La séance est ouverte à dix-sept heures.
Chers collègues, permettez-moi de vous adresser mes meilleurs voeux pour 2014. Nous commençons la nouvelle année par l'audition de M. Michel Pinault, président du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire.
Monsieur le président, le Haut Comité a rendu l'an passé son septième rapport sur la condition militaire, dans un contexte un peu particulier, puisque le ministère de la Défense subit, depuis quelques années, des réorganisations incessantes. Nous sommes donc attentifs à vos remarques et vos recommandations.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux et honoré d'être auditionné par votre commission ; il est important pour le Haut Comité d'entretenir d'excellents contacts avec vous.
Cette année, pour la première fois, le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire a publié son rapport en deux temps : une première partie, en mai, sur la place des femmes dans les forces armées françaises, sujet que nous avions retenu pour l'étude thématique ; une seconde partie, en septembre, sur la revue annuelle de la condition militaire. Nous sommes en train de préparer notre huitième rapport, dont nous espérons pouvoir publier la partie thématique, consacrée à l'administration des militaires, au plus tard en mai.
Le Haut Comité, qui en est à sa huitième année d'existence, est une structure plutôt atypique, qui rend compte au Président de la République et aux Assemblées parlementaires. Quoique nous n'ayons pas le statut d'autorité administrative indépendante, nous sommes un organe d'expertise indépendant ; le Haut Comité est composé de membres venant d'horizons variés, même si tous s'intéressent à la chose militaire : il comprend des magistrats, issus notamment du Conseil d'État – dont je fais partie –, des représentants de la société civile et des militaires.
Le Haut Comité n'est pas un corps d'inspection et il ne se substitue pas au contrôle général des armées ; il n'est pas non plus une sorte de Boston Consulting Group chargé d'améliorer l'organisation du ministère. Notre mission, plus simple, est d'analyser la condition militaire et de comparer celle-ci avec la société civile dans son ensemble – sans se restreindre à la fonction publique civile. Nous examinons, sous cet angle, les résultats des politiques engagées.
Tous les membres du Haut Comité sont bénévoles : ils ne touchent aucune rémunération, ni aucune indemnité. Ils travaillent pour le Haut Comité en sus de leurs activités professionnelles.
Notre méthode répond à une ambition d'objectivité. Nous procédons à l'audition, en région parisienne, d'autorités militaires et civiles – chefs d'états-majors, directeurs centraux, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD), directeurs des ressources humaines des différentes armées, de la gendarmerie et des services, acteurs de la réorganisation du ministère, etc. – et nous effectuons des déplacements en province, voire outre-mer. À l'occasion de ces visites, nous organisons des tables rondes – en général par catégorie : militaires du rang, sous-officiers, officiers –, en dehors du commandement, au cours desquelles nous invitons nos interlocuteurs à exprimer librement leur ressenti. Ayant l'expérience d'autres instances de dialogue, aussi bien dans le privé que dans le public, je puis vous assurer que l'expression des militaires est particulièrement libre !
Le directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) est membre de droit du Haut Comité. Nous nous appuyons sur lui pour réaliser des travaux statistiques. L'INSEE procède notamment, à notre demande, à des études spécifiques, voire inédites. Plus généralement, le secrétariat général du Haut Comité travaille énormément sur les données chiffrées qui nous sont transmises : il les vérifie, les analyse, passe des commandes, envoie des questionnaires.
Au final, je crois que le Haut Comité a réussi à prendre sa place parmi les instances chargées de suivre la condition des militaires.
La Revue annuelle 2013 de la condition militaire s'inscrivait dans un contexte particulier : deux lois de programmation militaire successives, faisant elles-mêmes suite à deux Livres blancs, avec des répercussions importantes en matière de réorganisation et d'effectifs ; deux réformes des retraites, qui s'appliquent pour partie à la fonction militaire ; une conjoncture économique peu favorable, notamment pour la reconversion. Le fait de publier la Revue en septembre nous a permis de nous appuyer sur les chiffres de 2012 – à une exception près.
Le volume du recrutement externe annuel, sur l'ensemble des armées, est en diminution de 22 % depuis 2008 ; depuis 2010, les baisses les plus importantes concernent l'armée de terre – moins 33 % – et la gendarmerie – moins 21 %. Cette évolution a eu un effet positif indirect : celui d'améliorer la sélectivité du recrutement. Le Haut Comité s'était en effet inquiété, dans ses précédents rapports, du faible taux de sélection à l'entrée dans les armées, notamment pour les militaires du rang : à certaines époques, on comptait moins de deux candidats pour un poste. Les taux de sélection des sous-officiers – hors gendarmerie – et des officiers sous contrat se sont améliorés, de même, quoique dans une moindre mesure, que celui des militaires du rang, passé de 1,7 candidat pour un poste en 2008 à 2,3 en 2012. Les progrès restent cependant insuffisants.
D'autre part, il ne faut pas croire que la détérioration de la situation de l'emploi profite au recrutement : le vivier de candidats motivés pour entrer dans les forces armées reste globalement stable, et cela quel que soit l'état du marché du travail.
La sélectivité du recrutement des militaires est très inférieure à celle du recrutement dans la fonction publique, qui est en général d'environ 20 candidats pour un poste – c'est par exemple le cas chez les surveillants pénitentiaires.
En outre, avec le reformatage des forces armées et la concentration des unités dans certaines zones, certaines régions françaises n'ont presque plus de contacts avec les militaires : il n'y a guère que le 14 juillet ou le 11 novembre que l'on en rencontre.
Nous proposons donc d'utiliser la journée défense et citoyenneté pour lancer une démarche proactive de recrutement.
Nous avons également étudié les activités des armées et des services, en nous intéressant tout particulièrement aux problèmes de suractivité, notamment dans le cadre des opérations extérieures (OPEX) : nous avons examiné si la fréquence des déploiements en OPEX permettait de maintenir un rythme de retours réguliers en métropole pour entraînement, service, formation ou repos. L'armée de terre est la seule qui ait fixé une règle en la matière : en l'occurrence, il doit s'écouler au minimum huit mois entre deux projections en OPEX. Nous recommandons de mettre en place un suivi plus rigoureux des périodes d'activité et de s'inspirer de l'exemple du Royaume-Uni, qui a retenu pour norme un maximum de 415 jours de déploiement opérationnel par période de 30 mois glissants – étant entendu qu'il existe toujours la possibilité de dépasser cette norme en cas de besoin.
J'en viens à la question des rémunérations. Soyons francs : les difficultés rencontrées lors de la mise en oeuvre du logiciel unique à vocation interarmées de la solde (LOUVOIS) ne nous ont pas permis de produire des données exploitables pour 2012, malgré tous nos efforts et ceux de l'Observatoire économique de la défense. En revanche, les chiffres pour 2011 sont à peu près fiables.
La rémunération nette moyenne des militaires en place aurait augmenté, en euros constants, de 1 % entre 2010 et 2011 – étant précisé que le Haut Comité tient compte, non pas des seuls salaires indiciaires, mais des rémunérations complètes, toutes primes comprises.
Nous proposons également, avec l'aide de l'INSEE, un suivi longitudinal du revenu des ménages dont la personne de référence est un militaire. On relève un écart significatif, de l'ordre de 18 %, entre un ménage dont la personne de référence est un officier ou un sous-officier et un ménage dont la personne de référence est un fonctionnaire civil de niveau équivalent. Dans le cas d'un militaire du rang, l'écart est de 11%.
Plusieurs indices nous conduisent à penser que la contrainte de mobilité géographique des militaires en serait la cause. Elle limite en effet les possibilités du conjoint d'occuper un emploi à un niveau de rémunération comparable à celui d'un conjoint de fonctionnaire civil ; d'ailleurs, la rémunération moyenne des conjoints de militaires varie peu en fonction des grades de ces derniers. Les conjoints sont obligés d'accepter des postes de faible qualité, car leurs employeurs s'attendent à les voir partir dans les deux ou trois ans.
L'armée de terre a fait ces dernières années d'importants efforts de promotion interne, notamment pour le recrutement des sous-officiers. C'est une excellente chose. Toutefois, le Haut Comité a relevé de nettes fluctuations du taux de recrutement interne d'une année sur l'autre ; du coup, la prévisibilité des carrières est limitée, ce qui peut décourager d'éventuels candidats.
S'agissant de la question – délicate – du temps d'activité, le Haut Comité déconseille d'utiliser le « temps de travail » comme notion de référence, car les militaires ne relèvent pas du code du travail et du régime commun. Nous lui préférons la notion de « temps de service », qui correspond au temps de service effectif auquel s'ajoutent les astreintes ; malheureusement, au contraire des Britanniques, nous ne disposons pas d'instruments fiables pour le mesurer – seule la gendarmerie produit des données statistiques en la matière.
Cela ne devrait pas être une source d'inquiétude : au contraire, une mesure fiable du temps d'activité permettrait de mettre à bas certains fantasmes. Hélas, cette recommandation du Haut Comité n'est pas la mieux suivie !
La mobilité géographique est une caractéristique importante de la condition militaire, qui a des répercussions indirectes sur les conditions de vie. Sous l'effet des réformes en cours depuis 2008, cette mobilité s'est beaucoup accrue. Du fait de l'achèvement de la mise en place des bases de défense, nous nous attendions à une diminution du taux de mobilité en 2012, mais cela n'a pas été le cas ; il n'y a aucune raison que cette tendance s'inverse, puisque les réformes structurelles, les contraintes budgétaires et le reformatage des armées sont appelés à se poursuivre. Toutefois, le Haut Comité a le sentiment que l'on recherche parfois la mobilité pour la mobilité ; nous recommandons donc de revenir le plus vite possible à un taux normal.
La population militaire connaît dans son ensemble un taux de suicide sensiblement inférieur à celui de la population civile. En revanche, le taux de blessures psychiques, comme le stress post-traumatique, s'est accru de manière substantielle – probablement parce que ces phénomènes sont désormais mesurés et mieux pris en compte : on a fini par comprendre que l'on pouvait souffrir de tels syndromes sans être une « poule mouillée ».
En raison des contraintes de mobilité géographique qui leur sont imposées, les propriétaires de leur résidence principale sont proportionnellement moins nombreux chez les militaires que dans le reste de la société. En revanche, rien n'indique qu'il y a plus de divorces dans les armées qu'ailleurs.
Pour ce qui est du retour à la vie civile, le bilan est plutôt satisfaisant. On note un accroissement sensible des reclassements, notamment dans la fonction publique civile – ce qui n'était pas évident, vu les contraintes budgétaires actuelles. Un bémol, toutefois : une bonne partie de ce reclassement est assuré au sein même du ministère de la Défense.
Le bilan de l'agence Défense mobilité est positif. Si nous étions assez dubitatifs à sa création, nous avons fini par acquérir le sentiment, corroboré par une visite à Rennes à la fin de l'année dernière, que son action était efficace. Cependant, cela n'a pas empêché le nombre d'anciens militaires indemnisés au titre du chômage sur le budget du ministère de la Défense de s'accroître, entre 2011 et 2012, de 9 000 à 11 000 : c'est beaucoup.
En conclusion, le Haut Comité estime qu'en 2013, l'équilibre a été maintenu entre, d'un côté, les sujétions et les contraintes qui caractérisent la condition militaire et, de l'autre, les compensations. En particulier, la deuxième réforme des retraites n'a pas touché aux caractéristiques fondamentales des pensions des militaires ; l'entrée en jouissance immédiate de la pension, la décote pour carrière courte et les bonifications ont été sauvegardées – à juste titre, selon nous, puisqu'il ne s'agit pas de pensions de retraite ordinaires.
En revanche, les militaires déplorent la visibilité trop réduite des carrières et leur confiance envers l'administration semble fragilisée. Cela les conduit à nourrir quelques doutes sur les réformes mises en oeuvre et à faire montre d'une certaine lassitude face à la perspective de nouvelles transformations.
J'en viens au rapport thématique, qui portait sur la place des femmes dans les forces armées françaises. Pourquoi avoir choisi ce sujet, alors que l'armée française est la plus féminisée des armées occidentales ? Nous souhaitions étudier comment cela s'était passé, en tirer des leçons et examiner comment poursuivre le processus sur le même rythme, sans se contenter du résultat acquis – ce qui est assurément le risque.
La féminisation des armées ne s'est pas faite d'un coup de baguette magique. Si les femmes ont pris toute leur place dans les armées, c'est qu'on a eu besoin d'elles. Ce fut le cas pendant les deux guerres mondiales et les guerres outre-mer, puis, à nouveau, lors de la professionnalisation, qui eût été irréalisable sans elles. En parallèle, leur statut a été progressivement consolidé.
Nous avons fixé deux principes et cinq priorités.
Premier principe : les femmes ont toute leur place dans les armées. Cela signifie non seulement qu'il ne doit y avoir aucun obstacle juridique à l'accès à certaines activités – ce qui, hormis quelques rares exceptions, est désormais acquis –, mais qu'au-delà, il faut assurer l'égalité professionnelle, conformément au vieux principe républicain : « à chacun selon son mérite et ses capacités ». Si une femme a les capacités et le mérite pour remplir un emploi, elle doit pouvoir le faire. Certes, ces capacités comprennent l'aptitude physique, mais, d'une part, ce critère perd de son importance au fur et à mesure que l'on progresse dans les grades et, d'autre part, les armements modernes le rendent de moins en moins primordial, même pour les combats en première ligne.
Deuxième principe : la parité mathématique, telle qu'on peut la concevoir dans la fonction publique civile, n'est pas un objectif à rechercher. Nous étions, je dois le reconnaître, un peu inquiets de l'accueil que l'on ferait à cette recommandation, mais elle a été admise sans difficulté par nos interlocuteurs.
S'agissant maintenant des priorités, nous devons développer l'attractivité des métiers militaires pour les femmes. Ce qui est actuellement fait en ce sens est insuffisant. Par exemple, trop peu de femmes participent à l'encadrement et à l'animation de la journée défense et citoyenneté ; elles sont également en nombre insuffisant parmi les responsables et les conseillers des centres de recrutement. Nous avons en outre relevé une tendance, dans les centres de recrutement, à déconseiller aux jeunes femmes de choisir les unités de combat et à les réorienter par exemple vers des activités de secrétariat – probablement parce qu'il est plus difficile pour une femme de trouver sa place dans une unité opérationnelle. Il convient de lutter contre de telles facilités.
Deuxième priorité : la formation initiale ; comme disait Paul Valéry, « tout se joue dans les commencements ». Nos propositions concernent notamment les grandes écoles militaires, où il convient de lutter contre une culture et un état d'esprit qui ne sont pas toujours favorables à la féminisation des armées ; il est du rôle du commandement, de l'encadrement et des formateurs de faire comprendre qu'il n'y aura pas de retour en arrière.
Les carrières militaires se caractérisent par une certaine rigidité : elles sont scandées par un certain nombre d'étapes à ne pas manquer ; à défaut, on quitte la voie royale et l'on termine sa carrière à un grade inférieur à celui auquel on aurait pu prétendre. Or il se trouve que ces étapes surviennent à des périodes de la vie des femmes où elles peuvent être appelées à devenir mère ou à élever leurs enfants. Un assouplissement des créneaux d'âge, par exemple en mettant à profit l'allongement des carrières occasionné par la réforme des retraites, bénéficierait non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes, certains d'entre eux pouvant se voir empêchés de saisir une occasion de promotion pour des raisons de santé, par exemple à la suite d'une OPEX. Cette recommandation a été accueillie favorablement par le chef d'état-major des armées et par les chefs d'état-major des différentes armées.
Nous avons également fait des propositions visant à mieux articuler la vie professionnelle et la vie familiale ; nous recommandons notamment la création, suivant un régime à définir, d'un congé parental d'éducation valable aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
Notre recommandation principale est cependant un pilotage attentif du processus de féminisation. Celui-ci n'est ni un phénomène naturel, ni une mode : il doit être une préoccupation constante du commandement. Il convient donc de mettre en oeuvre, dans tous les secteurs, des instruments de suivi. La gendarmerie, par exemple, assure le suivi générationnel longitudinal des femmes grâce à un instrument fort bien fait, qui permet de connaître avec précision le nombre de départs prématurés, les promotions dans les grades, etc. Nous en recommandons la généralisation.
Deux choses encore. D'abord, il conviendrait d'évaluer l'impact de chaque disposition prise dans le domaine des ressources humaines sur la place des femmes dans les armées : une décision a priori aussi bonne que celle d'affecter dans les unités opérationnelles les premiers recrutés parmi les militaires du rang peut avoir des effets pervers sur ce plan.
Ensuite, la direction des ressources humaines du ministère de la Défense et les directions des ressources humaines des différentes armées doivent surveiller avec attention les évolutions de la fonction publique afin d'en anticiper les répercussions sur la fonction publique militaire – ce que soulignait d'ailleurs le rapport Pêcheur. Nous recommandons donc un travail en commun avec la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) – même si cela pourra poser des difficultés, vu que les décisions concernant la fonction publique civile résultent souvent de négociations entre les partenaires sociaux, ce qui ne saurait être le cas pour la fonction publique militaire.
Au final, le constat que nous dressons sur la féminisation des armées françaises est positif. Au magazine Causette, qui me demandait s'il existait des phénomènes de harcèlement spécifiques à la fonction militaire, j'ai répondu que nous n'en avions pas constaté, alors que les armées de pays voisins ont été éclaboussées par des affaires particulièrement choquantes ; il existe certes du harcèlement dans nos armées, mais ni plus ni moins que dans la vie professionnelle civile.
Nous avons adopté récemment une mesure réduisant de quinze à deux ans la durée de services exigée pour prétendre à une pension militaire. Que pensez-vous de cette disposition ?
On ne peut que déplorer la trop courte durée des carrières ; tous les militaires ne se satisfont pas de contrats courts, et beaucoup ont le sentiment d'être rejetés par l'État. Vu le nombre actuel de candidats pour un poste, peut-on parler d'échec de l'effort de fidélisation ?
Je me suis déjà prononcé à plusieurs reprises en faveur d'une réforme en profondeur du statut général des militaires s'agissant des droits sociaux et des libertés démocratiques. Avez-vous des recommandations à faire en la matière ?
Une restructuration militaire va avoir lieu cette année dans ma circonscription. Les dispositifs de reclassement – emplois réservés, agence Défense mobilité – sont-ils attractifs ?
Un rapport d'information présenté au retour de notre mission en Afghanistan, il y a un peu plus d'un an, évoquait des problèmes de santé, notamment des blessures psychiques – surtout dans l'armée de terre. Des cas de suicide ont été signalés parmi les gendarmes. Quelles actions de suivi pourrait-on mettre en place ? Compte tenu du nombre d'opérations extérieures en cours, quelles sont vos préconisations dans ce domaine ?
Pour commencer, je veux saluer la noblesse de l'activité bénévole des membres du Haut Comité et vous remercier d'avoir évoqué à quatre reprises la gendarmerie – dont on ne parle pas assez, y compris au sein de notre assemblée, alors qu'elle assure la sécurité sur plus des deux tiers du territoire.
Vous l'avez rappelé, la gendarmerie a subi une terrible saignée de ses effectifs entre 2008 et 2012. Depuis lors, à la demande de l'ensemble des membres de cette commission, toutes sensibilités confondues, la courbe s'est inversée ; des crédits ont été débloqués en 2013 et l'on a commencé à recruter – encore insuffisamment, hélas !
Cependant, nous avons été alertés d'une augmentation des suicides dans la gendarmerie nationale. Disposez-vous de statistiques en la matière ? Comment analysez-vous ce phénomène ? Serait-il dû à la lassitude, aux problèmes d'habitat ?
Mme Gueugneau, qui a été contrainte de s'absenter, aurait voulu savoir s'il existe un accès proportionnel des femmes aux grades supérieurs.
Selon vous, les militaires sont contraints à une mobilité géographique excessive. Dans ce cas, pourquoi ne pas y mettre un frein ? Qu'est-ce qui conduit la hiérarchie à la mettre en pratique ?
Monsieur Candelier, l'abaissement de la clause de stage de quinze à deux ans était une recommandation du Haut Comité. En effet, auparavant, si les militaires partaient avant quinze ans de services, ils relevaient du régime des pensions civiles des contractuels de l'État et perdaient les bonifications éventuellement acquises au combat – ce qui était assez choquant. D'autre part, pour les agents civils, la durée de services nécessaire pour bénéficier d'une retraite publique avait été abaissée de quinze à deux ans : il convenait de réparer cette inégalité. Cela permettra aux intéressés de voir reconnaître comme tel leur passage dans les armées, même pour une durée très courte.
Il nous paraît essentiel de poursuivre l'effort de fidélisation des militaires du rang et d'essayer d'allonger autant que possible la durée de leur présence dans les forces armées, qui n'est actuellement que de cinq ans en moyenne. Dans un précédent rapport, nous avions calculé qu'un allongement de cette durée ne serait-ce qu'à huit ans permettrait de faire des économies substantielles en frais de recrutement et de formation.
Pour ce qui est des sous-officiers et des officiers, la période est instable ; certains estiment qu'il vaut mieux « s'accrocher » et rester dans l'armée, d'autres prennent leurs dispositions pour partir. Nous n'avons pas constaté pour le moment de prédominance d'une attitude sur l'autre. Ce qui est sûr, c'est que l'objectif de réduction des effectifs, fixé tant par le Livre blanc que par la loi de programmation militaire, est contradictoire avec l'allongement de la limite d'âge, qui va nécessairement accroître les effectifs en place.
Nous avons fait des recommandations en matière de sélectivité. Toutefois, il ne faut pas se cacher que si le taux de sélection est si faible, c'est qu'il s'agit de carrières courtes, c'est-à-dire d'un simple épisode dans une vie professionnelle – alors que quand vous entrez dans la fonction publique d'État, votre carrière y est assurée jusqu'à 65 ans. Mais nous ne préconisons pas pour autant de rendre statutaires la totalité des positions des militaires.
Nous n'avons pas abordé la question des droits sociaux parce que le Conseil supérieur de la fonction militaire en a été saisi. Il reste que si le Haut Comité n'est pas une instance représentative des militaires, nous nous faisons l'écho de ce qu'ils pensent ou ressentent ; or la parole chez les militaires est particulièrement libérée – peut-être même davantage que chez d'autres catégories socioprofessionnelles.
En matière de reconversion professionnelle, on note une amélioration ; de toute évidence, Défense mobilité fait bien son travail. L'accompagnement psychologique, le conseil, les analyses de profil sont les services les plus appréciés par les intéressés – davantage que la recherche directe de postes. Néanmoins, l'outplacement progresse. Certains secteurs, comme le transport routier, le transport de marchandise, le camionnage ou le transport de voyageurs recrutent un grand nombre de militaires, souvent par le bouche à oreille ; on apprécie tout particulièrement la disponibilité des intéressés pour des postes à horaires atypiques ou à temps partiel.
Le Haut Comité a constaté que les militaires ont une grande confiance dans le Service de santé des armées. Les avis sont unanimes sur ses compétences, sa réactivité et son implication. Cela suscite de la confiance chez les combattants, qui savent qu'en cas d'incident, ils seront pris en charge de manière efficace.
Pour ce qui est des blessures psychologiques, l'accroissement de leur nombre s'explique par le fait que l'on en parle désormais librement. Le stage de « décompression » à Chypre est également très apprécié, et ressenti par les militaires comme une marque de considération.
Dans notre enquête, nous n'avons pas constaté de vague de suicides inquiétante, notamment chez les gendarmes ; je vous remercie de nous avoir alertés sur ce point, que nous examinerons avec soin.
Si l'on évoque souvent les carrières courtes dans l'armée, il faut savoir que, pour les officiers issus des grandes écoles, il faut une durée assez longue – une trentaine d'années – avant d'arriver au grade d'officier général. C'est ce qui explique que les chiffres actuels soient si décevants en matière de féminisation : sauf rares exceptions, les femmes ne sont pas encore éligibles à ces grades. Cependant, cela ne saurait tarder, et c'est pourquoi notre rapport est si important : il permettra d'être volontariste en la matière. Il faudra être particulièrement attentif à ce sujet dans les prochaines années.
Pour la gestion des ressources humaines, la mobilité géographique est parfois une solution de facilité : comme il n'est pas facile de trouver immédiatement un remplaçant à un militaire qui quitte son poste, il est tentant d'utiliser les obligations statutaires et de recourir à une mutation géographique.
D'autre part, nous avons noté non seulement un accroissement de la mobilité, mais également une augmentation des départs au dernier moment, avec des préavis de moins de trois mois – notamment pour les mutations outre-mer. C'est incompréhensible ! Sur ce point, le Haut Comité recommande de revenir le plus vite possible à la normale, et d'éviter toute mobilité par principe ou par commodité.
Dans notre société, la norme veut que l'on travaille ; et quand on est le conjoint d'un fonctionnaire de catégorie C, il s'agit d'un impératif financier. Or les conjoints de militaires ont bien souvent des difficultés à trouver un emploi. C'est certainement une des raisons de la difficulté à fidéliser le personnel militaire. Lors de vos investigations, vous a-t-on suggéré des solutions pour y remédier – par exemple en accordant une place prioritaire aux conjoints de militaires dans d'autres services de l'État ? Vous-même, avez-vous des préconisations à faire en la matière ?
Disposez-vous de données statistiques concernant le reclassement des militaires qui quittent l'armée après cinq ans de service ? Existe-t-il des différences entre les armées – terre, marine, air ?
Comment expliquez-vous l'existence de telles différences pour ce qui est du taux de dénonciation de contrats dans les premiers six mois ?
Avez-vous effectué des comparaisons avec d'autres pays européens, notamment avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne ?
D'un côté, les militaires ont fait le choix des armes avec, au bout de leur engagement, l'éventuel sacrifice suprême ; ils sont très attachés à leur métier, pour lequel ils éprouvent de l'amour. Mais d'un autre côté, ils éprouvent un sentiment d'injustice, nourri par la perception d'une inégalité de traitement par rapport aux administrations civiles, notamment le fait de supporter 58 % des suppressions d'effectifs dans la fonction publique. Cette ambivalence ne ressort pas de vos propos.
D'autre part, le taux de sélection que vous avez cité – 2,3 candidats pour un poste – ne correspond qu'à une moyenne ; dans certaines unités, le taux est plutôt de six à sept candidats pour un poste. Cela signifie que, dans certains cas, le rapport est de un pour un. Ne craignez-vous pas que cela ait, à terme, un impact sur le niveau des troupes ?
Qu'en est-il du rôle de promotion sociale de l'armée, premier recruteur de jeunes non diplômés du pays ?
A-t-on réglé la situation de certains personnels sous contrat, en particulier celle des interprètes recrutés en Afghanistan ?
Pourriez-vous nous préciser ce que vous considérez être un taux de mobilité géographique « normal » ?
Vous avez dit que le nombre d'anciens militaires indemnisés au titre du chômage était passé de 9 000 à 11 000 entre 2011 et 2012 ; au-delà, combien se trouvent effectivement sans emploi ?
Monsieur Lamblin, le travail du conjoint est en effet un problème crucial, sur lequel nous mettons l'accent, mais qui est particulièrement délicat à régler dans le contexte économique actuel. Il faut en outre trouver des postes susceptibles d'être quittés rapidement pour suivre le conjoint militaire. Une structure spécifique au sein de l'armée s'occupe de ces questions.
Dans la pratique, ce qui se développe de plus en plus, c'est le célibat géographique. Dans nos premiers rapports, nous avions dit que, même s'il ne s'agit pas d'une solution satisfaisante, il fallait cesser d'ignorer ce phénomène et en tenir compte, notamment sur le plan indemnitaire.
Quant à un système d'emploi prioritaire, les postes disponibles se trouvant très souvent dans les collectivités territoriales, il semble difficile d'imposer à celles-ci l'embauche d'un agent qui sera appelé à partir dans les deux ans. Défense mobilité va continuer à travailler sur le sujet, avec l'appui des commissions spécialisées, mais il n'existe pas de solution toute faite.
Les résultats en matière de reclassement ne sont pas mauvais : le taux de reclassement des anciens militaires de plus de quatre ans de service qui recourent aux prestations de Défense mobilité atteint 74 %. Ce résultat global recouvre bien évidemment des variations suivant les armées : l'acquisition de compétences extrêmement pointues dans l'armée de l'air ou dans la marine facilite considérablement la reconversion.
Notre rapport précédent était plus particulièrement consacré à la situation des militaires du rang ; nous avions même fait une comparaison avec l'armée néerlandaise. On rejoint là la question de la promotion sociale ; une manière de la favoriser serait de proposer, à côté de la formation purement militaire et sous une forme à définir, une formation professionnelle « validante » susceptible d'être reconnue dans le civil.
Oui, monsieur Pueyo, nous faisons des comparaisons avec les armées des pays voisins.
Nous pensons que les nombreux départs au bout de six mois de service s'expliquent par le fait que l'écart s'accroît entre la société militaire et la société civile. La marche à franchir pour les jeunes recrues est de plus en plus élevée et, dans beaucoup de cas, elles n'y arrivent pas. Dans le cadre de la formation initiale, on prend soin de proposer une acclimatation progressive, notamment, dans l'armée de terre, via les centres de formation initiale des militaires du rang (CFIM), où interviennent à la fois des formateurs professionnels et des représentants des unités qui emploieront les jeunes engagés.
Il existe en effet un sentiment d'injustice, monsieur Folliot, et le Haut Comité s'efforce, non pas de montrer qu'il est injustifié, mais de fournir des bases objectives de comparaison. Si l'on considère les individus, et non les ménages, la rémunération des militaires est ainsi à peu près équivalente à celle des civils, quoiqu'avec des composantes différentes – en particulier, nous estimons que les primes liées étroitement à la condition militaire, comme les primes d'OPEX, ne devraient pas servir à égaliser les niveaux de rémunération. C'est en cela que notre action peut contribuer à apaiser les esprits.
Quant au manque de sélectivité du recrutement, nous avions tiré la sonnette d'alarme dès notre premier rapport. Un taux de sélection de 2,3 candidats pour un poste dans l'armée de terre n'est pas suffisant ; comme vous l'avez remarqué, cela signifie que, dans certains cas, le rapport est de un pour un – et la situation détériorée du marché du travail n'est pas, je le répète, un facteur particulièrement favorable pour le recrutement.
S'agissant des traducteurs en Afghanistan, il s'agit de personnels civils sous contrat, et nous ne nous sommes pas penchés sur leur cas. Il reste que les intéressés se trouvent dans une situation très difficile et qu'il faudrait leur apporter une solution.
Nous avons beaucoup insisté pour que les systèmes d'information en ressources humaines – Orchestra, Concerto, Arhmonie, Rhapsodie et Alliance – comportent un suivi des anciens militaires, afin qu'il n'y ait pas rupture de contact ; pour l'instant, cela n'a pas abouti. Si quelqu'un traverse une période de chômage indemnisé, nous en avons connaissance, mais certaines personnes disparaissent complètement des écrans radar. Il m'est donc impossible de répondre à votre question, monsieur Nauche. Tout ce que nous savons, c'est que 74 % des personnes suivies par Défense mobilité retrouvent un emploi : ce n'est déjà pas mal.
La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.