé » le budget de l'ANR et nous l'avons mis en cohérence avec ce qu'elle pouvait réaliser.
Le deuxième programme d'investissements d'avenir (PIA2) nous permet d'améliorer la cohérence : les Initiatives science, innovation, territoires, économie (I-SITE) vont faire contrepoids aux IDEX qui ont fait émerger huit sites d'excellence parfois en compétition les uns avec les autres. Or la véritable compétition est internationale, elle oppose nos laboratoires à ceux de Séoul, de Shanghai ou de Bangalore, et non pas l'université de Grenoble à celle de Bordeaux, ou Paris VIII à Paris X – ces deux dernières faisant du reste partie de la même COMUE. Nos équipes doivent donc à la fois gagner en excellence et coopérer au maximum et.
Nous avons demandé au CGI de s'adjoindre les compétences d'un président d'université pour décider sur les IDEX et les I-SITE. Nous en sommes à un stade de négociations avancées et cette audition va peut-être permettre de concrétiser cette demande.
L'ajout des I-SITE aux IDEX représente un progrès : au lieu d'avoir huit champions en compétition, nous aurons des écosystèmes pluralistes et différents. Si l'émulation n'est pas absente, ces écosystèmes doivent surtout coopérer au service des intérêts généraux du pays : création d'emplois qualifiés, amélioration de la compétitivité par la qualité, réalisation de progrès dans le domaine de la santé, de l'environnement, etc.
Quelle doit être articulation entre les IDEX et les COMUE ? Il s'agit de trouver un équilibre entre les préconisations du ministère, établies en concertation avec le CGI, et les initiatives venues des territoires. Dans tous les pays où il existe une vraie dynamique en matière d'enseignement supérieur et de recherche, il y a aussi des initiatives venant du terrain, sur la base d'une approche ascendante dite bottom-up.
Nous avons voulu que les contours et les territoires des COMUE soient définis de façon beaucoup plus libre que ceux des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) imaginés par la précédente majorité. Ces derniers ont été supprimés, ainsi que les réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA), et nous les avons remplacés par des regroupements qui ne sont pas forcément tous des COMUE. Il peut s'agir aussi d'associations, de partenariats ou de fusions, selon le niveau d'intégration. Nous avons même autorisé la combinaison des modes de regroupement. Les territoires ont proposé eux-mêmes une définition des regroupements – qu'ils ont librement choisis – et des territoires de ceux-ci, qui ne recoupent pas forcément ceux des régions : Bretagne-Pays de la Loire est une COMUE.
Nous n'imposerons pas de regroupements ni de fusions : les expériences menées sous le précédent quinquennat ont montré que cela ne fonctionne pas. Les universités et les organismes de recherche doivent avoir un degré d'autonomie et d'initiative, sans quoi ces écosystèmes sont voués à l'échec. Néanmoins, pour simplifier le paysage, nous parions sur le fait que les IDEX s'intégreront aux COMUE.
La loi a prévu une trentaine de regroupements ; vingt-cinq ont été créés sur la base d'initiatives de terrain, avec un degré d'adhésion croissant lors des votes en conseil d'administration et au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER). L'acculturation se fait petit à petit. Dans vingt COMUE, il peut y avoir des fusions et des associations. Dans cinq associations, il y a trois fusions existantes et deux COMUE en préfiguration. Le système a bien profité de la liberté retrouvée. Je fais le pari que les IDEX seront naturellement absorbées dans les COMUE et serviront à accroître le niveau de qualification global : comme c'est déjà le cas à Toulouse, elles seront des locomotives et non pas des poches d'excellence isolée.
Ce sentiment est-il partagé par l'ensemble des acteurs territoriaux et par le responsable du PIA ?
Ce sentiment est effectivement partagé par les acteurs territoriaux. Je pense que le fait d'avoir un représentant des universités et des COMUE au CGI aidera à accentuer cette acculturation.
Revenons sur le PIA et la manière de pérenniser les actions menées et les structures créées. Quel rôle le ministère jouera-t-il ? C'est un sujet de préoccupation pour les acteurs concernés et pour les législateurs que nous sommes.
J'ai exprimé cette préoccupation au commissaire général à l'investissement que je rencontre régulièrement et avec lequel j'ai des échanges directs et constructifs.
Notre pays compte plus de chercheurs que ses grands voisins : 8,8 chercheurs pour 1 000 actifs en France contre 8,3‰ au Royaume-Uni et 7,9‰ pour l'Allemagne. La réponse ne sera pas dans la création de postes de chercheurs, même si nous en avions les moyens. Certes, il faut favoriser l'insertion professionnelle des doctorants à une période où il y a moins de départs en retraite ; il faut faire en sorte que le secteur privé en embauche davantage : cinq ans après leur doctorat, 50 % d'entre eux sont dans la recherche publique et seulement 25 % dans la recherche privée.
Je ne le dis pas pour faire plaisir aux représentants de la Cour des comptes ici présents mais il ne faut pas compter sur une augmentation du nombre de postes dans la recherche publique. Nous essayons de remédier à la dualité de notre système – due à l'existence des grandes écoles – pour faire en sorte que l'université soit le standard comme c'est le cas au niveau international. Nous nous soucions de l'avenir des laboratoires d'excellence (LABEX) et des EQUIPEX.
Cette question de la pérennité des actions et des structures aurait dû être posée lors de la création des investissements d'avenir. À présent, c'est à vous de trouver la solution.
Nous pouvons regretter d'avoir été placés devant le fait accompli. Quoi qu'il en soit, nous n'allons pas augmenter le nombre de chercheurs et d'équipes ; nous sommes parvenus à une stabilisation du budget, ce qui est assez formidable en cette période de réduction des dépenses publiques. Il va donc falloir apprendre à établir des priorités. Si le LABEX obtenu par un écosystème donné est considéré comme une priorité, peut-on continuer pour autant à garder toutes les recherches conduites auparavant ? Ce LABEX vient-il seulement s'ajouter à l'existant ou donne-t-il l'occasion de faire évoluer l'ensemble ?
Nous ne pouvons pas continuer à superposer des strates. Si un projet est structurant et prioritaire, l'organisme de recherche doit en tirer les conséquences dans sa stratégie : il faut responsabiliser les acteurs des écosystèmes et des regroupements pour qu'ils intègrent ces projets structurants dans leur stratégie de recherche et d'enseignement supérieur. C'est facile à dire, plus difficile à mettre en oeuvre sur le terrain. Comment les IDEX, LABEX et EQUIPEX vont-ils permettre de créer des stratégies de recherche, pour éviter un empilement de strates inefficace ? Il faut faire le pari de la réflexion et de l'intelligence collective sur les territoires.
C'est le cas du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui a signé une convention avec une douzaine de sites : les huit IDEX et d'autres sites qui vont probablement obtenir le label IDEX dans le cadre du PIA2. C'est un moyen pour lui de se doter d'une stratégie structurante dans les écosystèmes sur le territoire. Avec 35 000 salariés dont 25 000 fonctionnaires, le CNRS est le plus gros organisme de recherche en France. En six ans, le nombre de fonctionnaire dans les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) a baissé de 0,94 % – on peut dire que l'effectif est constant – et le nombre de contractuels a augmenté.
Pour notre part, nous considérons à la Cour qu'il y a une baisse du nombre de recrutements de chercheurs.
Certes, puisque le nombre des départs en retraite a diminué de moitié : c'est une problématique de flux. Il reste que le nombre de fonctionnaires dans les EPST est stable, avec une baisse de seulement 0,94 % en six ans. Pour établir ces données, nous sommes retournés à la source, dans les directions des ressources humaines des organismes, après avoir constaté que nos indicateurs issus de déclarations n'étaient pas bons.
Peut-on dire que les actions et structures découlant des PIA ne seront pas remises en cause, mais qu'il faudra procéder à une restructuration autour de l'existant ?
Il doit y avoir une réflexion globale sur les priorités car le nombre de chercheurs ne peut pas éternellement augmenter. Or, j'y insiste parce que nous avons passé huit mois à vérifier in situ les données des services de ressources humaines de tous les organismes, le nombre de chercheurs dans les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) et les EPST a globalement augmenté.
En résumé, nous devons avoir une stratégie nationale de la recherche, partagée dans les écosystèmes. Nous avons créé les I-SITE parce que nous pensons qu'il existe des niches d'excellence dans des universités sur des domaines spécifiques. Dans une académie, un regroupement peut permettre l'émergence d'un laboratoire leader dans le domaine des matériaux, par exemple. D'ailleurs, l'Europe encourage le développement de sites spécialisés. Nous parviendrons à ce schéma idéal – harmonisation au niveau national des stratégies définies dans les écosystèmes – par le dialogue et la concertation. Dès à présent, nous devons anticiper la fin des financements – ce qui n'a pas été fait auparavant – et développer le recours à des fonds privés via des fondations.
Vos propos tendent à indiquer que, depuis deux ans et demi, l'action du ministère a permis de mieux coordonner et renforcer la recherche. Vous estimez aussi qu'un débat sur l'impact territorial et l'excellence doit être mené avec le CGI. À ce propos, disposez-vous d'une étude d'impact territoriale ?
L'ANR en a établi une. Nous vous la communiquerons.
Considérez-vous que la structuration du paysage de la recherche se fait par le PIA et que l'on doit en tirer des enseignements ?
Pas exactement. Le PIA n'a pas vocation à restructurer le paysage de la recherche : il accompagne, dans ses domaines d'intervention, des politiques publiques nationales et territoriales.
Il faut néanmoins tirer les enseignements d'actions et de structures issues du PIA, afin de voir, comme vous l'avez suggéré vous-même, comment le paysage peut évoluer.
Le PIA est un outil intéressant qui, comme les autres ayant un terme, doit être intégré.
Quels sont, selon vous, les outils du PIA qui présentent le moins d'intérêt ou génèrent le plus de complexité ?
Les IDEX, qui bénéficient de crédits pérennes, seront des éléments structurants ; mais les LABEX et les EQUIPEX, qui sont des initiatives ponctuelles, doivent impérativement être pris en compte dans les stratégies locales et nationales. Mais, je le répète, le PIA n'est qu'un levier : il n'est en aucun cas le coeur de la politique publique de recherche.
Il serait hasardeux de classer les outils selon leur intérêt. Les discussions que nous avons eues avec les deux commissaires successifs ont porté sur la nécessaire flexibilité des dispositifs, compte tenu du caractère pluraliste des écosystèmes de recherche : j'avais défendu cette idée lors du quinquennat précédent ; il n'y a aucune raison pour que je change d'avis dans les fonctions que j'occupe aujourd'hui.
Les sociétés d'accélération du transfert de technologies, les SATT, sont plus difficiles à mettre en place dans les territoires déjà pourvus en dispositifs de valorisation et de transfert que dans les autres : l'adaptation du système d'appel d'offre du CGI, assez rigide, ne se fait pas toujours sans mal. Or en ce domaine plus encore qu'en tout autre, les dynamiques doivent émaner des territoires. Les échanges sont parfois musclés, comme avec l'IDEX de Toulouse, mais, jusqu'à présent, ils ont toujours abouti à un accord.
Lors des précédentes auditions, on a souvent évoqué le caractère incomplet du financement des PIA : nous aimerions vous entendre sur ce point.
Le financement des projets de recherche inclut le coût des équipements et des personnels, mais il faut aussi tenir compte de ce qu'on appelle les coûts indirects, liés à leur environnement : le taux de couverture de ces frais a été fixé à 25 % au niveau européen, ce qui satisfait globalement les porteurs de projet. Nous allons porter ce taux, pour les projets sélectionnés par l'ANR, de 15 %, à 19 %. D'après les chercheurs et la DGRI, les coûts indirects se montent à environ 28 % du coût des projets. Le taux des projets gérés par le Commissariat général à l'investissement n'était que de 4 % ; il a été porté à 8 % après d'âpres discussions, et nous nous efforcerons de le rapprocher du taux de l'ANR. Le CGI veut se concentrer sur l'investissement direct, à l'exclusion des coûts de fonctionnement ; mais l'investissement lui-même suppose des crédits récurrents.
Il faut aussi nous pencher sur la simplification : la multiplication des contrôles, par exemple, tâche qui n'est pas le coeur de métier des chercheurs, leur prend beaucoup de temps et d'énergie.
Elle sera évoquée demain en conseil d'administration de l'ANR ; il faut qu'il l'avalise rapidement, ce que je l'invite à faire. Le nouveau directeur de l'ANR y est d'ailleurs favorable.
La simplification, disais-je, est nécessaire. Les quelques tentatives menées en ce sens auprès de l'ANR ont été plus ou moins bien comprises ; il faut reconnaître que nous avançons plutôt en marchant. Nous pensions qu'en étant présentés sous forme d'enjeux sociétaux, les appels à projet seraient plus visibles pour la société, plus valorisants pour les chercheurs et mieux adaptés aux programmes-cadres européens, notamment « Horizon 2020 », qui inclut des enjeux tels que la dérégulation climatique, la lutte contre les pandémies, la cybersécurité ou la protection des données. Cependant, cette présentation a été perçue comme une dérive utilitariste par un certain nombre de chercheurs, qui craignaient de voir l'ANR se désengager de la recherche purement disciplinaire ou sans application prédictible. Cette crainte était infondée : les éléments déclaratifs des porteurs de projet eux-mêmes font apparaître qu'en 2014, 78 % des financements sont allés vers la recherche de base ou fondamentale – ce qui est d'ailleurs trop : l'équilibre imposerait une répartition paritaire. Pour 2015, nous réfléchissons à une présentation comprise et acceptable par tous.
À des fins de simplification, nous nous efforçons d'harmoniser les procédures. Nous l'avons déjà fait pour les appels à projet européens. Le taux de succès de la France, avec plus de 25 %, y est le meilleur ; en revanche, nous ne déposons pas suffisamment de projets, et notre pays obtient moins de financements que sa contribution.
Pour l'instant non, mais nous le souhaitons. La France a perdu, dans le septième programme commun de recherche (PCR) d'été, plus de 400 millions d'euros par an, ce qui représenterait une différence de 700 millions dans le cadre du programme « Horizon 2020 » si l'on compare notre contribution à ce que nous obtenons au titre des projets.
L'apport en financement des investissements d'avenir représente 1 milliard d'euros par an…
Oui, et le budget de l'ANR est de 580 millions par an.
Alors que des pays comme la Suisse et le Royaume-Uni obtiennent bien plus que leur contribution, la France, deuxième contributeur du programme-cadre de recherche et développement technologique européen avec plus de 16 % des financements, ne se voit attribuer que moins de 12 % des budgets.
Notre pays est en revanche bien placé dans le programme European research council (ERC), autrement dit dans la recherche fondamentale. C'est aussi pourquoi, d'ailleurs, nous veillons à ce que le financement du plan Juncker n'empiète pas sur le budget de l'ERC : pour le dire vite, on ne saurait utiliser des crédits dédiés à la recherche fondamentale pour financer des routes… Mes homologues de l'Union et moi préparons un courrier commun pour faire passer ce message.
La France a progressé au sein de l'ERC non parce que celui-ci est présidé par un Français, mais plutôt grâce à la campagne d'information que nous avons menée à son sujet. Hier, nous avons organisé une manifestation avec remise de récompense aux meilleurs projets, afin d'inciter nos laboratoires à se tourner vers les programmes européens. Comme je l'ai dit, nous essayons d'harmoniser les procédures de l'ANR avec les procédures européennes, de façon que nos chercheurs n'aient pas à refaire des dossiers sous des configurations différentes. Nous incitons aussi les laboratoires à embaucher des personnels issus de « Sciences po » ou du Collège d'Europe, notamment au sein des COMUE où sera mutualisée l'ingénierie des dossiers, car cette ingénierie n'est pas le coeur de métier d'un chercheur. Les universités et les laboratoires qui l'ont déjà fait sont très bien classés dans les programmes européens.
Quid du traitement des dotations non consommables ?
Quelle appréciation portez-vous sur les outils de valorisation de la recherche, tels que les SATT ? Des évolutions sont-elles envisageables ?
Le travail engagé avec le CGI et la DGRI sur les dotations non consomptibles n'a pas encore abouti ; nous sommes en train de réfléchir aux critères et aux indicateurs.
Cette question renvoie au débat sur l'avenir des LABEX et surtout des EQUIPEX, dont une partie des dotations ne sont pas consomptibles. Une réflexion sera nécessaire sur les stratégies de site s'agissant des IDEX et des EQUIPEX. Les dotations non consomptibles des IDEX leur seront acquises à l'issue des évaluations de 2016 ; rien n'est prévu à ce stade pour les EQUIPEX, mais la réflexion stratégique avec le CGI nous permettra de nous pencher sur le sujet à partir de cas concrets.
Il faut aussi se demander qui définit la stratégie et quels sont les enjeux prioritaires, même si une partie de la recherche sera toujours libre, bien entendu. La COP21 peut être une occasion de s'interroger sur la façon d'inscrire les enjeux climatiques dans notre stratégie de recherche. Le PIA est un levier, mais la vraie structuration passe par les alliances thématiques.
Le PIA, si je vous entends bien, doit tenir compte des alliances et regroupements au niveau territorial.
Oui. Si les COMUE s'approprient l'outil dans leur gouvernance, cela s'imposera de soi-même. J'ai donc confiance dans les instruments que nous avons créés et dans les structurations de la recherche.
Pour répondre à votre question sur la valorisation, les SATT sont des sociétés par actions simplifiées (SAS), ce qui n'était pas dans la culture française ; de plus, ces sociétés ont des objectifs d'équilibre économique à dix ans qui ne sont pas faciles à atteindre – des exemples aux États-Unis ou ailleurs le montrent. Ces structures se sont avérées très utiles dans les territoires qui étaient dépourvus de dispositifs de valorisation ; dans les autres, où se trouvaient déjà des incubateurs ou des organismes tels que le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – lesquels disposaient déjà d'outils de valorisation –, l'évolution a été plus difficile. Ce n'est pas un hasard, dans ces conditions, que les SATT de Saclay et de Grenoble aient été les deux dernières à voir le jour.
La pression sur la rentabilité peut être positive si elle pousse les SATT à tenir compte du marché afin de faciliter les ventes – j'avais assisté à une présentation au cours de laquelle les mots « usage » ou « marché » n'apparaissaient jamais, par exemple. Mais il ne faudrait pas que cette pression conduise simplement à accumuler des brevets non exploités : ce qui compte, c'est par exemple le nombre de start-ups créées grâce aux brevets. La loi du 22 juillet 2013 contient des mesures, notamment sur le mandataire unique, destinées à fluidifier le transfert ; le Conseil d'État ayant enfin rendu son avis, le décret sera publié, après un an et demi, jeudi.
L'innovation de rupture génère six à sept fois plus d'investissements que l'innovation incrémentale. Celle-ci, à laquelle sont dévolus des instituts tels que la Fraunhofer en Allemagne ou le CEA Tech en France, n'a pas besoin de structures comme les SATT, contrairement à l'innovation de rupture, qui implique des risques financiers : on le voit avec les structures du Technion ou de la Silicon Valley. Or je crains que la pression sur la rentabilité ne décourage les SATT de prendre des risques, alors même que c'est l'innovation de rupture qui donne de la valeur ajoutée à un produit ou à un service et que c'est ainsi que l'on créera les futurs grands groupes. Toutes les entreprises françaises présentes au sein du CAC40 y sont, à l'exception de Gemalto, depuis quinze ans ou plus : c'est une différence notable avec les sociétés américaines. Bref, le renouvellement et le dynamisme passent par la prise de risques. Aussi devons-nous nous montrer, pour les investissements d'avenir comme pour les procédures ministérielles, moins « tatillons » sur les évaluations, mais très rigoureux sur les bilans après deux ou trois ans de fonctionnement : jouons la confiance et l'initiative. Il est significatif que le « capital-risque », en français, s'appelle « venture capital » ailleurs. Si l'on veut gagner, il faut miser.
Quels enseignements tirez-vous du PIA 1, notamment pour la gestion ou la sélection des projets du PIA 2 ?
Le dialogue entre le CGI et les ministères, et d'abord le secrétariat d'État que je dirige, s'est nettement amélioré. Lors de la mise en oeuvre des investissements d'avenir, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche aurait aimé avoir la main, mais l'on a considéré qu'il s'agissait d'un outil interministériel qui, en tant que tel, devait être placé sous l'autorité du Premier ministre ; si bien que le CGI et le secrétariat d'État à la recherche ne communiquaient guère. La coopération n'est pas encore optimale, mais elle s'est sensiblement améliorée.
La mise en place des I-SITE découle de certains enseignements : on a du mal à expliquer l'absence d'IDEX sur des territoires entiers ; cela ne tient pas, que je sache, à l'absence de talents.
N'ayant pas pris part à ces décisions, je ne suis pas en mesure de vous répondre. Il y avait en tout cas une marche forcée vers les procédures uniques, et un monolithisme intellectuel incompatible avec la dynamique plurielle des écosystèmes. Le cahier des charges du PIA 2 a donc été conçu différemment ; le secrétariat d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche a été davantage associé à sa rédaction, et la mise en oeuvre des I-SITE permet une meilleure irrigation territoriale – il ne s'agit pas, au demeurant, de faire du saupoudrage.
Si je comprends bien, vous demandez au CGI non pas de mener des politiques d'aménagement du territoire, mais de tenir compte des stratégies de regroupement conduites dans le paysage de la recherche.
De fait, on ne peut nier l'existence de nos pôles d'excellence, surtout lorsqu'ils sont issus d'une association volontaire entre des entités qui se faisaient pour ainsi dire concurrence. Nous dialoguons avec le CGI et allons rencontrer le jury, par ailleurs souverain, pour expliquer l'état d'esprit dans lequel nous voulons travailler.
Oui : pas sur les projets pris individuellement, mais sur l'état d'esprit qui doit selon nous prévaloir – je ne me permettrais évidemment pas de donner des instructions au jury. La synergie va donc croissant.
Il y a, partout sur le territoire, des niches d'excellence ayant un spectre moins large que certains grands pôles de recherche, mais que l'on peut encourager. Il y va de la reconnaissance des territoires et des efforts qu'ils ont consentis pour mutualiser leurs pôles de recherche, dans des stratégies d'excellence. Les I-SITE concerneront d'abord la recherche thématique et les IDEX l'excellence, pour peu que celle-ci n'implique pas une compétition entre les sites qui n'aurait aucun sens : la compétition se joue bien au-delà des frontières françaises et même européennes, de l'autre côté de l'Atlantique ou en Asie.