Nous souhaiterions aujourd'hui aborder le volet départemental de l'action touristique ainsi que les aspects liés à la fiscalité, puisqu'une vingtaine de départements ont décidé d'instaurer une taxe additionnelle à la taxe de séjour. Alors qu'un certain nombre d'autres collectivités réfléchissent à des taxes additionnelles, votre point de vue nous sera très utile.
Je voudrais excuser Monsieur Jean-Pierre SERRA, président du Réseau national des destinations départementales (Rn2D). Quant à moi, je suis le Secrétaire général de Rn2D et président d'un comité stratégique : le Comité départemental du tourisme (CDT). Je suis également vice-président du Conseil général de Seine-et-Marne, chargé du tourisme, des musées et du patrimoine. J'assure les missions liées aux métiers du tourisme et du patrimoine. Je vais donc commencer par présenter Rn2D. Conformément à loi n° 92-1341 du 23 décembre 1992, les départements se sont dotés d'organismes pour développer leur politique publique de tourisme. Le réseau rassemble ces organismes, que l'on appelait jadis les comités départementaux de tourisme, qui sont devenus pour la plupart des agences de développement et de réservation touristique (ADT). Ce changement de langage traduit une évolution de leurs missions. Outre la promotion et la commercialisation, elles assurent en effet désormais des fonctions d'accompagnement, de développement et d'ingénierie puisque ces organismes assument aujourd'hui le rôle d'agences réceptives : nous recueillons dans le département au minimum 11 millions d'euros de chiffre d'affaires, notamment grâce à des visiteurs qui ne viendraient probablement pas sur notre territoire si l'agence de développement et de réservation touristique n'existait pas. Rn2D est un vrai réseau, très actif, abordant toutes les questions de fond, notamment techniques. Le réseau compte aujourd'hui 100 adhérents et est doté d'un budget cumulé de 200 millions d'euros. Il est investi pour moitié dans la promotion, les conseils généraux investissant en moyenne deux millions d'euros dans ces organismes grâce aux subventions des Agences de développement touristique.
Ce montant correspond aux subventions des ADT aux offices de tourisme, les plus faibles étant de l'ordre d'un million d'euros, les plus importantes, celles de l'Office de tourisme de Paris, de l'ordre de onze millions d'euros.
Globalement, les ADT sont des organismes à qui les Conseils généraux ont délégué, parce que l'administration ne dispose pas toujours des profils appropriés, le travail spécifique de négociation des prix et de discussion des questions d'hébergement. Ce travail est néanmoins vertueux, et a davantage impliqué les conseils généraux dans le développement touristique français, qui y occupent aujourd'hui une place plus significative que les régions. Ils participent à ce développement tant pour des régions rurales que pour l'aménagement de grands sites.
Ceci est dû au fait que les agences sont réparties en trois catégories : les agences de développement touristique, les agences de réservation touristique, et les agences de développement et de réservation touristique. Rn2D est né de la fusion de la fédération des CDT et de la fédération des loisirs accueil, ce qui signifie qu'au sein de notre réseau, il existe des membres ayant le même actionnaire, - le département -, mais dont certains ne font que de la commercialisation, et d'autres du développement, de la promotion et de la commercialisation.
Actuellement, notre réseau est mobilisé sur différentes problématiques.
La question principale est celle de la gouvernance : le tourisme est l'une des trois compétences partagées définies par la réforme territoriale (telle qu'elle est aujourd'hui). L'idée est de mieux coordonner les différents échelons, et non d'en faire disparaître. Il est nécessaire de mutualiser les enjeux autour de logiques de destination et non d'administration, en gardant comme priorité l'économie. La destination doit être le pilier de l'organisation administrative afin de mettre en lien l'offre et la demande touristiques.
La proposition de la ministre du Tourisme sur les contrats de destination vous convenait ?
Oui, sur le principe, même s'il y avait dans les premiers contrats de destination de nombreux éléments à perfectionner, autour d'économies d'emplois ou de l'accueil dans les villes, via les offices de tourisme.
Certaines régions comme la Savoie ou le Finistère sont des destinations touristiques, tandis que d'autres ne pourront pas fonctionner dans cette logique, comme la Picardie-Champagne-Ardenne, contrairement à la Champagne. Il est donc important de conserver une logique territoriale.
Deuxièmement, il ne peut y avoir de réflexion sur les compétences sans réflexion sur les ressources. Étant donné que l'activité peut générer ses propres ressources, il faut trouver les conditions qui permettent de ne pas puiser dans les ressources publiques, de plus en plus contraintes, tout en ayant un effet de levier afin de préserver les capacités d'investissement des secteurs qui fonctionnent. Il y avait 25 millions de touristes en 1950, il y en a aujourd'hui 1 milliard et ce chiffre devrait doubler au cours des quinze prochaines années. Si nous arrivions à gagner 5 % de cette part de marché, nous pourrions créer 500 000 emplois. Ne plus investir et ne pas penser aux questions des ressources, réfléchir de manière purement comptable, pourrait nous être extrêmement dommageable. La réflexion que vous menez sur les ressources est essentielle ; elle est aussi importante que les questions de compétences.
Il y a également la question de la filière qui manque aujourd'hui de visibilité. Le secteur touristique doit se développer en tant que filière économique organisée autour du triptyque formation, recherche et développement, innovation. Aucun des pôles de compétitivité de l'État ne porte sur le tourisme, c'est un problème.
Il est aussi nécessaire de parler d'un sujet passé sous silence : celui de l'aide au départ en vacances, récemment mis en avant par le gouvernement. Le succès de la France à l'international, et notamment le succès de Paris, cache une situation inquiétante : la baisse continue du nombre de Français partant en vacances.
Enfin, nous devons réfléchir aux relations entre les territoires, le numérique, et la politique touristique, qui est un sujet plus technique mais tout aussi préoccupant.
Je me permets d'ajouter un point sur les contrats de destination. Il nous semble indispensable de réfléchir dans les mêmes mesures à la promotion et à l'offre. Si l'offre n'est pas adaptée à la demande, si l'industrie est vieillissante, et s'il n'y a pas une politique d'animation sur l'offre, il manquera un pilier essentiel à la politique touristique. Pour nous, la plus-value du département réside dans son implication politique, car il constitue un échelon de proximité et une source d'expertise au service des professionnels, tant dans la sphère privée que publique (pour les offices de tourisme). Ce qui différencie Rn2D est qu'il est en lien direct avec le client. L'ADT ou le département ont des politiques d'animation et de qualification de l'offre touristique, tandis que le Comité régional du tourisme (CRT) s'occupe davantage de la stratégie et de la promotion internationale.
Nous sommes en faveur de l'abandon des schémas départementaux et de la création des schémas de tourisme de destination, car il est nécessaire d'avoir une cohésion économique, particulièrement dans le domaine du tourisme. Il n'existe aucun secteur économique ambitieux qui n'ait pas besoin d'investir. La source de l'investissement ne sera pas exclusivement privée, ni certainement uniquement publique. Il est important de noter que le levier public a permis des investissements très importants. À titre d'exemple, une fromagerie de la Seine-et-Marne est sur le point de doubler de taille et d'accueillir ainsi 10 000 visiteurs, grâce à 25 % d'investissement public, dont la taxe additionnelle a été une source de financement majeure. Il existe des investissements de ce type dans tous les départements de France, et c'est ainsi qu'est formé le maillage de l'offre touristique. Certaines collectivités, en compétences partagées, doivent avoir leurs propres ressources, tout comme l'État. La taxe de séjour additionnelle est un bon point d'appui. Nous tenons toutefois à insister sur l'importance du bon fonctionnement de cette taxe - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, - de l'élargissement de l'assiette à d'autres formes d'hébergement, et de la sécurisation de la perception, car le système actuel est déclaratif.
J'aimerais néanmoins que vous reveniez sur l'élargissement de l'assiette. La taxe de séjour est actuellement calculée par nuit et par personne. Il existe des propositions en faveur d'une indexation de la taxe sur le prix de l'hébergement. Certains ont proposé de créer une autre taxe, de développement touristique qui inclurait la visite de grands sites, la restauration. Nous n'y sommes pas favorables car nous ne voulons pas pousser à la hausse les prix de ce secteur, afin de ne pas affecter négativement la fréquentation touristique. D'autres, enfin, ont suggéré une taxe relative aux sites patrimoniaux. Quel est votre avis sur ces sujets ? Par ailleurs, vous évoquiez le fait qu'une partie de la taxe additionnelle est affectée à la consolidation de certains équipements, existe-t-il d'autres affectations ?
Il arrive que des comités départementaux ne décident d'aucune affectation de la taxe additionnelle. La contrainte budgétaire pousse de plus en plus de conseils généraux à conserver les recettes de cette taxe, sans les utiliser à des fins touristiques, ce qui est contraire à l'esprit de la loi. Si nous cherchons à soutenir l'économie par l'investissement, et à trouver les sources de cet investissement au sein de notre propre dynamique, il faut clarifier l'affectation des recettes. En effet, aucun hôtelier ni aucune commune n'attaque de conseils généraux en raison d'une non-affectation des recettes de la taxe à des activités touristiques.
Il faut également percevoir la taxe sur tous les types d'hébergement, afin que le tourisme ne fonctionne pas selon un régime à deux vitesses. La loi ALUR du 24 mars 2014 représente une vraie faille de ce point de vue.
La loi de 2009 de développement et de modernisation des services touristiques a été très positive en ce qu'elle a imposé la déclaration des locations de courte durée. Cette déclaration permet une meilleure connaissance de l'offre touristique - parcs de meublés et chambre d'hôtes - et une meilleure perception de la taxe de séjour. Si je devais soumettre une proposition à ce sujet, je préconiserais la numérisation de la déclaration. En effet, des déclarations électroniques, contrairement, à celles d'aujourd'hui sous formes de documents CERFA, simplifieraient les systèmes. Nous nous sommes mobilisés, avec les CDT des Bouches-du-Rhône et les associations de maires, pour créer des animations autour de la numérisation des déclarations, et nous avons constaté une amélioration des rendements.
Au sujet de la loi ALUR, l'exemption des résidences principales de la déclaration en mairie lors de la mise en location de courte durée a finalement sorti ces hébergements du marché et de l'offre touristique et, de fait, de la taxe de séjour. C'est pourquoi nous avions été porteurs d'un amendement, qui n'a malheureusement pas été défendu en séance malgré l'aval du gouvernement, afin de continuer à prendre en compte les résidences principales dans la taxe de séjour. Il me semble essentiel de réfléchir à cette problématique, afin de réintroduire dans le champ de la taxe les types d'hébergements alternatifs, qui représentent une nouvelle forme de consommation touristique. C'est d'ailleurs pour cette raison que Rn2D a toujours milité pour le classement des chambres d'hôtes, ce qui permettrait une meilleure visibilité touristique, notamment en termes de prix, pour le client.
Nous cherchons à ce que tous les types d'hébergement, y compris les aires de camping-car, soient concernés par la taxe de séjour.
Une entreprise de ma circonscription, unique en France, est vouée à la structuration de l'offre d'aires spécifiques pour les camping-cars. Même si aucune définition n'existe au niveau européen, la Catalogne a ainsi développé un marché très important du camping et du camping-car. Il s'agit donc ici de créer un passe valable pour l'Europe et le nord du Maghreb, qui octroierait une aire sécurisée aux camping-cars, tout en les responsabilisant. La Catalogne est porteuse de ce système, qui offre un moyen supplémentaire de collecte de la taxe de séjour. Inversement, un constructeur de camping-car de ma circonscription plaide pour la conservation d'un style de camping libre et contre une taxation des aires de camping-cars. Néanmoins, il semble normal que les détenteurs de camping-car contribuent à la préservation des installations touristiques, dans la mesure où ils en bénéficient aussi.
Nous pensons que cette taxe est vertueuse : elle crée des emplois et des moments de bonheur. Cette fiscalité est d'autant plus vertueuse qu'elle est un facteur d'équité au sein du secteur de l'hébergement touristique et que, contrairement à la majorité des taxes dans notre pays, le payeur est l'usager, et non le contribuable. Il semble normal que l'usager contribue au maintien du service de qualité dont il bénéficie, et nous ne connaissons pas de cas où l'augmentation du prix de l'ordre de deux ou de trois euros ait un impact sur la décision de consommation touristique.
Il est toutefois essentiel de garder à l'esprit que cela ne peut fonctionner que si l'argent perçu par la taxe est directement réinvesti dans le secteur touristique, car l'hébergement français, à cause d'un manque d'entretien inquiétant, est en train de s'effondrer.
La politique de l'État avec le classement est de proposer une offre de qualité. Aujourd'hui, les hébergements non classés sont ceux qui contribuent le moins à la taxe de séjour, et il nous semble que l'avantage fiscal dont ils bénéficient (le consommateur payant moins de taxe), fait défaut au parc touristique français. Deux options sont donc possibles : rendre le classement obligatoire - ce que nous avons suggéré - ou renforcer la taxation des établissements non-classés pour rétablir l'équilibre.
Cette proposition est intéressante. En outre, il y a un problème relatif à la fourchette, qui, s'étalant de 0,20 euro à 1,50 euro, est extrêmement resserrée. Nous proposerons donc sûrement, dans notre rapport, une somme plus élevée, notamment pour les hébergements haut de gamme.
En effet. Je n'ai à ce propos pas connaissance de cas où un consommateur choisirait un hôtel plutôt qu'un autre sous prétexte qu'il n'aurait pas de taxe de séjour.
Par ailleurs, plusieurs pays européens ont des taxes de séjour bien supérieures aux nôtres, ce qui laisse une marge de manoeuvre importante.
Il est vrai, mais je ne crois pas que ce soit, pour les touristes, un facteur déterminant la destination.
Tout à fait. J'aimerais revenir sur le sujet de l'affectation de la taxe de séjour par les départements.
La situation actuelle est tout à fait insatisfaisante. La taxe de séjour devrait servir le développement touristique en devenant l'outil principal de la mise en place des contrats territoriaux de destination, portée par les collectivités territoriales. Il faut conserver, à l'image de Rn2D, une vision nationale et un aménagement local.
Selon nos services, vingt-huit départements ont mis en place la taxe de séjour additionnelle en 2011. Ce sont principalement des départements très touristiques, situés donc en zone de montagne ou sur le littoral. La Savoie réussit à collecter près de 1,3 million d'euros grâce à la taxe additionnelle départementale, et en affecte la grande majorité à un plan d'accompagnement et d'investissement touristiques. Dans une optique similaire, le Lot a instauré une taxe additionnelle de séjour et a lié ses investissements dans le secteur du tourisme (rendus possibles grâce aux recettes de cette taxe) à la mise en place par la commune d'une taxe de séjour.
En 2011, selon la Direction générale des collectivités locales, sans compter la ville de Paris, ce montant s'élevait à 8 millions d'euros.
Paris est un bon exemple de commune qui ne réinvestit que peu les recettes de la taxe de séjour dans le tourisme. En effet, seuls 10 à 12 millions d'euros des quarante millions perçus au total sont réinvestis dans le tourisme.
Certes. Environ 18 millions d'euros sont donc affectés au tourisme à Paris.
Nous savons que plusieurs rapports circulent sur la suppression de la taxe additionnelle départementale et y sommes opposés dans la mesure où le noeud de leur réflexion réside dans la mauvaise collecte de la taxe. Nous pensons bien sûr qu'il est plus judicieux de réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour optimiser la collecte que de répondre par une suppression.
Que pensez-vous du projet des syndicats d'Île de France (STIF) de la mise en place d'une taxe additionnelle tenant compte du fait que les touristes circulent sur le réseau de transport ?
Les politiques publiques se tournent avant tout vers les secteurs qui génèrent d'importants revenus. Il n'est donc pas étonnant que le STIF propose une telle mesure. Rn2D et CRT demandent régulièrement qu'une commission spécifique pour le tourisme soit créée au sein du STIF, mais nous ne pensons pas que la taxe de séjour soit la bonne réponse aux problèmes de transport que connaissent les touristes d'Île de France.
Pour résumer, au cours de cette audition, vous avez cherché à attirer notre attention sur la généralisation de la taxe de séjour, sur la clarification de son affectation qui mériterait d'être mieux identifiée, sur la simplification et la sécurisation de sa perception. Vous nous avez par ailleurs communiqué vos doutes sur le projet de taxe du STIF. Nous avons également convenu de ce que vous communiquerez à nos services votre projet d'amendement sur la loi ALUR.
Nous avons également insisté sur la simplification de la déclaration, notamment par voie électronique, des meublés et des chambres d'hôtes, qui représentent deux tiers des hébergements touristiques, dans l'optique de mobiliser nos efforts pour une meilleure connaissance du parc des hébergements.
Derrière cette taxe de séjour, se cachent de véritables sujets de société ; au cours des dernières années, la moitié de l'hôtellerie indépendante a disparu.
Tout à fait. La question de l'hôtellerie indépendante tient à ce que de nombreux hôteliers ne se sont pas rendu compte de la hausse du niveau de vie des touristes et ainsi de leurs attentes. De nombreux touristes chinois, par exemple, se plaignent régulièrement de l'hôtellerie de luxe française. Récemment, j'ai eu l'occasion de discuter avec la directrice du tourisme de la Catalogne, et ai été frappée par la différence de son approche avec celle que nous avons en France : plutôt que de se concentrer sur l'offre, comme nous le faisons, cette communauté espagnole axe ses recherches et ses moyens vers la demande mondiale.
Il faut néanmoins garder à l'esprit que l'offre touristique française est extrêmement concentrée (avec 80 % de l'offre hôtelière sur 20 % du territoire), et qu'un des enjeux principaux est de rééquilibrer cette répartition.