Pour ses travaux, la mission d'évaluation et de contrôle de la commission des finances reçoit le concours de la Cour des comptes. Dans le cadre de cette mission, plutôt que de convier systématiquement la Cour à nos auditions, nous avons décidé, pour des raisons d'efficacité, de procéder différemment et d'auditionner des magistrats travaillant sur ces questions. S'agissant du réseau des chambres de commerce et d'industrie et de celui des métiers et de l'artisanat, la Cour n'est compétente que pour les têtes de réseau CCI France et APCMA, les chambres départementales et régionales relevant du contrôle des chambres régionales des comptes. En revanche, le contrôle de l'ensemble du réseau des chambres d'agriculture relève de la Cour des comptes.
Nous remercions donc MM. Didier Guédon et Jacques Basset de nous dresser un bilan des contrôles effectués sur les chambres d'agriculture.
Le réseau des chambres d'agriculture est constitué de 121 établissements, dont 19 chambres régionales et 91 chambres autorisées à percevoir la taxe pour frais de chambre - les chambres départementales, les chambres interdépartementales et les récentes chambres de région du Nord-Pas-de-Calais et d'Alsace. Le réseau compte 8 000 agents dont 6 000 techniciens et ingénieurs.
Dans la mesure où il n'existe pas de consolidation des comptes de l'ensemble du réseau, nous travaillons sur la base des données remontées par l'infocentre des établissements publics nationaux de la DGFiP qui recueille les comptes financiers des chambres d'agriculture. Nous y ajoutons les informations sur les comptes d'une dizaine de chambres qui ne sont pas fournis par l'infocentre.
Le budget des chambres est estimé à 716 millions d'euros par l'APCA, l'année de référence de ce chiffre n'étant pas précisée. Mais, en raison du nombre important de doubles comptes figurant dans les données de l'infocentre, il nous est difficile de connaitre le chiffre exact du budget. Les doubles comptes sont liés d'une part, aux subventions qui transitent par les chambres régionales et d'autre part, aux crédits qui remontent des chambres départementales vers les chambres régionales, notamment dans le cadre de la mutualisation. Avec doubles comptes, le budget atteint 880 millions d'euros. Le budget estimé par l'APCA, qui neutralise les doubles comptes, paraît donc tout à fait crédible.
Nous ne pouvons pas faire un bilan des mesures prises en loi de finances pour 2015 et nos observations ne portent que sur la période 2011-2013. Sur cette période, on constate une progression plus rapide des dépenses d'exploitation – 6,4 % – que des recettes – 5 %. On observe également une forte rigidité des dépenses d'exploitation constituées à plus de 50 % de frais de personnel qui sont passées de 52,6 % en 2011, contre 51 % en 2013, voire 58 % pour les seules chambres départementales. Leur croissance a été forte entre 2006 et 2013. Dans trois contrôles sur quatre, la Cour a pu constater une augmentation des effectifs des chambres d'agriculture, tant au niveau départemental (avec notamment la reprise des personnels des ADASEA en 2011) que régional. Moins de 20 % des chambres départementales connaissent une baisse de leur masse salariale entre 2011 et 2013.
Cependant, le taux de croissance des dépenses de personnel sur la même période s'élève à 3 %, soit deux fois moins que celui de l'ensemble des dépenses d'exploitation que nous chiffrons à 6,4 %. Les dépenses de personnel ne sont donc pas nécessairement la cause de l'augmentation globale des dépenses d'exploitation. Il est encore difficile d'identifier les raisons de cette évolution : premiers effets de la mutualisation, externalisation accrue ou plus grande rigueur dans la gestion des ressources humaines, sous la contrainte d'un financement qui tend à se réduire. On constate en tout état de cause que le durcissement des conditions de financement remontant à 2011 est progressivement pris en compte.
Le résultat des établissements du réseau s'est dégradé entre 2011 et 2013. L'excédent cumulé était de 18 millions d'euros en 2011 et n'est plus que de 300 000 euros en 2013, malgré le rétablissement financier de l'APCA qui pèse assez lourdement dans le budget du réseau. Le contraste apparaît assez fort entre des établissements constamment excédentaires – 51 chambres, soit une chambre sur deux – et des chambres structurellement déficitaires – une quinzaine de chambres. Parmi ces dernières, certaines ont pourtant bénéficié à plusieurs reprises de dérogation ou de dépassement du taux pivot de la taxe pour frais de chambre d'agriculture (TFCA) entre 2008 et 2012, mais leur situation s'aggrave depuis 2013, ce qui témoigne d'une tendance lourde pour ces chambres.
Pouvez-vous définir un profil type pour ces chambres structurellement déficitaires ? Ont-elles des caractéristiques communes ou se situent-elles dans certaines zones géographiques ?
Il s'agit principalement de chambres situées dans les régions de montagne et outre-mer qui se caractérisent par un produit fiscal moindre lié à la faible base foncière et à l'isolement.
Je note que la situation diffère selon les départements et selon les catégories d'exploitations. Quand il est indiqué que pour une exploitation de 30 hectares, la réduction de la taxe pour frais de chambre due par les exploitants agricoles représente 19 euros, ces calculs sont d'une rigueur toute relative.
On observe en effet une variété de situations selon les caractéristiques géographiques et topographiques.
La réduction des cotisations aux chambres d'agriculture est présentée comme ne constituant pas un avantage important pour les exploitants agricoles alors que ces cotisations représentent beaucoup pour les chambres. L'exemple d'un département pauvre est ainsi mis en avant alors que les chambres situées dans des territoires plus riches ne sont pas dans la même situation.
La situation financière des chambres structurellement déficitaires alors même qu'elles ont eu recours aux dérogations relatives au taux pivot s'est dégradée car le levier fiscal ne peut plus jouer. Par ailleurs, une dizaine de chambres structurellement excédentaires en 2011 et 2012 connaissent un déficit en 2013. Une grande diversité des situations est la règle au sein du réseau des chambres d'agriculture.
Le fonds de roulement global du réseau est passé de 297 millions d'euros en 2011, soit 4,4 mois de fonctionnement, à 305 millions d'euros en 2013, soit 4,2 mois. La trésorerie en fin d'année s'établissait à 262 millions d'euros en 2011 contre 254 millions en 2013. La diminution est donc limitée et pourrait dans certains cas s'expliquer par un souci d'optimisation et d'adaptation de leur gestion, plus que par une dégradation de leurs conditions financières. De nombreuses chambres conservaient fin 2013 un fonds de roulement important, supérieur à six mois dans une vingtaine de cas.
La répartition des sources de financement selon le modèle « 40-25-20 » – 40 % de ressources fiscales, 25 % de ressources propres et 20 % de subventions – est inégalement observée mais la moyenne des chambres correspond à cette répartition. Certaines chambres n'ont pas de chiffre d'affaires ; d'autres ont des ressources fiscales modestes, inférieures à 25 % des recettes, souvent en raison de la faiblesse des bases d'imposition. Les ressources fiscales diminuent, passant de 297 millions d'euros en 2014 à 292 millions en 2015, sous l'effet du plafonnement voté par le Parlement.
En conclusion, on peut dire que fin 2013, la situation financière globale du réseau était plutôt saine, malgré des contrastes importants entre les établissements. L'endettement est très faible – il s'élevait en 2010 à 45 millions d'euros – notamment parce que le réseau ne connaît pas de grands projets d'investissement et privilégie l'autofinancement. Ceci explique que l'écrêtement des fonds de roulement pose problème pour le financement des investissements.
Votre affirmation sur l'absence de projets d'investissement du réseau m'étonne car les chambres ont des projets.
Ces projets sont plutôt modestes et portent avant tout sur l'immobilier de la chambre – travaux au siège, création d'antennes. L'endettement est faible car les chambres recherchent l'autofinancement, et pour ce faire, abondent leur fonds de roulement.
Je voudrais citer le projet de la chambre d'agriculture de la Marne de reconversion d'un site militaire, représentant un investissement de plusieurs dizaines de millions d'euros, pour lequel la ponction sur le fonds de roulement va perturber le montage financier.
Lors des auditions précédentes, il est apparu qu'à l'exception de quelques exemples dont certains sont emblématiques comme des stations expérimentales, les investissements des chambres d'agriculture concernent principalement les locaux des chambres. Les autres chambres consulaires sont confrontées à des problèmes différents. Je pense aux chambres de commerce et d'industrie ou aux chambres de métiers et de l'artisanat dont les investissements peuvent porter sur la construction d'un centre d'apprentissage, par exemple.
Les seuls projets d'investissement des chambres d'agriculture dont nous avons connaissance sont liés à l'acquisition ou la rénovation des locaux, à la création d'antennes – parfois en synergie avec d'autres chambres consulaires – ainsi qu'à des fermes expérimentales implantées dans l'ouest.
S'agissant des circuits courts, il semble que les intérêts des chambres puissent être convergents dans le domaine de la distribution. Les projets dans ce domaine peuvent être l'occasion d'investissements communs avec le secteur de l'artisanat.
Nous n'avons pas constaté de tels projets. S'agissant des circuits courts, les chambres d'agriculture apportent le plus souvent leur appui à une association existante.
Je retiens de vos propos que l'autofinancement n'est peut-être la meilleure solution aujourd'hui, compte tenu des taux d'intérêt très bas. En matière d'économies de personnel, les efforts des chambres comme des collectivités locales ne sont pas aussi importants qu'on pouvait l'espérer. Les charges de personnel représentent encore 58 % des dépenses des chambres départementales alors qu'il y a eu des départs en retraite. Il faudra également veiller à ce que la montée en puissance des chambres régionales ne se traduise pas par une inflation de créations de postes.
Quelle part du budget représentent les charges de fonctionnement, en particulier l'informatique ?
Compte tenu de l'importance des charges de personnel et des dépenses d'intervention qui constituent l'essentiel des dépenses, les fonctions support ne peuvent représenter qu'une faible part des dépenses. Mais il est difficile d'avancer un chiffre précis.
L'informatique est parfois le seul poste d'investissement d'une chambre dans la mesure où les programmes d'investissement sont généralement modestes.
Avez-vous constaté des redondances dans les missions exercées par les différentes chambres ? Quelles sont les possibilités de mutualisation au sein du réseau et avec les autres chambres consulaires ?
Le premier doublon est dû à l'existence de deux établissements publics intervenant dans le domaine forestier : les chambres d'agriculture et le centre national de la propriété forestière.
Dans nos différents contrôles, nous n'avons guère observé de synergies. Des tentatives ont été faites en matière d'immobilier mais elles ont buté sur des questions d'organisation. Cette piste semble malgré tout intéressante. Dans certains territoires, ont été créées des antennes communes. En Corrèze, la chambre d'agriculture partage ses locaux avec les autres chambres consulaires. Par ailleurs, les chambres d'agriculture abritent souvent d'autres structures liées à l'activité agricole.
Quel regard portez-vous sur les rapports avec la tutelle ? L'État joue-t-il un rôle éclairé ?
Quelle place occupent les syndicats agricoles ? Quels sont leurs liens financiers avec les chambres ?
Depuis la loi de finances pour 2002, un financement budgétaire est fléché en faveur des syndicats, de l'ordre de 19 millions d'euros par an. Toutefois, on observe encore des financements de la part des chambres d'agriculture, plutôt sous forme d'achat de prestations ou encore de subventions. Lors du contrôle en Midi-Pyrénées, nous avons constaté des financements directs ou la mise à disposition de moyens auprès de la fédération départementale des exploitants agricoles (FDSEA) ; la cour de discipline budgétaire et financière a sanctionné ces manquements. À l'occasion des contrôles, nous examinons cette question et nous faisons les observations qui s'imposent.
S'agissant de la tutelle et dans la mesure où les chambres d'agriculture ne sont pas des établissements publics comme les autres, le contrôle de l'État se rapproche plus du contrôle de légalité qui s'exerce sur les collectivités locales que de tutelle proprement dite. Il s'agit principalement d'un contrôle budgétaire.
En Bretagne, une seule préfecture, celle du Morbihan, contrôle les actes de l'ensemble des chambres consulaires relevant de la région. Cette spécialisation permet d'assurer un suivi plutôt satisfaisant.
Parvenez-vous à établir une ligne de partage entre prestations payantes et gratuites ? Le réseau fait-il preuve d'une transparence suffisante en la matière ?
La ligne de partage voudrait que les prestations gratuites se rattachent aux missions de service public et les prestations payantes au secteur concurrentiel.
Dans les faits, il n'est pas évident de tracer une ligne de fracture manifeste. Les chambres d'agriculture interviennent pour pallier un manque ou pour mettre en oeuvre des innovations techniques intéressantes. Elles offrent un service de proximité répondant à la demande, selon un modèle mixte entre missions de service public et secteur concurrentiel.
Quelle appréciation portez-vous sur le rôle de la tête de réseau ? Connaît-elle des difficultés pour assurer son rôle de coordination en matière de régionalisation du réseau mise en oeuvre depuis 2008, rôle qui va devenir encore plus important avec la loi NOTRe ?
Pouvez-vous préciser ce que vous entendez lorsque vous dites que ce ne sont pas des établissements publics comme les autres ?
Ce sont des établissements publics nationaux mais en tant que chambres consulaires, elles ont des représentants élus et un ordonnateur élu alors que dans un établissement public, l'ordonnateur est traditionnellement le directeur général de l'établissement.
S'agissant de leurs missions, les chambres d'agriculture sont-elles en concurrence ou en doublon avec d'autres organismes financés par des fonds publics ?
À côté des chambres d'agriculture, d'autres acteurs interviennent dans le domaine agricole. Ainsi, les coopératives agricoles ou les interprofessions développent des actions de conseil mais qui ne recoupent pas nécessairement celles des chambres ; les instituts techniques agricoles mènent des actions de recherche appliquée.
Les chambres d'agriculture ont pour elles d'être des établissements publics et à ce titre, elles ont vocation à accueillir tous les agriculteurs et affichent une plus grande proximité avec le terrain que les autres opérateurs dans le domaine agricole.
Nous n'avons pas connaissance de guerres ou de frontières entre les différents opérateurs d'autant que les chambres comptent souvent en leur sein des représentants des autres acteurs du secteur agricole, ce qui favorise sans doute un équilibre naturel dans les différents champs d'intervention.
Au cours de l'année 2015, nous devons évaluer le rôle de l'APCA dans l'évolution du réseau depuis quelques années. Ce travail permettra d'avoir une vision plus claire. D'ores et déjà, les contrôles réalisés sur les chambres d'agriculture montrent que les résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux.
L'APCA s'est certes mobilisée et a mobilisé les chambres depuis 2009 en faveur de la réforme du réseau dans le cadre du projet « Terres d'avenir » qui visait à améliorer la proximité avec les agriculteurs tout en recherchant des économies de moyens par le biais de la mutualisation ou de la fusion des chambres. Mais les résultats sont minces. Depuis 2011 que les possibilités de fusion de chambres sont offertes, seulement deux chambres de région ont été créées – en Nord-Pas-de-Calais et en Alsace – et deux chambres interdépartementales – la première entre le Doubs et le Territoire de Belfort, la seconde entre les deux Savoie.
De même, en matière de mutualisation, les résultats sont très variables d'une région à l'autre. Certaines régions ont accompli un effort véritable. Mais, dans la majorité d'entre elles, ce travail de mutualisation n'a pas été mis en oeuvre, faute peut-être de volonté des élus des chambres départementales.
L'APCA a cependant joué un rôle important dans la mise en place de services communs nationaux, notamment pour les fonctions support ou en matière de formation et d'accompagnement.
Afin de favoriser la cohésion du réseau, l'APCA gère également des fonds de mutualisation, qu'il s'agisse du fonds de péréquation auquel est versé une part des fonds de roulement (issu du FNPCA) ou du fonds de gestion des personnels des chambres privés d'emploi (FNAGE), qui connait des difficultés. En dehors de ces dispositifs, force est de constater que les progrès en matière de regroupement et de mutualisation sont décevants. On observe un développement de la mutualisation, en façade, et portant sur les fonctions les plus faciles à mettre en commun, comme les fonctions support.
La tâche n'est pas simple car il est difficile de faire travailler les chambres entre elles quand elles n'ont pas suffisamment développé une culture de mutualisation et de regroupement.
Vous avez relevé l'hétérogénéité des situations, y compris dans la structuration des dépenses. Pensez-vous qu'il serait pertinent d'introduire des critères dans le plan triennal de prélèvement et de diminution des recettes ?
Le mouvement qui a été engagé est uniforme et toutes les chambres ont été traitées de la même manière. Il serait étonnant qu'il n'en résulte pas des conséquences dommageables. Il faut sans doute fixer des critères de répartition pour l'utilisation du fonds de péréquation. Mais il faut aller au-delà de la fixation de tels critères et envisager, pour certaines chambres en difficulté, des plans d'accompagnement, à condition qu'ils soient assortis de contreparties.