COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 12 mai 2015
Co-présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la commission et de M. Jean-Paul Émorine, Vice-président de la Commission des affaires européennes du Sénat
La séance est ouverte à 18 heures
Audition de M. Carlos Moedas, Commissaire européen en charge de la recherche, de la science et de l'innovation, conjointe avec la commission des Affaires européennes du Sénat
Nous accueillons aujourd'hui M. Carlos Moedas, commissaire européen en charge de la recherche, de la science et de l'innovation.
Vous êtes, monsieur le commissaire, en charge d'un domaine essentiel pour l'avenir de l'Union européenne, d'abord sur le fond – pour nous rendre collectivement aptes à relever les défis économiques, environnementaux et sociaux de demain – , mais aussi comme vecteur de notre volonté d'aller plus avant dans l'Union politique de l'Europe.
Je suis en effet convaincue que le domaine de la recherche et de l'innovation est l'un de ceux où la « valeur ajoutée » européenne est la plus forte et où l'intérêt général européen devrait nous inciter à mutualiser davantage les efforts de recherche nationaux, qui restent encore trop dispersés. C'est une voie indispensable, mais difficile et de longue haleine.
En termes de moyens, l'effort européen de recherche reste encore globalement insuffisant. Nous sommes loin d'atteindre les fameux 3 % fixés par la stratégie de Lisbonne et l'agenda Europe 2020. Merci de nous préciser où nous en sommes à cet égard.
Nous serons par ailleurs intéressés à ce que vous évoquiez le programme Horizon 2020, huitième programme-cadre de recherche. Quels enseignements peut-on déjà tirer de sa mise en oeuvre ?
Notre commission avait à ce propos, en avril 2013, sur la proposition de ses rapporteurs, Jacques Myard et Audrey Linkenheld, adopté des conclusions, soulignant en particulier quatre points.
Premièrement, l'importance cruciale d'un maintien des crédits européens distribués aux laboratoires de recherche. À cet égard, nous sommes inquiets de voir que le financement du plan Juncker empiète sur les crédits de recherche de l'Union, en prévoyant un prélèvement de 2,7 milliards d'euros sur le programme Horizon 2020. Pour reprendre les inquiétudes exprimées par la communauté des chercheurs européens, notamment celles d'une vingtaine de Prix Nobel, ne craignez-vous pas qu'une telle coupe budgétaire n'envoie un message négatif aux chercheurs du monde entier qui souhaiteraient s'installer en Europe ? Pouvez-vous nous rassurer à cet égard ?
Deuxièmement, la nécessité de faire prévaloir l'intérêt européen des programmes de recherche dans les critères de sélection, plutôt que des critères de cohésion territoriale ou d'équilibre géographique. Que peut-on dire à cet égard ?
Troisièmement, l'importance du continuum recherche-innovation et la nécessité de promouvoir la mise sur le marché des produits développés, notamment lorsqu'elle implique des petites et moyennes entreprises (PME). A-t-on progressé dans ce sens ?
Quatrièmement, l'impératif d'une simplification des règles de participation aux programmes, en évitant la surcharge des démarches administratives. Là encore, est-ce que ce qui a été affiché comme une priorité du programme Horizon 2020 a permis effectivement de faire progresser les choses ?
Pouvez-vous également nous indiquer les actions engagées pour renforcer « l'espace européen de la recherche », en particulier pour faciliter la mobilité des chercheurs ?
Par ailleurs, notre commission est très attachée à ce que l'expertise fournie à la Commission européenne en matière scientifique soit réellement indépendante. Peut-on dire à présent que cette expertise satisfait pleinement à cette exigence ? Quelles mesures avez-vous engagé à cet égard, notamment pour éviter les conflits d'intérêt ?
La lettre de mission que vous avez reçue du président Juncker souligne que la recherche doit être pleinement au service des priorités stratégiques de l'Union. Merci de nous préciser comment votre action notamment prend en compte la priorité que constitue la lutte contre le changement climatique et la transition énergétique.
Votre lettre de mission souligne également l'importance d'une bonne articulation de votre action avec la nécessaire relance de l'investissement en Europe, au service de l'emploi. Nous serons intéressés à ce que vous puissiez nous donner des précisions à cet égard, s'agissant de deux points en particulier.
D'abord, le financement de la recherche fondamentale. On le sait, elle attire peu les financements privés car son retour sur investissement est difficile à évaluer. Ces investissements privés sont pourtant la cible du plan d'investissement financé par le Fonds européen d'investissement stratégique (FEIS). N'y a-t-il pas un véritable risque que les projets qui se rapportent à la recherche fondamentale soient peu nombreux à être sélectionnés pour bénéficier de ce fond ? Comment s'assurer que de tels projets y seront éligibles et pourront attirer des financements privés ?
Deuxième point : la sélection des projets. Ceux-ci, qui pourront bénéficier du fonds d'investissement, seront sélectionnés par un « comité d'investissement », composé d'un directeur, d'un directeur-adjoint et de six experts « indépendants ». Afin de s'assurer que des projets de recherche soient sélectionnés, y aura-t-il des experts de la recherche et de l'innovation au sein de ce comité ?
Monsieur le commissaire, nous vous remercions très sincèrement d'avoir répondu à notre invitation. Nous souhaitons avoir des contacts très réguliers avec les commissaires européens. Le président Juncker en a fait un axe important des méthodes de travail de la nouvelle Commission et nous nous en félicitons. La recherche, la science et l'innovation sont des enjeux majeurs. C'est grâce à elles que l'Europe pourra relever les défis de l'avenir. C'est pourquoi nous sommes très intéressés de vous entendre sur vos priorités.
L'adoption du huitième programme-cadre de recherche pour 2014-2020, baptisé « Horizon 2020 », a marqué une évolution avec le précédent. Il affiche une volonté de lier désormais la recherche à l'innovation.
Je relève, par ailleurs, que lors des difficiles négociations sur le cadre financier pluriannuel, le budget d'Horizon 2020 a été relativement préservé.
Le septième programme-cadre de recherche et développement technologique (PCRD), pour la période 2007-2013, avait fait l'objet de critiques. Il était apparu trop compliqué aux chercheurs d'obtenir des fonds européens. Cela s'est avéré particulièrement pénalisant pour les petites entités de recherche, les petits laboratoires n'ayant pas les moyens techniques et matériels de monter des dossiers. Quelles conclusions la Commission européenne a-t-elle tiré de la mise en oeuvre de ce septième PCRD ? Quelle a été la participation de la France ?
Par ailleurs, l'architecture du nouveau programme est bâtie autour de trois priorités : conforter l'excellence scientifique européenne, assurer la primauté industrielle de l'Europe dans le monde et répondre aux défis de société. À cela s'ajoute une volonté de simplifier l'accès aux financements et de mieux coordonner les niveaux nationaux et européen. De manière générale, cette volonté de simplification est au coeur des préoccupations de la nouvelle Commission. Mais, on le sait, elle est toujours compliquée à mettre en oeuvre ! Comment comptez-vous vous y prendre ?
Au-delà, nous souhaitons savoir comment se passent les débuts d'Horizon 2020. Les premiers financements ont-ils été versés ? Quel est le rang de la France parmi les pays innovants en Europe et dans le monde ?
Enfin, une polémique est née lors de la présentation du plan Juncker pour l'investissement qui, bien qu'apportant des financements complémentaires, prévoyait d'affecter 2,7 milliards d'euros d'Horizon 2020 au fonds de garantie du FEIS. Cela a créé une grande inquiétude des chercheurs et une opposition du Parlement européen. Où en est-on sur ce point ?
C'est pour moi un honneur et un plaisir d'être ici, ayant vécu dans votre pays – qui est un peu le mien – pendant cinq ans et ayant épousé une Française.
Depuis le début de la nouvelle Commission, le président Juncker et le vice-président Timmermans ont toujours insisté pour renforcer notre dialogue avec les parlements nationaux. Et, depuis le 1er novembre, nous avons eu ainsi plus de soixante visites et réunions avec des représentants de ces parlements.
Je vais vous faire part de mes priorités pour les cinq prochaines années.
La première priorité pour la recherche, la science et l'innovation ne repose pas sur celles-ci, mais sur l'ensemble des secteurs – ce que j'appelle les conditions nécessaires à l'innovation et la science. Nous avons en effet en Europe des pays ayant des investissements similaires dans ces domaines mais avec des résultats très différents. Avant de penser à l'investissement, il faut avoir un marché qui fonctionne et suscite celui-ci. Cela suppose un marché du travail efficace, un marché des marchandises souple et un système judiciaire réactif. Ma première mission est de voir avec mes collègues comment faire pour que ces conditions soient remplies.
Dans une économie numérique, où la vitesse est si importante, un entrepreneur voulant monter une entreprise dans un pays européen doit savoir qu'il a un accès immédiat à tout le marché européen, sans barrière. Beaucoup d'innovateurs me disent en effet qu'ils quittent l'Europe parce qu'il y a trop de barrières.
Il nous faut donc avoir un véritable espace européen de la recherche. Cela implique de connaître les « agendas » nationaux de recherche et d'éviter certains doublons – bref, une politique d'harmonisation de ces « agendas ».
Il faut aussi que le recrutement des universités soit totalement transparent au niveau européen. Nous devons attirer des personnes de tout le continent pour travailler.
Par ailleurs, il convient de respecter une parité entre les hommes et les femmes dans la recherche, la science et l'innovation. Si presque 40 % de nos chercheurs sont des femmes, celles-ci représentent à peine 10 % des recteurs et des directeurs d'université. On ne peut continuer à se priver de tant de talents. À la Commission européenne, nous souhaitons donner l'exemple et qu'il y ait, dans chaque panel d'experts, au moins 50 % de femmes. D'ailleurs, quand je suis invité à parler en public dans des panels où il n'y a pas de femmes, j'hésite à y aller.
Deuxième priorité : la mise en oeuvre d'Horizon 2020. Nous avons le plus grand programme de recherche et d'innovation du monde. Mais il me faudra m'assurer dès les premières années que son architecture générale est pertinente. Il conviendra de voir notamment si l'important travail de simplification entrepris lors du précédent programme devra être poursuivi. Il s'agit d'un processus continu et je pense que je vais lancer un deuxième groupe de réformes à cet égard.
Je rappelle qu'on finance des projets à 100 % dans les domaines de la science pure et à 70 % pour les actions d'innovation. Nous avons un critère clair pour prendre en compte les coûts indirects et le programme a été globalement simplifié.
Quatre secteurs d'avenir – faisant le lien entre le monde physique et l'évolution du monde numérique – me paraissent devoir concentrer nos efforts : l'alimentaire, l'eau, l'énergie et la santé.
La transformation du monde numérique est partout. J'ai vu par exemple récemment dans un hôpital l'utilisation d'identificateurs sensoriels pour chaque patient, qui sont en communication avec le médecin et l'informent des cas où il doit aller voir ses malades – ce qui permet de sauver des vies. Le fait que les médecins soient ainsi amenés à débattre avec des ingénieurs, des physiciens ou des chimistes et à trouver des moyens de gérer toutes les données dont nous disposons changera le monde de la santé.
Nous voulons continuer à augmenter les investissements dans la recherche, l'innovation et la science. Nous avions jusqu'ici deux instruments à cette fin : les fonds structurels – dotés d'environ 100 milliards d'euros pour la recherche et l'innovation – et Horizon 2020 – doté de 80 milliards d'euros. Avec le plan Juncker, nous aurons un troisième instrument très important. Nous l'avions conçu au départ pour l'économie de la connaissance, la nouvelle économie et, comme l'a dit le président Juncker, pour que l'économie européenne prenne plus de risques. La question pour nous sera de savoir si on a pu accroître les fonds destinés à ce secteur – ce qui, à mon avis, sera le cas.
Troisième priorité : la science et la diplomatie. Nous sommes le porte-drapeau de la science dans le monde. Je le vois par exemple quand je discute avec des responsables politiques de l'Amérique latine.
Lorsque je suis allé voir par exemple il y a trois semaines en Jordanie un projet d'accélérateur de particules, qui est le seul au Moyen-Orient, je me suis assis autour d'une table avec des scientifiques israéliens, palestiniens, iraniens, pakistanais ou égyptiens, qui parlaient un langage commun : celui de la science. Cela me paraît très important.
Je travaille aussi à un projet intitulé PRIMA, pour la Méditerranée, sur le secteur alimentaire et l'eau, regroupant des États membres ainsi que des États tiers de la région. J'ai également signé un accord d'association avec l'Ukraine dans le cadre d'Horizon 2020 et nous travaillons beaucoup avec la Tunisie, à la fois pour des raisons scientifiques et politiques.
Nous avons, au sein des commissions de la culture et des affaires européennes du Sénat, beaucoup parlé de la mutation numérique qui touche tous les secteurs – j'ajouterais à ceux que vous avez cités celui de la mobilité. Or il nous semble que l'Europe est en déficit d'ambition politique sur le numérique. Comment catalyse-t-on l'industrie européenne dans ce domaine autour d'une véritable ambition affichée – ce qui suppose une réflexion sur l'investissement dans la recherche et le développement, mais aussi sur l'accompagnement de nos entreprises ? Comment fait-on émerger des clusters européens du numérique ? Comment travaillons-nous par exemple avec nos voisins allemands sur l'émergence d'un cloud européen, qui peut être nécessaire dans le cadre de la réflexion sur la protection des données ?
Par ailleurs, comment soutient-on davantage les innovations ? Comment garantit-on que l'écosystème permet aux acteurs européens d'exister en tant que tels et non d'être seulement des consommateurs du numérique ?
Il nous semble que l'Europe doit promouvoir aujourd'hui une stratégie beaucoup plus globale et offensive ainsi que l'émergence de champions européens, Internet étant devenu un terrain d'affrontement mondial. Quel travail transversal mènent les commissaires à cet égard ?
Merci, madame la présidente, d'avoir associé la Commission des affaires culturelles et de l'éducation à cette audition.
Monsieur le commissaire, la simplification des conditions de participation aux appels à projet européens a-t-elle eu des effets sur la participation des équipes de recherche à ces appels ? La réduction des financements étatiques consacrés à la recherche dans certains pays peut-elle avoir un effet sur le nombre des projets déposés ? Les PME sont-elles plus présentes dans ce huitième programme-cadre que dans le précédent ?
Je ne reviendrai pas sur l'inquiétude liée au prélèvement de 2,7 milliards d'euros sur Horizon 2020.
Pour accéder aux financements du plan Juncker, les universités devraient recourir à des emprunts. Or 75 % d'entre elles ne peuvent le faire. Comment doivent-elles procéder ?
La question s'est aussi posée d'un recours plus large des étudiants à des bourses par emprunt, ce qui nous conduirait à un monde vivant largement à crédit. N'est-ce pas une source de fragilité ?
Quel est votre avis sur le changement considérable lié à l'explosion des capacités de mémoire et de mise en relation, qui entraîne des mutations qualitatives comme quantitatives et une véritable transformation de la connaissance ?
Par ailleurs, prenez-vous en compte la dimension transnationale dans vos critères privilégiés ? Estimez-vous avoir un rôle d'incitation à la mutualisation de certaines ressources ?
S'agissant de l'articulation entre les actions privées et publiques, nous vivons dans un monde de court terme, où la pression financière et économique est majeure. Or l'articulation avec l'action publique, qui avait autrefois le souci du long terme, suppose un certain consensus politique. Comment voyez-vous le rôle de l'Europe à cet égard ? La pluriannualité vous paraît-elle être un critère majeur ?
Enfin, la géopolitique de la recherche doit-elle être variable en fonction des sujets, sachant que dans certains domaines, comme la défense, des mutualisations sont possibles ?
Quelle est votre position sur la ponction des crédits déjà évoquée sur Horizon 2020, en vue de garantir le plan Juncker – sachant qu'on peut craindre d'affecter à plusieurs objectifs différents le même argent ?
De plus, nous avons des craintes sur la composition du jury des futurs projets d'investissement. Quelle est l'articulation entre le jury prévu dans le cadre du plan Juncker et ceux qui existent déjà ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous en dire davantage sur l'articulation entre les fonds structurels et Horizon 2020 ?
Enfin, je suis chargée d'élaborer une communication sur le projet de directive européenne dite « secret des affaires ». Que pensez-vous de ce projet – qui pose des problèmes au regard de la liberté de la presse ou de la mobilité des travailleurs – , ainsi que de son calendrier, qui a été décalé ?
Au début de ce mois, l'Agence internationale de l'énergie a consacré un rapport à l'innovation technologique dans le domaine de l'énergie, faisant état d'un potentiel important et inexploité d'accélération de l'innovation dans les technologies de ce secteur. Le rapport souligne notamment un effort public insuffisant en faveur de la recherche et du développement en matière d'énergies propres, estimant qu'il devrait être multiplié au moins par trois.
Dans le huitième programme-cadre, la part des budgets concernant ces énergies est située dans le troisième pilier, consacré aux défis sociétaux, pour un montant d'un peu plus de 6 milliards d'euros sur sept ans. Ce montant est-il suffisant ?
S'agissant de la ponction sur Horizon 2020 précédemment évoquée, je crains que ce soit ce troisième pilier, qui est le plus novateur, qui en souffre. J'espère que la part consacrée aux énergies propres n'en sera pas affectée. Si c'était le cas, comment le plan Juncker pourrait-il tenter de décupler la recherche européenne dans ce domaine ?
Je salue d'abord la position courageuse que vous avez eue sur l'immigration.
Nous avons ici toujours soutenu que les contributions nationales avaient une limite, ne serait-ce que parce que l'Europe demande une réduction du périmètre d'intervention publique, ce qui est un peu contradictoire. Nous souhaitons avoir au contraire un budget européen alimenté par d'autres biais – nous nourrissons notamment de grands espoirs sur la taxation des flux financiers, considérant que ce budget n'est pas dimensionné à la hauteur de l'ambition qui doit être celle de l'Union européenne.
S'agissant du plan Juncker, les territoires sont fortement porteurs d'innovation, en particulier les régions. Mais certaines d'entre elles ont été assez déçues de ce plan et sont rétives dans le portage de projets d'innovation, faute de soutiens privés suffisants. Le partenariat public-privé (PPP) en France a en outre parfois des effets négatifs.
De plus, certaines PME ne réclament pas de fonds européens en raison de la lourdeur des dossiers administratifs.
Vous avez d'ailleurs récemment annoncé un partenariat avec la BPI pour soutenir les PME. Quelles en sont les modalités ?
Enfin, vous avez rencontré un fournisseur important en Chine sur l'Internet mobile et mis en avant les coopérations entre ce pays et l'Union européenne. Quelle est la nature de la collaboration que vous envisagez ?
L'union de l'innovation, déclinée au sein du programme Horizon 2020, identifie sept priorités pour soutenir le programme de la recherche, dont celle de la réévaluation des régimes de financement structurel et d'aide d'État, afin de donner un coup d'accélérateur à l'innovation. L'un des objectifs est de porter à 3 % la part du produit intérieur brut consacrée à la recherche et au développement, contre environ 2 % aujourd'hui. On estime que cela permettrait de créer environ 3,7 millions d'emplois supplémentaires et que le PIB annuel augmenterait de plus de 700 millions d'euros d'ici à 2025. Quelle est votre appréciation sur la trajectoire des budgets publics en faveur de la recherche et du développement au sein des États membres ces dernières années ?
Je me réjouis de votre présence, car le dialogue entre les parlements nationaux et l'Europe est insuffisant, ce qui engendre souvent une incompréhension des décisions prises au niveau européen et des attitudes électorales qui ne sont pas à la hauteur de ce que l'on peut attendre.
En quoi l'absence de femmes constitue-t-elle un handicap dans le progrès pour la recherche et l'innovation ? Y a-t-il, au-delà de l'objectif de parité, d'autres arguments légitimes faisant valoir ce que les femmes peuvent apporter dans ce domaine ?
Par ailleurs, l'Europe entend-elle privilégier la recherche fondamentale ou la recherche appliquée – ou aucune des deux ?
Enfin, entendez-vous plutôt privilégier des projets de recherche de niveau national ou le saupoudrage des crédits européens en faveur d'une multitude de projets régionaux ?
S'agissant de la santé environnementale, une étude de mars dernier a indiqué que les perturbateurs endocriniens coûtaient à l'Union européenne 157 milliards d'euros par an et une autre, publiée l'année précédente par une ONG, chiffrait à 636 milliards par an le coût des troubles immunodépendants. De fait, des besoins de recherche existent sur les risques des substances chimiques en matière de santé, mais aussi sur l'aide à la substitution pour les entreprises – innovations permettant de répondre à des enjeux de santé publique, mais aussi de compétitivité. Quels sont les outils scientifiques et financiers d'accompagnement des entreprises dans leurs démarches de substitution au niveau européen ? Quelle est la part du budget européen de la recherche consacrée aux substituts, que ce soit en matière cancérigène, de perturbateurs endocriniens ou de nanomatériaux ? Et quelle est la part dévolue spécifiquement aux perturbateurs endocriniens ?
La sécurité alimentaire et l'agriculture durable font partie des défis de société qu'entend relever le programme Horizon 2020. À ce titre, a été lancé en janvier 2015 à Paris l'accélérateur Climat-agriculture intelligent. Il vise à soutenir des technologies agricoles innovantes, notamment en encourageant le développement de technologies de l'information pour la production agricole européenne. Pouvez-vous nous en détailler le contenu, la durée, le déploiement, et nous donner d'autres exemples concrets de programmes de la Commission européenne en matière de recherche et d'innovation concernant l'agriculture, biologique notamment ?
Par ailleurs, l'évolution scientifique et technologique permet de doter la recherche d'outils et de moyens pour développer l'innovation et répondre aux quatre grands enjeux que vous avez évoqués. Parallèlement à l'expertise scientifique, ne faudrait-il pas davantage prendre en compte l'expertise de la pratique et de l'observation, afin de ne pas s'éloigner du bon sens et de la réalité ?
S'agissant de la science et de la diplomatie, se pose la question de la COP 21 – les quatre sujets prioritaires que vous avez évoqués recouvrant la question du changement climatique. Mais avant cette échéance, il y aura à Addis-Abeba la conférence sur le financement du développement et se posera la question des transferts de technologie. Avez-vous commencé à travailler sur cet objectif, qui est très sensible et important ?
Madame Morin-Desailly, nous avons demandé au vice-président Ansip de prévoir un objectif de cloud pour la science européenne dans le cadre du marché unique numérique. Nous avons d'ailleurs organisé une consultation publique qui a confirmé ce besoin pour les chercheurs.
Dans Horizon 2020, 8,6 milliards d'euros sont consacrés aux PME, dont 3 milliards dédiés à l'instrument PME, permettant d'accorder une aide de 50 000 euros pour développer un projet qui, s'il est mis en oeuvre, peut permettre d'obtenir un soutien de 2 à 3 millions d'euros.
Monsieur Ménard, nous continuerons à notre travail sur la simplification. J'en ai encore discuté hier à l'Institut Pasteur. Mais, comme nous avons eu beaucoup de demandes dans le cadre d'Horizon 2020, le taux de projets acceptés a baissé. Nous travaillons donc à ne pas décevoir nos interlocuteurs.
Madame Doucet, le prélèvement de 2,7 milliards d'euros représente 3,5 % d'un budget de 80 milliards d'euros. Nous avons fait en sorte que la recherche fondamentale contribue moins : le Centre européen de recherche et les bourses Marie Curie participent ainsi à hauteur d'1,5 %, contrairement aux piliers 2 et 3.
Par ailleurs, le plan Juncker s'appuie sur le triptyque argent public, argent privé, prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI). Mais cela ne veut pas dire que tous les projets feront l'objet d'un prêt, sachant que je sais les difficultés que les universités peuvent rencontrer à recourir à ce mode de financement.
S'agissant des bourses, j'ai moi-même bénéficié du système Erasmus, ce qui a changé ma vie. C'est pour moi le grand projet de la future génération, qui sera plus cosmopolite.
Monsieur Piron, la recherche scientifique est en effet un exercice de long terme. En 1992-1993, les Américains ont dépensé au Texas 2 milliards de dollars pour construire un accélérateur de particules, mais pour des raisons budgétaires, ils ont arrêté le projet, alors que nous, Européens, avons eu une vision politique qui a permis au CERN de monter son propre accélérateur de particules et d'aboutir à d'importantes découvertes. L'Europe a en effet deux qualités majeures, qu'il faut préserver : sa diversité et une vision qui s'inscrit beaucoup plus sur le long terme par rapport aux États-Unis.
Madame Linkenheld, je voudrais que les projets déclarés éligibles à Horizon 2020 que nous n'arrivons pas à financer fassent l'objet d'un traitement prioritaire pour bénéficier des fonds structurels.
Monsieur Gattolin, 80 % des 8 milliards d'euros consacrés à l'énergie doivent concerner des énergies renouvelables. Le plan Juncker jouera un rôle phare à cet égard. Je félicite d'ailleurs la France d'avoir eu le courage d'avancer sur le marché unique de l'énergie : il était essentiel que la péninsule ibérique ne reste pas isolée du reste du continent.
Madame Grelier, je vous remercie de votre soutien. L'immigration peut en effet être un facteur économique positif – on voit bien notamment combien elle a stimulé la croissance aux États-Unis.
Par ailleurs, le plan Juncker ne reposera pas sur des critères géographiques : on prendra les meilleurs projets. Mais je sensibiliserai le président de la Commission sur la question des régions.
Concernant le soutien aux PME, nous avons un instrument important appelé Innovfin, tendant à favoriser des prêts grâce à la BEI, pour un montant d'environ 3 milliards d'euros, pouvant avoir un impact de 50 milliards sur l'économie. Il s'agit d'une sorte de préfiguration du plan Juncker. La BEI a d'ailleurs lancé des projets dans les domaines de l'innovation industrielle et de la santé dans le cadre de ce plan.
Enfin, quand je reçois une entreprise d'un pays tiers, ma première mission est de « vendre » l'Europe, sachant que l'innovation résulte aussi de la coopération.
Monsieur Bleunven, j'ai vu les difficultés auxquelles les budgets nationaux de la recherche ont été confrontés lorsque je faisais partie du gouvernement portugais. Le budget européen apporte donc un complément salutaire, d'autant qu'une politique européenne dans la science et l'innovation a particulièrement du sens.
Monsieur Vasselle, un de mes professeurs aux États-Unis, qui a étudié pendant trente ans les effets de la diversité dans les entreprises ou les gouvernements, est arrivée à la conclusion scientifique que celle-ci, qu'elle soit religieuse, culturelle ou sexuelle, produit toujours des équipes donnant plus de résultats, même si les groupes plus divers mettent davantage de temps à se mettre en place. Je pense qu'une plus grande participation des femmes est positive pour l'innovation et la science – comme je défends aussi plus de diversité culturelle et religieuse.
De fait, la frontière entre recherche fondamentale et recherche appliquée est difficile à distinguer, chacune de celles-ci pouvant déboucher sur l'autre. Il nous faut défendre l'idée que l'Europe est le porte-drapeau de la science fondamentale, avec 30 % de la production scientifique. Ainsi, en France, 10 % des publications scientifiques font partie des 10 % les plus citées du monde. Cela étant, nous sommes moins bons sur la recherche appliquée.
Monsieur Roumegas, 7 milliards d'euros sont consacrés à la santé. S'agissant des perturbateurs endocriniens, je regarderai la question avec ma direction générale et reviendrai ensuite vers vous.
Monsieur Daniel, 60 % du budget d'Horizon 2020 concerne le climat et l'environnement. S'agissant de l'agriculture, je travaille avec mon collègue en charge de ce secteur pour voir comment y encourager la recherche. La génération des agriculteurs d'aujourd'hui considère en effet le numérique comme un outil de travail. C'est d'ailleurs pour nous une priorité : 4 milliards d'euros y sont consacrés dans Horizon 2020.
Enfin, madame la présidente, s'agissant de l'expertise scientifique, nous avons eu pendant la présidence de M. Barroso une personne en charge de ce sujet. Alors que nous avions jusqu'ici un modèle anglo-saxon, nous avons voulu voir comment font les autres pays. Nous trouverons demain un mécanisme garantissant que les décisions prises par la Commission feront l'objet d'une telle expertise.
Monsieur le commissaire, le plan Juncker constitue un investissement complémentaire puisqu'avec les effets de levier, nous devrions pouvoir atteindre au niveau européen 315 milliards d'euros d'investissement. La recherche et l'innovation sont par définition des secteurs à risque pour nos entreprises : l'intérêt de ce plan est d'apporter une garantie, à hauteur de 16 milliards d'euros, à laquelle il faut ajouter celle de la BEI, de 5 milliards d'euros. Mais, s'il est opportun de vouloir promouvoir l'économie numérique, celle-ci est souvent développée par des syndicats et des collectivités locales soutenues par l'État. Il faut donc trouver des mesures d'harmonisation au niveau européen pour que ces collectivités puissent bénéficier de ce plan. Nous avons d'ailleurs exprimé notre inquiétude à cet égard au Sénat au travers d'un avis politique et d'une proposition de résolution.
La séance est levée à 19 h 30