La séance est ouverte à 8 heures 30.
Présidence de M.Patrick Mennucci, rapporteur.
Messieurs le secrétaire général et le directeur, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) assure la mission de coordination interministérielle en matière de défense et de sécurité, et joue un rôle important dans le dispositif de lutte contre le terrorisme. Les questions liées au fichier des passagers aériens – ou passenger name record (PNR) en anglais – se situent au coeur des préoccupations de notre commission d'enquête.
Conformément à votre demande, monsieur Gautier, cette audition se tient à huis clos ; la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de nos échanges. Ce dernier vous sera préalablement communiqué et la commission pourra faire état de vos observations dans son rapport.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre d'une commission d'enquête de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, messieurs Gautier et Richard, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(MM. Louis Gautier et Evence Richard prêtent serment).
Le terrorisme se situe au coeur des préoccupations de l'opinion, des parlementaires et des responsables politiques du fait des attentats venant de frapper notre pays, même si la France subit de telles attaques depuis les années 1970.
Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale se trouve moins en première ligne que les ministères de l'intérieur et de la justice et que les services de renseignement, l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) et le parquet antiterroriste. Il gère des plans de la famille pirate dont le plan Vigipirate et assure la défense contre les agressions cyber à travers l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) qui lui est rattachée. L'ANSSI veille principalement à la cyber protection de notre pays, de son administration, de ses services publics et des opérateurs d'importance vitale mais elle apporte également son appui à d'autres entreprises victimes de cyber-attaques.
La menace terroriste a évolué depuis les années 1970 et l'époque où elle était activée en sous-main par des États comme la Libye, la Syrie ou l'Iran. Depuis les années 2000, un continuum s'est dessiné entre les problèmes internationaux et la protection intérieure. Le terrorisme s'est militarisé en certains endroits, notamment autour d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dans la bande saharo-sahélienne et autour de Daech dans la zone syro-irakienne. Des connexions se sont récemment développées entre ces théâtres d'opération, comme en atteste la situation libyenne. En France, la menace est devenue protéiforme, atomisée et polycentrique, et les passages à l'acte peuvent résulter d'initiatives tant spontanées que coordonnées.
Le niveau d'alerte se situe à son maximum en France, puisqu'un communiqué d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) a désigné notre pays comme l'ennemi principal devant les États-Unis. La France intervient dans des conflits extérieurs et défend un modèle républicain de sécularisation qui la désigne comme cible. Les messages hostiles à notre pays sont relayés sur Internet et proviennent de nombreux groupes terroristes qui l'ont stigmatisée de manière récurrente.
(Présidence de M. Éric Ciotti, président de la commission)
Dans ce contexte, les filières combattantes et djihadistes font l'objet de nos préoccupations constantes du fait de leur nombre – environ 1 400 ressortissants français ont rejoint la Syrie ou l'Irak – et du danger que ces personnes posent à leur retour – que l'on songe au terrible attentat perpétré par M. Mehdi Nemmouche.
Certains pays, absents de tout théâtre d'opération, se trouvent également confrontés à ces filières et font face à des menaces d'attentats. Récemment l'ambassadeur d'Australie me faisait part de son inquiétude relative au développement de la radicalisation dans son pays, qui touche environ 400 personnes. Des pays que l'on penserait protégés de ce phénomène y sont en fait exposés : je pense notamment au Luxembourg, dont je rencontrais il y a peu le haut commissaire en charge de la sécurité, qui compte une dizaine d'individus ayant rejoint les zones de conflit.
Les convertis à l'islam représentent 22 % des personnes se rendant dans ces régions pour combattre auprès des groupes terroristes, ce qui complique le travail de détection des services de renseignement et exige de notre part des adaptations.
À la fin des années 2000, la France a pris conscience du problème de la radicalisation en prison et a développé un système de repérage des individus susceptibles de suivre cette évolution. Les différentes vagues d'attentats ont incité notre pays à bâtir un dispositif adapté à la lutte contre le terrorisme. Nous avons ainsi élaboré le plan Vigipirate en 1978 puis créé l'UCLAT et le parquet antiterroriste ; la France a donc défriché des pistes qui lui valent des demandes de coopération de la part de nos partenaires étrangers. Dans ce cadre, une relation durable s'est construite avec les Britanniques, matérialisée par les accords de Lancaster House signés en 2010.
À partir de l'été 2013, l'État a réfléchi à un plan de lutte contre la radicalisation. Le prédécesseur de M. Evence Richard, M. Yann Jounot, avait remis au Premier ministre un rapport dans lequel il suggérait plusieurs propositions. En janvier 2014, le ministère de l'intérieur a annoncé l'élaboration d'un plan de lutte contre la radicalisation et les filières syriennes que le conseil des ministres a approuvé le 23 avril 2014. Ce plan vise à empêcher le départ de djihadistes en Syrie et prévoit leur inscription systématique au fichier des personnes recherchées, l'expulsion des ressortissants étrangers impliqués dans ces filières, le gel préventif de certains de leurs avoirs, la confiscation du passeport des djihadistes de nationalité française, l'interdiction de sortie du territoire des mineurs et des mesures de coopération avec la Turquie et d'autres pays utilisés comme plaque tournante pour rejoindre les théâtres d'opération. Il est nécessaire de consolider l'ensemble du dispositif, même si la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme contient déjà des mesures intéressantes, notamment l'accroissement des capacités d'action judiciaire.
Le Gouvernement a déployé un plan de prévention, de réinsertion et de contre-discours reposant sur la mise en service d'un numéro vert pour les familles confrontées à la radicalisation, qui a déjà permis le signalement de 1 600 personnes et empêché une centaine de départs. Une campagne « Stop djihadisme » a également été lancée sur Internet le 28 janvier dernier. Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la justice, a dû vous faire part des nouvelles mesures visant à lutter contre la radicalisation en prison. Enfin, la France présidera prochainement le conseil de sécurité des Nations unies et utilisera cette tribune pour évoquer le combat contre l'internationale du djihad.
Notre outil d'analyse et d'expertise souffre d'éclatement ; il conviendrait de rassembler nos capacités en la matière afin d'approfondir notre réflexion. Le SGDSN diffuse désormais aux préfets une note mensuelle relative au terrorisme afin qu'ils puisent croiser les informations internationales et nationales. Les filières djihadistes gomment la frontière entre la sécurité extérieure et intérieure et mettent en résonance les préoccupations du lointain et celles du très proche. Il y a également lieu d'améliorer nos systèmes de détection des signaux faibles et de renforcer la collecte des renseignements provenant de la police, de la gendarmerie et des services territoriaux de renseignement.
Le SGDSN assure, en matière de renseignement, une fonction d'appui au coordonnateur du renseignement ; il a, à ce titre, accès à l'ensemble des informations recueillies par l'administration. Il produit des papiers confidentiels à destination des plus hautes autorités de l'État à partir d'un travail d'analyse et de prospective. Le SGDSN joue également un rôle de coordination dans la préparation de textes législatifs.
Le plan Vigipirate a été adapté au début de l'année 2014 pour accroître sa réactivité et renforcer le ciblage des mesures de protection. Le SGDSN a mis en place une nouvelle posture prévoyant des mesures de vigilance renforcée et un niveau « alerte attentat », déclenché depuis janvier en Île-de-France puis, plus récemment, dans les Alpes-Maritimes et temporairement en Picardie. Nous n'avons pas encore le retour d'expérience du déploiement du nouveau plan, mais nous avons constaté la grande rapidité de la mobilisation de tous les services dès que les niveaux les plus élevés ont été atteints. La cellule de crise du ministère de l'intérieur fut activée pour la première fois en janvier dernier et s'est réunie presque tous les jours pendant quelques semaines. En revanche, la pérennité de la menace pose la question de la soutenabilité de l'effort. Pour y faire face, le Président de la République et le Premier ministre ont décidé de mettre en oeuvre le contrat d'emploi protection des armées, mais celui-ci est disjoint du plan Vigipirate. 1 900 sites doivent être protégés et la durabilité de l'effort n'est pas naturellement conciliable avec la nature du contrat d'emploi protection des armées ; en effet, celui-ci est conçu pour permettre une contribution des armées à la lutte contre tout type de menace intérieure – marée noire, catastrophe nucléaire ou attentat – mais pour une durée limitée d'engagement.
Il va falloir réfléchir à une posture du plan Vigipirate prévoyant une sollicitation de long terme impliquant un déploiement permanent des militaires, même si les forces de sécurité ne feront pas disparaître tout risque d'attaque. Il convient d'inciter les acteurs exposés à la menace à améliorer leur dispositif de sécurité dans tous les domaines, y compris celui du cyber. Après l'attentat visant la rédaction de Charlie Hebdo, les groupes de presse reprenant les caricatures et faisant état des informations relatives aux attaques contre la presse furent menacés, tout comme des lieux de culte et des établissements scolaires confessionnels ; nous devons mener un travail avec ces structures pour qu'elles améliorent leur protection.
La pérennité de la menace nous conduira également à mieux qualifier la posture « alerte attentat » qui n'a pas vocation à durer. Son maintien actuel découle du problème des effectifs, mais ce niveau doit s'appliquer aux périodes dans lesquelles un attentat est imminent ou vient d'être commis ou peut être suivi d'une réplique et où ses auteurs n'ont pas encore été arrêtés. Cette phase induit des contraintes qui ne peuvent être prolongées, comme la suspension des activités sportives scolaires. Il conviendra en outre de mieux définir la phase de vigilance très renforcée impliquant le déclenchement du contrat d'emploi protection des armées et une mobilisation dans la durée d'un large effectif de policiers, de gendarmes et de militaires.
Le SGDSN a participé au développement du « Passenger Name Record » (PNR), prévu par la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019. La France a rejoint un peu tardivement – notamment pour des raisons juridiques – ce système mis en place depuis quelque temps par les États-Unis, le Canada, l'Australie et la Grande-Bretagne. Lorsque les décrets d'application seront pris, ce dispositif couvrira les vols en provenance et à destination de la France, mais il serait opportun d'adapter ce mécanisme à l'espace Schengen qui, ouvert, ne permet pas de bénéficier d'une sécurité maximale. Les événements en France et au Danemark, et la préoccupation des gouvernements et des parlementaires européens devraient accélérer la finalisation de ce dossier qui a longtemps été entravé à l'échelon européen. La tâche est en tout cas en voie d'être achevée en France.
Dans le cadre de la commission interministérielle de la sûreté aérienne, le SGDSN participe au renforcement de la prévention dans ce domaine et à l'amélioration de la surveillance des aéroports et des vols entrant sur notre territoire. La coopération internationale s'avère excellente dans ce domaine, notamment avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Nous nous montrons particulièrement vigilants à l'égard des plateformes aéroportuaires dans les pays dans lesquels nous sommes engagés militairement et participons au profit de ces États à des missions de sécurisation de ces aéroports. Nous luttons également contre le risque découlant de la dissémination des missiles sol-air portables (Manpad) en adaptant les procédures de sécurité des vols.
En matière cyber, la France a intelligemment séparé l'attaque de la défense. L'ANSSI, agence rattachée au SGDSN, assure la cyber protection de l'État, des opérateurs d'importance vitale et même de certains acteurs privés – par exemple, pour des sites de journaux ces derniers temps. Cette tâche considérable, et de plus en plus importante, de protection des réseaux fait de l'ANSSI l'un des deux grands pôles technologiques en la matière, aux côtés de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Pour leur part, le ministère de la défense est chargé de la protection des systèmes militaires voire d'opérations qui peuvent être offensives et le ministère de l'intérieur est responsable de la lutte contre la cybercriminalité.
À l'expérience et au vu d'affaires récentes, il apparaît avoir été particulièrement opportun de ne pas imiter les Anglo-Saxons qui ont créé une grande agence unique chargée du cyber. En effet, les journaux récemment attaqués se sont naturellement retournés vers l'ANSSI ; or il est probable qu'ils n'auraient pas sollicité une agence assimilée à un service de renseignement. L'ANSSI a une mission de protection et de prévention plus générale, et apparaît comme un partenaire de confiance auquel des entreprises, des banques ou des groupes de presse peuvent donner accès à leur centre nerveux et à leur matière grise informatique.
À quoi ressemblerait un plan Vigipirate appliqué dans la durée ?
Combien de temps vous a-t-il fallu pour repousser la centaine d'attaques informatiques recensées au mois de janvier dernier ? Les moyens humains sont-ils suffisants pour faire face à une agression de plus grande envergure ? Doit-on redouter une attaque d'hackers agissant pour Daech ou Al-Qaïda ?
Avez-vous eu connaissance de tentatives d'attaques contre des barrages hydrauliques ou des centrales ?
Le niveau exceptionnel du plan Vigipirate, déclenché aujourd'hui en Île-de-France et dans les Alpes-Maritimes, n'a-t-il pas tendance à se banaliser ? Existe-t-il des faits justifiant le maintien de cette posture dans ces deux territoires ? Refuse-t-on d'abaisser la surveillance pour ne pas apparaître comme négligent aux yeux de l'opinion en cas de nouvelle attaque ? Devons-nous mobiliser davantage de sécurité privée ? Les responsables des 1 900 sites doivent-ils eux-mêmes déployer des dispositifs de sécurité ?
Il conviendra de prendre en compte l'évolution du risque et de nombreux lieux devront prendre davantage en charge leur sécurité. Le niveau « alerte attentat » a été prorogé jusqu'à la mi-avril en Île-de-France et dans les Alpes-Maritimes. La priorité est de faire face à l'intensité de la menace et d'assurer la protection de certaines cibles potentielles. Il faut adapter le plan Vigipirate à l'expérience que nous sommes en train de vivre. Nous pensions que cette phase durerait moins longtemps, mais les analyses des services de renseignement nous ont dissuadés de l'écourter ; des filières ont été démantelées et des tentatives d'attentat contrées. La persistance du niveau élevé de la menace rendait déraisonnable le démantèlement de ce dispositif. Il convient néanmoins d'instaurer de la souplesse dans le système, ce qui implique de mettre en oeuvre de nouvelles postures permettant de désarticuler le lien entre menace élevée et effectifs plus nombreux déployés en permanence. Il faudra se livrer à un travail d'analyse fine de la période actuelle.
Le plan Vigipirate a un coût pour la gestion des hommes et pour le budget de l'État. Le Gouvernement vient d'arrêter des mesures visant à conforter les moyens des services de renseignement et de police. Il faudra adapter le format des armées, car elles sont très sollicitées dans les théâtres extérieurs – et l'opération Barkhane au Sahel sera sans doute longue –, surtout si le contrat d'emploi protection devait être mobilisé pendant plusieurs mois. Cette configuration nécessiterait de réviser le plan de déflation des effectifs militaires.
En 2014, l'ANSSI a procédé à 56 audits, dont 60 % concernaient des structures publiques, et a traité 1 228 incidents, dont 43 % touchaient les institutions, 42 % les collectivités territoriales, 12 % les opérateurs d'importance vitale et 3 % des entreprises. En outre, neuf opérations de reconstruction entière de sites et de réseaux ont été conduites, dont deux, liées à la radicalisation, ont attiré notre attention du fait de la sophistication de l'offensive sans qu'aucune n'ait été particulièrement difficile pour l'ANSSI.
Le plan Vigipirate envisage la survenue d'une attaque bactériologique et prévoit la surveillance des sources d'approvisionnement en eau. Quels sont les moyens mis en oeuvre pour nous protéger contre de telles attaques dont l'impact pourrait être très important ? Sont-ils suffisants ?
La résolution de nos difficultés actuelles exige le renforcement, notamment qualitatif, de notre renseignement ; on a beau m'assurer que la coordination entre les différents services est de plus en plus fluide, il reste quelques cloisonnements qui peuvent entraver les échanges d'information entre les agents de terrain et leurs chefs.
Nos services de renseignement ont-ils des relations suffisamment bonnes avec leurs homologues des pays d'Afrique du Nord pour faire face aux risques ?
Comment les informations recueillies sur le terrain sont-elles capitalisées ? Comment assure-t-on la remontée rapide des renseignements ? A-t-on identifié des problèmes en la matière ?
Monsieur Gautier, vous avez indiqué que la menace terroriste se caractérisait par une mise en résonance des différents théâtres d'affrontement dans le monde et que la France coopérait avec de nombreux pays, notamment le Royaume-Uni. Quel rôle jouent les postes diplomatiques dans l'analyse de la situation des pays pour lesquels une surveillance particulière s'avère nécessaire ?
Disposez-vous d'une évaluation de la campagne du Gouvernement « Stop djihadisme » ? Permet-elle de prévenir le passage à l'acte spontané ?
Le PNR français sera-t-il déployé avant celui de l'Union européenne ? Où en est-on dans ce dossier ?
Le dispositif de lutte contre le risque biologique et chimique est constitué de trois étages. Nous suivons l'évolution de la menace en lien avec les services de renseignement ; ceux-ci nous fournissent des éléments sur le fondement desquels nous menons des expérimentations pour adapter nos dispositifs de détection et de réponse au danger. Par ailleurs, les opérateurs doivent se prémunir contre cette menace et un système de prévention est prévu à cet effet ; celui-ci repose en partie sur le plan Vigipirate et, concernant les opérateurs d'importance vitale, il répond aux directives nationales de sécurité qui fixent une liste d'impératifs à respecter. Enfin, des mesures d'intervention sont inscrites dans un plan contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). Depuis quelques mois, un contrat général interministériel recense et sanctuarise les moyens indispensables pour répondre à ce type de crise.
Concernant le PNR, la France dispose désormais d'un cadre juridique complet posé par l'article L. 232-7 du code de sécurité intérieure et par les décrets du 26 septembre et du 22 décembre 2014. Ce cadre organise la gestion de la collecte et l'exploitation des données PNR. Le marché de réalisation du système PNR a été notifié à l'entreprise attributaire en janvier 2014 : l'objectif est de livrer un système complet et opérationnel au début de l'année 2016. Ce calendrier se trouve tributaire de celui de l'attribution des fonds européens, la France s'étant vue attribuer une aide de 17,8 millions d'euros par la Commission européenne à la condition qu'elle puisse justifier l'engagement de la dépense avant le 31 décembre 2015. Au total, le montant du projet devrait être compris entre 30 et 38 millions d'euros. Il s'agit d'un délai très court – moins de deux ans – pour élaborer un système aussi complexe. Ainsi, le Royaume-Uni a mis plus de quatre ans pour déployer un mécanisme qui aura coûté au total plus d'un milliard de livres. Au-delà du système informatique permettant de collecter les données et de les exploiter, nous devons prévoir la mise en oeuvre opérationnelle du dispositif puisque celui-ci entraînera des évolutions importantes pour les services de police, de gendarmerie et de renseignement. Cela concerne au premier chef la police aux frontières (PAF) qui aura à interpeller des personnes dans tous les aéroports du territoire à toute heure du jour et de la nuit.
Un PNR limité à la France est utile, mais il lui manquerait une dimension européenne, indispensable pour appréhender les terroristes et les criminels – le PNR n'étant pas limité au terrorisme puisqu'il vise aussi à lutter par exemple contre les trafics de drogue importants. Un système commun à tous les pays européens s'avère nécessaire, même si le Parlement néerlandais ne souhaite pas que les Pays-Bas rejoignent une telle initiative et le gouvernement allemand éprouve des difficultés à arrêter sa position. Le conseil Justice et affaires intérieures (JAI) avait adopté un projet de directive en avril 2012 sur lequel la France s'est appuyée. Le texte qui sera adopté permettra probablement de disposer d'un volet opérationnel suffisant mais cela n'est pas certain. Le projet français prévoit que les données soient conservées pendant cinq ans, dont deux en non masqué, conformément à la version de la directive approuvée par le conseil JAI. Le dernier rapport de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (commission LIBE), datant du 26 février 2015, laisse trente jours les données démasquées, prévoit un processus de démasquage contraignant et une durée de quatre à cinq années pour conserver les données. Une question se pose sur la prise en compte des vols intracommunautaires. L'ensemble des services de sécurité français souhaite qu'ils entrent dans le champ du dispositif. Le rapporteur du texte au Parlement européen s'est prononcé dans le même sens, mais de nombreux députés y sont hostiles. Le PNR français vise à lutter contre le terrorisme, le crime grave – sur le fondement du mandat d'arrêt européen – et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. Un consensus existe en Europe sur le premier objectif, mais pas sur celui du crime grave que le rapporteur et un nombre non négligeable de parlementaires européens entendent limiter à la criminalité transnationale. Or, il s'avère délicat de déterminer si un fait criminel possède une dimension transnationale ou non. Enfin, la Commission européenne est aujourd'hui compétente pour négocier des accords d'autorisation de transfert de données PNR avec des pays tiers. L'accord avec les États-Unis a suscité de nombreuses polémiques, celui avec le Canada a été renvoyé devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), et le Mexique essaie depuis cinq ans d'obtenir des données PNR. Par ailleurs, des discussions ont été ouvertes avec le Japon et la Corée du Sud. La Commission ne donne aucune perspective à ces pays, qui pourraient, par mesure de rétorsion, refuser de nous fournir de telles données, ce qui ôterait au système que nous sommes en train de déployer une partie de son intérêt.
Nous ne disposons pas d'évaluation du site « Stop djihadisme » car sa mise en service est trop récente.
Les services de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et de la DGSE n'ont jamais travaillé aussi étroitement, et tous les éléments de la communauté du renseignement coopèrent très fortement. Il y a néanmoins lieu de renforcer la coordination du renseignement de terrain, les préfets pouvant jouer un rôle en la matière. Les services de renseignement peuvent surveiller les risques liés aux filières, mais la détection de cas individuels de radicalisation exige une adaptation passant notamment par la mobilisation des services territoriaux de renseignement et de celle de toute la chaîne des administrations pour signaler les personnes éveillant des soupçons. La surveillance pose néanmoins des questions dans une société démocratique et les équilibres sont difficiles à trouver. Ainsi, le Parlement sera bientôt saisi d'un projet de loi sur le renseignement qui propose d'étendre certains procédés utilisés par les services de renseignement et de renforcer les mécanismes de contrôle. Les attentats de janvier dernier ont nécessité une certaine préparation, comme la presse l'a souligné, mais les agressions contre des militaires, dans un marché de Noël ou un café en Australie constituent des actes plus spontanés.
Il convient de ne pas oublier que les individus d'origine arabe ou africaine et de confession musulmane représentent, aux yeux de Daech, des apostats à éliminer.
La communauté juive, les organes de presse, les agents en uniforme représentant l'État français et ceux qui sont considérés comme apostats – dès lors qu'ils acceptent et défendent des principes de liberté religieuse et de laïcité – constituent les cibles principales de ces terroristes. Quels que soient les modèles de sécularisation adoptés par les démocraties occidentales – républicain en France ou communautariste au Royaume-Uni –, ces gens choisissent la violence, refusent toute tolérance et développent un discours de haine que la toile répercute à des personnes fragiles, instables ou perturbées, qui peuvent passer à l'acte. La menace s'avère aujourd'hui plus diffuse, et cette mutation exige un engagement de tous les instants des administrations, de la justice, des services de police et de renseignement, et du SGDSN, back office de l'État en matière de sécurité.
Messieurs, nous vous remercions de votre présence et des éléments précieux que vous avez fournis à notre commission.
La séance est levée à 9 heures 45.