Nous recevons M. Alain Zabulon, directeur de cabinet adjoint du Président de la République.
Nous avons demandé à vous entendre, monsieur Zabulon, car il a été fait état d'une conversation téléphonique que vous avez eue, le 15 décembre 2012, avec M. Michel Gonelle, à propos de l'enregistrement dans lequel M. Jérôme Cahuzac parle de son compte suisse avec son chargé d'affaires. M. Gonelle, au cours de son audition, le 21 mai dernier, a indiqué vous avoir appelé pour attester auprès du Président de la République de l'authenticité de cet enregistrement. Tel est du moins le récit qu'il nous a fait de cet échange téléphonique.
Nous souhaiterions donc connaître votre version de cet épisode et savoir quelles suites vous lui avez données.
(M. Zabulon prête serment)
Je vous laisse la parole pour une quinzaine de minutes. Puis, notre rapporteur, Alain Claeys, vous interrogera. Ensuite, nos collègues vous poseront leurs questions.
Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, merci de m'avoir convié devant votre commission pour vous apporter les éclaircissements et les informations que vous attendez sur l'échange téléphonique que j'ai eu avec Michel Gonelle.
En ce samedi 15 décembre au matin, je suis à mon domicile lorsque le standard de la présidence de la République m'appelle pour me dire que Michel Gonelle, ancien maire de Villeneuve-sur-Lot, qui affirme bien me connaître, souhaite me parler. Je le fais aussitôt rappeler et prends la communication. Dans un premier temps, il me demande s'il nous est possible de nous rencontrer en ville. Je n'en avais malheureusement pas le temps, étant attendu à la Présidence où nous devions porter la main aux derniers préparatifs de l'arbre de Noël, événement important dans la vie de l'Élysée. Je pouvais en revanche prendre dix minutes ou un quart d'heure pour converser avec M. Gonelle et l'écouter, puisqu'il avait pris la peine de m'appeler. Il me dit alors que depuis les révélations de Mediapart sur le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, une dizaine de jours plus tôt, il fait l'objet d'une forte pression des journalistes qui l'accusent de détenir le fameux enregistrement par lequel « le scandale » arrive. Il me dit vivre très mal cette pression, n'être pour rien dans cette affaire et souhaiter se confier à moi. Et là suit un récit, une sorte de confession, où il m'indique que fin 2000, à la suite d'une conversation téléphonique avec Jérôme Cahuzac, dans laquelle celui-ci l'informe de la venue du ministre de l'intérieur pour l'inauguration du nouveau commissariat de Villeneuve-sur-Lot, le portable de Jérôme Cahuzac aurait malencontreusement rappelé le sien. C'est ainsi que s'est retrouvé sur sa messagerie un échange entre une personne présumée être Jérôme Cahuzac – c'est du moins ce qu'il affirme – et un tiers au sujet de ce fameux compte en Suisse.
« Bien, et alors ? », lui dis-je. Il m'indique qu'il a conservé cet enregistrement, l'a fait graver sur CD en deux exemplaires et l'a conservé pendant de nombreuses années dans un tiroir. Il me dit qu'il n'avait absolument pas l'intention de s'en servir contre Jérôme Cahuzac, avec qui ses relations sont désormais apaisées, qu'il est retiré de la vie politique et que ce ne pas là ses méthodes, ni des méthodes en général. Il a conservé ces deux exemplaires de l'enregistrement et fin 2006-début 2007, les a remis au magistrat Jean-Louis Bruguière, candidat à la députation en 2007 contre Jérôme Cahuzac. « Mais je pense qu'il ne s'en ait pas servi », ajoute-t-il aussitôt. J'écoute tout cela avec beaucoup d'attention. Il m'annonce aussi qu'il disposerait d'une lettre qu'il pourrait remettre si nécessaire au Président de la République et me demande en quelque sorte quels sont mes conseils, mes instructions.
À la fois je mesure l'importance des informations qui sont portées à ma connaissance et je m'interroge – j'y reviendrai dans quelques instants. Je ne prends pas de position sur-le-champ, ne lui dis pas « Faites ceci ou ne faites pas cela », mais : « Monsieur Gonelle, je vais d'abord référer en interne, dans ma maison, des informations que vous venez de porter à ma connaissance. Convenons que nous nous rappelons la semaine prochaine. »
Je me rends à la Présidence, comme il était prévu. Je vais voir le secrétaire général de la Présidence, Pierre-René Lemas, à qui je commence à expliquer ce que je viens d'entendre. Il me propose que nous allions voir ensemble le Président de la République. « Cela devrait évidemment l'intéresser au plus haut point. », dit-il Dans le bureau du Président, je rends alors compte en détail au Président et au secrétaire général de l'entretien que je viens d'avoir avec Michel Gonelle. Le Président est très attentif à ce que j'expose et me demande ce que j'en pense. À la fin de l'entretien, il me dit, et ce sans aucune hésitation : « Si vous avez un nouveau contact avec M. Gonelle, s'il doit vous rappeler ou si vous devez le rappeler, dites-lui que ces informations doivent être sans délai portées à la connaissance de la justice. » Il ne me donne aucune autre instruction que celle-ci, ajoutant : « Si ce fameux courrier arrive, nous le transmettrons à la justice, car c'est une affaire qui relève de la justice. »
Le week-end se passe. Le lundi 17 décembre au matin, après notre traditionnelle réunion d'agenda à 9 heures, je constate qu'entre-temps j'ai reçu quelques appels, dont l'un de Michel Gonelle. Je demande à ma secrétaire de me passer ces correspondants, dont Michel Gonelle. Et là se produit quelque chose que je vais détailler car j'ai vu que Michel Gonelle l'avait expliqué avec un luxe de détails dont certains pourraient éventuellement laisser penser à je ne sais quelle manoeuvre de ma part. Les choses sont très simples : au moment où ma secrétaire va me passer Michel Gonelle, dont elle a composé le numéro, je reçois en interne un appel du Palais. Je décroche, la conversation dure un peu, et je ne prends pas Michel Gonelle. Je rate l'appel. Ma secrétaire lui dit : « Je ne vais pas vous faire attendre. Entre-temps, M. Zabulon a pris une communication. Rappelez plus tard ou je vous rappellerai ». Bref, nous nous sommes ratés – j'imagine que ce genre de situation a déjà dû vous arriver.
Je n'ai donc pas M. Gonelle au téléphone en cette matinée du 17 décembre. Le reste de ma journée de travail s'enchaîne, entre réunions et rendez-vous. Je me dis que vraisemblablement M. Gonelle, qui cherche à me joindre, qui attend de ma part une position, une réponse, des instructions, ne manquera pas de me rappeler. Il ne m'a jamais rappelé.
En ce lundi 17 décembre, je me pose quand même des questions. Tout cela s'est décanté dans mon esprit. L'entretien date du samedi. J'ai immédiatement informé le Président de la République. Je précise que le samedi 15, j'ai également passé un coup de fil à Jérôme Cahuzac, auquel j'ai fait part de cet entretien avec Michel Gonelle. Pourquoi l'ai-je fait ? À la mi-décembre – les informations livrées par Mediapart sont toutes récentes –, la majorité des commentateurs et des observateurs donnent crédit à Jérôme Cahuzac de sa bonne foi. On en accorde peu à l'époque aux affirmations de Mediapart. J'ai considéré loyal, en tant que collaborateur du Président de la République, d'informer Jérôme Cahuzac de la teneur de cet échange. Il m'a écouté, notre conversation a été brève – il était, je crois, en rendez-vous ou occupé. Il m'a remercié de ces informations. Il n'avait pas l'air plus surpris que cela. Je me disais déjà à ce moment qu'il était probable que de toute façon, la teneur de cet échange ne reste pas très longtemps confidentielle. La suite l'a d'ailleurs prouvé.
Après cet appel raté du 17 décembre, dès le milieu de la semaine, on commence à parler dans la presse de cet échange avec Michel Gonelle. Je n'ai pas retrouvé précisément d'articles mais en tout cas, le vendredi 21 décembre, tout l'entretien se retrouve dans les journaux. Durant cette semaine du 17 décembre, au fur et à mesure que je réfléchis aux déclarations qui m'ont été faites, je me pose deux ou trois questions. Lesquelles ?
Tout d'abord, je vous le dis très franchement, je m'interroge sur la crédibilité qu'il convient d'apporter à ce récit. En effet, ce qui m'a été exposé le 15 décembre est contraire à ce que Michel Gonelle a affirmé quelques jours plus tôt, et dont je vous donne lecture – je crois qu'il s'agit d'un article de Sud-Ouest, daté du 9 ou 10 décembre. On y cite le nom de Michel Gonelle, ex-maire de Villeneuve-sur-Lot, comme étant le détenteur du fameux enregistrement. « Je n'ai absolument rien à voir avec cette affaire. C'est une plaisanterie. J'aurais gardé un enregistrement pendant douze ans dans un carton sans m'en servir avant ? Puis mes relations avec Jérôme Cahuzac sont très sereines, indique Me Gonelle, qui voit plutôt dans ces soupçons envers sa personne une manoeuvre de communication ou de diversion. » Il va plus loin – je cite toujours : « La thèse d'une origine lot-et-garonnaise de cet enregistrement est une manière habile de brouiller les pistes. C'est une grande manipulation. » Je m'interroge : quand Michel Gonelle dit-il la vérité ? Le 10 décembre, lorsqu'il nie être en quoi que ce soit responsable de cette affaire ? Le 15 décembre, lors de sa « confession » téléphonique auprès de moi ?
Je suis également perplexe que Michel Gonelle ait conservé cet enregistrement, l'ait gravé sur CD, tout en disant n'avoir pas eu l'intention de s'en servir, enfin l'ait communiqué à un tiers – qui n'était pas n'importe qui –, Jean-Louis Bruguière, candidat à la députation.
Enfin, Michel Gonelle, que j'ai connu et côtoyé pendant les deux ans et demi où j'ai été sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot, est un avocat, un homme de loi. Ancien député et ancien maire, il connaît le droit. Pourquoi juge-t-il utile de passer par la présidence de la République plutôt que par la justice pour contribuer à la manifestation de la vérité ? On aurait pu imaginer que face à la pression médiatique, il s'exprime publiquement et explique au cours d'une conférence de presse quel avait été son rôle dans cette affaire, ce qui aurait contribué de manière spontanée et transparente à la manifestation de la vérité.
Je me demande enfin s'il n'y a pas eu là – je pèse mes mots – une forme d'instrumentalisation pour faire connaître, par présidence de la République interposée, le rôle qui a été le sien. Telle est mon analyse en cette semaine du 17 décembre. Lorsque je découvre l'intégralité de nos échanges dans la presse, en particulier dans Mediapart, je me dis que l'affaire prend une autre dimension. Et je n'aurai plus jamais aucun autre contact avec Michel Gonelle.
J'en suis arrivé à la conclusion que l'on a peut-être instrumentalisé la présidence de la République en y produisant un témoignage qui, à l'évidence, aurait dû être porté à la connaissance de la justice, et depuis longtemps, puisque, je le rappelle, l'enregistrement date de 2000. On l'a utilisée pour révéler le rôle de Michel Gonelle en cette affaire. L'attitude constante de la Présidence a été de considérer qu'il appartenait à la justice, et à elle seule, de démêler les fils de la vérité.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, les éléments factuels que j'ai cru utile de porter à votre connaissance et que j'ai complétés de quelques éléments d'analyse. Je suis bien entendu maintenant prêt à répondre à vos questions.
Soyons très précis. C'est le samedi 15 décembre que vous recevez l'appel de M. Gonelle. Il ne vous est pas possible de le rencontrer. Il vous expose sa version des faits et vous dit qu'il a un document pour le Président de la République.
Il aurait un courrier manuscrit.
Ce même samedi 15, vous avertissez le secrétaire général de l'Élysée et évoquez le sujet avec le Président de la République. Il vous est répondu que si l'intéressé a des documents, il doit les transmettre à la justice. À cette époque, il n'y a qu'une procédure judiciaire en cours, celle intentée par M. Cahuzac pour diffamation.
Vous souhaitez de nouveau joindre M. Gonelle au téléphone le 17 décembre. Mais pris par une autre communication, vous ratez son appel. Vous ne le rappelez pas ?
Non, je ne le rappelle pas.
Lorsqu'en milieu de semaine, la teneur de mon entretien avec Michel Gonelle commence de se répandre dans la presse, le chargé de communication de la Présidence me demande ce qu'il en est de cet entretien dont on parle. Je lui dis que je le confirme. Et nous convenons de répondre la stricte vérité : premièrement, cet entretien, au cours duquel Michel Gonelle a communiqué certaines informations, a bien eu lieu ; deuxièmement, ces informations ont vocation à être transmises à la justice. Il n'y a pas eu de communiqué de presse de la présidence de la République à proprement parler. C'est une réponse orale qui a été faite à des journalistes interrogeant la Présidence sur la teneur de cet entretien.
Dans cet entretien, M. Gonelle vous indique qu'il a fait copier cet enregistrement en deux exemplaires et que fin 2006-début 2007, il les a remis à Jean-Louis Bruguière ? Les deux ?
Il m'a dit qu'il lui en avait remis un. J'ignore ce qu'il est advenu du deuxième. Il me dit tout cela, je l'entends, mais je ne peux pas en juger.
Avez-vous par la suite entrepris quoi que ce soit pour obtenir des informations sur la réalité des affirmations de Mediapart ?
Non, je n'ai eu aucun autre contact sur cette affaire. Que les choses soient claires, le Président de la République ne m'a pas chargé de suivre à son cabinet ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire Cahuzac ». Si je suis aujourd'hui devant vous, c'est parce que j'ai été concerné de manière indirecte, à travers un coup de fil que j'ai reçu. Le Président ne m'a pas demandé de mener des investigations, de faire des vérifications, de passer des coups de fil sur quoi que ce soit. Mon implication dans cette affaire est strictement limitée à ce que je vous ai exposé ce matin.
Pourquoi n'avoir pas rappelé M. Gonelle après le 17 décembre ? Il aurait été simple de lui dire : « Si vous avez des éléments, transmettez-les à la justice. »
Après que nous nous sommes ratés le 17 décembre au matin dans les conditions que j'ai indiquées, je m'interroge, je me demande ce qu'il y a derrière tout cela. Je me dis qu'inévitablement il va me rappeler. La plupart des personnes qui n'arrivent pas à me joindre à un moment donné me rappellent un peu plus tard.
Michel Gonelle vous a dit lors de son audition que la présidence de la République ne l'avait pas rappelé. Je peux tout aussi bien dire qu'il ne m'a pas rappelé. Nous avions convenu de nous joindre de nouveau dans le courant de la semaine. Il n'avait pas été formellement précisé lequel de nous deux devait appeler. Dès lors qu'il était demandeur et souhaitait des indications de ma part, je m'attendais assez naturellement à ce qu'il me rappelle. Il ne l'a pas fait et comme, je le redis, je m'interrogeais sur la crédibilité de son témoignage, j'ai considéré qu'il était préférable d'attendre qu'il rappelle. S'il m'avait rappelé, j'aurais bien évidemment pris la communication et lui aurais dit ce qu'il était prévu que je lui dise, à savoir qu'il devait saisir la justice. Je n'en ai pas eu le temps puisque très vite, notre entretien a commencé d'être connu à l'extérieur.
Je me suis demandé comment la teneur de cet entretien, censé être confidentiel, avait pu être ainsi dévoilée. Il est un élément dont je n'avais pas connaissance le 15 décembre et que je n'ai appris que récemment, lorsque j'ai regardé, avec attention comme vous pouvez l'imaginer, la déposition de Me Gonelle devant vous. J'ai appris que le 14 décembre, Edwy Plenel et Michel Gonelle s'étaient rencontrés. Edwy Plenel, il l'a confirmé devant votre commission, lui a dit de se dévoiler, de dire la vérité, d'assumer le rôle qui a été le sien dans cette affaire. Michel Gonelle lui a répondu : « J'ai une autre idée ». Et le lendemain, le 15 décembre, il appelle – je cite – « une vieille connaissance de l'Elysée », votre serviteur.
Le 10 décembre, il déclare n'être pour rien dans cette affaire. Le 14 – mais cela, je ne le savais pas le 15 –, il rencontre Edwy Plenel, auquel il indique qu'il ne va pas se dévoiler mais « s'y prendre autrement ». Le 15, il m'appelle. Et en milieu-fin de semaine, la teneur de notre conversation se retrouve sur la place publique. Voilà la chronologie des faits sur laquelle il ne m'appartient pas de tirer de conclusions – c'est le rôle de votre commission. Mais quand j'ai parlé tout à l'heure d'instrumentalisation, de manoeuvres, d'utilisation de la Présidence de la République pour révéler une partie de la vérité sur cette affaire, j'ai le sentiment de ne pas être très loin de la réalité.
Il n'y a qu'un point de divergence avec la déclaration de M. Gonelle devant nous le 21 mai. Il prétend en effet que votre secrétariat lui aurait dit que vous le rappelleriez.
Ce n'est même pas un point de divergence. Je ne saurais pas vous dire précisément ce qu'a répondu ma secrétaire. A-t-elle dit « M. Zabulon vous rappellera » ou « Rappelez cet après-midi » ? Honnêtement, je n'en sais rien. Peut-être a-t-elle dit « M. Zabulon vous rappellera. » Ayant vu que M. Gonelle avait donné force détails sur ce point, j'ai tenu à vous expliquer précisément les conditions dans lesquelles nous nous sommes ratés le 17 au matin. La journée a ensuite passé. Réfléchissant à tout cela, je me suis dit que si Michel Gonelle souhaitait me parler, il avait mon numéro et savait où me joindre. Il savait aussi que je prendrais son appel puisque, la preuve, j'avais moi-même essayé de l'appeler le lundi matin. S'il avait voulu me parler, il n'aurait pas manqué de me rappeler, comme il avait su le faire le samedi matin et le lundi matin.
Vous nous dites n'avoir pas eu de contacts pour vous informer plus avant sur cette affaire. Des informations vous sont-elles remontées ?
Ma connaissance de cette affaire, je le dis avec solennité, rappelant que je témoigne sous serment, se limite à ce que j'ai lu dans la presse et à l'échange que j'ai eu avec Michel Gonelle.
Lorsque vous occupiez des fonctions dans la région de Jérôme Cahuzac, avez-vous, à un moment ou un autre, eu connaissance d'informations laissant entendre que celui-ci pouvait avoir un compte en Suisse ?
Je n'avais jamais entendu parler de cette affaire jusqu'aux révélations de Mediapart.
Vous n'avez rien entendu non plus concernant son dossier fiscal qui serait remonté dans la région ?
Je n'ai eu aucune information là-dessus.
Je suis nommé sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot en août 1997. Jérôme Cahuzac vient d'être élu député en juin, Michel Gonelle est maire de la ville. Ce sont deux personnalités politiques importantes de l'arrondissement. Les deux hommes affichent une courtoisie républicaine de bon aloi. Les choses se passent bien. Le sous-préfet que je suis perçoit bien qu'il y aura, tôt ou tard, un rendez-vous entre les deux hommes aux municipales. Jérôme Cahuzac a de l'ambition. À l'époque, les commentateurs s'accordent à dire qu'il s'agit d'un homme politique talentueux, manifestement en train de réussir son implantation dans le Lot-et-Garonne. Il est très présent. Il ferraille avec Jean François-Poncet, à l'époque sénateur et président du conseil général. Bref, c'est là la vie politique locale ordinaire d'un département, un peu agitée car on a du tempérament dans le Sud-Ouest. Mais à aucun moment, je n'entends parler de quoi que ce soit de trouble ou d'illégal concernant Jérôme Cahuzac.
Avez-vous eu connaissance de la note de la DCRI, demandée par le ministre, sur la banque UBS ?
Je n'ai jamais eu connaissance de cette note, dont j'ignore d'ailleurs si elle existe. Et je n'ai jamais eu entre les mains le moindre document écrit sur « l'affaire Cahuzac ». Je n'ai ici que des coupures de presse annotées.
Je rappelle aux membres de la commission que le ministre de l'intérieur nous a transmis cette note la semaine dernière. Je confirme que le nom de Jérôme Cahuzac n'y figure mais c'est une note sur la banque UBS.
Vous avez été, monsieur Zabulon, sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot du 9 juillet 1997 au 4 février 2000. Quelle était la nature de vos relations avec M. Gonelle ? Après votre départ du Lot-et-Garonne, avez-vous continué à avoir des relations avec celui qui était encore pour quelque temps maire de Villeneuve-sur-Lot ?
Pendant mes fonctions à la sous-préfecture de Villeneuve-sur-Lot, mes relations avec Michel Gonelle sont bonnes. Nous avons géré ensemble plusieurs dossiers lourds dans l'arrondissement, notamment la création d'une communauté de communes. Nous avons aussi dû faire face à une situation économique pas facile. J'ai avec lui, de même qu'avec le député de la circonscription et l'ensemble des élus, de bonnes relations, constructives et de travail. J'ai quitté Villeneuve-sur-Lot en février 2000 et n'ai pas revu Michel Gonelle depuis, ni n'ai eu aucun contact avec lui.
Pardon, en janvier ou février 2006, alors que sous-préfet d'Antony, je viens d'être nommé préfet délégué auprès du préfet de l'Essonne, il me passe un rapide coup de fil pour me féliciter.
Je n'ai pas d'explication sur-le-champ. Je suis surpris. C'est d'ailleurs pourquoi je suis très peu disert pendant l'échange, je l'écoute mais interviens très peu. À la réflexion, mon analyse est que Michel Gonelle porte depuis des années un fardeau, ce fameux enregistrement gravé sur CD qu'il a rangé dans un tiroir. Début décembre, il est sous la pression de la presse qui le somme de dire la vérité, Edwy Plenel l'a dit lui-même devant votre commission. Michel Gonelle cherche une issue. Peut-être a-t-il vu en ma personne, parce qu'il est vrai que j'avais des relations cordiales avec lui, une solution en se disant : « Je connais Zabulon à l'Elysée, il sera sûrement de bon conseil, je vais l'appeler. » Si ce n'est que Michel Gonelle est un homme de loi avisé. Ce n'est pas un débutant ne connaissant pas encore bien les institutions ni les circuits. Il n'ignore pas que ce n'est pas la voie normale, qu'il devrait soit parler publiquement, comme Mediapart l'incite à le faire, soit saisir la justice, comme il aurait d'ailleurs dû le faire depuis des années. J'ai l'impression qu'en m'appelant, il cherche une solution, une porte de sortie – qui se trouve juste être celle de la Présidence de la République. Porte de sortie quelque peu singulière !
D'après vos souvenirs, vous a-t-il dit qu'il avait préparé une lettre pour le Président de la République qu'il voulait vous remettre pour que vous la lui transmettiez ?
Il m'a parlé à coup sûr d'un courrier destiné au Président. Souhaitait-il le remettre à moi en personne ou l'envoyer ? Je ne sais plus précisément. Mais je confirme qu'il avait bien un courrier à l'intention du Président.
Non, un courrier simplement.
Non. En tout cas, pour ma part, je ne l'ai jamais vu. Je n'ai certes pas rappelé Michel Gonelle le 17 décembre. Mais rien ne l'empêchait de déposer ce courrier à la boîte aux lettres du 55, rue du faubourg Saint-Honoré ou de l'envoyer par la Poste. Or, celui-ci n'est jamais arrivé.
Dans le courant de la semaine, en même temps que tout cela se décante dans mon esprit, je constate tout d'abord qu'il ne me rappelle pas, ensuite qu'aucun courrier ne me parvient, mais qu'en revanche, assez vite, la presse évoque notre entretien. Je cite « Interrogé sur cet échange, Michel Gonelle déclare : « Je ne démens pas » »
Supposition de ma part.
Quelles étaient les voies possibles pour Michel Gonelle ? Saisir la justice, ce qu'il aurait dû faire depuis longtemps, conformément aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale, quand bien même aucune instruction n'était ouverte ni aucune procédure lancée. À ma connaissance, il n'est pas nécessaire qu'une procédure soit engagée pour saisir la justice de faits susceptibles de constituer une infraction.
Deuxième voie possible : rendre public son rôle dans l'affaire, organiser une conférence de presse où il aurait confirmé être le détenteur de l'enregistrement et indiqué ce qu'il en avait fait. Il n'a utilisé ni l'une ni l'autre de ces voies, mais une troisième, faisant appel, dit-il, à « une vieille connaissance ».
En préalable, je voudrais rappeler que cette commission d'enquête n'a pas vocation à s'intéresser à Me Gonelle spécifiquement. Il est étonnant que ce matin nous ne cessions de revenir sur lui.
La seule raison pour laquelle nous avons demandé à M. Zabulon de venir témoigner devant nous est que M. Gonelle a pris contact avec lui dans ses fonctions de directeur adjoint du cabinet du Président de la République. Voilà pourquoi nous avons parlé de M. Gonelle.
Monsieur Zabulon, le 15 décembre, vous étiez occupé par les préparatifs de l'arbre de Noël de l'Élysée. Pour autant, la conversation téléphonique que vous avez avec Me Gonelle a dû être assez longue puisqu'il a eu le temps de vous livrer les deux éléments clés de cette affaire, à savoir la façon dont il s'est retrouvé en possession de l'enregistrement et comment un exemplaire a été donné à M. Bruguière. Il faut un certain temps pour raconter toutes ces péripéties. Il nous a dit qu'il vous avait rappelé le mardi 18 décembre. Vous dites, vous, que c'est le lundi 17. Qu'en est-il précisément ?
Vous avez jugé préférable que ce soit lui qui vous rappelle, mais il avait déjà fait deux démarches : il vous avait appelé, puis rappelé. Lorsqu'on connaît un peu Me Gonelle – nous l'avons auditionné –, il était évident qu'il ne reviendrait pas à la charge une troisième fois. Il est un peu facile de dire que vous attendiez qu'il vous rappelle. Si vous n'aviez d'autre message à lui faire passer que « Saisissez la justice » – conformément aux ordres que vous avait donnés le Président de la République –, vous auriez parfaitement pu l'appeler, vous, et lui dire que le Président souhaitait qu'il transmette à la justice tous les éléments dont il disposait.
Notre conversation a duré un quart d'heure, vingt minutes environ. J'ai pris le temps de l'écouter très attentivement, sans l'interrompre.
Je confirme qu'il m'a rappelé le lundi 17 au matin, et non pas le mardi 18. J'ai ici une photocopie de la page du cahier d'appels – j'ai tenu à vérifier ce point.
Après avoir tenté de le rappeler et l'avoir raté dans les conditions que je vous ai expliquées, j'ai en effet considéré qu'il pouvait sans difficulté me rappeler, et d'ailleurs pensé qu'il le ferait assez vite. J'aurais bien sûr pris son appel et lui aurais fait part de la position du Président de la République sur cette affaire. Le temps en a manqué puisque dès le lendemain ou le surlendemain, on commençait à parler dans la presse de cet entretien, censé avoir été confidentiel. Si je ne l'ai pas rappelé, madame la députée, c'est pour ne pas alimenter un feuilleton « Échanges ZabulonGonelle » à l'intérieur d'une affaire déjà assez sensible et assez compliquée. Michel Gonelle n'avait pas besoin de recevoir des instructions ni des conseils de la Présidence de la République pour remplir son office de citoyen qui détenait des informations sur une affaire alors à la une.
Vous êtes un éminent professionnel de l'action publique, expérimenté et reconnu comme tel. Vous avez été nommé préfet délégué par décret du Président Chirac en 2006 ; préfet de département par décret du Président Sarkozy à deux reprises, en Corrèze puis dans les Landes. Vous êtes désormais directeur adjoint du Président Hollande et, si l'on en croit la presse, vous pourriez être nommé demain en Conseil des ministres coordonnateur national du renseignement, preuve de la très grande confiance personnelle du Président de la République à votre endroit.
Mes questions portent sur les instructions qu'il vous a données le 15 décembre, et peut-être postérieurement. Vous nous avez expliqué que, dans son bureau, le 15 décembre, lorsque vous lui rendez compte, en présence du secrétaire général de l'Élysée, de votre entretien avec Me Gonelle, il vous dit « Si vous avez un nouveau contact [avec M. Gonelle], dites-lui que ces informations doivent être portées à la connaissance de la justice. » L'avez-vous par la suite informé de l'absence de nouveau contact ? Y a-t-il eu une note, un compte-rendu sur le fait que vous aviez échoué à entrer en contact avec Me Gonelle ? Avez-vous eu un entretien avec la directrice de cabinet, le secrétaire général de la Présidence ou le Président de la République lui-même à ce sujet ?
La présidence de la République a-t-elle envisagé de porter à la connaissance de la justice la teneur de l'entretien téléphonique dont vous rendez compte aujourd'hui pour la première fois publiquement devant notre commission ? Pourquoi ne pas avoir transmis un compte-rendu succinct à l'autorité judiciaire, peut-être sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ?
Vous nous avez dit, monsieur le directeur, n'avoir pas été chargé par le Président de la République de suivre pendant les semaines qui ont suivi cet entretien, ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire Cahuzac ». Qui, à l'Élysée, en a été chargé ? Je ne peux imaginer qu'aucun collaborateur du Président de la République ne l'ait tenu personnellement, directement et précisément, informé des suites de cette affaire ? Si ce n'est pas vous, qui devons-nous auditionner ? Sylvie Hubac, sa directrice de cabinet ? Pierre-René Lemas, secrétaire général de l'Élysée ?
S'agissant de votre première question, en milieu ou en fin de semaine, à l'occasion d'une réunion de travail, le Président de la République m'a demandé si j'avais eu un nouveau contact avec Michel Gonelle. Je lui ai répondu que non. Il m'a dit : « De toute façon, cet entretien est maintenant rapporté dans la presse, je ne vois pas l'utilité de le rappeler. S'il rappelle, parlez-lui. » J'ai bien informé le Président de ce que Michel Gonelle ne m'avait pas rappelé et que je ne l'avais pas moi-même appelé.
En ce qui concerne la saisine de la justice, il ne faut pas inverser les rôles. C'est celui qui détient les informations qui doit les porter à la connaissance de la justice, pas celui auquel elles sont rapportées. Lorsque Michel Gonelle me fait connaître le 15 décembre quel a été son rôle en cette affaire, je ne dispose pas de preuves tangibles, seulement d'un témoignage oral, lequel diffère d'ailleurs de ce qu'il a déclaré cinq jours auparavant. Si quelqu'un devait saisir la justice, c'était l'intéressé, pas la Présidence.
Pour ce qui est du suivi de ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire Cahuzac », j'imagine que le Président de la République, homme avisé, a eu les moyens de se renseigner s'il le souhaitait, a eu des contacts ou échangé sur cette affaire avec qui il le souhaitait. Mais dans l'organigramme de la présidence de la République, aucun collaborateur n'est chargé de rédiger chaque semaine une note sur « l'affaire Cahuzac ». Comme le Président l'a rappelé de manière constante, cette affaire, bien que présentant une dimension politique évidente, relève avant tout de la justice. Et le Président respecte la séparation des pouvoirs.
Je ne voudrais pas que votre réponse laisse sous-entendre que sur les bancs de l'opposition, il y aurait un flottement sur ce point. Il va de soi que le Président de la République est le garant de l'indépendance de la justice. Ma question n'était pas de savoir si le chef de l'État avait donné instruction d'intervenir dans le cours de la procédure. Mais il va aussi de soi, Monsieur le directeur, sauf à envisager que le Président de la République collecte lui-même les éléments d'information et élabore lui-même ses revues de presse, qu'un collaborateur – en tout cas je veux le croire pour le bon fonctionnement de la Présidence – lui rend compte des différents développements de l'affaire.
De ce qui figure dans la presse, oui. J'ai moi-même ici une revue de presse complète, comme tout le monde. Chaque jour a amené son lot de révélations dans cette affaire. Bien évidemment, le service de presse de l'Élysée, qui fait son travail, n'a pas manqué de communiquer les éléments de presse, pas seulement au Président de la République d'ailleurs, mais à tous les collaborateurs.
Je voudrais revenir un instant sur les dates. J'en étais moi aussi resté à la date du mardi 18 pour le deuxième échange. Il me semble bien qu'il dit que lors du premier entretien, vous lui dites que vous le rappellerez, que vous l'avez rappelé le mardi mais que la communication, établie avec la standardiste, s'est coupée. Ce n'est pas lui qui a eu l'initiative du rappel, mais vous.
Je reviens à ma question : qui a eu l'initiative du second appel ?
Deuxième question : l'affaire Cahuzac n'est pas banale, il s'agit tout de même d'un ministre. Maire depuis longtemps, il m'est arrivé que l'on me communique des informations sur tel conseiller municipal ou tel adjoint. Je n'invite pas les informateurs à s'adresser à la police, je leur pose des questions, je m'entretiens aussi avec la personne concernée en lui rapportant « qu'on m'a dit que… ». Ce sont là choses courantes. Comment, entre le 15 décembre, date à laquelle la Présidence a eu connaissance de votre échange avec M. Gonelle, et la date à laquelle M. Cahuzac a reconnu qu'il avait un compte – il a d'ailleurs jusqu'à présent été le seul à le dire, personne ne l'a encore démontré –, le Président de la République a-t-il pu vivre avec cela, comme on marcherait avec un clou dans sa chaussure ?
Troisième question : vous-même, Monsieur Zabulon, depuis votre entretien avec M. Gonelle – lequel n'a pas été très « sympa », disons, de vous envoyer ainsi la balle –, comment vivez-vous cela ? Au moment où la France ne bruisse que de cette affaire et en oublie même la situation économique, conservez-vous le secret total ou avez-vous des échanges avec des collègues ? Vous interrogez-vous ?
Pour ce qui est de votre première question, je tiens à la disposition de la commission la photocopie du cahier d'appels. Dans ce cahier, on peut voir que Michel Gonelle a rappelé le lundi 17 décembre au matin. Comme je l'ai déjà dit, je suis à ce moment-là en réunion d'agenda. Lorsque je remonte dans mon bureau, ma secrétaire me signale que j'ai eu deux ou trois appels, dont l'un de Michel Gonelle. Je lui demande de rappeler ces correspondants. Au moment où elle s'apprête à me passer Michel Gonelle, dont elle a donc composé le numéro à ma demande, je prends un appel en interne et je rate Michel Gonelle. Je repars ensuite en réunion et en rendez-vous, vous imaginez aisément le rythme soutenu d'une journée au cabinet du Président de la République. En fin de journée, lorsque je fais le point sur mes appels, je constate que Michel Gonelle ne m'a pas rappelé. Peut-être s'attendait-il à ce que je le rappelle, soit. En tout cas, il n'y a pas eu de nouveau contact avec lui. Compte tenu de ce dont nous avions convenu le samedi 15, il aurait logiquement dû me rappeler. D'ailleurs, il l'a fait le lundi 17 au matin. Comme je n'étais pas à mon bureau à ce moment-là, je l'ai fait rappeler. Il n'a plus rappelé. Et le surlendemain, la teneur de notre échange a fuité dans la presse. À partir de là, je me devais d'être prudent, ne souhaitant pas alimenter un feuilleton où tout ce que je pourrais éventuellement dire à Michel Gonelle risquait de se retrouver dans la presse, dans une affaire, la suite l'a prouvé, susceptible de connaître un développement judiciaire. J'ai considéré que s'il ne me rappelait pas, c'est qu'il avait de bonnes raisons, que j'ai d'ailleurs comprises par la suite.
Vous me demandez ensuite comment le Président de la République a vécu avec cette information. Je le redis, dans le contexte du 15 décembre, où l'affaire est toute récente, les accusations de Mediapart ne remontant qu'à dix jours, où le ministre n'est ni mis en examen ni même cité à comparaître, où la seule procédure judiciaire en cours est sa plainte en diffamation, nous n'accordons qu'avec beaucoup de prudence crédit à ce témoignage à charge de Michel Gonelle, embarrassant pour le ministre. Est-il vrai que Michel Gonelle a détenu cet enregistrement et qu'il l'a donné à Jean-Louis Bruguière ? Rien ne le prouve. Je n'en sais rien, je ne dispose d'aucun élément pour en juger. Le rôle de la Présidence de la République n'est pas de mener des investigations. On aurait presque reproché au Gouvernement de n'avoir pas diligenté je ne sais quelle enquête par des moyens détournés. Nous prenons l'information qui nous a été donnée comme un témoignage, à ce stade non avéré, non prouvé. Voilà comment nous avons vécu cette période, jusqu'à ce que la vérité ensuite se révèle. À la mi-décembre, la plupart des observateurs sont très prudents et s'interrogent sur la réalité des accusations. Nous sommes dans un contexte où on considère que l'on peut donner crédit au ministre de sa bonne foi.
Comment la presse a-t-elle pu avoir connaissance de la teneur de votre entretien avec M. Gonelle ?
Que vous dit Jérôme Cahuzac lorsque vous lui relatez ce témoignage tout de même très embarrassant ? Je n'imagine pas qu'il l'ait balayé d'un revers de main.
Avez-vous évoqué votre entretien avec Me Gonelle avec des membres du cabinet de Jérôme Cahuzac ou de Pierre Moscovici ?
J'ignore comment Mediapart a eu connaissance de l'échange que j'ai eu avec Michel Gonelle et qui lui en a communiqué la teneur. Edwy Plenel a déclaré devant votre commission que c'était « de source officielle ». Journaliste, il possède un privilège que je n'ai pas : il a le droit de ne pas révéler ses sources. Il m'est donc difficile de le contredire. Je puis en revanche vous certifier que ce n'est pas moi qui ai informé la presse. Je ne vois d'ailleurs pas quel intérêt aurait eu la Présidence de nourrir un mauvais feuilleton et de donner une dimension de roman policier à cette affaire.
Lorsque j'appelle Jérôme Cahuzac pour l'informer de l'échange que j'ai eu avec Michel Gonelle, je sens un homme quelque peu sous pression – on le serait à moins : les accusations portées contre lui par Mediapart sont graves, sa vie privée aussi est étalée sur la place publique. L'entretien est bref. Il me remercie de l'avoir prévenu et ne fait pas+ de commentaires.
S'agissant de votre dernière question, je suis toujours resté discret sur cette affaire. Bien sûr, une fois cet échange abondamment commenté dans la presse, nous en avons parlé en interne au cabinet. Lorsqu'un collègue m'interrogeait, je répondais qu'en effet j'avais eu Michel Gonelle au téléphone et que ce que rapportait la presse correspondait dans les grandes lignes à ce qu'il m'avait dit. Nous en avons parlé, comme nous parlons tous les jours autour du café des sujets ou des affaires d'actualité. Mais rien de plus. Et je n'ai eu aucun contact ni avec le cabinet de Jérôme Cahuzac ni avec celui de Pierre Moscovici. J'y insiste, je ne suis pas chargé de suivre « l'affaire Cahuzac » au cabinet du Président de la République.
Monsieur le directeur, l'article 40 du code de procédure pénale dispose que « Toute autorité constituée, tout officier public ou tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République. ». Lors de votre échange téléphonique avec M. Gonelle, vous apprenez que M. Cahuzac pourrait détenir, directement ou indirectement, un compte bancaire en Suisse ou être bénéficiaire d'un tel compte. Vous apprenez qu'une preuve circule. Vous apprenez même le nom d'un magistrat qui la détient. Et vous nous dites que ce n'était pas à vous, collaborateur du Président de la République, de saisir la justice. Un courrier simple aurait suffi : c'est d'ailleurs souvent ainsi que sont saisis les procureurs sur des faits en apparence parfois très banals et qui, après enquête préliminaire, se révèlent majeurs. Selon vous, il appartenait à M. Gonelle, ancien parlementaire, ancien maire, qui avait donc été officier public, de saisir le procureur. Qu'une autre autorité ait été susceptible de saisir le Parquet ne vous dispensait pas, vous, haut fonctionnaire, de surcroît l'un des plus haut placés dans l'organisation de l'État, de le faire.
L'article 40 du code de procédure pénale vous imposait – cet article ne dit pas « peut », mais « est tenu de » – de saisir sans délai la justice des faits délictueux dont vous veniez d'avoir connaissance. Vous ne l'avez pas fait. On entendra sans doute au cours de nos auditions qu'il y avait une autre voie, celle de la convention fiscale franco-suisse de 1966, parfaite illustration de l'art d'établir une convention internationale pour qu'elle ne soit jamais appliquée. Cette voie-là est très insuffisante pour rechercher la vérité. Je suis de ceux qui pensent que la voie la plus appropriée est la voie pénale et la saisine du Parquet.
Au moment de votre entretien avec Michel Gonelle, connaissiez-vous bien les dispositions de cet article 40 et toutes les opportunités qu'elles offrent ? Si oui, pourquoi n'avez-vous pas saisi le procureur de la République ? En quelques jours, en tout cas bien avant les fêtes de Noël, la vérité aurait pu éclater au grand jour.
Je considère, pour ma part, que sur la base de ce seul témoignage oral, dont, le 15 décembre, on peut douter de la crédibilité et de la cohérence puisqu'il dit le contraire de ce qui a été déclaré cinq jours auparavant, il n'y a pas d'élément pour que la présidence de la République saisisse la justice. Si M. Gonelle avait envoyé le courrier dont il m'a parlé, les choses auraient été différentes. Devant une lettre de dénonciation, on est tenu d'agir. Il est fréquent que la présidence de la République en reçoive, sur des faits divers les plus banals. Mais en l'espèce, quel est l'élément tangible et solide sur le fondement duquel la Présidence aurait pu saisir le procureur ? On n'aurait pas manqué de nous dire que nous agissions avec bien peu d'éléments en mains. C'était à M. Gonelle qu'il appartenait de saisir la justice. Il aurait d'ailleurs dû le faire depuis 2000 où il était entré en possession de cet enregistrement.
Dans notre procédure pénale, c'est le procureur de la République qui décide de l'opportunité des poursuites, pas le haut fonctionnaire ou le détenteur de l'autorité publique qui reçoit l'information.
Dans l'affaire qui nous occupe, on a l'impression que l'administration s'est substituée au Parquet pour juger que les éléments dont elle avait connaissance n'étaient pas suffisants pour décider d'aller plus loin. C'est là que le système a dysfonctionné. La haute fonction publique, avec tout le respect qu'on lui doit, a pris le rôle du Parquet, alors qu'une enquête aurait permis d'établir très vite la vérité. Il eût mieux valu qu'une enquête diligentée par le Parquet ne débouche sur rien plutôt que l'administration ne se taise.
Sauf erreur de ma part, l'enquête préliminaire a été engagée début janvier, soit un petit mois seulement après les révélations de Mediapart. On a connu la justice plus lente dans certaines affaires. Edwy Plenel lui-même a reconnu devant votre commission que la justice avait pu travailler sans entrave, c'est tout dire.
Peut-être pensez-vous, monsieur le député, que le Président de la République a voulu étouffer l'affaire. En ce cas, il ne m'aurait pas donné l'instruction de dire à M. Gonelle de saisir la justice. Il m'aurait dit : « Récupérez cette lettre, prenez le CD et placez le au coffre. »
Un mot à l'intention de notre collègue sur le calendrier. L'enquête préliminaire a été lancée le lendemain même du jour où a été établie l'authenticité de l'enregistrement. L'administration a fait son travail et la justice a ouvert l'enquête sans délai.
Falletti a dit en effet qu'à partir du moment où la justice est saisie, les choses vont très vite. J'ai toujours considéré que la convention franco-suisse de 1966 était très formelle et ne permettait pas d'établir la vérité dans des affaires précises. Pour bien connaître ces questions, étant député de l'Ain, département frontalier de la Suisse, j'ai constaté en revanche – c'est d'ailleurs pourquoi le procès fait à la Suisse est particulièrement injuste – que lorsqu'un juge d'instruction français lance une commission rogatoire et adresse une demande de coopération au procureur de la République de Genève, M. Bertossa, reconnu comme un homme d'exception en matière de coopération dans la lutte contre le crime, la réponse peut être obtenue en 48 heures quand l'affaire le justifie.
On ne peut pas s'empêcher de penser qu'à un moment, l'article 40 aurait pu être utilisé. En décembre dernier, mais aussi peut-être avant, depuis une sous-préfecture du Lot, ou depuis des services fiscaux où est passée entre les mains de nombreux hauts fonctionnaires une note comportant le nom de M. Cahuzac.
Ce n'est pas, comme vous le dites, que je suspecterais le Président de la République. Mais nous sommes ici dans une commission d'enquête. Nous ne jugeons pas des intentions, mais des faits. Nous cherchons à repérer les éventuels dysfonctionnements dans l'action du Gouvernement et les services de l'État.
Nous serons amenés à reparler de la convention fiscale avec la Suisse. C'est un sujet important, mais différent.
Monsieur Zabulon, vous avez été sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot de 1997 à 2000. Durant ces trois années, vous avez connu deux préfets, M. Vacher et M. Jacquet ; vous avez vu le directeur des services fiscaux, le trésorier-payeur général, les services de gendarmerie et de police ; vous avez rencontré le président du tribunal de grande instance et le procureur de la République. Pouvez-vous nous dire sous serment qu'à aucun moment, vous n'avez entendu une rumeur sur le train de vie de M. Cahuzac ?
Sous serment, je vous réponds que je n'ai jamais entendu la moindre rumeur de cette nature sur Jérôme Cahuzac à cette époque.
Certaines des questions qui vous ont été adressées, monsieur le préfet, traduisent une certaine confusion quant à la répartition des pouvoirs et au rôle de chacun.
Vous avez confirmé que votre entretien avec M. Gonelle a duré au moins un quart d'heure et qu'au cours de cet entretien, il a été amené à vous dire qu'il possédait l'enregistrement depuis une bonne dizaine d'années…
Vous aviez conservé de M. Gonelle, nous avez-vous dit, un souvenir plutôt cordial. Dix ans plus tard, il se manifeste auprès de vous à propos de faits un peu tordus, pardonnez-moi l'expression. Je ne sais pas quelle image vous vous faites de lui à ce moment-là. Mais pour ma part, je ne vois pas comment devant un tel interlocuteur, vous pourriez vous dire en tant que membre du cabinet du Président de la République, que vous devriez saisir la justice ou suggérer au Président de le faire. Je n'ai pas bien compris si notre collègue Blanc voulait dire que, haut fonctionnaire, vous auriez dû saisir vous-même la justice ou demander au Président de le faire, – alors que, soit dit au passage, cela aurait plutôt incombé au Gouvernement.
J'essaie de me mettre à votre place, monsieur Zabulon. À la suite d'un tel entretien avec une telle personne, même si vous aviez conservé d'elle un souvenir plutôt positif, comment auriez-vous pu considérer disposer d'assez d'éléments pour saisir la justice ? Serait-ce le fonctionnement normal d'une présidence de la République ? Cela signifierait-il alors que, dès qu'un membre de cabinet du Président reçoit des informations, et Dieu sait si certains ont dû en recevoir par le passé et si d'autres en recevront dans l'avenir, il doit saisir la justice, indépendamment de la crédibilité du témoignage ?
À M. Zabulon. Je lui demande si, au vu de son expérience, c'est l'image qu'il pourrait se faire du fonctionnement normal de la présidence de la République.
Je partage votre analyse, madame la députée. Sur la base des éléments qui me sont communiqués le 15 décembre, je considère qu'il n'y a pas matière à saisir le procureur. Je ne dispose que d'un témoignage incertain, sans preuves. Je n'ai entre les mains ni courrier de dénonciation ni je ne sais quelle disquette prouvant je ne sais quoi – à supposer d'ailleurs que j'en ai eu une, il aurait fallu faire expertiser la voix enregistrée. Ce n'est pas là le rôle de la présidence de la République. Le Président est très attaché à la séparation des pouvoirs, il l'a montré en cette affaire. L'instruction qu'il m'a donnée est la seule, à laquelle je m'attendais d'ailleurs, qu'il pouvait me donner. C'est à celui qui détient ou croit détenir des informations importantes dans une affaire susceptible de déboucher sur une procédure judiciaire, de les porter à la connaissance de la justice. Voilà le mode de fonctionnement normal des institutions. Je le redis, entre le moment où Mediapart révèle cette affaire et celui où est déclenchée l'enquête préliminaire, il ne se passe qu'un mois, trêve des confiseurs comprise. On a vu des affaires où les processus ont été beaucoup plus lents.
Monsieur le directeur, lorsque vous étiez sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot, vous avez pu constater, nous avez-vous dit, que Michel Gonelle et Jérôme Cahuzac entretenaient des relations républicaines très courtoises. D'évidence, ils se supportaient l'un l'autre sans trop de difficulté. N'êtes-vous pas surpris lorsque Michel Gonelle vous appelle dans une affaire mettant en cause celui avec lequel il avait ce type de relations ?
Michel Gonelle a-t-il évoqué avec vous le contenu de la lettre qu'il souhaitait envoyer ou faire remettre au Président de la République ? En effet, au cours de l'entretien qu'il a avec vous, il vous dit l'essentiel de ce qu'il a à vous dire. Quelles informations supplémentaires pouvait contenir cette lettre ? Vous en a-t-il parlé ? Vous-même, n'avez-vous pas eu envie de savoir ce qu'elle pouvait contenir de plus ?
Vous l'avez dit vous-même, Michel Gonelle est un homme de loi avisé. N'avez-vous pas pensé que l'on avait cherché à vous piéger et à piéger la présidence de la République de manière un peu grossière ?
À votre dernière question, la réponse est oui. J'ai eu le sentiment qu'il pouvait y avoir, je l'ai dit, une forme d'instrumentalisation – je n'ai pas parlé de piège, ne souhaitant pas être désobligeant à l'égard de Michel Gonelle. Ma conviction que ce coup de fil n'était pas seulement un coup de fil à une « vieille connaissance » a été renforcée par ce qu'il vous a déclaré ici même : « L'enquêteur de Mediapart et son patron ont demandé à me rencontrer, et nous nous sommes vus le vendredi 14 décembre à Paris, dans mon hôtel. Ils souhaitaient que je me dévoile. Je leur ai répondu que je n'avais pas l'intention de le faire de la façon à laquelle ils pensaient, sans leur préciser mon intention de m'adresser au Président de la République. ». Je ne suis pas totalement naïf, quand bien même j'avais eu en son temps des relations tout à fait cordiales et constructives avec cet élu dans l'arrondissement de Villeneuve-sur-Lot.
S'agissant de la lettre, ce que j'ai compris des propos de Michel Gonelle est que son contenu ne faisait que formaliser par écrit ce qu'il m'avait expliqué oralement. Il ne m'a pas dit qu'elle contiendrait d'autres révélations. Il m'a seulement dit qu'il avait préparé ou allait préparer – sur ce point, je ne sais plus exactement – un courrier expliquant tout cela.
Pour ce qui est des relations entre Michel Gonelle et Jérôme Cahuzac, je vais vous dire ce que j'en ai connu et ce que j'en ai vu. Pendant la période où je suis sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot, les deux hommes ont une relation que je qualifierais de courtoisie républicaine. Dans les inaugurations ou les manifestations publiques, ils se respectent. Comme vous le savez, selon le protocole, c'est toujours le sous-préfet qui s'exprime en dernier. Il arrive parfois que les deux élus qui prennent la parole avant lui « s'écharpent » : j'ai connu de telles situations. À Villeneuve-sur Lot à l'époque, ce n'est pas le cas. Je perçois bien néanmoins que se profile un rendez-vous pour les municipales de 2001, rendez-vous qui a d'ailleurs eu lieu. Ayant quitté le Lot-et-Garonne en février 2000 mais continuant à suivre de loin la vie politique du département, comme de tous les lieux où j'ai occupé un poste, j'ai vu que la campagne de 2001 avait sans doute quelque peu dégradé les relations entre les deux hommes. Mais je n'en sais rien, car je n'ai de contact ni avec l'un ni avec l'autre. Je me souviens avoir dit au préfet avant de quitter le département que ce rendez-vous des municipales risquait d'être un peu musclé.
Quelques jours avant le 15 décembre, j'avais lu dans la presse que Michel Gonelle disait ses relations avec Jérôme Cahuzac « apaisées », maintenant qu'il était retiré de la vie politique. Je cite, je ne sais pas s'il a dit quelque chose de tel, en tout cas c'est ce que met un journaliste dans sa bouche sur le mode ironique : « Il lui est reconnaissant d'avoir remporté la mairie en 2001. » Peut-être n'est-ce qu'une boutade.
Si les relations entre les deux hommes sont « apaisées » et si Michel Gonelle, comme il le dit, ne souhaite pas nuire à Jérôme Cahuzac, pourquoi a-t-il conservé cet enregistrement pendant sept ans et surtout, pourquoi l'a-t-il donné à Jean-Louis Bruguière ? Avec lequel il a d'ailleurs échangé quelques noms d'oiseau à la suite des révélations de Mediapart. C'est tout de même donner un CD à l'adversaire politique déclaré de Jérôme Cahuzac. Si on veut du bien à quelqu'un, on ne fait pas cela. C'est pourquoi lorsque je reçois son témoignage, pardon d'y insister, je suis plus que circonspect sur sa crédibilité. Je m'interroge et dis d'ailleurs au Président de la République : « Sur ce que j'ai entendu ce matin, prudence ! » C'est là qu'il me répond : « Courrier, CD, ce n'est pas à nous d'enquêter. Que Michel Gonelle saisisse la justice. » Le 15 décembre et les jours qui suivent, je m'interroge vraiment sur la crédibilité de ce témoignage, je vous le dis en toute honnêteté.
Après votre entretien téléphonique avec M. Gonelle, vous vous interrogez fortement sur la crédibilité de son témoignage. Vous avez convenu de reprendre contact. Il a promis de vous remettre un courrier comportant des éléments plus précis. Je partage l'avis de M. Gorges, nous avons tous connu dans nos fonctions respectives des situations de cette nature, où nous essayons de repérer ce qui pourrait constituer une instrumentalisation. Puis le contact du lundi matin avorte. Ensuite, si j'ai bien compris, le mercredi, l'Élysée fait une communication – vous avez fait état d'un contact avec le chargé de communication – dans laquelle la Présidence confirme que cet échange a eu lieu mais surtout dit publiquement, y compris donc aux yeux de la justice, à M. Gonelle, dont on sait à ce moment-là qu'il détient l'enregistrement, de saisir la justice.
Je reviens sur le débat qui s'est engagé tout à l'heure, anticipant d'ailleurs les conclusions de notre commission d'enquête : fallait-il ou non mettre en oeuvre l'article 40 ? L'Élysée a fait une communication officielle. Le chargé de communication a-t-il eu des contacts avec le secrétaire général de la Présidence pour ca ler les éléments de langage ? En tout cas, il a été officiellement acté que vous aviez bien eu un contact avec M. Gonelle et qu'on l'invitait à saisir la justice. Est-ce bien ainsi que les choses se sont passées ?
Vous connaissez bien M. Gonelle. Pour notre part, nous l'avons auditionné et avons même décidé de l'entendre de nouveau car certaines de ses déclarations sont incompatibles avec ce que nous avons appris par la suite. Avez-vous eu par le passé l'occasion par le passé de prendre avec réserve ce qu'il pouvait vous dire, compte tenu de sa personnalité ? Si oui, lorsqu'il vous appelle le 15 décembre, avez-vous le même réflexe ?
Dernière question, dont je ne sais si vous pourrez y répondre mais que je vous pose parce que vous avez été trois ans sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot. Pourquoi, à votre avis, M. Gonelle n'a-t-il pas utilisé cet enregistrement directement ni en 2000 ni en 2006, alors qu'il l'a utilisé deux fois indirectement, la première en le faisant écouter à un ami inspecteur des impôts, la deuxième en le remettant au juge Bruguière, à chaque fois à l'approche d'échéances électorales ? Les relations « cordiales » dont il est fait état entre M. Gonelle et M. Cahuzac et que M. Gonelle se soit félicité que son opposant ait gagné la mairie, tout cela paraît étrange. Comment l'expliquez-vous ?
Dès lors que je ne sais plus quel journaliste demande à la présidence de la République si elle confirme qu'il y a bien eu un contact entre Michel Gonelle et un collaborateur du Président, elle n'a aucune raison de ne pas le confirmer.
Je vous donne lecture de la pièce : « L'enregistrement des propos prêtés au ministre du budget et évoquant un compte en Suisse appartiendrait à l'ancien maire de Villeneuve-sur-Lot, Michel Gonelle, évincé par Cahuzac aux municipales de 2001 ». C'est le titre de la dépêche.
On lit ensuite : « Le détenteur de la bande enregistrée sur laquelle le ministre du budget Jérôme Cahuzac avouerait détenir un compte en Suisse est bien son ancien rival Michel Gonelle, selon Mediapart, et il a contacté l'Élysée, a confirmé vendredi la présidence, interrogée par l'AFP « Nous confirmons que Michel Gonelle a bien eu, il y a quelques jours, un contact avec le directeur de cabinet adjoint de François Hollande, Alain Zabulon », a-t-on déclaré dans l'entourage du Président. « Nous l'invitons à remettre tous les éléments à la justice », a-t-on précisé de même source, estimant toutefois qu'il « n'y avait aucun élément tangible ». « S'il dispose réellement d'éléments, qu'il s'adresse à la justice puisqu'il y a une procédure judiciaire », a ajouté l'entourage du chef de l'État. »
À la date du 15 décembre, nous ne connaissons pas encore la suite. De quoi disposons-nous ? Un organe de presse a porté une accusation. Ce média certes documente, explique, fait révélation après révélation, mais c'est tout. Je n'ai ni courrier ni CD. C'est ce que nous voulons dire par « aucun élément tangible », à ce stade.
Pour répondre à votre question, monsieur le député, sur la communication de la Présidence, je confirme ce que vient de lire le président de Courson. Interrogée par la presse, la Présidence confirme que ce contact a bien eu lieu – il n'y avait aucune raison de le dissimuler – et que Michel Gonelle est invité à saisir la justice.
Comment ai-je perçu le témoignage de Michel Gonelle ou son attitude ? Pendant deux ans et demi, nous avions collaboré de manière fructueuse dans l'arrondissement de Villeneuve-sur-Lot. Depuis vingt ans que j'exerce dans la préfectorale, j'ai toujours eu de bonnes relations avec les élus, avec M. Gonelle comme avec les autres. Nous avons fait avancer ensemble des dossiers. Mais depuis lors, de l'eau a coulé sous les ponts, Jérôme Cahuzac a ravi la mairie, a été battu aux législatives en 2002 avant d'être réélu en 2007. Ayant quitté le Lot-et-Garonne, je suis cela de très loin. Lorsque je reçois ce coup de fil le 15 décembre, j'ai plutôt en tête ce que Michel Gonelle a déclaré quelques jours auparavant – car j'ai lu ses déclarations où il dit n'avoir jamais détenu cet enregistrement et qualifie cette histoire d'invraisemblable. Je m'attends plutôt à ce qu'il me confirme qu'il n'est absolument pour rien dans cette affaire. C'est d'ailleurs pourquoi, lorsqu'il me dit « Vous vous doutez de l'objet de mon appel ? », je lui réponds « Oui, je m'en doute ». Le contenu du témoignage qu'il me livre me surprend donc et me laisse perplexe car c'est le contraire de ce qu'il a déclaré quelques jours plus tôt. Quelles qu'aient pu être nos relations cordiales par le passé, je suis pour le coup prudent et attentif. Je ne me vois pas prendre ce témoignage pour argent comptant et aller le présenter sans autre forme de procès si j'ose dire, au Président de la République, dont je suis le collaborateur. J'ai pris ce témoignage avec une grande prudence, et dans les jours qui ont suivi, mon attitude a été la même.
J'ai déjà eu l'occasion de répondre sur l'instrumentalisation. C'est en effet un peu le sentiment que j'ai eu. Pourquoi Michel Gonelle n'a-t-il pas, comme Edwy Plenel l'invitait à le faire, révélé publiquement son rôle et assumé ses responsabilités en confirmant qu'il avait détenu cet enregistrement et en indiquant ce qu'il en avait fait ? Il aurait ainsi contribué de manière ouverte à la manifestation de la vérité. Pourquoi avoir choisi de passer par la présidence de la République où il a une « vieille connaissance » ? Pourquoi ce biais ? Tout cela m'incite à la prudence et à la retenue devant son témoignage.
Comment expliquez-vous qu'il n'ait jamais porté cette information à la connaissance de la justice ? Existe-t-il des liens particuliers entre Michel Gonelle et Jérôme Cahuzac qui pourraient l'expliquer ?
Lorsque vous l'avez questionné sur ce point, Michel Gonelle a dit que Jérôme Cahuzac était « un adversaire redoutable ». A-t-il eu peur ? A-t-il eu des scrupules ? Ne savait-il pas comment faire ? Pourquoi n'a-t-il rien fait durant des années ? Honnêtement, je n'en sais rien. Et je ne me sens pas autorisé à faire l'exégèse de sa pensée. Ma certitude en revanche est qu'il ne suivait pas la bonne procédure en m'appelant.
Est-ce à votre initiative ou à celle du Président de la République ou du secrétaire général de la Présidence que vous avez contacté Jérôme Cahuzac le 15 décembre, après votre entretien avec le Président ?
Lorsque je rends compte au Président de mon échange avec Michel Gonelle, il me donne l'instruction que je vous ai indiquée. Je lui dis : « Monsieur le Président, j'ai de bonnes raisons de penser que cela ne va pas rester secret longtemps, car les choses se savent. Cela va nécessairement circuler. Je pense qu'il serait bon que le ministre soit informé de ce témoignage. » Je le redis, nous sommes à la mi-décembre, date à laquelle la majorité des observateurs pensent que Jérôme Cahuzac est de bonne foi. J'ajoute donc : « Si vous m'y autorisez, je veux bien lui passer un coup de fil ».
Il me dit : « En effet, c'est peut-être mieux. Prévenez-le ». C'est ce que j'ai fait, dans le contexte qui était celui de l'époque.
La teneur de l'échange que j'avais eu avec Michel Gonelle.
Oui, la totalité des informations.
Il me remercie de l'avoir informé. Je le sens quelque peu tendu – la pression est forte. Il était, je crois, assez pressé, peut-être entre deux rendez-vous, je n'en sais rien. Pour le coup, l'entretien est bref, beaucoup plus court qu'avec Michel Gonelle. Il a pris acte de ces informations et n'a pas fait de commentaire.
Honnêtement, non.
Que cela l'inquiète, certainement. Il m'écoute, mais nous n'avons pas d'échange approfondi sur la nature de ce témoignage. La veille ou l'avant-veille, il a porté plainte en diffamation.
Je me doutais que la teneur de mon entretien avec Michel Gonelle se retrouverait rapidement dans la presse. Jérôme Cahuzac l'aurait appris ainsi et n'aurait pas manqué d'appeler la Présidence pour savoir ce qu'il en était. En ce 15 décembre, je l'informe donc, à charge pour lui d'en faire ce qu'il veut. Il n'a pas fait de commentaire particulier sur les informations que je lui ai communiquées.
Il n'a pas eu de réaction particulière ? Il n'a pas dit par exemple : « C'est très ennuyeux. » ?
Non. Je l'ai senti inquiet tout de même. Nous sommes à l'époque où l'on parle de son divorce, de tout cela.
Aucun, ni avec Jérôme Cahuzac ni avec Michel Gonelle.
Étant arrivé en retard à cette audition, je vous prie de m'excuser si je pose des questions qui ont déjà été posées.
Je comprends très bien votre prudence, monsieur Zabulon. Lorsqu'on est directeur adjoint du cabinet du Président de la République, on ne peut pas se prêter à n'importe quoi. Il n'en reste pas moins que le manque de réaction du pouvoir politique, son inertie, face à cette affaire, me stupéfie. Le directeur de cabinet de Pierre Moscovici – c'est le comble – dit qu'il n'a jamais passé un coup de fil à ce sujet, n'a jamais cherché à s'informer sur l'état d'avancement du dossier ni sur ce que faisait la DGFiP. Les collaborateurs du chef de l'État n'ont jamais été tentés, eux non plus, de faire éclater la vérité le plus rapidement possible ? Il n'a jamais été question de cette affaire lors des réunions de cabinet ? Nul n'a jamais eu la volonté d'avancer plus vite que la justice, dont on sait la lenteur des procédures, ou de devancer la presse, qui divulguait ses informations une à une ? C'est presque une faute. Comment le directeur de cabinet d'un ministre de l'économie et des finances peut-il soutenir ne s'être jamais préoccupé de cela ? D'une part, je suis sûr que ce n'est pas vrai. D'autre part, si c'était le cas, ce serait une faute.
Avez-vous – quand je dis vous, je vise l'ensemble des collaborateurs du Président de la République –, à un moment ou à un autre, envisagé, vu ce qu'est le secret bancaire en Suisse, de demander à M. Cahuzac d'interroger lui-même la banque, afin de savoir s'il détenait ou non un compte dans ce pays ? Personne n'y a pensé ?
À mon niveau de responsabilité, je n'ai pas participé à des réunions, des échanges ou des analyses sur « l'affaire Cahuzac ». Vous dire qu'il n'y en a pas eu, je n'en sais rien. Que tel ou tel ait cherché à s'informer, peut-être. En tout cas, pas à mon niveau. Je l'ai dit avant votre arrivée, monsieur le député, je n'étais pas, je ne suis pas chargé du suivi de « l'affaire Cahuzac » au cabinet du Président de la République. Des échanges ou des recherches d'information ont-ils lieu ? Des analyses ont-elles été confrontées ? Je n'en sais rien. C'est possible. Entre nous, entre collègues, sûrement, mais rien qui puisse déboucher sur une formalisation administrative.
Vous l'avez compris, je suis loin de détenir toutes les clés de cette affaire. Toute la partie Bercy m'échappe complètement. Je n'ai pas de contact avec le cabinet de Pierre Moscovici ni avec celui de Jérôme Cahuzac. Mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, entre le moment où Mediapart dévoile ses informations et celui où la justice ouvre une enquête préliminaire, il ne s'est écoulé qu'un petit mois. Il est donc sévère, monsieur le député, de parler « d'inertie » ou de frein, lorsqu'on sait le temps qu'il a parfois fallu pour que certaines affaires sortent. En l'espace d'un mois, l'enquête s'ouvre, la justice fonctionne, Edwy Plenel a d'ailleurs reconnu devant vous qu'elle a travaillé sans entrave. La suite, vous la connaissez. La justice a pu faire son travail, et c'est heureux pour notre démocratie.
Quant à savoir pourquoi on n'a pas demandé à Jérôme Cahuzac d'interroger lui-même la banque, je n'ai pas, à mon niveau de responsabilité, la réponse à cette question.