Nous accueillons Mme Marie-Hélène Valente, qui était le chef de cabinet du ministre délégué au budget Jérôme Cahuzac jusqu'à ce qu'il démissionne.
Madame la sous-préfète, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de notre commission, d'autant que vous vous apprêtez à prendre de nouvelles fonctions en Côte d'Or, comme secrétaire générale de la préfecture.
Nous cherchons à faire la lumière sur d'éventuels dysfonctionnements dans l'action du Gouvernement et des services de l'Etat entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013. Le rôle joué par le cabinet de l'ancien ministre du budget dans la gestion de l'affaire dite « Cahuzac » nous intéresse tout particulièrement. Nous souhaiterions notamment savoir de quelles informations vous disposiez, dans vos fonctions.
Mme Marie-Hélène Valente prête serment.
Mesdames, messieurs les députés, je suis satisfaite de pouvoir enfin vous donner la version authentique et complète d'un épisode très ténu du dossier, mais qui, à mon grand étonnement, a suscité d'amples réactions. J'ai été très directement mise en cause parce que, sans avoir pris aucune initiative, j'ai reçu de la préfecture de Lot-et-Garonne une information, qui attestait très indirectement d'un contact téléphonique entre la rédaction de Mediapart et Maître Gonelle. Ce dernier, que vous avez auditionné, était l'ancien maire de Villeneuve-sur-Lot, et c'est lui qui est à l'origine de l'enregistrement des propos de Jérôme Cahuzac, faisant allusion à la détention d'un compte bancaire en Suisse.
Malgré l'intérêt limité de cette information, il était de mon devoir de transmettre l'information à son destinataire final, le ministre délégué au budget. Je lui ai envoyé un mail puisqu'il était à l'Assemblée nationale pour défendre le projet de loi de finances. C'est ce courriel qui a été intercepté et qui a connu la notoriété que l'on sait. Il a été estimé que ce geste portait atteinte aux sources journalistiques et d'aucuns y ont vu un dysfonctionnement de l'appareil d'État.
Depuis, Maître Gonelle a précisé la nature de l'information, et partant son insignifiance, et les modalités rocambolesques de son recueil, qui ne doivent rien à une dérive administrative. Le principal intéressé a décrit les faits de façon très détaillée, les jugeant « cocasses », sans leur donner plus d'importance qu'ils n'en méritaient. Et son récit a été pour lui l'occasion de rappeler ce qu'il dit depuis le début, c'est-à-dire qu'il n'est pas la source de Mediapart. Il me semble que ses déclarations mettent un terme définitif au débat.
Pour autant, même s'il n'y avait pas matière, je me suis trouvée publiquement mise en cause, et sans ménagement, – j'en ai été évidemment affectée – pour n'avoir fait au fond que mon devoir le plus élémentaire de fonctionnaire, à savoir transmettre à l'autorité une information qui lui était destinée.
Il me semble, à la réflexion, qu'il s'agit surtout d'un malentendu d'ordre « culturel ». L'attitude qui consiste à rendre compte est considérée par les uns comme un dysfonctionnement sévère des services de l'État, alors que pour les autres, les fonctionnaires, elle est la simple mise en oeuvre du principe hiérarchique auquel ils sont soumis. La réaction suscitée par ce mail me paraît surtout traduire la méconnaissance des relations ordinaires entre les services territoriaux et l'administration centrale. Cela n'a rien d'étonnant, puisqu'il s'agit du fonctionnement interne de l'administration.
J'en profiterai donc pour rappeler quelques fondamentaux et expliquer le rôle des acteurs. Que le préfet du Lot-et-Garonne rende compte au ministre du budget n'a rien que de très banal. Les préfets de département sont les représentants locaux de tous les ministres même s'ils rendent compte prioritairement au ministre de l'intérieur, qui est leur autorité de tutelle. De ce fait, des rapports adressés par les préfets au ministre du budget, qu'ils passent ou non sous le couvert de l'intérieur, sont légion. J'en ai reçu moi-même un grand nombre.
Lorsqu'un ministre est élu dans un département, il est de tradition républicaine constante que le préfet le tienne régulièrement informé des événements qui s'y déroulent, a fortiori quand le ministre lui-même est concerné. Nous étions parfaitement dans ce cas de figure.
Vous le savez, le circuit habituel va du cabinet du préfet à celui du ministre. Concrètement, le directeur de cabinet du préfet échange des messages écrits ou oraux avec le chef de cabinet du ministre. La plupart du temps, ils sont tous les deux membres du corps préfectoral, ce qui facilite les relations. Quand les informations sont particulièrement importantes, voire confidentielles, le préfet en réfère directement au ministre, sans le truchement des collaborateurs. Dans le cas qui vous intéresse, c'est la procédure ordinaire qui a été suivie.
Mais derrière les rouages se cachent des individualités. En ce qui me concerne, Jérôme Cahuzac a fait appel à moi pour être son chef de cabinet, parce que j'avais été sous-préfète de l'arrondissement de Villeneuve-sur-Lot, de 2005 à 2007. C'est à cette occasion que nous nous sommes connus. De surcroît, je suis lot-et-garonnaise d'origine et j'ai même exercé à la préfecture, comme attachée, de 1984 à 1993, avant d'entrer à l'ENA.
J'avais donc une très bonne connaissance du territoire et de ses acteurs, tant politiques qu'économiques et j'ai eu l'occasion de rencontrer, à un moment ou à un autre, tous les « protagonistes » locaux de l'affaire. Par ailleurs, avant d'entrer au cabinet, j'étais directeur général des services du département du Gers, ce qui m'avait permis de me familiariser avec la problématique des finances locales, et particulièrement celles des départements. Dans l'esprit du ministre de l'époque, mes origines professionnelles et personnelles constituaient un atout essentiel puisque, en tant que chef de cabinet, j'étais le relais naturel entre l'administration centrale et le terrain, c'est-à-dire toutes les préfectures, à commencer par celle du Lot-et-Garonne, d'autant que j'avais un rôle de conseiller territorial du ministre.
Voilà donc les faits tels qu'ils se sont déroulés. Le 11 décembre, en début d'après-midi, je reçois un appel du directeur de cabinet du préfet de Lot-et-Garonne qui, en guise de préambule, me demande de l'excuser de me déranger pour une affaire qui n'a sans doute pas grand intérêt. Il me dit avoir hésité à me prévenir de l'épisode survenu quelques jours plus tôt, le 7. Il s'agissait d'un message téléphonique destiné à Maître Gonelle, déposé tout à fait fortuitement sur le portable d'un policier. Les propos du directeur de cabinet sont relatés à la virgule près, ou presque, dans le mail dont vous avez eu connaissance et Maître Gonelle en a confirmé la teneur lors de son audition. Il lui était demandé de rappeler la rédaction de Mediapart. Je n'ai donc été que la courroie de transmission d'une information insignifiante qui n'a connu, de surcroît, aucune suite, d'aucune sorte. Le seul commentaire du ministre, quand il a reçu mon mail, a été : « C'est comique ». C'est ainsi qu'il a clos le chapitre. Et il n'a pas été rouvert depuis. Je m'étonne devant vous que le mail du ministre n'ait pas connu la même notoriété que le mien.
La teneur du message ne présentait pas d'autre intérêt. Le destinataire était sans aucune ambiguïté Me Gonelle, en sa qualité d'ancien maire de Villeneuve. Cela se déduisait à l'évidence de la présentation qui était faite du recueil de cet enregistrement. C'était limpide pour tout le monde à Villeneuve. D'ailleurs, Me Gonelle vous a dit lui-même combien il avait été, à partir du 5 décembre – aussitôt connu l'enregistrement en sa possession – pris dans une tempête médiatique. À tel point que la batterie de son portable n'a pas résisté, et qu'il a dû emprunter celui du chef d'escorte, avec les conséquences que l'on sait.
Alors, me demanderez-vous, si l'information était aussi futile, pourquoi l'avoir communiquée au ministre, en des termes « courants » ? J'ai sans doute fait preuve d'une conscience professionnelle exagérée et utilisé un vocabulaire peu adapté au sujet. Si erreur il y a eu, elle est là. Mais, pour vous faire mieux comprendre l'état d'esprit des uns et des autres, il faudrait vous remettre dans le contexte du moment. Nous étions en pleine discussion de la loi de finances, qui succédait à cinq autres textes à caractère financier depuis le mois de juillet. Le ministre était sans relâche en première ligne, au Parlement. Cette affaire de compte non déclaré dans une banque suisse, à laquelle, je dois à la vérité de le dire, nous n'accordions aucun crédit, c'était le fardeau de trop à un moment où le nécessaire redressement des finances publiques mobilisait toutes les énergies. Dans ces conditions de tension extrême, j'avoue ne pas avoir longtemps réfléchi avant de transmettre au ministre ces informations communiquées par la préfecture de Lot-et-Garonne. J'ai agi de façon presque automatique. Le ministre eût été dans son bureau, je lui en aurais parlé et l'affaire en serait restée là. Et elle ne méritait pas mieux.
Cependant, avec le recul, ma fonction ne m'imposait-elle pas de rendre compte ? Si je ne l'avais pas fait, on aurait peu me reprocher d'être déloyale. Il est très difficile de trancher, surtout ex post. Il ne s'agissait, j'y insiste, que d'un compte rendu, sans qu'il y ait eu aucune recherche d'information. Et elle n'a donné lieu à aucune exploitation.
Je ne l'ai pas, pas plus que le mien ! Je n'ai pas vidé mon ordinateur de Bercy et on doit pouvoir facilement retrouver ce mail. En tout cas, le ministre qui, parfois, tape un peu vite, a répondu : « Fait comique. », au lieu sans doute de « C'est comique. »
Vous recevez, du directeur cabinet du préfet, un coup de fil le 11 décembre 2012, le lendemain de la mise en place de la « muraille de Chine ». Jérôme Cahuzac a signé la lettre en question le 10 décembre. Malgré tout, vous prenez la communication qui concernait l'affaire Cahuzac.
Le directeur de cabinet m'informe systématiquement. Il m'arrive certaines semaines de l'avoir au téléphone quasi quotidiennement. Par ailleurs, la muraille de Chine concernait les services techniques du ministère du budget. Le chef de cabinet n'est pas au coeur des affaires fiscales.
Je rappelle les termes du mail que vous adressez : « Je viens d'être appelée par le dir'cab' du préfet pour me raconter la chose suivante : vendredi soir, se trouvant au tribunal à Agen, Gonelle, en panne de portable, emprunte celui d'un policier qu'il connaît bien. Or, c'est le portable de permanence du commissariat et la messagerie a enregistré le message suivant : “N'arrivant pas à vous joindre, je tente au hasard, sur tous les numéros en ma possession, rappelez Edwy Plenel.” J'ai demandé de consigner le message à toutes fins utiles, j'attends la copie du rapport officiel du DDSP [directeur départemental de la sécurité publique]. Il va falloir être prudent dans la remontée de l'info pour que celle-ci puisse être, le cas échéant, une preuve utilisable. »
Avez-vous eu reçu un rapport du DDSP ?
Non, monsieur le rapporteur. C'est la preuve que le vocabulaire que j'ai utilisé n'est pas tout à fait le bon, parce que ce rapport n'existe pas en tant que tel. Les services de police et de gendarmerie font remonter au ministère de l'intérieur des événements qui leur paraissent avoir une signification quelconque. La plupart du temps, les comptes rendus aboutissent chez le permanencier. Il ne s'agit pas de rapports proprement dits, remis au ministre.
J'aimerais bien ! Le ministre avait engagé une action en diffamation et je ne savais pas si cette information pourrait servir dans ce cadre. Ce que vous ne pouvez pas savoir, c'est qu'après coup, je me suis dit qu'il ne fallait pas procéder ainsi. J'ai donc rappelé le directeur de cabinet du préfet pour lui dire de ne pas m'envoyer de copie et de ne plus en parler. Il m'a répondu qu'il en était arrivé à la même conclusion.
Quand vous êtes interrogée par Mediapart, vous dites, selon Fabrice Arfi, entretenir « des rapports normaux » avec les services du ministère de l'intérieur. Avez-vous eu des contacts avec lui, en l'espèce ?
Non, évidemment. Je ne me souviens pas avoir utilisé cette expression. En substance, je voulais dire qu'il n'y avait pas d'interférence. La « norme », je vous l'ai expliquée dans mon propos liminaire.
En tant qu'interface entre le niveau central et le niveau local, avez-vous participé à la préparation et à l'organisation de la rencontre entre Jérôme Cahuzac et Rémy Garnier en circonscription ? Avez-vous assisté à l'entrevue ?
Non. Il y a seulement une note qui est remontée des services. Jérôme Cahuzac et Pierre Moscovici se sont rendus en visite officielle le 26 octobre en Lot-et-Garonne, et ils devaient se retrouver à Agen. Auparavant, Jérôme Cahuzac s'est rendu à Villeneuve et il a rencontré Rémy Garnier. Curieusement, j'accompagnais donc Pierre Moscovici. Je n'ai donc pas assisté à l'entretien, ni personne d'autre.
En revanche, j'ai bien lu la note de Bruno Bézard, rappelant la situation de Rémy Garnier. Ayant été sous-préfet à Villeneuve, les relations de Rémy Garnier avec l'administration fiscale ne m'étaient pas inconnues.
Elles m'étaient connues surtout par la voie médiatique, Rémy Garnier s'étant beaucoup exprimé dans la presse. Au-delà, quand j'étais sous-préfet de Villeneuve, il avait eu des démêlés assez vifs avec le directeur local des services fiscaux.
Aviez-vous lu le rapport que M. Garnier aurait envoyé à sa hiérarchie, dans lequel Jérôme Cahuzac est mis en cause ?
C'est à cause de lui que j'ai été mêlée à l'affaire. Le 4 décembre, je participais à un déjeuner de chefs de cabinet à Paris et j'ai été rappelée à Bercy par la directrice de cabinet qui était à la recherche d'un courrier, dont on ne m'a pas dit la teneur – en tant que chef de cabinet, je fais office de « gare de triage » du courrier entrant. Je n'ai eu connaissance que de la date – le 11 juin 2008. On m'a seulement appris qu'il s'agissait d'un courrier de dénonciation signé. Mes recherches étant restées infructueuses, je suis allée voir la directrice de cabinet dans son bureau qui m'a dit avoir trouvé le document. C'était normal puisqu'il avait été transmis par la voie interne.
Quel circuit ce mémoire, dans lequel M. Garnier se défend, et qui contient deux pages sur M. Cahuzac, a-t-il suivi ?
Je l'ignore. L'administration locale a dû le faire parvenir à l'administration centrale. J'imagine qu'il y a des échanges internes à la DGFiP (direction générale des finances publiques), mais je ne connais que le courrier qui arrive de l'extérieur.
Pourquoi s'intéresser, le jour même des révélations, c'est-à-dire le 4 décembre, à Rémy Garnier ?
Non, je ne lui ai pas demandé. Mais elle m'a remis ce rapport, et je l'ai lu.
Sur votre exemplaire, avez-vous remarqué un tampon ou une griffe quelconques, indiquant l'origine ?
Mediapart écrivait : « L'existence du compte secret de M. Cahuzac avait été évoquée dès le mois de juin 2008 par un agent du fisc du Sud-Ouest,… ». Qu'en était-il à cette date ?
À cette époque, j'étais secrétaire générale de la Vendée. Toutefois, j'entends dire maintenant que tout le monde savait. Je dois être particulièrement sourde parce que, à mon poste de sous-préfet, je n'avais jamais entendu parler de cette affaire. J'ai découvert le rapport le 4 décembre 2012, comme tout le monde.
De rien. Et chaque fois que Rémy Garnier a cherché à joindre Jérôme Cahuzac, c'était pour avoir son soutien.
Entre 2005 et 2007, vous avez connaissance de conversations entre M. Cahuzac et M. Garnier ?
Des conversations, je ne sais pas. Quand M. Cahuzac a retrouvé son siège de député, M. Garnier l'a sollicité pour l'aider à faire valoir ses droits. Et, quand j'arrive à Bercy, l'un des premiers courriers que je reçois émane de M. Garnier qui fait part de son « espérance » d'être réhabilité. Et c'était l'objet de l'entretien du 26 octobre, entre les deux hommes, même si le terme de « réhabilitation » n'a pas de signification juridique.
M. Garnier, pendant toute cette période, voulait que M. Cahuzac, en tant que parlementaire puis en tant que ministre, s'intéresse au contentieux qui l'opposait à sa propre administration ?
Exactement. M. Garnier plaçait ses espoirs dans M. Cahuzac. À l'issue de la rencontre, le ministre m'a simplement dit qu'il lui avait dit qu'il soutiendrait son administration.
En somme, la seule interrogation qui subsiste concerne la façon dont le rapport Garnier est arrivé chez la directrice de cabinet.
Comme chef de cabinet, étiez-vous au courant des questions posées à Jérôme Cahuzac par la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France, à propos de sa déclaration de patrimoine au titre de l'impôt sur la fortune ?
Le 4 décembre également, ou le 5. L'idée était de fournir les éléments demandés le plus vite possible.
Soyons précis. Nous parlons bien des renseignements demandés à la suite des déclarations de patrimoine des membres du Gouvernement ?
Je ne l'ai pas vue. J'ai simplement eu en main une feuille blanche sur laquelle étaient listées les trois ou quatre demandes, et les réponses qu'il convenait d'apporter. Il m'a alors été demandé de réunir les éléments, via le comptable du ministre. C'est à ce moment-là qu'a été érigée la fameuse muraille de Chine. Et nous ne sommes pas allés au bout.
En tant que rapporteur, j'ai eu connaissance des quatre ou cinq demandes concernant les déclarations de revenus et d'impôt sur la fortune. Elles n'ont pas de lien avec l'affaire qui nous intéresse.
Revenons à M. Garnier, qui a, avez-vous dit, pris contact avec M. Cahuzac dès sa nomination. Mais l'avait-il fait avant ?
Je ne saurais l'affirmer, puisque je n'étais pas sur place à l'époque, mais il me semble qu'il l'a beaucoup sollicité, avant même que M. Cahuzac soit nommé ministre.
Mme la directrice de cabinet nous a dit lui avoir donné un conseil à propos de l'entretien entre M. Cahuzac et M. Garnier. Vous aussi ?
Non. Je n'y étais pas forcément favorable. Le soir, le ministre avait une réunion publique, à laquelle il tenait. Il m'a dit préférer le voir avant, pour éviter les questions en réunion publique. L'entrevue du 26 octobre a dû être très brève.
D'une note administrative, signée par M. Bézard mais qu'il n'a pas rédigée, rappelant tous les contentieux – une douzaine environ – ayant opposé Rémy Garnier aux services fiscaux, de son entrée aux impôts jusqu'à sa retraite. La note doit faire deux pages et a dû vous être communiquée.
Quand donc la muraille de Chine a-t-elle été édifiée ? Qui a donné les instructions ? Et lesquelles exactement ?
Encore une fois, je n'avais pas à en connaître puisqu'il s'agissait de protéger le ministère de façon à ce qu'il ne soit pas soupçonnable. La lettre dans laquelle Jérôme Cahuzac se déporte a dû être signée le lundi suivant, mais elle a commencé à être discutée dès le 6 décembre.
Non, il n'y a pas eu de réunion de cabinet. J'ai été informée, mais je n'étais pas directement concernée.
La note, datée du 1er octobre, qui prépare l'entretien du 26 octobre avec M. Garnier, ne fait pas état des accusations portées contre le ministre. « Alors qu'il exerçait des fonctions de vérificateur à la DIRCOFI [direction de contrôle fiscale] Sud-Ouest, M. Rémy Garnier avait gravement manqué à ses obligations de fonctionnaire dans un contexte conflictuel qu'il entretenait depuis des années avec sa hiérarchie, à la suite d'une vérification de la société France Prune. […] Il avait notamment accumulé les dérapages verbaux et les attaques de plus en plus virulentes contre sa hiérarchie immédiate, et supérieure, mettant systématiquement en cause dans des notes et pamphlets insultants l'action de son administration qu'il accusait d'être de connivence avec les fraudeurs, et adressant aux agents extérieurs au service des courriels dans lesquels ils détaillaient les péripéties et les suites de vérification fiscale qu'il avait menées. » Il n'est nulle part fait mention des graves accusations de M. Garnier contre M. Cahuzac, alors qu'on évoque le contentieux devant le tribunal administratif.
Nous apprenons par le biais de votre audition, madame, que le cabinet de Jérôme Cahuzac prend connaissance du mémoire de M. Garnier lorsque, « par voie interne », la directrice de cabinet l'obtient le 5 décembre.
C'était le 4, puisque le 3 Mediapart avait informé le cabinet de la parution de l'article.
Dans les dernières lignes de votre message à M. Cahuzac, vouliez-vous laisser entendre que vous étiez persuadée que la source de Mediapart était M. Gonelle ?
Non, j'étais persuadée qu'il était l'auteur de l'enregistrement. Je pensais aux suites judiciaires que l'affaire ne manquerait pas d'avoir, et particulièrement à la plainte pour diffamation du ministre.
Avez-vous aidé le ministre à remplir le formulaire 754, même s'il n'a jamais signé cette déclaration ?
Non seulement il ne m'en a pas parlé, mais je ne savais pas qu'il existait. J'ai appris qu'il ne l'avait pas rempli en écoutant les premières auditions. Je n'ai vu, je le répète, que les questions posées par les services fiscaux et les réponses qu'il fallait y apporter, consignées sur papier libre.
Il y a eu une réunion entre l'expert-comptable de M. et Mme Cahuzac et les services fiscaux. Vous avez réuni les pièces pour répondre aux cinq questions que vous avez vues sur un papier.
Je m'apprêtais à aider à les réunir, notamment en contactant l'expert-comptable, quand il a été décidé que nous n'interviendrions pas, et que ce seraient MM. Bonnal et Gardette, et les services locaux, qui seraient les interlocuteurs. Je n'ai donc pas participé à la réunion en question, même si j'ai appris qu'elle s'était tenue.
Étiez-vous en relation régulière avec le cabinet de M. Moscovici ? Et avez-vous parlé de cette affaire ?
Étant un ministère délégué, nous étions évidemment en relation avec le cabinet du ministère de l'économie. Nous avons une réunion de cabinet commune. Mais nous n'avons absolument pas parlé de l'affaire. J'aimerais vous faire comprendre que le sujet n'était pas abordé. Par respect pour le ministre, par conviction, personne ne se serait permis d'en parler.
Je crois, sans en être tout à fait certaine, que c'était le 4 au soir. Ou, au plus tard, le 5 décembre au matin.
Oui. Comprenez bien que Rémy Garnier n'était pas crédible aux yeux de l'administration fiscale. Je suis convaincue que personne n'a tenu compte de son courrier.
La directrice de cabinet essaie-t-elle d'établir un lien entre ce document et l'information de Mediapart ? D'ailleurs, la question de savoir qui a donné l'information à Mediapart n'a toujours pas de réponse.
Quand, en octobre 2012, M. Cahuzac rencontre M. Garnier, auteur du mémoire de juin 2008, il ignore donc l'existence d'une lettre vieille de plus de quatre ans ?
Nous parlons bien du mémoire en défense adressé par M. Garnier à l'administration, et qui comporte des allégations à l'encontre de M. Cahuzac. Mme Valente nous a dit en avoir pris connaissance le 4 décembre. Quant aux notes rédigées par M. Bézard, en vue de l'entretien avec M. Garnier en circonscription, elles ne l'évoquent pas.
Mon intime conviction est que le ministre n'en avait pas connaissance. D'après ce que je sais, il considérait M. Garnier comme un honnête homme, qui se laissait aller parfois à des outrances verbales, mais qui avait sûrement été un vérificateur de qualité. Sans doute déçu par les positions de son administration, il avait franchi la ligne jaune.
Vous avez rencontré M. Cahuzac avant sa rencontre avec M. Garnier, et partant sa réunion publique. Comment était-il après ? Avait-il l'air d'avoir été l'objet d'un chantage, ou de menaces ? Était-il serein ?
Le ministre est allé à Villeneuve où il avait plusieurs audiences. Il nous a rejoints à dix-sept heures à l'Agropole à Agen et il était parfaitement serein. Et le soir, il a tenu sa réunion à Casseneuil, devant 600 personnes, où il s'est montré exceptionnel. Je ne lui ai parlé de l'entretien avec Rémy Garnier que plus tard, et nous n'avons échangé sur le sujet que quelques mots, dont je vous expliqué la teneur.
Le 2 avril, dans l'après-midi, par l'appel du sous-préfet de Villeneuve et j'ai pensé, alors que j'ai toute confiance en lui, qu'il avait mal compris. Et, toute la nuit, j'ai écouté l'information en boucle pour m'en persuader. J'ai été frappée d'hébétude et de sidération.
Jamais. Je connaissais les acteurs locaux, j'avais lu le rapport qui se référait à des « ouï-dires » … Le 5 décembre au matin, Jérôme Cahuzac nous avait reçues, la directrice de cabinet et moi, et je vous assure qu'on ne pouvait pas ne pas croire ce qu'il nous disait. J'ai même l'impression, monsieur le président, qu'il y croyait lui aussi. Nous sommes restés tous les trois une dizaine de minutes et il a été plus que convaincant. Ne pas le croire aurait été faire preuve de déloyauté à son égard. Le même jour, en suivant la Chaîne parlementaire, je l'ai entendu à l'Assemblée. Or je connais le lien très fort qu'il avait avec elle puisque c'était là qu'il avait fait ses premières armes et qu'il s'était révélé. Avoir des doutes était proprement impensable.
La note, qui avait été préparée à l'intention du ministre avant sa rencontre avec M. Garnier, en octobre 2012, ne faisait pas état d'un conflit à propos du dossier fiscal de M. Cahuzac, mais il était question de France Prune. Or chacun sait à quel point ce dernier était investi dans ce dossier.
La considération de Jérôme Cahuzac pour Rémy Garnier vient de là. Lorsqu'il a fait la vérification de France Prune, il a sûrement bien travaillé. Pour autant, un redressement se serait traduit par des suppressions d'emploi et des licenciements. Le député est donc intervenu – il n'est pas certain non plus que son action ait été déterminante – auprès de M. Sautter, ministre à l'époque, comme le font souvent les élus.
Je vous lis la note préparatoire : « M. Garnier avait gravement manqué à ses obligations de fonctionnaire dans un contexte conflictuel qu'il entretenait depuis des années avec ses hiérarchie, à la suite d'une vérification de la société France Prune. » En nota bene, il est écrit : « À la suite de la vérification, courant 1998, de la société France Prune, M. Garnier avait notifié à l'entreprise des redressements que celle-ci avait contestés auprès de M. Sautter, alors secrétaire d'État au budget. Ce dernier, par une décision du 2 juin 1999, avait en fin de compte décidé l'abandon des redressements envisagés. »
M. Cahuzac ne pouvait ignorer ce conflit qu'il a eu avec M. Garnier au sujet de France Prune.
Peut-être la question vous a-t-elle déjà été posée, mais je souhaitais comprendre ce que vous entendiez par « une preuve utilisable » ?
Oui, j'ai déjà répondu. Je pensais que l'information pourrait servir à une enquête judiciaire ultérieure. Il y en avait d'ailleurs déjà une de lancée parce que le ministre poursuivait Mediapart pour diffamation. C'était à titre de précaution, en quelque sorte.
Lorsque vous avez appris les circonstances « loufoques » qui ont permis d'avoir connaissance du message, avez-vous procédé à des vérifications ?
J'ai pris pour argent comptant ce que m'a dit le directeur de cabinet.
J'ignore totalement ce qui s'est passé entre la direction départementale de la sécurité publique, ou le préfet, et le ministère de l'intérieur.
Je pensais que vous auriez pu vous faire confirmer la version selon laquelle la défaillance de la batterie du téléphone de M. Gonelle l'aurait poussé à demander le sien à un officier de police, surtout pour rappeler un journaliste.
Je n'ai pas fait de recoupements et je pense que M. Gonelle a raconté les choses exactement comme elles se sont passées.
Sud Ouest, dans son édition du 29 mars 2013, révèle qu'après avoir quitté le cabinet de M. Cahuzac, vous seriez nommée chef de cabinet de Mme Taubira, la garde des Sceaux. Confirmez-vous que M. Cahuzac l'a appelée pour vous recommander, vu vos états de service ?
Je vous réponds volontiers, même si c'est une histoire douloureuse. Comme je suis la seule en cause, je suis libre de vous en faire part. Après la démission du ministre, un autre est nommé, qui arrive avec son propre chef de cabinet. Je suis donc reversée dans mon corps d'origine. Or, il se trouve que le poste de chef de Mme Taubira est libre. Celle-ci ayant demandé au ministère de l'intérieur de lui proposer un sous-préfet, il a donc spontanément proposé ma candidature, sans doute avec l'accord de Matignon et de l'Élysée.
Je me suis présentée le lundi suivant le 19 mars à Mme Taubira. Elle a trouvé que j'avais le profil qui convenait et a souhaité que je prenne la succession de Jean-Louis Géraud, officiellement en congé jusqu'au 2 avril. Les choses n'ont donc pas été formalisées. Et, deux jours plus tard, la directrice de cabinet prenait ses fonctions et elle s'est interrogée sur la compatibilité de ces deux postes successifs, compte tenu de l'affaire. Nous étions alors avant les aveux. Après mûre réflexion, tout le monde a pensé, et moi la première, que pour la sérénité du cabinet de la ministre de la justice, il valait sans mieux recruter un chef de cabinet qui fût neutre. Mais nos relations sont restées intactes puisque, ce matin, dans le train, j'ai reçu de beaucoup de membres du cabinet de Mme Taubira des félicitations. Je suis restée pratiquement une semaine place Vendôme.
Non seulement Jérôme Cahuzac n'est pas intervenu auprès de Mme Taubira, mais c'est moi-même qui, après que mon affectation avait reçu l'accord de Mme Taubira, aie envoyé un SMS à Jérôme Cahuzac pour le lui faire savoir. Il m'a répondu qu'il en était heureux pour moi et qu'il m'en félicitait.