Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du 30 mars 2016 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CSM
  • incompatibilité
  • indépendante
  • magistrat
  • nouvelle-calédonie
  • parquet

La réunion

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La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, vice-présidente.

La Commission examine, en deuxième lecture, le projet de loi constitutionnelle, modifié par le Sénat, portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (n° 1226) (M. Dominique Raimbourg, rapporteur).

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Nous examinons le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). La semaine dernière, la Commission a entendu le garde des sceaux, et chacun a pu s'exprimer.

Six amendements ont été déposés, sur lesquels il nous appartient de nous prononcer aujourd'hui.

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Il me semble – je n'ai pu être présent la semaine dernière pour le dire, et vous prie de m'en excuser – que ce projet de loi sous sa forme actuelle est le fruit d'une confusion entre les rôles du parquet et du siège. Faut-il aller en effet jusqu'à graver dans le marbre de la Constitution la subordination de la nomination des procureurs à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ? Je sais que, dans la pratique, le Gouvernement n'a jamais passé outre les avis non conformes du CSM, mais qu'il en ait la possibilité constitue une soupape de sécurité garantissant que le garde des sceaux, dont la légitimité procède du suffrage universel, pourra défendre sa politique pénale.

Ne doit-on pas craindre, en rapprochant encore le statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, de donner naissance – après tout, pourquoi pas ? – à un authentique pouvoir judiciaire qui pourrait s'auto-nommer, s'auto-promouvoir et s'auto-sanctionner sans qu'en contrepartie la responsabilité des juges soit clairement définie ?

Je rappelle, en outre, que les magistrats élus au CSM ont dans leur quasi-totalité été candidats sur des listes syndicales, ce qui signifie que nous assisterions à l'émergence d'une forme de pouvoir syndical, voire – et j'y insiste – de politisation de la justice, ce qui peut être problématique lorsque l'on se souvient que, par le passé, un certain syndicat a appelé à faire battre un candidat à la présidence de la République ; que, plus récemment, il s'est permis de décrier la loi sur l'état d'urgence que nous avions pourtant votée en toute souveraineté ; ou que, dernièrement, il s'en est pris à la réforme du code du travail, autant de prises de position dont on peut contester la légitimité, qui ne procède en rien du suffrage universel.

Le groupe Les Républicains ne peut adopter cette réforme, quand bien même la parité qu'elle instaure au sein du CSM entre « clercs » et « laïcs », entre magistrats et non-magistrats, correspond aux standards européens. Aujourd'hui, le CSM est majoritairement composé de non-magistrats, ce qui permet de limiter les risques de corporatisme.

Si ce projet de loi était adopté en l'état, sans être enrichi d'un volet précisant qui définit et qui conduit la politique pénale du pays, qui en est responsable devant le peuple, nous bouleverserions la Constitution en transformant l'autorité judiciaire en pouvoir judiciaire.

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Nous modifierions substantiellement l'équilibre de la Constitution si nous touchions à l'article 20, aux termes duquel le Gouvernement « détermine et conduit la politique de la Nation ». C'est, au sein du Gouvernement, le garde des sceaux qui « conduit la politique pénale », ainsi qu'il est précisé à l'article 30 du code de procédure pénale. Le parquet, quant à lui, conduit l'action publique et exerce les poursuites pénales, ce qui n'est pas la même chose et n'empiète en rien sur les prérogatives du Gouvernement.

Le garde des sceaux, qui ne peut plus donner d'instructions individuelles, adresse désormais au procureur général des instructions générales sur la politique pénale, rendant compte chaque année au ministre de la mise en oeuvre de ces orientations.

Ce qui change en revanche, et qui fait tout l'intérêt de ce projet de loi, c'est qu'il accroît l'autonomie institutionnelle du parquet par rapport au Gouvernement, ce qui est conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l'homme et de la plupart des pays démocratiques en matière de justice : celui qui exerce l'action publique ne peut dépendre institutionnellement du pouvoir politique. C'est le sens de cette réforme, que nous approuvons totalement.

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Monsieur Fenech, je comprends votre crainte de voir se constituer un gouvernement des juges, mais permettez-moi de vous livrer quelques arguments de nature à la tempérer.

En premier lieu, ce projet de loi ne fait qu'entériner dans la loi ce qui se pratique depuis 2008 en matière de nomination des magistrats du parquet.

En deuxième lieu, la politique pénale est le domaine réservé du garde des sceaux.

En troisième lieu, les magistrats resteront minoritaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature, ce qui devrait limiter le corporatisme. Par ailleurs, les prises de position syndicales que vous critiquez existent alors même que le parquet n'est pas indépendant, ce qui laisse penser que le statut du parquet n'a guère d'effet en la matière.

Enfin, nous devons, sous peine de nous exposer à des condamnations de plus en plus fermes, nous conformer à la position de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui construit sa jurisprudence à partir d'un « patchwork » des pratiques judiciaires et juridiques en cours dans les différents pays européens et qui nous oblige à garantir l'indépendance des procureurs de la République. De la sorte, nous les sauvons et pouvons leur confier le contrôle de mesures de coercition susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles, comme la garde à vue ou la géolocalisation.

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Les deux positions défendues sont parfaitement respectables. Si l'on veut les concilier et concéder au procureur général et aux procureurs de la République autant de pouvoirs ainsi que toute la légitimité requise pour les exercer, il n'y a qu'une solution : l'élection.

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Monsieur le rapporteur, ce projet de loi constitutionnelle a-t-il selon vous des chances d'aboutir, ou pensez-vous que nous travaillons pour rien ?

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La prudence s'impose et nous ne devons pas trop travailler, donc ne pas trop traîner sur l'examen de ce texte...

La Commission en vient à l'examen des articles du projet de loi.

Article 1er (article 64 de la Constitution) : Mission du Conseil supérieur de la magistrature

La Commission adopte l'article 1er sans modification.

Article 2 (article 65 de la Constitution) : Compétences du CSM

La Commission examine les amendements CL1, CL2, CL3 et CL4 de M. Sergio Coronado.

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L'amendement CL1 reprend en partie les dispositions envisagées par l'Assemblée en première lecture et tend à établir la parité entre magistrats et non-magistrats au sein du CSM.

L'amendement CL2 aligne le mode de nomination des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège.

L'amendement CL3 vise à instaurer la parité dans chacune des formations du CSM – parquet, siège et formation plénière.

L'amendement CL4, enfin, consiste à permettre à tout magistrat de saisir le Conseil supérieur de la magistrature et de lui permettre de se saisir d'office, comme le souhaitait l'Assemblée en première lecture.

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Avis défavorable à l'ensemble de ces amendements. Nous souhaitons en effet un vote conforme du texte pour favoriser l'aboutissement de la révision.

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Deux éléments plaident selon moi contre l'indépendance des magistrats du parquet, au premier rang desquels la défense de notre système juridique et de ses spécificités. Il est regrettable en effet que l'Europe s'inspire de plus en plus du droit anglo-saxon, bien moins protecteur des citoyens que ne l'est notre tradition juridique.

Par ailleurs, les Français ont élu des représentants à l'Assemblée nationale et, à travers eux, désigné un Gouvernement responsable du bon fonctionnement de la justice et de la politique pénale menée dans notre pays. Dans ces conditions, si les magistrats du parquet acquièrent la même indépendance que les magistrats du siège, l'exécutif n'aura plus aucun moyen de mener cette politique pénale. On coupe, ce faisant, le lien existant entre les citoyens et leur justice.

La Commission rejette successivement les amendements.

Puis elle adopte l'article 2 sans modification.

Après l'article 2

La Commission est saisie de l'amendement CL5 de M. Sergio Coronado.

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Cet amendement vise à donner une valeur constitutionnelle à la défense de tout justiciable par un avocat.

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Avis défavorable, pour les raisons indiquées précédemment.

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Je soutiens cet amendement, qui reprend une proposition que Pierre Morel-A-L'Huissier et moi-même avions faite. C'est une mesure similaire qui a valu à la Tunisie d'obtenir le prix Nobel de la paix, et ce serait l'honneur de notre pays que de consacrer le fait que toute personne a droit à l'assistance d'un avocat libre et indépendant.

La Commission adopte l'amendement.

Puis elle adopte l'ensemble du projet de loi constitutionnelle modifié.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président de la Commission

La Commission en vient à l'examen de la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat, relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie (n° 3236) (M. Philippe Gomes, rapporteur).

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Nous examinons aujourd'hui un texte identique à celui autour duquel nous nous étions réunis il y a quelques mois. Mme Catherine Tasca et un certain nombre de ses collègues sénateurs ont déposé une proposition de loi organique visant à modifier le régime des incompatibilités auquel sont soumises les autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie. Cette proposition a été adoptée le 18 novembre dernier. Elle est semblable à celle que j'ai déposée avec Philippe Gosselin et quelques autres députés sur le même sujet, laquelle a également été adoptée à l'unanimité par notre assemblée, le 26 novembre.

Pour éviter le croisement de ces deux textes identiques dans la navette parlementaire, le Gouvernement a décidé d'inscrire la proposition de loi de Mme Tasca à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ; elle devrait être examinée en séance publique le 7 avril prochain, et son adoption permettra la création d'autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie.

En effet, la Nouvelle-Calédonie ne disposait pas jusqu'à présent de cette capacité, alors même que la situation de l'économie calédonienne, marquée dans certains secteurs de l'économie par une très forte concentration des acteurs, justifierait que soit mise en place une autorité de la concurrence.

C'est dans ce cadre que les signataires de l'accord de Nouméa, qui se réunissent annuellement sous la présidence du Premier ministre pour vérifier la mise en oeuvre de l'accord, ont estimé, de manière consensuelle, que la loi organique devait être modifiée, afin que la Nouvelle-Calédonie puisse créer des autorités administratives indépendantes. Ce fut fait par la loi organique n° 2013-1027 du 15 novembre 2013.

Toutefois, le régime des incompatibilités est trop strict, et il n'est guère possible pour un membre de l'une de ces autorités administratives de cumuler son mandat avec un emploi public. Si cela n'est pas problématique pour le président ou pour le rapporteur général, qui occupent des emplois à temps plein, cela l'est davantage pour les autres membres, qui n'effectuent au sein de l'autorité que des vacations. C'est la raison pour laquelle ma proposition de loi et celle de Mme Tasca partagent l'objectif d'assouplir ce régime d'incompatibilités.

La proposition de loi organique qui vous est présentée aujourd'hui, si elle ne revient ni sur l'interdiction du cumul entre un mandat au sein d'une autorité administrative indépendante et un mandat électif, ni sur l'incompatibilité entre ce mandat et la détention – directe ou indirecte – d'intérêts des entreprises du secteur régulé, ouvre en revanche la possibilité pour des fonctionnaires d'État en poste en Nouvelle-Calédonie – un magistrat financier ou un professeur d'économie à l'Université, par exemple – d'être membres d'une autorité administrative.

Cette modification permettra de créer en Nouvelle-Calédonie des autorités administratives indépendantes, et notamment une autorité de la concurrence.

Je précise en conclusion qu'une erreur matérielle s'était glissée dans le rapport que j'avais rendu à l'automne sur ma proposition de loi : il n'y a pas d'incompatibilité entre un emploi public exercé hors de la Nouvelle-Calédonie et un mandat dans une autorité administrative indépendante.

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Le groupe Socialiste, républicain et citoyen, est naturellement favorable à l'adoption de cette proposition de loi organique, et je salue l'obstination et le travail de Philippe Gomes, qui vont permettre de faire aboutir le long processus de révision de la loi de 2013, sans doute trop rigoureuse sur ce point. Ce texte, identique à la virgule près à la proposition de loi qu'avait déposée M. Philippe Gomes, et adopté à l'unanimité par le Sénat à l'initiative de Catherine Tasca, doit être voté conforme par notre assemblée.

Le dispositif retenu est le suivant : la fonction de président de l'autorité est incompatible avec l'exercice de tout autre emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie ; les membres de l'autorité ne peuvent exercer d'emploi public de la Nouvelle-Calédonie, des provinces de ses communes ou de leurs établissements publics, ce qui signifie a contrario que des fonctionnaires métropolitains exerçant en Nouvelle-Calédonie mais ne dépendant pas d'elle peuvent, eux, être membres de l'autorité, étant précisé que cette fonction n'est pas permanente.

Enfin, un délai de carence de trois ans est mis en place pour les autres incompatibilités, puisqu'il est précisé que nul ne peut être désigné président ou membre d'une autorité administrative indépendante si, au cours des trois années précédant sa désignation, il a exercé un mandat électif ou détenu des intérêts considérés comme incompatibles avec cette fonction, disposition qui s'inspire de l'avis rendu par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie sur la proposition de loi.

Il s'agit d'un texte d'autant plus important que, sur un territoire insulaire et relativement peu peuplé comme la Nouvelle-Calédonie, la concurrence est forcément limitée. La création d'une autorité de la concurrence permettra donc d'éviter les situations de monopole – lesquelles ont d'ailleurs été pointées par un rapport de l'Autorité de la concurrence. Ces situations contribuent à la cherté de la vie, tout comme la surrémunération des fonctionnaires nationaux et locaux, qui est la cause et non la conséquence de la vie chère mais qu'il sera évidemment beaucoup plus difficile de remettre en question, d'autant que les instances locales n'y sont pas favorables. Quoi qu'il en soit, c'est un autre sujet, dont on parle depuis trente ans et dont on risque de parler encore pendant un certain temps, ce qui est regrettable pour le développement de la Nouvelle-Calédonie.

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Il s'agirait en effet d'une mesure beaucoup moins consensuelle !

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Je m'exprime ici en tant que président de la mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, pour apporter mon soutien à ce texte.

À l'issue du voyage que doit effectuer fin avril le Premier ministre en Nouvelle-Calédonie, je souhaiterais que notre mission puisse recevoir les parlementaires de la Nouvelle-Calédonie, afin que nous les interrogions sur les conséquences politiques de ce déplacement à leurs yeux.

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Je salue le progrès que ce texte, adopté à l'automne à l'unanimité par le Sénat, représente pour la Nouvelle-Calédonie. Il devrait connaître le même sort dans notre Assemblée et permettre de lever les difficultés empêchant la mise en place d'autorités administratives indépendantes et, en particulier, d'une autorité de la concurrence.

L'insularité pèse sur le coût de la vie, en Nouvelle-Calédonie comme dans tous nos territoires iliens, ainsi que l'ont montré les graves manifestations qui ont eu lieu aux Antilles il y a quelques années. Il est donc primordial qu'une autorité puisse veiller au bon développement de la concurrence dans ces territoires, ce qui ne manquera d'ailleurs pas d'influer sur les scrutins à venir. Le groupe Les Républicains apporte son plein soutien à cette proposition de loi organique.

La commission adopte, à l'unanimité, l'article unique de la proposition de loi organique sans modification. En conséquence, la proposition de loi organique est adoptée ainsi rédigée.

La séance est levée à 11 heures 30.