COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 15 octobre 2014
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 16 h 20
Audition de M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, en perspective du Conseil des ministres de l'Union européenne « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » du 16 octobre 2014
Je vous souhaite la bienvenue pour ce qui constitue une grande première pour notre Assemblée et, plus largement, pour notre démocratie.
Nous nous inspirons, en effet, des meilleures pratiques parlementaires européennes en vous accueillant aujourd'hui, Monsieur le Ministre, à la veille d'une réunion du Conseil des ministres de l'Union, au cours de laquelle vous aurez l'honneur de représenter la France. Nous allons ainsi pouvoir échanger très directement sur les positions que vous allez défendre au nom de notre pays, et je m'en réjouis.
Chacun le sait ici : l'Assemblée nationale veut travailler à raffermir l'ancrage démocratique de l'Europe. Une Europe que la crise a encore davantage éloignée des peuples ; une Europe malmenée par les extrémismes et les dogmatismes ; une Europe dont nos concitoyens semblent dangereusement se désintéresser.
Cette refondation démocratique prendra du temps. L'essentiel du combat se déroulera sur le terrain des idées, pour reconstruire une Europe des projets, tournée vers la croissance et l'emploi.
Les parlementaires nationaux sont incontournables, si l'on souhaite sincèrement rapprocher l'Europe des citoyens et les citoyens de l'Europe, si l'on souhaite réellement porter la voix des peuples à Strasbourg et à Bruxelles, et faire aimer l'Europe sur le terrain. La Représentation nationale française — c'est son devoir, mais c'est aussi son droit — veut donc prendre toute sa part dans cette refondation démocratique.
Pour jouer ce rôle, nous autres, députés, devons unir nos forces à celles de nos collègues des autres pays de l'Union. C'est pourquoi nous nous sommes tant investis dans la création et la concrétisation de la Conférence budgétaire : elle est le pendant parlementaire indispensable de la gouvernance économique européenne, qui pèse directement dans la vie de nos électeurs.
Mais nous devons aussi renforcer notre contrôle parlementaire ici-même, en France, et nous approprier les sujets à l'ordre du jour de l'Union. La pratique que nous inaugurons aujourd'hui prend donc un sens tout particulier et prometteur.
En acceptant ma proposition, que les ministres puissent être auditionnés avant leur participation aux plus importantes réunions thématiques du Conseil, le gouvernement accepte de faire avec nous un grand pas démocratique.
Ces auditions préalables font des parlements qui les pratiquent — je pense en particulier aux pays Scandinaves — des références dans le contrôle parlementaire des affaires européennes. Il n'est pas question d'aller aussi loin qu'eux — en tout cas pas pour l'instant !, en vous prescrivant un mandat de négociation. C'est pour l'heure encore trop éloigné de nos traditions constitutionnelles.
Mais le simple fait de débattre, ensemble, des positions que vous défendrez à Bruxelles, est à la fois une chance pour le Gouvernement et pour le Parlement. Pour le Gouvernement, parce qu'il pourra ainsi se prévaloir, auprès de ses partenaires, de la force de la délibération et, le cas échéant, du soutien de son Parlement. Pour les représentants nationaux, parce que ce débat leur offre l'opportunité d'infléchir les choix européens.
Réussir cet exercice ambitieux suppose toutefois que nous nous attachions à respecter quelques principes simples.
D'abord, nos discussions, libres et franches, ne devront pas compromettre la confidentialité, indispensable au succès des négociations à Bruxelles. Nous avons donc prévu qu'elles se tiennent à huis-clos, comme c'est le cas aujourd'hui.
Ensuite, il nous faudra parvenir à établir une réelle coutume, ce qui implique de reproduire cet exercice selon un rythme régulier, par exemple mensuel.
Enfin, pour que l'expérience soit pleinement utile, il importe également que vous nous teniez informés, en aval, des résultats obtenus au terme des Conseils dont nous aurons discuté.
Parlons du Conseil dont nous allons débattre aujourd'hui : je me réjouis que notre première audition soit dédiée à l'Europe sociale, c'est-à-dire aux attentes les plus immédiates de nos concitoyens.
Je sais que vous ferez le point demain, avec vos homologues, sur l'Europe 2020, et la place que doivent prendre ses objectifs sociaux dans le semestre européen de coordination des politiques économiques. Je ne crois pas préjuger la teneur de nos échanges en devinant que nous vous encouragerons à plaider, avec énergie, pour une vraie prise en considération des conséquences sociales engendrées par des choix budgétaires trop tournés vers l'austérité.
Un autre texte sera à l'ordre du jour du Conseil. Il vise à établir une plate-forme européenne de coopération, pour prévenir et décourager le travail non déclaré.
En discuter ensemble nous permettra de mesurer le poids de ce dernier sur nos économies, le manque à gagner fiscal et social qu'il induit, et d'envisager ensemble les moyens de le combattre efficacement au niveau européen, notamment s'agissant des fraudes au détachement des travailleurs. Notre Assemblée, comme vous le savez, a beaucoup travaillé sur le sujet.
Enfin, vous nous ferez connaître l'état d'avancement des chantiers décisifs que constituent le salaire minimum européen, le combat contre le chômage des jeunes et l'enrichissement des règles de gouvernance économique par des critères sociaux.
L'ordre du jour de cette première audition est particulièrement riche. Je ne prendrai donc pas plus de temps, et je conclurai simplement mon propos en vous redisant combien je suis heureux d'inaugurer cette pratique démocratique, et en vous souhaitant à tous de fructueux débats.
Je vous remercie.
Il m'est difficile d'intervenir après le Président Bartolone qui a déjà dit l'essentiel sur cette avancée démocratique que représente notre audition d'aujourd'hui, première étape de ce qui va devenir une habitude régulière.
Il est apparu en effet essentiel à notre commission des Affaires européennes que nous ayons périodiquement ces moments d'échange, avec le Gouvernement, avant les conseils des ministres de l'Union, centrés précisément sur l'ordre du jour des conseils. Cela permettra à la fois, à nous parlementaires, d'être très régulièrement et précisément informés des négociations en cours au Conseil, et, au Gouvernement, d'entendre les points de vue exprimés ici et d'en tenir compte.
Je dois transmettre aujourd'hui les regrets de la présidente de la commission des Affaires sociales, notre collègue Catherine Lemorton, qui n'a pu se joindre à nous, du fait de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je peux indiquer dès à présent que la seconde audition pré-conseil est déjà programmée, le 12 novembre, après les questions, pour entendre Jean-Yves Le Drian, sur le conseil défense du 18 novembre. L'audition sera tenue conjointement avec la commission de la Défense.
Je ne vais pas être longue car je sais que François Rebsamen doit nous quitter impérativement à 17 h 15, pour aller défendre les positions françaises au Conseil.
Le Conseil EPSCO ( « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » ) de demain traite de sujets d'importance et nous ne doutons pas que vous allez promouvoir toute position allant dans le sens d'une Europe sociale ambitieuse.
Le Conseil va tout d'abord examiner une proposition de décision du Parlement européen et du Conseil ayant pour ambition de créer une plate-forme européenne de lutte contre le travail illégal.
Ce texte va dans le bon sens, celui de la lutte contre le travail illégal et la concurrence déloyale, sujet sur lequel notre commission a travaillé en profondeur, à l'occasion de l'examen de la proposition de révision de directive sur le détachement des travailleurs, puis de l'examen pour observations de la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social la concurrence déloyale.
C'est un sujet d'importance. Non seulement le travail illégal prive les travailleurs de leurs droits sociaux, mais, en outre, il se traduit par un manque à gagner pour les finances publiques ; il faut absolument réguler la mobilité des travailleurs, et parvenir à éviter qu'elle n'aboutisse à un dumping social et à un nivellement des normes sociales et des droits sociaux par le bas. Ce sujet doit à notre sens être traité de manière globale, en lien avec celui de l'harmonisation progressive des règles régissant les salaires et les prestations sociales.
Il me semble d'ailleurs que ces objectifs sont en cohérence avec les priorités exprimées par la future commissaire, Mme Marianne Thyssen, lors de son audition du Parlement européen, qui a fait de la question de la mobilité des travailleurs une de ses priorités.
Je sais que vous allez soutenir ce texte sur la lutte contre le travail illégal demain, mais il serait intéressant que vous nous indiquiez précisément les positions que vous allez défendre à ce sujet, et quelles sont à cet égard les positions de nos partenaires.
En second lieu, est inscrit à l'ordre du jour du Conseil EPSCO de demain, sur la question du bilan à mi-parcours de l'Europe 2020 et de la prise en compte des objectifs sociaux dans le cadre du semestre européen.
Là aussi quels vont être les éléments que vous allez porter au débat demain sur les points en discussion ? S'agissant du bilan de la stratégie UE 2020 dans le domaine social, quelles sont les positions de la France et celles nos principaux partenaires ? Quelles leçons faut-il tirer du fait que, le nombre de personnes menacées ou touchées par la pauvreté et l'exclusion sociale a augmenté très sensiblement en Europe depuis quatre ans – 124 millions d'Européens concernés, soit près de 8 millions de plus qu'il y a quatre ans –, alors que l'objectif de la stratégie « Europe 2020 » est de réduire ce nombre de 20 millions ?
Par ailleurs, s'agissant de la revue du semestre européen, la question de l'élaboration d'indicateurs sociaux dans le cadre du semestre européen va-t-elle être évoquée demain ?
Dans ce contexte du semestre européen, que pouvez-vous nous dire aujourd'hui sur l'approche du Gouvernement quant aux recommandations « pays » adressées par la Commission européenne à la France en juin dernier, s'agissant de leurs aspects sociaux ?
Enfin, que peut-on envisager pour améliorer l'appropriation nationale des objectifs de la Stratégie « Europe 2020 », en particulier à travers les lois françaises ?
Je suis honoré d'inaugurer aujourd'hui cet exercice d'échange éminemment démocratique. Il est important de rendre compte, mais surtout de débattre des orientations de la politique européenne pour l'emploi.
Il est surtout important que le Parlement français joue un rôle éminent dans la construction législative européenne - qui n'est pas que l'affaire des députés européens. Nous l'avons vu avec la directive détachement.
Aujourd'hui la nouvelle commissaire à l'emploi, la Belge Marianne Thyssen, veut étendre la solidarité du donneur d'ordre et du sous-traitant dans le cas d'une fraude au détachement. C'est bien parce que nous avons su porter cette option dans le débat sur la directive, et que nous avons montré l'exemple au niveau national avec la loi Savary.
Le Parlement français n'est pas une chambre d'enregistrement et de transpositions des directives européennes. Sujet par sujet, nous pouvons collectivement peser.
Mais à la condition, et c'est ce que vous avez souhaité, que l'on se parle, que l'on avance ensemble. C'est le but de cette audition.
Je reprends l'exemple du détachement. Le succès français est dû à la cohérence de nos institutions et à leur capacité à aligner leurs actions. Il a d'abord fallu que le Gouvernement tienne bon à Bruxelles, provoque l'échec d'un mauvais compromis le 25 octobre 2013 pour en obtenir un bon le 9 décembre. Mais, cela n'aurait pas été suffisant si, dans la foulée, l'Assemblée n'avait pas pris l'initiative de déposer une proposition de loi de Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron, et si, — et c'était le but — la loi n'avait pas été adoptée rapidement. Or, entre l'Assemblée — 19 février, le Sénat — 6 mai et la CMP — 26 juin, la rapidité a été remarquable, lorsque l'on connaît les difficultés du parcours des propositions de loi.
Dans le même temps, c'est dans un autre hémicycle que la réglementation européenne avançait, celui du Parlement européen, sous l'impulsion de nos collègues français qui ont tenu la même ligne — la directive a été votée le 16 avril.
C'est la preuve que l'influence française tient de sa capacité à coordonner ses institutions et que les députés que vous êtes peuvent peser et déterminer la marche de l'Europe.
C'est très concret, très factuel, ce n'est pas seulement se payer de mots en disant ce que nous disons tous : « la France est un grand pays », c'est le mettre en pratique et tirer l'Europe dans le sens qui nous semble le bon.
Par conséquent, l'Europe, c'est aussi votre responsabilité. Ce n'est pas lointain et en dehors de votre ressort — même si les leviers ne sont pas les mêmes.
L'Europe est un espace de démocratie si on s'en saisit comme tel et si on le nourrit au niveau national par des débats comme celui que nous allons avoir aujourd'hui.
Avant d'entrer dans le fond des sujets, pour répondre à l'interpellation qui m'est faite, je veux aussi dire que je me réjouis d'autant plus de ce cadre d'échange avec vous que j'ai l'habitude de me livrer à un exercice similaire avec les partenaires sociaux au sein du Comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales (CDSEI).
Le dialogue social a aussi un volet européen important.
Lieu de débat et d'information, le CDSEI est aussi un moyen d'obtenir des positions, des informations récoltées auprès des autres partenaires sociaux des autres États membres, des soutiens des partenaires sociaux pour faire avancer nos dossiers. Toujours dans le cas de la directive « détachement », il a fallu que les partenaires sociaux montent au créneau. Et c'est dans le CDSEI que la mobilisation et la stratégie ont pris forme, même la stratégie.
J'en viens aux enjeux de l'EPSCO de demain. Deux sujets majeurs y seront abordés : le bilan à mi-parcours de la stratégie « Europe 2020 » et la plateforme de lutte contre le travail non déclaré.
La « stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive » a succédé à celle de Lisbonne. Une phase d'évaluation à mi-parcourssur ses effets vient de débuter.
Une large consultation publique a été lancée par la Commission européenne de mai dernier à octobre, afin de tirer les enseignements et de définir les principaux éléments qui devront en constituer la deuxième phase.
Les débuts de la stratégie Europe 2020 ont été marqués par le contexte de crise qui a focalisé l'attention de l'Union Européenne et des États membres sur les problématiques budgétaires et les déséquilibres macroéconomiques.
Il faut être clair, la gestion de court terme de la crise s'est faite aux dépens de la stratégie « Europe 2020 », qui s'inscrit dans le temps long des politiques publiques et des réformes structurelles.
D'autant que les sujets financiers ne sont pas derrière nous : je pense à l'endettement des ménages, irrésolu et plombant la relance ; je pense à l'endettement de nos petites et moyennes entreprises et des créanciers locaux, plombant l'investissement, l'innovation et l'emploi,
Si les résultats enregistrés en matière d'environnement ou d'éducation sont satisfaisants, ce n'est malheureusement pas encore le cas en matière d'emploi,ni en matière de recherche et développement ou de lutte contre la pauvreté.
Il faut maintenant prendre à bras le corps les sujets de long terme que sont l'emploi, l'insertion professionnelle et la qualification, la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités.
Quels sont les enjeux des débats de demain ?
Ce sont d'abord l'efficacité et la visibilité à mi-parcours de la stratégie « Europe 2020 ».
La création d'un tableau de bord social et de l'emploi a renforcé incontestablement la visibilité de la dimension sociale au sein de l'Union Européenne et je m'en félicite.
Maintenant il faut les actes. La croissance, que nous devons stimuler grâce au plan d'investissement européen et aux outils financiers innovants dans le cadre de la Garantie européenne pour la jeunesse, ne doit pas seulement se parer d'indicateurs sociaux. La croissance doit porter en elle, dès le départ, la résolution du chômage de masse, des situations de précarité, des difficultés d'insertion des jeunes sur le marché du travail.
Maintenant que nous avons simplifié et rendu plus visibles nos objectifs, l'échec — je dis bien l'échec — à mobiliser les efforts financiers et économiques autours de ces objectifs serait d'autant plus visible.
C'est un premier bilan en demi-teinte que nous devons objectivement tirer des initiatives phares de la stratégie 2020.
Pour ce qui est de l'initiative phare « Jeunesse en mouvement », l'adoption, en 2013, de la Garantie européenne pour la jeunesse a créé incontestablement un élan mobilisateur pour renforcer les dispositifs nationaux en direction des jeunes qui sortent de l'enseignement, avec ou sans diplôme, et qui cherchent à s'insérer dans le monde du travail. La création de l'instrument financier de « l'Initiative européenne pour la jeunesse » poursuit l'ambition de la Garantie, en ciblant des moyens sur les jeunes les plus en difficulté.
J'ai eu l'occasion de le dire à Milan la semaine dernière, nous avons la chance d'avoir une bonne coopération avec la ministre allemande, Andréa Nahles, partagée avec la Commission et la présidence. Je souhaite que les voies d'amélioration et de simplification de cet outil puissent être mises en oeuvre rapidement ! Il est clair que sur les 6,4 milliards dédiés à cette initiative l'Europe n'accorde une avance qu'à hauteur de 1 %. Par exemple, pour l'Espagne, qui doit avancer 1 milliard d'euros et dont les finances publiques sont tendues, il s'agit d'une charge considérable. Il faut absolument améliorer et simplifier le fonctionnement de cet outil.
L'initiative phare « Une stratégie pour les nouvelles compétences et les nouveaux emplois », a été rendue trop complexe et illisible à cause de la multiplicité des actions.
On peut néanmoins se féliciter des avancées sur le champ de la mobilité, des compétences, de la réforme du réseau européen des services publics de l'emploi, via la plateforme Eures que nous devons réellement « équiper » et améliorer pour fluidifier le marché du travail communautaire.
Toutefois, dans le contexte de la crise, les effets globaux de l'initiative ont été limités.
Pour ce qui concerne l'initiative phare « Une plateforme européenne contre la pauvreté », la Commission a mené à bien environ deux tiers des 64 actions prévues — par exemple : communication sur les investissements sociaux ou le Livre blanc sur les retraites. La plateforme offre un cadre, un espace de dialogue ouvert à l'ensemble des acteurs. Cependant, elle n'est pas un cadre pour les politiques sociales. Donc, la visibilité manque clairement pour le citoyen. Peut-être aussi parce qu'une plateforme, ce n'est pas aussi concret que le fonds communautaire qui serait dédié à l'aide alimentaire — le FEAD —, que la France a porté, en mobilisant aussi les parlementaires avec les partenaires associatifs qu'ils connaissent bien.
Globalement, l'information et l'association des partenaires sociaux, des collectivités territoriales et des Parlements nationaux doivent être améliorées. Ils sont les relais citoyens de nos politiques et de nos performances au regard des objectifs généraux que nous nous fixons. Les politiques européennes n'ont pas de sens ni d'utilité si elles sont massivement ignorées.
Ensuite, nous pourrions mieux articuler le suivi des actions nationales avec les initiatives de la stratégie « Europe 2020 ». Par exemple, dans le cadre du rapport annuel sur la croissance qui présenterait précisément et systématiquement les initiatives prises pour atteindre les cibles d'« Europe 2020 ».
Enfin, le partage des travaux menés dans les cadres trop hermétiques de la sphère EPSCO et de la sphère ECFIN doit progresser. Voilà ce que la France propose et défend.
À la lutte contre le chômage s'ajoute un second combat, cette fois contre le travail non déclaré et pour des conditions de travail décentes.
Dans la foulée de la directive « détachement », la Commission a décidé de constituer une plateforme européenne pour renforcer la coopération afin de prévenir et décourager le travail non déclaré.
Elle doit devenir un axe important de la coopération des États membres.
Elle permet surtout d'envoyer un signal de responsabilité autant que de sécurisation aux travailleurs européens — et aux entreprises qui sont généralement victimes de concurrence déloyale.
La fraude à la déclaration — donc aux cotisations sociales — ronge nos systèmes nationaux de protection sociale en les amputant de financements importants.
Elle trahit également la confiance de nos concitoyens dans la démarche de progrès social que constitue l'intégration européenne de nos marchés du travail.
La France et le ministère du travail soutiennent cette initiative qui est une réelle avancée, d'autant que la participation à la plateforme sera obligatoire.
Concrètement, la plateforme va fournir un forum où les experts partageront des informations et des bonnes pratiques — il faut que l'échange puisse se faire ; la mise en place des outils nationaux et européens pour faire face à des problèmes communs — faux travail indépendant, travail non déclaré dans les chaînes de sous-traitance, montages frauduleux de dissimulation d'une activité professionnelle, etc.. Les aspects transfrontaliers seront abordés — échange de données —, offrant aux bureaux de liaison un cadre communautaire de remontée d'informations et de pratiques. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail remarquable des agents de notre inspection, en partenariat avec les inspections des autres États membres.
La plateforme impliquera différents acteurs, provenant de l'inspection du travail, des instances de sécurité sociale, des services fiscaux, des autorités compétentes en matière d'immigration et des représentants des employeurs et des employés au niveau européen.
Cette approche rejoint une conviction que porte la France, et qui est son fil rouge : l'Europe ne peut pas construire son modèle social sur le moins-disant économique.
Ce n'est pas son identité, ce n'est pas son histoire, ce n'est pas non plus ce qu'en attendent les citoyens.
Dans beaucoup de pays de l'Union, le rejet citoyen du projet communautaire est massif. L'acceptabilité de réformes structurelles de notre marché du travail et de notre système de protection sociale est, par conséquent, très faible, alors même que ces réformes sont nécessaires à la restauration de la compétitivité de nos entreprises et de leur capacité à créer des emplois.
Si nous voulons réformer en France, l'Europe doit prendre sa part dans le soutien à l'emploi.
Or après une longue décennie de panne, le jeu semble se rouvrir.
Des directives plus ambitieuses — détachement – peuvent voir le jour. La nouvelle Commission annonce faire le choix de l'investissement. Au sein du Conseil européen, la voix de la France, et de quelques autres, porte plus encore si d'autres partenaires la suivent, je pense à l'Allemagne et l'Italie, mais également au Portugal, à la Pologne, à la Slovaquie, aux Pays-Bas, à l'Autriche, pays avec lesquels nous pouvons débattre et faire avancer l'Europe sociale.
Depuis 2012, nous avons consolidé un petit noyau de partenaires clefs autour d'objectifs majeurs : répondre à l'urgence de l'insertion durable des jeunes dans l'emploi ; rendre prioritaires et visibles nos objectifs sociaux et pour l'emploi au niveau de la gouvernance de l'Union économique et monétaire (UEM), en mettant au coeur des débats la notion de progrès social et, pourquoi pas, d'innovation solidaire ; ouvrir de nouveaux champs au dialogue social, à la fois au niveau national et communautaire et oeuvrer pour une convergence vers le haut de nos modèles sociaux nationaux, en assurant le juste équilibre entre efficacité économique, redistribution, prévention des crises et du creusement des inégalités, à l'intérieur de chaque État membre et entre eux. L'Europe ne peut s'en tenir à la promotion de réformes structurelles, elle doit aussi être la source de droits et de nouvelles opportunités pour les Européens.
Notre grand enjeu : que la reprise économique ne laisse pas au seuil de l'emploi des millions de citoyens européens qui ne comprennent plus le destin de plus en plus inégalitaire et précaire qui leur semble imposé.
Là encore le dialogue social est l a clé. Car sans un marché du travail qui intègre tous les potentiels et les qualifications, l'Union ne retrouvera pas le chemin d'une croissance durable.
Pour cela, notre investissement dans la jeunesse et la qualité du travail doit se concrétiser.
C'est le sens des propositions que nous faisons et portons au niveau européen.
L'Union européenne a mis en place un programme phare en matière d'emploi des jeunes. Cependant, ses règles de pré-financement et de co-financement ne sont pas appropriées. Les pays du Sud ne sont pas en capacité de mettre en oeuvre cette « Garantie jeunes » avec un pré-financement de 1 %. Cette question sera-t-elle à l'ordre du jour du prochain Conseil européen ?
L'apprentissage fait partie des priorités du président de la République. Il s'agit d'un volet couvert par le plan de 300 milliards d'euros de Jean-Claude Juncker. Quelles sont les propositions à cet égard ?
Vous avez annoncé votre souhait de renforcer les informations et orientations à l'égard des apprentis. Or, l'étude de l'agence 2E2F met en exergue leur employabilité, mais aussi la réticence des entreprises à envoyer leurs jeunes en apprentissage… En outre, qu'en est-il du financement de l'apprentissage dans le plan de 300 milliards d'euros de M. Juncker ?
Le problème réside dans le fait que l'emploi est une conséquence de la situation économique, et non pas une cause. Dans le contexte actuel de purge budgétaire, en France comme en Europe, toutes ces dispositions ne sont que des mots ! Il faut changer radicalement de politique macroéconomique, et permettre aux États de recevoir des avances des banques centrales pour investir. Sinon, les 300 milliards d'euros n'auront aucune efficacité. Mettez la pyramide sur ses bases et non pas sur sa tête !
S'agissant des travailleurs détachés, quels moyens de contrôle peut-on mettre en oeuvre pour que la couverture sociale de l'État d'origine fonctionne réellement ?
En matière de taux de chômage, il existe une disparité considérable entre les pays du Nord de l'Europe et ceux du Sud, entraînant une mobilité des jeunes non pas choisie, mais subie. Quel est votre sentiment sur cette question ?
La question des travailleurs détachés constitue la préoccupation première de nos compatriotes. J'insiste sur ce point. Même si ses conséquences ne sont pas considérables d'un point de vue économique, elles le sont d'un point de vue symbolique : le fait de ne pas savoir si ces personnes sont en situation régulière ou non contribue à faire monter l'exaspération. Un contrôle effectif est nécessaire.
Il n'y aurait rien de pire que de voir passer cette manne financière de l'Union européenne en direction des jeunes sans en bénéficier. Il faut trouver une articulation adéquate entre les niveaux national et européen, et relever cet enjeu.
Par ailleurs, je suis chargé par la commission des Affaires européennes d'un rapport sur la question de l'assurance chômage en Europe. Quelle est votre réflexion sur ce point ? Quelles sont les attentes au sein de l'Union européenne ? Faut-il réfléchir à une harmonisation des dispositifs ou aller vers un dispositif — peut-être utopique — commun à l'ensemble de l'Europe ?
Ne faisons pas de contresens : l'Union européenne n'a pas vocation à régler les problèmes d'emploi par le biais de la politique sociale ; cela relève d'abord du niveau national et de la responsabilité des politiques nationales. Par ailleurs, il est dommage que l'Initiative pour l'emploi des jeunes ne fonctionne pas ou très mal. Enfin, qu'entendez-vous par « convergence sociale vers le haut » ? C'est très français… Faut-il que tous les pays européens s'alignent sur nos standards ? J'ai rencontré beaucoup de parlementaires des autres pays européens qui ne sont pas d'accord pour s'aligner sur nos niveaux d'impôts, de charges sociales et de chômage.
La question de l'apprentissage a été posée, mais je voudrais dire combien nos concitoyens s'inquiètent de la difficulté actuelle de trouver des places en apprentissage. Je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire en France avec les branches professionnelles pour inciter les entreprises à former les apprentis.
Quel est le coût du travail non déclaré en France ? Il s'agit d'un manque à gagner. Existe-t-il par ailleurs des accords entre États en matière de lutte contre le travail non déclaré ?
Vingt pays disposent d'un salaire minimum au sein de l'Union européenne, dont la valeur mensuelle varie de un à douze, et en réalité de un à cinq si l'on rapporte au niveau de vie. La Commission européenne a contesté le principe d'un salaire minimal dans certains pays — comme en Slovénie —, au titre de ses recommandations en matière économique et à des fins d'équilibre budgétaire. Quel est votre point de vue s'agissant de cette intrusion de l'Union européenne dans un domaine qui ne relève pas de sa compétence aux termes de l'article 153 - 5 du TFUE. Quelles sont par ailleurs selon vous les voies qui permettraient d'atténuer ces inégalités dans l'Union européenne entre salariés des différents Etats membres ?
Je précise que notre commission prépare un bilan de la stratégie « Europe 2020 », qui fera l'objet d'une communication la semaine prochaine.
Messieurs Cordery et Gilles, la France a été la première à mettre en place la garantie européenne sur la jeunesse — on peut estimer qu'il s'agit à présent d'une garantie « à la Française » – grâce à un montage en cours avec la Caisse des Dépôts. Tous les pays ne disposent pas de cette facilité. La France a demandé l'instauration d'un forfait par jeune pour les modalités de remboursement ; lors du sommet de Milan de la semaine dernière, des contacts bilatéraux ont été pris en ce sens, et l'Allemagne et l'Italie se sont rangées derrière la position française. C'est un peu la quadrature du cercle. Mme Merkel a précisé qu'il faut que les crédits disponibles en la matière puissent être consommés. En France, le système se met en place et permet le plus souvent aux jeunes de trouver un stage en entreprise. Mais il faut que le système fonctionne partout en Europe. Pour l'instant, 4 800 jeunes sont couverts en France, par la garantie jeune à la française et cela fonctionne bien. Les jeunes que j'ai rencontrés dans les missions locales sont satisfaits. Nos entreprises françaises parlent beaucoup de prendre des jeunes en apprentissage, mais le font beaucoup moins que les entreprises de nos pays partenaires.
Concernant la question sur les CFA, je confirme à Mme Doucet que les 300 milliards du plan Juncker seront en partie utilisés pour le financement de l'apprentissage ; il reste toutefois à préciser selon quelles modalités. Concernant Erasmus+ et le statut de l'apprenti, je me propose de revenir vers vous ultérieurement avec des éléments complémentaires.
Monsieur Myard, je comprends votre remarque, et oui, évidemment, une croissance plus riche en emploi est souhaitable. Je suis toutefois en charge « du bout du tuyau » et je fais ainsi de mon mieux dans le contexte économique donné pour accompagner tous les publics qui ont besoin de l'être pour entrer dans l'emploi, par exemple dans l'agroalimentaire, où la distorsion de concurrence sera moins forte, même si le salaire minimum allemand restera inférieur au nôtre. Je suis heureux pour ma part que ce projet soit porté par la ministre du travail allemande. Évidemment, celui-ci n'était pas nécessaire en Bavière mais il faut penser aux autres länder, comme la Thuringe. Ce que j'appelle « tirer vers le haut », c'est avoir des règles sociales communes qui protègent les travailleurs, qui leur permettent d'avoir des garanties salariales et de classification professionnelle, et de ne pas être la proie de prédateurs qui les utilisent hors des règles communes. Les entreprises françaises, notamment en zone frontalières, en sont très satisfaites.
Monsieur Piron, la mobilité dépend en effet des données démographiques ; l'Allemagne, par exemple, a, du fait de son fort déficit démographique, un réel besoin de main d'oeuvre qui l'incite à favoriser la mobilité des travailleurs d'autres pays de l'Union européenne. La coopération des bureaux sur la question des travailleurs détachés fonctionne de manière satisfaisante, entre la Pologne et la France par exemple.
Monsieur Dumas, le travail non déclaré est par nature difficile à évaluer ; ce que je sais en revanche c'est qu'il se généralise dans de nombreux secteurs, ce qui est très inquiétant. J'ai fait de la lutte contre le travail non déclaré une priorité de l'Inspection du travail. C'est un problème financier – la fraude entrainant un manque à gagner – mais aussi moral ; les conditions de travail offertes aux travailleurs étant parfois proprement scandaleuses, tandis que les entreprises honnêtes subissent la concurrence déloyale des entreprises malhonnêtes. Je pense qu'il nous faut, au niveau national, une action qui marque l'opinion publique sur ce sujet, et je vais m'y employer avec l'Inspection du travail et les fédérations d'employeurs concernés.
Monsieur Lequiller, votre remarque sur la convergence par le haut m'étonne de la part de quelqu'un qui est habitué à vilipender la convergence par le bas… Je note par ailleurs, et en réponse aussi à la question de Mme Karamanli, que l'instauration d'un salaire minimum en Allemagne va être de nature à considérablement lisser les effets de concurrence entrenos deux pays.
Vous devez malheureusement nous quitter pour rejoindre votre avion et partir au Conseil EPSCO. Nous vous remercions vivement d'avoir accepté d'inaugurer notre première audition préalable à une réunion thématique du Conseil des ministres de l'Union. Je remercie aussi chaleureusement le Président de l'Assemblée pour sa présence et sa participation aujourd'hui, tout au long de notre réunion .
La séance est levée à 17 h 15