L'audition débute à neuf heures dix.
Nous accueillons ce matin, à l'occasion de la présente table ronde consacrée au bénévolat, M. Dominique Thierry, président, et Mme Brigitte Duault, déléguée générale de France Bénévolat, ainsi que Mme Édith Archambault, universitaire. France Bénévolat contribue à faire reconnaître en France le rôle primordial du bénévolat dans la vie associative, accompagne les associations dans la recherche et la gestion de leurs bénévoles, et oriente les candidats au bénévolat. Mme Archambault est un pilier de la recherche française sur les associations et coauteur du rapport du Conseil national de l'information statistique sur la connaissance des associations de décembre 2010.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander, mesdames, monsieur, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Brigitte Duault, Mme Édith Archambault et M. Dominique Thierry prêtent serment)
France Bénévolat est impliquée dans le développement de l'engagement bénévole associatif. Nous sommes une association d'associations qui a pour ambition d'accompagner ses partenaires associatifs, et l'ensemble du monde associatif, dans l'accueil et l'intégration des bénévoles, qui sont la première ressource des associations, à hauteur de 85 %. Nous conduisons, pour accompagner les associations, un travail permanent de veille et de prospective sur les évolutions quantitatives et qualitatives dans le domaine, afin de leur permettre de s'adapter et de mettre en oeuvre des pratiques correspondant aux nouvelles modalités existantes.
En 2010, estimant que nous ne disposions pas de données suffisantes, celles que nous utilisions remontant à l'enquête INSEE de 2002, nous avons décidé de conduire dorénavant tous les trois ans une enquête comparative en partenariat avec l'IFOP : la première a été réalisée en 2010, la suivante en 2013. Ces enquêtes quantitatives nous ont apporté trois enseignements.
Le premier, c'est que le bénévolat n'est pas en crise. À notre grande surprise, nous avons en effet constaté que le nombre de bénévoles associatifs avait augmenté de 12 %, passant de 11,3 à 12,7 millions. En outre, de nombreuses personnes donnent du temps en dehors des associations – c'est ce que l'on appelle le bénévolat informel ou direct, ou encore bénévolat de proximité. Le second enseignement, c'est que c'est ce bénévolat de proximité qui est à l'origine de la croissance des effectifs. Un tel phénomène est vraisemblablement lié aux évolutions de notre société, à l'essor du numérique, à l'accélération des échanges, qui impactent les manières d'agir. Le troisième enseignement, c'est que le bénévolat ponctuel augmente davantage que le bénévolat régulier, ce qui peut représenter une difficulté pour le monde associatif.
Face à ces constats, que préconiser ? Le bénévolat direct concerne 9,3 millions de personnes, sur 21 millions de bénévoles. C'est là, pour les associations, une source de ressources humaines potentielles. Il convient donc d'examiner les moyens de mieux articuler les deux formes d'engagement. Pour que ce bénévolat direct, plus mobile, devienne régulier, il faut faire ce que nous appelons de la pédagogie de l'engagement.
Cela nous conduit aux études qualitatives que, notamment avec le réseau Recherche et solidarités, nous conduisons chaque année. Nous constatons que les motivations des personnes qui décident de donner de leur temps varient en fonction de l'âge. Les jeunes sont souvent dans un élan de solidarité, mais ils ont tendance à refuser de s'engager de manière régulière dans un cadre rigide. Ils sont dans des temps de vie plus instables, mobiles, et s'engagent moins facilement sur le long terme. Ce qu'ils aiment avant tout, c'est se voir confier des responsabilités, c'est qu'on leur fasse confiance et que l'on reconnaisse leurs compétences. Leur expérience bénévole peut être valorisée lors de la première recherche d'emploi. Pour les actifs, ensuite, qui n'ont pas forcément beaucoup de temps, la question du sens est importante : 40 % des actifs qui s'engagent dans le bénévolat disent avoir besoin de sens, besoin d'humain. Ils souhaitent également transmettre les compétences acquises dans leur vie professionnelle ; cet élan de solidarité est probablement l'un des effets de la crise. Enfin, les seniors ont quant à eux besoin de retrouver du lien social. L'une de nos recommandations, c'est de développer, dans l'entreprise ou au dehors, la préparation à la retraite, afin que les personnes se projettent dans ce qui peut devenir un deuxième projet de vie.
Le meilleur message que l'on puisse envoyer aux associations, c'est, tel qu'il a été exprimé par l'un de nos responsables, qu'un bénévole régulier est un bénévole ponctuel que l'association aura su élever.
L'engagement du bénévole associatif a trois finalités. La première, c'est qu'il s'agit d'une ressource indispensable pour le développement associatif. Brigitte Duault a rappelé que 85 % du personnel associatif est bénévole : depuis trente ans, avec 15 % de monétaire, le monde associatif a un retour sur investissement de 600 %. Au passage, si ces 15 % ne sont pas maintenus, le monde associatif mourra. Le fait que la moitié des associations nous disent avoir besoin de davantage de bénévoles est pour nous très positif car cela témoigne d'une véritable dynamique associative. La seconde finalité, c'est que l'engagement bénévole est un formidable facteur d'inclusion sociale. L'un de nos slogans évoque « le droit au bénévolat pour tous » ; ce droit n'est pas respecté aujourd'hui. Enfin, le bénévolat est un facteur essentiel d'éducation, en particulier d'éducation des jeunes et d'éducation à la citoyenneté. Il est important que les associations n'oublient pas ces trois facteurs, qu'elles n'en restent pas au premier, à l'instrumentalisation du bénévolat.
Le premier impact du bénévolat concerne les autres, par le biais de la solidarité : les bénévoles s'occupent d'enfants, de personnes âgées… Mais l'impact est aussi pour le bénévole lui-même, car le bénévolat est un facteur d'inclusion, de développement de compétences et de création de lien social. Le demandeur d'emploi bénévole se dit qu'il existe parce que qu'il fait quelque chose, le retraité bénévole se dit qu'il est utile : c'est de la reconstruction identitaire. Il s'agit aussi de reconnaissance des compétences, avec le passeport bénévole, diffusé à 150 000 exemplaires et à présent reconnu dans les démarches de validation des acquis de l'expérience. Ces deux impacts ne doivent pas être opposés l'un à l'autre. Enfin, le bénévolat a un impact sur les territoires. L'un des axes de notre démarche est de faire en sorte que les associations travaillent davantage ensemble sur des projets transversaux de proximité au sein d'un territoire.
S'il ne souffre pas d'une crise au sens quantitatif, le bénévolat connaît néanmoins de profondes évolutions sociologiques. On s'engage beaucoup plus aujourd'hui qu'il y a soixante-dix ans mais pas de la même façon. Il est nécessaire que les associations s'adaptent.
Nous pouvons en revanche parler d'une crise du renouvellement des dirigeants associatifs. Nous avons conduit une étude sur le sujet en 2008, mais il ne s'est pas passé grand-chose depuis lors. Cette crise a trois causes principales : deux causes externes et une cause interne.
La première externalité négative tient à l'évolution même de la sociologie des bénévoles. Nous avons aujourd'hui affaire à un bénévolat d'action plus qu'à un bénévolat de projet. Les gens veulent bien s'engager sur de l'action, avec une perception tangible d'utilité, d'impact, de retour immédiat, mais le passage au bénévolat de projet, qui nécessite plus de recul et de responsabilité, est un exercice difficile. Cela rejoint notre notion de pédagogie de l'engagement.
La deuxième cause externe tient à la complexité croissante des responsabilités associatives. J'ai passé une bonne partie de ma vie en entreprise : il est presque plus compliqué aujourd'hui d'être président d'association que patron de PME. Il faut savoir trouver des financements, créer du réseau, travailler en équipe… Cela effraie les gens. Plus de la moitié des responsables associatifs sont des retraités, qui ont plus de temps, et, compte tenu de ce que représentent les responsabilités associatives, je suis véritablement admiratif de l'autre moitié. Il conviendrait de rendre moins complexe l'exercice de ces responsabilités.
La troisième raison, propre aux associations, c'est que leur gouvernance n'est souvent pas assez collégiale. Des dirigeants d'associations viennent nous demander de leur trouver des successeurs, comme s'il existait un vivier externe. Nous les appelons à reformuler leur projet associatif et à repenser leur gouvernance dans une logique plus collégiale, à déléguer davantage de responsabilités de façon que le président soit un primus inter pares, qui ne s'occupe pas personnellement de tout. Il faut quitter ce modèle de l'homme providentiel qui serait à chercher au dehors, un modèle repris de l'entreprise, alors que ce n'est pas du tout le modèle du management allemand, par exemple. Le renouvellement de la direction de l'association doit s'appuyer sur ses ressources internes.
Le travail bénévole est une ressource fondamentale pour les associations employeuses, actuellement au nombre de 185 000, et surtout pour le plus de un million d'associations sans salariés qui ne vivent qu'avec des bénévoles. Les trois quarts du travail bénévole vont à ces dernières.
Le travail bénévole a, au fil du temps, expérimenté des métiers nouveaux. Historiquement, tout le travail social, infirmières et autres, a été expérimenté bénévolement. Aujourd'hui, on le constate pour le bénévolat sportif, qui devient professionnel, et pour les animateurs culturels, désormais recrutés dans le cadre des activités périscolaires, qui représentent beaucoup d'emplois, mal payés, très fractionnés, comme on peut le constater dans les offres d'emploi proposées par les missions locales. C'est vrai aussi de la médiation des conflits et de la prévention de la délinquance, qui deviennent des métiers alors qu'ils étaient exercés à titre bénévole seulement il y a encore vingt ans.
Le bénévolat contribue à la qualité de la vie. Les enquêtes montrent que les bénévoles se trouvent plus heureux et sont en meilleure santé que le reste de la population. Ce peut être dû à un effet de sélection, mais il y a aussi le fait que le bénévolat est épanouissant. Le bénéfice en revient bien sûr à ceux qui reçoivent les services des bénévoles, mais aussi à la société dans son ensemble, car il est important, à une époque de plus en plus individualiste et « marchandisée », que subsiste ce témoignage de gratuité et d'altruisme.
Le bénévolat organisé s'exerce au sein d'une institution, le plus souvent – dans plus de 80 % des cas – une association : sur les 16 millions de bénévoles comptés par l'enquête de la DARES de 2010, 14 millions travaillaient dans des associations. Les autres oeuvrent dans des conseils municipaux, des mutuelles et d'autres organisations. Le bénévolat informel, l'entraide entre ménages, ne relève pas de cette commission d'enquête.
Aux États-Unis, le site du Bureau of Labor Statistics présente toutes les statistiques du bénévolat de l'année précédente. En France, il y a eu une enquête de l'INSEE en 2002 et une de la DARES en 2010, cette dernière ayant une orientation plus « économique ». Nos données ne sont pas suffisantes. Nous avons besoin d'une périodicité plus importante pour connaître au moins les tendances du bénévolat.
Le bénévolat en France s'oriente essentiellement vers les activités sportives, récréatives et culturelles, pour la moitié de l'engagement et du temps de travail bénévoles. Le bénévolat auquel France Bénévolat est plus spécifiquement attaché, concernant la santé et le domaine social, représente seulement 10 % de l'engagement associatif mais le quart du temps de travail : c'est le bénévolat archétypique.
Depuis une dizaine d'années, les pouvoirs publics, qui subventionnent les associations, leur demandent de valoriser leur bénévolat au pied de leurs comptes emplois-ressources. Ce travail est conduit par nombre d'associations de manière un peu désordonnée, ce qui rend les comparaisons difficiles.
Selon une évaluation monétaire de l'ensemble du travail bénévole, celui-ci représente 1,5 milliard d'heures de travail, soit environ un million d'équivalents temps pleins, et de 1 à 2 % du PIB, selon qu'on valorise ce travail au SMIC ou bien au salaire de l'action sociale ou au tarif des salariés du même secteur associatif. C'est entre dix et quinze fois la générosité publique, pour laquelle il existe de nombreux avantages fiscaux, alors qu'il n'en existe aucun pour les dons de temps. Une plus grande prise en considération des frais engagés par les bénévoles serait sans doute bienvenue.
Depuis vingt ans que l'on s'intéresse statistiquement au bénévolat en France – les premières enquêtes, dans mon laboratoire, remontent à 1990 –, les effectifs de bénévoles ont doublé, passant de 8 à 16 millions. Il y a vingt ans, la perception du bénévolat n'était certes pas aussi claire qu'aujourd'hui, mais il y a indiscutablement une montée de l'engagement bénévole. Elle ne sera pas éternelle. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Suisse, pays ayant une forte tradition de bénévolat, celui-ci stagne, voire régresse légèrement. Le secteur associatif a été plus tardif en France et il est normal que notre pays rattrape son retard.
Notre bénévolat est plus masculin que féminin, comme dans les autres pays européens mais à la différence des pays anglo-saxons, il croît de façon spectaculaire avec le niveau de diplôme et un peu moins avec le niveau de revenus, il est plus présent à la campagne que dans les grandes villes, il culmine dans les régions de tradition catholique, en raison du lien avec la pratique religieuse, et il est héréditaire : une personne ayant un parent bénévole a deux fois plus de chances de l'être elle-même – les héritiers des militants chrétiens d'après-guerre sont actuellement bénévoles dans des associations laïques. Ces caractéristiques sont partagées par l'ensemble des pays européens.
En revanche, les jeunes bénévoles sont sous-représentés en France. Les pouvoirs publics ont certainement là une action à mener, via l'école, comme dans les pays anglo-saxons. Il y a une vingtaine d'années, directrice de mon unité de formation et de recherche à Paris I, j'avais suggéré que l'on considère le bénévolat encadré des étudiants comme unité de valeur, ce qui m'avait valu une volée de bois vert de la part de mes collègues, qui craignaient que cela brade les diplômes, alors même que le sport de haut niveau ou la participation à un orchestre valait unité de valeur. Les choses ont progressé à l'université, mais il faut que la démarche commence beaucoup plus tôt.
Je partage votre diagnostic, sur le bénévolat direct, à la carte, l'âge du capitaine, la complexité de la mission du responsable bénévole, et je partage également vos objectifs. Je suis président du mouvement régional du bénévolat d'Alsace-Moselle – la vie associative a beaucoup hérité des traditions germaniques – et vice-président de la fédération nationale du bénévolat associatif. Souvent, dans une situation de crise, on sait établir le diagnostic mais on a du mal à rédiger l'ordonnance. Nous sommes ensemble ici pour cela. Quelles sont vos recommandations pour une reconnaissance rapide du bénévole sous toutes ses formes ?
Que pensez-vous de la loi sur l'économie sociale et solidaire, et de son apport en matière de bénévolat ? Considérez-vous qu'il serait opportun d'ouvrir le bénévolat avant dix-huit ans, à partir de seize ans ? Le service civique peut-il être, selon vous, un creuset qui permette à des jeunes de s'engager ensuite dans le bénévolat ? Enfin, appelez-vous de vos voeux une volonté politique pour que les statistiques du bénévolat soient mieux prises en compte, notamment pour la reconnaissance des parcours professionnels ?
L'un des freins à la prise de responsabilités par des bénévoles, à des postes de président, trésorier, secrétaire général, est la complexité et la charge de travail. Il est donc nécessaire de simplifier les dispositifs : quels sont, selon vous, les chantiers prioritaires en matière de simplification administrative ? Par ailleurs, il faut assurer aux bénévoles une formation de qualité, parfois même pointue, dans les domaines juridiques ou financiers ; considérez-vous que cette formation est suffisamment bien assurée ou financée dans notre pays par le biais du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), l'action des régions et départements, ou encore celle des grandes fédérations nationales ?
La distinction entre engagement ponctuel et engagement plus durable est liée, me semble-t-il, à celle entre le service bénévole et la fonction dirigeante, les deux étant souvent confondus aujourd'hui ; il me semble qu'un peu plus de clarté serait bienvenue. Les dirigeants ont-ils vocation à n'être que bénévoles, en toute circonstance ? Ce sont parfois de quasi-chefs d'entreprise. Dans le secteur fédératif, on demande à des responsables d'associations locales d'assumer des responsabilités régionales ou nationales, avec tous les problèmes de gestion que cela entraîne. Si bien que les fédérations sont souvent pilotées par des directeurs de structure, plutôt que par les dirigeants élus qui ont peu la capacité de « monter » dans les différentes instances, ce qui nuit au caractère démocratique du système. Ne faut-il pas avancer vers un véritable statut du dirigeant associatif ? Les associations peuvent déjà rémunérer leurs dirigeants selon un forfait annuel ; faut-il aller plus loin ? instaurer des points-retraite ? Comment permettre à tout un chacun de mieux combiner une activité de salarié d'entreprise avec un engagement à la direction d'une association, sans que la personne soit financièrement pénalisée si elle doit réduire son temps de travail dans l'entreprise ?
Vous avez rappelé, madame Archambault, que le secteur associatif avait beaucoup puisé dans les traditions culturelles, politiques, militantes. Cela me conduit à évoquer le mouvement d'éducation populaire, dont nous sommes nombreux à avoir profité. La dynamique de celui-ci s'est effritée, les nouvelles générations n'y participent plus, alors que l'éducation populaire permet de découvrir ce qu'est le projet collectif, le « faire ensemble », qui ne s'acquiert pas dans un cursus scolaire ou universitaire, ni véritablement non plus dans un parcours professionnel. Faut-il retravailler cette notion d'éducation populaire ? De quelle manière ? Par ailleurs, que peut apporter le service civique ? L'aménagement du temps scolaire, en discussion actuellement, pourrait-il être également l'occasion de construire du temps en commun avec les acteurs associatifs ?
Je suis de ceux qui pensent que l'école est un lieu où l'avenir du bénévolat peut être préparé. Nous sommes les enfants des hussards de la République, nos instituteurs nous ont appris, avec le timbre contre la tuberculose, par exemple, à agir, militer : ils nous ont appris le geste bénévole. Que pensez-vous de l'idée d'un stage scolaire en association ou, à l'inverse, de l'intervention d'associations dans les écoles ?
Enfin, les nouvelles technologies de l'information sont-elles un facteur de développement possible du bénévolat ou bien au contraire un frein ? Quel nouveau concept du bénévolat faut-il inventer à l'aune de ces nouvelles technologies ?
En ce qui concerne l'éducation populaire, nous menons un programme AIRE21, « Actions intergénérationnelles pour la réussite éducative », dans lequel nous essayons d'impliquer des jeunes éloignés de l'emploi ou en risque de décrochage scolaire, voire ayant déjà décroché, sur des projets collectifs portés par des établissements scolaires. C'est une façon de valoriser ces jeunes, de leur redonner confiance, et cela leur permet, tout en portant des projets d'utilité sociale, de découvrir le monde associatif. Pour que nos associations acceptent d'accueillir ces jeunes un peu « cabossés », nous leur disons que c'est comme cela que l'on forme les bénévoles de demain. Je crois donc que l'on peut réinventer sous des formes nouvelles le mouvement de l'éducation populaire, duquel France Bénévolat se revendique clairement.
L'école s'ouvre lentement, mais nous n'en sommes pas encore au modèle québécois, où tous les écoliers travaillent sur des « projets communautaires », collectifs, à côté du français ou des mathématiques. France Bénévolat est fier d'avoir monté en un an trente ou quarante projets, mais cela reste peu. Les enseignants font des choses, souvent extraordinaires, mais ils se sentent un peu seuls dès lors qu'il s'agit de porter des projets en marge de nos traditions pédagogiques.
Nous avons beaucoup travaillé sur la formation des bénévoles et publié plusieurs études. La formation est désormais relativement ancrée dans les pratiques associatives. Les progrès sont toutefois plus sensibles pour la formation des bénévoles de terrain que pour celle des responsables. Notre approche consiste à souligner que la formation d'un bénévole n'est pas la même que celle d'un salarié, qu'elle implique des pédagogies spécifiques. En ce qui concerne la formation des responsables, il existe quelques bons supports universitaires, comme l'Association pour le développement du management associatif (ADEMA), mais ils forment des responsables salariés plutôt que des responsables bénévoles. Nous sommes marqués, en France, par la culture du stage, qui n'est pas adaptée à la formation du bénévolat. Il faut trouver d'autres formes pédagogiques pour ces responsables, et notre pays n'avance pas suffisamment vite en la matière.
Bien sûr, nous avons également besoin de davantage de moyens. Heureusement que le Fonds pour le développement de la vie associative existe. Nous n'avons pas d'avis sur son utilisation et, très égoïstement, nous demandons beaucoup pour obtenir peu. Reste qu'on constate une répartition objective, honnête, d'une pénurie relative par rapport aux moyens.
En outre, il faut que le FDVA trouve le moyen de répondre aux demandes des associations autrement qu'en raisonnant uniquement en termes de stages car on assimile toujours à tort une formation à un nombre de personnes au sein de modules de stage pour un nombre d'heures déterminé, ce qui ne correspond plus à la réalité.
Nous n'avons aucune objection au bénévolat des mineurs. Les juniors associations sont une bonne chose mais demeurent confidentielles. Il faut aller plus loin.
Pour ce qui est du service civique, nous y sommes totalement favorables car la complémentarité est évidente entre ses finalités et celles du bénévolat associatif. Reste que nous ne nous situons pas à la même échelle avec 30 000 personnes, au mieux, d'un côté, et quelque 3 millions de jeunes de moins de trente-cinq ans impliqués dans le bénévolat.
En ce qui concerne la simplification, je suis d'autant plus d'accord avec les positions exprimées par le mouvement associatif que je suis moi-même confrontée quotidiennement à la complexité des démarches administratives. Dans un contexte de raréfaction des financements publics, nous sommes amenés à développer des modèles socio-économiques équilibrés, très diversifiés et nous avons donc affaire à un certain nombre de bailleurs de fonds privés et publics. Une démarche de simplification a ainsi déjà été entreprise pour l'attribution des subventions publiques – on en constate déjà les effets –, démarche qu'il faudrait prévoir pour les collectivités locales dont chacune a ses exigences qui coûtent en temps donc en argent – puisque ce sont les salariés qui s'occupent de ces demandes de subventions ; les multiples certifications coûtent également cher.
Le guichet unique est une très bonne idée mais il ne doit pas s'agir du seul moyen de financement : les financements croisés présentent l'intérêt d'articuler différents niveaux d'intervention et de les rendre complémentaires. Une telle pratique est de nature à développer l'ancrage territorial et le dialogue avec les différents échelons autour d'un projet collectif.
Quant aux agréments administratifs, très rarement les structures locales, lorsqu'elles s'adressent aux administrations concernées, obtiennent le rescrit fiscal. C'est le cas pour nous : nous l'avons obtenu au niveau national et la plupart de nos comités locaux se heurtent à des refus. Or ces associations vivent en moyenne avec 5 000 euros par an et, en province, les bénévoles ont des frais de déplacements que nos équipes n'ont pas les moyens de rembourser. Elles proposent dès lors aux bénévoles de renoncer à ce remboursement au profit d'un reçu fiscal impossible à obtenir localement.
La large publication des statistiques sur le bénévolat est importante. Je me suis étonnée qu'au cours des travaux de la commission Stiglitz, qui s'est intéressée au bien-être, il n'ait jamais été question du bénévolat. Et l'on note la même lacune dans la loi relative à l'économie sociale et solidaire.
Le passage de dix-huit à seize ans me paraît une très bonne idée. Les jeunes qui adhèrent à des associations sont dépourvus de responsabilités et sont voués à des tâches élémentaires alors qu'ils ont des idées. Les statistiques nous montrent qu'ils prennent des responsabilités dans des associations qu'ils ont créées eux-mêmes avec une façon de les administrer complètement différente des normes traditionnelles, avec par exemple une rotation régulière des présidences, l'organisation de réunions par internet.
On prend trop peu en compte les activités bénévoles dans le parcours professionnel et les jurys qui décernent la validation des acquis de l'expérience ont un point de vue strictement académique : ils valorisent essentiellement les connaissances au détriment du « savoir-être » et du savoir-faire acquis dans le bénévolat, qui sont des qualités essentielles dans la vie professionnelle.
Des « testings » ont été réalisés par l'université Paris XII consistant à envoyer des curriculum vitae mentionnant les activités bénévoles et d'autres ne les indiquant pas. Pour un emploi dans le secteur informatique, l'engagement associatif est considéré négativement car jugé comme une perte de temps ; en revanche, le bénévolat, du fait de son caractère relationnel, est considéré positivement par le secteur bancaire. Il convient d'approfondir ce type de recherche.
Il importera par ailleurs de réfléchir aux conséquences de la suppression de la clause de compétence générale : les points de vue sur ce sujet sont différents, mais cette clause est une source de complexité et n'est de surcroît pas rationnelle.
La question du bénévolat dirigeant est déjà en partie résolue puisqu'on a le droit de rémunérer, dans un conseil d'administration, un dirigeant opérationnel, dans des limites déterminées. Cependant, dans les associations d'une taille conséquente, ce qui est essentiel est surtout le bon fonctionnement du « couple » dirigeant, à savoir le président et le directeur général. Si le bénévolat doit rester une condition pour l'ensemble du conseil d'administration, les exceptions à cette règle doivent être contrôlées et affichées, notamment pour les associations qui font appel à la générosité publique. Or, les associations sont réticentes à publier leurs trois ou cinq plus hauts salaires, alors que les entreprises le font sans difficulté. Un certain rapport à l'argent n'est pas encore réglé dans les associations.
Le projet communautaire évoqué par M. Thierry pourrait justement être inclus dans l'aménagement du temps scolaire : au-delà d'activités permettant l'enrichissement personnel, des activités collectives sont nécessaires. Nos enfants et petits-enfants qui passent tant de temps derrière l'écran de leur ordinateur manquent de supports collectifs ; nous devons donc trouver des équivalents de l'éducation populaire d'autrefois qui impliqueront nécessairement l'usage des nouvelles technologies. Il revient à la nouvelle génération de les inventer et à nous de les y aider.
L'audition s'achève à dix heures vingt-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.
Réunion du 16 octobre 2014 à 9 h 10
Présents. – M. Alain Bocquet, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Régis Juanico, Mme Isabelle Le Callennec, M. Jean-René Marsac, M. Frédéric Reiss, M. André Schneider.
Excusés. – M. Martial Saddier, M. Jean-Louis Bricout.