La séance est ouverte à 16 heures 20.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation procède à l'audition de Mme Françoise Laurant, présidente de la commission « Santé, droits sexuels et reproductifs » du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), ancienne présidente nationale du planning familial, et de Mme Claire Guiraud, responsable des études et de la communication, chargée du suivi de la commission, sur l'accès à l'IVG et la contraception.
Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. En avril 2013, la ministre des droits des femmes, préoccupée par les disparités régionales dans l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et par les faiblesses de l'information publique dans ce domaine, alors que les sites anti-IVG proliféraient sur Internet, a demandé au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes une étude à ce sujet.
Après un premier volet concernant l'information sur l'IVG sur Internet, en septembre, le Haut Conseil a remis à la ministre, en novembre 2013, un rapport relatif à l'accès à l'IVG dans les territoires, contenant 34 recommandations. Notre Délégation entend poursuivre les travaux engagés par Mme Ségolène Neuville, qui avait été désignée rapporteure sur l'accès à la contraception et à l'IVG. Aussi, je vous saurais gré de commenter celles des recommandations contenues dans le rapport que vous jugez les plus importantes, de nous dire lesquelles ont déjà été suivies d'effet et quelles difficultés persistent, 40 ans après le vote de la loi Veil.
Je vous remercie à mon tour ; en voulant nous entendre, vous témoignez de l'intérêt que vous portez à nos travaux. Certaines des recommandations que nous avons rédigées supposent des mesures législatives, d'autres relèvent de politiques nationales ou de stratégies des agences régionales de santé (ARS) ; certaines, enfin, supposent des financements.
Nous les avons classées en quatre chapitres. Le premier a une forte portée symbolique, puisqu'il tend à faire de l'IVG un droit à part entière. De fait, à ce jour, l'IVG n'est pas considérée de cette manière en France : on accepte de répondre à la demande des femmes qui veulent exercer ce droit mais on leur fait comprendre qu'il serait mieux qu'elles ne le demandent pas. Aussi, la première de nos recommandations était de remplacer, dans l'article L. 2212-1 du code de la santé publique, la phrase : « La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l'interruption de sa grossesse », par la phrase : « La femme qui ne souhaite pas poursuivre une grossesse peut demander à un-e médecin de l'interrompre ». Grâce à vous, cette disposition à grande valeur symbolique a été adoptée lors de l'examen de la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes ; nous vous remercions d'avoir tenu compte de nos travaux, comme vous l'avez fait en élargissant à l'entrave à l'information le champ d'application du délit d'entrave à l'IVG.
De nouvelles modifications législatives seront nécessaires pour que certaines autres recommandations puissent être suivies. Ainsi de la deuxième, qui est de supprimer l'obligation du délai de réflexion de 7 jours prévu entre les deux premières consultations nécessaires avec un médecin avant une IVG. Il ne s'agit pas de supprimer le délai de réflexion mais une obligation ressentie par les femmes comme infantilisante et qui, de surcroît, leur fait perdre une semaine. Les textes en vigueur prévoyant qu'en cas d'urgence, le délai de réflexion peut être ramené à 48 heures, on comprend que cette obligation faite aux femmes est de l'ordre du symbole, non une pièce maîtresse du dispositif.
De même, la troisième recommandation tend à supprimer de l'article L. 2212-8 du code de la santé publique, les dispositions relatives à la clause de conscience – une redondance, puisque le recours à cette clause est déjà accordé de manière générale à tout le personnel soignant pour l'ensemble des actes médicaux. Y insister dans cet article, c'est signifier que ce droit n'est pas un droit « normal ». En l'état, le projet de loi sur la santé ne dit mot à ce sujet.
Le deuxième chapitre contient des recommandations tendant à développer un dispositif public national d'information et de communication portant sur la sexualité, la contraception et l'avortement ; la région Île-de-France mène une campagne de ce type.
Le troisième chapitre vise au développement d'un accès simple à l'IVG. Si, au contraire des velléités qui se manifestent dans d'autres États européens, on imagine difficilement des tentatives visant à la remise en cause juridique de ce droit en France, l'accès à l'IVG demeure dans notre pays un parcours du combattant, parcours dont la difficulté a été renforcée par le regroupement des établissements hospitaliers, qui contraint certaines femmes souhaitant une IVG à se rendre à plus de 200 km de leur domicile. Le rétablissement de la proximité de l'accès à l'IVG nous est apparu comme une condition essentielle pour garantir à la fois l'égalité d'accès sur l'ensemble du territoire et les bonnes pratiques.
À cette fin, nous recommandons en particulier de permettre à des personnels de santé qualifiés, médecins ou non médecins – sages-femmes, infirmières, conseillers conjugaux et familiaux – de réaliser le premier rendez-vous et de délivrer la première attestation prévue par la loi. Au cours de ce rendez-vous, on explique aux femmes les méthodes d'IVG possibles et on répond à leurs questions ; or l'expérience montre que lorsqu'il a lieu avec un médecin, l'entretien ne dure parfois qu'une dizaine de minutes, mais une heure quand d'autres professionnels de santé sont à l'écoute. Outre cela, élargir le spectre des interlocuteurs autorisés par la loi à intervenir à ce stade permettrait de gagner entre 8 et 15 jours. La neuvième recommandation a donc une importance particulière.
La dixième tend en outre à permettre aux femmes majeures de remplir elles-mêmes l'attestation de première demande d'IVG dans le cas où elles éprouvent des difficultés à obtenir le premier rendez-vous. Nous nous sommes inspirés, pour cette proposition, de la loi en vigueur en Belgique, où l'on n'impose pas aux femmes un rendez-vous de ce type.
Mais pour raccourcir le parcours du combattant encore imposé aux femmes qui veulent une IVG, il faut faire davantage. En premier lieu, il faut restaurer l'activité d'IVG dans les établissements de santé dans lesquels elle a été arrêtée soit à la suite de la restructuration des hôpitaux et en particulier des maternités, soit par fermeture. C'est l'objet de la onzième recommandation, par laquelle nous demandons, au minimum, l'instauration d'un moratoire sur les fermetures de centres IVG et le respect de l'article R. 2212-4 du code de la santé publique qui impose la pratique de l'IVG à tous les établissements disposant d'un service de gynécologie ou de chirurgie. De telles dispositions ne sont pas d'ordre législatif : elles relèvent de la politique de santé, et donc des ARS. Ainsi, s'il est un centre emblématique qui n'aurait pas dû arrêter l'activité IVG alors même que nous poursuivions nos travaux, c'est celui de la maternité des Lilas, en banlieue parisienne.
Il ne déménage plus, certes, mais les financements continuent de manquer ! Nous tenions à défendre les établissements innovants et respectueux des femmes. Certaines ARS, ayant lu notre rapport, ont dressé la liste des centres IVG qui ont fermé et des établissements qui n'exercent plus l'activité depuis longtemps alors même qu'ils ont un service de chirurgie ou une maternité, pour essayer de les convaincre de la reprendre ; mais les choses ne se feront pas du jour au lendemain.
Dans la même perspective, la treizième recommandation tend à permettre l'IVG par aspiration, sous anesthésie locale, dans les centres de santé, les centres de planification ou d'éducation familiale (CPEF) et les maisons médicales pluridisciplinaires. Cette possibilité existe en Belgique – et dans un rapport consacré à l'application de la loi du 4 juillet 2001, l'IGAS soulignait la nécessité de se référer aussi aux procédures suivies à l'étranger. Ce système suppose bien sûr l'intervention de médecins spécifiquement formés à ce geste.
La vingt-troisième recommandation est d'appliquer la prise en charge à 100 % de l'IVG à tous les actes qui lui sont associés, telle l'échographie de datation. La question est d'une particulière importance car le non-remboursement intégral des examens complémentaires pose de graves problèmes aux mineures qui ne peuvent se confier à leur famille, ainsi qu'aux femmes défavorisées.
Le quatrième chapitre du rapport traite de la gouvernance aux niveaux national et régional.
Au plan national, il convient de créer un « Plan national sexualités-contraception-IVG », en l'absence duquel les progrès seront lents. Un programme de santé publique de ce type, comme il en a été défini un pour lutter contre le cancer, devrait annoncer une stratégie et décrire les financements qui lui sont associés – y compris les moyens existants. Cette mesure, qui fait l'objet de la vingt-cinquième recommandation, relève de la loi.
La vingt-sixième recommandation tend à la création d'un Observatoire national sexualités-contraception-IVG ; la vingt-neuvième détaille l'ensemble des données nécessaires au suivi et à l'évaluation de la prise en charge de l'IVG. L'appareil statistique actuel est, pour le moins, rudimentaire. Le recueil de certaines données a même été supprimé – ainsi du délai qui court entre le premier et le deuxième rendez-vous – et certaines questions sont omises : ainsi, on est incapable de déterminer si les méthodes d'IVG utilisées correspondent effectivement aux demandes exprimées.
Par la trente-et-unième recommandation, nous invitons le Parlement à inscrire l'accès à l'IVG dans son programme d'évaluation des politiques publiques.
Au plan régional, la trente-deuxième recommandation tend à ce qu'il soit exigé des ARS l'inscription de l'activité IVG dans les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) qui les lient aux établissements de santé. Cette activité figure actuellement dans très peu de CPOM, même lorsque les établissements ont un service de gynécologie-obstétrique.
La trente-troisième recommandation tend à la création, sur le modèle des anciennes commissions régionales de la naissance, de « commissions régionales sexualités-contraception-IVG » indépendantes de l'administration, où siégeraient des représentants des associations et des professionnels et où les femmes pourraient dire ce qu'elles pensent. Cet outil de coordination régional permettrait le suivi attentif de l'activité IVG.
Telles sont les principales recommandations qui figurent dans le rapport. Le ministère n'a pas encore apporté de réponse, mais peut-être l'anniversaire de loi Veil lui en donnera-t-il l'occasion. Toutefois, les ARS ont eu à connaître du rapport et l'ARS d'Île-de-France a défini un projet régional destiné à favoriser la réduction des inégalités d'accès à l'avortement, dit programme FRIDA.
Je traiterai ultérieurement de notre étude en cours sur la contraception. Le Haut Conseil s'est autosaisi de ce sujet qui implique l'éducation à la sexualité à l'école et hors l'école – et c'est tout sauf facile.
Dans le cadre de l'examen du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, nous ne sommes pas revenus sur la référence expresse à la clause de conscience concernant l'IVG pour ne pas donner à penser que nous la supprimions, tout en la sachant redondante avec d'autres dispositions.
On sait qu'en matière de santé les femmes consultent davantage que les hommes les sites électroniques. Le site www.ivg.gouv.fr est à présent installé. Quel jugement portez-vous sur son fonctionnement et son utilité ?
Ce site reprend le chapitre consacré à l'IVG qui figure sur le site du ministère de la santé. Au moins dispose-t-on maintenant d'une réponse publique officielle aux questions que se posent les femmes, mais le référencement du site sur les moteurs de recherche dépend du volume de consultation, et l'on constate des disparités régionales ; dans la région Rhône-Alpes par exemple, c'est toujours le site ivg.net qui apparaît en premier. La création du site n'a pas encore produit tous ses effets. Or les sites anti-IVG ne donnent d'information ni sur la procédure à suivre, ni sur les lieux où se rendre, ou bien ils procurent des renseignements délibérément faux ; de plus, les femmes qui appellent les numéros de téléphone indiqués trouvent des interlocuteurs chaleureux. C'est pourquoi nous appelions à la création d'un numéro de téléphone national d'information à quatre chiffres, anonyme et gratuit, renvoyant vers les plateformes téléphoniques régionales. Le Planning familial a pour projet d'en créer un.
Par ailleurs, la veille et l'animation du site www.ivg.gouv.fr restent à parfaire : la référence à la « situation de détresse » est demeurée après que la loi en a disposé autrement, et la liste des numéros de téléphone des CPEF n'est pas à jour.
Nous appellerons l'attention du ministère sur l'animation du site. La douzième recommandation du rapport souligne la nécessité de faire respecter l'article R. 2212-4 du code de la santé publique disposant que tous les établissements doivent pratiquer l'IVG, et ce jusqu'à 12 semaines de grossesse. Pourquoi cette insistance ?
Parce que de nombreux établissements, n'appliquant pas la loi de 2001, n'interviennent pas au-delà de 10 semaines de grossesse, et même de 9 semaines à Vienne, dans l'Isère. Cela a pour résultat que des femmes doivent aller à Lyon ou à Grenoble. Cela exaspère les établissements grenoblois.
L'inégalité d'accès à l'IVG selon les territoires est impressionnante. Le rapport fait état de ce que 5 % des établissements publics et 48 % des établissements privés pratiquant l'IVG, soit plus de 130 établissements, ont fermé entre 2000 et 2011. Comment expliquer cette évolution ?
Pour les établissements privés, ce mouvement s'explique par une rentabilité de l'activité jugée insuffisante. Les établissements publics ont quant à eux réduit le nombre des IVG pratiquées en raison de la faiblesse du forfait, à comparer à la tarification des fausses couches spontanées. La revalorisation récente du « forfait IVG » a légèrement détendu la situation, mais tout n'est pas réglé. Ainsi, lorsque le forfait était bas, les établissements hospitaliers parisiens disaient aux femmes de faire tous examens et analyses hors l'hôpital ; après que le forfait IVG a été augmenté, certains hôpitaux n'y ont pas réintégré l'ensemble de ces actes, comme ils le devraient. Dans les grands établissements hospitaliers, ce sont les services financiers qui traitent avec l'assurance maladie, et certains ne sont pas au courant. C'est à l'ARS qu'il revient de faire savoir exactement ce qui est pris en charge dans le cadre du forfait. En bref, la diminution de l'activité IVG est sans doute due à une question financière.
La carte qui figure en page 53 du rapport indique la part d'IVG médicamenteuses en ville par rapport au nombre total d'IVG pratiquées par région. Comment s'expliquent les grandes disparités relevées ?
Les médecins libéraux doivent être volontaires, formés et agréés. Ceux-là sont rares. De plus, certains gynécologues ne se font agréer que pour pouvoir pratiquer une IVG médicamenteuse au cas où l'une de leurs patientes habituelles le leur demanderait, mais ils n'en font pas d'autres.
Seriez-vous favorable à l'allongement du délai autorisé pour pratiquer une IVG médicamenteuse en ville ?
Oui : il devrait être aligné sur le délai autorisé en établissement de santé.
Les motivations, et donc les pratiques, varient. Dans une grande ville, une jeune Maghrébine demandera une IVG médicamenteuse en pensant, à tort, qu'elle pourra ainsi avorter chez elle sans que personne ne se rende compte de rien. Si elle se rend dans un centre de planification, on lui expliquera pourquoi mieux vaut pour elle l'hôpital que cette solution ; un médecin de ville pourra le lui dire aussi, mais l'on ne sait rien de ce qui se dit dans un cabinet libéral.
Le ministère favoriserait-il le développement de l'IVG médicamenteuse en ville ? Cela doit-il être encouragé ou doit-on voir là un risque pour la santé des femmes ?
Dès l'origine, le ministère a poussé à l'IVG médicamenteuse, mais pas forcément à l'hôpital.
Le tableau figurant en page 49 du rapport montre que les IVG médicamenteuses représentaient, en 2012, 55 % du total des IVG.
C'est que cela coûte moins cher qu'une IVG chirurgicale. Puisque le délai autorisé est court, davantage d'IVG médicamenteuses seraient pratiquées en ville, dans les zones éloignées des hôpitaux, s'il y avait plus de médecins installés en cabinets libéraux ; mais un médecin de campagne isolé ne se lancera pas seul dans cette activité. Un peu plus d'IVG médicamenteuses seraient peut-être pratiquées en zones rurales s'il existait des réseaux permettant aux médecins de se former. Je ne pense pas que le ministère cherche à ce qu'il y ait davantage d'IVG médicamenteuses en ville.
Toutes signalent la disparité de l'offre de soins, qui dépend du contexte local. Ainsi, pendant certaines périodes, les IVG médicamenteuses représentent 50 % du total des IVG dans l'Ain ; pourquoi cela ? Parce que les anesthésistes ne veulent pas faire les IVG chirurgicales. On note toutefois une tendance à l'uniformisation des pratiques.
Il n'a pas de méthode idéale, et beaucoup dépend de la manière dont la femme est reçue, si bien que le choix de la méthode dépend plus du professionnel de santé que de la femme. Si l'IVG médicamenteuse est correctement expliquée et faite en établissement de santé, les femmes ne seront pas effrayées comme elles risqueront de l'être si elles se trouvent seules chez elles pour subir une épreuve terrible sur les plans psychologique et physique. Étant donné l'évolution défavorable de la démographie médicale, même s'ils le souhaitent, les médecins n'ont plus le temps de parler avec les femmes. Enfin, certains médecins choisissent de réserver cette possibilité à leur patientèle.
Pour ces raisons, il me semble pertinent d'élargir aux sages-femmes l'autorisation de pratiquer les IVG médicamenteuses – tout en conservant une clause de conscience explicite pour ne pas susciter de réactions adverses.
Mais, vous le savez, la clause de conscience est générale, et elle demeure. En raison d'un blocage imputable à l'Ordre des médecins, la liste des médecins de ville habilités à pratiquer une IVG médicamenteuse n'est pas connue, alors que la loi avait prévu qu'elle le soit. Or les textes ne disposent pas qu'une IVG médicamenteuse puisse être faite à domicile par n'importe quel médecin ; autant dire qu'une sérieuse dose d'obstination est requise pour en trouver un qui le fasse.
D'autre part, les femmes doivent, en théorie, pouvoir prendre une décision éclairée et demander à ce que l'on suive la méthode d'IVG qu'elles ont choisie. Mais cela se passe rarement ainsi, faute que toutes les méthodes soient disponibles. Cela pose un gros problème quand on essaye d'expliquer à une femme qui réclame une IVG médicamenteuse ce qui est possible pour elle et ce qui ne l'est pas. L'IVG médicamenteuse ne devrait pas être présentée comme une panacée, mais les femmes auxquelles elle convient devraient pouvoir la choisir. Or les regroupements d'établissements hospitaliers ont eu pour conséquence l'allongement des files d'attente, si bien que le délai de neuf semaines de grossesse est souvent dépassé. Il en résulte que ces femmes doivent recourir à une IVG chirurgicale alors même qu'elles avaient entrepris la procédure à temps pour pouvoir choisir une IVG médicamenteuse en établissement hospitalier.
Selon vous, l'important allongement des files d'attente est-il dû à un engorgement réel ou est-il volontaire ?
Il arrive que certains secrétariats d'établissements hospitaliers indiquent aux femmes que l'on ne peut les accueillir, et leur suggèrent de se rendre en Espagne…
Est-ce faute de disponibilités ou parce que ces établissements ne veulent pas faire d'IVG ?
Nous ne sommes pas dans le secret des dieux… Cela peut être parce que des médecins sont en vacances et qu'ils ne sont pas remplacés.
Le nombre de praticiens hospitaliers qui pratiquaient des IVG est en chute libre. Dans le département des Ardennes, il n'y a plus de gynécologue libéral et il est impossible d'obtenir un rendez-vous à l'hôpital sans attendre des semaines et parfois des mois. Dans ce contexte, l'éventualité d'une urgence devient très préoccupante, y compris quand il s'agit d'accéder à une IVG. Le problème ne fera que s'aggraver avec les départs à la retraite des gynécologues-obstétriciens dans les cinq ans à venir, les plus jeunes n'ayant pas la même sensibilité que leurs aînés à ces problèmes.
Les gynécologues-obstétriciens militants sont, me semble-t-il, partis à la retraite il y a un certain temps déjà. Il n'en reste pas moins que la chute du nombre de gynécologues exerçant en ville est impressionnante.
Les premiers militants sont certainement tous morts ! Depuis lors, la profession s'est fortement féminisée, et les médecins qui pratiquent les IVG en établissements hospitaliers le font bien souvent en qualité de vacataires si médiocrement rémunérés que cela en est dissuasif. Aussi recommandons-nous de revoir et d'unifier le statut des praticiens extérieurs travaillant dans les établissements de santé publics et de ne pas leur imposer de seuil de temps de présence minimal. Rien ne justifie que ces vacataires travaillent presque gratuitement. Certains médecins généralistes veulent répondre aux besoins de leurs patientes, dont l'IVG. Ils ne veulent pas cantonner leur exercice à cela, mais ils seraient disposés à faire des vacations. La très inquiétante diminution de l'offre de soins impose donc aussi de revoir la rémunération des praticiens.
La féminisation de la profession a-t-elle un effet favorable ou défavorable à l'IVG ? Cela a-t-il des conséquences idéologiques perceptibles ? Le discours de certains médecins est très défavorable à l'IVG.
Beaucoup de ceux qui se sont battus jadis en faveur de l'IVG culpabilisent les femmes au motif qu'elles n'utiliseraient pas de moyens contraceptifs. Le personnel médical et paramédical méconnaît le fait que deux tiers des femmes qui demandent une IVG utilisent une méthode contraceptive théoriquement efficace – si ce n'est qu'une enquête menée par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) fait état de bien des pilules oubliées…
Aux pilules oubliées s'ajoutent les effets des interactions médicamenteuses et le fait que l'efficacité des micropilules n'est pas de 100 % si elles ne sont pas absorbées avec une régularité de métronome.
Les médecins qui prescrivent des traitements destinés à soigner des maladies chroniques veillent à décrire leurs effets secondaires ou à mettre en garde contre un oubli. C'est rarement fait pour la contraception orale. De plus, l'idée que l'on se fait généralement d'un médicament est que son effet dure un certain temps après qu'il a été ingéré. Or, en matière contraceptive, un oubli a des effets graves, et il n'est pas certain que toutes les femmes en aient conscience. Tout le monde ne peut informer sur la contraception, ni même tout médecin.
Il résulte de tout cela que le taux d'IVG est stable en France, et même en progression chez les plus jeunes.
La légère progression à laquelle vous faites allusion a été attribuée à la polémique relative aux pilules de troisième génération, certains médecins ayant dit à leurs patientes d'arrêter ce traitement sans leur proposer de contraception alternative. Mais la courbe a de nouveau baissé.
Parce qu'il s'agit d'organiser des campagnes d'information visant à faire évoluer les mentalités.
J'en viens à nos travaux en cours relatifs à la contraception, car le droit à la contraception ne peut être séparé du droit à l'IVG : ce sont deux facettes du droit à disposer de son corps. La France est l'un des pays les plus « contraceptés » du monde, mais les méthodes utilisées ne sont pas forcément bien adaptées à chaque femme ; c'est fâcheux. De plus, dans certaines zones géographiques et pour certains groupes de population, l'accès à la contraception est mauvais. L' INPES est beaucoup intervenu à ce sujet depuis 2008, en lançant des campagnes successives, mais le message à faire passer est compliqué : il s'agit de faire comprendre que la liberté sexuelle s'accompagne de contraintes. Ce n'est pas sur le plan de la réduction des risques que l'on doit se placer mais sur le plan de l'éducation à la sexualité, pour favoriser la santé sexuelle telle que définie de manière positive par l'OMS en 2006.
Autrement dit, en cette matière, on a besoin de médecins car de nombreuses méthodes contraceptives demandent des connaissances ou des gestes médicaux, mais tout commence par le choix d'avoir recours à la contraception. L'important est donc de sensibiliser à la contraception. Pour les jeunes, cela doit se faire à l'école et hors l'école ; pour les immigrants, des politiques spécifiques sont nécessaires, qui peuvent commencer à leur arrivée sur le territoire.
Le dispositif repose sur les centres de planification créés par la loi Neuwirth de 1967. Ils ont été conçus pour permettre la délivrance de conseils par des médecins compétents en cette matière – lesquels, à l'époque, n'étaient pas nombreux. Mais aussitôt supprimée l'obligation d'autorisation parentale pour venir consulter et instaurée la gratuité des consultations, ces centres se sont très vite tournés vers les jeunes, si bien que de fait, les centres de planification et d'éducation familiale (CPEF) forment le socle de la diffusion de la contraception – car l'assurance maladie ne rembourse pas tous les contraceptifs.
Les pratiques diffèrent beaucoup selon les conseils régionaux, qui ont la compétence légale à ce sujet. L'ennui est que, contrairement à ce qui vaut pour les centres de protection maternelle et infantile (PMI), la loi n'établit pas quel doit être le nombre de CPEF par département ; il en résulte que, dans un département donné, il peut n'y avoir qu'une vacation de planification des naissances par semaine… La première mesure à prendre devrait être de définir un nombre de consultations de PMI et un nombre de vacations de planification des naissances en tous lieux. Ces vacations sont gérées par les hôpitaux, les communes et, pour 10 %, par les associations, dont beaucoup par le Planning familial. Mais la plupart des CPEF sont rattachés à une administration et fonctionnent de manière… administrative.
Cet enchevêtrement fait aussi que de nombreuses femmes confondent CPEF et Planning familial.
En 1956, Mme Lagroua Weill-Hallé, docteur de profession, créait l'association « La Maternité heureuse », devenue en 1961 le Mouvement français pour le planning familial, terme qui a ensuite été repris dans la loi Neuwirth.
La très forte diversité des politiques régionales entraîne de grandes inégalités d'accès à la contraception – certains départements ne comptent qu'un seul CPEF. Sous la pression des associations, beaucoup de régions ont créé des Pass contraception, dispositifs qui permettent l'accès à une contraception gratuite. Selon les cas, ces Pass permettent l'accès à tous les contraceptifs, ou seulement à ceux que rembourse l'assurance maladie : ce qui n'était pas une compétence locale l'est devenu. Je souligne pour finir qu'il convient aussi de mobiliser les hommes sur la contraception.
En matière de contraception, le discours, pour être compris doit être simple, clair, et le même en tous lieux. De plus, on n'est pas encore parvenu à l'anonymat complet, puisque même en cas de tiers payant, les courriers de l'assurance maladie arrivent chez les parents des mineures, ce qui est dangereux pour certaines. Nous reparlerons de ces questions lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
J'ai envoyé à tous les pharmaciens de ma circonscription un questionnaire leur demandant s'ils connaissaient l'existence de ce dispositif. Vingt pour cent d'entre eux m'ont répondu ; il ressort de leurs réponses que la plupart ne sont pas au courant, et très peu nombreux sont ceux qui délivrent des contraceptifs aux mineures.
Madame, je vous remercie pour ce travail approfondi, qui me permet de réaffirmer toute l'utilité du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.
La séance est levée à 17 heures 45.