La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR L'IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à dix heures cinq.

Présidence de M. Thierry Benoit, Président de la commission d'enquête

La commission d'enquête procède à l'audition, ouverte à la presse, de Mme Isabelle Saviane, directrice des ressources humaines du groupe Eram et M. Guillaume Noël, directeur du développement social.

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Nous allons entendre en cette première audition de la rentrée Mme Isabelle Saviane, directrice des ressources humaines du groupe Eram, accompagnée de M. Guillaume Noël, directeur du développement social.

Mme la rapporteure et moi-même vous sommes d'autant plus reconnaissants, madame, monsieur, d'avoir répondu à notre convocation dès ce début de septembre que nous tenions à écouter rapidement les praticiens, après avoir entendu dans nos premières auditions le point de vue des experts de l'administration. Vous êtes les premiers représentants des entreprises que nous recevons dans le cadre de nos travaux. Nous entendrons tout à l'heure les représentants des syndicats de salariés et, par la suite, d'autres représentants des employeurs, y compris, dès la semaine prochaine, leurs représentants institutionnels.

Avant de vous donner la parole, il me revient de vous informer qu'aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre audition. Celui-ci vous sera préalablement communiqué et les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

En vertu de ce même article 6, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l'article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige enfin qu'elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Isabelle Saviane et M. Guillaume Noël prêtent serment.)

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Votre audition fait l'objet d'un enregistrement et d'une retransmission vidéo.

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Isabelle Saviane, directrice des ressources humaines du groupe Eram

Je m'exprimerai en tant que directrice des ressources humaines du groupe Eram, mais aussi en tant que praticienne ayant pu échanger avec des collègues d'autres entreprises sur ce sujet de la réduction du temps de travail (RTT) qui nous occupe tous depuis environ treize ans.

Entreprise familiale créée en 1927, Eram est aujourd'hui un groupe d'une dizaine de marques de mode « accessible ». Nous employons 12 000 personnes, dont 9 000 dans des réseaux de distribution, et avons 1 500 magasins en France. Nous disposons encore de 300 personnes qui produisent un million de paires de chaussures par an dans le Maine-et-Loire : nous sommes fiers d'avoir conservé cette activité malgré les délocalisations massives vers l'Asie. Enfin, un millier de personnes travaillent dans les activités de siège et 400 dans les bureaux de sourcing en Asie.

Deux types de personnels ont été particulièrement concernés par la réduction du temps de travail : les personnels de siège – chargés de fonctions centrales, mais aussi de tâches de stylisme, de marketing, de design ou de relations avec les clients – et les personnels travaillant dans les réseaux de distribution, ces derniers étant soumis en outre à des contraintes de marché tenant principalement à la nécessité de satisfaire les attentes de la clientèle. Or cette dernière catégorie est composée majoritairement de femmes qui, du fait de leurs contraintes propres, ont pu être spécifiquement affectées par la réduction du temps de travail et par l'évolution de la durée des contrats qui en est résultée.

La RTT a touché à l'équilibre que nous connaissions jusqu'alors entre les trois piliers que constituent le temps de travail, la rémunération et le statut, ce qui nous a amenés à reconsidérer l'ensemble de ces éléments.

Même s'il n'a pas été aisé à organiser, le passage aux 35 heures a été bien accueilli par les salariés, qui aspiraient à un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, et cette durée est maintenant pour tous une référence bien établie, y compris lorsqu'ils travaillent davantage. En revanche, la réforme a suscité quelque panique dans l'encadrement, obligé de faire plus ou autant avec moins de ressources : elle bousculait les habitudes, ce qui a entraîné un peu de crispations. Cela étant, les équipes que nous formons avec nos collègues des ressources humaines et les directions générales ont pris ce sujet à bras-le-corps et revu entièrement les organisations du travail.

Mais il se trouve aussi que la société française a changé au cours de ces treize années et que, sous la pression de la clientèle, les plages d'ouverture de nos magasins se sont allongées, ce qui nous a contraints à « bricoler » pour disposer des ressources humaines nécessaires. Cela a eu un effet quelque peu négatif, en particulier pour nos employées femmes, car cela a favorisé le développement de petits contrats, dont beaucoup sont des « bouche-trou ». Et même si la réforme interdisant les contrats de moins de 24 heures nous aide à leur proposer des contrats d'une durée plus longue, il reste très difficile pour ces femmes de vivre avec un contrat de ce type dans les grandes agglomérations. Elles ont récupéré un peu de temps pour elles, mais aussi perdu beaucoup de pouvoir d'achat.

D'autre part, la plupart de nos postes de cadres ne sont pas sécables, ce qui n'a pas permis le partage du travail et les créations d'emplois que certains attendaient de la réforme.

En revanche, celle-ci a provoqué dans les entreprises une évolution qu'on pourrait qualifier d'intellectuelle : le thème du temps de travail, qui était jusqu'alors loin d'être prioritaire, est passé au premier plan de la réflexion sur les questions d'organisation, et de là s'est retrouvé au coeur des discussions entre partenaires sociaux. La réforme a en effet conduit à faire la chasse au temps non productif – au point de fixer au siège l'heure de sortie à 17 heures 3 précisément. Il en est résulté des crispations et l'équilibre du temps social, du temps de partage et de cohésion en a pâti et avec lui les relations au sein des équipes de travail.

Notre groupe n'a eu d'autre choix que de négocier des accords collectifs allant au-delà des 35 heures. Dans les usines et les entrepôts, nous sommes passés de 39 à 37 heures et, pour les managers, les contrats de travail oscillent entre 39 et 43 heures. En conséquence, nous devons payer un nombre important d'heures supplémentaires. La réduction du temps de travail s'est donc traduite pour nous, mécaniquement, par une augmentation du coût de l'heure travaillée et, les marchés sur lesquels nous opérons se contractant depuis six ans, par une forte modération des politiques salariales – d'où une frustration des salariés qui aimeraient récupérer du pouvoir d'achat – et, dans une certaine mesure, une mauvaise image de nos métiers de la distribution, qui sont pourtant de vrais métiers offrant encore la capacité de former de vrais professionnels même sans formation initiale importante.

On nous a demandé, à nous directeurs des ressources humaines, cette chasse effrénée à l'heure non productive que j'évoquais à l'instant. Il n'est ainsi pas rare que figure dans les objectifs annuels qui nous sont assignés la maîtrise de la masse salariale, ce qui n'est pas la première motivation pour laquelle nous avons choisi ce métier. Dans les secteurs à faible marge comme les nôtres, chaque minute compte, coûte cher et doit être utile. Cette même obsession de l'optimisation du temps de travail a par ailleurs conduit à mettre en place un contrôleur de gestion, chargé de s'assurer que les plannings et les équilibres sont bien respectés et profitables.

La gestion des ressources humaines est ainsi devenu un métier très complexe, du fait de l'importance prise par cette question du temps de travail, exigeant une forte expertise – si tant est que la succession de réformes n'a pas rendu le sujet quasi incompréhensible, nous mettant parfois dans l'incapacité de répondre à toutes les questions qui nous sont posées.

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Guillaume Noël, directeur du développement social du groupe Eram

La fixation de la durée de travail à 35 heures a été entérinée par tous, mais la création par le législateur de dispositifs annexes destinés à donner des marges de manoeuvre aux entreprises, tels que la possibilité d'heures supplémentaires ou d'accords de modulation du temps, si elle est louable, a abouti à une réglementation extrêmement complexe, rendant difficile de proposer une organisation du temps de travail simple et efficace.

En outre, la question du lien avec la vie privée est devenue un enjeu croissant dans les négociations avec les partenaires sociaux, ce qui a ajouté aux difficultés d'application.

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Isabelle Saviane, directrice des ressources humaines du groupe Eram

Est apparu à cet égard un effet que nous n'avions pas anticipé, qui concerne surtout les cadres : l'intrusion du travail à la maison. Cela constitue une nouvelle donne, avec des demandes de connexion informatique entre bureau et domicile. Alors qu'on cherchait à favoriser un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, on a en définitive, pour certains, abouti au contraire et transféré partiellement le bureau à la maison. De ce fait, le contrôle du temps de travail qui nous a été demandé en 2001 devient hors de portée.

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Merci pour l'éclairage intéressant et précis que vous nous apportez. Soyez sûrs que nous apprécions à leur juste valeur les leçons de votre expérience, même si in fine nous devons considérer que les difficultés dont vous nous avez fait part ne sont qu'une contrepartie nécessaire aux gains que la société peut retirer de la réduction du temps de travail.

Je vous suis reconnaissante de la place que vous avez accordée dans votre propos à l'impact de cette réforme sur vos employées femmes, mais quelle est leur part dans vos effectifs ? Sont-elles plus présentes dans certains métiers ? Font-elles davantage l'objet de contrats à temps partiel ? Si oui, dans quelle proportion ?

La RTT a obligé l'encadrement à faire autant avec moins de ressources humaines, avez-vous dit, mais les 35 heures ont aussi permis, me semble-t-il, des gains en termes d'organisation et des baisses de cotisations. Par ailleurs, je ne vois pas de lien direct entre cette réforme et le développement du travail à domicile, car les cadres ont toujours été sollicités à toute heure et l'accentuation du phénomène me semble plutôt liée à l'essor des technologies informatiques. La chasse à l'heure non productive n'est pas non plus nouvelle, compte tenu de la concurrence à laquelle vous êtes confrontés.

À vous entendre, on a le sentiment que la réforme est à l'origine d'un certain « stress » social alors que vous ne l'aviez sans doute pas attendue pour engager le dialogue social. Vous évoquez aussi le développement de contrats « bouche-trou », mais il me semblait que le fait qu'il y ait plus de souplesse dans la gestion du temps permettait justement d'éviter ce type de contrats et d'améliorer les situations de certains salariés.

Enfin, si la modération salariale est une des limites de la loi sur les 35 heures, on a appris récemment que nous détenions le record du monde pour ce qui est de l'augmentation des dividendes versés. Je ne sais si cela vous concerne, mais peut-être aurait-on pu modérer la rémunération des actionnaires au profit de celle des salariés…

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Êtes-vous également fabricants de chaussures ?

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Isabelle Saviane, directrice des ressources humaines du groupe Eram

Notre groupe est à la fois distributeur et producteur. Mais nous sommes essentiellement des distributeurs, sous les enseignes Eram, Tati, Heyraud, Gémo, Bocage, Mellow Yellow, TBS... Si le groupe est issu d'une entreprise de fabrication de chaussures qui a longtemps tenu une des premières places dans ce secteur, il a en effet été contraint de se reconfigurer à partir des années 1980-1990 pour résister à des importations massives qui ont entraîné la quasi-disparition des fabrications nationales en un peu plus d'une décennie. Cela étant, conscient de ses responsabilités, il a opéré cette transformation en conservant l'ensemble de ses salariés, mais en les reconvertissant dans les métiers de la logistique et du commerce. Nous avons toutefois maintenu trois unités de fabrication employant un peu plus de 350 personnes et produisons un million de paires de chaussures par an en France, ce qui fait de nous le premier fabricant français. La préservation de ce savoir-faire résulte de la seule volonté des propriétaires, la famille Biotteau. Nous sommes en outre le premier employeur privé du Maine-et-Loire et nous sommes très attachés à cet ancrage territorial comme au maintien de cette activité – nous venons d'ailleurs de créer une école de la chaussure pour former à nouveau des ouvriers de fabrication en vue de combler les départs à la retraite.

Je précise que le groupe n'a jamais versé un euro de dividende : l'ensemble des bénéfices est réinvesti dans l'entreprise pour développer nos affaires, nos magasins et former nos collaborateurs. La partie industrielle n'est pas la plus rentable de nos activités, mais il y a là une forme d'engagement de cette famille vis-à-vis de ses ouvriers de maintenir des outils de production dans le Maine-et-Loire et nous avons opéré nos transformations au rythme des départs à la retraite.

Comme je l'ai dit, les contraintes propres à nos métiers ne nous ont pas permis de mettre tout le monde aux 35 heures ni de partager le travail, de nombreuses missions ou tâches n'étant pas sécables. Nous avons donc proposé des contrats d'une durée comprise entre 37 et, pour les responsables de magasins, 43 heures, étant entendu que les heures au-delà de la trente-cinquième coûtent beaucoup plus cher, ce qui a créé sans doute une crispation dans le groupe, maintenant apaisée. Reste que, quand il faut porter des contrats de 20 heures à au moins 24 heures, conformément à la nouvelle réglementation, cela nous oblige à bouleverser des plannings forcément millimétrés, d'autant que les métiers de la chaussure et de l'habillement sont historiquement à faible marge et ont en outre fortement souffert de la situation économique des six à huit dernières années. La baisse de nos revenus et l'augmentation du coût du travail nous ont ainsi amenés à faire des arbitrages qui ont été épargnés aux industries du luxe ou aux entreprises pratiquant le travail posté en trois-huit : là où on avait deux personnes dans un magasin, on n'en a parfois plus qu'une, avec le complément d'un petit contrat étudiant. Encore une fois, la loi sur les 35 heures ne nous a pas permis de partager le travail comme on l'attendait. On ne peut pas en effet se permettre d'avoir deux responsables d'un même magasin, son travail étant d'assurer l'ouverture et la fermeture, d'accompagner les vendeuses et d'être présent aux moments de plus forte affluence.

Les femmes représentent un peu plus de la moitié de nos salariés et sont présentes surtout dans les métiers de la distribution. Elles le sont en revanche insuffisamment parmi les cadres, malgré la politique volontariste que nous menons dans ce domaine.

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Pourriez-vous nous faire parvenir des chiffres précis ?

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Isabelle Saviane, directrice des ressources humaines du groupe Eram

Volontiers.

Nous avons la chance d'avoir de longue date un dialogue social ouvert et apaisé. J'ai succédé à un directeur des ressources humaines qui a passé 47 ans dans l'entreprise et a construit ce dialogue dans la durée, sachant ne prendre que des engagements qu'il pourrait tenir. Néanmoins, l'importance prise par la question de la réduction du temps de travail s'est avérée au détriment d'autres sujets. Quant au « stress », il est venu davantage d'intervenants extérieurs à l'entreprise, comme les inspecteurs du travail, que de la direction ou des partenaires sociaux.

Enfin, même si le groupe ne distribue pas de dividendes, il lui a fallu malgré tout modérer les salaires.

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Quel est l'état de la représentation syndicale au sein de vos instances représentatives du personnel ?

Parlant de « chasse aux heures non productives », vous avez mis l'accent sur ce que les syndicats appellent la densification du travail, qui n'était pas habituelle dans votre secteur. Introduire dans une activité de commerce des impératifs industriels a dû provoquer des chocs de culture : j'aimerais que vous nous en parliez.

Enfin, n'auriez-vous pu retenir une organisation différente de celle que vous avez décrite et moins pénalisante pour les équipes, même si les indicateurs de satisfaction de vos salariés semblent plutôt bons ?

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L'intrusion du temps professionnel dans la sphère privée me paraît en effet être une réalité. Les 35 heures ont conduit à une réorganisation et à une intensification assez extraordinaire des missions des cadres qui sont au forfait-jours. Beaucoup, en particulier les plus jeunes, sont certes de fervents utilisateurs des nouvelles technologies, mais cela ne doit pas faire oublier que, quel que soit le temps qu'ils consacrent à leur activité professionnelle, celui-ci ne sera jamais suffisant pour répondre aux demandes de directions qui leur imposent des objectifs sans cesse plus élevés. Avez-vous constaté dans votre entreprise des cas de burn-out ou de difficultés au travail liés à cette intensification de l'activité ?

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Je me réjouis que l'on se soit mis dans votre entreprise à réfléchir à la question du temps de travail et que l'on se soit soucié de la vie quotidienne des salariés, en particulier des contraintes pesant spécifiquement sur les femmes. Il serait sans aucun doute bon qu'il en soit de même partout !

Quoi que vous en ayez dit, sans doute avez-vous quand même partagé une partie du temps de travail – tout le monde n'est pas cadre. Combien de postes ont été concernés ?

Comme notre rapporteure, je ne comprends pas en quoi l'intrusion du travail à la maison serait liée au passage aux 35 heures. Quoi qu'il en soit, les moyens informatiques actuels ne permettraient-ils pas de mesurer le temps de travail effectif pour le contrôler ?

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Comment le législateur pourrait-il simplifier la vie des dirigeants d'entreprise sur cette question du temps de travail ? Organiser, dans le prolongement de l'accord national interprofessionnel, des accords de branche dans ce domaine vous semble-t-il une bonne idée ?

La chasse effrénée à l'heure non productive que vous avez mentionnée a-t-elle accru la tension au travail, contribué à la densification du travail et influé sur les cadencements ? A-t-elle affecté le nécessaire équilibre entre le temps au travail, le temps social et celui de la vie privée ?

Comment avez-vous mis en oeuvre précisément les 35 heures ? Au travers de jours de RTT ? Par une discussion sur le thème de l'annualisation du temps de travail ?

Comment avez-vous vécu la demande du législateur d'une journée de solidarité –le fameux « lundi de Pentecôte » ? Comment ces huit heures ont-elles été intégrées dans le temps de travail ?

Enfin, que pensez-vous du travail le dimanche ? Les 35 heures ont-elles eu des conséquences sur le comportement des consommateurs et sur leur pouvoir d'achat ? Avez-vous mesuré les effets financiers de cette mesure pour l'entreprise ? Les salariés ont-ils montré une appétence pour le dispositif de défiscalisation des heures supplémentaires ? Et quelles ont été les conséquences de sa suppression ?

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Guillaume Noël, directeur du développement social du groupe Eram

Notre groupe, qui est constitué de multiples sociétés, a une représentation syndicale assez complète puisque toutes les organisations syndicales nationales y sont présentes. Cela étant, au niveau du comité de groupe, les représentants de la CFE-CGC et de la CFTC sont majoritaires.

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Guillaume Noël, directeur du développement social du groupe Eram

Oui, mais nous avons aussi, comme je l'ai dit, un comité de groupe, qui compte une vingtaine de membres.

Il y a eu en effet un petit choc de cultures. Le souhait de rationaliser les horaires de présence du personnel se heurte en effet parfois au désir des clients d'être servis rapidement et aux moments qui leur conviennent le mieux. Nous aimerions bien sûr tous que les magasins soient ouverts le plus longtemps possible et ne pas avoir à attendre, mais, si les entreprises sont soucieuses de disposer de personnel en conséquence, elles recherchent aussi l'organisation et les amplitudes horaires les moins onéreuses pour elles : de ce point de vue, il est clair que les intérêts sont divergents.

Quant à la journée de solidarité, elle a été « mécaniquement » appliquée par l'entreprise, qui a versé à l'État les 0,3 % prévus de masse salariale cependant que les salariés voyaient leur temps de travail majoré de sept heures. Mais, au moins au départ, il est vrai que ces derniers n'ont pas apprécié la mesure, certains l'ayant même vécue comme une obligation de travailler gratuitement.

Pour la mise en oeuvre de la RTT, nous avons eu recours à toutes les solutions possibles, en fonction des caractéristiques de chacun de nos établissements – usines, entrepôts ou magasins – et conclu des accords au cas par cas avec les partenaires sociaux. Nous avons ainsi tantôt réduit la durée quotidienne de travail – le passage de 39 à 37 heures dans beaucoup de nos entrepôts s'est par exemple traduit par une réduction de quinze minutes par jour –, tantôt mis en place des jours de RTT, principalement pour les cadres, avec les forfaits-jours.

Nous avons en revanche exclu le recours au forfait « tous horaires », prévu pour la réalisation de missions sans décompte du temps passé. Il n'est pas souhaitable en effet d'assigner une mission impliquant un temps de travail déraisonnable. Et il est de la responsabilité des entreprises d'appliquer les règles du jeu de manière honnête, loyale et mesurée.

Cela dit, la gestion du forfait-jours nous pose problème, à nous techniciens, dans la mesure où elle fait l'objet d'une réglementation mouvante. Les recadrages opérés au niveau européen ont changé la règle du jeu puisque à ce forfait est désormais associé un nombre d'heures ou, en tout cas, un cadrage obligatoire, qui n'était pas du tout au départ dans l'esprit du législateur. Trop souvent, alors qu'on a conclu des accords avec les partenaires sociaux en fonction d'une nouvelle règle, une décision de jurisprudence vient, un, deux ou trois ans après, changer la donne. Ainsi, empiétant à mon sens sur le rôle du législateur, la chambre sociale de la Cour de cassation nous a obligés à revenir sur les mesures prises – la rétroactivité appliquée dans ce domaine étant une exception française. Il vaudrait mieux que sa jurisprudence vaille seulement pour l'avenir comme dans les pays anglo-saxons.

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Isabelle Saviane, directrice des ressources humaines du groupe Eram

Les 35 heures constituent une bonne mesure pour tenir compte des souhaits des salariés, qui ont d'ailleurs tendance à rester longtemps chez nous. Mais elles ont été source de difficultés pour faire correspondre les besoins à la demande, car la contraction et le renchérissement du temps ont pu faire soudainement peser davantage de contraintes sur certains.

Dans nos activités de siège, nous avons des horaires collectifs. Nous sommes plutôt reconnus comme une entreprise à dimension humaine et familiale, où la pression n'est pas trop forte. Malgré tout, celle-ci s'est un peu imposée. Et pour des femmes seules avec deux enfants en région parisienne ayant un contrat de 24 heures, la vie est très compliquée. C'est peut-être surtout pour elles que les contraintes se sont accrues. Nous sommes cependant attentifs à ce que le temps humain et la qualité de la relation humaine soient suffisamment préservés et nous n'avons pas d'épidémie de souffrances psychiques dans nos organisations – même si le temps que je passe à discuter avec les salariés s'est sans doute un peu contracté au fil du temps : c'est vraisemblablement là que réside le principal bouleversement au sein de l'entreprise, affectant la qualité des relations en son sein.

À ce souci s'ajoute celui de veiller aussi à la qualité des relations avec des consommateurs de plus en plus exigeants, ce qui nous met parfois en situation d'injonction paradoxale.

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Guillaume Noël, directeur du développement social du groupe Eram

Une partie des salariés, essentiellement les cadres chargés d'une mission d'ordre général, a pu trouver un intérêt à utiliser les nouveaux outils technologiques pour rentrer un peu plus tôt afin par exemple d'aller chercher les enfants à l'école, quitte à travailler le soir à domicile. La réduction du temps de travail a pu favoriser ces comportements, mais la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle est alors plus compliquée à établir : il nous appartient de veiller à ce qu'elle subsiste et que l'équilibre entre les deux soit préservé, tout en sachant que ce développement du télétravail est un souhait de certains de nos collaborateurs.

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Isabelle Saviane, directrice des ressources humaines du groupe Eram

Quant au travail le dimanche, il ne doit pas être pratiqué tout le temps ni partout. Nous ne souhaitons ouvrir nos magasins ce jour-là que lorsque cela a un sens et en concertation avec nos collaborateurs, étant entendu que nous ne faisons appel qu'à des volontaires – qui ne manquent d'ailleurs pas dans les quelques magasins concernés.

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Guillaume Noël, directeur du développement social du groupe Eram

La discussion au niveau de la branche nous paraît une bonne mesure, adaptée à nos activités. Nous avons durement reçu la législation sur le temps partiel et de telles négociations, d'ailleurs engagées, nous semblent la voie à suivre.

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Pourquoi privilégier le dialogue de branche plutôt que le dialogue social territorial, qui permettrait un travail plus adapté à la diversité de vos établissements ? Opteriez-vous pour ce dernier si c'était possible ?

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Guillaume Noël, directeur du développement social du groupe Eram

Tout à fait. Mais le dialogue social au sein des entreprises serait encore la meilleure voie selon nous.

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Je vous remercie.

L'audition s'achève à onze heures quinze.

Présences en réunion

Présents. - M. Thierry Benoit, Mme Jacqueline Fraysse, M. Jean-Patrick Gille, Mme Isabelle Le Callennec, M. Jean-Frédéric Poisson, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun

Excusés. - M. Damien Abad, Mme Catherine Coutelle, Mme Jacqueline Maquet, M. Denys Robiliard