La séance est ouverte à neuf heures trente.
Mes chers collègues,
Nous examinons ce matin le rapport d'information de la mission d'information sur les émergents africains anglophones, qui a été menée par Noël Mamère et Michel Zumkeller.
Je crois Michel Zumkeller va prendre la parole en premier pour nous présenter plus particulièrement l'Afrique du Sud, du Kenya et du Nigeria, qui sont les trois pays sur lesquels vous vous êtes penchés. Ensuite, Noël Mamère nous présentera les recommandations que la mission formule.
Nous nous sommes plus particulièrement intéressés à trois pays, l'Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria. Il fallait faire des choix et nous avons opté pour les plus prometteurs sur le plan de l'émergence, ceux qui ont vocation, plus que d'autres, à jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale ou régionale. Nous avons réalisé près d'une trentaine d'auditions, et effectué un déplacement au Kenya et en Afrique du Sud.
Notre rapport se présente en trois volets. Tout d'abord, un regard général sur l'Afrique et ses perspectives, notamment économiques : il y a un afro-optimisme ambiant chez beaucoup de spécialistes, et parfois l'affirmation que l'Afrique toute entière est en train d'émerger. Nous avons cherché à voir ce qu'il en était réellement avant de faire un focus sur l'Afrique anglophone, sur les forces et faiblesses des trois pays que nous avons retenus. Le rapport s'achève sur une analyse du positionnement de la France.
Même s'il y a émergence ou pré-émergence pour certains pays, l'Afrique est encore le continent du sous-développement : c'est la région la plus pauvre, où se trouvent les inégalités les plus fortes, où la violence et la mauvaise gouvernance sont les plus fréquentes et les progrès de la démocratisation les plus lents. C'est en Afrique où les indices de développement sont les plus faibles, et où les progrès en matière d'OMD ont été les plus lents et restent insuffisants.
En même temps, l'Afrique est aujourd'hui la région la plus dynamique. L'Amérique latine et l'Asie sont en phase de décélération et révisent à la baisse leurs prévisions, après avoir connu des taux de croissance particulièrement forts dans les années antérieures. A l'inverse, l'Afrique a traversé la crise mieux que les autres continents. Elle a fait preuve d'une résilience que l'on explique par plusieurs facteurs : la démographie, qui tire la demande intérieure, l'émergence de classes moyennes, et surtout, l'importance des exportations de matières premières, notamment vers les BRICS. Sur le continent, les meilleures performances économiques sont celles de pays qui sont richement dotés par les hasards de la géologie. De nombreux analystes et institutions internationales voient aujourd'hui l'Afrique dans la position de la Chine et de l'Inde il y a 20 ou 30 ans et considèrent que les conditions de son décollage sont réunies. Certains estiment qu'en 2050, le PIB africain sera équivalent à celui des Etats-Unis et de l'Union européenne cumulés. Il y a une réelle confiance envers le continent, malgré ses handicaps et difficultés, qui se traduit notamment par le fait que les investissements étrangers sont sans cesse plus nombreux.
Nous sommes pour notre part prudents car la croissance même très élevée reste encore insuffisante pour compenser les effets de la démographie et avoir un véritable impact sur la baisse de la pauvreté ; également parce que la croissance, tirée par les exportations de matières premières, reste fortement dépendante de la demande extérieure et insuffisamment créatrices d'emplois. C'est d'ailleurs essentiellement vers le secteur minier que se dirige la majeure partie des investissements. La croissance est fragile et devrait être consolidée, d'autant que l'Afrique pâtit encore du fait d'avoir des ressources humaines peu formées, et de rester peu compétitive.
Dans ce tableau, comment se situent les pays d'Afrique anglophone ? L'Afrique du Sud est le géant économique incontestable et incontesté du continent, avec des ambitions diplomatiques fortes, au plan régional. La puissance économique de l'Afrique du Sud repose avant tout sur l'exploitation de ses matières premières, mais aussi sur un secteur industriel bien plus développé que celui de n'importe quel autre pays africain. Il y a un très bon tissu d'infrastructures, même s'il est très insuffisant. Ce sont des facteurs qui font la différence. En même temps, l'Afrique du Sud est le plus petit des BRICS et accuse un retard considérable sur les autres émergents ; son PIB est quatre fois inférieur à celui de l'Inde. C'est surtout pour des raisons politiques plus qu'économiques qu'elle a été cooptée par les BRICS. En outre, l'Afrique du Sud présente des faiblesses qui ont un impact sur ses performances économiques, parmi les plus modestes du continent. Ce n'est pas en Afrique du Sud qu'il y a le meilleur dynamisme. Les tendances macroéconomiques sont préoccupantes sur le long terme, et son poids économique diminue. L'Afrique du Sud reste néanmoins le moteur économique de la région, compte tenu de son avance, mais souffre aussi de handicaps importants. C'est aujourd'hui le pays le plus inégalitaire au monde, avec des inégalités croissantes, en proie à des tensions sociales extrêmement fortes, que le drame de Marikana l'an dernier a mis en lumière. Des faiblesses graves ont un impact sur son développement économique et social, comme celle de son système d'éducation, hérité de l'apartheid. 20 ans de gouvernement de l'ANC n'ont pas réussi à inverser un certain nombre de facteurs et la tendance semble donc durablement inscrite d'une érosion des positions économiques du pays.
Le Nigeria est également un pays en proie à des difficultés majeures : géant d'Afrique, pays le plus peuplé du continent, il sera au 3e rang après l'Inde et la Chine en 2050, avec 400 millions d'habitants. Coexistent au Nigeria un Nord aux caractéristiques sahéliennes, et un Sud avec une mégapole ultramoderne : Lagos, dont le PIB équivaut à celui du Sénégal, de la Côte d'Ivoire et du Cameroun réunis. Pays membre de l'OPEP, dixième producteur de pétrole, le Nigeria doit cependant importer pour sa consommation, compte tenu de l'état de ses infrastructures de raffinage. Les tensions sont particulièrement vives entre les régions productrices d'hydrocarbures, sur le delta du Niger, très pollué, et les régions de l'intérieur en manque de retombées de la manne pétrolière. La violence terroriste de Boko Haram au Nord et du MEND au Sud est un problème particulièrement grave. Cela étant, le Nigeria est aussi un « Eldorado » que tout le monde considère comme un pays d'avenir, au dynamisme étonnant, dans lequel il est impératif d'être présent, politiquement, économiquement, si l'on entend exister en Afrique.
De son côté, le Kenya a surmonté une crise post-électorale majeure en 2008. Il se trouve dans un environnement régional difficile avec la Somalie au Nord et la violence terroriste qui en découle sur son territoire, comme on l'a vu avec l'attaque contre le centre commercial de Nairobi. Un pays à deux vitesses, avec la moitié de la population vivant sous le seuil de pauvreté dans les zones les plus déshéritées mais des centres de recherche et des facultés de médecine de niveau international, où l'utilisation des technologies de l'information est remarquablement développée. Le Kenya a des ambitions économiques régionales très fortes et entend se positionner comme le hub économique de la région d'ici à 2030.
Les pays d'Afrique anglophone présentent donc des contrastes internes particulièrement aigus, des défis politiques, économiques, sociaux, à surmonter, mais aussi des performances impressionnantes, un dynamisme remarquable, des réformes qui portent leurs fruits, des économies qui se modernisent et se diversifient ; ils ont de fortes ambitions sur les plans politique et économique, et sont des pays avec lesquels il va falloir compter, dont notre pays ne peut rester à l'écart.
Le dernier volet du rapport analyse nos positions aujourd'hui sur le continent et spécialement, dans la partie anglophone. Sans surprise, la relation politique de la France est plus dense avec ses partenaires traditionnels, et ses positions sont meilleures en Afrique francophone qu'en Afrique anglophone. En termes de parts de marché, de présence des entreprises, de relations politiques, la comparaison est toujours à l'avantage du « pré carré » francophone. Si les parts de marché sont faibles, en diminution, si la France perd du terrain par rapport à ses partenaires européens, les volumes d'échanges augmentent cependant. Les investissements en Afrique anglophone sont également modestes. Ce sont essentiellement les grands groupes français qui sont à la fois les acteurs de notre commerce extérieur et qui sont présents par leurs investissements, parfois très anciens, sur les secteurs traditionnels que sont les transports, les industries pétrolières, chimiques, pharmaceutiques, le BTP. On retrouve donc des entreprises comme Total, Areva, Bolloré, Bouygues, Sanofi-Aventis, Alstom, Lafarge, et d'autres dans les différents pays concernés.
Notre étude n'a pas porté sur l'ensemble des pays émergents ni sur l'ensemble de cette partie de l'Afrique qui est appelée à un développement très important. Nous aurions pu aller en Tanzanie, en Angola ou au Mozambique dont l'avenir est aussi des plus prometteurs, lié aux ressources de gaz et de pétrole dont ils disposent. Notre vision est donc un peu parcellaire mais met néanmoins en évidence, au moment où l'on connaît des difficultés en Afrique de l'Ouest, le profond déséquilibre de notre politique africaine : une forte présence en Afrique francophone et une quasi absence d'Afrique anglophone.
Même s'il reste des inégalités internes très profondes, des indices de sous-développement très forts, on y voit émerger des classes moyennes, et l'on y repère tous les indicateurs qui marquent les pays émergents, quant à la consommation de biens, à l'éducation, au développement de ressources en matières premières. Les pays que j'ai cités sont appelés à une véritable explosion économique, comme l'est de son côté le Ghana.
Nous devons avoir, nous-mêmes et l'Europe, une conception de nos relations qui tienne compte de la responsabilité sociale et environnementale. Le Nigeria par exemple, devrait passer de 150 millions d'habitants à 400 en 2050 ; dans 30 ans, l'Afrique, Est et Ouest confondus, aura une génération de quelque 500 millions de jeunes, équivalent à la population européenne d'aujourd'hui. Tenir compte de cette réalité doit nous inciter à revoir nos politiques de développement et d'accompagnement de l'avenir de ces pays si l'on veut prévenir des problèmes futurs d'immigration.
Nous devons réviser les images erronées que l'on peut avoir de ces pays : l'Afrique du Sud est structurellement le plus important de l'Afrique subsaharienne, elle a des ambitions diplomatiques et tend à s'imposer sur le continent, comme elle l'a fait en République centrafricaine, ce qui a suscité des problèmes au niveau interne au président Zuma, mais il faut cependant savoir qu'au Zimbabwe voisin, le niveau d'éducation est y est bien supérieur, de sorte que beaucoup de travailleurs zimbabwéens occupent en Afrique du Sud des postes qualifiés, faute de ressources humaines nationales suffisantes. L'éducation est une des forces du Zimbabwe, malgré la longue dictature de Mugabe, comme elle l'est aussi au Kenya, malgré ses problèmes interethniques graves, qui ont conduit le Président Kenyatta devant la CPI. En d'autres termes, malgré la corruption, les inégalités, le niveau d'éducation s'accroît dans plusieurs de ces pays ; cela offre des perspectives d'avenir. Des classes moyennes vont se développer ; les demandes changent et notre pays devrait pouvoir jouer un rôle de passerelle entre cette Afrique australe et l'Afrique francophone. Il faut tenir compte d'une demande très forte de relations politiques plus étroites avec les pays d'Afrique francophone.
Nos propres relations politiques sont très faibles : le Président de la République est allé en Afrique du Sud récemment. Alstom a signé un contrat historique à cette occasion, mais c'est un peu l'arbre qui cache la forêt. Nos relations sont en fait assez pauvres, à la mesure des moyens que nous consacrons à ces pays anglophones. Il faut savoir par exemple que les moyens humains de l'ambassade de France au Bénin sont plus importants que ceux de notre ambassade en Afrique du Sud, qui sont en baisse. Le même constat se fait avec le Nigeria, malgré son expansion économique et la récente visite de Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Alors même que l'on parle de diplomatie économique, on peut aussi regretter le fait que les relations politiques que nous avons avec les pays africains soient exclusivement le fait du MAEE et que le ministre de l'économie ne se rende jamais en Afrique, et notamment pas en Afrique anglophone. Nous recommandons que dans ces pays où il y a un très fort potentiel, la France soit plus présente, en particulier sur le plan économique. Elle devrait s'inspirer de cette pratique anglo-saxonne d'avoir des secrétaires d'Etat spécifiquement délégués à ces pays, comme le font le Royaume-Uni ou l'Allemagne.
Le second constat d'ordre économique tient au fait que les entreprises qui sont présentes dans ces pays sont toujours les mêmes : les grands groupes français, Total, Alstom, Bouygues, Thales, EDF. Inversement, l'ambassadrice de RFA au Kenya nous expliquait la très forte présence des PME allemandes. Les PME françaises sont en revanche absentes, faute de soutien institutionnel à l'exportation suffisant de la part de nos dispositifs, comme celui que les Allemands ont su mettre en place avec l'IPEX, dédié à ce soutien. L'écologiste que je suis est sensible au fait que le Kenya axe en partie son développement sur les énergies renouvelables ; l'AFD fait un travail fort important sur ces questions en soutenant la filière géothermique, mais ce sont les Allemands qui sont présents sur le scolaire et les énergies renouvelables au Kenya. Si la Françafrique est toujours de mon point de vue très présente en Afrique de l'Ouest, dans ces régions anglophones, c'est la Chinafrique qui s'est imposée, notamment sur les grands chantiers d'infrastructures. Pour autant, je ne crois pas que cette présence soit indéfinie ni appelée non plus à submerger la France et les autres pays européens, compte tenu des conditions dans lesquelles la Chine intervient sur le continent sans chercher à améliorer les conditions des populations ni à redistribuer les richesses qu'elle en retire.
Nous avons un rôle à jouer en matière d'éducation, de santé. Sanofi est très présente en Afrique du Sud mais cela ne suffit pas : il y a des problèmes très importants de pandémies à traiter. Inspirons-nous de ce que Amartya Sen a écrit quant aux indices de développement humain pour contribuer à répondre à ces défis, tout en retirant les avantages économiques qu'il se doit de notre aide, de notre relation et de notre présence, et de notre action en faveur de la dignité des hommes.
Avec Michel Destot, au conseil d'administration de l'AFD, nous avons par exemple voté contre le projet d'aide à l'extension de l'aéroport d'Addis Abeba qui consistait en l'agrandissement des hangars destinés à entreposer les fleurs coupées dont on sait dans quelles conditions de travail insupportables les ouvrières les produisent.
Il faut se battre également contre ces fléaux sociaux et écologiques, contre l'accaparement des terres, notamment en Ethiopie, où les petits propriétaires sont expulsés au profit de cultures extensives, de la canne à sucre, au détriment des cultures vivrières. Jean-Christophe Belliard est de ceux qui ont insisté sur le fait que nous devions être attentifs à ces problématiques. De même est-il important que nous ne contribuions pas à la dévastation d'un pays comme la Tanzanie qui exploitera bientôt des richesses importantes.
Beaucoup de lieux communs peut-être dans tout cela mais aussi le constat de notre grande faiblesse politique dans ces pays d'Afrique anglophone qui se tournent pour le moment vers leurs anciens colonisateurs, vers la Chine aussi, faute de partenaires solides. Il est impératif que nous augmentions notre présence politique et économique. Que nous nous inspirions de l'Allemagne dans ses mécanismes de soutien à l'exportation pour ses entreprises, qu'Ubifrance soit plus présente, même si elle vient de s'installer au Kenya il y a quelques semaines. Il faut accroître sa présence en Afrique anglophone, qu'un rapprochement se fasse, semble-t-il en train de se dessiner, entre la BPI et Ubifrance, pour plus de moyens et d'efficacité. Il faut aussi profiter de l'extension de la compétence géographique de l'AFD qui vient d'être décidée ; l'agence est d'ores et déjà très présente au Kenya et en Afrique du Sud, où elle intervient très opportunément à Soweto et à Johannesburg dans la réhabilitation d'habitats sociaux occupés par des populations noires. La France doit poursuivre en ce sens, dans une perspective d'action économique sans oublier les problématiques sociales.
Sur le plan culturel, si je faisais un micro-trottoir, ceux d'entre nous qui ont vraiment entendu parler ou vu des spectacles proposés lors de la saison sud-africaine en France seraient-ils si nombreux ? Cela pour dire que nous avons des initiatives culturelles remarquables, innovantes, mais qui restent d'un impact limité. Il faudrait savoir en améliorer la visibilité. Dans le même esprit, nous devons faciliter les échanges universitaires. Nombre d'étudiants ont naturellement tendance à aller vers les universités anglophones mais il y a aussi une demande de France et cela suppose que nous sachions y répondre, de faciliter l'accès et d'améliorer nos politiques d'immigration et le statut des étudiants étrangers dans notre pays.
Je terminerai en répétant que les pays d'Afrique anglophone vont connaître une très forte évolution économique, une explosion, en termes d'importance des classes moyennes, de population, de niveau d'éducation. Il nous faut sortir des images d'Epinal : le Masaï, au Kenya, a aujourd'hui en mains un Smartphone, sur lequel il reçoit les virements que lui fait son cousin de Nairobi, car le e-banking a fait des progrès remarquables dans ce pays. Tout cela pour dire que des étapes ont été franchies par rapport à nous ; c'est la même chose en matière de commerce où l'on passe directement au commerce en ligne sans étape intermédiaire. En d'autres termes, il faut nous adapter, changer notre regard et améliorer notre présence politique et culturelle ; nous ne pouvons absolument pas être absents de cette région d'Afrique. Nous en tirerons profit, c'est de notre intérêt, tout en essayant de faire en sorte que ces pays ne soient pas dans 20 ans ce que René Dumont avait craint, c'est-à-dire mal partis. L'Afrique n'est pas mal partie, mais il faut changer notre regard, notre politique de développement vis-à-vis de pays qui ont sans doute beaucoup à nous apporter.
Je vous remercie pour ce travail qui m'a personnellement beaucoup appris sur une région de l'Afrique que nous connaissons peu.
Je précise avant toute chose que la Commission va continuer de s'intéresser de près à l'Afrique puisque dès la semaine prochaine, nous auditionnerons Hubert Védrine et Lionel Zinsou, membres de la « mission de réflexion sur la rénovation de la relation économique bilatérale entre la France et l'Afrique » qui rendra ses conclusions d'ici à quelques semaines. J'ai sollicité également l'audition de certains chefs d'Etat à l'occasion de leur passage à Paris, les 6 et 7 décembre, pour le sommet pour la paix et la sécurité en Afrique. D'autre part, le bureau de la commission se réunira tout à l'heure pour arrêter le programme de travail de l'an prochain, qui inclura sans doute une nouvelle mission d'information, plus centrée sur l'Afrique francophone, nous déterminerons sous quel angle.
Je crois que votre rapport donne tout d'abord un éclairage intéressant sur les perspectives économiques du continent et des pays d'Afrique anglophone. Vous montrez bien les changements majeurs qui sont en train de s'opérer et le fait qu'une partie importante de l'Afrique est sur une dynamique nouvelle qui invite à porter un regard totalement différent de celui que l'on avait jusqu'à présent. Lionel Zinsou, qui fait partie des experts que vous avez rencontrés, est particulièrement enthousiaste sur le futur de l'Afrique et fait partie des « afro-optimistes » résolus. Cela étant, il serait sans doute prématuré de dire que l'Afrique est tirée d'affaire et je note que les experts eux-mêmes sont partagés sur les perspectives, puisque certains mettent en doute le fait que l'Afrique serait émergente, et argumentent que tout le monde se fourvoie, compte tenu de l'absence de fiabilité des appareils statistiques africains.
Ce que l'on note aussi, ce sont les ambitions régionales, et même internationales, des pays les plus importants, l'Afrique du Sud, en premier lieu. C'est un peu la revanche des anciens colonisés, ce qui peut susciter quelques frictions, vous en avez parlé, notamment avec notre pays, mais aussi avec leurs voisins immédiats qui ont tendance à trouver dans l'attitude de Pretoria une volonté d'hégémonie parfois un peu pesante.
Mais vous montrez surtout dans la dernière partie de votre rapport qu'il y a de la part de l'ensemble des pays que vous avez étudiés, une volonté forte, unanime, de voir les relations avec notre pays se développer : l'Afrique anglophone souhaite que la France continue à être présente sur le continent, qu'elle investisse davantage, qu'elle commerce davantage et qu'elle tire profit de sa connaissance unique de la région pour jouer un rôle d'interface entre Afrique francophone et Afrique anglophone, pour le bénéfice de tous. C'est une très bonne nouvelle et cela n'est pas incompatible avec le maintien de nos relations, plus traditionnelles, avec les pays d'Afrique francophone, même si cela suppose un rééquilibrage de nos moyens, pour lequel vous plaidez.
Je remercie les rapporteurs pour leur exposé. Je souhaiterais formuler plusieurs remarques. D'abord, c'est une belle leçon de philosophie politique et d'analyse politique dans le temps. Noël Mamère a cité René Dumont, selon lequel l'Afrique noire était mal partie, et qui pensait que l'Afrique dépérirait, ce qui prouve que même un écologiste peut se tromper... Lorsque l'on lit Jean-Michel Severino ou Serge Michailof, ils sont pleins d'optimisme sur l'avenir du continent. Certes, il y a des problèmes de sécurité et d'instabilité politique, mais la démocratie progresse en Afrique et la population a atteint 900 millions de personnes et devrait passer à 2 milliards en 2050, ce qui posera des problèmes de migrations, externes mais aussi internes.
Ensuite la France apparaît timide. Au cours d'une mission que j'avais effectuée avec Michel Terrot et Jean-Louis Christ, nous avions pu constater notre désengagement partout, sous l'effet d'un complexe néo-colonialiste, d'une démarche culpabilisée et culpabilisante. C'est une erreur manifeste. On voit aujourd'hui au Mozambique et en Angola l'arrivée d'immigrants portugais, alors que ce sont leurs anciennes colonies. L'exemple de la téléphonie et du numérique est judicieux. Il y a plus de portables par habitant qu'en Europe.
Vous avez parlé de l'insuffisance de notre présence. Le Nigéria a inscrit le français parmi les langues qui vont devenir obligatoires à l'école. Ce n'est pas parce qu'ils sont demandeurs d'une présence française, mais parce qu'ils ont conscience du potentiel que constituent les pays francophones d'Afrique, qui sont des marchés pour eux, et ils s'y implantent d'ailleurs à notre détriment.
Sur la question des PME françaises, nous sommes des rigolos par rapport aux Allemands, nous le savons. En revanche, l'accompagnement peut exister. Ubifrance a ouvert une agence au Kenya ; la France n'avait pas vu avant l'intérêt d'y être présente. Il y a une délégation de service public au Nigéria à la chambre de commerce franco-nigériane.
Les anglophones n'ont pas la même approche que nous. Ils ne voient aucun problème à faire de l'aide liée, alors que nous sommes puritains et travaillons donc au bénéfice des anglophones et des Chinois, en République démocratique du Congo en particulier. Les autres pays font du commerce.
Enfin, il est vrai que nous devons structurer notre accompagnement. Rapprocher Ubifrance et la Banque publique d'investissement va de soi, mais il faut aller plus loin et regrouper l'action d'Ubifrance, des Chambres, de la Sopexa… Ce mouvement semble amorcé, même si la ministre du commerce extérieure, Nicole Bricq, a fait, à tort à mon avis, du rapprochement entre Ubifrance et l'Agence française des investissements internationaux, une priorité. Ce sont deux métiers différents.
Je partage le constat de Jean-Paul Bacquet. La France régresse partout en Afrique tant anglophone que francophone. Nos parts de marché diminuent. Notre présence politique est faible. Tout est à concevoir. La difficulté majeure vient de l'extrême faiblesse de nos moyens bilatéraux. Si nous continuons à faire passer notre aide par des canaux multilatéraux, la France sera absente de l'Afrique. Nous allons disparaitre au détriment d'autres partenaires.
J'ai une question sur le niveau de la dette publique dans les pays émergents. Quelle est son évolution récente ? Avez-vous regardé si le niveau scolaire a suivi un peu la progression des économies ?
J'ai quelques remarques. D'abord, nous devons tous nous intéresser à l'Afrique car, historiquement, nous venons tous de ce continent.
En 1981, alors élève à l'ENA, mon séminaire devait répondre à la question : « la France doit-elle avoir une zone d'action privilégiée en Afrique ? » Ni les élèves, ni la République n'ont tranché et pour éviter d'avoir à y répondre, on s'est retiré de tout.
Je partage ce qui a été dit sur le décollage de l'Afrique qui reste un décollage lié aux minéraux, à la terre agricole. C'est une économie qui reste primaire.
L'accaparement des terres est très sensible en Afrique de l'Est, notamment par les Indiens qui achètent des champs et les transforment massivement avec des entreprises puissantes. C'est un phénomène majeur et massif.
L'AFD ne doit pas se détourner des pays émergents. Nous devons suivre attentivement le prochain contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD.
Je partage aussi ce qu'a dit Jean-Paul Bacquet sur la fusion de l'AFII et d'Ubifrance. Ça n'a rien à voir ! L'une accueille l'investissement étranger en France, l'autre pousse les exportations.
La grande question qui se pose est de savoir ce que veut la France. Rester dans un entre soi où la francophonie n'est plus un vecteur pour notre pays ? Ou veut-on aller vers le mainstream international ?
Actuellement, à force de ne pas répondre à ces questions, on se retire de tout et on est ridicule en tout. Le jour où la Chine et l'Inde seront les seules puissances en Afrique francophone, on aura l'air malins !
Enfin nous nous intéressons à l'Afrique ! La question fondamentale est de savoir quels sont les choix stratégiques que nous faisons vu nos moyens limités. Bruxelles, c'est fini ! Il faut savoir que les ruptures géostratégiques sont sur notre flanc sud et en Afrique. Les moyens que nous mettons en Europe doivent être redirigés vers l'Afrique dans une politique du « multi-bi ». Le multilatéral est paralysant et anonyme.
Par ailleurs, comme les Etats-Unis ou d'autres Etats, il nous faudrait trois secrétaires d'Etat : un pour l'Asie, un pour l'Afrique et l'autre pour l'Amérique latine. Nous avons des stratégies d'influence à porter. Le ministre des affaires étrangères ne peut aller partout.
Monsieur Mamère, j'ai passé trois ans de ma vie au Nigéria. C'est un pays très violent. Il y a une césure entre le nord et le sud. Les massacres sont quotidiens. Mais c'est vrai que c'est un Etat où l'on fait beaucoup d'argent avec une forte rente pétrolière. Toutefois, si les projections à 400 millions d'habitants se révèlent exactes, je crains fort qu'il y ait des tensions très fortes. Ce sont des Etats d'avenir mais qui posent beaucoup de questions.
Je souhaite revenir sur la question de la répartition des aides multilatérales et bilatérales et sur la présence et l'éventuel rôle à jouer de l'Union européenne sur le continent africain. Par ailleurs, j'ai noté que vous n'aviez pas évoqué les sous-ensembles économiques qui se construisent en ce moment, comme la communauté des Etats d'Afrique de l'est. Ce sont des voies qui permettent d'organiser autrement le développement économique de ces territoires et les relations entre la France et ces territoires.
Je tiens à féliciter les rapporteurs. La qualité des travaux démontre que c'est un sujet qui intéresse beaucoup de monde. Mais, cela fait maintenant douze années que je suis là, et j'entends toujours les mêmes choses sur l'Afrique. Avec plusieurs de mes collègues nous avons eu l'occasion de travailler sur ces questions et nous en revenons toujours au manque de présence de la France sur le continent. Sortons de l'angélisme consistant à dire que nous avons un rôle à jouer dans les domaines de la santé et de l'humanitaire. Cela est tout à fait insuffisant et nous devons désormais adopter une autre approche de notre aide sur place au travers d'autres thèmes comme, par exemple, la formation professionnelle. Je regrette que rien ne soit dit dans les OMD sur ces questions de formation professionnelle qui sont pourtant les éléments de décollage économique d'un pays en ce qu'ils permettent l'émergence d'une classe moyenne. Or, la France est cruellement absente dans ce domaine-là et je souhaite que d'autres travaux soient lancés car je regrette de constater que nous n'avançons pas dans cette direction.
En ce qui concerne le tableau sur les parts de marché détenus dans les pays étudiés par la France, l'Allemagne, le Royaume Uni et les Etats-Unis, je m'étonne de ne pas voir apparaître la Chine qui est pourtant, je crois, le deuxième investisseur après les Etats-Unis. La Chine fait beaucoup d'investissements en Afrique et essaye d'étendre sa puissance. Quel est votre avis, messieurs les Rapporteurs, sur le phénomène chinois. Elle investit beaucoup en Afrique anglophone et francophone sans demander beaucoup de contrepartie et cela plait aux autorités africaines.
Je félicite la précision du rapport et son analyse. Je pense également que le 21ème siècle doit être africain, au risque que nous ne rations un rendez-vous historique. Je n'étais guère trop au courant de la situation en Afrique anglophone, mais je constate que le problème est le même. A savoir, que la Chine a créé beaucoup de désillusions, notamment au travers la question du rachat des terres. Il est temps pour nous de nous débarrasser de notre complexe colonial et de marquer notre présence. Il y'a des compagnies consulaires qui n'attendent qu'un petit coup de pouce. Je propose que nous fassions un partenariat avec des centres de formation permanente. Nous pourrions faire des échanges qui ne coûteraient pas grand-chose. De nombreux Etats africains disposent d'un équipement extraordinaire mais pas du personnel compétent pour l'exploiter. Je propose, par exemple, un échange de formateurs ou professeurs de lycées professionnels pour une durée de trois mois, cela serait bénéfique pour tous, d'un moindre coût et pourrait énormément changer les choses. Je demande aux rapporteurs, si dans les pistes explorées, ils n'ont pas senti le besoin de travailler davantage sur les petits dossiers car les petits ruisseaux peuvent donner de grandes rivières.
Cette histoire de réorientation de la Diplomatie française sur l'Afrique francophone est une problématique bien connue vieille de 40 ans ! Cela fait des décennies que l'on parle de tout ça et peu de choses se passent en réalité. Pour cultiver la pensée positive, je souhaite demander à nos deux rapporteurs s'ils ont retenu quelques initiatives positives et majeures de notre diplomatie en Afrique anglophone ou bien notre diplomatie est-elle fossilisée ?
A quelques jours du Sommet de l'Elysée, je crois qu'il faut saluer ce rapport.
Je partage l'avis de Jean-Paul Bacquet et de Jacques Myard sur la nécessité de secrétaires d'Etat par zones géographiques.
Vous avez évoqué la forte ambition diplomatique de l'Afrique du Sud. Qu'en est-il du développement des relations économiques et commerciales ? Le ministre de l'industrie et du commerce sud-africain a très clairement dit que l'Afrique constituait sa priorité stratégique. Ces propos font écho à ceux de Mme Zuma, présidente de la commission de l'Union africaine, pour qui il conviendrait de développer davantage les transports interafricains, évoquant même des zones de libre-échange au plan régional et, à terme, continental. Votre rapport fait part de l'hostilité des pays voisins, ce qui m'a beaucoup étonnée. Pour aller souvent en Afrique, notamment au Nigeria, je crois plutôt comprendre que l'Afrique du Sud est un modèle. La jeunesse la considère comme un Eldorado.
Vous n'avez pas évoqué le Sida en Afrique du Sud. Quel pourrait être son impact à moyen et à long terme selon vous ?
S'agissant de l'Ethiopie, la délocalisation de H&M a fait couler beaucoup d'encre. Pour certains analystes, l'Afrique pourrait se transformer un jour en usine du monde. Qu'en pensez-vous ?
Je fais mien, bien sûr, tout ce qui a été dit sur la nécessité d'être présent en Afrique francophone et je voudrais apporter une note positive : la coopération décentralisée s'est beaucoup développée. Beaucoup de régions et de départements réalisent un travail très concret pour aider à la construction d'écoles et d'équipements. Mon département consacre ainsi un euro par habitant à la coopération décentralisée. Jean-Philippe Mallé et Jacques Myard, ici présents, pourront témoigner de cet effort en direction de l'Afrique.
Voilà un excellent débat, lancé par des analyses et des recommandations excellentes de nos deux rapporteurs.
Ne versons pas dans le déclinisme ! Il y a en Afrique une présence française encore forte, un désir de France encore plus grand, et des acteurs qui travaillent.
La coopération décentralisée, évoquée par Pierre Lequiller, a cependant été singulièrement freinée par les problèmes de sécurité et par le classement stupide, par le Quai d'Orsay, d'une partie immense de l'Afrique en « zone rouge ». Le « grand parapluie » est l'instrument préféré de cette administration !
Par ailleurs, comment progresser avec un budget en recul depuis 1994, qu'il s'agisse de celui des affaires étrangères ou de la coopération, alors que les autres budgets progressaient dans le même temps ? Nous le dénonçons chaque année.
Je note, malgré tout, un fait nouveau très positif : la volonté de la plupart des pays africains de prendre leur destin en main. En témoigne la montée en puissance des organisations régionales, en particulier l'Union africaine, qu'il faut aider davantage. Il faut trouver un équilibre pour ne pas gêner cette aspiration.
Je crois qu'il serait utile de faire un point systématique sur la coopération décentralisée dans nos rapports. C'est un vecteur important que l'on ignore trop.
J'ai été très sensible, par ailleurs, aux remarques sur la formation professionnelle. C'est un démultiplicateur peu coûteux d'influence.
Ce rapport n'a pas pour objectif de montrer la faiblesse de nos relations avec l'Afrique ou nos inquiétudes concernant son développement. Au contraire, nous souhaitons que l'on renforce les liens et que l'on accompagne le « décollage ».
L'intégration régionale est essentielle. La France est sans doute le seul pays qui peut jouer un rôle de passerelle entre l'Afrique francophone et l'Afrique anglophone. Du fait du développement des classes moyennes et de l'élévation du niveau de vie, l'Afrique francophone devient un marché en matière de biens, mais aussi d'exploitation d'un certain nombre de ressources. Ce n'est pas un hasard si le Nigeria a consacré le français : c'est un pays frontalier de l'Afrique francophone, comme le Ghana, qui est en pleine expansion et compte des gisements pétroliers « offshore » très importants. Par ailleurs, bien souvent, les échanges n'ont pas lieu en anglais, mais dans les langues des ethnies qui se trouvent de part et d'autre des frontières.
Il faut faire très attention avec les projections démographiques. Contrairement à ce que certains prétendent, ce n'est pas une « grève du troisième ventre » qui s'impose. Ce serait ridiculement malthusien. Il faut plutôt miser sur l'éducation. Partout où le niveau d'éducation a progressé, les femmes font moins d'enfants. L'éducation n'est pas seulement une affaire de béni-oui-oui ou de droits-de-l'hommistes !
Si le niveau d'éducation est plus élevé au Zimbabwe qu'en Afrique du Sud, malgré la dictature exercée par Mugabe, c'est parce que l'Afrique du Sud est victime de la « Bantu Education ». On a sous-éduqué les Noirs, auxquels on n'enseignait qu'un certain de nombre de disciplines, les seules jugées utiles pour qu'ils puissent occuper la place qui leur était assignée dans une société d'apartheid. Et cet héritage perdure. C'est un handicap considérable pour le pays. Même si de nombreuses élites africaines rêvent de ce pays, son taux de croissance est inférieur à ceux du Kenya, du Mozambique, de l'Angola et même de l'Ethiopie. Il risque de perdre son leadership.
S'agissant de Mme Zuma, il faut dire aussi que son élection a été difficile et que si beaucoup de pays africains regardent avec envie l'Afrique du Sud, la relation est faite d'attraction et de répulsion. On supporte mal son hégémonie politique, notamment ses pressions pour obtenir un siège au Conseil de sécurité. Et je ne reviens pas sur la présence de troupes sud-africaines en Centrafrique, qui a d'ailleurs suscité des problèmes importants de politique intérieure.
Le pétrole est à la fois la richesse et le cauchemar du Nigeria. Il y a des atteintes insupportables aux droits de l'homme et des inégalités considérables dans la partie du pays où le pétrole est extrêmement important. Le Nord a nourri des groupes séparatistes et terroristes.
Et ethniques. Oui, bien sûr. Mais n'oublions pas Ken Saro-Wiwa, l'un des leaders de l'opposition démocratique au Nigeria, qui luttait notamment contre certaines formes d'exploitation du pétrole, et qui a été assassiné en 1995. Je vous invite à lire l'ouvrage de sa fille, Transwonderland.
Le Nigeria est une métaphore de l'Afrique. Son potentiel de richesse est considérable, mais il y a encore beaucoup de corruption et d'inégalités, et en même temps, aussi, des gens très compétents. Lisez aussi la récente interview de la ministre des finances du Nigeria dans Le Monde.
Ce que nous avons essayé de démontrer, c'est qu'il n'y a pas de fatalité à ce que la France soit absente de ce continent et de cette partie du continent. Il suffit de mettre en place un certain nombre d'outils, je pense en particulier à la nomination d'un secrétaire d'État ou d'une personnalité, d'un exécutif, dédié spécifiquement à ces pays. Pour répondre à Paul Giacobbi, il ne faut bien sur jamais oublier que l'Inde est extrêmement présente sur toute la côte est, sur l'Océan Indien, de par sa tradition. Mais il n'y a pas que l'Inde qui procède à l'accaparement des terres mais aussi l'Indonésie, avec l'huile de palme.
Pour répondre à la question sur l'AFD, il n'est pas question pour l'AFD de remettre en cause son aide aux pays émergents mais de revoir une partie de sa politique en direction notamment des pays les moins avancés et des pays qu'on appelle « prioritaires ». Comme vous le savez, nous n'avons pas du tout la même manière de participer à l'aide au développement que la Grande-Bretagne puisque nous le faisons sous forme de prêts alors que les Britanniques le font sous forme de dons. Cela implique des grosses différences, ce qui ne veut pas dire pour autant que la Grande-Bretagne soit plus efficace dans son aide. Nous avons aujourd'hui à la tête de cette agence deux femmes de grande valeur et compétentes : Mme Paugam, qui a beaucoup travaillé avec Jean-Michel Severino, et Mme Tubiana, qui connaît extrêmement bien ses dossiers.
C'est vrai que la France, vous l'avez dit, s'est complétement désintéressée de l'Afrique et notamment le secteur bancaire, très peu présent. Dans les années 1980-90, ce secteur s'est tourné principalement sur l'Amérique latine. On paie aujourd'hui ce retard, cette absence très fortement. Sur la formation professionnelle, le MEDEF que nous avons auditionné est très demandeur de cela. C‘est un outil qui n'est pas très couteux mais qui est absolument utile à notre façon de contribuer au développer de ces pays. Sur la question qui a été posée du niveau de la dette publique des émergents, il est difficile de répondre puisque l'Afrique du Sud, par exemple, ne demande pas d'aide d'États : cela ne se passe qu'avec des privés.
L'essentiel a été dit. Le message n'est pas simplement pessimiste car la France a un certain nombre d'atouts et de valeurs de qualité. D'après les personnes que nous avons rencontrées, principalement des chefs d'entreprises de PME, pour ne pas parler des grands groupes, il y a des réussites françaises dans ces pays mais je crois que ce sont des réussites individuelles. A l'inverse, les réussites allemandes dans ces pays sont collectives. L'ambassadrice d'Allemagne au Kenya elle-même nous l'a dit : les PME allemandes ont une capacité à s'organiser collectivement pour conquérir les marchés quitte après à être concurrentes sur ce même marché. Il y a toutefois de beaux succès français et de nombreux Français sont installés dans ces pays. Les raisons de ce constat sont peut-être culturelles, ou dues à notre faiblesse en matière de taille de PME.
L'idée d'avoir un représentant, secrétaire d'État ou peu importe son nom, est très intéressante pour avoir une personne identifiée qui viendrait souvent en Afrique. Je pense que cela changerait beaucoup pour un coût modéré. Le représentant nous permettrait d'être beaucoup plus présents sur ce continent. Sur la question de la formation professionnelle, cela nous a frappé en Afrique du Sud : il y a une vraie demande et les entreprises françaises pourraient être des partenaires privilégiés. Il y a enfin une relation très particulière avec l'Afrique du Sud : la France est le pays qu'ils aiment détester. Ils aiment nous détester mais ils aiment aussi bien nous voir à proximité.
Il y a un espoir certain dans nos propos et je pense qu'il suffit de nous retrousser les manches pour obtenir beaucoup de ces pays africains émergents.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La séance est levée à onze heures