La réunion

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L'audition débute à dix heures quarante.

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Merci, madame, monsieur, d'avoir répondu à notre invitation.

Vous êtes spécialistes des difficultés du monde associatif, auxquelles vous avez consacré une étude intitulée « Les associations entre mutations et crise économique – État des difficultés », parue en octobre 2012, après un travail similaire publié en 2006.

Les associations traversent-elles une crise soudaine et imprévue, ou la crise n'a-t-elle qu'intensifié depuis 2008 des vents contraires qui soufflaient depuis longtemps ? Les associations sont-elles capables de s'adapter à la situation ? Si oui, à quelles conditions ? Telles sont les questions qui composent la toile de fond de nos travaux.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Viviane Tchernonog et M. Jean-Pierre Vercamer prêtent successivement serment.)

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Viviane Tchernonog, chargée de recherche au CNRS, centre d'économie de la Sorbonne, Université Paris I

Je commencerai par un tableau général du secteur associatif aujourd'hui, avant d'en venir aux difficultés quotidiennes rencontrées par les associations.

Il existe très peu de données sur le secteur associatif émanant de sources officielles. Voilà pourquoi notre laboratoire conduit tous les cinq ou six ans, depuis une vingtaine d'années, une enquête visant à dresser un état des lieux du secteur, dont j'ai communiqué le résumé aux membres de votre commission. Nous travaillons actuellement, avec l'INSEE, à mettre en place une enquête réalisée à la même fréquence, mais par l'INSEE lui-même. Cette enquête reprendra le questionnaire que nous adressions jusqu'à présent aux associations, ce qui permettra de suivre des séries sur une longue période. Ses résultats ne seront toutefois disponibles que dans un an, trop tard pour que vous en teniez compte dans votre rapport. Quoi qu'il en soit, la statistique publique relative aux associations évolue.

J'exposerai les éléments de contexte qui ont le plus d'effet sur le fonctionnement des associations, puis le poids économique et social du secteur, les grandes évolutions qu'il a connues depuis 2006, en particulier du fait de la crise, enfin les conséquences des mutations intervenues et les perspectives à plus long terme.

Premier élément de contexte : le déficit public structurel, récurrent depuis la fin des années 1990 même si le problème se pose aujourd'hui avec plus d'acuité, et qui explique certaines contractions des financements d'État. Aujourd'hui, pour la première fois, il concerne aussi les collectivités locales, qui doivent réduire les financements alloués aux associations, après les avoir développés. La crise économique provoque aussi la contraction des ressources privées des associations, dont les usagers ont moins les moyens d'accéder aux services qu'elles rendent.

La professionnalisation du secteur est une autre évolution importante. La bonne volonté ne suffit plus ; les associations ont besoin d'équipements de plus en plus sophistiqués et surtout de compétences de la part des salariés, mais aussi des bénévoles. Ce phénomène explique nombre des évolutions récemment constatées.

S'y ajoute le changement social. Les sociétés évoluent toujours et la nôtre ne fait pas exception à la règle, ce qui est généralement une bonne chose. Mais les associations peinent un peu trop souvent à anticiper ces évolutions. Elles critiquent par exemple le changement de comportement des bénévoles, qu'elles accusent de « zapper », au lieu de tenir compte de ce que j'appellerais plutôt un désir de maîtriser leur parcours et de diversifier leur expérience.

J'en viens au poids économique du secteur associatif. Le budget annuel des associations s'élève à 85 milliards d'euros et leur contribution au PIB à 3,2 %, ce qui est considérable. Elles représentent 1,8 million d'emplois, mais il convient de prendre garde à un chiffre que les réseaux associatifs ont tendance à surestimer et qui recouvre énormément d'emplois à temps partiel et d'emplois atypiques. Pour avoir une idée plus juste du volume de l'emploi salarié, à défaut de le connaître directement, on peut raisonner à partir de la masse salariale, qui représente 6,5 % de celle du secteur privé. Le chiffre est donc élevé même s'il l'est moins qu'on ne le dit souvent. Quant aux bénévoles, ils sont 15 à 16 millions, et leur temps de travail, très variable, correspond à un million d'équivalents temps plein environ.

Les grands changements connus par les associations au cours des dernières années concernent principalement leur nombre, l'évolution de leur poids économique, leur financement, l'emploi salarié et l'emploi bénévole.

Le nombre d'associations continue d'augmenter, mais surtout du fait de la croissance des toutes petites structures qui animent le quartier et la vie locale : clubs, associations militantes, associations centrées sur la vie de leurs membres. Non seulement ces petites associations se développent, mais elles se renouvellent beaucoup : nombre d'entre elles meurent, d'autres se créent. La quantité d'associations qui recourent à des professionnels salariés, le plus souvent parce qu'elles interviennent auprès de populations en difficulté ou exercent une mission de service public, a augmenté nettement moins vite. La hausse globale est de 2,5 % en moyenne annuelle.

Le poids économique des associations, mesuré à partir du budget du secteur dans la période la plus récente, a augmenté depuis 2006 à un rythme annuel moyen, corrigé de l'inflation, de 2,5 %, c'est-à-dire plus vite que la croissance du PIB. Cette hausse s'explique par des facteurs démographiques, notamment le maintien de la natalité à bon niveau et le développement de la dépendance, qui créent des besoins traditionnellement pris en charge par les associations et solvabilisés par les politiques publiques, et même par les assurances privées dans le cas de la dépendance. On observe toutefois aussi un important mouvement d'externalisation vers le secteur associatif des missions autrefois rendues dans un cadre public. Cette tendance, qui n'est pas nouvelle, concerne aujourd'hui essentiellement les conseils généraux. Elle résulte principalement du fait que l'action sociale est moins coûteuse dans le cadre associatif, en raison du bénévolat mais aussi parce que l'emploi salarié y est moins rémunéré et présente globalement moins d'avantages qu'ailleurs. En d'autres termes, c'est la précarisation de l'emploi salarié dans les associations qui explique la tendance à l'externalisation. Et si le poids du secteur a augmenté, c'est aussi le cas des financements publics qui vont de pair avec les politiques ainsi rétrocédées au secteur associatif.

Les financements de toute nature des associations ont connu de très importantes mutations au cours des six dernières années. On observe d'abord un phénomène de privatisation des financements. Parmi les financements privés, les dons et le mécénat représentent 4 à 5 % du budget total du secteur, contre 45 % pour la participation des usagers aux services rendus par l'association, sous forme de cotisations ou d'achat. En d'autres termes, dire que le secteur se privatise, c'est dire que les usagers participent de plus en plus à son financement. En ce qui concerne les financements publics, nous observons depuis les années 1990 une baisse régulière du poids de l'État au profit de celui des acteurs locaux, surtout, au cours de la dernière période, du conseil général.

Enfin, on a pu observer au cours des six ou sept années qui viennent de s'écouler une fonte de la subvention publique au profit de la commande publique, qui a explosé. Le financement reste public dans les deux cas mais cette évolution a conduit le secteur à se restructurer. Elle a en effet entraîné deux conséquences majeures. D'une part, elle a privé les associations de la capacité d'initiative que la subvention publique leur avait toujours offerte et qui leur avait permis d'aspirer de nombreuses politiques publiques. D'autre part, elle a exclu les petites et moyennes structures, à l'exception de celles qui s'appuient sur le bénévolat et n'ont pas ou presque pas besoin de financement. Cela résulte d'un effet de seuil : ces associations sont trop petites pour accéder à la commande publique et manquent des ressources humaines nécessaires pour répondre aux appels d'offres. Or leur disparition risque de déboucher sur une dualisation du secteur entre de toutes petites associations de quartier et des mastodontes qui mettront en oeuvre les politiques publiques, sans structures intermédiaires.

L'emploi salarié dans les associations est très atypique, caractérisé par une part énorme de temps partiel – parfois pas plus de deux heures par mois ou par trimestre pour une association dite employeuse – et par une grande précarité, avec 45 % environ de contrats à durée déterminée, de stages ou de formes atypiques d'emploi. Les emplois sont moins bien rémunérés, à qualification égale, et offrent moins de perspectives de carrière que dans le reste du secteur privé, mais ils sont en moyenne plus qualifiés.

L'emploi salarié dans les associations s'est développé très vite, parce que les associations étaient capables de créer des emplois liés à leur utilité sociale croissante, mais aussi parce qu'elles comptent nombre d'emplois tertiaires et sociaux, également très dynamiques dans le secteur privé lucratif. L'emploi salarié associatif se stabilise depuis 2010-2011 : la crise a bloqué sa croissance mais n'en a pas réduit le volume. Cela s'explique par le fait qu'il est pour moitié constitué d'emplois du secteur médico-social, qui sont acycliques, c'est-à-dire insensibles aux aléas économiques : en cas de crise, l'hôpital du coin ne ferme pas même si l'on peut être amené à revoir la carte sanitaire à échéance de cinq ou dix ans.

Les associations ont aujourd'hui beaucoup de mal à recruter et à garder leurs salariés, car elles ne peuvent leur offrir ni des salaires aussi élevés et des perspectives de carrière aussi intéressantes que le secteur privé lucratif, ni des emplois aussi stables que le secteur public. Du coup, elles recrutent des personnes qui n'ont pas toujours la qualification requise et les forment, mais le taux élevé de rotation de ces salariés, qui vont rapidement chercher de meilleures conditions d'emploi ailleurs, génère pour elles un important surcoût.

Quant au travail bénévole, son volume, en nombre d'heures travaillées, continue d'augmenter très vite quoiqu'un peu moins qu'au cours de la période précédente. Les chiffres que nous vous communiquons font consensus auprès de la plupart des équipes de recherche qui étudient le sujet, et ils sont utilisés par l'INSEE, dans la comptabilité nationale, par le Gouvernement. Le bénévolat concerne, je l'ai dit, 15 à 16 millions de personnes en France, soit 32 % de la population âgée de plus de dix-huit ans. Cependant, les formes de bénévolat ont changé. En particulier, on a de plus en plus affaire à des bénévoles qui ont différents engagements dans plusieurs associations et qui s'impliquent moins dans chacune d'entre elles. Les bénévoles d'aujourd'hui sont de plus en plus disposés à donner un coup de main en créant un site internet, par exemple, mais sans participer pour autant en permanence à la vie de l'association.

Cela dit, la principale difficulté du travail bénévole reste la formation. Les politiques publiques ont toujours eu tendance à chercher à développer le travail bénévole, ce qui est une bonne chose en soi car une société dont les membres s'engagent est une société qui fait des progrès sociaux. Aujourd'hui, toutefois, de plus en plus de Français souhaitent être bénévoles mais les associations ne peuvent les accueillir car elles ont besoin de bénévoles doués de compétences spécifiques dans le contexte actuel de professionnalisation. Je vous renvoie à mon ouvrage Le Paysage associatif français pour plus de détails, notamment à propos du coût du bénévolat pour les associations et du fait qu'en termes de formation, les besoins des bénévoles excèdent ce que les associations peuvent raisonnablement offrir.

J'en viens aux conséquences à long terme de ces mutations.

D'abord, les associations ont perdu en capacité d'innovation et en inventivité sociale. C'est la contrepartie du rôle de prestataire des politiques publiques qu'elles assument de plus en plus – avec une grande compétence, d'ailleurs – du fait de l'évolution du financement public.

La deuxième conséquence des évolutions observées, et l'une des principales, est la disparition des associations moyennes, qui déséquilibre fortement le secteur car elles ont pour spécificité de fédérer les initiatives citoyennes et locales.

Troisièmement, les usagers des associations sont de plus en plus mis à contribution pour financer celles-ci. Cela résulte de la contraction des financements publics, les usagers étant la seule marge de manoeuvre au niveau privé, puisque les dons et le mécénat continuent de ne représenter que 4 à 5 % du financement des associations alors qu'ils bénéficient déjà, de l'avis de tous les spécialistes, de l'une des législations les plus favorables au monde. Or les usagers sont touchés par le chômage, et les solliciter ainsi revient à sélectionner, certes involontairement, les « clientèles » associatives en fonction de leur solvabilité, ce qui porte atteinte à la fonction de cohésion sociale des associations.

Enfin, les trois évolutions du financement – privatisation, décentralisation des financements publics, baisse du poids de l'État – subordonnent de plus en plus l'action associative aux capacités locales de financement. Au fil d'une évolution qui n'est d'ailleurs pas récente, les tissus associatifs se développent, voire se sophistiquent, dans des départements où le taux d'emploi et la qualification sont élevés, l'activité économique importante et les collectivités riches, alors que dans les territoires vieillissants, victimes du chômage et qui ont donc davantage besoin de solidarité, les associations ne trouvent ni auprès de leurs partenaires publics ni auprès de leurs usagers les moyens de venir en aide aux populations, même dans l'urgence.

Je conclurai par les résultats de l'enquête sur les difficultés du monde associatif que nous menons, avec Deloitte, tous les quatre ou cinq ans environ. Dans ce cadre, nous avons construit une grille des 37 difficultés que les associations rencontrent quotidiennement et nous l'avons soumise à un échantillon représentatif. Pas moins de 2 300 associations ont participé à l'enquête et le monde associatif se reconnaît bien dans nos conclusions.

J'insisterai sur trois difficultés majeures à propos desquelles il semble urgent d'agir. D'abord, les difficultés de trésorerie, dont beaucoup d'associations meurent, parfois – voire souvent, au moins pour les petites et moyennes structures – parce que la subvention municipale n'est pas arrivée à temps. D'une manière générale, le financement public pose des problèmes de délai, même s'agissant des commandes publiques. Ensuite, le problème de la formation des bénévoles, auquel il est urgent de s'atteler si l'on veut profiter de la manne que ces derniers représentent pour le secteur. Enfin, toutes les associations, et surtout les petites et moyennes, souffrent de la complexité administrative et de la judiciarisation de la société, qui bloquent le recrutement du premier salarié, c'est-à-dire le passage du bénévolat à l'emploi salarié, au sein des petites associations. Mais vous étudierez certainement cette question dans le cadre de votre travail conjoint avec la mission d'information sur la simplification législative.

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Jean-Pierre Vercamer, associé responsable du département Audit du secteur associatif, Deloitte

Commissaire aux comptes, j'interviens pour ma part auprès de 400 associations et fondations, quotidiennement ou presque. Je vais vous donner une illustration concrète de certaines des 37 difficultés que nous avons identifiées à partir des constats établis par les associations elles-mêmes, en les présentant dans un ordre qui résulte de mon approche de professionnel du chiffre.

D'abord, les problèmes de trésorerie. Le fonds de roulement des associations ne leur suffit pas pour faire face à d'éventuelles difficultés ; 30 % d'entre elles le confirment. L'on n'a sans doute jamais vu autant qu'en 2013 d'états de cessation de paiement, qui correspondent à l'incapacité de payer ses dettes exigibles à court terme avec les fonds détenus en trésorerie. Le nombre de lancements de procédures d'alerte – qui correspondent à la découverte d'événements contrariant la continuité d'exploitation de la structure – a augmenté de quelque 17 % par rapport à 2011 ou 2012. Or leur déclenchement a pour conséquence néfaste que la situation commence à devenir de notoriété publique, ce qui peut effrayer les financeurs, les donateurs et ceux qui envisager de travailler dans ce secteur.

Une précision : le fait que notre étude porte sur les difficultés du monde associatif lui donne une tonalité sombre, mais nous ne tenons pas un discours négatif. Il nous semble à tous deux qu'une cure d'amaigrissement n'a jamais fait de mal à personne, car elle peut permettre de réaliser des économies d'échelle et de revenir à une situation plus normale. L'incitation à la performance est généralement suscitée par des difficultés plutôt que par des finances florissantes. En outre, à chaque problème on peut trouver des solutions.

Deuxième difficulté : la baisse des subventionnements publics. Une association financée à plus de 90 % par l'État, les ministères, les régions, l'Union européenne et dont les comptes accusent une baisse de 1 à 10 % de ces financements, comme j'ai pu en voir cette année, est très vite confrontée à des difficultés si elle ne possède pas de fonds propres ni n'a cherché d'autres sources de financement.

S'y ajoutent les retards de paiement. Recevoir fin août ou en octobre une subvention censée contribuer à financer tout l'exercice et que l'on est sommé de restituer si on ne l'a pas intégralement consommée avant le 31 décembre, ce n'est ni correct ni compatible avec l'exigence de qualité de service de la structure.

Ces problèmes financiers résultent de la crise de 2008. Cinq ou six ans plus tard, la trésorerie est complètement asséchée : on est dans le creux de la vague, c'est pourquoi l'année 2013 a été particulièrement difficile.

J'en viens à plusieurs items qui correspondent à des phénomènes de société.

La difficulté des associations à recruter des bénévoles pour renouveler leurs structures dirigeantes résulte, un peu comme dans le cas des maires, du découragement, ou de la crainte qu'inspirent aux bénévoles, quel que soit leur dévouement, les risques associés à ces responsabilités.

La judiciarisation croissante de la société, très connue outre-Atlantique, n'en est qu'à ses débuts en France, ce qui explique que seules 15 % des associations interrogées y voient une source de leurs difficultés. D'anciens bénévoles parviennent aujourd'hui à plaider en justice qu'avec un ordinateur, une carte de visite et une présence de huit à dix heures par jour, ils étaient en réalité salariés. De tels procès obligent les associations à payer des sommes importantes en frais d'avocat et en indemnités et les petites structures ne peuvent s'en relever. Cela met à mal le bel objet associatif qui avait été créé.

La difficulté des associations à garder leurs salariés s'explique par l'écart de salaire de 34 % entre le secteur concurrentiel et le secteur associatif.

Enfin, les contraintes administratives et fiscales sont lourdes. Pour remplir une demande de financement adressée à l'Union européenne, il faut avoir bac plus dix ! Quant à la question de savoir quel taux d'impôt s'applique à tel ou tel placement financier, les banques elles-mêmes, voire les professionnels du chiffre, peinent à y répondre. La sectorisation fiscale implique l'établissement d'une comptabilité analytique et est de manière générale source de complexité.

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Merci à tous deux de cet exposé très dense et très exhaustif qui nous sera précieux.

Au-delà des constats, quelles solutions pourriez-vous proposer ?

Compte tenu du poids des départements dans le financement des associations, quelles pourraient être les conséquences de la réforme territoriale sur le mouvement associatif ? La répartition des compétences qui en découle ne risque-t-elle pas de fragiliser certaines associations ?

Le développement de la commande publique au détriment des subventions concerne-t-il essentiellement le secteur médico-social ou s'étend-il à d'autres secteurs d'activité et si oui, dans quelle mesure ?

Enfin, comment armer les bénévoles face au risque de contentieux qui menace les associations – comme d'ailleurs les entreprises –, afin qu'ils puissent assumer des responsabilités sans inquiétude ?

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Je rejoins vos constats, notamment à propos du problème de la formation. Le fonds de développement de la vie associative (FDVA) est doté de crédits budgétaires limités mais forme un nombre non négligeable de bénévoles chaque année. Vous proposez que l'on décentralise un peu plus son financement et son utilisation sur le terrain. Le projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire vient de créer des fonds de formation des dirigeants bénévoles d'associations, mais ils sont facultatifs. Comment améliorer ce système afin qu'il profite le plus possible aux bénévoles ?

En ce qui concerne les dispositifs de soutien à l'acquisition de compétences au sein des associations, à la professionnalisation du secteur et à l'emploi associatif, quelle est votre évaluation des centres de ressources régionaux et départementaux, qui ne sont pas partout présents dans les territoires ?

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Viviane Tchernonog, chargée de recherche au CNRS, centre d'économie de la Sorbonne, Université Paris I

En ce qui concerne l'accompagnement du bénévolat, il n'est pas vraiment de mon ressort de formuler des propositions, mais peut-être pourrait-on envisager d'ouvrir aux bénévoles des associations, pour certaines qualifications et en certains endroits, des dispositifs de formation des salariés qui existe déjà au niveau décentralisé et dans lesquels les conseils régionaux jouent un rôle important. Certes, ce ne serait sans doute pas sans poser des problèmes étant donné le financement de la formation professionnelle.

Plus généralement, plusieurs types de mesures destinées aux associations, qu'il s'agisse de former les bénévoles ou de faciliter les démarches administratives ou encore la réponse à la commande publique, me semblent devoir passer par les fédérations et les groupements d'associations ou d'employeurs. En effet, il est plus facile de financer des structures déjà mutualisées. En outre, cela pourrait inciter les associations, souvent assez individualistes, à y adhérer.

Les conséquences de la réforme territoriale sur les associations ne sont aujourd'hui claires pour personne, bien que nous ayons commencé à y réfléchir et que certains réseaux associatifs y travaillent. Voici toutefois ce que l'on peut en dire.

Les transferts des conseils généraux aux associations correspondent aujourd'hui à 80 % au financement de politiques sociales obligatoires dans les territoires, conformément d'ailleurs à la mission des départements en matière d'action sociale. On peut donc imaginer que, si les conseils généraux étaient supprimés, d'autres collectivités prendraient le relais et que les financements correspondants leur seraient transférés. Toutefois, pour un cinquième environ des financements alloués, les conseils généraux interviennent, notamment en zone rurale, quand il n'existe pas de commune importante susceptible d'animer la vie locale dans les territoires environnants. Ici, la suppression des départements risque d'accentuer la désertification de ces territoires.

En ce qui concerne la répartition des compétences, deux difficultés majeures sont à craindre d'après nos discussions avec les réseaux associatifs. Actuellement, 60 % des associations n'ont qu'un seul partenaire public, le plus souvent la commune ; 20 % des associations perçoivent un financement du conseil général, 17 ou 18 % de l'État et 4 ou 5 % du conseil régional. Celles qui bénéficient d'un financement multiple ne sont pas nombreuses et ce sont généralement de grosses structures qui mettent en oeuvre les politiques publiques. Je doute qu'elles soient les plus touchées.

Qu'en est-il en revanche des secteurs associatifs qui ne relèvent de la compétence d'aucune collectivité ? Vont-ils être délaissés parce que les collectivités vont se concentrer beaucoup plus qu'auparavant sur leurs compétences ? Elles le faisaient certes déjà, les conseils généraux se consacrant au secteur médico-social tandis que les communes et l'État menaient des politiques plus diversifiées. Mais la crainte de voir ces secteurs disparaître demeure une source de préoccupation.

Idéalement, il faudrait que ces grandes évolutions ne concernent que les grosses associations. En effet, les financements publics et même privés se concentrent fortement dans de très grandes structures dotées de gros budgets et dont on peut aisément se représenter l'avenir. Mais la plupart des associations, notamment les petites et moyennes structures, qui vivent un peu de la subvention, un peu du travail bénévole, un peu de la bonne volonté de la mairie qui met un local à leur disposition, ne pourront survivre à la suppression de la clause générale de compétence.

Je confirme enfin que l'augmentation de la commande publique concerne essentiellement – à 70 % – le secteur médico-social.

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Jean-Pierre Vercamer, associé responsable du département Audit du secteur associatif, Deloitte

S'agissant des dons et du mécénat, je ne conteste pas que le régime français de déductibilité fiscale soit très avantageux, mais il reste beaucoup à faire dans certains domaines. En Espagne, la déduction est de 100 % pour une cause considérée comme prioritaire à l'échelle nationale. L'effet est exponentiel. Dans les pays anglo-saxons, où se sont développées des associations de caractère libéral, une structure qui alimente à 100 % l'association mais appartient au secteur concurrentiel est exonérée d'impôt dès lors que les recettes sont entièrement consacrées au fonctionnement du système associatif.

Une autre spécificité de la France dans le monde est l'importance du nombre d'associations rapporté à la population. Dans ce contexte, le terme de fusion, qui était un gros mot il y a encore cinq ans, devient audible ; on peut d'ailleurs aussi parler de « mutualisation » des ressources et des coûts. Quoi qu'il en soit, l'évolution est engagée. Dans certains départements, en matière de handicap, il existe une multitude d'associations qui font exactement la même chose, dont certaines avec de tout petits moyens. Il faut savoir reprendre les bonnes idées de ces dernières et favoriser non leur absorption mais leur cohabitation avec les autres. On pourrait imaginer – peut-être est-ce là ce que vous appelez centres de ressources – des sortes de groupements d'intérêt économique où les associations pourraient se faire aider par des comptables et de bons connaisseurs des rouages administratifs ou des relations avec les collectivités.

Il faut aussi lutter contre l'amateurisme – sans connotation péjorative – à la française qui explique le taux élevé de mortalité des associations lorsqu'elles n'ont pas de fonds associatif de démarrage, ce qui est autorisé dans notre pays. Pourquoi dispenser les associations, qui concluent des contrats salariés, d'une obligation qui s'impose aux sociétés anonymes ? Sans fonds associatif de démarrage, le taux de mission sociale est très mauvais au cours des quatre ou cinq premières années – avant que l'on sache en appeler à la générosité publique –, les contrats salariés sont précaires, on met les gens dehors deux ans après la création de l'association et l'on finit par perdre un objet associatif de qualité.

En matière de formation, il y a beaucoup à faire pour les salariés comme pour les bénévoles. Ne pourrait-on s'inspirer pour aider ces derniers de la manière dont les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) utilisent les fonds à l'intention des salariés ?

Cent euros donnés en période de crise ont plus d'importance qu'en période de croissance. La notion de performance devrait donc être transcendée dans les moments difficiles. Les financeurs publics demandent que l'utilisation des fonds soit contrôlée ; au-delà du seul équilibre des comptes, les rapports de gestion des associations devraient détailler davantage l'emploi des fonds et l'objectif qu'il a permis d'atteindre. Sans vouloir citer de noms, on met encore dans notre pays beaucoup d'argent dans des poches percées ou dans des objets associatifs dépourvus de toute utilité.

Enfin, à l'heure où l'origine des aides évolue, les associations devraient être incitées à se tourner vers d'autres modes de financement – fundraising, crowdfunding, titres participatifs, etc. Nous pouvons faire dans le secteur associatif ce dont nous nous sommes montrés capables dans le domaine bancaire et financier. Il existe dans le monde de grands donateurs disposés à se montrer généreux à condition d'être convaincus de l'efficacité des demandeurs. Les pays latins ne sont pas encore très mûrs dans ce domaine, mais il n'y a aucune raison que nous ne réussissions pas comme les Anglo-Saxons l'ont fait avant nous. Cela dit, la puissance publique devrait éviter dans la mesure du possible de réduire trop brutalement ses financements comme certains banquiers ont eu le tort de le faire.

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Merci beaucoup, madame, monsieur, de cette excellente contribution à notre réflexion.

L'audition prend fin à onze heures trente-cinq.