Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Réunion du 3 juillet 2014 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • cigarette
  • interdiction
  • tabac
  • tabagisme
  • vente
  • électronique

La réunion

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La séance est ouverte à onze heures dix.

Le Comité examine le rapport de MM. Denis Jacquat et Jean-Louis Touraine sur le suivi de l'évaluation des politiques publiques de lutte contre le tabagisme.

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L'article 146-3 du Règlement de l'Assemblée nationale prévoit que les rapporteurs du Comité d'évaluation et de contrôle (CEC) présentent un rapport de suivi de la mise en oeuvre de leurs conclusions, à l'issue d'un délai de six mois suivant la publication de leur rapport initial. C'est sur le fondement de cet article que nous allons aujourd'hui examiner le rapport de suivi de l'évaluation de la lutte contre le tabagisme qui nous avait été présentée en février 2013.

La ministre de la santé s'apprête à annoncer les mesures du nouveau plan national de réduction du tabagisme et finalise le projet de loi sur la santé. Ce rapport de suivi arrive donc à un moment particulièrement opportun.

Nos deux rapporteurs sont Jean-Louis Touraine pour la majorité et Denis Jacquat pour l'opposition.

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Au nom de M. Jean-Louis Touraine et en mon nom propre, je remercie les services de l'Assemblée pour leur aide à l'élaboration de ce rapport. Il est bon que nous puissions faire le point sur le suivi des conclusions du rapport présenté le 28 février 2013 au CEC sur l'évaluation des politiques publiques de lutte contre le tabagisme.

La volonté de réduire les dégâts du tabagisme, en particulier du tabagisme intense, s'exprime dans le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les pratiques addictives, dans le troisième plan cancer et dans les annonces faites par Mme Marisol Touraine, ministre de la santé. Nous présentons fort heureusement notre rapport avant le dépôt du projet de loi relatif à la santé qui est actuellement en préparation. Par ailleurs, l'on ne peut que se réjouir de constater depuis deux ans un recul des ventes, tant en cumul qu'en volume.

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Un an après notre rapport initial, il faut souligner les initiatives des pouvoirs publics, le Plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les pratiques addictives, le troisième plan cancer pour les années 2014-2019, la directive européenne relative aux produits du tabac et à la cigarette électronique et l'action du ministère de la santé, au moment où Mme la ministre s'apprête à annoncer les mesures du nouveau plan national de réduction du tabagisme et finalise le projet de loi sur la santé qui sera examiné par le Parlement dès le début de l'année prochaine. Notre rapport de suivi arrive donc à un moment parfaitement opportun.

On a par ailleurs observé, comme l'a indiqué M. Jacquat, un recul significatif des ventes. Ce recul, qui ne touchait que les cigarettes en 2013, concerne désormais aussi le tabac à rouler, dont la taxation se rapproche maintenant de celle des cigarettes. L'effet bénéfique de cette augmentation des taxes se fait déjà sentir, avec une baisse de 8,3 % pour les ventes de cigarettes et de 8,1 % pour le tabac à rouler.

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La directive européenne a permis de réaliser un effort considérable d'information sur la nocivité du tabac.

La réglementation des ingrédients se traduit notamment par l'interdiction des arômes caractérisants qui représentaient, notamment pour les femmes, un « produit d'appel » incitant à fumer.

Quant à la réglementation du conditionnement, elle prévoit qu'une surface plus importante du recto et du verso des paquets de cigarettes soit consacrée au message sanitaire. L'iconographie employée par certains pays n'est pas encore utilisée en France, mais elle fait partie des idées retenues pour faire prendre conscience du fait que le tabac tue aujourd'hui 200 de nos concitoyens par jour.

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Les prix du tabac sont repartis à la hausse, ce qui est particulièrement significatif en période de faible inflation. Le prix du paquet de tabac à rouler de 40 grammes, qui représente l'équivalent de près de 40 cigarettes, soit deux paquets, poursuit son rattrapage. En 2012 et 2013, le prix moyen des cigarettes a augmenté d'environ 6 % chaque année et celui du tabac à rouler de 9 % et 12 % respectivement.

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L'environnement n'est malheureusement pas toujours favorable à une réduction de l'attractivité du tabac. En particulier, les flux transfrontaliers s'intensifient. Élu de Moselle, département proche du Luxembourg, j'observe bien évidemment ce phénomène, mais il est présent dans toutes les régions – on a ainsi trouvé à Poitiers un grand nombre de cigarettes venues d'Espagne, transportées par des camionneurs sur l'autoroute. De fait, l'écart de prix avec les pays limitrophes est souvent important – il est par exemple de 2 euros pour le paquet de Marlboro rouge entre la France et le Luxembourg.

Après sa condamnation par la Cour de justice de l'Union européenne, la France a en outre dû porter à 10 cartouches de cigarettes par personne majeure la quantité de tabac pouvant être rapportée sur le territoire national : une voiture transportant cinq adultes pourra ainsi contenir jusqu'à 50 cartouches.

Les responsables des douanes, que M. Touraine et moi-même avons rencontrés, nous ont fait part de leur préoccupation face au transport de cigarettes par des transfrontaliers qui ne fument pas et augmentent par ce biais leur pouvoir d'achat. Les buralistes se plaignent de ce phénomène au niveau national, mais il est difficile de s'opposer à des réglementations européennes.

Pour ce qui est des achats illégaux, les services des douanes nous ont indiqué que les saisies de tabac de contrebande et de contrefaçon ont considérablement augmenté, ce qui confère une importance particulière à la traçabilité des produits. Les quatre grands industriels du tabac, qui nous ont montré des documents relatifs à cette question, nous ont semblé très sincères dans leur souci d'assurer la traçabilité et de lutter contre la contrefaçon. Certaines voix se font par ailleurs entendre pour demander que la traçabilité ne soit pas confiée aux industriels du tabac, mais à d'autres instances.

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Les actions auprès des populations demeurent malheureusement insuffisantes.

Tout d'abord, les initiatives restent encore hésitantes et insuffisamment coordonnées. Ainsi, les interdictions sont mal respectées : on fume encore dans les bars à chicha et à la terrasse des cafés-restaurants qui ne sont pas totalement en plein air.

Les actions en faveur des publics prioritaires restent également très en-deçà des attentes. Les mineurs peuvent ainsi se procurer du tabac sans difficulté, alors que la vente leur est en principe interdite. Avec une probabilité quasi nulle de contrôle de certains bureaux de tabac, le risque de sanction pour les buralistes est insuffisant et il nous faut donc accentuer les efforts pour empêcher la vente de tabac à des mineurs, comme le font des pays voisins, par exemple la Grande-Bretagne.

Par ailleurs, la France détient le record européen quant au nombre de femmes qui fument durant leur grossesse – elles sont encore 17 % à le faire. Le tabagisme des femmes enceintes est grave pour les femmes elles-mêmes et, plus encore, pour les bébés à naître, qui présentent des anomalies, notamment un poids réduit à la naissance, surtout lorsque leur mère a fumé durant le dernier trimestre de la grossesse. Or, ce tabagisme n'est pas assez pris en compte. La Direction de la sécurité sociale étudie la généralisation de la mesure du monoxyde de carbone, mais cette mesure n'interviendrait qu'à moyen terme et il conviendrait d'en accélérer l'instauration.

M. Jacquat et moi-même avons en outre écrit à tous les obstétriciens de France pour les sensibiliser et les inviter à indiquer aux parents, dès le début de la grossesse, qu'ils devraient envisager de saisir cette occasion pour arrêter le tabagisme. Les professionnels nous ont fait part des difficultés qu'ils rencontrent à cet égard, notamment du manque de temps et de structures adaptées. Il nous faut corriger ces insuffisances pour que la France se situe au moins dans la moyenne européenne.

L'aide au sevrage tabagique reste insuffisante : le forfait de remboursement des produits utilisés, notamment des substituts nicotiniques, passerait de 50 euros à 150 euros – montant auquel il est déjà fixé pour les femmes enceintes – et s'appliquerait désormais aux jeunes, aux titulaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) et aux victimes du cancer. Ce dispositif n'avance cependant pas assez vite et l'information en la matière n'est pas adéquate, y compris auprès de l'ensemble des professionnels de santé : il faut agir encore plus fortement sur ces leviers.

Nous réitérons donc nos propositions.

Tout d'abord, l'interdiction de fumer dans les lieux publics doit être strictement appliquée et étendue aux enceintes sportives et aux terrasses qui ne sont pas totalement en plein air.

L'achat de tabac doit ensuite être soumis à l'obligation de présenter une carte d'identité, de telle sorte que les buralistes ne pourraient plus arguer de la difficulté de connaître l'âge exact d'un jeune de plus de seize ans. Cette mesure est du reste déjà appliquée en Grande-Bretagne, où l'on affiche le slogan : « no ID, no sale », c'est-à-dire : « pas de carte d'identité, pas de vente ».

En outre, les substituts nicotiniques doivent être intégralement remboursés. Le coût de cette mesure pour la sécurité sociale est en effet très modique par rapport à l'économie réalisée dès la première année, car l'arrêt du tabagisme s'accompagne immédiatement de la disparition du sur-risque d'infarctus du myocarde, d'accident vasculaire cérébral ou d'autres anomalies vasculaires.

Enfin, l'interdiction de fumer aux abords des écoles, en particulier pour les enseignants, qui sont théoriquement un modèle pour les enfants, ainsi que dans les véhicules transportant des mineurs ou des femmes enceintes, doit être mise à l'étude, car le tabagisme passif dans une voiture est 14 fois supérieur à ce qu'il est dans un endroit moins fermé. Nous suggérons également d'étendre ces interdictions à de nombreuses plages et aux parties de parc dévolues aux jeux d'enfants, afin de bannir le tabac à proximité des enfants et des femmes enceintes.

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Il convient d'appliquer les dispositions qui figurent déjà dans les textes existants, comme la loi Évin ou les décrets Bertrand. Hier encore, j'ai vu le contrôleur d'un TGV fumer sur le quai, malgré les panneaux d'interdiction et les annonces, en compagnie d'autres personnels de la SNCF – sans parler des voyageurs. Ces interdictions sont mieux appliquées dans d'autres pays. Or, le respect des textes permettrait un grand progrès dans la lutte contre le tabagisme, notamment passif.

Si nous en sommes là, c'est parce que la coordination entre les différents opérateurs est presque inexistante. Je rappelle que, dans cet esprit, nous avions notamment demandé que le tabac figure explicitement dans l'appellation de la mission interministérielle chargée de la drogue et de la toxicomanie pour renforcer son rôle de coordination, position approuvée par sa présidente que nous avions rencontrée lors de la préparation de notre précédent rapport. On constate encore qu'il n'existe pas de véritable outil de pilotage. Heureusement que l'Assemblée nationale est là pour rappeler les dégâts provoqués par le tabagisme.

La recherche reste, dans ce domaine, un parent pauvre et nous avons besoin d'une meilleure connaissance des comportements des fumeurs, de l'attrait des produits commercialisés et de leurs effets sur la santé.

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Un phénomène nouveau apparu depuis l'année dernière, et qu'il importe de prendre en compte, est celui de la cigarette électronique, qui se répand à très grande vitesse dans notre pays. Elle rencontre un succès foudroyant : 88 % des Français connaissent la cigarette électronique, un Français sur cinq l'a expérimentée et 1,5 million l'utilisent.

La question se pose donc de savoir s'il s'agit d'un bien, c'est-à-dire d'un outil permettant le sevrage du tabac, ou d'une porte d'entrée dans le tabagisme, par exemple pour des jeunes qui auraient adopté la cigarette électronique parce qu'elle est à la mode, puis chercheraient d'autres sensations en passant au tabac. Cette question explique en partie les mesures prises.

La cigarette électronique est un outil de sevrage séduisant, car elle ne contient ni goudron, ni monoxyde de carbone, ni autres produits cancérogènes ou mutagènes. Elle présente donc beaucoup moins d'inconvénients que les cigarettes, les cigares ou le tabac à rouler ou à pipe. Elle module l'absorption de nicotine – qui n'est du reste pas le produit le plus dangereux de la cigarette – et sa nocivité est bien moindre pour l'entourage, même si l'on a pu détecter, mais à des taux très faibles, des traces de nicotine dans les urines des personnes voisines de celles qui « vapotent ».

En revanche, on ne dispose pas du recul nécessaire pour mesurer les risques sur la durée. On ne peut donc pas conclure sur l'innocuité à long terme de la cigarette électronique, et cela d'autant plus qu'il existe une différence de qualité entre les différents produits proposés sur le marché. Il est probable que certains d'entre eux, insuffisamment contrôlés, puissent contenir des substances moins anodines que d'autres. Des recherches s'imposent donc sur la qualité des produits et sur leurs effets à plus long terme.

Quant à savoir si la cigarette électronique est aussi une porte d'entrée dans le tabagisme, il faut d'abord rappeler que les vapoteurs sont aussi des fumeurs : 1 % seulement d'entre eux, en effet, sont des vapoteurs exclusifs, les autres utilisant aussi parfois occasionnellement du tabac. Quarante-quatre pour cent seulement des vapoteurs de 15 à 24 ans s'engagent dans une démarche de sevrage, c'est-à-dire que la cigarette électronique n'est utilisée que dans la moitié des cas comme un moyen de se libérer de l'addiction au tabac. Les autres n'ont pas la volonté de sortir du tabagisme. Or, les risques sont liés davantage à la durée d'exposition au tabac qu'à la quantité fumée et, pour arrêter le tabac, les substituts nicotiniques sont aussi efficaces.

L'on ne dispose donc pas encore du recul suffisant pour savoir si la cigarette électronique est vraiment un bien et quels sont ses inconvénients.

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L'an dernier, notre rapport ne faisait aucune mention de la cigarette électronique qui ne connaissait pas le succès qu'elle rencontre désormais. Aujourd'hui, le cadre réglementaire incite à la prudence. En effet, au niveau national, la vente est interdite aux mineurs par la loi du 17 mars 2014, mais la fiscalité reste avantageuse car, la cigarette électronique n'étant pas du tabac, elle n'est pas soumise à accise et elle se voit en outre appliquer le taux normal de TVA. Nous voyons donc proliférer des officines vendant des cigarettes électroniques, lesquelles sont en outre vendues aussi dans des bureaux de tabac et même dans des stations-services.

Peut-être s'agit-il d'un phénomène de mode qui sera suivi d'une crise pour les marchands de produits liés au vapotage, comme cela a été le cas pour les téléphones portables – pour lesquels nous avons vu, voici quelques années, une prolifération de vendeurs, avant de voir diminuer le nombre de magasins spécialisés. De fait, une fois passé le premier achat, pour lequel il doit prendre le temps de se faire présenter le produit, le consommateur sait ce qu'il recherche et a moins besoin de conseils.

Sur le plan européen, le suivi est très resserré, avec des obligations déclaratives pour les fabricants et une information précise du consommateur.

Les produits sont de trois types : les uns, sans nicotine, sont des produits de consommation courante ; d'autres, contenant de la nicotine dosée à moins de 20 milligrammes par millilitre, sont régis par la directive ; d'autres encore, où la nicotine est dosée à plus de 20 milligrammes par millilitre, sont des produits médicaux vendus en pharmacie. On ne peut cependant distinguer si le vapoteur utilise l'un ou l'autre de ces produits, ce qui ne va pas faciliter l'application de la règlementation. En tout état de cause, la directive, qui notamment interdit la publicité publique – la publicité restant autorisée dans les revues professionnelles –, devrait être transposée au niveau national le plus rapidement possible.

Monsieur le président, nous nous félicitons de votre volonté d'apporter un suivi à notre rapport de l'an dernier et nous restons à votre disposition pour continuer ce travail.

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Un suivi est en effet indispensable et vous aurez, messieurs les rapporteurs, un rôle important lors de la publication des textes législatifs.

Je propose la publication de vos travaux, qui permettra de mieux saisir les enjeux qui sous-tendent notre volonté de réduire la consommation de tabac.

Le Comité autorise la publication du rapport d'information sur la mise en oeuvre des conclusions du rapport d'information (n° 764) du 28 février 2013 sur l'évaluation des politiques publiques de lutte contre le tabagisme.

La séance est levée à onze heures quarante.