L'audition débute à quinze heures cinquante.
Nous accueillons à présent M. Michel Bourguignon, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), accompagné de M. Jean-Christophe Niel, directeur général.
Messieurs, nous souhaitons vous entendre sur la gestion des déchets de haute activité. La conception, l'exploitation et le démantèlement des sites doivent répondre à des objectifs de sûreté, afin que les exploitants qui rejettent ces déchets puissent établir des projets précis et concrets.
L'Autorité de sûreté nucléaire a beaucoup travaillé sur ce sujet, et le tableau des exigences de sûreté se précise. Ce cahier des charges détermine en partie le coût des opérations de traitement et de stockage des déchets. Nous souhaiterions savoir si les choses sont stabilisées, sachant que vos exigences ne sont pas étrangères à l'évolution de ce coût, dont la fourchette varie du simple au triple.
Avant de vous laisser la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
MM. Michel Bourguignon et Jean-Christophe Niel prêtent serment.
Professeur de médecine, spécialiste en biophysique et médecine nucléaire, j'ai été nommé commissaire de l'ASN par le Président de la République en 2006. Je remplace aujourd'hui Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité, qui représente la France à la convention internationale de sûreté nucléaire à Vienne, en Autriche.
Je commencerai mon exposé par quelques considérations générales sur les déchets radioactifs. Ceux-ci ont des origines diverses ; ils proviennent des centrales nucléaires de production d'électricité, des réacteurs de recherche, mais également des petits producteurs industriels et du secteur médical. Ces déchets ont une activité et une durée de vie qui varie en fonction de leur catégorie – faible, moyenne ou haute activité ; vie courte ou vie longue. Selon leur nature physico-chimique, ils se présentent sous des aspects extrêmement différents, tels que gravats, liquides, solides ou boues.
La gestion des déchets radioactifs dans notre pays repose sur quatre principes fondamentaux. Premièrement, le producteur est le premier responsable de la sûreté et de la gestion de ses déchets. Deuxièmement, l'ASN est le contrôleur à tous les niveaux de la production et du transport des déchets, depuis leur utilisation jusqu'à leur fin de vie. Nous faisons en sorte qu'une filière soit identifiée pour chaque catégorie de déchets. Nous couvrons les aspects à la fois de sûreté et de radioprotection, car nous devons protéger les personnes et l'environnement. Troisièmement, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) est l'établissement public responsable de la gestion des centres d'entreposage et de stockage ; elle est indépendante des producteurs de déchets. Quatrièmement, le cadre législatif et réglementaire est établi par la loi de 2006 et le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), initié en France dès 2003 et qui a servi de socle pour la mise en place d'une directive européenne. Il comporte un volet financier, inscrit dans le code de l'environnement, visant à garantir la disponibilité des fonds.
Depuis 1990, les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue sont conditionnés en ligne. Ils sont issus du traitement des combustibles des centrales nucléaires de production d'électricité, les déchets de haute activité provenant plutôt du combustible, les déchets de moyenne activité des gaines et des parties métalliques. Le traitement en ligne n'existait pas avant 1990, si bien que des déchets anciens sont entreposés à La Hague, à Marcoule et à Cadarache dans des conditions de sûreté que l'ASN considère comme non satisfaisantes. Cette situation pose des problèmes de reprise et de conditionnement. D'autres déchets provenant de combustibles divers sont en attente de traitement et de stockage – déchets militaires, déchets issus de la recherche ou des centrales de production d'électricité.
Les politiques énergétiques ont une incidence très importante sur les coûts. La France a fait le choix d'un cycle du combustible et du retraitement. Dans un centre nucléaire de production d'électricité, le combustible usé est entreposé durant quelques années, de un à trois ans ; suit une période de refroidissement à La Hague dans l'attente du retraitement ; enfin, intervient le retraitement qui obéit à la définition encore incertaine de ce qu'est une matière valorisable par rapport à un déchet. Bien évidemment, cette définition conditionne l'inventaire et les coûts associés.
La loi de 2006 a retenu le principe du stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et de moyenne activité à vie longue. Au regard des enjeux de sûreté et de radioprotection, la pertinence de ce mode de stockage est internationalement reconnue, et plusieurs pays développent des projets similaires. Selon le calendrier établi par l'article 3 de la loi, l'ANDRA doit déposer une demande d'autorisation de création en 2015 pour une mise en exploitation en 2025. Ce calendrier serré doit conduire à s'interroger, alors que le laboratoire de Bure en est toujours au stade de la recherche et de la démonstration de faisabilité, et que le projet technique est en cours de définition. L'ANDRA n'a pas encore pu produire un dossier de demande d'autorisation.
À ce stade, nous identifions trois enjeux déterminants pour le dimensionnement et les coûts. Le premier est l'établissement de l'inventaire précis des déchets destinés au stockage. Il est encore incertain et dépend de choix industriels et de politique énergétique, en particulier au regard de la double notion de matières et de déchets. Ceux-ci peuvent conduire à la requalification en déchets de certaines matières radioactives, notamment des combustibles usés de CNPE ou de réacteurs de recherche. Il faut donc imaginer une flexibilité suffisante du stockage géologique profond pour préserver la capacité technique d'accueil de ces combustibles usés en stockage direct. Les coûts associés sont très importants, puisque les combustibles usés représentent des volumes considérables.
Le deuxième enjeu est l'entreposage intermédiaire de combustibles usés et de déchets radioactifs. L'ASN considère que les producteurs de déchets doivent se ménager des marges pour pallier d'éventuels aléas sur les filières aval et disposer en temps voulu de capacités d'entreposage suffisantes. En effet, selon les prospectives, l'entreposage en piscine des combustibles usés à La Hague et de l'uranium appauvri à Tricastin arrivera à saturation entre 2017 et 2023. En outre, les capacités d'entreposage préalable au stockage des déchets doivent être suffisantes, sachant que l'on arrivera également à saturation pour les colis vitrifiés à La Hague, par exemple.
Le troisième enjeu concerne les déchets dits « RCD », qui feront l'objet de reprise et conditionnement. Il s'agit de déchets anciens qui n'ont pas subi un conditionnement définitif : certains sont conditionnés, mais selon des modalités incompatibles avec leur gestion ultérieure ; d'autres, sous forme liquide ou solide – parfois en vrac –, ne sont pas conditionnés et sont entreposés dans des conditions de sûreté que l'ASN considère comme non satisfaisantes.
Des déchets contenus dans des silos HAO (haute activité oxyde) à La Hague.
Les modalités de conditionnement définitif de ces déchets sont difficiles à définir en raison de leurs caractéristiques physico-chimiques complexes ou hors du commun : ils sont très radioactifs et leur niveau de toxicité est très élevé. Le conditionnement reste à inventer, ce qui nécessite des ressources. La reprise, dans des silos ou des tranchées, ne sera donc pas facile au regard des incertitudes techniques, de l'enjeu de sûreté et de radioprotection ainsi que des incertitudes sur les charges financières associées.
Je l'ai visité une bonne dizaine de fois.
Pour ce qui est du coût de Cigéo, la dernière évaluation date de 2005 ; il est nécessaire de la revoir afin d'actualiser les coûts en fonction des choix et de l'apparition de nouveautés techniques. Du reste, un système de réévaluation périodique des coûts nous semble devoir être mis en place afin d'assurer un niveau suffisant des actifs dédiés.
Les déchets dits « RCD », issus du retraitement avant les années quatre-vingt-dix, ne sont pas conditionnés. Pour un certain nombre d'entre eux, l'ASN considère que les conditions de sûreté ne sont pas satisfaisantes et que leur reprise doit être résolument engagée par AREVA. Ces opérations en milieu très radioactif seront complexes et s'inscriront dans la durée.
Nous aurions aimé en savoir un peu plus sur ces déchets ainsi que sur le calendrier et le coût envisagés par l'ASN.
Hier, à La Hague, les représentants d'AREVA nous ont indiqué que le stockage direct coûterait aussi cher que l'ensemble de la filière du retraitement. Avez-vous la même évaluation ?
Nous ne disposons pas d'une évaluation technique précise de ces coûts. Peut-être est-ce une question de volume : les combustibles usés sont très volumineux, alors que le volume des déchets de haute activité à vie longue vitrifiés est considérablement réduit. L'estimation du coût que vous évoquez – du simple au double – pourrait venir du fait qu'il y aurait dans le stockage géologique profond deux zones très différentes, puisque les colis seraient différents, et que le volume occupé dans le sous-sol par les combustibles usés serait du même ordre de grandeur que les autres.
Non, je parlais d'un prix identique. Le retraitement permettrait de diminuer par cinq le volume de déchets, mais son coût équivaudrait à celui du stockage cinq fois plus important nécessité pour les combustibles non retraités.
S'agissant de Cigéo, quelles conditions de sûreté l'ASN a-t-elle identifiées ? On parle de la capacité des alvéoles à tenir dans la durée, du risque d'incendie, des risques de mélange de déchets MA-VL, notamment des bitumes. Dans quels domaines avez-vous le plus d'attente vis-à-vis de l'ANDRA ?
Quels éléments essentiels de réversibilité – sur laquelle le Parlement aura à se prononcer – l'ASN a-t-elle identifiés ?
Le devis pour Cigéo a été évalué par la Cour des comptes à 35 milliards d'euros plutôt qu'à 16 milliards. Dans ces conditions, quelles sont vos recommandations s'agissant des provisions à prévoir par les exploitants ? Le calendrier prévu par la loi vous semble-t-il à revoir ?
Enfin, il ressort du débat public qu'une phase pilote d'une quinzaine d'années pour le stockage en profondeur serait bienvenue pour tester la résistance du dispositif. Sachant que la première loi sur les déchets avance plusieurs pistes, ne vous paraît-il pas opportun de tester également le stockage en subsurface ?
En matière de sûreté, le collège de l'ASN a indiqué dans un de ses avis que « si une installation de stockage en couche géologique profonde est créée, seule sera autorisée l'admission des colis de déchets dont la sûreté de stockage aura été complètement démontrée ». Nous y veillerons donc scrupuleusement.
La notion de réversibilité introduite dans la loi est très floue, et sans doute mérite-elle de faire l'objet d'une réflexion plus approfondie. Selon nous, elle doit permettre d'arrêter un projet en cours si l'on se rend compte qu'il n'est pas faisable. Elle diffère de la notion de « récupérabilité », qui renvoie à la réextraction.
Je peux vous indiquer que les parlementaires avaient dans l'idée que l'on saurait peut-être traiter demain ce que l'on ne sait pas traiter aujourd'hui, et qu'il devrait être possible alors d'aller chercher des déchets enfouis pour éliminer le risque.
Dans votre esprit, réversibilité et récupérabilité sont donc synonymes.
C'est un éclairage bien utile, car on a pu constater au cours de différentes réunions de travail que tout le monde n'appréhende pas ces deux notions de la même manière, probablement pour des raisons techniques. En particulier, la question de savoir si des colis entreposés depuis plusieurs années seront récupérables reste ouverte.
La loi prévoit que la réversibilité est possible pendant au moins cent ans. Pour notre part, nous pensons que l'ANDRA devrait formuler des propositions techniques, en particulier sur les moyens de garantir le maintien d'une alvéole ouverte pendant un temps suffisant, les outils de manutention utilisables pour la reprise, les moyens de contrôle des colis pendant la phase d'ouverture du site, les procédés de récupération en cas de défaillance sur les colis. Aujourd'hui, une installation d'entreposage de surface doit permettre de récupérer à tout moment ce type de colis. Tous ces éléments techniques permettraient de faire avancer le débat sur la réversibilité.
Précisons bien que la récupérabilité n'a de sens que si une solution de neutralisation des déchets est trouvée. On peut aussi imaginer que, concomitamment, de nouveaux outils seront mis en oeuvre pour la récupérabilité.
À ce stade, nous avons besoin d'éléments techniques supplémentaires pour mettre les deux notions de réversibilité et de récupérabilité sur le pied d'égalité voulu par le législateur.
Pour en venir aux coûts, j'ai indiqué que les provisions faites en 2005 doivent être réévaluées. Je ne connais pas les montants précis qui seront nécessaires in fine. Du reste, on n'a pas besoin de tout l'argent tout de suite. L'important, c'est de sécuriser des sommes suffisantes à la hauteur des enjeux. N'ayant pas de visibilité sur la valeur des sommes déjà sécurisées, je ne saurais dire s'il faut accroître l'effort.
C'est un projet qui s'étale sur plusieurs dizaines d'années, au moins pour les premiers colis.
L'ASN n'est pas directement chargée d'évaluer le coût. Sa responsabilité, pour le démantèlement comme pour les déchets, est de s'assurer que les bases utilisées pour le calcul du coût sont cohérentes avec les bases techniques dont elle a connaissance.
Le calendrier est prévu par la loi, avec deux échéances importantes : 2015 pour le dépôt d'une demande d'autorisation, et 2025 pour une mise en service.
En raison des incertitudes techniques, le dossier ne nous paraît pas suffisamment avancé pour que l'ANDRA puisse déposer une demande d'autorisation d'ici à 2015. Le Parlement devra se prononcer sur ce qu'il convient de faire. Je ne pense pas que l'on puisse aller plus loin dans ce calendrier, sauf à segmenter les décisions relatives au projet Cigéo en fonction des catégories de déchets – colis vitrifiés, combustibles usés, colis bituminés – qui présentent chacune des caractéristiques différentes en termes de sûreté et de préparation.
Quel est le niveau d'urgence ? Avons-nous le couteau sous la gorge ou nous reste-t-il quelques décennies pour ouvrir un centre d'enfouissement ?
Les premiers colis vitrifiés ne seront pas descendus avant 2060, à l'issue d'une phase de refroidissement en silo à La Hague, où ils seront stockés en attendant. Je ne sais si ces silos peuvent être assimilés à du stockage en subsurface. Quoi qu'il en soit, le processus existe depuis très longtemps, et il est parfaitement maîtrisé et sûr. Peut-être peut-on considérer qu'il constitue un test en grandeur réelle du stockage en subsurface.
Dans ces conditions, et s'il ne faut pas commencer par les déchets de moyenne activité à vie longue, que fait-on d'ici à 2060 ?
Aujourd'hui, une grande partie des déchets en surface sont entreposés dans des conditions que nous jugeons satisfaisantes ; je pense en particulier aux entreposages de déchets vitrifiés à la Hague ou de coques et embouts.
Pour autant, ces entreposages n'ont pas vocation à être éternels. D'où l'intérêt d'aller le plus vite possible, avec néanmoins la contrainte pour l'ANDRA d'apporter la démonstration que le stockage en couche géologique profonde peut être autorisé de manière sûre. Même si la démonstration de sûreté demande du temps, dès lors que la décision est prise d'entreposer sur un tel site les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, le processus ne doit pas être ralenti.
Pour les déchets vitrifiés, qui doivent être refroidis, l'ANDRA a fixé l'échéance à 2060. Dans la mesure où les déchets bitumés sont sensibles au risque incendie, il nous semble prudent de stocker prioritairement des déchets aux caractéristiques plus stables, tels les coques et embouts cimentés. La phase pilote doit permettre d'observer le comportement des colis : il sera plus facile de réagir sur les coques et embouts cimentés que sur les bitumes ou les verres. Il y a donc une hiérarchie dans la prise en charge des colis, que ce soit pour la sûreté à long terme ou la sûreté en exploitation.
Le calendrier soulève deux sujets. Le premier a trait au délai nécessaire à l'ANDRA pour constituer un dossier correct. Alors que la loi prévoit une mise en service en 2025, la démonstration de sûreté ne pourra s'inscrire que dans un processus progressif. Sur le site de stockage de Cigéo, l'ASN n'a pas identifié d'élément rédhibitoire, mais n'a pas non plus donné son feu vert. De ce point de vue, l'ASN et l'IRSN sont en phase. Le second sujet concerne la chronologie entre le débat prévu au Parlement sur la réversibilité et le dossier de l'ANDRA. À notre sens, il serait plus logique que ce dossier soit présenté au terme du débat parlementaire, dont les conclusions pourraient conditionner des choix techniques.
La démonstration de sécurité et de sûreté devra prendre en considération deux périodes. S'agissant de la première, qui est une période de long terme s'appréciant en centaines de milliers d'années, l'ANDRA devra documenter l'impact du stockage sur l'environnement et les personnes, plus précisément sur la maîtrise du retour de la radioactivité à la surface, ainsi que sur le risque d'intrusion ou d'agression. La seconde période est la phase d'exploitation de cette installation de stockage unique. D'une part, aujourd'hui, peu d'installations sont conçues pour une exploitation d'au moins cent ans ; d'autre part, ce type d'installation souterraine présente des caractéristiques propres, comme le risque incendie auquel il faudra porter une attention particulière. D'où l'importance de la phase pilote avec l'entreposage des déchets les plus passifs possible. J'ajoute que le risque lié à la manutention ne doit pas être négligé, au vu du poids considérable des colis qui seront descendus à grande profondeur.
Comme les déchets vitrifiés, ce sont des déchets passifs. Ils sont donc plus facilement manipulables.
Mais vous avez indiqué que les déchets vitrifiés ne seraient pas concernés avant 2060. Par rapport à l'ensemble des déchets attendus pour Cigéo, quel volume les coques et embouts représentent-ils ?
Les coques et embouts, qui sont des déchets de moyenne activité à vie longue, occupent 11 000 containers pour un volume de 1 500 mètres cubes. Les déchets vitrifiés représentent 11 000 containers, soit 2 000 mètres cubes.
Ces chiffres figurent dans le PNGMDR.
Nous ne citons les coques et embouts qu'à titre d'exemple, parce que ce sont des colis non bitumés, qui n'ont pas la charge thermique ni le contenu radiologique des déchets vitrifiés. En fait, l'ASN demandera à l'ANDRA de lui présenter son schéma d'entreposage des déchets, en commençant par les plus passifs, pour des raisons de sûreté. Autrement dit, l'ANDRA définira, en lien avec les producteurs de déchets, les déchets qui devront être stockés en priorité, et l'ASN se prononcera sur ce programme industriel de gestion des déchets (PIGD). Nous pourrons vous faire parvenir des chiffres plus précis ultérieurement.
À une époque, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ne considérait pas le stockage en couche profonde comme la meilleure solution, non seulement en raison de l'instabilité du sous-sol, mais aussi de l'eau qui y circule. Comment évaluez-vous ce risque, sachant que l'eau circule dans le sous-sol à des vitesses très faibles ?
Vous avez indiqué que les déchets anciens sont stockés dans des conditions non satisfaisantes. Il nous a été indiqué hier que ces déchets étaient recyclés progressivement. Quel serait le bon rythme et quel échéancier vous paraîtrait acceptable ?
Entre le sous-sol argileux et le sous-sol granitique, le choix s'est porté sur le premier. La roche argileuse, totalement sèche, est considérée au niveau international comme un très bon milieu pour maintenir et confiner l'ensemble des éléments radioactifs sur plusieurs milliers d'années – au moins cent mille ans. Je n'ai pas d'autres avis que ceux qui se fondent sur les modélisations et les expérimentations en la matière.
Le volume des déchets dits « RCD », entreposés dans des conditions non satisfaisantes dans le bâtiment HAO de La Hague, représente 10 000 mètres cubes. L'ASN prépare actuellement une décision visant à renforcer les échéances de reprise de ces déchets. Ces prescriptions à destination d'AREVA fixeront les échéances bâtiment par bâtiment ; elles ont été transmises à l'ANDRA pour consultation, et devraient être publiées dans un ou deux mois.
À Grenoble, dans le cadre du démantèlement de Siloé, l'ASN a exigé du CEA une valeur d'activité résiduelle acceptable bien inférieure aux normes de santé publique, ce qui a augmenté la facture de 30 %. Autre exemple, nous avons visité hier un bâtiment décontaminé d'AREVA ; or si ce même bâtiment devait être démoli, l'ASN exigerait qu'il soit traité comme un déchet à part entière. Expliquez-nous ces différences d'exigences.
Notre démarche n'est pas uniquement sanitaire, elle est également dictée par un souci de maintien de la propreté des sites. En France, comme dans beaucoup de pays, de nombreux sites sont plus ou moins propres et doivent être repris. C'est en particulier le cas de ceux pollués au radium par les élèves de Marie Curie. Dans notre pays, ces sites sont très mal acceptés par la société.
L'ASN vise une propreté maximale permettant au site d'être totalement libérable au public ou de recevoir de nouvelles servitudes. Nous avons fait le choix de ne pas établir de seuil de libération dans le but de nous prémunir contre la banalisation des niveaux de radioactivité observée au niveau international, qui aboutit à la présence de radioactivité dans des produits de consommation courante comme les ustensiles de cuisine.
Pourquoi les exigences de l'ASN sont-elles différentes selon que le bâtiment est debout ou démoli ?
Un bâtiment debout situé sur une installation nucléaire obéit à des règles de radioprotection destinées à protéger les travailleurs et répondant à des normes internationales. Il est donc sous contrôle.
Un bâtiment démoli relève de la gestion des déchets. Nous avons introduit, il y a une vingtaine d'années, une démarche d'absence de seuil de libération en réaction à des épisodes régulièrement médiatisés d'identification de radioactivité ici ou là. Selon cette démarche, tout élément susceptible d'être radioactif doit être traité comme un déchet radioactif. De la nature physico-chimique du déchet dépend le niveau de précaution : la présence de produits de fission nécessite une protection maximale, tandis que le grattage d'un béton superficiel pourra se contenter d'un traitement moins exigeant que le stockage profond. L'ASN considère, en effet, que les centres de stockage sont des outils précieux qui ne doivent pas être utilisés pour des déchets inadaptés.
L'audition s'achève à seize heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire
Réunion du mercredi 2 avril 2014 à 15 h 45
Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Sandrine Hurel, Mme Frédérique Massat
Excusés. - rançoise Dubois, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Sylvie Pichot