Commission des affaires européennes

Réunion du 5 avril 2016 à 8h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 5 avril 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 8 h 30

Examen du rapport d'information de M. Philip Cordery pour observations sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs

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Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour examiner le rapport pour observations de notre collègue Philip Cordery sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.

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Madame la Présidente, mes chers collègues, depuis le début de la législature, sous l'impulsion du Président de la République, notre pays a fait de la lutte contre le chômage une priorité absolue, traduite de manière concrète dans plusieurs textes votés par notre assemblée, avec pour ambition de doter la France d'un modèle social adapté aux réalités de l'économie d'aujourd'hui. Les derniers chiffres publiés par l'Insee, qui marquent un recul de 1,8% du chômage en un an, sont encourageants.

Pourtant, ceci ne suffit pas. Ces chiffres ne sont que les prémices d'une baisse qui s'amorce et doit être amplifiée. Le nombre de chômeurs – 2,86 millions – demeure très élevé. Si toutes les catégories ont bénéficié de cette baisse, celle-ci a été moins forte pour les jeunes et les seniors. En outre, malgré les 46 000 créations nettes d'emplois en 2015, et même si le bilan est plus positif que les années précédentes, nous sommes loin des 150 000 emplois qu'il faudrait créer pour absorber le différentiel entre les départs à la retraite – 700 000 – et les nouvelles entrées sur le marché du travail – 850 000.

Avec près de 3 millions de chômeurs, un chômage très important des jeunes (24 % au dernier trimestre 2015) et de longue durée (42,7% de chômeurs l'étaient depuis plus de un an), la France doit être lucide sur la nécessité de réformer son marché du travail pour consolider la baisse du chômage qui vient de s'amorcer.

L'objectif du présent projet de loi est de parachever le travail engagé depuis le début de la législature afin de bâtir un marché du travail à la fois plus protecteur des personnes et plus inclusif. Saluons le travail de la ministre qui, ayant fait preuve de capacités de dialogue avec la société civile, les organisations professionnelles et les parlementaires, porte à présent ce projet de loi avec courage et détermination, afin de rénover le droit du travail et ainsi améliorer le fonctionnement du marché du travail.

Ce texte, nécessaire, va dans le bon sens. Il crée les conditions d'une flexisécurité « à la française », permettant d'allier plus de souplesse pour les entreprises et une plus grande sécurité pour les salariés, tout en renforçant le dialogue social au plus près du lieu de travail.

Cette flexisécurité est au coeur des réformes qui ont été menées par nombre de nos partenaires européens. Au Danemark, par exemple, pays pionnier en matière de flexisécurité, celle-ci a été adaptée pour être pérennisée. Des mesures spécifiques ont été adoptées afin d'inclure les publics les plus vulnérables. Un autre axe a été le renforcement des politiques actives de marché du travail. Dans l'ensemble, le marché du travail danois a bien résisté à la crise.

De son côté, l'Italie a fait face depuis 2008 à des taux de chômage très élevés qui s'expliquent par des difficultés structurelles préexistantes telles que la faiblesse de l'investissement et la dualité du marché du travail. De nombreuses mesures ont été prises depuis 2008 mais c'est le Jobs Act de Matteo Renzi, adopté en 2015, qui aura le plus dynamisé le marché du travail. En alliant aides à l'embauche et procédures de licenciement assouplies tout en réformant le système éducatif et l'administration publique, la loi italienne se rapproche philosophiquement du modèle de flexisécurité.

Je ne peux ici détailler l'ensemble des réformes qui ont été engagées, et vous renvoie à la lecture de mon rapport, mais, globalement, les réformes du marché du travail entreprises dans l'Union européenne se sont inscrites dans deux écoles bien différentes : celles qui s'inspirent du modèle danois de flexisécurité pour combiner souplesse pour les entreprises et sécurité pour les travailleurs, tout en renforçant souvent le rôle des partenaires sociaux – comme ce fut le cas au Danemark, en Suède, en Italie ou dans une moindre mesure en Allemagne – et celles qui consistent à rendre le marché du travail davantage flexible, sans contrepartie pour les salariés, comme ce fut le cas au Royaume-Uni ou en Espagne.

Le projet de loi français s'inscrit clairement dans le premier groupe. L'expérience de certains partenaires européens, riche en enseignements, transparait en filigrane dans le projet porté par la ministre El Khomri, qui vise à créer en France les outils de la flexisécurité afin de relancer la création d'emploi, en créant un système gagnant-gagnant pour des salariés mieux protégés et des entreprises plus à même d'anticiper les mutations économiques. Il ne s'agit pas d'un projet de déréglementation du marché du travail. Il n'y est question ni de « mini jobs », ni de contrats « zéro heures », et il s'agit bien d'un projet de loi équilibré alliant à la fois plus de souplesse, même si elle reste maîtrisée, et une plus grande sécurisation des parcours professionnels avec la création du compte personnel d'activité (CPA) notamment.

Ce projet de loi est par ailleurs en pleine cohérence avec les fondamentaux du droit européen, que ce soit du point de vue du respect de la directive sur l'aménagement du temps de travail que des principes fondamentaux du droit social européen, inscrits notamment à la Charte sociale européenne.

Trois points doivent aussi particulièrement retenir notre attention au regard de notre mission de membre de la Commission des affaires européennes à savoir, dans l'ordre de présentation du texte : les dispositions relatives au compte personnel d'activité, l'extension de la Garantie jeunes et les dispositions relatives à l'extension de la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs.

La création d'un compte personnel d'activité, avancée considérable – sans doute le point le plus important de ce texte – est prévue à l'article 21.

Il est de notre devoir de veiller à ce que celui-ci tienne compte de la réalité de la mobilité européenne sous toutes ses formes.

Alors que la question de la portabilité des droits est essentielle pour la mobilité des personnes en Europe, les dispositions du présent projet de loi sur le CPA sont en effet l'occasion de construire au niveau national des conditions favorables à la mobilité européenne.

La plupart des États membres disposant aujourd'hui de dispositifs de formation continue, il serait par ailleurs intéressant de réfléchir à la portabilité des droits à la formation au niveau européen, comme c'est le cas pour les droits à l'assurance chômage, à l'assurance-maladie ou à la retraite dans le cadre du Règlement 8832004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Si ces questions devront sans nul doute à l'avenir faire l'objet d'une réponse globale, j'ai d'ores et déjà identifié un certain nombre de points qui devraient faire l'objet d'une précision dans le projet de loi.

D'une part, quel sera le devenir du CPA lorsque le titulaire part s'installer dans un autre pays européen ? La rédaction actuelle de l'article 21 du projet de loi prévoit que « sauf disposition contraire, les droits inscrits sur le compte personnel d'activité demeurent acquis par leur titulaire jusqu'à leur utilisation ou à la fermeture du compte ». Il semble toutefois nécessaire de mentionner explicitement que les droits du titulaire demeurent même en cas de départ à l'étranger et qu'ils ne s'éteignent pas avec son expatriation.

D'autre part, la question de l'acquisition des droits du CPA pour les salariés bénéficiant d'un contrat de droit français même s'ils résident dans un autre État membre de l'Union européenne est cruciale. Il semble nécessaire de le préciser pour les salariés concernés : détachés, expatriés, ou frontaliers. La loi devrait également prévoir cette possibilité pour les apprentis qui suivent une formation dans un établissement français et accomplissent leur formation pratique dans un autre État avec un contrat de droit étranger. Ceci est notamment le cas dans les zones frontalières ou existent des accords-cadres sur l'apprentissage (AlsaceBade-WurtembergRhénanie-Palatinat, LorraineSarre, Champagne-ArdenneWallonie,…).

Sont aussi cruciales la question l'utilisation des droits à formation acquis dans le cadre du CPA auprès d'un organisme de formation situé dans un autre État membre de l'Union européenne et celle de l'utilisation des droits à formation acquis dans le cadre du CPA pour un salarié ou un demandeur d'emploi qui ne réside plus en France. Les dispositifs actuels réservent en effet l'utilisation du CPA aux salariés de droits français ou aux demandeurs d'emplois inscrits à Pôle emploi. Or, les personnes ont acquis des droits dans le cadre du CPA avant de partir en mobilité dans un autre pays de l'Union devraient pouvoir en bénéficier même lorsqu'ils ne sont plus titulaires d'un contrat de travail français.

Autre point d'importance : la question de l'articulation des points acquis dans le cadre du compte personnel de pénibilité – C3P – et du règlement de coordination européen en matière de retraite. L'utilisation des droits du C3P devrait donner lieu à validation de trimestres lorsque les droits seront transférés dans un autre pays de l'Union.

Je me réjouis par ailleurs de la prise en compte du volontariat international en administration et du volontariat international en entreprise au titre des activités bénévoles ou de volontariat permettant d'acquérir des heures inscrites sur le compte personnel de formation.

J'approuve, enfin, la création de la plateforme de services en ligne par le projet de loi afin de fournir au titulaire du CPA une information sur ses droits sociaux et lui donner accès à un service de conservation de ses bulletins de paie, et lui donner accès à des services utiles à la sécurisation des parcours professionnels. Celle-ci pourrait utilement diffuser aussi une information sur les droits liés à la mobilité européenne.

L'extension de la Garantie jeunes prévue par le texte dans son article répond aux inquiétudes de la jeunesse et au souci de créer des conditions favorables à son insertion professionnelle. La Garantie jeunes, expérimentée depuis 2013, est inscrite dans le présent projet de loi. La Garantie jeunes devient une modalité spécifique du parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie. Tous les jeunes remplissant les conditions d'éligibilité du dispositif pourront en bénéficier. La Garantie jeunes deviendra ainsi un droit universel. On estimait en 2013 que 900 000 jeunes n'étaient pas en emploi, pas en étude, pas en formation.

Le coût de l'extension de la Garantie dépendra du nombre de jeunes qui solliciteront le bénéfice du dispositif sous réserve du respect des conditions.

Selon le ministère, si 100 000 jeunes supplémentaires bénéficient de la Garantie jeunes en 2017, le coût sera de 400 millions d'euros ; il serait de 600 millions d'euros pour 150 000 bénéficiaires. Cette extension sera financée par plusieurs dispositifs d'accompagnement dans le projet de loi de finances ainsi que des aides de l'Union européenne.

En effet, la Garantie jeunes est en cohérence avec la politique européenne en matière d'emploi et d'insertion des jeunes, concrétisée par la « Garantie pour la jeunesse » et « l'Initiative pour l'emploi des jeunes » qui visent toutes deux à concentrer les efforts des pouvoirs publics sur l'accès à l'emploi des « NEET », c'est-à-dire des jeunes ni en emploi, ni en formation, ni en étude, population la plus fragile parmi les 16-25 ans.

Enfin, étant donné l'ampleur des fraudes au détachement dans certains secteurs, nous ne pouvons que nous féliciter de la volonté du Gouvernement de renforcer encore notre arsenal national de lutte contre la fraude au détachement des travailleurs.

Le présent projet de loi contient donc six articles relatifs au détachement de travailleurs, les articles 45 à 50, regroupés au sein du titre VI intitulé « Renforcer la lutte contre le détachement illégal ».

L'article 45 crée une obligation de vigilance à la charge des maîtres d'ouvrage envers l'ensemble de la chaîne de sous-traitance au regard de l'accomplissement de la déclaration de détachement. Il crée en outre une obligation de transmission par voie dématérialisée de la déclaration de détachement subsidiaire des maîtres d'ouvrage ou donneurs d'ordre et consacre au niveau législatif l'obligation de déclaration qui pèse sur les donneurs d'ordre co-contractants d'une entreprise non établie en France dont un salarié est victime d'un accident du travail. Le non-respect de cette disposition sera passible d'une sanction administrative prévue à l'article L.1264-3 du Code du travail.

L'article 46 instaure une contribution pécuniaire visant à compenser les coûts administratifs engendrés par le détachement en France de salariés par des employeurs établis à l'étranger, dont devra s'acquitter tout employeur établi hors de France qui détache un salarié en France. Le montant forfaitaire de cette contribution sera déterminé par décret, dans la limite de cinquante euros.

L'article 47 est relatif à la suspension de la prestation de services internationale pour absence de déclaration de détachement par le maître d'ouvrage ou donneur d'ordre qui pourra être étendue en cas d'absence de déclaration de détachement, à l'issue du délai de 48 heures laissé au donneur d'ordre et au maître d'ouvrage co-contractant pour procéder eux-mêmes à la déclaration subsidiaire de détachement.

L'article 48 procède à la transposition de la directive 201467UE du 15 mai 2014, relative à l'exécution de la directive 9671CE concernant le détachement de travailleurs, en ce qui concerne le recouvrement des sanctions. Aux termes de la directive, la demande d'exécution d'une sanction est réputée produire les mêmes effets que si elle était le fait de l'État membre saisi de la demande. En conséquence, le présent article a pour objet de préciser les modalités de recouvrement des amendes administratives prononcées par un autre État membre à l'encontre d'un prestataire de services français ayant enfreint la réglementation de l'autre État membre en matière de détachement de travailleurs.

L'article 49 permet aux agents de contrôle compétents en matière de lutte contre le travail illégal de pouvoir accéder aux données issues des déclarations de détachement traitées dans la base centrale automatisée gérée par le ministère.

Enfin, l'article 50 adapte les dispositions issues de la loi no 2015-990 du 6 août 2005 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques relatives à la suspension d'une prestation de service internationale aux activités régies par le code rural et de la pêche maritime.

Je me félicite de toutes ces propositions, qui vont dans le sens de la consolidation de notre législation.

Deux interrogations demeurent à ce stade.

D'une part, bien que le Conseil d'État ait validé cette disposition, une interrogation demeure quant à la conformité au droit européen de la contribution créée à l'article 46, et notamment aux principes de libre-circulation des travailleurs et d'égalité de traitement et quant à l'appréciation qui pourrait être éventuellement portée par la Cour de justice de l'Union européenne sur cette contribution, notamment au regard de des principes fondamentaux de libre circulation et de non-discrimination des travailleurs ressortissant des pays membres de l'Union.

D'autre part, et comme l'a soulevé notre collègue Gilles Savary, les discussions autour de ce projet de loi ne devraient-elles pas être l'occasion d'anticiper la nouvelle révision de la directive 9671CE, notamment sur le « détachement d'intérim » ? En effet, la proposition de révision de la directive présentée le 8 mars dernier par la Commission européenne contient une disposition, soutenue par la France, visant à encadrer le détachement effectué via des entreprises de travail temporaire, en établissant qu'un travailleur intérimaire est employé aux mêmes conditions qu'il relève d'une agence d'intérim française ou qu'il soit détaché en France par une agence transfrontalière de travail temporaire. J'estime qu'une modification du projet de loi pour intégrer dès à présent cette disposition serait opportune.

Les propositions de conclusions que nous allons discuter pourraient se transformer en amendement que nous pourrions déposer en séance.

En ce qui concerne le CPA, plusieurs points sont à prendre en considération. Concernant l'accumulation des droits contenus dans le compte personnel d'activité (CPA), il est important de préciser dans le texte de loi que les droits acquis seront maintenus même en cas de départ à l'étranger du titulaire, que l'accumulation des droits se fera même si le lieu d'exercice du contrat est dans un autre pays de l'Union européenne, notamment pour les travailleurs détachés et frontaliers, et que, dans le cas de l'apprentissage, si la formation en entreprise est effectuée dans un autre pays de l'Union dans le cadre d'une formation française, celle-ci donnera les mêmes droits que les formations effectuées en France dans le cadre du CPA.

Concernant l'utilisation des droits contenus dans le compte personnel d'activité (CPA) il convient de s'assurer que l'utilisation des droits contenus dans le CPA pour effectuer une formation dans un autre pays de l'Union européenne et que l'utilisation des droits contenus dans le CPA lorsque le titulaire du CPA n'est ni titulaire d'un contrat de travail français ni affilié à pôle emploi soient possibles. Il convient en outre de clarifier le lien entre validation des trimestres de retraite dans le cadre du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et la portabilité des droits à la retraite dans les autres pays de l'Union, conformément aux règlements de coordination, et ainsi de s'assurer que ces trimestres seront bien validés dans les autres pays membres en cas de validation d'une retraite dans un autre pays membre.

Par ailleurs, il convient d'impulser au niveau européen une réflexion sur la portabilité des droits à la formation en Union européenne, comme c'est le cas pour les droits à l'assurance chômage, à l'assurance maladie ou à la retraite conformément au Règlement (CE) n°8832004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

De plus, la plateforme en ligne prévue à l'article 21 du projet de loi pourrait voir son contenu étendu à l'information sur les droits à la mobilité européenne. Concernant les dispositions visant à renforcer la fraude au détachement des travailleurs, il convient de s'assurer de la compatibilité avec la législation européenne de la contribution pécuniaire prévue à l'article 46 du projet de loi visant à compenser les coûts administratifs engendrés par le détachement en France de salariés par des employeurs établis à l'étranger, dont devra s'acquitter tout employeur établi hors de France qui détache un salarié en France. Il conviendrait, en outre, d'anticiper la future législation européenne sur le détachement d'intérim en modifiant l'article L.1262-2 du code du travail, en le complétant par l'alinéa suivant : « les conditions d'emploi et de travail applicables aux salariés mentionnés à l'alinéa précédent sont identiques à celles des salariés des entreprises exerçant une activité de travail temporaire établies sur le territoire national. »

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Je ne peux que constater que cette loi est vraiment le type même de la loi qui participe à la dégradation de l'image du Parlement. Sur le fond de vos propositions, pourriez-vous expliciter plus avant ce que vous envisagez concernant l'acquisition des droits pour le titulaire du CPA parti à l'étranger, notamment concernant le C3P ? Souhaitez-vous que l'acquisition des droits se poursuive à l'étranger de la même manière que sur le territoire national, ce qui paraît pour le moins étrange ?

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Merci pour ce rapport et ces conclusions qui sont importants en ce qu'ils font prédominer notre vision de la nécessaire prise en compte de l'environnement européen dans l'élaboration de notre législation nationale. Je m'interroge toutefois non sur vos conclusions, avec lesquelles je suis en accord, mais sur leur mise en oeuvre au niveau européen. Nous sommes à des vitesses complètement différentes. Par exemple, pour la mise en place d'un portail d'accès au droit, il risque d'y avoir des difficultés de coordination entre les pays concernés. En outre, et d'évidence, l'expérience – et notamment celle, mise en lumière dans le rapport, de nos voisins européens – montre que la mise en oeuvre de la flexibilité est malheureusement plus rapide que celle de la sécurisation. Il va falloir se montrer attentif à cette concordance des temps ainsi qu'à la lisibilité des droits acquis pour les citoyens français dans le paysage européen.

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Merci d'avoir fait ce rapport qui permet de mettre en lumière la nécessaire prise en compte de la dimension européenne dans ce projet de loi. Je note toutefois que votre travail a porté surtout sur les parties consensuelles de la loi, laissant de côté les sujets, nombreux, qui ne le sont pas – seriez-vous venus place de la République avec moi que vous n'en douteriez pas. J'approuve tout ce qui concerne les travailleurs détachés dans votre projet de conclusions, notamment concernant les donneurs d'ordre ; tout cela est positif. Il est évident que l'article 45 du projet de loi, créant une obligation de vigilance à la charge des maîtres d'ouvrage envers l'ensemble de la chaine de sous-traitance au regard de l'accomplissement de la déclaration de détachement, est une avancée. Pour le reste, je trouve ce rapport très laudatif par rapport à ce projet de loi qui est, comme l'a dit Alain Supiot, spécialiste du droit du travail, « un mauvais procès instruit contre le code du travail ». La situation n'a pas changé depuis le constat qu'il avait dressé en 1999, lors de la rédaction d'un rapport commandité par la Commission européenne sur les transformations du travail et le devenir du droit du travail en Europe : à l'époque, déjà, le résultat positif de la flexibilisation de l'emploi pour lutter contre le chômage ne sautait pas aux yeux, et les différents dispositifs ciblés sur les jeunes, vieux, ou chômeurs de longue durée n'avaient pas empêché le chômage de ces populations d'augmenter. Puisque ces dispositifs ont montré leur impuissance, pourquoi continuer à les utiliser et à affirmer qu'ils sont l'alpha et l'oméga des réformes du marché du travail ? L'embellie dont que vous avez mentionnée n'est d'ailleurs pas aussi claire que cela, comme l'indiquent les chiffres du chômage pour le mois de mars. Rappelons que le Conseil de l'orientation pour l'emploi, dans sa note de synthèse sur les réformes des marchés du travail en Europe, a bien souligné que les réformes ont tendance à accentuer la fracture entre les personnes à bon niveau de formation et tous ceux qui ont, au contraire, de niveaux de formation insuffisants. Je crois que c'est bien de réciter une antienne – c'est très religieux – mais la réalité est là. Comparaison n'est pas raison : le Danemark et les pays nordiques sont des cas très particuliers, où la protection sociale était bien plus générale et bien plus diversifiée que ce que nous connaissons, et les modes de fonctionnement sont très différents. Vous faites en outre la comparaison avec l'Italie : il ne faut pas oublier de mentionner aussi les mouvements sociaux actuellement en oeuvre dans ce pays, comme d'ailleurs aussi actuellement en France. Rien n'est choquant dans vos conclusions mais la volonté de faire de la flexibilité sous toutes ses formes et de la baisse ou de l'allègement des charges l'alpha et l'oméga de la politique sociale en Europe n'est pas de mon point de vue la solution. On voit bien que le chômage des jeunes européens, qui est pourtant une priorité depuis la présidence irlandaise, n'est pas réglé. Je note en outre que pour ce qui est du travail « classique », la France est bien plus mauvaise élève que l'Allemagne, ce qui est un comble. Pour toutes ces raisons, je m'abstiendrai donc de voter les conclusions de votre rapport.

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En réponse à Marc Laffineur, précisons qu'il ne s'agit pas de permettre l'accumulation des droits à l'étranger, mais l'utilisation des droits acquis quand on part à l'étranger et de s'assurer que les droits acquis ne disparaissent pas avec la mobilité. L'objectif est de favoriser la mobilité européenne. Concernant le point particulier de la retraite, il s'agit de s'assurer que les autres États reconnaissent les trimestres validés dans le cadre du CPA au titre du C3P comme des trimestres effectifs. Il ne s'agit pas d'acquérir des droits à l'étranger mais de maintenir des droits acquis en cas de départ dans un autre pays.

En réponse à Sandrine Doucet, l'objectif à terme devrait être d'avoir un règlement de coordination européen des droits à la formation. Des dispositifs de formation existent aujourd'hui dans quasiment tous les pays de l'Union européenne mais ne sont pas coordonnés ; or, le droit à la formation est aussi important aujourd'hui que le droit au chômage. Il faut réfléchir à un règlement européen qui faciliterait le passage d'un pays à un autre tout en gardant ses droits acquis à la formation. Ceci étant un projet de moyen ou long terme, il faut en attendant permettre aux salariés français de maintenir leurs droits, ce qui est l'objet de la proposition de conclusions.

En réponse à Danielle Auroi, il est évident qu'il faut trouver un équilibre entre la souplesse et la sécurisation des parcours professionnels. C'est tout l'objet de cette loi. Il y a bien deux façons de réformer le marché du travail, et on distingue en Europe deux groupes de pays : ceux qui ont privilégié la flexibilité et libéralisé à outrance, comme au Royaume-Uni et en Espagne, et ceux qui, face à un chômage qui ne cesse de croître dans une situation où l'emploi à vie n'existe plus, où les parcours professionnels sont mouvants avec des périodes sans emploi, ont cherché à ce que la période entre deux emplois soit la plus sécurisée possible. Certes le Danemark et la Suède sont de plus petits pays que le nôtre, mais ils sont parvenus à mettre en place cette flexisécurité et à être moins impactés par les crises. Ce qu'est en train de faire l'Italie actuellement relève de la même logique. Il faut effectivement trouver, au niveau de notre pays et au niveau européen, un équilibre entre souplesse et, en même temps, une beaucoup plus grande sécurisation. C'est l'enjeu du modèle européen que nous allons développer dans les années à venir.

Puis, la commission des Affaires européennes a approuvé les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 151-1-1 du Règlement de l'Assemblée nationale,

Vu la Charte sociale européenne révisée,

Vu la directive 200388CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail,

Vu le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, et notamment ses articles 21, 22, 23 et 45 à 50,

Considérant que la situation de l'emploi en France nécessite la mobilisation des pouvoir publics,

Considérant que les différentes réformes menées dans plusieurs pays de l'Union européenne sont un champ d'inspiration pour notre pays,

Considérant que le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs contient des avancées majeures mais doit être envisagé dans son contexte européen, et notamment prendre en compte les spécificités liées à la mobilité des actifs,

1. Concernant l'accumulation des droits contenus dans le compte personnel d'activité (CPA), considère qu'il est important de préciser dans le texte de loi que :

- les droits acquis seront maintenus même en cas de départ à l'étranger du titulaire ;

- l'accumulation des droits se fera même si le lieu d'exercice du contrat est dans un autre pays de l'Union européenne, notamment pour les travailleurs détachés et frontaliers ;

- dans le cas de l'apprentissage, si la formation en entreprise est effectuée dans un autre pays de l'Union dans le cadre d'une formation française, celle-ci donne les mêmes droits que les formations effectuées en France dans le cadre du CPA ;

2. Concernant l'utilisation des droits contenus dans le compte personnel d'activité (CPA) prévu à l'article 21 du projet de loi, considère :

- qu'il convient de s'assurer que l'utilisation des droits contenus dans le CPA pour effectuer une formation dans un autre pays de l'Union européenne soit possible ;

- qu'il convient de s'assurer que l'utilisation des droits contenus dans le CPA lorsque le titulaire du CPA n'est ni titulaire d'un contrat de travail français ni affilié à pôle emploi soit possible ;

- qu'il convient de clarifier le lien entre validation des trimestres de retraite dans le cadre du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et la portabilité des droits à la retraite dans les autres pays de l'Union, conformément aux règlements de coordination, et ainsi de s'assurer que ces trimestres seront bien validés dans les autres pays membres en cas de validation d'une retraite dans un autre pays membre ;

- qu'il convient, enfin, de favoriser au niveau européen une réflexion sur la portabilité des droits à la formation en Union européenne, comme c'est le cas pour les droits à l'assurance chômage, à l'assurance maladie ou à la retraite conformément au Règlement (CE) n°8832004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

3. Concernant la plateforme en ligne prévue à l'article 21 du projet de loi, considère que son contenu doit être étendu à l'information sur les droits à la mobilité européenne ;

4. Concernant les dispositions visant à renforcer la fraude au détachement des travailleurs, considère :

- qu'il convient de s'assurer de la compatibilité avec la législation européenne de la contribution pécuniaire prévue à l'article 46 du projet de loi visant à compenser les coûts administratifs engendrés par le détachement en France de salariés par des employeurs établis à l'étranger, dont devra s'acquitter tout employeur établi hors de France qui détache un salarié en France ;

- qu'il convient d'anticiper la future législation européenne sur le détachement d'intérim en modifiant l'article L.1262-2 du code du travail, en le complétant par l'alinéa suivant : « les conditions d'emploi et de travail applicables aux salariés mentionnés à l'alinéa précédent sont identiques à celles des salariés des entreprises exerçant une activité de travail temporaire établies sur le territoire national. »

La séance est levée à 9 h 10