Nous inaugurons aujourd'hui, dans le cadre de la MEC, la première série d'auditions consacrées à la prévention et à l'accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l'emploi. Il n'est pas nécessaire de souligner l'importance de ce sujet alors que 1 000 à 1 200 plans sociaux sont mis en oeuvre chaque année.
Cette mission d'évaluation et de contrôle porte précisément sur l'accompagnement des plans sociaux par la puissance publique. Nous auditionnerons au cours des prochaines semaines les personnes en prises avec ce sujet et, notamment celles exerçant au sein de l'État, des collectivités locales ou des cabinets ministériels. Conformément à la tradition de la MEC, nous accueillerons également tout au long de nos travaux des magistrats de la Cour des comptes, Mmes Corinne Soussia et Dominique Lassus-Minvielle.
Nous avons souhaité centrer cette mission sur l'action de prévention conduite par la puissance publique et avons donc exclu les actions menées par les organismes financiers, les tribunaux de commerce ou d'autres acteurs. Les auditions d'aujourd'hui visent à dresser un panorama général des approches administratives et des dispositifs publics d'accompagnement des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE).
Madame Wargon, votre portefeuille est très large, puisque vous conduisez, coordonnez et évaluez la mise en oeuvre de ces dispositifs de la politique de l'emploi. Quatre sous-directions – ayant en charge le retour à l'emploi, la formation et le contrôle, les mutations de l'emploi et le développement de l'activité, et le service public de l'emploi (SPE) – sont placées sous votre autorité.
Pierre Ramain vous présentera l'action globale de la puissance publique en matière de PSE et je consacrerai plus particulièrement mon propos à l'Accord national interprofessionnel (ANI), signé le 11 janvier dernier, et dont le projet de loi opérant la transposition sera bientôt soumis au Conseil de ministres puis à l'Assemblée nationale.
L'action de l'État et l'encadrement juridique des PSE ont eu pour objectif, depuis plus de quarante ans, d'accroître l'anticipation des mutations économiques, de renforcer la concertation et le dialogue social au sein de l'entreprise, et d'affermir les dispositifs d'accompagnement des plans.
L'action de prévention cherche à pressentir le plus tôt possible les évolutions qui donneront lieu à des restructurations, afin de gérer ces dernières dans un contexte apaisé et d'éviter les PSE. En renforçant les mécanismes d'anticipation, l'ANI prolonge un mouvement amorcé il y a plusieurs années. Le dialogue social au sein de l'entreprise se fortifie également depuis quelques années. Il s'appuie notamment sur le rôle historique important confié à l'information et à la consultation du comité d'entreprise et sur la place de la négociation, place consolidée par l'ANI.
Cette politique repose sur l'idée selon laquelle l'anticipation et la concertation permettent de construire des solutions innovantes en matière d'accompagnement. Les modalités de l'accompagnement des PSE ont en effet varié dans le temps : pendant trente ans, elles ont consisté principalement dans des « mesures d'âge » grâce aux dispositifs – publics ou privés – de préretraite, avant que avec l'arrêt du retrait massif des salariés en fin de carrière du marché du travail, n'émergent les aides au reclassement, les plans sociaux, puis les PSE. Les mesures d'accompagnement contiennent un volet de droit commun « socle », le contrat de sécurisation professionnelle (CSP), à destination des PME et des entreprises en redressement ou liquidation judiciaires, et un volet de mobilisation des entreprises, prenant la forme d'un investissement financier et d'outils comme le PSE et le congé de reclassement – mesure alternative au CSP pour les entreprises de plus de 1 000 salariés.
L'ANI renforce la tendance que Pierre Ramain vient de présenter. Il repose sur deux axes, l'anticipation et la négociation. Il crée de nouvelles règles qui vont permettre aux salariés d'avoir différemment accès à l'information grâce à leurs institutions représentatives et à leur présence dans les conseils d'administration. L'accord pose le principe de la création d'une base de données unifiée qui permettra aux représentants du personnel de bénéficier d'une information globale et consolidée, alors qu'elle n'était jusqu'à présent que ciblée et limitée à chaque négociation ou consultation du comité d'entreprise. Cette base aidera à établir un diagnostic sur la situation de l'entreprise et sur ses orientations stratégiques à trois ans. Il s'agit d'un pari fondé sur la diffusion d'informations exhaustives et stratégiques aux représentants du personnel. Ainsi, mieux informés, les salariés ne ressentiront plus un éventuel PSE comme un coup de tonnerre. La présence des salariés dans les conseils d'administration des entreprises employant plus de 5 000 salariés en France ou plus de 10 000 dans le monde constitue la mesure la plus en pointe de cette politique.
L'accord et son avant-projet de transposition législative prévoient un profond renouvellement des procédures du PSE. Ce dernier pourra soit découler d'une démarche unilatérale, soit résulter d'une négociation, ce qui est nouveau. Aujourd'hui, en effet, les entreprises négocient des accords uniquement de méthodes alors que le contenu du plan reste un document unilatéral, même s'il peut faire l'objet de discussions. Ce dernier ne disparaîtra pas, mais il sera soumis à l'administration qui disposera d'un délai de vingt-et-un jours pour l'homologuer. En revanche, lorsque le plan fera suite à une négociation, l'administration le validera dans les huit jours. Dans les deux cas, l'administration devient le référent du patronat et des organisations représentatives du personnel tout au long du processus. Elle est en effet informée en amont et veille au respect de la procédure et à la qualité du plan. Pour que la négociation aboutisse, l'accord doit être majoritaire. Sa qualité est alors présumée et l'administration se contentera d'une vérification plus formelle – notamment sur le caractère majoritaire de l'accord. Si, en revanche, le plan est unilatéral, l'administration analysera son contenu – en vérifiant la présence de l'ensemble des mesures de reclassement et le caractère favorable des propositions faites aux salariés – au regard de la situation de l'entreprise.
Le rôle de l'administration variera suivant le caractère négocié ou unilatéral du plan. Cette situation pose question, car elle comporte le risque de voir l'administration s'immiscer davantage dans la gestion de l'entreprise.
Si l'ANI permettait d'éviter les « coups de tonnerre », il jouerait un rôle positif. Néanmoins, on devrait pouvoir dépasser cette seule dimension de communication pour mieux anticiper l'évolution de la situation de l'entreprise. Monsieur Ramain, vous avez évoqué ce point lorsque vous avez décrit les objectifs des PSE, mais des doutes subsistent sur la possibilité de favoriser l'anticipation lorsque des PSE – et donc des licenciements de masse – sont mis en oeuvre. À l'occasion de la transposition de l'ANI, existe-t-il des pistes pour accroître les capacités d'anticipation ?
Sur la question de l'anticipation, les mutations des sites stratégiques se trouvent au coeur de la vigilance du Gouvernement – quelle que soit son orientation politique – et les évolutions des filières donnent lieu à la mise en place de nouveaux outils. Nous avons cependant choisi de ne pas inclure ces sujets dans le périmètre de notre mission – ils nous conduiraient trop en amont – et de nous concentrer sur l'anticipation, au sein de l'entreprise, lorsque des perspectives de tension se dessinent.
Si le rôle de l'État reste formel dans le cas d'un accord négocié, ce ne sera pas le cas pour les PSE unilatéraux. Dès lors, comment rendre objectives les conditions de validation des plans sociaux ? Pensez-vous que les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) possèdent les instruments nécessaires à cette objectivation ? Étudiez-vous ce sujet sur lequel nous pourrions également nous mobiliser dans les semaines à venir ?
Qu'est-ce qui est évalué dans les PSE ? Pendant longtemps, les plans sociaux se contentaient de comporter des mesures quantitatives qui associaient un emploi remplacé à un emploi supprimé, mais qui ne possédaient aucun caractère structurant pour les personnes comme pour les territoires. Dispose-t-on d'outils pour évaluer leur restructuration ? Ne pourrait-on pas saisir l'occasion de l'ANI pour aborder la revitalisation sur une base collective et non individuelle ?
Il me paraît fondé d'établir une différence selon que la négociation ait abouti ou non. Cela répond à la volonté explicite des signataires de l'ANI ; ce dernier ne prévoyait d'ailleurs pas d'intervention de l'administration dans le cas où la négociation se concluait par un accord. Cette intervention sera un peu plus que formelle, puisqu'elle aura vocation à vérifier la régularité de la procédure et le caractère majoritaire de l'accord, mais également le respect de critères d'ordre public auxquels l'entreprise n'aura pas la faculté de déroger.
Parmi les points qui ne peuvent souffrir de dérogation figurent la proposition du CSP dans les entreprises de moins de 1 000 salariés et du congé de reclassement dans celles en comportant plus de 1 000, mais également la nécessité de la formation et de l'adaptation des salariés à l'évolution de leur poste – même si les modalités de leur mise en oeuvre peuvent être négociées. Pour ce dernier critère, si un accord stipulait que l'employeur se trouvait délié de cette obligation – en contrepartie du versement d'une indemnité substantielle par exemple –, nous nous retrouverions face à un problème important.
L'ANI et le projet de loi prévoient par ailleurs une présence accrue de l'administration tout au long de la discussion et, dans bien des cas, nous ne saurons qu'à la fin de la négociation si le plan reposera sur un accord majoritaire ou sur un document unilatéral. Il est même vraisemblable que des plans contiendront des parties négociées et d'autres unilatérales. Les syndicats pourraient, en effet, accepter quelques éléments d'un PSE comme les mesures de reclassement, et en refuser d'autres comme les critères d'ordre qui sélectionnent les personnes auxquelles des postes sont proposés. Le paquet global de la négociation sera évalué par l'administration, d'où son suivi de l'ensemble de la procédure. Aujourd'hui, l'administration est déjà informée en amont des PSE de grande taille ; elle reste en contact régulier avec l'entreprise, elle passe des messages sur le contenu du plan – notamment au moyen de lettres d'observation si l'entreprise rencontre des difficultés – et se trouve ainsi associée à l'ensemble du processus.
Les critères d'homologation du plan et la nature des outils dont disposeront les DIRECCTE pour les contrôler constituent une question centrale. La loi posera les principes généraux, leur application sera régie par des décrets, mais c'est la pratique qui s'avérera in fine déterminante. Une circulaire de mise en oeuvre du texte sera donc nécessaire pour fournir des indications sur la procédure d'homologation. À ce stade, nous restons réticents à l'idée d'insérer des critères dans la loi, car leur appréciation doit s'opérer au cas par cas. Ni la validation, ni l'homologation, ne portent sur le motif économique. L'examen des conditions économiques ayant entraîné l'entreprise à licencier relève du juge judiciaire. Or la Cour de cassation, dans son arrêt Viveo du 3 mai 2012, a refusé d'annuler un PSE pour défaut de motif économique. Le juge judiciaire peut donc constater l'absence de fondement économique, en tirer des conséquences sur les licenciements en proposant une réintégration – avec l'accord de l'entreprise – ou une indemnisation, mais ne peut pas pour autant déclarer la nullité du PSE. Tel est le droit positif que nous n'avons pas l'intention de modifier.
Puisque l'administration interviendra sur la qualité de la procédure, son action devra reposer sur la notion de proportionnalité : plus l'entreprise disposera de moyens pour accompagner ses salariés et plus l'administration se montrera exigeante. L'appréciation ne portera donc pas sur le motif, mais sur l'ampleur du plan et le devenir des salariés au regard de la situation de l'entreprise. Ainsi, un groupe en bonne santé financière, qui déciderait de se séparer d'une activité qu'il estimerait condamnée, ferait l'objet d'une exigence quantitative et qualitative très poussée de la part de l'administration, afin qu'il investisse significativement dans le reclassement et l'indemnisation de ses salariés. Les orientations et les outils fournis aux services seront conçus à partir de ce concept de proportionnalité.
Comme vous l'avez affirmé monsieur Castaner, se pencher sur l'anticipation des mutations économiques conduit rapidement à analyser les risques par filière. Les analyses menées dans les comités stratégiques de filières, nationaux et régionaux, visent à accompagner les branches – et donc les entreprises – dans une réflexion stratégique portant sur les métiers menacés ou ceux qui sont à développer, ainsi que sur la façon d'adapter les compétences, par une politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et de formation intelligente, pour atténuer les effets des mutations économiques. Nous ne distinguons pas ces deux politiques qui forment un continuum.
L'obligation d'accompagnement territorial des restructurations date de 2002 ; elle repose principalement sur la revitalisation des bassins d'emploi, impératif s'imposant aux groupes de plus de 1 000 salariés. Lorsque ces groupes procèdent à une restructuration ayant un impact territorial, une convention signée avec le préfet met en place des mesures d'accompagnement et d'atténuation de ses conséquences. Cette procédure de revitalisation a connu une mise en oeuvre assez lente entre 2002 et 2005, mais son utilisation a crû notablement depuis. Ainsi, entre 130 et 140 conventions de revitalisation sont signées chaque année. Les régions connaissant les restructurations industrielles les plus nombreuses – l'Île-de-France, le Nord-Pas-de-Calais, la région Rhône-Alpes, la Lorraine, et la Champagne-Ardenne – en signent davantage que d'autres. L'ensemble de ces conventions engage environ 75 à 80 millions d'euros en moyenne chaque année au titre de la revitalisation et constitue donc un véritable levier dans les territoires où elles existent. L'une des difficultés actuelles réside dans le fait que des restructurations s'opèrent sans revitalisation, soit parce que l'entreprise n'est pas soumise à cette obligation en raison de sa taille, soit parce qu'elle en est exonérée en cas de liquidation ou de redressement judiciaires. Ainsi, lorsque la Bretagne subit la liquidation du pôle frais de l'entreprise Doux, l'absence d'obligation de revitalisation a contraint à mobiliser d'autres outils publics, plus complexes et moins souples d'utilisation.
Malgré l'arrêt Viveo, des tribunaux – la cour d'appel de Créteil en particulier – ont recommencé à contester le motif économique, d'où le développement d'un climat d'incertitude. Ne pourrait-on pas profiter de la transposition dans la loi de l'ANI pour aborder ce sujet ?
Au sujet de la proportionnalité, lorsqu'une entreprise dépourvue de difficultés financières élabore un PSE pour des raisons stratégiques, son engagement financier dans le plan doit se situer à un niveau élevé. Il convient d'insister sur ce point.
Vous avez rapidement abordé les volets GPEC et formation devant accompagner l'anticipation des mutations économiques. Un projet de loi sur la décentralisation sera probablement transmis au Parlement d'ici à l'été ; il devrait renforcer le rôle de chef de file des régions, y compris dans le domaine des formations prescrites par Pôle emploi, ce qui justifie la nécessité de développer une gouvernance performante.
Le nombre des acteurs intervenant dans la procédure du PSE se multiplie. Dans ce maquis, la gouvernance de l'anticipation et de l'accompagnement des plans sociaux vous paraît-elle satisfaisante ?
Le texte actuel du projet de loi supprime le référé et la saisine du juge judiciaire au cours de la procédure d'élaboration du PSE. Il renvoie le recours au juge à l'adoption du PSE et donc à une période où les licenciements ont déjà été mis en oeuvre. La procédure se déroule sous le regard de l'administration qui peut être saisie si les organisations représentatives du personnel estiment que l'information dont ils disposent est insuffisante ; dans ce cas, la DIRECCTE peut enjoindre l'entreprise de fournir des données complémentaires. Une fois la phase administrative achevée par l'homologation ou la validation du plan, les licenciements peuvent être contestés devant le juge judiciaire, qui indemnise le cas échéant les salariés, mais ne peut annuler le PSE. C'est désormais le juge administratif qui détient la compétence d'invalider le plan en cas d'absence de contenu. Le rôle du juge judiciaire évoluera donc fortement par rapport à la procédure actuelle.
Nous n'avons pas encore entamé le travail sur la nature des instructions que nous fournirons aux services, mais nous adapterons les exigences relatives au contenu du PSE à la situation de l'entreprise.
La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) dispose déjà d'outils de GPEC et de formation. Elle signe régulièrement des accords avec des branches pour conduire des études stratégiques sur l'évolution des emplois et des compétences – les contrats d'études prospectives (CEP) – et mettre en oeuvre des actions de développement de l'emploi et des compétences (ADEC) et des engagements de développement de l'emploi et des compétences (EDEC) – qui se répercutent dans les entreprises. Les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) proposent aux entreprises – qui sont leurs adhérents – des formations conformes au contenu de ces accords, en lien avec les DIRECCTE. Ce système évoluera avec la mise en oeuvre de l'ANI, qui prévoit la création d'un compte personnel de formation – outil de développement de la portabilité des droits à la formation pour le salarié licencié ou non –, et le vote d'une loi sur la formation professionnelle. Nous conduisons une réflexion sur l'évolution de ce système, autour de ce compte personnel de formation et compte tenu du transfert de la politique de formation des non-salariés aux régions.
Il est vrai que ces sujets mettent en scène de multiples acteurs. L'État et les collectivités locales agissent dans le domaine de la revitalisation. Ainsi, à Aulnay-sous-Bois, le préfet anime la concertation dans le dossier PSA avec les maires des communes concernées par le plan pour faire émerger un consensus sur l'accueil des licenciés économiques du site par d'autres entreprises. La gouvernance à quatre pôles – régions, État, syndicats et organisations patronales – se renforcera dans le but d'élaborer une politique d'emploi et de formation cohérente dans chaque territoire.
L'ANI ne comporte pas beaucoup de dispositions sur la revitalisation. Je suis l'élu d'un département dans lequel un troisième plan se met en oeuvre. À chaque fois, 400 salariés sont concernés. Ce que vous venez d'évoquer sur la gouvernance, nous le vivons au quotidien. Les régions disposent d'enveloppes microscopiques pour leurs fonds d'urgence d'intervention pour la formation, alors que le plan régional de formation professionnel (PRFP) est préparé six mois avant le début de l'année civile pour l'année à venir. Au vu des perspectives en matière d'emploi pour l'année 2013, comment pourrions-nous mieux articuler les PRFP avec la cellule de veille et l'action d'anticipation sur les filières ? La région Centre vit l'hécatombe annoncée dans les secteurs de l'automobile, de la pharmacie et du médicament. Rien n'ayant été établi en amont, comment allons-nous faire face ?
La DIRECCTE n'est pas humainement équipée face à certaines entreprises. Dans ma région, trois collaborateurs de très bon niveau, travaillant soixante-dix heures par semaine dans une préfecture à la DIRECCTE, doivent suivre l'accord élaboré par Johnson&Johnson, qui dispose de moyens très importants et recourt à des cabinets d'avocats spécialisés. Vingt-quatre mois ont été nécessaires pour que le tribunal valide le plan ; il est heureux que l'ANI prévoie le raccourcissement de ces délais. D'un côté, le plan de revitalisation s'élève à 2 millions d'euros pour 400 salariés, enveloppe ridicule que le préfet fait distribuer par un cabinet payé très cher pour des résultats qui restent à évaluer ; de l'autre, les indemnités légales et supra légales accordées aux salariés pour acheter la paix sociale se montent à 10 millions d'euros. L'outil efficace pour favoriser la réindustrialisation et l'emploi se trouve ainsi cinq fois moins doté. Cette situation s'avère d'autant plus préjudiciable qu'à Châteaudun ou à Auneau en Eure-et-Loir, le nombre d'entreprises susceptibles d'embaucher des salariés licenciés est bien plus faible qu'à Aulnay-sous-Bois ! Sur la gouvernance et la proportionnalité, nous devons progresser en pragmatisme et en efficacité.
Vous avez affirmé qu'un même accord pourrait contenir des parties négociées et d'autres adoptées unilatéralement. Il convient d'être prudent face à un tel découpage car un accord peut être obtenu grâce à l'octroi d'indemnités légales et supra légales. Ainsi, dans ma région, chaque salarié a perçu entre 150 000 et 200 000 euros, alors que leur rémunération mensuelle était comprise entre 1 800 et 2 000 euros nets dans des bassins d'emploi où la moyenne salariale s'élève à 1 400 euros par mois. Ces salariés ne sont plus réemployables à la suite de tels accords. J'appelle votre attention sur l'effet d'aubaine induit par de tels plans : les syndicats puissants, malgré la perception des indemnités légales et supra légales, saisissent les conseils des prud'hommes et font condamner l'entreprise a posteriori. Cette dernière paie donc à deux reprises, ce qui pose un véritable problème d'image pour notre pays.
Au-delà de son témoignage, M. Vigier pose la question des indemnités supra légales et de l'incertitude juridique dans laquelle évoluent les acteurs économiques. En termes d'attractivité du territoire, ces dimensions ne constituent pas des atouts.
Lorsque j'occupais, encore récemment, la fonction d'experte auprès des comités d'entreprise, nous évaluions la pertinence des mesures d'accompagnement du plan social au regard des moyens, non de l'entreprise, mais du groupe. Il est nécessaire, à mon sens, de conserver cette dimension, car une entreprise peut connaître des difficultés dans un groupe en bonne santé qui possède, en réalité, les moyens de mettre en oeuvre des mesures sociales de qualité pour accompagner le départ des salariés. Prendrez-vous en compte cette dimension ?
L'ANI ne concerne que le droit individuel à la formation (DIF). Quels problèmes découleraient de la faculté de porter des droits à la formation autres que le DIF et quelles sont les difficultés à résoudre pour que les salariés disposent d'un compte individuel de formation complet ?
Avez-vous réfléchi à l'élaboration d'outils incitant les entreprises à dévoiler leurs orientations stratégiques ? En effet, malgré la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005, très peu d'entreprises font part de leurs plans de long terme. Le souci des entreprises de ne pas livrer des informations essentielles à la concurrence se comprend parfaitement, aussi ne pourrait-on pas imaginer des mécanismes d'incitation financière récompensant – notamment par le biais de l'obligation de revitalisation – les entreprises ayant anticipé la gestion des branches en déclin et ayant ainsi permis aux salariés de partir dans de bonnes conditions et de se reconvertir ?
Nous allons développer la prise en compte des mutations économiques anticipées dans la conception de la formation. Nous nous situons au début d'un processus d'alignement stratégique entre les régions, l'État et les partenaires sociaux qui n'existe pas actuellement. La DGEFP dispose d'outils nationaux : nous avons, par exemple, conduit une analyse commune avec l'industrie pharmaceutique. Comment créer une stratégie régionale moins formelle qu'un plan adopté trop en amont pour tenir compte de la réalité ? Dans le futur projet de loi sur la décentralisation, nous tâcherons de rendre le comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle (CCREFP) plus opérationnel. La région PACA tente de mettre en place un fonds de continuité des parcours en sollicitant financièrement l'État et en demandant aux partenaires sociaux d'y participer. À moyen terme, le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) pourrait donner une dimension plus régionale à son action. Cette question de la consolidation d'une stratégie entre la collectivité, l'État et les partenaires sociaux est importante. Les lois sur la décentralisation et la formation professionnelle apporteront une partie de la réponse et nous contraindront à avancer.
Dans le cadre du plan pour la compétitivité et l'emploi issu du rapport Gallois, le Gouvernement a annoncé la création de dix plates-formes d'analyse et d'appui aux mutations économiques. Des projets ont été présentés et douze sont en voie de labellisation. Ils reposent tous sur la réunion d'acteurs territoriaux d'un bassin d'emploi – la région, les partenaires sociaux, la maison de l'emploi, les autres collectivités locales et l'État – qui élaborent un diagnostic stratégique et identifient des moyens de formation.
Auprès des DIRECCTE et des préfets qui ont, ensuite, sollicité les élus. Ce sont des financements de l'État, mais ces projets associent les collectivités locales qui se retrouvent parfois en chef de file. Après la prochaine étape de décentralisation, il sera intéressant de solliciter directement les collectivités – régions ou intercommunalités – en même temps que l'État.
Au vu de la situation budgétaire, les DIRECCTE ne bénéficieront pas de renforts humains massifs. Par ailleurs, elles suivent déjà les principaux plans sociaux, si bien que l'enjeu réside davantage dans l'amélioration de l'articulation avec l'échelon national. La DGEFP et la direction générale du travail (DGT) disposent de ressources administratives permettant de connaître des principales procédures en cours. En revanche, face à une entreprise américaine disposant d'un puissant cabinet d'avocats, l'État devra se doter de son propre conseil juridique. Le développement de l'interaction entre les services de terrain et les services nationaux leur apportant une aide constitue le principal sujet à traiter. Pour ce faire, nous formaliserons et valoriserons la présence déjà existante des DIRECCTE à effectif constant, par une réallocation interne de moyens.
Les DIRECCTE adressent des observations dans 85 % des PSE et ont donc déjà un rôle d'analyse et de suggestion.
Si la loi traduit l'ANI sur l'impossibilité de recourir au référé devant le juge judiciaire au cours de la procédure, le rapport de force évoluera. L'homologation et la validation du plan ne pourront plus être contestées que devant le juge administratif. Les licenciements ne pourront être remis en cause devant les prud'hommes qu'une fois qu'ils auront été réalisés, si bien que les éventuelles sanctions ne seront qu'indemnitaires.
Si un plan comporte des indemnités supra légales importantes, les mesures d'accompagnement des salariés contenues dans le plan devront être ambitieuses. Dans le cas contraire, l'administration n'homologuera pas le plan.
La proportionnalité s'appréciera bien à l'échelle du groupe et pas à celle de l'entreprise ou de l'établissement.
Le versement de fortes indemnités individuelles supra légales pourra fait l'objet d'un accord, mais il ne pourra servir de justification à l'entreprise pour ne pas financer les mesures collectives devant figurer dans le plan. L'administration veillera à la présence de dispositifs d'accompagnement des salariés et de revitalisation du bassin d'emploi. Elles conditionneront l'homologation du plan, si bien que l'entreprise devra en prévoir le financement. Cela ne sera pas forcément facile à imposer, mais nous devrons présenter ce critère, dès le début de la négociation, comme une condition sine qua non à l'homologation du PSE.
Il convient d'encourager les bonnes pratiques existantes en matière d'anticipation pour le reclassement et pour la revitalisation. Dans la prise en compte des mesures sociales et de la revitalisation, la DIRECCTE devra – avant toute homologation – faire preuve de souplesse avec les entreprises qui ont déjà agi dans ces domaines – par exemple en facilitant la mobilité de ses emplois menacés en interne ou dans d'autres entreprises du bassin d'emploi – et de fermeté avec celles qui n'ont mené aucune action de formation pour leurs salariés. Nous avons déjà transmis ces instructions dans le cadre de la signature des conventions de revitalisation, mais l'application de l'ANI constituera l'occasion de renforcer la portée de ce message.
Nous venons d'engager une réflexion sur le compte individuel de formation. Il fait l'objet d'un article de l'ANI. Le Gouvernement a choisi de transposer le principe général dans le projet de loi, sans entrer dans le détail de la mécanique afin de laisser le temps à l'État, aux partenaires sociaux et aux régions de discuter de la façon de remplir ce compte. Pour l'instant, l'accord prévoit son alimentation à partir du DIF. On pourrait concevoir un apport supplémentaire, mais cela poserait des questions de financement pour les entreprises, de mobilisation des droits par les demandeurs d'emploi et d'ouverture des comptes pour les personnes entrant sur le marché du travail avec une formation initiale très limitée. La transposition législative de l'accord ne répond pas à ces interrogations, ne serait-ce que parce que le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) rendra des conclusions sur ce sujet le mois prochain. Du coup, le véhicule législatif traitant cette question devrait être le texte sur la formation professionnelle.
Nous avons bien noté le rôle central que jouera la DIRECCTE dans le suivi des accords. Nous retenons également que la proportionnalité constituera un élément important mais j'avoue ma perplexité sur les accords dont certaines parties seraient négociées et d'autres résulteraient d'une démarche unilatérale. Les partenaires sociaux ont-ils évoqué cette possible cohabitation à l'intérieur d'un même plan ou n'ont-ils pas perçu cette éventualité que nous déduisons du texte de l'ANI ?
Les partenaires sociaux ont esquissé les grandes lignes de la réforme des procédures avec l'idée que les deux voies étaient alternatives et non cumulatives. À l'occasion des contacts que nous avons noués avec plusieurs directeurs de ressources humaines pour transposer cet accord dans un projet de loi, nous nous sommes aperçus que ces deux options pouvaient se superposer. Nous ne savons pas précisément quelle sera la part des accords négociés, des documents unilatéraux et des plans mixtes. Nous avons simplement veillé, lors de la rédaction du projet de loi, à ce que la cohérence du système soit maintenue et qu'aucun vide juridique n'advienne en cas de plan contenant des parties négociées et d'autres unilatérales. Mais peut-être que cette hypothèse ne se vérifiera-t-elle jamais. Il est difficile de déterminer si le nombre d'accords signés sera inférieur au souhait des partenaires sociaux et, pour ceux qui le seront, si l'entente portera sur l'intégralité du plan. Les signataires de l'ANI ont fait le pari que cet accord favoriserait l'adoption de davantage de PSE négociés.
Nous aurions encore beaucoup de questions à vous poser – je pense notamment à celle des licenciements diffus –, mais nous aurons l'occasion de vous adresser des questions par écrit.
Nous voyons poindre dans l'ANI un risque de contradiction entre deux volontés : d'une part, la réaffirmation de la place de l'État dans une fonction de régulateur, de l'autre, le souhait de faire confiance au dialogue social dans l'entreprise. Or ces deux objectifs pourraient apparaître incompatibles dans certaines occasions. Si le premier plan négocié à la suite du vote de la loi octroyait des indemnités supra légales élevées et négligeait les territoires, il serait étonnant que le directeur de la DIRECCTE accordât son homologation au plan sans réserve. Je salue la double ambition d'un État régulateur et facilitateur du dialogue social, mais il convient d'être conscient du danger de confrontation qu'elle porte.