La séance est ouverte à 17 heures 30.
Présidence de M. Serge Letchimy, vice-président.
La Délégation examine le rapport d'information sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 2188) (M. Serge Letchimy, rapporteur).
La présentation de ce rapport d'information fait suite à la série d'auditions que nous avons menées sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Après que j'aurai exposé les grandes lignes de ce travail, je suggère que nous discutions de propositions d'amendements pouvant être présentés au nom de la Délégation aux outre-mer.
La première bataille à remporter lors de l'examen de ce texte est de convaincre l'ensemble de nos collègues de l'importance des enjeux écologiques et environnementaux dans l'outre-mer. Étant donné le positionnement géostratégique que nous apportons à la France, nous devons établir un rapport gagnant-gagnant quels que soient nos statuts. Les Outre-mer représentent 97 % de la surface maritime de la France et la placent en deuxième ou troisième position mondiale pour ce qui est de la biodiversité.
Dans ce cadre, il est possible de construire ensemble une stratégie de mutation écologique qui redonne sens au développement économique de nos pays respectifs en mobilisant une ingénierie interne et endogène. En l'espèce, ce ne sont ni la défiscalisation ni le budget de l'outre-mer pour 2015 qui sont essentiels, mais l'occasion de reprendre la main pour créer les conditions d'un nouveau développement dont nous maîtriserions l'ingénierie et les savoir-faire.
Quelques chiffres pour donner la mesure des enjeux sur le terrain. Depuis 2004, la consommation énergétique augmente annuellement de 7 % à La Réunion, de 4 à 5 % en Martinique et en Guadeloupe. La consommation électrique de Mayotte a connu, entre 2003 et 2004, une progression de 30 %. Cette croissance exponentielle rend d'autant plus importante la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et la mutation vers les énergies renouvelables.
Le niveau de dépendance aux énergies fossiles importées pour la production d'électricité est extrêmement élevé : 98 % en 2010 pour la Martinique, 70 % pour la Guadeloupe et La Réunion, environ 50 % pour la Guyane.
Le Grenelle de l'environnement avait fixé des objectifs clairs : l'autosuffisance en 2030, avec un objectif intermédiaire de 50 % d'énergies renouvelables en 2020. Les élus d'outre-mer devront obtenir des précisions sur ce niveau d'exigence. Maintient-on ces objectifs – et quels moyens met-on en oeuvre pour les atteindre – ou les atténue-t-on en fonction des ressources en énergies renouvelables de chaque région ?
Rappelons que le coût de production du MWh, qui est de 60 euros au niveau national, varie entre 90 et 200 euros dans les outre-mer : 90 euros pour La Réunion, 120 pour la Martinique et la Guadeloupe et 200 euros pour Saint-Pierre-et-Miquelon. Dans d'autres îles ne bénéficiant pas de la CSPE (contribution au service public de l'électricité), le poids de la facture électrique est considérable. La CSPE fait d'ailleurs l'objet d'un débat. Le coût de la péréquation qu'elle permet entre les DOM et l'hexagone est d'environ 2 milliards d'euros.
Enfin, la stratégie de la mutation énergétique doit s'accompagner d'une stratégie à la fois économique et sociétale. Nous ne devons pas être des terres exploitables où la valeur ajoutée est ramenée dans l'hexagone directement ou par des systèmes de défiscalisation. Il faut absolument que l'ingénierie soit domiciliable localement.
Passons maintenant en revue les différentes énergies renouvelables.
S'agissant du photovoltaïque, le système de défiscalisation a été supprimé et le tarif de rachat par EDF a baissé. La commission Baroin souhaitait que l'on ramène ce tarif à 20 centimes d'euro, mais aucune décision concrète n'a été prise. Nous devons donc exiger la mise en place, dans les meilleurs délais, d'un tarif de rachat attractif, seul moyen de relancer la filière. Il convient également d'obtenir une confirmation claire de la ministre concernant l'accès des équipements photovoltaïques au crédit d'impôt développement durable.
C'est EDF qui a fixé unilatéralement le seuil de 30 % d'électricité d'origine variable dans les réseaux. Comme le médiateur de l'énergie et de nombreux collègues, je pense qu'il faut revoir le système de gouvernance d'ERDF (Électricité réseau distribution France) et d'EDF. Ne conviendrait-il pas de prévoir, notamment dans le cadre des plans de performance énergétique régionalisés, d'intégrer une dimension publique dans la gouvernance locale d'EDF, comme c'est le cas pour les grands ports maritimes ou les aéroports ? On ne peut mener à bien le PCET (plan climat énergie territorial), le SRCAE (schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie), le SAR (schéma d'aménagement régional), le PRAD (plan régional de l'agriculture), sans pouvoir peser d'aucune manière sur l'entreprise !
En l'espèce, le seuil de 30 % est un frein. Presque tous les départements et territoires d'outre-mer l'ont aujourd'hui atteint ou dépassé. Il faut le porter à 40 % et mettre en place les réponses technologiques – stockage, réseaux intelligents et interconnectables – appropriées. Nous devons ici structurer l'innovation, ce qui pose la question des appels à projets. Bien que leurs modalités ne soient pas toujours adaptées à l'outre-mer, on enregistre quelques progrès. Le projet européen ENR 300 a ainsi permis de développer l'énergie thermique en mer. On peut également évoquer les STPE (stations de transfert d'énergie par pompage) et le SWAC (Sea-water air conditioning).
Certains de nos projets sont très avancés. C'est à ce titre que l'on peut parler de « laboratoire », étant entendu que ce laboratoire doit servir la puissance économique endogène. Les avancées en matière de géothermie en Nouvelle-Calédonie, en Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion, sont essentielles pour nous donner accès à de nouvelles technologies et à un mix énergétique aussi varié que possible.
Pour ce qui est de la biomasse, la bagasse, utilisée à La Réunion et à la Guadeloupe pour produire de l'électricité, pose un réel problème. L'Union européenne prévoyant de supprimer les quotas pour le sucre en 2017, on risque d'assister à une chute de la production de la filière. Il faudra lutter pour obtenir à la fois le maintien des quotas et l'amélioration des conditions de rachat par EDF, donc de compensation par la CSPE, afin d'assurer aux planteurs une rémunération correcte. Il faudra également apporter des précisions sur le tarif de rachat des matières de deuxième génération – fibres de canne, herbes à éléphant, copeaux de bois importés transitoirement sur les terres chlordéconées de la Martinique et de la Guadeloupe. Alors que la plupart des unités prévues pour fonctionner avec de la biomasse brûlaient une proportion de charbon très importante – 90 % en Martinique –, on a inversé le rapport, mais une grande partie de la biomasse est importée.
Pour en revenir à la filière canne à sucre, le potentiel de production en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion est de 104 MW. Beaucoup de résidus de canne actuellement non utilisés pourraient être valorisés dans différents secteurs – plastiques, etc.
Il faut souligner l'importance du rôle et de l'avis de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) dans les choix en matière de mutation énergétique, mais aussi s'interroger sur son contrôle lorsqu'elle remet en cause la dynamique régionale de production d'énergies renouvelables en privilégiant une décision d'opportunité en fonction des prix. Le raisonnement de la CRE est extrêmement arithmétique : si le coût de production dépasse celui de l'énergie fossile, le projet est éliminé. Mieux vaudrait développer une approche globale : en faisant des choix économiques différents, on participe à la diminution des émissions de gaz à effet de serre et, à terme, on réduit la facture énergétique et on accompagne la sortie du fossile.
Dans le domaine de la géothermie, nous préconisons un développement en interconnexion avec la Dominique pour ce qui concerne la Guadeloupe et la Martinique. Notons que le coût des forages est extrêmement élevé. Là aussi, la mutation énergétique a un prix ; or, nulle part le texte ne prévoit de moyens pour accompagner les régions et les collectivités.
L'éolien, enfin, fait l'objet d'un tarif de rachat. La filière essaie de redémarrer selon les choix que chacun a faits localement.
Le succès de la transition énergétique dépend tout d'abord du mode de gouvernance adopté. Une forte décentralisation est nécessaire, notamment en matière de recherche, d'innovation et de stratégie. Le texte prévoit, certes, une intégration du SRCAE dans le SAR, mais d'autres documents de planification – PCET ou autres – devront être harmonisés localement.
Pour ce qui est du pilotage du développement durable, deux régions ont à ce jour demandé une habilitation. La Réunion, pour sa part, se trouve quelque peu bloquée du fait de l'amendement Virapoullé. Cela dit, l'habilitation n'est pas le transfert des compétences. Sans doute faudrait-il aller beaucoup plus loin. Une habilitation sur des points purement énergétiques n'a guère de sens sans habilitation en matière fiscale, sociale, foncière, etc. Si l'on veut mettre en place un laboratoire, il faut qu'il soit complet ! C'est pourquoi nous devrions revendiquer une habilitation large. L'article 73 de la Constitution, n'en déplaise à certains juristes, ne limite pas la portée des domaines sur lesquels les collectivités peuvent exercer leurs compétences.
Parmi les éléments nouveaux du projet de loi, la régionalisation des PPE (plans de performance énergétique) me semble intéressante. On pourra ainsi construire un PPE en cohérence avec la dynamique de développement et les documents de planification des territoires.
Au total, je propose que l'on fasse passer le plafond d'électricité d'origine variable de 30 à 40 % – ce qui implique que l'on mette fortement l'accent sur le stockage – et que l'on favorise le développement de l'autoproduction. Je pense en particulier aux installations photovoltaïques d'une puissance inférieure à 100 kW, qui ne font pas aujourd'hui l'objet d'appels à projets ou à manifestations d'intérêt. On pourrait ainsi développer des stratégies individuelles d'autoproduction avec recommercialisation, vente à EDF et injection dans le réseau, moyennant une aide fiscale à l'investissement et un tarif de rachat spécifique. Aujourd'hui, EDF refuse de racheter l'électricité produite par des installations de faible capacité.
Il faut néanmoins être très prudent quant à l'utilisation de la CSPE pour le financement de la transition énergétique. Cette contribution servant à la fois aux énergies renouvelables et à la solidarité, un risque d'explosion existe, auquel cas le volet solidarité pourrait être remis en cause au profit du volet investissement. On pourrait dénoncer les quelque 2 milliards d'euros mobilisés au profit des Outre-mer, et nous nous entendrons une fois de plus traités de « danseuses de la République ». Il me paraît plus sage de rechercher des sources d'investissement différenciées.
Seuls trois articles du projet de loi concernent spécifiquement l'outre-mer, mais je crois que la ministre, consciente qu'il s'agit pour nous d'une occasion unique de changer les choses, est ouverte à la discussion de nombreux amendements. Encore faut-il préciser que le projet de loi vise les départements et régions relevant de l'article 73 de la Constitution et non les collectivités relevant de l'article 74. Je le regrette, mon opinion étant que l'article 74 procède d'une vision totalement néocoloniale. Pourquoi supprimer l'exigence d'égalité et de solidarité au nom de l'expression de la différence ? Pour ma part, je soutiendrai tout amendement prévoyant l'application de la CSPE dans les îles du Pacifique.
Les articles 3, 4 et 5 du texte, relatifs à l'amélioration énergétique des bâtiments, ouvrent un champ important où l'on devra mobiliser les entreprises locales.
Les articles 10 et 11 visent à favoriser le développement des véhicules électriques. Toutes les stratégies de stockage pour alimenter des bornes électriques à partir d'une production solaire ou autre seront les bienvenues.
Dans le cadre de l'article 53, il sera possible de trouver des solutions pour l'ingénierie domiciliée en interconnexion avec les zones frontalières, par exemple dans le domaine du traitement des déchets.
Les articles 56, 58 et 59 ont trait aux expérimentations dans les collectivités locales. Les « boucles locales » ainsi conçues nous permettront de configurer nos technopoles et pôles de compétitivité sans dépendre de l'hexagone et en partageant des technologies avec des pays voisins. Encore faudra-t-il prévoir des équivalences de normes ! Une expérimentation par zones géographiques transfrontalières – réunissant par exemple l'Afrique du Sud et La Réunion, le Canada et Saint-Pierre-et-Miquelon, ou encore Haïti, la Martinique et la Guadeloupe – en matière de traitement des déchets en plastique permettrait d'ouvrir bien d'autres champs.
Le rapport se conclut par cinq propositions.
Premièrement, insérer à l'article 1er du projet de loi des objectifs chiffrés en faveur des Outre-mer et préciser la nécessité de fixer un « juste prix » de rachat de l'électricité dès lors qu'il y a réduction des émissions de gaz à effet de serre et de consommation d'énergies fossiles. Un point très précis doit être fait au sujet de la bagasse et, plus généralement, de la biomasse.
Deuxièmement, bonifier les certificats d'économie d'énergie délivrés pour des investissements effectués outre-mer.
Troisièmement, favoriser les énergies marines, notamment en intégrant les autorisations d'exploiter, les autorisations d'occupation du domaine public maritime et les concessions d'utilisation du domaine public maritime au nombre des actes administratifs ressortissant d'une voie de recours unique devant le Conseil d'État.
Quatrièmement, prévoir que les attributions de CSPE peuvent tenir compte de l'utilité sociale des réalisations et des plans de performance énergétique. Le prix des énergies fossiles ne doit pas être l'unique référence.
Cinquièmement, étendre le champ d'application de l'habilitation énergie prévue à l'article 62.
S'ajoute à cela une série propositions comme l'interdiction de stocker des véhicules hors d'usage (VHU) dans les parcelles privées, ainsi que des incitations au recyclage – le niveau de recyclage dans nos pays est trois fois inférieur à celui de l'hexagone.
Pour conclure, j'insisterai sur la démarche consistant à signer avec l'État des contrats de programme ou des contrats de projet sur la mutation énergétique. La Martinique s'est ainsi engagée avec Mme Ségolène Royal dans la démarche « île durable ». Pourquoi ne pas inscrire dans le projet de loi un mécanisme de programmation contractuelle, dénommé « île durable » pour les territoires insulaires, afin de créer une véritable dynamique ponctuée par des moments d'évaluation et d'adaptation des programmes mis en oeuvre ?
Une dynamique d'accompagnement est en effet nécessaire. Il arrive cependant que de telles démarches restent incomplètes, compte tenu de la diversité de nos territoires. Il convient d'étudier très en détail les collectivités concernées. Je pense, en l'occurrence, à Mayotte, où les tarifs de l'électricité sont très élevés et où les familles sont souvent nombreuses et sans aucun revenu. Ne pourrait-on essayer d'établir un tableau comprenant les hypothèses de tarif en fonction du mode de production de l'électricité ? Quand bien même bénéficierions-nous de la solidarité nationale sous forme de péréquation, l'argent serait investi immédiatement dans la production d'énergie classique et n'aurait pas d'effet sur le prix d'achat de l'électricité. D'où la nécessité d'un diagnostic en termes de coûts de revient.
Cela dit, c'est une chance inouïe pour nous que d'avoir à tester un schéma de développement partant de la production locale.
À Mayotte, je l'ai dit, beaucoup de foyers ne disposent d'aucun revenu et ne sont donc pas concernés par le système de réduction d'impôt prévu par le texte. Ne pourrait-on imaginer à la place une forme d'allocation ?
Je crois enfin qu'il faut beaucoup insister sur la formation. Les technologies étant nouvelles, le risque est d'avoir à importer aussi bien la production que la compétence. Or c'est un autre type de développement que nous espérons voir émerger.
Il est indispensable d'étudier avec la plus grande attention la question de l'économie circulaire, à laquelle est consacré un titre de la loi. Dans les Outre-mer comme dans l'hexagone, tout reste à faire en ce domaine. Développer l'économie circulaire permettrait de mieux s'inscrire dans cette dynamique de développement interne et endogène que vous avez décrite, monsieur le rapporteur. Il s'agit, je le rappelle, de penser toutes les transformations d'un produit, de sa fabrication à sa fin de vie et à son recyclage, puis à sa réintroduction éventuelle, sous une autre forme, dans l'économie. La démarche est d'autant plus intéressante que la plupart des territoires représentés ici sont des îles. En matière de gestion des déchets, par exemple, plus le territoire est petit, plus la question se pose avec acuité. Il peut y avoir là une source d'énergie.
Par ailleurs, je suis tout à fait disposée à soutenir et cosigner des amendements de la Délégation sur lesquels nous nous mettrions d'accord aujourd'hui.
Je précise que Mayotte a droit à la CSPE, monsieur Said. Reste à savoir quand elle y sera mise en place ! Par ailleurs, une évaluation des tarifs selon les modalités de production serait la bienvenue, car elle nous éclairerait sur la manière dont la CSPE pourrait s'appliquer.
Comme vous, je pense que la mutation énergétique et écologique doit s'accompagner d'une stratégie de formation, d'un plan général des emplois et des compétences pays par pays qui permettrait d'évaluer les besoins mais aussi de rapatrier les jeunes partis se former ailleurs, dès lors que l'on a créé les conditions de leur insertion économique.
Quant à l'économie circulaire, nous l'avons abordée dans une de nos auditions de ce matin. J'ajoute que le document « île durable » que j'ai signé avec la ministre consacre un important volet à l'économie circulaire. Nous proposerons des amendements en ce sens, en insistant sur le lien avec l'économie sociale et solidaire et sur la responsabilité sociétale des entreprises et des collectivités. L'économie circulaire ne peut pas reposer uniquement sur des fonds publics ! Il faut également insister sur l'interconnexion et la massification des produits, car nous sommes confrontés à des problèmes d'échelle.
De plus, le traitement des déchets en économie circulaire se heurte à la stupidité de certains règlements européens : les aides du POSEI (programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité) ne peuvent financer que des circuits qui rapatrient les déchets en Europe, ce qui revient, vu l'éloignement, à ajouter de la dépendance à de la dépendance !
Pour ce qui est des amendements, nous ferons circuler nos propositions au sein de la Délégation, mais je propose aussi que nous les soumettions à nos groupes respectifs, de manière à leur apporter le plus large soutien possible.
Je confirme la difficulté du traitement des déchets dans les petits territoires. À cet égard, il faut saluer le travail qu'Éco-Emballage a engagé à Saint-Pierre-et-Miquelon.
La collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon relevant de l'article 74 de la Constitution, ce projet de loi ne lui sera pas applicable. La création du chèque énergie a néanmoins attiré mon attention, sachant que le poste chauffage et isolation est très important dans l'archipel. Nous souhaitons bénéficier de cette mesure, en remontant les plafonds de ressources comme cela avait été fait en matière de logement.
Par ailleurs, bien que nous relevions de l'article 74, nous bénéficions de la CSPE.
C'est probablement parce que Saint-Pierre-et-Miquelon était encore un département au moment de l'introduction du dispositif.
Toujours est-il que cette contribution apporte en moyenne un financement annuel de 1 600 euros par ménage. Alors que le chiffre d'affaires d'EDF à Saint-Pierre-et-Miquelon n'est que de 4 millions d'euros, la CSPE abonde localement 8 millions par an.
Nous n'ignorons pas l'importance de ce projet de loi. Cependant, comme l'indique clairement le rapporteur : « S'agissant des COM, en revanche, aucune mesure du texte ne s'applique directement à eux. »
Nos territoires réfléchissent actuellement à des stratégies de développement durable pour les quinze prochaines années. La transition énergétique a, de ce point de vue, une importance considérable. Wallis-et-Futuna et la Polynésie française partagent les mêmes avantages : le soleil, le vent, mais aussi, en certains endroits, les marées ou l'activité volcanique.
Je partage l'analyse du rapporteur quant à la « ségrégation » opérée par l'article 74 de la Constitution, d'autant que cet article établit une distinction supplémentaire entre les territoires dotés de l'autonomie et les autres. Cela étant, même dans ce cadre, pourquoi Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficierait de la CSPE et pas la Polynésie française ou Wallis-et-Futuna ? Il faudra que le Gouvernement s'en explique !
Alors que le texte propose des leviers importants pour le développement de nos territoires, nous sommes contraints de rester dans l'expectative. Nous devons attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité d'étendre certains dispositifs aux communautés d'outre-mer.
Le rapporteur parlait de la bagasse, mais il existe également, à Ouvéa, une production de biocarburant à base d'huile de coco permettant le fonctionnement de plusieurs stations thermiques.
À Wallis-et-Futuna, près de 90 % de l'énergie consommée est d'origine fossile. Le transport des combustibles contribue, bien évidemment, à alourdir la facture. Nous avons du soleil toute l'année et ce potentiel ne demande qu'à être exploité ! Si nous bénéficiions de la CSPE, nous pourrions développer le photovoltaïque et abaisser, in fine, le prix de l'électricité. Aujourd'hui, le KWh est chez nous six à sept fois plus cher que dans l'hexagone. Le fait de relever de l'article 74 n'exonère pas nos territoires de l'exigence d'équité entre les citoyens !
Avec les députés de Tahiti et de Nouvelle-Calédonie, nous déposerons donc des amendements visant à étendre la CSPE à nos territoires, ce qui contraindra le Gouvernement à nous donner des réponses précises et, le cas échéant, à nous proposer d'autres leviers nous donnant les mêmes chances que les départements d'outre-mer.
L'Assemblée de la Polynésie française s'apprête à demander le classement de nos territoires en ZNI – zone non-interconnectée –, de manière à bénéficier, à l'instar de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la CSPE.
Depuis les deux Grenelle, la Polynésie s'est clairement positionnée pour atteindre les objectifs fixés, d'autant que sa production hydroélectrique représente environ 30 % de la production totale. En 2010, nous avons adopté un premier schéma visant à atteindre 50 % d'énergies renouvelables en 2020. Ce schéma a été modifié en 2013 sur la base de deux études dont nous avons bénéficié, l'une du cabinet Carbone 4, l'autre de la CRE.
La Polynésie a donc la chance d'avoir une vision très claire des possibles. Au-delà de l'atout que peuvent représenter les programmes d'innovation, il faut être réaliste quant à la capacité de chaque territoire à accueillir un nouveau mix énergétique. Il est impératif qu'en fin de programmation, les prix restent supportables pour l'usager. Toute la difficulté réside, me semble-t-il, dans cette équation : jusqu'où la part de l'objectif écologique peut-elle aller au regard du coût final pour la collectivité, pour l'État et pour l'usager ? Nous disposons aujourd'hui de l'ingénierie nécessaire pour mener des études sérieuses. Il serait donc souhaitable que ce texte fasse obligation à l'État de diligenter de telles études dans l'ensemble des territoires ultramarins. Nous pourrions ainsi disposer, dans un ou deux ans, d'éléments très clairs sur ce qui est possible ou non localement et nous pourrions élaborer une véritable stratégie de la transition énergétique outre-mer.
Il faut en effet savoir que certaines technologies sont encore dans une phase de recherche. Il serait plus pertinent d'adapter les programmes de recherche et d'innovation en fonction de nos contraintes géographiques et de nos particularités, ce qui permettra à chaque territoire de l'outre-mer de bénéficier des résultats de tous les autres. La Polynésie a déjà recueilli des données pouvant intéresser d'autres territoires. À l'inverse, elle s'intéresse aux projets menés ailleurs.
Pour en revenir au projet de loi, il serait en effet important de rappeler à l'article 1er, données chiffrées à l'appui, que l'outre-mer fait en grande partie la richesse environnementale de la France. On ne sait pas, par exemple, que la Polynésie représente la moitié de la surface maritime française outre-mer.
En matière de pilotage, je crois que les députés de Polynésie approuveront sans difficulté vos propositions, monsieur le rapporteur. Pour nous aussi, le dossier de la CSPE est prioritaire.
Qu'en est-il de l'application du texte à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, qui sont devenues des collectivités d'outre mer ?
Je rejoins votre analyse de l'organisation commune du marché (OCM) du sucre, monsieur le rapporteur. L'usine sucrière du Galion, en Martinique, n'a pas vu le jour, et celle de Marie-Galante, en Guadeloupe, bat de l'aile et fonctionne au charbon quand il n'y a pas de bagasse !
En outre, la suppression des avantages fiscaux pour le photovoltaïque a mis en difficulté nos entreprises. Comment relancer l'installation de panneaux ?
Enfin, pourquoi Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficie-t-elle de la CSPE et pas les autres COM ? Les élus ultramarins risquent de se diviser !
Il faudra vérifier ce qui figure sur la facture d'électricité des habitants de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, et comprendre pourquoi les COM qui n'ont jamais eu la CSPE n'y auraient pas droit. Préparons nos amendements. L'État sera bien embarrassé pour répondre !
Nous avons déjà effectué cette recherche pour ce qui est de la Polynésie. Pour rendre la CSPE applicable sur nos territoires, il faudrait modifier une vingtaine d'articles du code de l'énergie. C'est pourquoi nous envisageons d'amender le projet de loi en prévoyant cette réécriture à une échéance donnée. Une mission Service public 2000 en Polynésie travaille actuellement à cette proposition soutenue par les conseils économiques et sociaux de Polynésie, de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna.
J'avais voté contre l'article 74 de la Constitution. Il n'est pas noble que des pays soient mis en situation de quémander l'égalité en matière de solidarité !
En résumé, nous demanderons que soit inscrits à l'article 1er la reconnaissance du rôle des outre-mer ainsi que des objectifs stratégiques chiffrés territoire par territoire. Pour ma part, je suis favorable à un cadre expérimental de type « île durable », mais il peut y avoir différentes voies juridiques.
La loi de programme pour l'outre-mer de 2003 devait s'étendre sur quinze ans, avec des évaluations tous les deux ou trois ans. Cela ne nous a pas menés bien loin : le Président de la République suivant s'est empressé de détricoter la loi !
C'est bien pourquoi nous devons insister sur le pilotage spécifique de la transition énergétique outre-mer et sur le maintien de l'ingénierie sur nos territoires. Je souhaite que les schémas soient durables et qu'ils fonctionnent en réseau.
Si nous demandons que le Gouvernement instaure un schéma de développement des territoires, chaque île pourra ensuite répondre à l'appel à projets comme il lui conviendra.
Pour Wallis-et-Futuna, un plan d'accompagnement de la transition énergétique pourrait aider à mettre à plat tous les problèmes.
Nos territoires sont si isolés que le coût du transport des hydrocarbures se répercute très fortement sur le prix de l'électricité. Dans ces conditions, il nous est difficile de mettre en oeuvre les projets d'incitation à l'utilisation de véhicules électriques. De plus, les barils vides s'entassent et polluent nos îles. La CSPE devrait prendre en compte le handicap structurel que constituent notre isolement et notre éparpillement géographique.
L'idée d'un plan d'accompagnement permettra aussi d'insister sur l'économie circulaire.
Au vu de notre discussion, je crois que la délégation peut formuler quatre propositions supplémentaires :
Proposition 6. Demander au Gouvernement une étude tarifaire concernant les productions électriques de Mayotte susceptibles d'être éligibles à la CSPE. Demander également au Gouvernement, dans la même étude, d'établir une prévision des prix de revient correspondant aux différentes énergies renouvelables qui pourraient être développées prochainement dans ce département.
Proposition 7. Prévoir, au sein des DOM, des plans régionaux d'action concernant l'économie circulaire. Prévoir également la possibilité de conduire des expérimentations locales, sous l'égide de la région, portant sur l'interconnexion des différentes opérations de ramassage, de tri et de recyclage des déchets, que ce soit sous forme cde produits dérivés ou d'énergie.
Proposition 8. Prévoir un plan spécifique d'accompagnement pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, permettant à ces trois collectivités territoriales d'appliquer les principaux dispositifs du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et tendant, tout particulièrement, à les faire bénéficier de la CSPE pour leurs productions locales d'électricité.
Proposition 9. Prévoir un schéma de développement des territoires sur la transition énergétique – avec, en particulier, un volet sur la recherche et l'innovation et avec des stratégies de complémentarité entre territoires – qui indique, collectivité par collectivité, les actions qui pourront être entreprises dans le domaine de la « croissance verte » au cours des dix prochaines années.
La Délégation aux outre-mer adopte ces propositions à l'unanimité.
Puis elle adopte le rapport ainsi complété à l'unanimité.
La séance est levée à 19 heures.