COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 22 octobre 2014
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission de M. Jean-Paul Chanteguet, Président de la Commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire
La séance est ouverte à 16 h 35
Audition de Mme Annick Girardin, Secrétaire d'État au développement et à la francophonie, conjointe avec la commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire
Je voudrais tout d'abord dire à Annick Girardin le grand plaisir que nous avons de la revoir parmi nous, avec le Président Jean-Paul Chanteguet, dans le cadre de cette audition conjointe avec la commission du développement durable. Annick Girardin a été, en tant que vice-présidente et en tant que rapporteure, un membre très actif de notre commission, à l'origine de nombreux travaux et prises de position. Elle a notamment été de ceux qui nous ont alertés sur le traité entre l'Union européenne et le Canada, qui revient sur la table aujourd'hui ; elle a montré à quel point il fallait veiller à protéger les intérêts de l'Europe.
Nous aborderons aujourd'hui les questions relatives à la fois à la politique du développement et à la lutte contre le changement climatique, deux dimensions qui doivent être étroitement conjuguées. Je sais, Madame la Secrétaire d'État, que, sur ce point, je prêche une convaincue.
S'agissant, tout d'abord, du développement, alors que l'Union européenne a fait de 2015 1' » année du développement », comment l'action de la France s'articulera-t-elle avec celle de l'Union européenne, notamment quant à la définition du « cadre universel post-2015 » et les objectifs de développement durable (ODD) qui doivent prendre la suite des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ?
De même, quelles orientations défendra la France sur l'accord qui doit prendre la suite de l'accord de Cotonou ?
Alors que l'Afrique de l'Ouest est en proie à des menaces multiples – sanitaires, politiques, terroristes –, pensez-vous que la mise en oeuvre de l'accord de partenariat économique qui vient d'être signé avec les pays de cette zone après plus de dix ans de négociations sera en mesure de promouvoir concrètement le développement et l'intégration régionale ?
S'agissant spécifiquement de l'épidémie liée au virus Ebola, comment l'Europe, au niveau de l'Union, mais aussi sur le plan national, participe-t-elle au renforcement des infrastructures sanitaires des pays les plus touchés ?
En ce qui concerne les moyens mis au service du développement, un récent rapport qui vous a été remis par Emmanuel Faber et Jay Naidoo dresse un constat sévère sur le mode de financement de l'aide au développement. Alors que les réductions budgétaires rendent difficile la tenue des engagements de l'Union européenne sur son niveau d'aide publique au développement (APD), ainsi que de ceux des États membres, sommes-nous prêts, avec la taxe sur les transactions financières (TTF) européenne, à donner de nouveau un peu d'air au développement ? Quels projets pourraient être financés par ce moyen dans les pays du Sud ?
En matière climatique, dans la dernière ligne droite avant le Conseil européen, pouvez-vous nous préciser où nous en sommes des dernières négociations pour un paquet « énergie climat » qui soit à la hauteur des enjeux ?
Par ailleurs, quel sera précisément le mandat défendu par l'Union européenne lors de la prochaine conférence des parties à Lima ?
Enfin, êtes-vous optimiste quant à la possibilité d'obtenir un accord sur le climat en 2015, non seulement avec les États-Unis, mais aussi la Chine, l'Inde et le Brésil ?
Je remercie Mme la Présidente Danielle Auroi de nous accueillir dans la salle de la commission des Affaires européennes. La commission du développement durable a auditionné Pascal Canfin, alors ministre chargé du développement, le 12 mars 2013. Notre compétence concerne en effet les négociations sur le réchauffement climatique ainsi que la dimension environnementale de l'aide au développement, et nous sommes heureux de pouvoir interroger Mme la Secrétaire d'État sur ces sujets.
Je suis ravie d'être présente dans cette commission au sein de laquelle j'ai éprouvé beaucoup de plaisir à travailler en tant que députée, et je vous remercie de l'invitation qui m'est faite de présenter les priorités de mon action en matière de développement et d'environnement.
Le moment est bien choisi, car c'est celui du renouvellement. Renouvellement institutionnel – le Parlement européen vient d'investir la nouvelle Commission européenne – mais surtout renouvellement des enjeux politiques du développement, avec l'adoption de l'agenda post-2015 et des nouveaux objectifs de développement durable, la ratification du onzième Fonds européen de développement (FED), ainsi que les discussions, à Lima, en vue de préparer un accord ambitieux sur le climat dans la perspective de la Conférence Paris Climat 2015.
Le Conseil européen des 23 et 24 octobre, demain et après-demain, doit nous permettre d'adopter les nouveaux objectifs « climat énergie » de l'Union européenne pour 2030. Le 28 octobre, le Conseil environnement décidera quelle sera la position de l'Union dans les négociations sur le climat, et le 12 décembre aura lieu le prochain Conseil des ministres européens sur le développement.
L'Europe est incontournable pour le développement et le développement durable. Elle a d'ailleurs choisi, pour la première fois, de faire du développement le thème de l'année 2015. Ce choix est pour moi le signe d'une ambition politique forte visant à encourager tous les partenaires européens afin que ces enjeux soient au coeur de nos préoccupations.
Les politiques en faveur du développement et de la préservation de l'environnement sont intrinsèquement liées, car les plus pauvres sont les premiers touchés par les conséquences du dérèglement climatique. Vous ne vous y êtes d'ailleurs pas trompés puisque c'est à une audition conjointe à vos deux commissions que vous m'avez invitée.
Avec l'agenda post-2015, il s'agit précisément de lier les objectifs de développement à des préoccupations de développement durable, autrement dit d'intégrer la dimension de la préservation et de la sauvegarde de notre environnement à toutes les politiques de développement. Nous avons défini dix-sept objectifs de développement durable, des objectifs ambitieux qui seront discutés tout au long de l'année 2015.
Cette convergence, établie à la conférence « Rio + 20 », nous devons la consolider, en particulier au niveau européen, pour réussir les deux grandes négociations de 2015 : celle des objectifs de développement durable, d'une part, la conférence Paris Climat 2015, d'autre part, deux grands rendez-vous sur lesquels mon secrétariat d'État ainsi que le ministère des affaires étrangères travaillent depuis déjà plusieurs mois.
La France a choisi d'anticiper ces évolutions. C'est tout l'objet de la loi d'orientation et de programmation sur la politique de développement et de solidarité internationale, adoptée le 7 juillet dernier. Nous avons par exemple décidé de rendre obligatoire la prise en compte de l'adaptation au changement climatique dans tous les projets d'infrastructures en Afrique à partir de 2015. Cette loi a également fixé des priorités géographiques pour l'attribution de son APD. Nous avons ainsi sélectionné seize pays pauvres prioritaires (PPP), en privilégiant la responsabilité et la transparence dans le choix des projets financés dans ces pays. Ces priorités sont reprises par le Fonds européen de développement.
La ratification rapide du onzième FED s'avère cruciale. Je vous invite vivement à vous pencher sur la question, car il existe aujourd'hui un risque que sa ratification soit retardée. Le FED, instrument encore mal connu, est pourtant l'un des piliers de notre aide au développement. L'Europe est le premier bailleur mondial de l'aide publique au développement, et le FED a versé plus de 30,5 milliards d'euros sur sept ans, entre 2014 et 2020. La France en est le second contributeur après l'Allemagne. Le FED représente ainsi une part majeure de notre intervention en dons, qui est le coeur de l'APD.
Le bilan du dixième FED montre que, tant du point de vue des priorités géographiques que du retour sur investissement pour les entreprises françaises, deuxièmes bénéficiaires des crédits FED, les priorités européennes rejoignent largement les nôtres.
Il apparaît donc essentiel de garantir un cadre juridique pérenne à des financements qui bénéficient prioritairement aux pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et pays et territoires d'outre-mer (PTOM), notamment parce que l'Europe dispose d'une vraie puissance de frappe financière. Grâce au FED, deuxième contributeur financier pour la zone pacifique après l'Australie, nous avons par exemple une vraie crédibilité et une vraie légitimité dans les petits États insulaires en développement. C'est essentiel pour réussir la négociation sur le climat. Je me suis rendue aux Samoa en août : grâce au FED, la France et l'Europe sont connues de ces petits États insulaires, qui ont besoin de notre soutien car, si les conséquences du changement climatique ne sont pas encore visibles chez nous, elles le sont chez eux.
L'Union européenne, c'est aussi un acteur majeur de l'urgence humanitaire et des situations de crise. Lors du Conseil des affaires étrangères de lundi soir, Laurent Fabius a formulé des propositions, et trois avancées ont été actées : l'évacuation sanitaire des volontaires internationaux en Guinée, en Sierra Leone et au Libéria, la création d'un coordinateur européen – la force de frappe de l'Europe est tout aussi importante que celle des États-Unis mais elle n'a pas été, jusqu'à présent, suffisamment coordonnée et donc lisible –, et la réalisation d'un inventaire du matériel, des moyens et des volontaires mis à disposition des trois pays concernés.
J'évoquerai deux autres exemples de leviers efficaces entre le niveau national et le niveau européen. Le premier est la programmation conjointe qui permet aux bailleurs d'articuler leurs actions dans les pays prioritaires ; je pense au Mali, où la conférence des bailleurs a réuni un grand nombre de partenaires, et plus largement au Sahel. Le second est la création du Fonds Bêkou, à l'initiative de la France, qui a permis de coordonner notre aide en République centrafricaine. Ces exemples montrent qu'il est important que l'Union européenne sache se mobiliser.
C'est d'autant plus important que nous avons bientôt des rendez-vous majeurs. La question du financement des ODD sera au coeur de la conférence d'Addis-Abeba, en juillet 2015. Comment renforcer l'APD ? Comment mieux mobiliser le secteur privé, qui a des droits et des devoirs dans la lutte contre la pauvreté ?
Une autre échéance importante nous attend : la conférence Paris Climat 2015. C'est la conférence qui doit nous permettre de parvenir à un accord universel face au dérèglement climatique. Cet accord doit nous remettre enfin sur la trajectoire des deux degrés maximum de réchauffement. C'est un accord, également, qui reflètera le monde d'aujourd'hui, où la Chine et les États-Unis représentent près de la moitié des émissions mondiales, et où chacun doit avoir un engagement à la hauteur de ses responsabilités et de ses moyens.
L'idéal serait que cet accord soit une véritable « Alliance de Paris pour le climat », composée de quatre blocs. Le premier bloc, c'est un nouveau cadre juridique pour l'action internationale face au dérèglement climatique : un accord établissant les règles d'action, de transparence, de coopération, de financement, dans lesquelles toutes les parties pourront se retrouver, dans leur diversité.
Le second bloc, ce sont les engagements de réduction d'émission, qui devront être sur la table dès mars 2015. Il s'agit notamment de défendre un objectif européen exigeant de réduction des émissions de 40 % en 2030 par rapport à 1990.
Le troisième bloc, c'est la question des financements, avec notamment le Fonds vert, que nous espérons voir atteindre les 10 milliards d'euros. Le Président François Hollande a annoncé à New York que la France y participerait à hauteur d'un milliard de dollars.
Enfin, le quatrième bloc, ce sont les solutions. L'agenda des solutions devra définir des mesures concrètes en matière d'énergie, d'adaptation, de transports, d'agriculture.
Nous n'avons pas droit à l'échec. L'échec de Copenhague est sans doute dû au fait que certains ont voulu penser l'avenir pour d'autres. L'accord de Paris doit être un accord écrit par tous et pour tous. Nous devons montrer aux générations à venir que nous avons pris nos responsabilités.
Madame la Présidente, contre le virus Ebola, la France mobilise 70 millions d'euros, répartis entre notre participation à l'OMS, l'envoi de vingt-quatre experts médicaux, et l'ouverture de centres, un centre de traitement en Guinée forestière et un centre d'expertise, en lien avec l'Institut Pasteur, à Conakry. De nouvelles annonces ont été faites la semaine dernière : deux nouveaux centres seront ouverts en Guinée. Nous nous impliquons également dans le renforcement des systèmes de santé des pays concernés, car si ces derniers ont été plus touchés que d'autres, c'est parce que leurs systèmes de santé sont très fragiles, en raison des crises que ces pays ont traversées.
L'aide de l'Europe et des États membres s'élève à 480 millions d'euros, dont 180 millions de la Commission déclinés de la façon suivante : 98 millions d'aide budgétaire pour le Libéria et la Sierra Leone, 40 millions d'aide d'urgence à la Guinée, 30 millions pour les systèmes de santé, et 7 millions pour l'achat de laboratoires mobiles et la formation des personnels de santé. Les aides budgétaires envisagées pour la Guinée dans le cadre du onzième FED s'élèvent à environ 15 millions d'euros. En attendant la ratification de celui-ci, des avances seront faites sur le reliquat du dixième FED.
Le bilan du Conseil des affaires étrangères du 20 octobre, ce sont les mesures que j'ai évoquées plus haut. En outre, la France travaille avec l'Allemagne à la création, le plus rapidement possible, d'un centre franco-allemand, et nous sollicitons nos autres partenaires européens et internationaux pour parvenir à la création en Guinée des dix centres nécessaires pour faire face à cette épidémie.
Vous avez également posé la question de l'après-Cotonou. L'accord de Cotonou, base légale du partenariat entre l'Union européenne et les soixante-dix-neuf pays ACP, doit être révisé en 2020. Il s'agit de préserver une relation privilégiée avec ces pays tout en adaptant le partenariat historique au nouveau contexte international. La définition des objectifs post-2015 influencera ce cadre, et de même l'après-Cotonou pourrait coïncider avec la budgétisation du FED. Vu la nature des enjeux, dans une zone comprenant notamment les seize PPP que j'ai évoqués, la France doit rapidement définir sa position, et nous y travaillons.
En ce qui concerne la TTF, nous tentons d'obtenir son application au niveau européen, mais tous les pays ne nous suivent pas. La France a mis en place ce système en 2012 : 10 % du produit de notre taxe, puis 15 %, et aujourd'hui, dans le PLF 2015, 25 % est consacré au développement. Cela représente 175 millions d'euros en 2015. La France est à la pointe des négociations pour l'extension au plan européen, dans de bonnes conditions, de la TTF.
S'agissant, enfin, des ODD, il ne faut surtout pas rouvrir le débat. Certains pays n'attendent que ça, notamment pour revenir sur la question du genre, et nous risquons de reculer. La France peut se féliciter d'avoir réussi à faire prendre en considération le climat. Des progrès ont également été obtenus dans le domaine de la santé, avec la couverture universelle. Les ODD tels qu'ils sont définis actuellement sont un bon consensus.
La conférence des donateurs, pour l'aide au Mali, s'est tenue à Bruxelles en 2013 : plus de 3 milliards d'euros devaient être réunis, et la France, selon les informations que j'ai pu recueillir, devait accorder une aide de 280 millions d'euros. Pouvez-vous nous présenter un premier bilan de ces aides ? De même, un fonds multi-bailleurs a été créé pour la République centrafricaine, le fonds Bêkou. L'Union européenne a pris conscience qu'il fallait, après un conflit, veiller à stabiliser la situation, à renforcer les institutions nationales, pour ne pas reproduire le cas de figure de la Libye, d'où nous sommes partis immédiatement après les bombardements, avec les résultats que nous connaissons. Quelle sera l'orientation de ces fonds, indispensables, qui permettent d'ailleurs à des pays qui ne souhaitaient pas intervenir militairement de s'engager au plan humanitaire ? Je connais un peu la mécanique des aides : ce n'est pas facile. Avez-vous des garanties de suivi des fonds dans ces deux pays ?
S'agissant de la COP21, nous pouvons espérer que l'Europe adopte, demain et après-demain, une feuille de route ambitieuse : la réduction de 40 % au minimum des émissions de gaz à effet de serre, un objectif de 30 % d'énergies renouvelables d'ici à 2030, un engagement fort en matière d'efficacité énergétique avec une réduction de 30 % de la consommation d'énergie. Comment de tels objectifs peuvent-ils être relayés auprès des autres grands acteurs mondiaux, les États-Unis, la Chine ?
Par ailleurs, où en sommes-nous de l'Union pour la Méditerranée ? Je m'interroge également sur la dynamique du programme de la francophonie.
Enfin, ne conviendrait-il pas d'axer davantage la politique du développement sur la mise en relation d'expertises et de savoir-faire entre pays du Sud ? Ne faudrait-il pas proposer aux pays que nous souhaitons aider les méthodes des pays du Sud en réussite, plutôt que de chercher à décliner notre propre modèle occidental, arrivé à mon sens au bout de ce qu'il pouvait apporter à de nombreux égards ?
Vous avez annoncé un programme extrêmement foisonnant, animé d'intentions très louables, mais ces intentions sont-elles partagées au niveau européen ? La France est très présente dans le programme Agence Europe, dans la lutte contre Ebola – ne serait-ce qu'avec les ONG, comme Médecins sans frontières –, dans la préparation de l'après-Cotonou… J'ai le sentiment que nous sommes dans un modèle hérité du dix-neuvième siècle, avec une France courant le monde pendant que l'Allemagne bismarckienne s'occupe des affaires européennes. La France sera-t-elle bien suivie dans sa volonté d'aide au développement ?
De même, pouvez-vous nous éclairer sur la coopération en Méditerranée, et notamment sur le risque environnemental, la circulation sur cette mer étant extrêmement dense ?
Vous avez évoqué la place du développement durable dans la coopération internationale de la France et de l'Europe. Nous examinions justement ce matin, en commission du développement durable, la proposition de résolution européenne sur le second paquet énergie-climat, dont l'alinéa 17 fait état de « la nécessité d'entraîner tous les acteurs mondiaux, et notamment les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre et les pays les plus exposés, dans un effort collectif pour la prise en compte des enjeux climatiques ». Or les pays les plus exposés sont précisément les pays en difficulté et ceux qui consomment le moins de CO2 par habitant. Par quels moyens comptez-vous expliquer à ces pays très faiblement consommateurs qu'il va leur falloir faire un effort ? Envisagez-vous de lier la coopération et son financement à leur engagement dans ce domaine ?
L'Agence française de développement a consacré ces dernières années plus de 7 milliards d'euros à la lutte contre le changement climatique, notamment à des réalisations en faveur des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique. Quels moyens la France s'est-elle donnés pour s'assurer que l'emploi des crédits engagés est conforme aux objectifs fixés ?
En ce qui concerne les négociations sur le réchauffement climatique, les trois commissions des affaires étrangères, des affaires européennes et du développement durable ont constitué un groupe de travail afin de réfléchir aux actions que le Parlement français pourrait mener avec l'appui du président de l'Assemblée nationale. Nous travaillons par exemple avec une fondation danoise et la commission nationale du débat public (CNDP) au lancement d'un grand débat citoyen à l'échelle planétaire. Il s'agit de donner la parole aux citoyens en vue de délivrer un message mondial dans le cadre de la COP21.
Quelle proposition conseilleriez-vous aux parlementaires de formuler dans ce cadre pour faire progresser la réflexion ? Vous avez résumé les ambitions du Gouvernement français en identifiant les quatre « blocs » dont l'accord final devrait selon vous être composé. S'agissant du financement du Fonds vert – l'objectif est de 100 milliards de dollars par an à l'horizon 2020 –, on peut avoir l'impression, au-delà de l'absence de volonté politique de certains pays, que nous manquons d'imagination et de capacité d'innovation. C'est un gros obstacle à l'action, en particulier vis-à-vis des pays en voie de développement.
S'agissant de la biodiversité, la conférence des parties à Nagoya, qui s'est tenue en 2010, a permis de prendre d'importantes décisions, touchant en particulier le protocole APA (Accès aux ressources et partage des avantages) dont on trouve une traduction juridique dans le projet de loi relatif à la biodiversité qui a été voté par la commission du développement durable.
Mais surtout, à Nagoya, la France a promis des efforts financiers dont nous avons du mal à vérifier la réalisation concrète tant il est malaisé de s'y retrouver entre les dons, les annulations de créances, les subventions, les avances remboursables etc. Il est facile de prendre des engagements financiers dans le cadre de grands débats internationaux, mais leur traduction nationale ou internationale se fait souvent attendre.
Notre pays devait en particulier porter progressivement à 10 % la part de la biodiversité dans l'aide publique au développement. En outre, à compter de 2014, les « flux financiers » pour la biodiversité – le terme est générique ; il n'est pas question de subventions – devaient atteindre 500 millions d'euros par an. Est-ce bien le cas, madame la secrétaire d'État ?
Je profite de l'occasion pour vous interroger sur la lutte contre la biopiraterie qui vise les pays fournisseurs de biodiversité ou de savoir-faire traditionnels, généralement au Sud. J'imagine que le FED consacre des programmes spécifiques à l'aide aux pays victimes. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Par ailleurs, quelle est la contribution de l'Europe et celle de la France à l'initiative internationale pour la transparence de l'aide ?
La France a été, avec la Commission européenne, l'Allemagne et les Pays-Bas, à l'initiative de la constitution du fonds Bêkou. Dans ce cadre, trois premiers projets viennent d'être approuvés par l'AFD, l'un dans le domaine de la santé, le deuxième dans celui de l'entreprenariat féminin, le troisième concernant la rénovation urbaine à Bangui. La contribution de notre pays s'élève à 10 millions d'euros : 5 cette année et 5 l'an prochain. Au total, les promesses de contribution au Fonds représentent 64 millions d'euros. C'est intéressant, même si ce n'est pas encore suffisant, raison pour laquelle nous faisons appel à de nouveaux partenaires.
Le bilan de notre action en République centrafricaine a été dressé à New York, avec l'ensemble des bailleurs. Laurent Fabius, qui portait la parole de la France, y a évoqué un triangle de la réussite, défini par trois domaines clés : la sécurité ; la réponse humanitaire et le développement économique ; enfin le volet politique, avec les rendez-vous électoraux, qui ne doivent plus être reportés – cela aussi a été dit à New York.
Nous serons très attentifs à l'avancement des dossiers, qui, je le rappelle, viennent tout juste d'être validés. L'objectif est de parvenir à une élection en 2015, gage de stabilisation politique. On sait en effet que le volet politique et le volet sécuritaire sont essentiels à un développement durable, même si celui-ci doit être promu en parallèle. Nous ferons preuve d'une grande transparence vis-à-vis des projets qui débutent et que nous allons réaliser dans ce pays.
De même, la France a décidé d'ouvrir un site Internet recensant la totalité des soutiens financiers qu'elle apporte au Mali et des projets qu'elle y finance. Français et Maliens peuvent ainsi se tenir informés et déposer leurs commentaires. Il est d'ailleurs arrivé qu'un Malien nous signale que l'état d'avancement de tel ou tel projet n'était pas conforme à ce que nous indiquions en ligne. Cette initiative a le grand intérêt de garantir la transparence aux citoyens tout en nous obligeant à respecter l'évolution prévue du projet.
L'aide française au Mali représente 280 millions d'euros ; 200 millions d'euros ont été engagés et 70 ont été décaissés. Une aide humanitaire de 7 millions d'euros a transité par des agences des Nations Unies ou des organisations non gouvernementales.
La transparence au Mali va de pair avec le contrôle. Le Fonds monétaire international a ainsi diligenté sur place une mission qui a formulé plusieurs observations, pas toujours agréables pour le gouvernement en place. Un rapport en est résulté et le gouvernement s'est engagé à satisfaire les exigences du FMI, ce qui permettra de réactiver les soutiens financiers, suspendus le temps de la mission. En définitive, les conclusions sont favorables mais le Mali doit satisfaire différentes obligations le plus rapidement possible.
Nous devons à chaque citoyen, chaque contribuable, l'accès à ces informations sur les engagements de la France – ou ceux de l'Europe, auxquels la France contribue à hauteur de 20 %.
Autre question essentielle au Mali : la réconciliation, en vue de laquelle des négociations se tiennent en Algérie ; il faut remercier ce pays d'en avoir pris les rênes. Nous espérons, comme tous les bailleurs, un accord avant la fin de l'année, sans quoi il sera difficile d'obtenir des résultats durables. Nous restons vigilants, mais il faut absolument encourager les premiers pas du Mali sur la voie de la sécurité, de la justice, de la décentralisation : il a fait en quelques mois du bon travail même s'il lui faut aller plus loin, avec des moyens financiers, sur le dernier dossier notamment.
En ce qui concerne le cadre européen en matière de climat et d'énergie, Ségolène Royal est en pointe sur ce dossier qui sera discuté lors du Conseil européen des 23 et 24 octobre. L'Europe doit ici délivrer un message : ne restons pas prisonniers d'un accord entre la Chine et les États-Unis qui serait dommageable pour Paris Climat 2015, car beaucoup moins ambitieux sans doute que celui que l'Europe et la France veulent défendre. Nous espérons parvenir, notamment avec la Pologne, partenaire essentiel, à un accord qui aille dans le bon sens et permette à l'Europe de délivrer un message fort à l'international, à New York, auprès des pays les plus vulnérables. La confiance entre ces derniers et les pays industrialisés, c'est-à-dire les plus gros pollueurs, est la clé. Voilà pourquoi l'Europe et la France doivent être exemplaires : c'est ainsi que nous serons entendus et que nous pourrons peser lors des négociations.
S'agissant du climat, les contributions devront être sur la table dès mars 2015 pour que nous entamions la négociation sur des bases solides. L'Europe doit jouer un rôle d'entraînement ; il faut faire pression sur les pays retardataires – la Chine et les États-Unis, qui ont déjà progressé mais devront faire davantage ; le Canada, le Brésil, encore très en retrait sur ces questions.
L'action de la France en la matière s'inscrit naturellement dans un cadre européen. Avec la loi de transition énergétique, notre pays a tracé la route de Paris : nous avons signifié notre ambition, nous la portons au niveau européen, nous devons continuer de le faire pour disposer d'un puissant levier.
Les pays pauvres attendent un signal financier qui doit venir du Fonds vert. Au vu des comptes, nous n'atteindrons pas les 10 milliards de dollars en novembre, mais nous n'en serons pas loin. La France et d'autres pays doivent continuer de faire pression pour y parvenir, sans quoi il sera difficile d'émettre le message voulu en vue de Paris Climat 2015 et d'inciter les autres à jouer le jeu. Certains seraient bien inspirés de suivre l'exemple de petits États comme les îles Samoa, dans le Pacifique, dont la contribution à Paris Climat 2015 donne à réfléchir.
Pour persuader les pays les plus démunis, le bon levier est le Fonds vert, dont 50 % leur seraient destinés au titre de l'adaptation. Quant aux émergents, pour les convaincre de prendre leurs responsabilités, c'est sur le transfert de technologies qu'il convient d'insister, notamment en matière d'énergies renouvelables. À cette fin, Ségolène Royal, Laurent Fabius et moi-même avons fait le pari de parcourir le monde : à Ségolène Royal l'Europe, à Laurent Fabius les grands émergents et les pays industrialisés, à moi les pays les plus défavorisés, les petits États insulaires, l'Asie du Sud-Est, l'Afrique. Il s'agit de montrer que la France, qui se veut pilote dans certains domaines, exemplaire dans d'autres, saura toutefois être à l'écoute de tous, afin de favoriser le consensus que nous appelons de nos voeux en vue de Paris Climat 2015.
En ce qui concerne la transparence, le site Internet dont j'ai parlé à propos du Mali va peu à peu être étendu aux 16 pays prioritaires, au fil des contrats signés avec l'AFD au titre de nos actions bilatérales. J'ai plaidé à deux reprises dans des réunions européennes et internationales pour que l'on fasse de même avec les projets européens, notamment dans le cadre du FED, ainsi qu'avec ceux de la Banque mondiale : la transparence devrait être partout. Mais nous ne pouvons en décider seuls. En ce qui concerne la France, en tout cas, c'est une obligation légale et une réalité.
Quant à la francophonie, elle doit, c'est vrai, être dynamique et, pour relever les défis du XXIe siècle, ouverte aux femmes, aux jeunes, dotée d'une dimension économique, sans oublier les valeurs démocratiques. L'éducation doit être replacée au centre de notre politique en la matière. En effet, grâce à l'Afrique et sa démographie expansive, le nombre de locuteurs de français dans le monde pourrait atteindre 700 millions d'ici à 2050, mais ce n'est pas gagné d'avance : il nous faudra encourager l'apprentissage de la langue et y investir les moyens nécessaires pour que le réseau francophone permette davantage d'échanges et que la maîtrise de la langue française donne aux jeunes une chance supplémentaire de trouver un emploi, au-delà de son intérêt linguistique et culturel.
La francophonie doit aussi être plurielle. Le prochain secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui sera nommé lors du sommet de Dakar, devra être à la hauteur de ce grand défi. Nous espérons que sa désignation fera assez vite consensus pour que le sommet puisse ensuite donner la place qu'ils méritent aux débats de fond sur le rôle des femmes et des jeunes ainsi que sur la francophonie économique.
Pour lutter contre la biopiraterie, nous intervenons surtout par l'intermédiaire du Fonds pour l'environnement mondial (FEM), que nous avons recapitalisé ; la participation de la France s'élève à 300 millions d'euros. En ce qui concerne la sécurité de l'accès des pays et des populations aux ressources génétiques, la loi sur la biodiversité contient des avancées ; nous espérons qu'elle sera rapidement votée.
En ce qui concerne l'efficacité des financements alloués au développement et au climat, le premier rapport sur les financements « climat », qui sera présenté à Lima, permettra de faire la transparence. Nous pourrons alors en reparler.
Quant à la biodiversité, elle fait partie des objectifs du Fonds français pour l'environnement mondial (FFEM) comme de l'AFD : il est essentiel de tenir compte des conséquences sur la biodiversité, qu'elles soient positives ou négatives, de tous les projets financés.
Sur le climat comme sur la biodiversité, l'AFD est en pointe. Nous avons d'ailleurs créé un second avis « développement durable ». Le dispositif fonctionne bien. La biodiversité est au coeur des thèmes de Paris Climat 2015. J'ai moi-même participé à une expérience intéressante sur les mangroves et leur rôle dans le Sud du Sénégal, où la biodiversité est aussi un facteur de relance économique, par l'intermédiaire de petits projets familiaux qui renouent par exemple avec l'exploitation des rizières. Voilà le type de projets qu'il faut mettre en avant dans le cadre de Paris Climat 2015 : il faut des exemples concrets pour sensibiliser la société civile, au-delà des alarmes indispensables mais parfois abstraites sur la nécessité de limiter le réchauffement à deux degrés.
En ce qui concerne l'UPM, la Méditerranée fait partie avec l'Afrique subsaharienne des zones prioritaires de notre aide au développement. Nous travaillons sur plusieurs volets : politique, avec le suivi de la transition ; financier, dans le cadre du partenariat de Deauville et du G7 en particulier ; climatique, avec la diversification et la lutte contre la désertification, notamment en zone forestière. Le secrétaire général de l'UPM est très mobilisé sur ces questions. Dans la région, l'AFD joue un rôle moteur et la coopération est également extérieure, par l'Europe, notamment grâce à deux outils dédiés l'un à la crise, l'autre au soutien de la démocratie. Bref, il n'est pas de réponse isolée : la France doit intervenir au côté de l'Europe. Nous continuons d'y oeuvrer, même si d'autres urgences ont pu récemment éclipser cette action.
J'aimerais enfin vous parler de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSEE), sur laquelle j'insiste, au-delà de l'obligation légale et des actions de l'AFD, dès que j'en ai l'occasion, comme récemment à Washington lors des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, mais aussi en France face à des entreprises, au Sénégal ou encore en Guinée. Nous devons faire progresser ce dossier et, pour cela, la France doit continuer de jouer un rôle moteur au niveau national, où les députés se sont mobilisés autour d'une proposition de loi, comme à l'échelon international.
Je fais partie de ces députés et j'ai bien l'impression que la proposition de loi est enterrée depuis plus d'un an. Pouvez-vous nous aider à la défendre ? Au-delà du seul cas du Rana Plaza, des scandales surviennent tous les jours dans les pays du Sud du fait de multinationales bien implantées dans les pays du Nord, en particulier en France. Les exemples sont nombreux dans le textile, notamment. Nous sommes plusieurs parlementaires sur ce front et je sais qu'ici, nous sommes entendus. Il y va, vous l'avez rappelé, d'une obligation légale. J'espère que vos propres collègues finiront par être convaincus.
Nous insistons pour que cette question soit débattue par le G7 et le G20, et nous encourageons l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans sa réflexion sur le sujet. Car la tâche sera plus facile pour la France, et pour l'Europe qui a adopté une directive sur la transparence ayant trait à ces questions, si ces dernières sont abordées à l'international. Il importe en outre que les décisions qui seront prises en la matière soient applicables partout, à toutes les entreprises.
Merci, Madame la Secrétaire d'État. Nous allons suivre attentivement ces différents dossiers et nous n'hésiterons pas à vous solliciter de nouveau à leur sujet.
La séance est levée à 17 h 40