La séance est ouverte à 16 heures 15.
Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président.
La Délégation auditionne M. Hervé Gonsard, directeur général, et M. Philippe La Cognata, directeur de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM), accompagnés par Mme Véronique Bensaïd-Cohen, conseillère parlementaire auprès du Gouverneur de la Banque de France.
Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir M. Hervé Gonsard, directeur général, et M. Philippe La Cognata, directeur de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM). Et je salue la présence de Mme Véronique Bensaïd-Cohen, qui est conseillère parlementaire auprès du Gouverneur de la Banque de France.
Comme vous le savez sans doute, depuis 1959, l'IEDOM et depuis 1996, l'IEOM ont la responsabilité de la gestion, de la circulation monétaire et des systèmes de paiement, respectivement dans les départements et collectivités de l'article 73 de la Constitution, et en Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna.
Le rapprochement entre la Banque de France et ces deux instituts n'est pas nouveau. La création de la zone euro, la constitution du système européen de banques centrales l'ont rendu inévitable. Sous l'impulsion des instances européennes, ce processus devrait connaître prochainement une étape supplémentaire, décisive en tout cas pour l'IEDOM. Le sujet suscite naturellement dans les outre-mer un certain nombre d'interrogations.
Parmi les attributions de notre Délégation aux outre-mer, figure précisément l'obligation d'informer l'Assemblée nationale sur tous les projets qui sont susceptibles d'affecter la vie économique et sociale des outre-mer, y compris à travers les évolutions institutionnelles. Voilà pourquoi j'ai souhaité que les responsables des deux instituts d'émission ultramarins viennent nous éclairer sur l'avenir de leurs institutions.
Je vous remercie, messieurs Gonsard et La Cognata, d'avoir été sensibles au souci que nous avions exprimé. Et sans plus tarder, je vous passe la parole.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, c'est un honneur d'être parmi vous aujourd'hui, et nous vous remercions de nous avons conviés à cette audition sur la réforme de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer, envisagée par l'article 52 du projet de loi relatif à la transparence et à la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, qui a été adopté par le conseil des ministres le 30 mars dernier.
L'IEDOM est la banque centrale déléguée à des départements et collectivités d'outre-mer dont la monnaie est l'euro. La réforme proposée par le Gouvernement est de transformer cet institut, aujourd'hui établissement public, en filiale à 100 % de la Banque de France. C'est une réforme importante qui permettrait, de façon claire et définitive, d'ancrer l'IEDOM dans l'Eurosystème, tout en préservant son identité ultramarine.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, cette réforme s'inscrit dans un mouvement entamé lors du passage à l'euro. À cette occasion en effet, l'IEDOM a connu une première étape importante de rapprochement avec la Banque de France. À suite d'un compromis qui fut à l'époque longuement débattu avec la Banque centrale européenne (BCE), l'IEDOM a conservé son statut d'établissement public, mais il est devenu un agent de la Banque de France. Il a été placé sous la gouvernance de la Banque de France, et sous la responsabilité financière de celle-ci.
L'IEDOM exerce depuis lors ses missions fondamentales « au nom, pour le compte et sous l'autorité de » la Banque de France. Mais alors que ses activités, que sa gouvernance l'ont clairement rapproché de la Banque de France, l'IEDOM est, pour des raisons historiques, demeuré, pour ce qui reste de sa vie sociale, que ce soient les instances représentatives du personnel (IRP), les accords collectifs ou la gestion des ressources humaines, dans l'orbite du groupe AFD (Agence française de développement) avec lequel il forme une union économique et sociale (UES). Or cette UES avec l'AFD, avec laquelle l'IEDOM, précisément à la suite de l'évolution de 1999, n'a plus ni management commun ni activité commune, est de plus en plus fragilisée, et cette fragilité ira en s'aggravant avec les évolutions récentes de l'AFD, notamment avec la croissance rapide de son activité.
Alors qu'il avait envisagé à un moment la dissolution de l'IEDOM dans la Banque de France, l'État retient aujourd'hui une sorte de rapprochement sans dissolution. C'est une solution qui permet l'intégration pleine et entière de l'IEDOM au sein de l'Eurosystème, mais dans le respect de son identité ultramarine.
Ce rapprochement, qui va un peu « dans le sens de l'histoire », garantirait la pérennité de l'Institut et de toutes ses missions.
D'abord, la transformation de l'établissement public IEDOM en société publique détenue par la Banque de France 100% publique – ce n'est absolument pas une privatisation, car l'IEDOM resterait dans le secteur public – traduirait d'une façon beaucoup plus claire aujourd'hui, dans le droit positif comme dans les faits, l'appartenance de l'IEDOM au groupe Banque de France, et donc l'accomplissement des missions de l'Eurosystème en totale indépendance vis-à-vis de l'État, sur l'ensemble du territoire national où circule l'euro.
En outre, ce rapprochement permettrait d'amplifier ce qui existe d'ailleurs déjà : une logique de métiers entre la Banque de France et l'IDEOM. L'institut d'émission remplit en effet, dès à présent, quasiment les mêmes missions que la Banque de France dans les départements d'outre-mer. Ces dernières années ont vu d'ailleurs de plus en plus le déploiement et l'utilisation par l'IEDOM des outils et des applicatifs développés par la Banque de France, principalement dans les métiers fiduciaires, dans les métiers de la cotation des entreprises, ou dans les métiers du surendettement des particuliers.
Cette réforme permettrait donc de renforcer la cohérence, la collaboration avec la Banque de France dans l'exercice de ces métiers. Elle permettrait de renforcer également la synergie et, au final, la qualité des missions exercées par l'IEDOM au service des territoires ultramarins et de nos concitoyens d'outre-mer.
Autre point important : la transformation de l'IEDOM en société détenue par la Banque de France permettrait de concilier l'appartenance de l'institut à la Banque, et le nécessaire maintien de l'identité ultramarine de l'IEDOM – et ce, notamment, dans la gestion à terme, plus particulièrement dans la gestion des ressources humaines, qui est un point que regardent attentivement nos salariés.
Elle permettrait donc à l'IEDOM d'assurer une continuité dans la gestion des personnels, qui pourraient, comme c'est le cas aujourd'hui, continuer à être recrutés sur une base principalement locale, et non pas sur une base nationale comme la Banque de France, tout en conservant des règles de mobilité qui lui sont propres et qui sont très différentes de la Banque de France.
Enfin, cette autonomie lui permettrait de conserver des modalités de rémunération qui, aujourd'hui, sont différentes de celles de la Banque de France.
En dehors de ces problèmes importants de prise en compte de la gestion interne, cette autonomie, qui n'est pas une intégration, nous permettrait de maintenir une autonomie de fonctionnement pour prendre en compte les réalités économiques et sociales des outre-mer et adapter, lorsque c'est nécessaire, certains dispositifs ou procédures aux contraintes liées à l'insularité, à l'éloignement ou au décalage horaire.
De par la forme qu'elle prendrait, cette réforme présente un autre intérêt : le siège de l'IEDOM étant maintenu, elle permettrait le partage de ses services avec l'IEOM, comme c'est le cas aujourd'hui. Nous continuerions de disposer de services de siège communs aux deux instituts d'outre-mer, ce qui autorise, entre autres, le fonctionnement de synergies qui, là encore, ne pourraient exister si l'IEDOM était intégré à la Banque de France.
Cette réforme, et on y veille, sera assortie de garanties sociales importantes pour le personnel. La modification de la nature juridique de l'Institut par la loi n'emporterait pas, par elle-même, de conséquences sur le régime juridique auquel sont soumis les personnels embauchées par l'IEDOM ni, en particulier, sur leur statut ni sur leur contrat.
Elle n'emporterait pas non plus, en tant que telle, de remise en cause immédiate et directe de l'unité économique et sociale dont je vous ai parlé. Cette modification relèverait ensuite de la voie conventionnelle ou juridictionnelle.
Par la suite, les incidences sociales de la réforme seraient évidemment réglées par voie conventionnelle entre toutes les parties prenantes, à savoir : l'IEDOM, l'AFD, la Banque de France et évidemment, les représentants du personnel des instituts.
Ce processus, et le Gouverneur de la Banque de France l'a dit devant la commission des finances de cette assemblée lorsqu'il est venu s'exprimer début mars, n'affectera ni les missions, ni les statuts des agents de l'IEDOM ni les droits qui y sont attachés. La Banque de France a fait savoir qu'elle s'attacherait à préserver l'ensemble des droits individuels et collectifs des salariés de l'IEDOM.
J'ajouterai à cela que le dialogue social qui s'inscrit résolument dans la transparence, et qui a été engagé dès le 19 février, bien avant que ne soit rendu public le projet de loi du Gouvernement, avec les représentants de l'IEDOM, de l'AFD mais aussi de la Banque de France, est largement engagé. Des démarches d'information-consultation sont en cours, et les directions des établissements que j'ai cités s'attacheront à informer les personnels en tant que de besoin. J'ajouterai qu'avec le directeur des instituts, Philippe La Cognata, nous sommes allés déjà dans quatre des territoires concernés. Nous allons boucler notre tour par Saint-Pierre et Miquelon et la Guyane, le mois prochain.
Avec ce projet de transformation de l'IEDOM, monsieur le président, mesdames et messieurs, en société détenue par la Banque de France, c'est potentiellement une nouvelle étape importante pour les instituts qui se dessine, mais celle-ci s'inscrit dans la continuité et donc dans la permanence.
C'est un changement qui, nous en sommes convaincus, devrait renforcer l'IEDOM, à la fois dans son appartenance à l'Eurosystème, mais aussi dans les services qu'il doit rendre – encore meilleurs et au meilleur coût – à nos concitoyens d'outre-mer.
Merci, monsieur le directeur général. Je voudrais vous poser une question simple, qui reflète sinon l'inquiétude, du moins l'interrogation d'un certain nombre de personnes ou de groupes dans les outre-mer.
En somme, un établissement public national, qui était chargé jusqu'à présent de la gestion de la circulation monétaire, des systèmes de paiement, etc. devient une société par actions simplifiée, propriété à 100 % de la Banque de France.
Ce schéma était-il le seul possible ? Je ne le pense pas. En tout cas, quels sont les avantages et les inconvénients qui ont fait que la préférence lui a été accordée ?
Selon les propos que vous avez tenus, le personnel garderait son statut et ne perdrait aucun avantage. Reste que l'on s'interroge sur l'offre de crédit qui sera offerte demain, notamment au tissu économique, via la cotation des entreprises. Pouvez prendre l'engagement que l'offre de crédit ne sera pas plus restreinte ? Voilà les questions que l'on se pose aujourd'hui à propos de cette transformation de l'IEDOM en SAS.
Monsieur le président, pourquoi avoir choisi ce statut ?
Aujourd'hui, l'établissement public national ne peut demeurer en l'état parce que la Banque de France étant elle-même une personne publique sui generis – comme le dit la jurisprudence du Conseil d'État – sans équivalent ailleurs, ne peut pas détenir un établissement public. Ce point a été vérifié avec les services de Bercy, d'autres services juridiques, et a été également débattu devant le Conseil d'État.
Pour que la Banque de France puisse être propriétaire de l'Institut, on a dû choisir un statut qui relève du droit commercial. Comme l'idée est de faire de l'IEDOM la propriété exclusive, à 100 %, de la Banque de France, la société par actions simplifiée (SAS) se trouve être le statut le plus adapté. C'est pour cela qu'il nous est apparu comme la meilleure solution possible quand nous avons étudié la question à la demande du Gouvernement.
Monsieur le député, vous m'avez interrogé sur les changements que pourrait provoquer la réforme de l'IEDOM, en termes d'offre de crédit via la cotation des entreprises. En effet, l'IEDOM lui-même, en tant que banque centrale, n'offre pas de crédit à l'économie. En revanche, il cote les entreprises et cette cotation constitue un élément important, pour les banques, dans leurs décisions d'attribution de crédit.
De ce point de vue, la méthode de cotation, telle qu'elle existe aujourd'hui, ne sera pas modifiée. C'est déjà la cotation de la Banque de France qui est utilisée. Il n'y aura donc aucun risque qu'une nouvelle méthode de cotation puisse porter atteinte à l'offre de crédit et vienne restreindre l'offre de crédit par rapport à ce qui existe aujourd'hui.
Par ailleurs, nous avons bien conscience, même si les statistiques nous disent que, dans les outre-mer, le crédit a été en hausse de 5 % sur l'année 2015, que certaines PME et notamment des TPE ont parfois du mal à avoir accès au crédit bancaire. De ce point de vue, le rapprochement – si le Parlement le souhaite – entre l'IEDOM et la Banque de France permettra d'aller plus loin. En effet, la Banque de France a créé un référent, un correspondant TPE dans chacun des succursales de la Banque de France. Si l'IEDOM devient une des filiales de la Banque de France, nous appliquerons exactement le même processus, à savoir que dans chacune des agences de l'IEDOM il y aura un référent, un correspondant TPE qui travaillera en toute indépendance par rapport aux banques –on sait, dans la maison Banque de France et dans la maison IEDOM, garantir le secret – et pourra donner tous les conseils possibles aux chefs d'entreprise, notamment à ceux qui sont à la tête de TPE. Donc, de ce point de vue, le rapprochement avec la Banque de France permettrait d'aller un petit peu plus loin et de fournir ce service complémentaire aux chefs de PME et de TPE.
Vous insistez beaucoup sur l'identité ultramarine. Pour ma part, je m'interroge sur l'intérêt de cette « absorption », dans la mesure où vous gardez les mêmes compétences, les mêmes missions. Pourquoi le faire ?
D'autre part, vous dites que les agents, les salariés garderont les mêmes droits individuels et collectifs. Cela signifie donc qu'il y aura deux types de salariés au sein de la Banque de France. Est-ce possible ?
Enfin, comment allez-vous garantir ce recrutement local ?
Madame Orphé, pourquoi procéder à un tel rapprochement si l'on garde les mêmes missions ?
La raison fondamentale de cette réforme est de nous mettre parfaitement en adéquation avec l'Eurosystème actuel, pour que nous soyons effectivement dans les mains de la Banque de France, comme on avait commencé à le faire en 1999, et que nous ne soyons plus dans les mains de l'État. D'où la décision rendue le 16 mars dernier par la BCE. De fait, la BCE se félicite de cette évolution qui mène à son terme l'indépendance de l'IEDOM comme de la Banque de France vis-à-vis de l'État.
Maintenant, est-il possible, en étant intégré au groupe Banque de France, de conserver deux statuts ? C'est une question très importante. Nous avons plutôt opté pour la solution filiale que pour l'intégration pure et simple dans la Banque de France. Cela permet d'avoir des statuts du personnel différents. Si demain, nous demandions à l'IEDOM d'être totalement intégré, si nous transformions les agences de l'IEDOM en agences de la Banque de France, nous aurions le même statut, les mêmes modes de recrutement, et les mêmes modes de mobilité et de rémunérations que la Banque de France.
De ce point de vue, la Banque de France est très égalitaire, très unitaire : que l'on soit en Corse ou à Paris, malgré la cherté de la vie, on y est payé de la même façon qu'à Limoges où l'on sait que l'immobilier n'est pas au même prix. Cette différence de statut permettrait précisément de maintenir les surrémunérations qui existent aujourd'hui pour les agents de l'IEDOM par rapport aux agents de la Banque de France.
Vous parliez également du recrutement. En effet, la Banque de France recrute sur un concours national. Cela signifie que si l'on intégrait purement et simplement l'IEDOM à la Banque de France, et que cette dernière était partout présente, on recruterait sur concours national, et on affecterait ensuite les gens qui ont réussi ce concours dans chacune des succursales de la Banque de France, qui pourrait être celle de Limoges, de Marseille, de Brest, ou demain, de Saint-Denis de la Réunion, par exemple.
On n'aurait plus ce que l'on a aujourd'hui : aujourd'hui, l'IEDOM recrute son personnel sur place, localement. Cette possibilité, qui permet de répondre à certaines problématiques locales, par exemple à la situation de l'emploi, n'existe pas dans le statut de la Banque de France.
Voilà pourquoi il nous a paru important de garder ces spécificités aux collectivités d'outre-mer qui ont l'euro pour monnaie.
J'ajoute qu'à la Banque de France, les cadres sont tenus à la mobilité. Au bout de trois ou quatre ans, ils doivent quitter la succursale dans laquelle ils travaillent, pour prendre des fonctions dans une autre succursale. Chez nous, à l'inverse, les agents d'encadrement, les chefs de service des différents services – à l'exception de deux ou trois cadres qui sont mutables par définition, à savoir le directeur, l'adjoint et un autre chef de service – ne sont pas forcés à la mobilité. Et il est souvent bien plus difficile de faire une mobilité entre deux départements ou régions d'outre-mer qu'entre deux régions ou départements métropolitains.
Donc, pour des raisons liées à la fois aux recrutements, à la mobilité et à la rémunération, nous avons pensé qu'il fallait plutôt conserver un statut différent à notre personnel et ne pas l'intégrer purement et simplement dans le statut des agents de la Banque de France.
Madame la députée, le Gouverneur a été particulièrement attentif au statut du personnel de l'IEDOM. L'alternative était la suivante : soit la SAS, qui permettait de conserver la réalité des salariés d'outre-mer ; soit l'intégration pure et dure, qui amenait à appliquer les règles liées au personnel de la Banque de France. Le choix du Gouvernement, que nous avons partagé, était justement celui d'un statut à part.
Je vous remercie pour votre disponibilité et pour les éclaircissements apportés par vos réponses.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, sachez que nous restons à votre entière disposition.
L'audition prend fin à dix-sept heures dix.