La réunion

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La séance est ouverte à 14 heures 45.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, ouverte à la presse, de M. Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes

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Nous recevons aujourd'hui M. Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes (CIAV). Monsieur le directeur, nous vous remercions d'avoir répondu à la demande d'audition de notre commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Vous savez que nous avons souhaité commencer par entendre les victimes qui ont droit à toute l'attention de la représentation nationale. Nous poursuivons notre série d'auditions avec vous qui dirigez la CIAV. Établie au Quai d'Orsay, dans les locaux du centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère des affaires étrangères et du développement international, la CIAV a été mise en place le 12 novembre 2015, conformément à l'instruction interministérielle du même jour, relative à la prise en charge des victimes d'actes de terrorisme. La mission de vos équipes est de constituer, pour les victimes et leurs familles, un interlocuteur exclusif capable de communiquer des réponses à leurs questions ou de les orienter vers les bons experts.

La CIAV se compose de plus de 110 personnes. Ce sont des agents des ministères de la justice, de l'intérieur, de la santé et des affaires étrangères, des professionnels de santé issus notamment de la Croix-Rouge, l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, de la cellule d'urgence médico-psychologique et de membres d'associations d'aide aux victimes telles que l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM) et la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (FENVAC).

Je rappelle que cette table ronde est ouverte à la presse et fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale ; son enregistrement sera également disponible pendant quelques mois sur le portail vidéo de l'Assemblée nationale, et je vous signale que la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui sera fait de cette audition.

Je vous laisse la parole pour un exposé liminaire qui sera suivi d'un échange de questions et réponses. Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Patrice Paoli prête serment.)

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

Je précise que je suis un directeur intermittent puisque la CIAV ne fonctionne pas en permanence ; elle est convoquée par le Premier ministre dans des circonstances particulières.

J'ai suivi avec une grande attention, sur le site internet de l'Assemblée nationale, les débats que vous avez menés jusqu'à présent, en particulier la table ronde consacrée aux victimes et aux associations qui les accompagnent. La douleur indicible des personnes et de leur famille nous incite à la plus grande modestie quand nous faisons face à des situations telles que celle que la France a connue ce 13 novembre 2015 et les jours suivants. Dans mon intervention, je vais évoquer ce que nous avons essayé de faire et les imperfections qui sont apparues lors de la mise en place du système.

Certains de mes collaborateurs m'accompagnent, signe de l'esprit d'équipe qui nous a animés. J'insiste sur ce mot d'équipe et sur cette notion de travail collectif au service de nos concitoyens. Je vous remercie de nous avoir conviés à cette réunion qui nous offre l'occasion de mieux nous connaître.

La CIAV était un objet inconnu ; elle ne s'était jamais réunie. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, elle a été créée par une instruction interministérielle signée le 12 novembre dernier. Elle a été activée pour la première fois le lendemain, à la demande du conseil des ministres, à la suite des attentats, c'est-à-dire le 13 novembre 2016. Cette cellule interministérielle, inventée dans l'urgence, rassemble des personnels de quatre ministères – justice, intérieur, santé et affaires étrangères –, les associations FENVAC et INAVEM, et aussi le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) qui en est un acteur indispensable.

La CIAV est issue des réflexions menées au niveau interministériel après les attentats de janvier 2015, qui ont abouti à la signature de cette instruction, le 12 novembre 2015. J'imagine que vous allez m'interroger sur les difficultés de sa mise en place, un thème abordé par toutes les personnes auditionnées. Au fil des heures, nous avons réussi à créer une équipe véritablement solidaire. C'est un organisme ad hoc qui dépersonnalise ceux qui y viennent : nous représentons la CIAV, quels que soient nos ministères ou organismes d'origine. La CIAV est l'objet que nous devions créer et je pense que nous avons réussi à lui donner vie.

À partir du moment où la réponse téléphonique a été localisée chez elle, la CIAV a reçu 11 300 appels – je ne compte pas les communications sortantes. Quelque 120 agents ont été mobilisés en permanence pendant environ quinze jours, et ce nombre a atteint 160 durant les derniers jours, lorsque nous avons été chargés de préparer la cérémonie d'hommage national qui a exprimé la solidarité de la nation avec les victimes et leurs familles.

La CIAV a fini par fonctionner, j'y insiste. Elle a trouvé peu à peu son rythme, car il y avait des précédents sur lesquels nous pouvions nous appuyer : d'une part, les retours d'expérience des heures douloureuses que nous avons connues lors des attentats du mois de janvier ; d'autre part, les habitudes de travail acquises, souvent dans un cadre interministériel, lors des crises internationales dans lesquelles nous assurons précisément le soutien aux victimes. En cas d'attentats, nous sommes exclusivement chargés de l'assistance aux victimes, et nous n'intervenons pas dans les enquêtes ou le travail technique qui a été décrit par plusieurs des personnes que vous avez déjà auditionnées.

L'un des principes à établir rapidement – qui a été conforté dès la visite du Premier ministre au CDCS – est celui des trois unités : de lieu, de direction et d'équipe. Cependant, nous avons été confrontés d'emblée à la nécessité de rompre avec ce principe prévu par la circulaire interministérielle, pour nous adapter aux circonstances, aux besoins du moment, en ouvrant un centre d'accueil physique à l'École militaire et un dispositif d'accueil et d'accompagnement des familles à l'institut médico-légal de Paris. La CIAV a coordonné ces dispositifs qui n'étaient pas prévus au départ. Les premières heures ont été occupées par la mise en place du dispositif, par la constitution d'équipes capables de le faire fonctionner, afin de répondre à l'attente des familles. Dès le samedi 14 novembre, nous avons pu essayer d'accomplir au mieux les missions qui nous étaient dévolues : centralisation des informations concernant l'état des victimes ; information et accompagnement des proches ; coordination de l'action des ministères intervenant en relation avec les associations et avec le parquet ; préparation de la cérémonie d'hommage.

En ce qui concerne l'accompagnement, j'ai pu constater que les victimes et leurs proches demandent du soutien psychologique et une assistance pour accéder à leurs droits, notamment en matière d'indemnisations. Ils demandent aussi à être épaulés dans les démarches administratives, notamment celles qui sont liées à un décès.

Pour fonctionner, la CIAV a besoin d'un carburant : les coordonnées des victimes et de leurs proches. C'est précisément ce qui a été un angle mort pendant les premières heures. La contribution des hôpitaux est décisive. Il a fallu créer une culture commune avec des agents de l'État, des personnels hospitaliers de toutes provenances, qui n'avaient pas l'habitude de ce travail en commun ni des procédures nouvelles qui ont été adaptées dans l'urgence.

Après la cérémonie d'hommage aux Invalides, nous avons passé le relais au comité de suivi des victimes, qui a été mis en place dès le 27 novembre. Installé au ministère de la justice, ce comité est placé sous l'autorité de Mme Juliette Méadel, secrétaire d'État chargée de l'aide aux victimes.

J'en viens à quelques éléments de bilan pour introduire notre débat. L'unité de direction, d'équipe et de lieu a été consacrée au cours des réunions organisées sous l'autorité du Premier ministre. Le 11 décembre, nous avons procédé à un premier retour d'expérience pour confirmer que la CIAV devait bien être hébergée et pilotée par l'équipe en place au CDCS.

Deuxième enseignement : le recueil des informations nécessaires doit être centralisé. Selon l'instruction qui est en cours de révision et qui devrait être prochainement signée, la réponse téléphonique, qui a été un peu hoquetante au départ, doit être localisée directement à la CIAV. Si, par malheur, des nouveaux actes terroristes devaient survenir sur notre territoire, la réponse téléphonique serait immédiatement confiée à la CIAV.

Un autre problème a été soulevé, à juste titre, par les victimes : le choix d'un numéro en 800 ne permettait pas l'accès des appelants de l'étranger. Nous avons donc mis en place, aussi vite que possible, un numéro dédié qui permettra de recevoir les appels de l'étranger à l'avenir. Nous ne souhaitons pas avoir à l'utiliser mais, si de telles occurrences devaient se reproduire, un numéro ordinaire permettrait à tout le monde d'avoir directement accès à la cellule.

La prochaine instruction va consacrer l'École militaire comme lieu d'accueil pour les victimes à Paris, placé sous l'autorité de la CIAV et coordonné par elle. Le dispositif de l'École militaire, créé dès le samedi 14 novembre, avait été annoncé avant sa mise en place. Des familles ont alors afflué vers un centre qui n'était pas encore opérationnel, ce qui a causé des difficultés. De même, la CIAV structurera l'accueil des familles à l'Institut médico-légal de Paris ou des autres instituts médicaux qui seraient chargés de l'identification afin de gagner du temps.

Une autre question se pose, même si elle ne relève pas de la CIAV : les moyens du FGTI à terme. Si le FGTI est appelé à indemniser un nombre de croissant de personnes, il faudra qu'il puisse faire face à ces exigences.

Les réflexions sur l'adaptation du dispositif ont aussi conduit à envisager l'hypothèse où des attentats surviendraient à la fois dans Paris et hors de Paris. L'idée, qui est arrivée à un stade de maturation avancé, est de désigner dans chaque préfecture une personne qui serait au fait des procédures. Ce correspondant pourrait prendre les premières dispositions, concernant les lieux d'accueil des familles et les instituts médico-légaux notamment, en attendant qu'une équipe de la CIAV arrive sur place dans un délai qui ne devrait pas excéder quelques heures.

L'hypothèse d'attentats concernant à la fois la France et des ressortissants Français à l'étranger a aussi été examinée. En fait, elle est concrète puisque, le 20 novembre dernier, un attentat a eu lieu dans un hôtel de Bamako où se trouvait de nombreux Français. Nous avons installé une cellule de crise dans nos salles pour traiter concomitamment cette attaque et les attentats du 13 novembre. Nous avons pu la désactiver rapidement car, chance inouïe, aucun Français n'a été victime de cette attaque. Nous devons néanmoins envisager le cas où des événements nécessiteraient une mobilisation importante dans différents théâtres d'intervention.

Les attaques qui ont conduit à l'activation de la CIAV sont d'une portée d'une ampleur nouvelle, inédite. Nous avons donc dû nous adapter. Personnellement, je trouve que la mobilisation – des hommes et des pouvoirs publics – a été exemplaire, même si elle n'a pas été parfaite, loin de là. Il n'était pas évident de réunir d'emblée toutes les compétences de l'État dans un organisme dont le fonctionnement est unique.

En guise de conclusion à ce propos liminaire, je vais un peu résumer notre travail post-attentat. Tout d'abord, nous tendons à adapter l'instruction interministérielle pour la rendre opérationnelle et corriger les imperfections décelées. Des retours d'expérience ont eu lieu dans les divers ministères. Pour notre part, nous avons participé à un retour d'expérience au ministère de la santé où j'ai rencontré M. Georges Salines, un président d'association avec lequel j'ai établi un contact. Dans les jours qui viennent, je vais présenter nos réflexions pour l'avenir à M. Salines et aux autres représentants d'association.

J'ai déjà dit un mot de la réflexion que nous conduisons sur le lien entre Paris et les autres villes. Nous voulons aussi qu'à l'intérieur de la CIAV, chacun connaisse mieux les cultures et les procédures des autres. Nous avons donc entamé un travail de connaissance systématique et pointilleux avec la police technique et scientifique de Lyon, avec la préfecture de police qui nous a rendu visite récemment et avec qui nous avons partagé nos expériences, avec les associations. L'objectif est de limiter les incertitudes. Pour cela, outre le travail de conceptualisation et d'adaptation de l'outil, nous devons faire des exercices sur le plan interministériel. Avant que ne soit consacrée totalement la nouvelle instruction interministérielle, nous devons avoir testé et vérifié le bon fonctionnement de la CIAV.

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Je note, mais c'est le hasard tragique du calendrier, que la CIAV a été créée le 12 novembre 2015, c'est-à-dire à la veille des attentats. Il est assez troublant de constater cette concomitance.

S'agissant du lieu de prise en charge des victimes, il a été décidé dans l'urgence que ce serait l'École militaire. Lors de son audition, M. Martin Hirsch, le directeur de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a suggéré de configurer l'Hôtel-Dieu pour en faire ce lieu unique de prise en charge. Quel est votre avis ?

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

À ce stade, je n'ai plus d'avis puisque cette question a été tranchée : dans l'instruction interministérielle, qui est en voie de finalisation avec la contribution de tous les services impliqués, l'École militaire a été retenue comme lieu de prise en charge à Paris. Avec les équipes de M. Le Drian et de Mme Méadel, nous sommes allés voir la semaine dernière comment il était possible d'améliorer l'aménagement et l'organisation de ce lieu.

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Pourriez-vous nous donner un peu plus de précisions sur les méthodes et les moyens qui sont à votre disposition pour identifier les victimes ?

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

L'identification des victimes n'est pas du ressort de la CIAV. Dans un premier temps, la cellule doit recenser tous les appels qu'elle reçoit. Tous les appels sont considérés comme pertinents et sont enregistrés sur un logiciel où nous devons veiller à inscrire les coordonnées des gens, ce qui nous permettra de les rappeler et d'échanger des informations avec les familles. Ce recueil d'informations ne sert pas à l'enquête qui est centralisée au ministère de l'intérieur. Dans un deuxième temps, les cas sont ventilés en trois catégories : les décédés, les blessés, les autres personnes impliquées et éventuellement éligibles à une indemnité après examen de leur situation par le parquet.

Le lieu d'accueil des victimes, établi à l'École militaire, dispose d'une cellule ante morten. Elle sera désormais organisée d'emblée de manière cohérente et solidaire, et elle recueillera toutes les données que les familles pourront avoir à porter à la connaissance des autorités : signes distinctifs, tatouages, etc. Aucune méthode ne sera exclue pour identifier les victimes. Le travail d'identification proprement dit s'effectuera dans les instituts médico-légaux requis. La collecte de tous ces éléments permet de resserrer petit à petit le cercle des investigations.

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Lors des premières auditions, une personne nous a raconté la manière dont on lui a annoncé la mort d'un proche dans les attentats. Elle nous a fait part du choc et de l'émotion ressentis lorsque la personne, au bout du fil, lui a annoncé le décès de ce parent avant de lui souhaiter une bonne soirée. Il s'agit là sans doute d'un manque de formation, d'expérience. Votre organisation actuelle permet-elle de corriger ce genre de choses ?

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

La communication de ce genre d'information aux proches ne se fait pas par téléphone et respecte des règles extrêmement précises. C'est un officier de police judiciaire (OPJ) qui doit annoncer la nouvelle, sauf exceptions prévues par les textes et motivées par des raisons humaines et non pas administratives. Dans ces derniers cas, il s'agit de protéger les familles de la diffusion de nouvelles par les médias ou les réseaux sociaux, dont vous avez eu des témoignages, me semble-t-il. On ne peut faire entorse à la règle que pour des raisons humaines, psychologiques.

Nous savons la douleur indicible des proches, mais ce système est mis en place par des hommes et des femmes. Tout ne fonctionne pas toujours parfaitement. Dans l'urgence, face à l'ampleur et au caractère inédit de ces événements en France, il y a certainement eu des couacs.

Si nous avons insisté pour que l'information soit centralisée, ce n'était pas par souci de défendre un territoire : la CIAV respecte des procédures qui offrent des garanties, mais elles peuvent prendre du temps et donc être contestées par les familles. Une information ne peut pas être donnée tant qu'elle n'a pas été vérifiée. Nous avons le même problème avec les procédures d'identification. Pour répondre vite, il a été décidé d'accélérer les procédures autant que possible. Il est difficile de concilier deux exigences en partie contradictoires : informer au plus vite par humanité ; prendre le temps de respecter les procédures pour être sûr de donner la bonne information.

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À plusieurs reprises, vous avez évoqué l'unité de lieu, de direction et d'équipe, et vous avez fait référence au fait que, durant les vingt-quatre premières heures au moins, la gestion des appels téléphoniques était assurée par la préfecture de police et non pas par la CIAV. Je peux imaginer que cette dissociation – accueil téléphonique à la préfecture de police et la gestion du suivi des appels au ministère des affaires étrangères – ait pu causer des difficultés d'organisation. Qui a pris cette décision de dissocier les lieux ? Est-ce que cela a été un véritable handicap ?

Il a été dit que le standard téléphonique de la préfecture de police a sauté à quatre reprises entre le 13 et le 14 novembre. La CIAV était-elle suffisamment équipée pour gérer le flux téléphonique ? Les 11 300 appels reçus dont vous avez parlé comprennent-ils aussi ceux qui ont été gérés par la préfecture de police ? La CIAV était-elle suffisamment dotée pour gérer les appels ? Si oui, pour quelle raison et par qui a été prise la décision d'envoyer les appels vers la préfecture de police ?

À partir de quelle heure et par quelle autorité la CIAV a-t-elle été mobilisée ? En combien de temps avez-vous pu mobiliser le personnel ? Comme vous l'avez rappelé dans votre propos liminaire, plus d'une centaine de fonctionnaires – notamment du ministère des affaires étrangères – et de bénévoles ont été sollicités.

À partir de quelle heure la CIAV a-t-elle commencé à récupérer en direct les appels téléphoniques ?

Lors de l'audition de Martin Hirsch, le directeur de l'AP-HP, il a été dit que vous aviez demandé les numéros de portables des victimes hospitalisées le lundi matin. Pour quelle raison et dans quel but ?

Lors du retour d'expérience, forcément utile puisque vous continuez à évoluer, avez-vous pointé d'autres véritables difficultés que celles concernant l'accueil téléphonique ?

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

En ce qui concerne l'activation de la CIAV, en fait, nous sommes tous allés au centre de crise dès que nous avons été informés des attentats. Nous y sommes allés parce que les circonstances l'exigeaient, sans nous préoccuper de lire l'instruction sur la CIAV qui n'avait été signée que la veille et que nous n'avions pas encore. La cellule interministérielle a été ensuite activée dans la soirée, à l'issue d'un conseil des ministres extraordinaire et donc par une décision du Premier ministre. Je n'ai pas l'heure exacte. Nous étions déjà sur place et nous avions déjà commencé à faire appel aux personnels volontaires que nous mobilisons régulièrement, en particulier les personnels de la Croix-Rouge. La CIAV s'est constituée progressivement. Il a dû s'écouler une heure et demie entre l'annonce des attentats et la mise en place d'une structure qui commençait à être opérationnelle, constituée des premiers volontaires et des équipes du centre de crise avant que les personnels des autres ministères ne commencent à arriver.

L'instruction interministérielle du 12 novembre prévoyait que les appels téléphoniques arrivent à la préfecture de police. Le texte a donc été appliqué tel qu'il était prévu. Je n'étais pas moi-même à la préfecture de police et je ne sais pas quels moyens y ont été déployés mais il y a effectivement eu une saturation des lignes. Nous sommes restés en contact avec la préfecture tout au long des premières heures pour voir comment nous pouvions régler les problèmes d'accès.

À cet égard, je reviens sur cette question de culture commune et sur le fait que nous avons demandé le numéro de téléphone des victimes des attentats. Il ne s'agit pas seulement de répondre à tous appels ; nous devons aussi le faire de manière à pouvoir assurer un suivi des victimes. Comment pouvons-nous les joindre ? Telle est la première question à laquelle nous devons répondre. Pour traiter les appels, nous utilisons le logiciel Crisenet qui n'est pas à la disposition de tous les ministères et qui n'était pas en place à la préfecture de police. Ce logiciel permet d'enregistrer les demandes et les coordonnées des personnes. Ce premier appel que nous recevons n'a de valeur que si nous pouvons le suivre car la relation avec les victimes et leurs proches est interactive.

Dans la matinée du samedi 14 novembre, il devait être à peu près neuf heures, il a été décidé de basculer les appels vers la CIAV, comme je l'avais demandé. J'étais en communication avec notre directeur de cabinet qui nous représentait au centre interministériel de crise à la place Beauvau. L'opération a pris quelques heures, et la réponse téléphonique nous a été définitivement attribuée à dix-neuf heures le samedi 14 novembre. Nous avons alors pu commencer à fonctionner. En creux, on peut deviner la saturation mentale ou morale de personnes en détresse qui, n'ayant pas pu avoir accès à cette réponse téléphonique dans des conditions souhaitables, ont peut-être été découragées. Mais la cellule téléphonique a opéré dès que nous avons pu prendre le relais.

Je reviens sur la question suscitée par l'audition de Martin Hirsch et à laquelle j'ai déjà partiellement répondu. Effectivement, il n'est pas dans les habitudes d'un établissement hospitalier de communiquer les coordonnées téléphoniques de ses patients mais, pour notre part, nous ne pouvons pas travailler si nous n'avons pas ces numéros. Ils nous sont nécessaires pour informer les gens de leurs droits, pour assurer le suivi des dossiers et, tout bêtement, pour que personne ne soit laissé de côté lors de la cérémonie d'hommage. Ces numéros sont le carburant du centre de crise et du CIAV.

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L'instruction du 12 novembre prévoyait que l'accueil téléphonique se fasse à la préfecture de police. Qu'est-ce qui a motivé cette dissociation physique entre le centre d'appel et la CIAV ? Ensuite, l'accueil téléphonique a été transféré à la CIAV. Mais il s'est écoulé un laps de temps important entre le moment où la cellule a été active, c'est-à-dire partir de vingt-trois heures ou vingt-trois heures trente le vendredi soir, et la récupération de l'accueil téléphonique à dix-neuf heures le lendemain. Dans cet intervalle, il y a forcément eu un afflux d'appels. Étiez-vous suffisamment dotés ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le logiciel Crisenet que vous venez d'évoquer ? Lors des auditions, les uns et les autres nous ont parlé de tableaux en format Excel qui avaient du mal à transiter. L'AP-HP nous a ainsi expliqué que leurs tableaux arrivaient déformés à la CIAV, que les lignes ne correspondaient plus forcément au modèle de départ, etc. Est-ce lié à l'utilisation de ce logiciel ? La question peut paraître anecdotique mais elle a été soulevée à de nombreuses reprises, notamment par les victimes et des associations qui les représentent.

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

Au contraire, c'est une excellente question. Nous nous posons en permanence la question de la compatibilité des outils. Nous avons découvert des choses que nous ne connaissions pas, auxquelles nous n'avions pas pensé. Je le répète, il faut créer une culture commune.

La réponse téléphonique avait été conçue ainsi parce que l'événement était survenu en France, à Paris en l'occurrence. Il y avait des raisons de faire comme ça. Pour ma part, je suis arrivé en cours de négociation, quand j'ai pris mes fonctions au centre de crise, à un moment où un certain nombre de choses étaient déjà écrites. Personne n'a pensé que ça pourrait poser un problème. Il se trouve qu'il y en a eu un, sous l'effet de l'afflux. Je ne suis pas là pour juger et pour compter les points. Nous travaillons tous ensemble. Pendant toute la journée du samedi, nous avons été en relation avec le préfet de police et ses équipes pour régler ce problème technique.

Pour le reste, il y a des méthodes de recueil d'information. Le logiciel Crisenet a été créé pour traiter des événements survenant à l'étranger et gérés par le CDCS. Il s'agissait de recueillir la matière première indispensable, c'est-à-dire les bonnes données pour pouvoir fonctionner. La réflexion interministérielle en cours va permettre d'améliorer le système. Qui dit nouvelle mission, dit aussi nouveaux moyens : le CIAV va faire appel à des programmistes pour adapter les outils et faire en sorte qu'ils soient parfaitement compatibles entre eux, car nous avons en effet rencontré des problèmes de compatibilité ou simplement de transfert de données. À certains moments, c'était difficile. Nous avons réussi à surmonter ces difficultés. C'est cela aussi une cellule de crise : vous ne savez pas comment les choses vont se présenter ; vous devez vous adapter en permanence pour répondre à des questions qui n'avaient été ni posées ni même imaginées. À l'avenir, les logiciels devraient donc être interopérables et nous devrions ne plus rencontrer ce genre de problèmes.

L'un des points identifié est en lien direct avec votre question : la remontée des informations des établissements hospitaliers. Un établissement hospitalier n'a pas nécessairement pour principe de communiquer tel ou tel type de donnée. Pour fournir certaines informations, il utilise des procédures qui le contraignent à passer par l'Agence régionale de santé (ARS) dont il dépend, etc. Or nous avons eu besoin de récupérer des données directement et les systèmes de transmission n'étaient pas nécessairement adaptés.

Je n'ai pas à me prononcer sur la façon dont les blessés ont été accueillis dans les hôpitaux. Je pense qu'ils l'ont été dans des conditions extrêmement rudes et difficiles. Les bons réflexes n'étaient pas forcément acquis et partagés. Mais cette culture commune est en train de se créer. C'est ce qui me frappe dans les retours d'expériences et les réunions interministérielles que nous avons eus depuis le 27 novembre. Dans les réunions, tout le monde sait maintenant quel est notre travail, quels sont nos objectifs et les moyens de les atteindre. Nous sommes donc en train de corriger tous ces problèmes potentiels.

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La Commission d'enquête peut-elle considérer que vous êtes au fond le guichet unique réclamé par les victimes afin de faciliter toutes leurs formalités sanitaires, administratives et juridiques ? Êtes-vous ce guichet unique en cours de constitution ?

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

C'était l'objectif visé lors de la création de la CIAV. L'instruction du 12 novembre visait à créer un guichet unique, rassemblant des intervenants en quelque sorte dépersonnalisés sur le plan administratif : les agents réfèrent au directeur de la CIAV et non pas à leur ministère. La CIAV est donc pleinement en charge. Depuis l'hommage national, nous avons cédé la place au comité de suivi, mais pendant toute la durée de cette expérience douloureuse, entre le 13 et le 27 novembre, nous avons constaté que les victimes et les associations réclamaient ce guichet unique. Nous sommes en parfaite harmonie sur ce point et notre objectif était effectivement d'être pour elles ce guichet unique.

À l'avenir, à Dieu ne plaise, ce guichet unique devra permettre de recueillir tous les appels téléphoniques dès la première heure mais également d'encadrer et d'organiser l'accueil des familles à l'École militaire et dans les instituts médico-légaux qui seraient mobilisés. En novembre, nous étions un peu dans une course contre la montre pour adapter des choses qui n'étaient pas encore complètement conceptualisées.

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La vocation de la CIAV était de devenir un guichet unique mais pendant quelle durée, jusqu'à quel stade ? Comment s'effectue le passage de relais avec le comité de suivi dont vous avez parlé ?

La CIAV s'occupe de la prise en charge et de l'assistance des victimes. Concrètement, que faites-vous après le travail d'identification et d'accompagnement vers les instituts médico-légaux ou les différents instituts ? Au cours des travaux de notre commission d'enquête, il est apparu qu'il existait une forte demande d'accompagnement dans la durée, au-delà de l'hommage national, pour tout ce qui concerne notamment les démarches d'indemnisation et l'aide psychologique. Le guichet unique est-il organisé pour répondre à ces demandes dans la durée ou pour assurer une mission de coordination avec le comité de suivi et les structures médicales ?

L'identification a été effectuée par l'Institut médico-légal de Paris. Pourquoi ne pas avoir fait appel à d'autres instituts afin d'accélérer l'identification ?

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

Tout d'abord, je vais revenir un peu en arrière parce que j'ai omis de mentionner un élément concernant les numéros de téléphone des blessés, que nous demandions. Ces numéros vont alimenter la liste unique de victimes (LUV), établie sous l'égide du procureur de la République, qui servira notamment de base aux travaux du FGTI.

Jusqu'où va la CIAV ? Dans les textes et dans la pratique, il y a très clairement deux temps : le travail dans l'urgence qui est celui de la CIAV ; le travail dans la durée qui est celui du comité de suivi. La CIAV a cessé de fonctionner de manière opérationnelle après la cérémonie d'hommage. Dès l'après-midi du vendredi 27 novembre, une réunion s'est tenue sous l'égide de Mme Taubira, garde des sceaux à l'époque, afin de créer le comité de suivi. En tant que directeur de la CIAV, je n'en suis pas responsable. Ce comité est localisé au ministère de la justice et placé sous la présidence de la secrétaire d'État chargée de l'aide aux victimes. La CIAV alimente le comité de suivi de toute l'information qu'elle a recueillie. Le service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes (SADJAV) quitte la CIAV pour le comité de suivi avec toutes ces données, afin d'assurer la continuité. Nous communiquons tout ce dont nous disposons.

Vous avez raison de le souligner, le grand enjeu pour les pouvoirs publics est maintenant de réussir à créer cette structure capable d'assurer le suivi avec empathie et humanité. Au centre de crise du ministère des affaires étrangères, nous avons une expérience, à petite échelle, de ce genre de situation. Nous y suivons dans la durée les ex-otages, par exemple, que nous recevons et que nous assistons notamment dans leur relation avec le FGTI. Les témoignages ont montré que les victimes de tels événements sont durablement choquées et ont besoin d'assistance.

Nous cédons toutes les informations que nous avons au comité de suivi. J'en reviens, encore et toujours, à ce qui est essentiel : les coordonnées, la capacité de joindre les victimes à toute heure, afin d'assurer ce suivi et de répondre à leurs questions. Il faut aussi être capable d'informer sur les procédures. Nous avons mis au point des documents qui n'existaient pas sous cette forme auparavant : des fiches récapitulant les procédures à suivre ; les coordonnées des établissements de santé, des structures de soutien psychologique, du FGTI, etc. Ce compendium de données a été créé dans l'urgence. Restons modestes, mais il y a maintenant un outil, un fond de documentation et de pratiques. Il faut maintenant donner toute sa pertinence au comité de suivi, dont la tâche est d'accompagner toutes ces personnes avec empathie.

Venons-en aux instituts médico-légaux. Le choix de l'établissement chargé de l'identification des victimes relève du procureur de la République. Dans le cas d'espèce, l'Institut médico-légal de Paris a été retenu comme le lieu de centralisation des victimes en vue de leur identification. À l'avenir, l'une des questions posées est de savoir comment l'on pourrait accélérer les procédures en répartissant la tâche entre diverses structures, qu'il s'agisse d'instituts médico-légaux ou d'autres établissements qui peuvent exister au sein de la gendarmerie nationale ou d'autres services.

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Nous aurons d'ailleurs l'occasion, chers collègues, d'auditionner les responsables de l'institut médico-légal.

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Monsieur le directeur, en préambule de votre intervention, vous avez fait état des tâtonnements bien compréhensibles de cette nouvelle instance qu'est la CIAV. Vous avez également esquissé quelques pistes d'amélioration très intéressantes. Avez-vous d'autres suggestions ou souhaits à émettre pour perfectionner encore la structure que vous dirigez ?

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

Merci de votre question. Il est toujours possible d'améliorer les choses même si toute institution humaine conserve un degré d'incertitude. La perfection n'est pas humaine. Je voudrais d'ailleurs profiter de l'occasion pour saluer le travail fantastique qui a été effectué par tous les volontaires, tous les personnels des divers instituts, confrontés à la douleur des familles et aux difficultés.

Que demander ? En premier lieu, j'insisterais sur cette culture commune créée avec tous les ministères qui ne connaissaient rien de la CIAV avant qu'elle ne commence à fonctionner, aux premières heures qui ont suivi les attentats. C'est maintenant un réflexe pour eux de s'articuler avec la CIAV, le lieu unique de traitement qui fédère toutes les énergies et les compétences.

Il faut consolider ce travail et, dès à présent, faire des exercices. Une mise à l'épreuve pratique permet de s'assurer que le dispositif est fonctionnel, que les uns et les autres ont bien compris les changements de base et les adaptations culturelles qu'implique la CIAV dans les mentalités et dans les procédures. De tels exercices permettent, par exemple, d'identifier avec précision toutes les mesures à prendre pour bien canaliser les personnes vers l'École militaire, telle préfecture ou tel autre lieu déterminé.

En deuxième lieu, il y a la question des moyens. Nous avons obtenu l'augmentation de nos moyens, notamment en matière de capacité téléphonique. Nous pouvons mobiliser immédiatement soixante-cinq téléphones, à condition de disposer aussi des personnels capables de les utiliser, qui mettraient sans doute environ deux heures à arriver. Au plus fort de l'urgence, nous avions jusqu'à 120 téléphones en fonctionnement. Il ne s'agit pas de créer partout des salles téléphoniques. Ce sont plutôt des bureaux avec des postes débrayables, comme il en existe au centre de crise.

D'autres moyens ne nous ont pas encore été affectés en totalité pour armer, pardonnez-moi l'expression, les comités de suivi et notamment le nôtre. Il existe des besoins en personnels : magistrats au fait des procédures ; personnels médicaux capables de définir les moyens psychologiques, même si nous nous appuyons sur les cellules d'urgence médico-psychologique (CUMP) et d'autres organismes ; spécialistes des services de gestion d'urgence auxquels appartiennent les trois collègues qui m'accompagnent, afin de pouvoir envoyer des gens expérimentés vers les préfectures. Nous avons aussi besoin d'argent pour financer nos outils techniques tels que ces nouveaux logiciels qui doivent être compatibles avec ceux de nos partenaires.

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Vous avez parlé de 110 personnes à la CIAV. Est-ce que ce sont des personnels permanents, détachés de leur ministère ?

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

En moyenne, nous étions entre 110 et 120 présents au CIAV. Pour être honnête, au début, nous ne savions pas combien nous étions. Dans l'urgence, nous n'avons pas commencé par établir une comptabilité. Nous avons créé un outil et mis au point, petit à petit, un système d'enregistrement avec des badges. Il y avait donc en permanence quelque 120 personnels présents, jamais les mêmes évidemment, puisqu'il y avait une rotation. Au moment de la préparation de la cérémonie d'hommage, nous sommes montés jusqu'à 160. Lors des retours d'expérience, nous avons partagé les organigrammes de la CIAV avec tous les ministères. Nous leur avons surtout fourni une feuille où sont récapitulés nos besoins en personnels pour armer chaque cellule, sachant que l'une est chargée du suivi des décédés, l'autre des blessés, l'autre du soutien psychologique, etc.

Pour qu'il y ait des personnels suffisants pour alimenter cette rotation – la tâche est très éprouvante – nous avons des correspondants dans chaque entité qui participe à la CIAV, chargés de constituer un vivier. Le chiffre de 120 correspond à des événements d'une ampleur comparable à ceux du 13 novembre, ce n'est pas une donnée absolue. Selon l'instruction interministérielle, j'établis les besoins avec mon équipe, et les personnels sont envoyés par les ministères.

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Lors des attentats du 13 novembre, les réseaux sociaux ont joué un rôle particulier en ce qui concerne la recherche d'identification. Un hashtag #RechercheParis a été créé. Avez-vous abordé ce phénomène dans vos réflexions et lors des retours d'expérience ? Selon vous, les réseaux sociaux ont-ils constitué un handicap ou une aide ?

Dans le cadre de cette commission d'enquête, nous allons nous intéresser au risque d'attentat en province. Vous nous avez indiqué que vous allez travailler avec les préfectures et voir comment la CIAV pouvait se projeter en province. Où en est votre réflexion en la matière ? Dans cette hypothèse, la CIAV resterait-elle physiquement au sein du ministère des affaires étrangères ou serait-elle partiellement détachée dans la préfecture concernée ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont un attentat pourrait être géré en province ?

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Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV

Les réseaux sociaux sont un fait ; ce sont des médias qui existent et dont nous devons tenir compte. Nous avons réfléchi à la manière dont nous pourrions les utiliser pour recueillir des informations, et avoir une adresse internet en plus du numéro de téléphone. Les réseaux sociaux sont aussi un moyen de diffuser de l'information. C'est une hypothèse qui est bien entendu présente à notre esprit et envisagée.

Quant à l'idée de cellules projetées dans les préfectures en cas d'attentats en province, elle est très avancée. À Paris, les cellules projetées sont l'École militaire et l'Institut médico-légal – et éventuellement d'autres instituts mobilisés. Pour la province, nous sommes en train de finaliser un modus operandi : la préfecture identifie la nature des besoins et les tâches à accomplir ; nous envoyons une équipe de deux personnes, un encadrant et un opérationnel, afin d'aider et de permettre une bonne liaison avec le centre qui resterait à Paris. C'est ce qui est envisagé pour le moment.

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Il me reste à vous remercier, monsieur le directeur, pour votre importante contribution à nos travaux.

Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur.

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Monsieur le ministre de l'intérieur, nous vous remercions d'avoir répondu à la demande d'audition de notre commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Nous avons commencé nos travaux depuis un mois environ et nous avons déjà procédé à plusieurs auditions, consacrées à entendre les victimes, leurs conseils ou les responsables des services qui sont appelés à les prendre en charge : le directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, le directeur central du service de santé des armées, ou, à l'instant, le directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes (CIAV). Nous entendrons prochainement le général commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et le directeur médical du SAMU.

À cette étape de nos travaux, nous avons pensé utile de vous entendre, monsieur le ministre, essentiellement sur les questions relatives à la conduite des opérations, à l'intervention des forces de l'ordre et aux moyens mis à leur disposition. Les questions relatives au renseignement seront traitées plus tard, au mois de mai, et nous vous demanderons de revenir à ce sujet devant la commission d'enquête, conformément à ce dont nous étions convenus.

Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale ; son enregistrement sera également disponible pendant quelques mois sur le portail vidéo de l'Assemblée nationale et la Commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui sera fait de cette audition. Nous avons en effet décidé que, d'une manière générale, quand cela ne soulèvera pas de difficulté, pour les personnes entendues ou au regard de la confidentialité des informations recueillies, nos auditions seraient ouvertes à la presse car nous devons mener cette enquête en toute transparence.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d'enquête, je vous demande de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Bernard Cazeneuve prête serment.)

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Je vous laisse la parole pour un exposé liminaire qui sera suivi par un large échange de questions et réponses.

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre commission d'enquête. Je suis moi-même très désireux, sur ce sujet et sur l'ensemble de ceux qui relèvent de la compétence de mon ministère, de pouvoir à tout moment répondre devant les parlementaires de l'action que je conduis, a fortiori sur une question aussi tragique que celle qui est l'objet de votre commission d'enquête. Je me trouve cependant contraint par un certain nombre de principes de droit, qui m'empêchent de révéler ici des éléments qui seraient couverts par le secret de l'instruction, par nature, puisque je n'en ai pas connaissance, ou qui seraient couverts par le secret de la défense nationale, mais votre commission a la possibilité de demander l'ensemble des documents nécessaires à son travail d'investigation. Pour ma part, j'ai toujours été très favorable à ce que l'on donne au Parlement, sur ces sujets, la totalité des éléments dont il souhaite disposer. Ayant, en d'autres temps, été moi-même rapporteur de missions d'information pour lesquelles il était fort difficile d'obtenir les éléments demandés, je garde un tel souvenir de ces périodes compliquées que je me fais un devoir de vous communiquer tout ce dont vous aurez besoin.

Notre pays est aujourd'hui confronté à une menace terroriste d'une gravité extrême, sans précédent. Au mois de janvier 2015 et au mois de novembre dernier, nous avons dû faire face à deux campagnes d'attentats perpétrés en plein coeur de Paris et dans sa proche banlieue. Entre ces deux événements et depuis lors, d'autres attaques à caractère terroriste ont été commises en différents points du territoire national, et d'autres attentats ont été déjoués par nos services. Jusqu'alors, jamais nous n'avions connu une menace d'une telle nature ni d'une telle ampleur en France.

Au cours de l'année passée, 149 victimes innocentes, frappées par la barbarie djihadiste, ont perdu la vie, tandis que des centaines d'autres resteront encore longtemps marquées dans leur chair, parfois même pour le restant de leurs jours, et que des familles entières ont été brisées à jamais. En janvier comme en novembre, je me suis moi-même rendu sur les lieux des attentats, et, chaque fois, j'ai vu une horreur sans nom et une désolation que je n'oublierai jamais.

Je sais que plusieurs victimes, ainsi que certains de leurs proches, ont d'ores et déjà apporté leur témoignage auprès de votre commission d'enquête. Malgré le traumatisme que ces personnes ont subi, malgré le chagrin et la douleur du deuil qui les habite, elles ont pris la parole avec dignité, et il est important que vous ayez commencé par les écouter. Je souhaite tout d'abord leur exprimer, ainsi qu'à leurs familles, ma profonde compassion, comme je pense également avec une très forte émotion à toutes celles et ceux à qui les terroristes ont brutalement pris la vie.

Je sais aussi qu'après moi, dans les jours et les semaines qui viennent, vous allez également, comme il est normal, auditionner plusieurs responsables des forces de sécurité. Dès à présent, je veux souligner le sang-froid et la très grande réactivité dont ils ont fait preuve dans les épreuves exceptionnelles que nous avons traversées. Au coeur de la tragédie, ils ont accompli leur mission avec un professionnalisme et un admirable sens du devoir qu'ils partagent avec les femmes et les hommes qui sont alors intervenus sous leur autorité, dans des circonstances que nul d'entre nous ne peut vraiment imaginer. Il convient de ne pas oublier ce qu'a été à ce moment-là leur investissement.

Depuis les crimes commis par Mohammed Merah à Toulouse et à Montauban au mois de mars 2012, qui étaient des crimes à caractère terroriste, nous sommes confrontés sur notre sol à la menace djihadiste, qui avait auparavant frappé les États-Unis, l'Espagne, puis le Royaume-Uni, et qui a par ailleurs muté au cours de ces dix dernières années. En effet, nos adversaires recrutent désormais une partie de leurs activistes au sein même des sociétés occidentales qu'ils prennent pour cible et les terroristes utilisent internet et les réseaux sociaux pour diffuser leur propagande mortifère.

Ce terrorisme de proximité, à la fois endogène et exogène, nous commande donc de prendre les précautions qui s'imposent sur l'ensemble du territoire national. Chacun doit avoir conscience que, pour des organisations telles que Daech ou bien AQMI, la France constitue aujourd'hui comme hier une cible prioritaire.

Face à l'existence d'une telle menace et après les traumatismes collectifs que nous avons vécus l'année dernière, je crois qu'il était à la fois normal, sain et nécessaire que le Parlement pût examiner dans le détail l'action des pouvoirs publics lors des événements de 2015 et dans le temps long de la lutte antiterroriste. Aussi, je veux remercier les membres de la commission d'enquête, tout particulièrement son président, Georges Fenech, et son rapporteur, Sébastien Pietrasanta, pour les travaux importants qu'ils conduisent.

Je rappelle en effet qu'en matière de lutte antiterroriste, le Gouvernement s'est toujours efforcé de faire preuve de la plus grande transparence possible. Pour ma part, je n'ai jamais refusé de répondre à aucune sollicitation ni aux interrogations des parlementaires ; c'est bien normal, c'est même un devoir dans la fonction qui est la mienne. Par trois fois depuis que je suis à la tête du ministère de l'Intérieur, j'ai été auditionné par des commissions d'enquête portant sur la lutte que nous menons contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Par ailleurs, de nombreux débats ont eu lieu en séance et en commission des lois à l'occasion de l'examen des différentes lois proposées par le Gouvernement. Je pense tout particulièrement au grand débat qui a précédé l'adoption de la loi du 24 juillet 2015 relative à notre politique publique du renseignement, rompant ainsi avec ce qu'il faut bien appeler la « culture du secret » qui, sur ce sujet, avait longtemps prévalu en France.

Enfin, après les attentats du 13 novembre dernier, nous n'avons pas hésité à mettre en place des procédures de contrôle inédites des mesures que nous prenons dans le cadre de l'état d'urgence, notamment des procédures de contrôle parlementaire. À mes yeux, l'exercice qui nous réunit aujourd'hui s'inscrit donc dans cette même logique vertueuse. Je suis moi-même convaincu que la démocratie ne peut que sortir renforcée d'une telle démarche, dès lors que celle-ci est conduite avec toute la rigueur nécessaire.

Je l'ai dit : jamais la menace n'a été aussi élevée qu'aujourd'hui. Mais, dans le même temps, jamais la réponse de l'État n'a été aussi forte. Tel est le sens du message que je veux délivrer aujourd'hui devant vous, sans pour autant ignorer que le risque zéro n'existe pas. Je commencerai par évoquer la réponse opérationnelle que nous avons opposée aux attentats de 2015, avant d'en venir à notre politique de lutte antiterroriste et aux moyens que nous mettons en oeuvre sur le long terme pour empêcher la commission de nouvelles attaques.

Parce que le risque zéro, je le redis, n'existe pas face à la menace terroriste, les pouvoirs publics ont l'obligation de se préparer au pire, de prévoir à l'avance les moyens de réagir face à une séquence d'attentats de haute intensité.

C'est dans cet esprit d'anticipation que les services du ministère de l'intérieur ont travaillé au cours des dernières années. Et c'est pourquoi la qualité du retour d'expérience auquel nous avons procédé présente une grande importance. Comment les services du ministère de l'intérieur, et plus largement l'appareil d'État, ont-ils réagi face aux deux vagues d'attentats de janvier et novembre 2015 ? Étaient-ils convenablement organisés et suffisamment préparés à cette mission ? Et quelles leçons doivent être tirées pour l'avenir de ces événements tragiques ?

Ces questions sont extraordinairement complexes, en raison du très grand nombre de services et de personnels qui ont été mobilisés dans les heures qui ont suivi les attentats, et de la multitude des tâches qu'il leur aura fallu accomplir dans l'urgence. Pour la clarté de l'exposé, je me propose donc de distinguer quatre sujets de réflexion principaux, tout en sachant que nous aurons l'occasion d'y revenir aussi longuement que vous le souhaiterez dans le cadre des questions qui suivront cet exposé liminaire : la coordination générale des moyens engagés ; la mobilisation des forces d'intervention ; les procédures d'enquête ; les opérations de secours aux victimes.

Voyons, tout d'abord, la coordination générale des moyens engagés.

Face à des événements exceptionnels, qui amènent à prendre des décisions dans l'urgence et à mobiliser des effectifs considérables, la question de la coordination générale des moyens de l'État est bien entendu cruciale. Toutefois, elle me semble s'être posée de façon différente en janvier et en novembre.

En janvier en effet, l'action des forces de sécurité s'est d'abord concentrée sur la traque des frères Kouachi, après que ceux-ci ont réussi à quitter la capitale. Tous les services et toutes les forces de sécurité se sont donc trouvés mobilisés : préfecture de police, direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), direction générale de la police nationale (DGPN), direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Il est très vite apparu qu'il fallait renforcer leur coordination et assurer entre eux un partage plus fluide de l'information. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à ce que les responsables de ces grandes directions se réunissent en permanence dans le salon du ministère de l'intérieur dit « le fumoir ». Cet outil de pilotage opérationnel a fait la preuve de son efficacité toute au long de la gestion de la crise des 7 et 9 janvier 2015, puisqu'il a permis un pilotage totalement intégré jusqu'à la neutralisation des terroristes.

La situation a été très différente le 13 novembre dernier. En effet, la préfecture de police avait cette fois naturellement vocation à assurer le pilotage opérationnel du dispositif, à Paris comme à Saint-Denis, mais il lui fallait coordonner des moyens bien plus nombreux pour répondre aux circonstances inédites de cet attentat : pluralité des sites, usage de ceintures d'explosifs par les terroristes, absence de ciblage et nombre élevé des victimes. En l'espace de quelques heures, nos services ont d'abord dû intervenir, à la fois, pour mettre hors d'état de nuire les terroristes demeurés sur place, notamment au Bataclan, pour sécuriser les sites et prévenir le risque de surattentat, secourir les victimes et procéder au recueil des données utiles aux enquêtes. Dans un deuxième temps, il leur aura fallu réaliser l'enquête judiciaire et assurer le suivi des victimes, des familles et de leurs proches, tout cela sans oublier, ni les échanges d'information et la coordination avec les services étrangers, ni l'action de cyberdéfense, ni l'information du grand public.

Globalement, le pilotage opérationnel par la préfecture de police de ces moyens et missions complexes peut être jugé comme ayant été, dans un contexte extrêmement difficile, optimal. La réactivité des forces de sécurité a permis de mobiliser les personnels nécessaires à la sécurisation des sites, à la conduite des enquêtes et au secours des victimes dans les délais les plus brefs possibles. Sur le plan opérationnel, nous devons cependant tirer certains enseignements concernant l'organisation du commandement, la répartition des personnels sur les différents sites et l'intégration dans notre dispositif des personnes qui offrent spontanément leurs concours – je pense aux militaires de la force Sentinelle, aux médecins civils et aux riverains.

Enfin je rappelle qu'au-delà de la coordination opérationnelle, il existe un dispositif de coordination interministérielle, la cellule interministérielle de crise (CIC), qui a été activée par le Premier ministre en janvier comme en novembre 2015 et qui a été placée sous ma responsabilité. La CIC a notamment joué un rôle très utile pour partager en continu les informations entre administrations, pour mobiliser, au profit du préfet de police, des renforts nationaux et, en novembre, pour assurer la mise en oeuvre rapide des mesures prises au titre de l'état d'urgence et du rétablissement des contrôles aux frontières.

La mobilisation des forces d'intervention – GIGN, RAID et BRI – constitue un deuxième aspect fondamental de notre dispositif en cas d'attaque terroriste, en particulier dès lors que nous sommes confrontés, comme c'est le cas avec les terroristes de Daech, à un ennemi résolu à frapper au hasard et parfois à mourir pour faire le plus grand nombre possible de victimes.

Après les crimes de Mohammed Merah, le RAID et le GIGN ont ainsi dû faire évoluer leurs doctrines d'emploi, ainsi que leurs schémas tactiques et opérationnels d'intervention. Leurs hommes doivent être préparés à agir vite pour sauver des victimes, empêcher les agresseurs d'initier des charges explosives et ne pas leur laisser l'opportunité de communiquer sur les médias d'information continue et les réseaux sociaux.

En juillet 2014, le RAID a ainsi présenté sa nouvelle stratégie d'intervention sur les individus radicalisés ayant déjà tué, basée sur l'abandon dans ce cas précis de la négociation pour privilégier, si possible, un contact maîtrisé par les forces de l'ordre. Elle est complétée par une tactique dite de « non-réversibilité » c'est-à-dire un assaut rapide et continu, quelquefois doublé d'une technique consistant à offrir l'opérateur du RAID, protégé par un gilet lourd et un bouclier balistique, aux tirs ennemis, afin de détourner l'attention du tueur potentiel d'otages. Ces techniques ont été utilisées à Vincennes.

De son côté, le GIGN a mis en place une cellule de veille du phénomène terroriste et sur les modes opératoires des tueries planifiées. Quatre exercices spécifiques ont été programmés en 2015 dans le cadre de la préparation opérationnelle de l'unité.

Parallèlement, un travail de collaboration entre les chefs du RAID et du GIGN a abouti le 24 juillet 2014 à la rédaction d'une note commune organisant la coopération des deux unités en cas de crise grave. Ce dispositif a été mis en place en janvier 2015. De même, une collaboration étroite a été engagée entre le RAID et la BRI dans le cadre de la Force d'intervention de la police nationale (FIPN). Le 9 janvier 2015, pour la première fois depuis sa création, j'ai décidé de déclencher la FIPN, donnant ainsi le commandement du dispositif composé des deux forces au chef du RAID.

À la suite d'une autre de mes décisions, dans le courant de l'année 2015, le RAID a été doté de nouveaux équipements acquis sur financement antiterroriste, dont des blindés urbains permettant de s'approcher des zones de feu y compris dans les centres commerciaux. Ces véhicules ont été engagés pour évacuer en toute sécurité des blessés et des otages du Bataclan.

Une autre question essentielle, face à une menace terroriste qui n'est pas concentrée sur la région parisienne, porte sur les capacités de projection des forces d'intervention spécialisées. C'est pour répondre à ce défi que la décision a été prise en avril 2015 de faire des sept groupes d'intervention de la police nationale situés à Lille, Strasbourg, Lyon, Nice, Marseille, Bordeaux et Rennes des antennes du RAID, mises en capacité d'effectuer les mêmes interventions que l'échelon central. Ces antennes permettent ainsi au RAID de se projeter plus rapidement sur tout point du territoire national. Face à la même nécessité opérationnelle, le GIGN a mis au point un « plan d'assaut immédiat » reposant sur un départ immédiat du premier échelon – au moins quatre équipes de cinq pour le GIGN –, capable de quitter Satory en quinze à trente minutes, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq jours par an.

Enfin, j'ai moi-même demandé aux directions générales de la police et de la gendarmerie nationales, ainsi qu'au préfet de police d'actualiser le schéma national d'intervention spécialisée afin d'adapter les conditions d'interventions d'urgence de ces unités en cas d'attentat sur le territoire de la nation tout entière. Ce schéma est en cours de finalisation, il sera présenté dans les prochains jours.

J'en viens, troisième point, à la conduite des enquêtes.

Je ne m'étendrai pas, vous le comprendrez, sur un sujet qui relève d'abord de l'autorité judiciaire, mais je voudrais souligner l'importance du travail d'enquête effectué par les services du ministère de l'intérieur tout au long de ces crises.

En janvier 2015 et plus encore au mois de novembre, les services d'enquête ont dû faire face à un double défi, puisqu'il leur fallait à la fois procéder de manière coordonnée aux actes d'investigation sur plusieurs scènes d'attentats ayant fait un très grand nombre de victimes, et identifier les auteurs survivants et leurs complices éventuels afin de prévenir absolument la commission de nouveaux actes terroristes.

Dès le 13 novembre à 23 heures, le parquet de Paris a saisi conjointement la DGSI, la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) de Paris et la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et a confié à la sous-direction antiterroriste (SDAT) de cette dernière la coordination, la centralisation et la direction de l'enquête. À 23 h 45 la SDAT déclenchait le « plan attentat », comme en janvier, permettant notamment la mise en place d'un PC de crise, l'activation du numéro d'urgence « 197 » et du site internet dédié pour recueillir les témoignages de la population, l'activation de la « main courante attentats » et la mobilisation de renforts des services territoriaux de la DCPJ (Versailles, Lille, Orléans, Rennes, Bordeaux et Ajaccio). Ce sont ces renforts qui ont rapidement permis de répartir entre le travail entre ces enquêteurs et ceux de la DRPJ de Paris les six scènes de crimes en vue d'établir les actes de constatation.

Entre le 13 et le 24 novembre, les enquêteurs ont établi 5 300 procès-verbaux et confectionné plus de 4 000 scellés. Ce travail a notamment permis de réaliser les constations sur les six scènes de crimes, d'identifier les neuf terroristes abattus ou s'étant suicidés, de localiser deux lieux conspiratifs en banlieue parisienne et trois en Belgique, de procéder à 26 interpellations en France. L'activation du numéro d'appel à témoins « alerte attentat 107 » a notamment permis de recueillir trois informations décisives, dont celle qui a permis de localiser trois terroristes dans un appartement de Saint-Denis avant qu'ils ne puissent commettre de nouveaux attentats.

Enfin, je tiens à souligner l'importance de la coopération franco-belge, qui s'est notamment matérialisée par la mise en place d'une équipe commune d'enquêteurs, ainsi que l'apport de la police technique et scientifique, à la fois pour l'identité judiciaire, pour la documentation criminelle et pour l'exploitation des traces informatiques et technologiques. Les supports exploités par la sous-direction de la police technique et scientifique (SDPTS) à Écully ont ainsi permis de démontrer la préparation préalable des attentats et de retracer une partie des déplacements effectués par les terroristes dans les jours précédant le 13 novembre.

J'en viens, quatrième point, à ce qui concerne les secours aux victimes.

La prise en charge des victimes et de leurs proches a été pour l'État une préoccupation majeure, tout particulièrement en nombre compte tenu du nombre très élevé des victimes. Je rappelle qu'au matin du 14 novembre, le bilan provisoire était de 124 morts, 100 victimes en situation d'urgence absolue et 157 victimes en situation d'urgence relative.

Dans les heures et les jours qui ont suivi cet attentat, il a donc fallu à la fois porter le plus rapidement possible secours aux victimes et procéder à leur évacuation vers les structures hospitalières adaptées, mais aussi donner aux familles des éléments d'information fiables sur la situation de leurs proches. Et il a fallu ensuite accompagner dans la durée les victimes au plan médical, psychologique, juridique et financier.

Le soir du 13 novembre, les secours ont dû intervenir simultanément sur six sites, à Saint-Denis et à Paris. Ils l'ont fait avec une extrême réactivité, notamment grâce au maillage des centres de secours parisiens, en arrivant sur les lieux très rapidement. Pour la seule brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), ce sont 125 engins d'incendie et de secours, 450 sapeurs-pompiers, 200 secouristes des associations agréées de sécurité civile, 21 équipes médicales, qui se sont portés au secours des victimes sur les différents sites.

Ce très haut niveau de réponse est le fruit d'un long travail de préparation interservices. Je m'étais rendu le 4 décembre 2014 à la caserne Champerret où m'avaient été présentées les modalités de réponse de la BSPP à un attentat multisites. Et un exercice conjoint entre la BSPP et le SAMU avait été organisé le matin même des attentats du 13 novembre.

Depuis novembre, j'ai donc souhaité que ce travail d'anticipation et d'entraînement se poursuive à l'échelle nationale, afin notamment de nous préparer aux enjeux de sécurité liés à l'Euro 2016. Le 16 mars, je réunirai les responsables de la sécurité et des secours de 16 grandes agglomérations et de villes accueillant l'Euro 2016, pour évoquer les enjeux post-attentats et l'adaptation des modes opératoires. Je me rendrai également à Nîmes le 17 mars pour un exercice simulant un attentat dans une « fan zone ».

Si personne ne conteste la réactivité, le professionnalisme et le dévouement dont ont fait preuve les services de secours, je sais que l'accompagnement par l'État des familles a suscité davantage d'interrogations. Les attentats de 2015 ont suscité de ce point de vue une évolution importante de la réponse de l'État.

Lors des attentats de janvier, le Premier ministre a en effet décidé de créer une structure ad hoc, placée directement sous sa responsabilité, pour assurer l'information et l'accompagnement des familles de victimes, abritée et armée par le centre de crise et de soutien du Quai d'Orsay, avec le concours, bien entendu, des différents ministères. Cette cellule interministérielle d'aide aux victimes a évidemment été fortement mobilisée en novembre. Je veux souligner l'apport majeur qui est le sien en situation de crise : elle offre un accompagnement permanent, assuré par des professionnels formés pour ce faire et expérimentés, qui sont dans la durée de véritables référents pour les familles de victimes.

Il reste que deux points ont concentré, à juste titre, les critiques. D'abord, de nombreuses familles ont indiqué avoir été dans l'incapacité de joindre le numéro vert mis en place par la préfecture de police, lequel a été destinataire de 93 000 appels en quelques heures, ce qui a entraîné sa saturation. Pareille situation ne doit plus se reproduire. Désormais, une nouvelle organisation sera mise en oeuvre en cas de nouvel attentat, en lien avec la CIAV, pour s'assurer que les appels des familles et des proches seront traités avec la plus grande célérité.

Ensuite, le nombre élevé de victimes décédées a très fortement mobilisé les équipes de la police judiciaire et de l'Institut médico-légal de Paris, en charge de leur identification. Celle-ci ne peut être faite que par une commission d'identification présidée par un magistrat, au terme d'une procédure rigoureuse cadrée par des protocoles Interpol. Cette procédure a entraîné des délais très longs, souvent même insupportables, avant que les familles plongées dans l'angoisse soient formellement informées. Le samedi 14 novembre au matin, plus de 1 700 personnes étaient ainsi restées sans réponse après s'être manifestées comme étant à la recherche d'un proche à travers la plateforme téléphonique de la CIAV.

À cet égard, je dois souligner que les services du ministère de l'intérieur ont accompli, en novembre comme en janvier, un travail éprouvant afin de procéder à l'identification des victimes, avec un très haut niveau d'engagement des services. La DCPJ a utilement pu bénéficier à cette occasion de renforts de l'institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN). Leur professionnalisme ne saurait être mis en cause mais il reste que des mesures devront être prises pour accélérer ce processus d'identification afin d'éviter aux familles de demeurer longtemps dans l'incertitude, ce naturellement sans remettre en cause l'exigence de rigueur, toute erreur pouvant entraîner des conséquences dramatiques.

Enfin, l'État doit bien évidemment accompagner dans la durée les victimes et leurs proches, aux plans médical, psychologique, juridique et financier. Lorsque la CIAV, structure de l'urgence, a fini son oeuvre, le relais est pris par un comité interministériel de suivi des victimes. La création du secrétariat d'État aux victimes devra permettre de s'assurer de la cohérence et de l'efficacité de ce suivi, mais je laisserai bien entendu ma collègue Juliette Méadel vous apporter de plus amples précisions sur ce sujet.

J'en viens à présent aux dispositions que nous avons prises sur le long terme pour empêcher la commission de nouveaux attentats. J'en viens donc à la question que vous avez posée, de façon réitérée, sur les décisions, les dispositions qui ont été prises depuis 2012 et, plus particulièrement, depuis le mois de janvier.

À cet égard, je souhaite faire une précision liminaire sur un point qui revêt à mes yeux une grande importance et auquel nul ne semble pourtant prêter attention : aujourd'hui, nous ne parlons pas des attentats qui n'ont pas eu lieu. Par définition, personne n'en parle jamais. Et par définition, on ne pose aucune question sur la façon dont nous les avons empêchés, alors que, bien sûr, de nombreuses interrogations seraient sur le métier aujourd'hui si ces attentats étaient survenus. En fait, souvent personne ne sait même que ces attentats ont été évités, et personne n'est informé de l'exacte activité des services.

Ainsi, depuis 2013, grâce au travail minutieux de nos services, pas moins de onze projets d'attentats ont été déjoués – dont six depuis le mois de janvier 2015.

J'ajoute qu'à ce jour, 325 individus impliqués d'une façon ou d'une autre dans des filières djihadistes ont été interpellés par la DGSI. Parmi eux, 201 ont été mis en examen, 155 ont été écroués et 46 ont été placés sous contrôle judiciaire. D'une manière générale, je rappelle que la DGSI est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 236 dossiers judiciaires, concernant 1 088 individus pour leur implication dans des activités liées au terrorisme djihadiste.

Ces chiffres vous donnent ainsi une idée du nombre potentiel d'attaques ou d'attentats dont nous sommes jusqu'à présent parvenus à entraver la commission sur notre sol. Par là même, ils vous montrent à quel point l'action quotidienne des services, sous l'autorité de la justice, porte ses fruits. Et s'il est bien légitime que vous m'interrogiez sur les attentats de 2015, je considère qu'il serait regrettable que nous passions sous silence les résultats importants qui sont le fruit du travail sans discontinuité des services de renseignement ou des services de sécurité intérieure.

Le Gouvernement a très tôt pris la mesure du caractère inédit et protéiforme de la menace. Depuis 2012 et l'adoption de la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, dite « loi Valls », nous n'avons cessé de renforcer notre dispositif antiterroriste et d'adapter notre arsenal juridique aux évolutions de la situation. Dès le mois d'avril 2014, nous avons ainsi mis en place un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières djihadistes, lequel a constitué la matrice de notre stratégie globale de prévention, de sécurisation et de répression du terrorisme. Depuis lors, cette action n'a cessé de monter en puissance pour nous donner les moyens d'agir sur les différentes composantes de la menace.

Car, s'il est avéré que les attentats du 13 novembre ont été planifiés depuis la Syrie et coordonnés en dehors de nos frontières – j'insiste sur ce point –, d'autres attaques ont, elles, été le fait de personnes radicalisées sur notre sol – parfois dans un délai extrêmement court et au contact d'un milieu propice à une telle dérive. Le plus souvent, ces individus ou ces petits groupes ont bénéficié d'une formation accélérée au maniement des armes en Syrie ou en Irak, avant de revenir sur notre sol pour se fondre dans notre tissu social et, le cas échéant, passer à l'acte très rapidement. D'autres, enfin, entendent répondre à un appel général au djihad lancé par Daech ou par toute autre organisation terroriste d'inspiration djihadiste, sans que l'on puisse parler, pour ce qui les concerne, d'une mission précise à remplir. Dans le même temps, les modes opératoires ont évolué : les exécutions isolées par arme de poing ou arme blanche se sont muées en attentats commis à l'arme de guerre et, pour la première fois le 13 novembre, au moyen de ceintures explosives. J'ajoute enfin que les cibles elles-mêmes des terroristes ont évolué. Si elles avaient été choisies, en janvier 2015, en raison de leur évidente portée symbolique – communauté juive, journalistes, policiers –, tel n'était plus le cas le 13 novembre : les assassins ont cette fois délibérément frappé au hasard. À travers ces meurtres de masse indiscriminés, c'était donc une cible plus globale qui était visée : notre mode de vie, les solidarités qui nous unissent, bref le moral et l'unité de notre nation.

À l'heure actuelle, nous savons qu'un peu plus de 1 850 Français ou résidents habituels sont impliqués, d'une façon ou d'une autre, dans les filières de recrutement djihadiste : 600 d'entre eux sont présents en Syrie et en Irak, ce n'est pas un chiffre faible, et 236 sont d'ores et déjà revenus sur le territoire national – nous faisons preuve à leur endroit de la plus grande vigilance. Parmi eux, 143 font l'objet d'un suivi judiciaire : 74 ont été incarcérés après avoir été placés en garde à vue, 13 sont sous contrôle judiciaire. Par ailleurs, 100 Français de retour de Syrie ou d'Irak sont actuellement surveillés par nos services de renseignement ; 67 d'entre eux ont d'ores et déjà fait l'objet d'entretiens administratifs avec la DGSI.

Notre premier objectif porte sur le renforcement des services de renseignement.

En raison du caractère diffus de la menace, le principal objectif que nous nous sommes fixé, dès 2012, a été de renforcer l'organisation, le cadre d'action et les moyens dont disposent nos services de renseignement, qu'ils soient chargés de la surveillance du haut du spectre, c'est le cas de la DGSI, ou bien de la détection des signaux faibles de radicalisation, c'est le cas du renseignement territorial. C'était là une nécessité absolue pour tirer les leçons des tueries de Toulouse et de Montauban et éviter que notre pays ne se retrouve dans une situation d'extrême vulnérabilité.

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Dès 2013, nous avons commencé à réformer en profondeur les services de renseignement intérieur. C'est la raison pour laquelle nous avons transformé la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) en direction générale de la sécurité intérieure, créée par le décret du 30 avril 2014 et directement placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur. Par ailleurs, dès 2013, nous avons programmé la création de 432 postes supplémentaires sur cinq ans pour renforcer les compétences de la DGSI et diversifier son recrutement. Ces recrutements nouveaux ont été accompagnés d'un effort en crédits hors titre 2 de 12 millions d'euros par an.

Après les attentats de janvier 2015, nous avons continué de faire monter notre dispositif en puissance. Des moyens humains supplémentaires ont tout d'abord été alloués aux services dans le cadre de la lutte antiterroriste. Dans le cadre du plan antiterroriste de janvier, il a ainsi été décidé que 500 agents viendraient renforcer progressivement la DGSI, en plus des 432 déjà prévus, et ce jusqu'en 2017. Des analystes techniques, des informaticiens, des linguistes sont notamment recrutés pour renforcer ses capacités d'analyse, de détection et de prévention des risques terroristes. Et 500 effectifs supplémentaires – 350 policiers et 150 gendarmes – sont venus renforcer le service central du renseignement territorial (SCRT), tandis que 100 effectifs nouveaux ont été alloués à la direction du renseignement de la préfecture de police. Enfin, les autres services contribuant d'une façon ou d'une autre à la lutte antiterroriste et appuyant l'action des services de renseignement ont quant à eux été renforcés par l'arrivée de plus de 300 agents. Un tel effort vient bien sûr s'ajouter à la mobilisation des forces de police, de gendarmerie et des militaires dans le cadre du plan Vigipirate.

Pour autant, s'il est indispensable d'accorder davantage de moyens à nos services, un tel effort resterait insuffisant si nous ne réformions pas en parallèle la façon dont ils coordonnent leur action. Pour mieux prendre en compte le caractère diffus de la menace, ainsi que les phénomènes de porosité entre délinquance et terrorisme, priorité a été donnée à la coopération et au partage de l'information entre les différents services concernés. Nous avons consolidé l'articulation entre le « premier cercle » du renseignement, c'est-à-dire la DGSI et ses partenaires de la communauté du renseignement, et le « deuxième cercle », c'est-à-dire le SCRT et les services d'investigation. À cet égard, l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) joue bien sûr un rôle décisif. Des « cellules de coordination » ont été mises en place, qui rassemblent l'ensemble des services de renseignement dans une organisation réactive et fluide. Enfin, nous renforçons les liens entre les renseignements intérieur et extérieur, et une équipe de la DGSE est désormais présente dans les locaux de la DGSI. Nous progressons donc, et je dois à la vérité de dire que ces rapprochements n'ont suscité aucune réserve, tant la menace est globale et que la réponse, pour être efficace, se doit d'être collective.

Pour mieux détecter en amont les signaux faibles de radicalisation, nous avons également réformé et renforcé le positionnement du SCRT. Ses attributions ont ainsi été clairement élargies pour lui permettre de contribuer à la prévention du terrorisme, notamment par la détection des signaux faibles de radicalisation. C'est la raison pour laquelle son maillage, en métropole comme outre-mer, a été renforcé pour mieux territorialiser son action et densifier le réseau de ses capteurs. De même, nous avons décidé de développer des relais du renseignement territorial dans les compagnies ou les brigades de gendarmerie, ainsi que dans les commissariats de police, à chaque fois que cela s'est révélé nécessaire. Une telle proximité est absolument indispensable. À Lunel, par exemple, dans l'Hérault – où nous avons, le 27 janvier 2015, procédé à plusieurs interpellations et perquisitions dans les milieux islamistes locaux –, l'implantation de la gendarmerie au plus près de la population a permis de recueillir les renseignements qui ont contribué au démantèlement d'une filière de recrutement djihadiste.

Enfin, avec la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, nous avons élaboré un cadre légal moderne et cohérent pour l'activité de nos services, adapté aux nouvelles menaces, aux mutations technologiques les plus récentes et à l'évolution du droit national et international. Ce cadre fixe des règles d'emploi claires des techniques de renseignement afin de protéger les agents qui y ont recours tout en garantissant le respect des libertés individuelles. La loi renforce ainsi les indispensables dispositifs d'évaluation de l'action des services. Un triple niveau de contrôle a été instauré – administratif, juridictionnel et parlementaire – et la loi du mois de juillet en a résulté.

Nous avons souhaité aussi des effectifs et des moyens renforcés pour les forces de l'ordre. La volonté de renforcer les effectifs et les moyens dont disposent les forces de sécurité n'a pas seulement concerné les services de renseignement. En raison de l'ampleur de la menace, il était en effet absolument indispensable qu'un tel mouvement affecte l'ensemble des forces de sécurité intérieure.

Je vous rappelle que, d'une manière générale, le Gouvernement a consenti, depuis 2012, un effort national important sur le plan des recrutements au sein de la police et de la gendarmerie nationales. Nous avons ainsi mis un terme aux coupes claires qui avaient considérablement réduit les effectifs des forces de sécurité dans une période antérieure. Nous avons remplacé tous les départs à la retraite, et nous avons créé près de 500 emplois nouveaux par an dans les deux forces. Cet effort a bien évidemment un impact positif sur notre dispositif antiterroriste : nous avons notamment pu le constater quand, après les attentats de janvier 2015, il a fallu déployer dans l'urgence 120 000 femmes et hommes, toutes unités et tous services confondus, pour assurer la protection de nos concitoyens et garantir l'efficacité du plan Vigipirate.

À cette politique de fond, nous avons ajouté, après les attentats de 2015, deux plans pluriannuels d'une ampleur sans précédent : plus de 1 400 créations nettes d'emplois au titre du plan antiterroriste (PLAT) décidé par le Premier ministre en janvier 2015 ; 5 000 emplois au titre du Pacte de sécurité annoncé par le Président de la République devant le Congrès le 16 novembre dernier, au lendemain des attentats de Paris et de Saint-Denis. Il faut y ajouter les 900 postes supplémentaires dans le cadre de la loi de finances pour 2016 pour lutter contre l'immigration irrégulière. D'ici à la fin de quinquennat, ce sont donc 9 000 emplois en tout qui auront été créés dans la police et la gendarmerie.

Je précise qu'actuellement, aux côtés de nos forces armées de l'opération Sentinelle, de nombreux effectifs des forces de l'ordre sont mobilisés pour la surveillance et la protection de 5 700 lieux jugés sensibles, répartis sur l'ensemble du territoire national. Parmi eux, 882 font l'objet d'une garde statique, tandis que des dispositifs dynamiques sont mis en oeuvre pour les 4 818 restants. Les sites surveillés sont principalement des sites religieux : 3 713 sur 5 700, parmi lesquels 51 % de sites chrétiens, 27 % de sites musulmans et 21 % de sites juifs. Un tel dispositif de sécurisation implique lui aussi que nous disposions de forces de l'ordre en nombre suffisant.

Par ailleurs, les créations de postes que je viens d'évoquer se sont accompagnées au cours des derniers mois d'un renforcement sans précédent des moyens d'équipement, d'investissement et de fonctionnement du ministère de l'intérieur, à hauteur de 233 millions d'euros sur cinq ans. L'année dernière, 98 millions d'euros ont d'ores et déjà été progressivement alloués aux services concernés pour qu'ils puissent accomplir leurs missions de la façon la plus efficace possible. Un plan de modernisation des systèmes d'information et de communication au bénéfice des forces antiterroristes a également été lancé, à hauteur de 89 millions d'euros sur trois ans. Grâce à ces financements, nous modernisons le système CHEOPS pour la circulation des enregistrements de la police, ainsi que la plateforme PHAROS d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements.

L'accent a également été mis sur la protection et sur les nouveaux équipements – je pense aux véhicules et aux armements – des effectifs de police et de gendarmerie. En 2015, nous avons tenu nos engagements et, en 2016, cet effort sera massivement poursuivi. D'ores et déjà, le service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) a commandé des matériels pour un montant de 55 millions d'euros.

C'est dans le même esprit que j'ai annoncé, le 29 octobre dernier, la mise en oeuvre, dès l'année 2016, d'un plan ambitieux et inédit de renforcement, sur l'ensemble du territoire national, des équipements des BAC de la police nationale et des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG). Ces unités jouent en effet un rôle indispensable pour protéger nos concitoyens, notamment en cas de tueries de masse. L'objectif du plan BAC-PSIG 2016 est donc d'apporter des moyens supplémentaires à des personnels mieux formés, dans le cadre d'une doctrine d'intervention adaptée à la réalité des menaces auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés, notamment à l'usage de plus en plus fréquent dans les milieux terroristes et délinquants d'armes de guerre. Qu'il s'agisse des armements, des moyens de protection ou des véhicules, sachez qu'une partie des équipements prévus dans le cadre du plan BAC-PSIG 2016 a d'ores et déjà été livrée ; d'ici à la fin du mois de juin, le reste arrivera progressivement dans les unités concernées.

Nous avons également souhaité doter nos forces d'un arsenal juridique renforcé.

Depuis 2012, nous avons fait en sorte de renforcer et d'adapter notre arsenal juridique à la réalité de la menace terroriste.

Tel fut d'abord l'enjeu de la loi du 21 décembre 2012 : grâce à elle, nous pouvons désormais poursuivre des Français ou des personnes résidant habituellement en France qui ont participé à des activités liées au terrorisme à l'extérieur de nos frontières, et non plus seulement sur notre sol.

La loi du 13 novembre 2014 nous a ensuite permis de nous doter de moyens de police administrative nouveaux pour prévenir et empêcher la commission d'actes terroristes. Au cours de ces derniers mois, après l'adoption de l'ensemble des décrets d'application, les innovations introduites dans notre législation ont été, comme vous le savez, appliquées avec la plus grande détermination. Je vous donne quelques chiffres. À ce jour, 294 interdictions de sortie du territoire, visant des ressortissants français soupçonnés de vouloir rejoindre les organisations actives au Moyen-Orient, ont été prononcées – et près de 80 sont en cours d'instruction –, 97 interdictions d'entrée et de séjour ont été prononcées contre des ressortissants étrangers soupçonnés d'être liés aux réseaux djihadistes, 54 prêcheurs de haine ont été expulsés du territoire français, car de tels individus – je le dis avec force – n'ont pas leur place dans notre pays. Depuis 2014, six individus qui s'étaient rendus coupables d'actes de nature terroriste ont également été déchus de la nationalité française. D'autre part, 83 adresses internet ont fait l'objet d'une mesure de blocage administratif et 355 adresses ont été déréférencées pour avoir diffusé de la propagande terroriste.

Enfin, j'ajoute que les autres dispositions prévues ou renforcées par la loi du 13 novembre 2014 sont tout aussi résolument appliquées, qu'il s'agisse du gel des avoirs terroristes ou des mesures spécifiques de sûreté imposées aux entreprises de transport aérien desservant le territoire national. Je pense également à l'extension de l'enquête sous pseudonyme ou à l'adaptation des modalités de perquisition informatique.

Enfin, quatrième objectif : consolider une politique offensive de prévention et de suivi de la radicalisation…

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Permettez-moi de vous interrompre. Comme je l'ai indiqué, nous n'abordons pas le problème du renseignement, auquel sera consacrée l'intégralité d'une deuxième audition. Je demande d'ailleurs à mes collègues de bien vouloir réserver leurs questions sur ce sujet à cette deuxième audition.

D'autre part, nous avons décidé de ne pas revenir sur la prévention de la radicalisation. Cela a déjà été largement traité par de précédentes commissions d'enquête. Je dis cela pour la commodité et l'organisation de nos travaux, mais si vous souhaitez en dire un mot…

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Monsieur le président, j'ai conçu mon propos à partir des questionnaires qui m'ont été adressés par votre commission. Comme ils comportaient des questions relatives à ces sujets, je ne voulais pas quitter cette salle avec le reproche de ne pas avoir traité tous les points que vous aviez évoqués. Si tel est votre souhait, néanmoins, je m'en tiendrai là. Je suis à votre entière disposition – je pourrai, malgré tout, vous faire parvenir des réponses écrites.

Par souci de précision et de méticulosité, j'ai considéré préférable que me soient adressées les questions que vous souhaitiez absolument que je traite, en plus de celles que vous allez poser. C'est ce que je fais…

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Nous avons souhaité ne pas revenir sur ce qui a été très largement étudié par de précédentes commissions d'enquête, auxquelles le rapporteur et d'autres membres de celle-ci ont d'ailleurs participé. Nous nous concentrons vraiment sur les moyens de lutte contre le terrorisme, les moyens de prévention de la radicalisation ayant déjà été traités.

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Je ne souhaite occulter aucun sujet, monsieur le président, mais je ne veux pas non plus vous assommer avec des réponses à des questions que vous m'avez posées. Je mets donc cela de côté, et, si vous en êtes d'accord, je terminerai par le sujet de l'action européenne. Celle-ci entre dans le cadre de l'action contre le terrorisme. C'est un sujet sur lequel nous nous sommes beaucoup mobilisés et je vous propose de conclure par ce point. Ensuite, je répondrai à toutes les questions que vous souhaiterez me poser.

La dimension européenne de la lutte contre le terrorisme est centrale. Souvent, lorsque nous sommes confrontés à des actes de nature terroriste en France, nous oublions de faire l'inventaire des terroristes qui nous ont frappés, de s'interroger sur les conditions dans lesquelles ils nous ont frappés et sur les lieux à partir desquels ils nous ont frappés.

Nous sommes confrontés aujourd'hui à une forme de terrorisme d'un type tout à fait nouveau. Il y a bien entendu les actes perpétrés par des individus qui se sont auto-radicalisés sur internet et qui veulent nous frapper. L'agression, à Marseille, d'un professeur d'une école juive par un élève d'un lycée professionnel témoigne de cette capacité qu'ont les informations diffusées sur internet ou les réseaux sociaux à déclencher des actes d'une extrême violence. Il y a les actes commis par ceux qui frappent après être allés sur le théâtre des opérations terroristes et participé à toutes les exactions. Il y a aussi les actions, de plus en plus nombreuses, organisées depuis la Syrie par des individus qui ne sont pas ressortissants français. Ils préparent la commission des attentats à partir de l'étranger et nous frappent alors qu'ils ne sont pas dans le radar de nos services de renseignement puisqu'ils sont dans celui d'autres pays, qui ne les signalent pas tous nécessairement – il faut le dire – au système d'information Schengen. Ces individus arrivent sur le territoire de l'Union européenne après avoir bénéficié de faux documents. Daech a en effet récupéré énormément de passeports vierges sur le théâtre des opérations terroristes en Irak, en Syrie et en Libye et s'est doté d'une véritable usine de faux documents. La dimension européenne et internationale de l'action est donc centrale – j'évacue les sujets diplomatiques, mais ils pourront être évoqués si vous le souhaitez.

Quel est l'agenda ? Il est extrêmement précis. Il s'agit de faire en sorte que les contrôles aux frontières extérieures de l'Union européenne soient considérablement renforcés, parce que si nous ne le faisons pas, la capacité d'entrer dans l'Union européenne d'individus susceptibles de nous frapper s'en trouve décuplée. Deuxièmement, il s'agit de faire en sorte qu'au moment de l'entrée de l'Union européenne, le système d'information Schengen soit systématiquement interrogé. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé et obtenu la modification de l'article 7-2 du code frontières Schengen pour que les contrôles de nos ressortissants au moment du franchissement des frontières extérieures de l'Union européenne soient systématiques et coordonnés. Troisièmement, nous souhaitons voir l'ensemble des services de renseignement de l'Union européenne alimenter de façon systématique et homogène le système d'information Schengen car les fiches ne peuvent sonner opportunément que dès lors que le système d'information Schengen a été documenté par les pays. Quatrièmement, il s'agit de faire en sorte qu'il y ait une connexion des fichiers du système d'information Schengen avec l'ensemble des fichiers criminels, et que nous puissions aussi utiliser la base Eurodac à des fins de sécurité, ce qui n'est pas possible aujourd'hui compte tenu de ce qu'est le règlement européen. Il faudrait le modifier pour pouvoir utiliser le fichier à des fins de sécurité. Enfin, il s'agit de mettre en place une véritable task force européenne dans les aéroports et les hot spots, notamment pour identifier les faux documents de ceux qui entrent sous de fausses identités avec l'intention de commettre des attentats terroristes. Deux des kamikazes qui ont frappé le 13 novembre étaient dotés de passeports qui n'étaient pas à leur véritable identité ; ils avaient été enregistrés au moment du franchissement des frontières extérieures de l'Union européenne à Leros.

La dimension européenne est donc un point très important, sur lequel nous avons beaucoup agi. Nous nous sommes beaucoup mobilisés et avons obtenu de premiers résultats, mais ceux-ci méritent d'être renforcés. Sur ces sujets, en effet, l'Union européenne a pour caractéristique de mettre beaucoup de temps à prendre de bonnes décisions, puis beaucoup de temps à les appliquer – parfois plus qu'elle n'en a mis à les prendre.

C'est la raison pour laquelle l'Europe est un combat. La présence au sein des instances européennes doit permettre, grâce à notre action, de renforcer considérablement la gestion du temps, car la lutte contre le terrorisme est une course contre la montre.

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Beaucoup de députés souhaitent intervenir à la suite de votre exposé, extrêmement complet.

Vous vous êtes réjoui, Monsieurle ministre, du contrôle parlementaire démocratique, précisément celui que nous exerçons aujourd'hui. Vous avez émis le voeu que ce contrôle soit fait avec la rigueur qui s'impose. Nous allons tâcher d'y répondre, étant précisé que nous ne disposons pas encore de tous les éléments pour poser toutes les questions sur la chronologie des faits. À cet égard, notre commission d'enquête a prévu de se transporter au Bataclan le 17 mars prochain, pour essayer de mieux en comprendre le déroulement.

Beaucoup, parmi nous et parmi nos concitoyens, se demandent pourquoi les moyens que vous avez évoqués, auquel il faut ajouter l'état d'urgence, n'ont pas été mis en oeuvre dès le lendemain des attentats du mois de janvier 2015. Pourquoi avoir attendu ceux du 13 novembre pour réagir avec cette force ? Vous-même avez déclaré, lors d'une interview le 8 janvier 2016 : « On prend la décision de l'état d'urgence quand les conditions de droit définies par le texte de 1955 sont réunies, on ne déclenche pas parce que cela offre un confort politique mais parce que la situation le justifie et qu'il peut avoir une efficacité. » Vous concluiez par cette phrase : « Il faut pour cela qu'il y ait un péril imminent et que ceux qui ont frappé soient susceptibles de frapper encore. »

Bien entendu, il est toujours facile de refaire l'histoire mais, avec le recul, on sait aujourd'hui que ce péril était imminent, on sait que les terroristes ont frappé de nouveau, parce qu'il y a eu 130 morts le 13 novembre de la même année. Ma question est très claire, très simple : n'avez-vous pas le sentiment que le risque d'une nouvelle vague d'attentats a pu être sous-estimé après ceux du mois de janvier alors même que tous les spécialistes disaient leur crainte devant la précédente commission d'enquête, présidée par M. Ciotti, dont le rapporteur était M. Mennucci et à laquelle notre rapporteur et moi-même avons participé ? Selon eux, la question était non pas de savoir si une nouvelle vague d'attentats se produirait, mais où et quand. N'avez-vous donc pas le sentiment d'avoir un peu trop attendu pour mettre en oeuvre tous ces moyens ?

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Je vous remercie, monsieur le président, de poser cette question de façon aussi directe, car je l'ai vue affleurer à plusieurs reprises dans le débat public, ainsi, parfois, que dans les journaux qui en relataient les termes ; elle appelle la réponse la plus précise.

Avons-nous attendu les attentats du mois de novembre, ou même ceux du mois de janvier 2015, pour prendre la mesure du risque terroriste ? Je viens par mon exposé de reconstituer la totalité de la chronologie des décisions que nous avons prises. Nous avons décidé de réarmer les services de renseignement et les services de sécurité intérieure dès 2012, pour des raisons qui tenaient à la conscience que nous avions, à l'époque, de l'état de faiblesse dans lequel ces services se trouvaient, à la suite de la réforme des renseignements généraux, qui avait ébranlé l'organisation du renseignement dans les territoires, de la diminution de 13 000 des effectifs de la police et de la gendarmerie, qui n'avait pas été sans impact quant à la capacité du pays de réagir au risque terroriste et quant à l'évolution des moyens des services de renseignement, et d'une diminution d'environ 17 % des crédits hors titre 2 de la police, la privant de matériels significatifs. Nous avons pris des dispositions législatives, notamment avec la loi de décembre 2012, destinée à renforcer les moyens de lutte antiterroriste, et la loi du 13 novembre 2014, qui offre un ensemble de moyens que j'ai rappelés : interdiction de sortie du territoire, interdiction d'entrée sur le territoire, blocage administratif des sites, blocage des adresses internet, possibilité pour les services de renseignement d'intervenir sous pseudonyme dans les réseaux sociaux, mise en place de l'incrimination pénale individuelle terroriste, mise en place du statut de repenti, possibilité d'utiliser les fonds de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) en vue du financement de ce statut. Je pourrais dresser la liste de l'ensemble des mesures qui ont été prises avant les attentats de janvier.

Après les attentats de janvier, nous avons décidé de renforcer davantage encore les moyens des services de renseignement : 1 500 emplois créés, 233 millions d'euros débloqués, dont 98 millions dépensés pour des sujets absolument stratégiques dès l'année 2015, mise en place de la loi sur le renseignement, absolument essentielle à la lutte antiterroriste, avec l'instauration du suivi en continu des terroristes et de la détection sur données anonymes – les risques que ces dispositions législatives pouvaient représenter pour les libertés publiques ont suscité d'énormes débats au cours desquels nous avons apporté toutes explications. Nous avons également commencé à préparer les dispositifs de renforcement des primo-intervenants, et le plan du 29 octobre, que j'ai présenté avant les attentats du 13 novembre, était le résultat d'un travail important de confortement des forces d'intervention.

Reste la question de l'état d'urgence, dont je comprends qu'elle se pose quand on connaît la fin du film, mais, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, combien de parlementaires, de responsables politiques ont demandé l'instauration de l'état d'urgence au mois de janvier 2015 ?... Je n'en tiens rigueur à personne, la raison est très simple : l'état d'urgence n'est pas un dispositif à convenance, les conditions doivent être réunies sur le plan juridique pour le déclarer.

Je reprends très précisément ce que vous avez dit. Votre raisonnement est le suivant : le fait que d'autres attentats aient été commis après ceux du mois de janvier prouve que le risque était imminent. Je rappellerai car il faut être extrêmement précis sur ces sujets qu'en janvier, à l'issue de l'assaut à l'Hyper Cacher, nous savions que ceux qui étaient à l'origine des tueries avaient été neutralisés : les deux frères Kouachi à Dammartin-en-Goële et Amedy Coulibaly à l'Hyper Cacher. Le risque d'une réplique dans les heures suivantes était donc relativement faible.

Tel n'est pas du tout le cas le 13 novembre. Ce qui a conduit au déclenchement de l'état d'urgence, c'est cette tuerie de masse dont les acteurs, à l'heure où je vous parle, n'ont pas encore été tous récupérés par les services sous l'autorité de la justice. Je pense notamment à l'un des frères Abdeslam et à certains de ses complices. Nous sommes donc dans une configuration très différente.

Si personne au mois de janvier 2015 n'a proposé qu'on déclenche l'état d'urgence, c'est que chacun, suivant cette approche rigoureuse, voyait bien que les conditions juridiques n'étaient pas réunies. J'ajoute un point : il n'a échappé à la sagacité d'aucun d'entre vous que trois jours après son déclenchement en novembre, le débat a émergé – parce que la démocratie est ainsi faite et il est bien qu'elle soit ainsi – sur la procédure elle-même, comme si le problème était non pas l'attaque terroriste mais l'état d'urgence.

En outre, comme l'état d'urgence ne peut pas se prolonger indéfiniment, je vous pose la question : si l'état d'urgence avait été déclenché après les attentats de janvier alors que les conditions juridiques n'étaient pas réunies, son re-déclenchement aurait-il été accepté après le 13 novembre, alors qu'il aurait déjà été en vigueur plusieurs mois après le 13 janvier ? Toute une série d'acteurs se seraient d'ailleurs demandé pourquoi il n'avait pas permis d'éviter de nouveaux attentats.

L'argument que vous développez est tout à fait réversible, monsieur le président. Vous dites que le péril était imminent, la preuve en étant qu'il y a eu des attentats ensuite, mais les conditions juridiques n'étaient pas réunies pour les raisons que je viens d'indiquer, et s'il avait été déclenché et qu'il y avait eu des attentats ensuite, on aurait dit : « Mais alors, vous avez pris des mesures qui ne servent à rien ! »

Les conclusions que je tire de tout cela sont très simples. La première, c'est que l'état d'urgence ne peut être déclenché que dès lors que les conditions juridiques sont strictement réunies pour qu'il le soit. La deuxième, c'est que l'état d'urgence ne peut durer indéfiniment. Par conséquent, il est indispensable que soient prises en droit des dispositions qui permettent de faire suite à l'état d'urgence après qu'il a cessé de faire connaître ses effets. C'est ce que nous avons fait avant que l'état d'urgence ne soit déclenché, avant même les attentats du mois de janvier 2015. La loi du 13 novembre 2014 prévoit ainsi un certain nombre de mesures de police administrative susceptibles de prendre le relais de l'état d'urgence – je pense, par exemple, aux interdictions de sortie du territoire, dès lors que les conditions juridiques sont réunies pour les appliquer à ceux qui font l'objet d'assignations à résidence. D'autre part, j'insiste aussi beaucoup sur le fait que l'état d'urgence n'est pas le seul instrument de la lutte antiterroriste : il y a toutes les dispositions que je viens de rappeler, sur le plan budgétaire, sur le plan de la création des emplois, sur le plan des moyens juridiques donnés aux services. De ce point de vue, l'agenda qui a été le nôtre, et qui s'est traduit par une mobilisation parlementaire très forte, a été extrêmement chargé.

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Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Je veux également vous interroger sur un point de détail, mais peut-être ne pourrez-vous pas répondre, car il fait sans doute l'objet d'informations judiciaires.

Lors des premières tables rondes que nous avons organisées, nous avons entendu des victimes. Le père de l'une d'entre elles et son avocat ont posé une question très précise : pourquoi ne pas avoir sécurisé le Bataclan alors que le nom de cette salle de spectacle figurait sur un procès-verbal de la DCRI daté du 6 mai 2009, et qu'elle était visée par un projet d'attentat ? Cela semble avoir été confirmé par l'audition d'un certain Farouk Ben Abbes, lui-même lié à l'attentat commis au Caire en 2009, dans lequel une jeune française, Cécile Vannier, avait trouvé la mort. Selon les dires des témoins auditionnés par notre commission d'enquête, les propriétaires du Bataclan n'avaient pas été informés de ces menaces et les forces de l'ordre ne disposaient pas de plan des lieux au moment de l'intervention. Disposez-vous d'informations permettant de répondre à la légitime et douloureuse interrogation de ces victimes ?

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Bien entendu, j'ai suivi très attentivement ces auditions. Cette question est extrêmement importante mais je ne peux pas aller au-delà du secret de l'instruction. Je vous dirai absolument tout ce que je sais, mais ce n'est pas exhaustif, ce n'est peut-être pas tout ce qu'il faut savoir – et je l'ignore puisque je n'ai pas accès au contenu du dossier. Comment se fait-il qu'aucune protection du Bataclan n'ait été mise en place, alors que l'enquête sur l'attentat du Caire montrait que des menaces auraient pesé sur cette salle, en lien avec le personnage que vous avez cité, Farouk Ben Abbes – un proche des frères Clain, eux-mêmes suivis de près par nos services et impliqués dans les attentats du 13 novembre –, et qu'un individu interpellé en août faisait part de menaces sur cette salle de spectacles ? Telle est, si j'ai bien compris, la question.

Tout d'abord, l'enquête judiciaire sur l'attentat du Caire en 2009 est toujours en cours : je ne peux donc la commenter, pour des raisons de droit que chacun comprend. J'observe cependant que le dénommé Farouk Ben Abbes n'a pas fait, à ma connaissance, l'objet de poursuites dans cette affaire, pas plus, d'ailleurs, que les frères Clain. Je rappelle ensuite que Farouk Ben Abbes a été interpellé et mis en examen dans le cadre d'une seconde affaire, indépendante de la première, puis a bénéficié d'un non-lieu – en 2012. Il faut donc se garder d'établir hâtivement, en mettant bout à bout, rétrospectivement, des fragments d'enquête, des liens que seule l'enquête pourra, le cas échéant, établir. Moi, je ne suis pas, aujourd'hui, en situation de les établir. Je rappelle surtout que les menaces proférées par le djihadiste de retour de Syrie interpellé au mois d'août dernier de commettre des attentats dans des salles de spectacle étaient génériques. Il n'a cité aucune salle en particulier et en aucun cas le Bataclan. De la même manière, aucun suspect n'avait fait état, lors d'interpellations préalables, de projets visant spécifiquement des brasseries, le restaurant Le Petit Cambodge ou le Stade de France. De même, les églises de Villejuif, le Thalys d'Amsterdam et l'arsenal militaire de Toulon, cibles d'attentats que nous avons déjoués ou évités, n'ont, à aucun moment, été préalablement évoqués par les terroristes dans les affaires précédentes. Je confirme par ailleurs à la commission que je n'ai vu aucune note témoignant d'une menace particulière sur le Bataclan ou sur telle ou telle salle de spectacle. Les seules que j'ai vues concernaient des menaces générales sur des salles de spectacle – au terme des enquêtes réalisées aux mois de mai et juin.

Il faut donc que chacun comprenne que la menace terroriste peut frapper des lieux, des cibles très diverses – nous l'avons malheureusement constaté. Or il est impossible, je dis avec beaucoup de solennité et de sincérité, de placer en permanence un peloton d'une force d'intervention rapide ou des militaires relevant de l'opération Sentinelle devant chaque lieu accueillant du public. C'est matériellement impossible. Et laisser croire que les terroristes sèmeraient de petits cailloux, à la manière du petit Poucet, à l'intention des services de police et de renseignement pour les informer de leurs futures cibles, serait une erreur.

Telles sont les réponses que je peux apporter le plus précisément possible en fonction des informations dont je dispose, un certain nombre des points auxquels vous faites référence pouvant être confirmés ou approfondis, à l'occasion des enquêtes en cours, qui ne sont pas conduites par moi et qui doivent l'être dans le respect rigoureux des prérogatives du juge.

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Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Ma dernière question relève directement de votre ministère et porte sur l'intervention le soir du 13 novembre. Notre commission d'enquête doit vraiment comprendre ce qui s'est passé – et nous comprendrons mieux lorsque nous irons sur les lieux.

Il s'est écoulé un certain temps, entre le début des attaques au Bataclan et l'intervention des forces de police. La première explosion d'un kamikaze, rue Jules Rimet à Saint-Denis, a lieu à 21 h 20. À 21 h 25, donc cinq minutes plus tard, c'est la première attaque à la kalachnikov, devant Le Petit Cambodge et Le Carillon, rue Alibert et rue Bichat, dans le 10e arrondissement de Paris. À 21 h 40, c'est le début du massacre au Bataclan. L'assaut final a été donné à 0 h 18 dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 novembre, étant précisé que la BRI se trouvait déjà au rez-de-chaussée du Bataclan à 22 heures 20, pour faire évacuer de premiers blessés et des survivants. Il s'est donc écoulé deux heures quarante entre le début de la fusillade au Bataclan et l'assaut final. Il s'est écoulé environ une heure entre l'attaque du Bataclan et l'arrivée de la BRI dans la salle, où il a fallu, alors, gérer la prise d'otages. D'où une question simple : pourquoi a-t-il fallu une heure à la BRI pour arriver et pénétrer dans les lieux ? Cette question en amène naturellement une autre : quelle autorité a donné le feu vert à l'assaut final, deux heures quarante après le début de l'attaque ?

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Pardonnez-moi, Monsieur le président, mais on ne peut pas présenter les choses tout à fait de cette manière. Je vais reconstituer de façon extrêmement précise le minutage de cette opération, car, à ce propos aussi, j'ai lu des choses étonnantes. Or je dois au courage des policiers de la BRI de rétablir la vérité sur ces sujets.

Des attaques se déroulent pratiquement dans la même demi-heure sur huit sites distincts, dont trois autour du Stade de France. À 21 h 17 précisément, la première explosion a eu lieu au Stade de France. À 21 h 24 a lieu la première fusillade des terrasses à l'angle de la rue Alibert et de la rue Bichat. À 21 h 26, c'est la fusillade de la rue de La-Fontaine-au-Roi. À 21 h 36, c'est la fusillade rue de Charonne. À 21 h 40, c'est la prise d'otages au Bataclan et l'explosion boulevard Voltaire. C'est un quart d'heure après le début de la prise d'otages au Bataclan que la BAC de nuit est présente sur les lieux et abat déjà un terroriste. La BAC de nuit prévient immédiatement la BRI. À 22 heures, la BRI quitte sa base, c'est-à-dire cinq minutes après l'arrivée de la BAC. Et à 22 heures 20, c'est-à-dire vingt minutes après avoir quitté sa base, la BRI est sur les lieux. Le PC est installé et il y a les premières progressions au rez-de-chaussée de la salle de spectacle. La question qui se pose, je m'en souviens très bien puisque je suis alors en ligne avec le préfet de police de Paris, est de savoir si ces individus, qui ont tué, n'ont pas piégé la salle. On n'intervient pas n'importe comment dans une salle pour procéder à la neutralisation de terroristes : il faut s'assurer qu'il n'y aura pas de victimes supplémentaires. Une analyse très précise des lieux et des conditions est nécessaire avant toute intervention.

Donc, vingt minutes après son départ, la BRI est sur les lieux, son PC est installé, et une première progression est possible au rez-de-chaussée de la salle de spectacle. Le GIGN, quant à lui, est mis en alerte à 22 h 26 pour le cas où nous aurions besoin de son concours. Il reçoit son ordre de départ à 22 h 45 pour se rendre disponible à la caserne des Célestins. La BRI appuyée par le RAID avance progressivement dans l'établissement. L'ordre de l'assaut n'est donné que lorsque les services opérationnels, c'est-à-dire la BRI, estiment être en situation de le faire, parce qu'ils maîtrisent totalement les lieux, et sont en mesure de procéder au sauvetage des derniers otages sans risque supplémentaire pour eux. Dès lors que l'information est transmise que les conditions sont réunies, l'ordre de l'assaut est donné par le préfet de police, après que j'ai donné moi-même l'ordre d'y procéder puisque la sécurisation des lieux est intervenue et qu'il est possible de le faire.

Il y a des ceintures d'explosifs, le terrain est peut-être miné, nous ne connaissons pas le nombre de terroristes, nous ne savons pas où ils se trouvent : dans un tel contexte, une intervention pour sauver des vies n'est possible que dès lors qu'il y a une maîtrise totale du lieu et des conditions de l'intervention. Voilà donc, très rigoureusement, ce qui s'est passé. Et bien entendu, pour une intervention de ce type, l'appréciation par les services opérationnels des conditions de l'intervention est un élément pris en compte pour décider de l'assaut. C'est lorsque les conditions sont réunies que la décision est prise. Si nous n'agissions pas ainsi et si après une décision hasardeuse, il devait y avoir des explosions et des morts, une autre question me serait posée aujourd'hui. Donc, ce n'est qu'une fois que les conditions opérationnelles sont réunies que l'assaut peut être donné : c'est une modalité classique d'intervention.

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Je vous remercie de votre réponse, monsieur le président, et je cède la parole à M. le rapporteur.

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Votre déroulé des faits montre bien, Monsieur le ministre, l'importance de ce qu'on appelle les primo-intervenants, déjà soulignée lors de précédentes auditions. Au sein du Bataclan, il y a eu un avant et un après : d'après ce qui a été dit, les tirs ont cessé après l'intervention salutaire du commissaire de la BAC, qui a permis d'éliminer un des kamikazes et de sauver des vies. La formation initiale ou continue des fonctionnaires de police ou de gendarmerie a-t-elle été révisée après les attentats de janvier 2015, notamment pour permettre à ces primo-intervenants d'agir le plus rapidement et le plus efficacement possible ?

Quant à la BRI, au RAID et au GIGN, dont vous avez souligné à plusieurs reprises quels furent leur rôle et leur importance lors des attentats de janvier et de novembre, leur doctrine d'emploi a-t-elle évolué, notamment au regard de ce qui s'est passé au Bataclan mais pas seulement ? Pour la première fois, nous étions confrontés à des kamikazes, avec des ceintures d'explosifs. Le mode opératoire, le mode d'intervention a-t-il évolué ? Des conclusions ont-elles été tirées après les événements du 13 au soir ?

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Tout d'abord, les attentats de 2015 ont conduit la police et la gendarmerie à réagir immédiatement pour adapter le contenu et les modalités de formation dans le domaine des techniques et de la sécurité en intervention, tant pour la formation initiale que pour la formation continue. Un arrêté interministériel a été pris le 27 juillet 2015, relatif à la formation continue aux techniques et à la sécurité en intervention des personnels actifs de la police nationale et des adjoints de sécurité. Il renforce le caractère obligatoire de cette formation, qui recouvre le tir, l'emploi des armes, les pratiques professionnelles en intervention, les techniques d'intervention, les techniques de défense et d'interpellation, les premiers secours en intervention. Il consolide les principes d'un temps minimum annuel de douze heures d'entraînement et de complémentarité des formations au tir et aux pratiques professionnelles en intervention. Dans le cadre de ces séances de formation continue, les formateurs bénéficient de nouveaux supports pédagogiques et de dispositifs de formation renforcée. Le programme de formation aux techniques et à la sécurité en intervention de la scolarité des gardiens de la paix a été renforcé dans la formation au tir, aux premiers secours en intervention. Et afin de travailler avec le discernement en action, des exercices sur le facteur de prise de décision en situation complexe ont été conçus à partir de cas réels rencontrés sur le terrain.

J'ai défini de nouvelles doctrines d'intervention des PSIG et des BAC dans le cadre du plan du 29 octobre dernier, que j'ai présenté rapidement dans mon exposé, et de nouvelles armes seront utilisées. J'ai souhaité que les stages de formation à l'utilisation de ces dernières, qui permettent aux policiers des BAC, qui sont parfois primo-intervenants, de faire face à des tueries de masse, soient prévus en amont de la livraison des armes, de manière que ces armes puissent être utilisées dès leur livraison par le SAELSI aux différents services de police et de gendarmerie. Ce n'est pas évident, les dispositions d'entraînement au tir étant assez contraintes. J'ai donc demandé que l'on regarde, par-delà les stands d'entraînement de la police et de la gendarmerie, quelles autres structures pourraient éventuellement être utilisées avec l'accord d'utilisateurs privés afin de faciliter ces entraînements.

S'agissant de la doctrine d'intervention des forces, je vous l'ai indiqué tout à l'heure, il faut distinguer, sur l'ensemble du territoire national, car il peut y avoir des attentats et des risques de surattentats partout, les primo-arrivants, qui n'interviennent pas à proprement parler contre les terroristes, mais qui mettent en condition le site avant l'arrivée des primo-intervenants. Avec le plan BAC-PSIG et le déploiement des forces d'intervention rapide de la police et de la gendarmerie sur l'ensemble du territoire national, l'objectif est que des primo-intervenants puissent être sur les lieux de la tuerie dans un délai de vingt à trente minutes. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé aux directeurs généraux respectifs de la police nationale et de la gendarmerie nationale de bien vouloir profiter des efforts que nous faisons en termes d'augmentation des effectifs pour répartir les forces d'intervention rapide dépendant de leurs directions respectives sur l'ensemble du territoire national, avec le souci qu'il soit totalement couvert. Je rendrai publique la répartition de ces forces dans les tout prochains jours puisque la copie doit m'être rendue sans tarder par ces deux directeurs généraux.

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Dès l'examen en commission des lois, le 20 janvier dernier, de la résolution tendant à la création de cette commission d'enquête sur les moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, j'avais exprimé mes réserves sur ce bornage dans le temps. Comme beaucoup d'autres, notre pays n'est pas confronté à la menace terroriste que depuis le 7 janvier 2015 ; même si ses formes ont évolué au fil du temps, le terrorisme se manifeste en France depuis plusieurs décennies, et les moyens opérationnels mis en oeuvre par l'État pour y faire face s'inscrivent dans cette longue histoire. Or, pour savoir où l'on va, il est toujours bon de savoir où l'on est, et d'où l'on part.

Vous avez détaillé, monsieur le ministre, l'action du Gouvernement depuis que qu'il est aux responsabilités, et ce n'était pas inutile.

J'ai compris que nous reviendrons lors d'une prochaine audition sur la question du renseignement, estimez-vous néanmoins que les conséquences de la décision de suppression des renseignements généraux, fusionnés avec l'ex-direction de la surveillance du territoire, pour créer la DCRI à compter du 1er juillet 2008, sont désormais derrière nous ? Considérez-vous que les mesures prises depuis 2012 ont permis de restituer au ministère de l'intérieur sa capacité en matière de renseignement de proximité ? Vous avez détaillé également l'augmentation des effectifs, par paliers, mais de manière constante depuis 2012. Avez-vous le sentiment que du point de vue de la lutte contre le terrorisme, ces moyens nouveaux compensent les 13 700 suppressions de postes de policiers et de gendarmes décidées entre 2007 et 2012 ? Vous avez évoqué aussi la baisse de 17 % des crédits hors titre 2 durant le quinquennat précédent – il s'agit des moyens techniques mis à disposition de nos services. Comment les choses ont-elles évolué depuis lors ?

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Je le rappelle encore une fois : la question du renseignement doit faire l'objet d'une deuxième audition. C'est une question de respect vis-à-vis du ministre que de respecter nous-mêmes nos engagements.

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Je ne reviendrai pas sur la question du renseignement et des effectifs. Il y aurait en effet beaucoup à dire, cher collègue Popelin. Si nous voulions évoquer la question dans la durée, nous pourrions ainsi parler de la période 1997-2002 et de l'impact d'un certain nombre de réorganisations relatives au temps de travail sur la mobilisation des forces de la police nationale.

J'ai pour ma part cinq questions.

La première, j'en suis bien conscient, est peut-être à la lisière de l'enquête judiciaire, contrairement aux quatre autres. La revendication des attentats du 13 novembre mentionne expressément huit individus impliqués. Or il n'y en a que sept qui aient fait l'objet d'une mention publique. Ce point peut-il être expliqué ? De même, la revendication affirme qu'ont été attaqués le Stade de France, le 10e, le 11e et le 18e arrondissement de Paris, mais, si une voiture a bien été retrouvée dans ce dernier arrondissement, il ne s'y est heureusement rien passé. Ce point aussi peut-il être expliqué à ce stade ?

Deuxièmement, le plan Vigipirate et l'opération Sentinelle, qui impliquent des militaires de l'armée de terre, vous paraissent-ils atteindre leurs objectifs en termes de lutte antiterroriste ? Vous paraissent-ils efficaces également au regard des moyens mobilisés, qui, affectés à ces missions, ne peuvent l'être à d'autres ?

Troisièmement, le Gouvernement estime-t-il que la fermeture de l'hôpital du Val-de-Grâce peut être pérennisée compte tenu de la persistance d'une menace terroriste extrêmement élevée à Paris et en Île-de-France ?

Quatrièmement, devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre dernier, le Président de la République a évoqué la perspective de la création, à partir des réserves de la défense, d'une « garde nationale encadrée et disponible ». Quelles suites l'intention exprimée a-t-elle aujourd'hui, notamment au sein de la gendarmerie nationale ?

Cinquième et dernière question, vous avez vous-même conclu votre intervention en évoquant à juste titre la dimension européenne de ces questions. Or, lors de la dernière conférence des présidents du Parlement européen, jeudi dernier, une coalition hétéroclite, allant du Parti socialiste au Front national, en passant par les Verts et le Modem, a refusé l'inscription du vote sur le texte relatif au PNR (Passenger Name Record) à l'ordre du jour de cette semaine, semaine de session plénière. Seuls le groupe du Parti Populaire Européen et celui des Conservateurs et Réformistes Européens ont voté pour. Comment expliquer cette attitude des députés européens socialistes, qui paraît directement contraire aux intentions, affichées et réelles, de votre gouvernement ? Vous êtes effectivement attaché, comme nous, à ce que ce dossier du PNR avance enfin au service de la sécurité dans les transports aériens.

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Vous avez expliqué, monsieur le ministre, que le GIGN était en position à la caserne des Célestins à 22 h 45, donc après l'arrivée de la BRI au Bataclan. Pourquoi le GIGN n'est-il finalement pas intervenu ? Est-ce parce que la BRI et le RAID estimaient être en nombre suffisant ? La rumeur, à laquelle il faut tordre le cou, d'une « bataille » entre les forces d'intervention circule.

Mes autres questions sont plus générales et recoupent en partie celles de mes collègues.

Estimez-vous qu'un service de renseignement du type du service central de renseignement territorial créé assez récemment, au mois de mai 2014, doit disposer de capteurs humains et de capteurs techniques ? Je pourrai expliquer un jour ce qui s'est passé dans mon propre département lorsque les renseignements généraux ont été supprimés : d'un coup, tout le renseignement territorial a disparu. Selon vous, quand le SCRT sera-t-il suffisamment remonté en puissance pour être efficace dans la détection des signaux faibles, qui, par principe, doit venir après celle des signaux plus importants ?

Vous avez à juste titre expliqué qu'il était impossible de protéger l'ensemble des sites. Des mesures ont néanmoins été prises depuis le 7 janvier 2015 : avec les 7 000 militaires de l'opération Sentinelle et les 11 000 policiers et gendarmes affectés à la protection des sites stratégiques, près de 19 000 fonctionnaires attachés à la sécurité et à la défense du pays sont actuellement affectés à des tâches qui ne correspondent pas tout à fait à leur formation. Où en est la réflexion sur la possibilité de créer une force dédiée à la protection de sites, une force qui n'aurait pas la même formation que nos militaires et policiers ? On a parlé de garde nationale, de sociétés privées…

Ma dernière question, générale, rejoint celle du président, mais je la poserai de manière inverse. Vous avez expliqué l'efficacité des services de police le soir du 13 novembre, vous avez évoqué un certain nombre de dysfonctionnements, notamment dans l'identification des victimes. De votre point de vue de ministre de l'intérieur, quelles ont pu être les manques – il ne s'agit pas de savoir s'il y a eu des erreurs – au niveau de l'organisation des services de sécurité, entre le 7 janvier 2015 et le 13 novembre dernier ? Bref, sur quels points, aimeriez-vous peut-être encore renforcer notre dispositif de sécurité au cours des prochains mois ? Les services étaient-ils totalement au point ? Y a-t-il eu des améliorations entre le 7 janvier 2015 et le 13 novembre ? On parle encore de guerre des services, entre les services de la préfecture de police de Paris et les autres services de la police nationale.

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Je suis désolé, monsieur le président, mais je dois répondre aux questions relatives aux services de renseignement, par respect pour ceux qui m'ont interrogé.

Je suis trop conscient de la difficulté de la lutte antiterroriste pour l'aborder avec des arrière-pensées polémiques. Il serait extrêmement facile pour moi de dire qu'il y a deux périodes : l'une au cours de laquelle on a supprimé 13 000 emplois, l'autre où l'on en recrée ; l'une où l'on a démantelé le renseignement, l'autre où on le conforte. Ma conviction profonde est que, tous les gouvernements, de droite ou de gauche, qui ont été confrontés à la menace terroriste – et ils l'ont tous été – ont essayé de faire au mieux dans l'organisation des services qui étaient sous leur responsabilité pour assurer la protection des Français. Je ne suis pas sûr que ma volonté de tenir en la matière le propos le plus rigoureux et le plus juste possible conduira l'ensemble des acteurs à avoir la même précaution à mon égard mais je pense que la question du terrorisme mérite cette approche. Sinon, on crée les conditions d'un climat extrêmement malsain. La force d'un pays face au terrorisme, ce n'est pas simplement la capacité d'une administration à s'organiser, même si c'est bien entendu essentiel, c'est aussi la capacité des forces qui sont ou ont été en situation de responsabilité d'assurer aux Français que le mieux est fait. Ne pas les convaincre de cela alors que telle est la réalité, c'est diminuer considérablement la capacité de résilience du pays. La capacité de résilience d'un pays dépend pour partie de la conviction qu'ont les citoyens que le maximum est fait pour les protéger : moi, je n'ai pas de doutes sur le fait que le maximum a été fait pour protéger les Français dans une période antérieure. Et, compte tenu du temps que j'y passe aujourd'hui, je n'ai pas de doutes non plus sur le fait que nous essayons de faire au mieux.

La réforme des renseignements généraux a reposé sur l'idée qu'il y avait un changement d'époque, que nous pouvions « technologiser » le renseignement et que le renseignement territorial, tel qu'il avait pu exister par le passé, devait évoluer compte tenu des nouveaux enjeux technologiques auxquels le pays était confronté. Était-ce une erreur ? Ce n'est jamais une erreur, de considérer que des services ont besoin de la technologie. Était-ce suffisant ? Non. Depuis que nous sommes confrontés au risque terroriste, de nombreuses analyses d'experts ou de journalistes développent l'idée qu'on aurait fait le choix, en France, de la technologie contre les hommes. Mais que vaut la technologie dans les services de renseignement s'il n'y a pas des hommes pour analyser l'ensemble des éléments collectés par la technologie ? Cela ne sert à rien. La technologie permettra-t-elle de tout faire, y compris ce qu'étaient capables de faire les policiers sur le terrain, lorsqu'ils étaient immergés dans des quartiers dont ils connaissaient tous les acteurs ? Non. Mais ne pas armer les policiers de moyens numériques et technologiques qui permettent notamment d'entrer dans les dispositifs extrêmement sophistiqués qu'utilisent les terroristes en vue de la commission d'actes terroristes serait stupide. Cette opposition, cette espèce d'antienne constamment réitérée sur le thème du choix de la technologie contre les hommes est donc absurde. Il faut des hommes compétents et de la technologie.

Dans le cadre de la lutte antiterroriste, nous essayons précisément aujourd'hui de moderniser considérablement les moyens technologiques des services. C'est ce que nous avons fait avec la loi sur le renseignement, c'est ce que nous faisons en consacrant dès 2015 98 millions d'euros de crédits hors titre 2 à cette modernisation, au sein des 233 millions d'euros de crédits hors titre 2 alloués dans le cadre du plan de lutte antiterroriste.

Vous avez évoqué, Monsieur Larrivé, la revendication des attentats, mais je ne peux pas communiquer d'informations sur ce sujet, pour la bonne et simple raison que, si je le faisais, je diffuserais devant votre commission des informations couvertes par le secret de la défense nationale ou le secret de l'instruction. D'ailleurs, pour des raisons qui tiennent à la manière dont les enquêtes sont conduites et au respect des principes de droit, le ministre de l'intérieur n'est pas au courant du détail de toutes les procédures judiciaires conduites par les juges antiterroristes, même si un certain nombre d'éléments de l'enquête peuvent être portés à sa connaissance afin que ses services s'organisent pour éviter la commission d'autres actes. Je ne peux donc pas répondre à cette question.

Le plan Vigipirate est-il efficace ? Il n'est pas dirigé par le ministère de l'intérieur, qui n'en est qu'un contributeur. J'ai sur la question des modalités d'intervention des militaires et des forces de l'ordre sur le territoire national une réflexion, qui résulte des événements qui se sont produits en Europe, dans le monde et en France au mois de janvier 2015 et au mois de novembre dernier et qui m'incite à faire au Président de la République et au Premier ministre des propositions de modification de la doctrine. Je ne souhaite pas les livrer ici car elles n'ont pas encore été arbitrées. Peut-être serai-je en situation, lorsque vous me réauditionnerez d'expliquer les raisons pour lesquelles j'ai fait ces propositions, mais sans les dévoiler toutes. À mon sens, dès lors que nous avons affaire à des terroristes, qui peuvent frapper en tout lieu et à tout instant, et commettre des tueries de masse, la meilleure manière d'assurer la protection optimale, c'est de prévoir des dispositifs de patrouille aléatoires et imprévisibles qu'ils sont susceptibles de croiser à tout instant. Les moyens ne seront jamais suffisants pour protéger par des gardes statiques tous les lieux susceptibles d'être frappés. Si nous laissons accroire cela, chaque fois que des personnes seront touchées dans un lieu, on se demandera pourquoi il n'était pas protégé. La question, au demeurant très légitime, qui m'a été posée sur le Bataclan en témoigne.

Il y a par exemple, tout confondu, 77 000 établissements scolaires en France. Pour assurer une garde statique permanente devant ces établissements scolaires, il faudrait que je mobilise 220 000 policiers et gendarmes, c'est-à-dire la quasi-totalité de mes effectifs. Ce serait très compliqué. Il n'est d'ailleurs pas sûr, les premières actions de sensibilisation que nous avons conduites en témoignent, qu'une garde statique devant chaque établissement garantirait la sécurité optimale des enfants sans sécurisation des locaux. La meilleure manière d'assurer cette protection, c'est de faire tourner en permanence des forces, pour que le dynamisme de la garde nous permette d'aboutir à des solutions plus efficaces. En tant que ministre de l'intérieur, je constate cependant qu'il est très difficile d'arriver à faire partager ce point de vue, même si cela relève pour nous d'une démarche de bon sens, à ceux qui sont dans l'anxiété et qui peuvent légitimement penser qu'une garde statique est plus efficace qu'une garde dynamique. Ainsi, Charlie Hebdo faisait l'objet d'une garde dynamique. Dans les semaines qui ont précédé les événements, il avait été considéré en effet que chaque garde fixe constituait une cible pour les terroristes et que la meilleure manière d'assurer la sécurité des lieux sans présenter des cibles était de dynamiser les gardes. Cette théorie a été beaucoup développée, nous l'avons mise en oeuvre.

Je suis favorable à une évolution et je fais des propositions dans l'esprit que je viens de vous indiquer. Cela fait également l'objet de réflexion avec les militaires, l'objectif étant que le dispositif de garde soit suffisamment dynamique pour que Vigipirate présente suffisamment d'imprévisibilité pour ceux à qui nous devons faire face.

Le sujet de l'hôpital du Val-de-Grâce ne relève pas directement des compétences du ministère de l'intérieur, mais peut-être pouvons-nous revenir sur ce qui s'est passé le soir des attentats du 13 novembre. Les sapeurs-pompiers, renforcés par les 21 équipes médicales, ont veillé à apporter des premiers secours et de premiers soins. L'objectif était d'évacuer les blessés vers les hôpitaux afin qu'ils bénéficient de la prise en charge la plus adaptée. C'est d'ailleurs ce qui a été fait, avec une capacité de résilience de notre dispositif de secours et de soins qui a été saluée. Paris dispose de nombreux établissements hospitaliers, et deux hôpitaux militaires ont également été mobilisés ; à aucun moment le dispositif auquel nous avons fait appel ne s'est trouvé saturé. Le ministre de la santé et le ministre de la défense veillent ensemble, dans le cadre des exercices auxquels nous procédons, à ce qu'il n'y ait pas de saturation de nos moyens d'intervention.

Le Président de la République a effectivement évoqué l'intérêt de la garde nationale devant le Congrès. Le ministère réfléchit à la création d'une garde nationale gendarmerie nationale, et fera, à la mi-mars, des propositions en ce sens au Premier ministre et au Président de la République. Nous réfléchissons concrètement à une force rapidement mobilisable, placée sous l'autorité des préfets, formée pour accomplir des missions de type sécurisation ou appui des policiers et gendarmes. Le modèle des réserves de la gendarmerie, avec ses 28 000 réservistes – 40 000 demains –, nous inspire, parce qu'il fonctionne bien depuis vingt-cinq ans, pour un coût relativement modéré. Si nous reprenons cette idée, je souhaite néanmoins que nous puissions créer une garde nationale qui n'écrase pas la réserve actuelle, qui est employée tous les jours dans les brigades. Je crois beaucoup à ce concept nouveau qui nous permettra de renforcer nos moyens lors d'événements extraordinaires. Je vous confirme donc que c'est une idée sur laquelle nous travaillons et à propos de laquelle nous formulerons très prochainement des propositions ; les choses avancent.

Votre cinquième question, sur le PNR, est dépourvue de toute arrière-pensée politique. (Sourires.) J'y vois là l'expression de votre malice et de votre très bonne connaissance des sujets, et je vais par conséquent vous répondre sans précautions. Je considère qu'il n'est absolument pas responsable, mais alors pas du tout, de différer aujourd'hui l'examen par le Parlement européen du PNR. Lorsque je suis allé devant la commission LIBE du Parlement européen en février 2015, ce sujet était hors de portée. Et l'accueil qui m'a été réservé était absolument glacial, pour ne pas dire frondeur. (Sourires.) Il était par conséquent extrêmement difficile de convaincre, mais nous avons convaincu. Et nous sommes parvenus, dans le cadre du trilogue, à une discussion de très bonne qualité qui a abouti à un accord. Voici maintenant que l'on veut différer l'examen du texte par le Parlement européen et le lier à des éléments à venir sur la protection des données ! Soyons très clairs : le seul instrument fiable dont nous disposons pour assurer la traçabilité du retour des terroristes sur le territoire de notre pays, c'est le PNR – pour ceux qui reviennent par avion en tout cas. Ne pas se doter de cet outil, alors que nous sommes allés au bout de la discussion dans le trilogue et que toute garantie est donnée sur la protection des données – elle pourra toujours être renforcée par les textes à venir – nous expose. Or nous exposer face au risque terroriste n'est pas du tout responsable. J'ai donc sur ce sujet, compte tenu du combat que j'ai mené au sein des instances européennes et de l'intérêt qu'il présente, une vision extrêmement claire, et je ne peux que me retrouver dans votre préoccupation et redire ce que j'ai déjà eu l'occasion de dire à plusieurs reprises.

En ce qui concerne le GIGN et le RAID, monsieur Lamy, j'ai vu qu'il y avait des polémiques, mais j'ai donné tout à l'heure la chronologie précise des modalités d'intervention du RAID : le GIGN est mis en alerte à 22 h 26 et reçoit son ordre de départ à 22 h 45 pour se rendre disponible à la caserne des Célestins au cas où il devrait être engagé sur d'autres sites. C'est le principe de précaution qui nous conduit à mobiliser le GIGN. Dans une situation comme celle du 13 novembre, on ne sait pas si d'autres attentats n'interviendront pas après ceux qui viennent d'avoir lieu. La responsabilité qui est la mienne, et je l'ai dit à plusieurs reprises aux deux directeurs généraux, qui en conviennent, est alors non pas d'organiser la guerre des services mais de faire en sorte que tous les services fassent la guerre au terrorisme. Le temps de la guerre des services est dépassé ; aujourd'hui, c'est le temps de la guerre de tous les services contre le terrorisme. C'est la raison pour laquelle nous avions mobilisé le GIGN, pour le cas où…

De même, le patron de la gendarmerie nationale et le patron de la police nationale travaillent dans un excellent esprit, et j'aurai l'occasion de l'exposer dans quelques jours. Avec le patron de la DGSI, ils ont fait un travail très important au mois de janvier 2015, dans le « fumoir », où nous sommes restés ensemble pendant quarante-huit heures jusqu'à la neutralisation des terroristes. Ils ont parfaitement conscience qu'en cas de tuerie de masse, il n'y a pas de place pour la stratégie normande « au plus fort la pouque » : c'est au contraire tous ensemble pour faire face à l'adversité et à la nécessité de neutraliser les terroristes. D'ailleurs, la carte que nous présenterons montrera que nous couvrons la totalité du territoire.

Sur le SCRT, j'ai répondu. Il est déjà opérationnel, et nous lui donnons des moyens supplémentaires, y compris sur le plan technologique ; il pourra mobiliser des techniques de renseignement. D'ores et déjà, dans la lutte antiterroriste, il est tout à fait à pied d'oeuvre.

Sur la protection des sites, nous pouvons trouver aujourd'hui une excellente articulation avec les militaires dans le cadre d'un processus dynamique et imprévisible pour les terroristes. Les gardes statiques posent un problème opérationnel face à des individus qui peuvent frapper à tout moment et partout. Il faut donc faire mouvement.

Quant aux manques dans l'organisation des services, lorsqu'on exerce mes responsabilités et qu'on affronte ce qui s'est passé en 2015, on n'est pas du tout dans l'état d'esprit de quelqu'un qui considère que tout s'est passé comme cela devait se passer. D'ailleurs, si je raisonnais ainsi, je commettrais une faute à l'égard de mes services. Je n'ai pas de suspicion à l'égard des services, mais des événements comme ceux que nous avons vécus justifient un retour d'expérience agrégé, et pas simplement par direction, un retour d'expérience global qui permette d'identifier les difficultés.

Celles-ci résultent d'abord de trous dans le dispositif européen de coopération entre les services de renseignement – sujet considérable, le 13 novembre l'a montré. Le dispositif de contrôle des frontières extérieures est également déficient, s'agissant de la lutte contre les faux documents. Une plus grande fluidité est en outre nécessaire dans les échanges entre les services, notamment en ce qui concerne le suivi individuel des cas. C'est la raison pour laquelle j'ai mis en place l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) – complémentaire de l'UCLAT –, pour s'assurer que chaque individu figurant au FSPRT fait l'objet d'un suivi extrêmement méticuleux et attentif. Cela suppose aussi, et c'est fondamental, un croisement dans l'analyse des services, ce que nous organisons. Cela suppose également que nous ouvrions davantage le ministère de l'intérieur au monde de la recherche et de l'université sur ces questions. J'y tiens beaucoup car, quelle que soit l'excellence de nos services, auxquels je veux encore une fois exprimer ma gratitude, quelle que soit la haute compétence de ceux qui les servent, nous ne pouvons pas, dans la période que nous traversons, ne pas nous ouvrir à la réflexion intellectuelle et universitaire sur ces sujets.

Je veux le dire à la commission d'enquête : j'aborde ces questions avec beaucoup d'humilité et une volonté de faire monter en gamme notre dispositif, dans l'esprit que je viens d'indiquer.

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Chers collègues, vous êtes encore huit à vouloir intervenir, et notre réunion doit se terminer dans trente minutes. Je vous demande donc de ramasser vos interventions, et prie M. le ministre de faire des réponses synthétiques. Entendons d'abord quatre interventions.

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Monsieur le ministre, merci pour votre clarté et toutes ces précisions. La polémique n'a pas sa place dans nos discussions, il n'y a ici ni droite ni gauche : il n'y a que le souci partagé de la sécurité des Français.

Notre système de dé-radicalisation ne semble pas forcément tout à fait adapté. Ainsi la petite Israé, âgée de quinze ans, qui est finalement rentrée chez elle, était-elle en cours de dé-radicalisation, placée en foyer et interdite de sortie de territoire – elle avait été retrouvée par sa mère à la gare, deux ans plus tôt alors qu'elle voulait rejoindre la Syrie. Dans les lycées, 617 cas de radicalisation supposée ont été signalés, concernant des élèves de plus en plus jeunes. Comment améliorer notre système de dé-radicalisation ?

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J'ai déjà dit que ce n'était pas l'objet de cette audition.

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Je laisse donc cette question de côté.

J'en viens à la vidéosurveillance. Ne pensez-vous pas, Monsieur le ministre, particulièrement après l'attentat contre Charlie Hebdo, qu'il y a beaucoup à faire en la matière ? Les terroristes ont quand même pu circuler dans Paris, en sortir et disparaître des écrans pendant près de quarante heures. Ne faudrait-il pas, comme en Angleterre et dans d'autres pays, revoir en profondeur le maillage de notre système de vidéosurveillance, en utilisant les nouvelles technologies ?

Sur le Bataclan, vous avez déjà répondu à propos du témoignage des avocats des victimes, qui rappelaient que cette salle, appartenant à des membres de la communauté juive et ayant accueilli certaines soirées pour Israël, était particulièrement visée. Nous avons été interpellés à deux reprises sur ce point.

J'en viens à la doctrine d'intervention. Il est tout à votre honneur, monsieur le ministre, de défendre vos hommes, d'assumer vos responsabilités et de vous tenir comme un bouclier devant vos services, vos policiers, qui font un travail remarquable, mais, si tout était parfait dans le meilleur des mondes, cette commission d'enquête n'existerait pas et nous n'aurions pas de questions à vous poser. La doctrine et les procédures ont été respectées, notamment au Bataclan, avez-vous rappelé. Cependant, le nombre de victimes ne cessait d'augmenter à mesure que les minutes passaient. Ne faudrait-il donc pas revoir la doctrine et les procédures ? Selon certaines doctrines, il faut aller au contact directement ; plus on va vite au contact, moins le nombre de victimes est élevé. Cela vaut non pas dans le cas d'une prise d'otage mais dans celui d'un massacre. Or, manifestement, au Bataclan, c'était un massacre, pas une prise d'otages : il n'y avait pas de revendication, ils tuaient.

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Toutes les questions que je souhaitais aborder ayant été posées, je vous ferai simplement part de l'indignation que m'inspire un fait d'actualité en lien direct avec les attentats du 13 novembre, une indignation d'autant plus forte que nous avons entendu les familles des victimes. J'ai été indigné ce matin en lisant dans Le Parisien des extraits d'une interview donnée par M. Jean-Marc Rouillan, cofondateur du groupe terroriste Action directe, à une radio marseillaise le 23 février dernier. Lutter contre le terrorisme, c'est également lutter contre l'apologie du terrorisme. Or, interrogé sur les attentats du 13 novembre, M. Rouillan a déclaré : « Ils se sont battus courageusement, dans les rues de Paris, en sachant qu'il y avait près de 3 000 flics autour d'eux. On peut dire plein de choses sur eux, qu'on est absolument contre les idées réactionnaires, que c'était idiot de faire ça, mais pas que ce sont des gamins lâches. »

Jean-Marc Rouillan a été condamné en 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité, notamment pour les assassinats de Georges Besse et de René Audran. Il bénéficie d'un régime de semi-liberté depuis 2011, mais tel avait déjà été le cas en 2007. À l'époque, il avait violé l'obligation de s'abstenir de toute prise de parole qui pesait sur lui en s'exprimant dans L'Express et était retourné en prison en 2008.

Compte tenu des circonstances, Monsieur le ministre, de tout ce que nous avons vécu et entendu, de la gravité de nos échanges, alors que tant de familles sont meurtries, on ne peut accepter de tels propos !

En tout cas, tout cela montre que, quelles que soient les pseudo-idéologies qui animent toutes ces personnes, les criminels terroristes se retrouvent toujours dans leur haine, qu'ils soient anarchistes, fascistes ou islamistes. Je voulais vous faire part de cette indignation, et vous demander votre réaction. Que pensez-vous de ces déclarations ? Estimez-vous qu'elles soient aujourd'hui tolérables ?

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Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur la doctrine d'emploi, déjà évoquée à plusieurs reprises. Si je résume et simplifie – peut-être trop –, la question est de savoir s'il faut intervenir plus rapidement et, effectivement, en moindre sécurité que ne le permet la doctrine actuelle. Vous avez répondu qu'il fallait avoir la maîtrise totale de la situation avant d'intervenir. On le comprend parfaitement. En même temps, j'ai cru comprendre que vous réfléchissiez à une telle évolution de la doctrine d'emploi.

Dans cette logique, qu'en est-il de nos capacités d'intervention ? Est-il envisagé de rapprocher, voire de réunir le GIGN et le RAID pour avoir une même capacité opérationnelle ou l'idée vous paraît-elle absurde ? Dès lors que la doctrine connaîtrait une telle évolution, faut-il que les forces de sécurité plus classiques puissent elles aussi mener ce type d'intervention ? Vous l'avez dit : on était à Paris, avec des moyens importants. Si de tels événements se produisaient en province, il faudrait plus de temps pour intervenir. Ne faudrait-il pas que les forces plus classiques puissent procéder aux premières interventions ?

Ma deuxième question est plus simple. Quelle a été, sur le terrain, la coordination entre les forces de sécurité et les services de premier secours ? Quelle autorité coordonnait les interventions des uns et des autres, notamment vers le Bataclan et vers les terrasses de café qui ont fait l'objet de ces attentats ?

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À écouter ce débat, je ne suis pas sûr, monsieur le président, que la formule de la transparence totale, s'agissant du ministre de l'intérieur et de certains hauts responsables des services d'intervention et de renseignement, permettra d'avancer. Il y a nécessairement une part de posture et de non-dit, tout simplement parce qu'il y a, en ces matières, des choses qu'on ne peut pas dire. Je le sais pour travailler beaucoup sur ces questions.

Monsieur le ministre, certains propos m'ont dérangé dans votre présentation, au demeurant très bonne, très solide, en défense de nos policiers et de nos forces – et je m'associe à vous pour leur exprimer notre gratitude. Il y a en effet des choses qui n'ont pas fonctionné, qui ne fonctionnent pas et qui continuent à poser problème dans une guerre qui sera longue et difficile. Nous devons donc être capables de nous remettre en cause.

Vous avez par exemple répondu au président que vous n'avez pas entendu dire, au mois de janvier 2015, qu'il fallait instaurer l'état d'urgence, mais nous sommes des parlementaires ! La responsabilité de l'état d'urgence, vous le savez mieux que personne, relève du gouvernement, et si vous l'aviez instauré au mois de janvier 2015, vous auriez peut-être donné un coup de pied dans la fourmilière et permis de déclencher des actions utiles pour le renseignement au cours d'une année où nous avons été attaqués une bonne quinzaine de fois. Certains ont eu de la chance, dans le Thalys ou à Villejuif, mais pas d'autres – je songe au malheureux qui a été décapité dans l'Isère.

Vous dites que vous avez déjoué beaucoup d'attentats, mais si l'on considère le ratio entre, d'une part, ce qui a été déjoué et les cas où nous avons eu de la chance et, d'autre part, le nombre d'attentats, honnêtement, je suis inquiet. Je vous le dis parce qu'il se trouve que j'ai passé plusieurs jours en Israël récemment et, là-bas, le taux de prévention des attentats est très, très élevé – parce qu'ils ont des attentats tous les jours... Et je crains qu'à mesure que nous remporterons des victoires sur Daech, nous n'ayons malheureusement beaucoup de candidats à l'attaque chez nous. Il faut donc augmenter le taux de prévention.

Une fois que l'attentat a eu lieu, c'est trop tard, même si on peut s'interroger sur le modus operandi et la gestion de l'attentat lui-même. Sans déflorer le sujet de nos travaux du mois de mai, le coeur, c'est la prévention, et donc la coordination du renseignement, l'endroit où l'information se partage, et la manière dont cela se répercute sur les forces opérationnelles. S'y ajoute la dimension européenne, sur laquelle vous avez très justement insisté.

Puisqu'on ne parle pas de renseignement aujourd'hui, je voudrais insister sur deux points en matière d'intervention. Tout d'abord, la question du Bataclan a été posée avec pertinence. Un théâtre a été attaqué à Moscou, en 2002, une école a été attaquée ensuite à Beslan, dans les deux cas ce fut épouvantable. Je comprends ce que vous nous dites sur la doctrine d'emploi, le souci de sécuriser les lieux, mais enfin, quand les victimes doivent attendre trois heures par terre après avoir été blessées à l'arme de guerre, cela fait beaucoup de morts à l'arrivée ! Cela me paraît justifier, au niveau opérationnel, un entraînement dédié et, peut-être, une réflexion sur un changement de doctrine, qui permette une action immédiate. Ce n'est pas une critique : une démocratie qui bascule brutalement de la paix à la guerre tâtonne. Il faut donc s'interroger sur le mode opératoire, et c'est aussi l'un des objectifs de cette commission.

J'en viens à l'intervention à Saint-Denis. Le procureur évoque 5 000 cartouches. Il y avait trois personnes, avec une arme automatique. Fallait-il agir ainsi ? Encore une fois, ce n'est pas une critique : l'immeuble aurait pu être piégé, et nous sortions d'une période de dramatisation intense, mais cela mériterait un retour d'expérience et une discussion – peut-être pas en public.

Quant à l'identification des personnes impliquées, les Kouachi et Coulibaly ont été repérés par la police, parfois interceptés. Comment se fait-il que les mesures de contrôle aient été suspendues ? Comment se fait-il que l'un d'entre eux ait pu accompagner sa compagne jusqu'en Espagne, pour qu'elle y prenne un avion pour la Syrie, et qu'on le retrouve ensuite impliqué dans un attentat ? Ces constats m'ont d'ailleurs conduit à ne pas voter votre loi sur le renseignement : il ne sert à rien d'augmenter la pile d'informations si on ne sait pas utiliser celles qu'on a. Or vous aviez tout un tas d'indications, sur Verviers, sur les Buttes-Chaumont, sur Molenbeek, sur des gens qui ont ensuite participé à des attentats. Sommes-nous sûrs que nous savons exploiter les renseignements ? Cela me préoccupe, comme beaucoup de gens.

Enfin, je n'ai pas le temps d'évoquer les limites de votre loi antiterroriste, débattue en séance la semaine dernière, mais que fait-on de ceux qui reviennent de Syrie ? Les laisse-t-on retourner chez eux avec plus ou moins de contrôles ?

J'en viens à une double question parisienne. Je suis le député des zones les plus attrayantes pour les terroristes : tout ce qu'il y a de plus touristique à Paris est dans ma circonscription, des Champs-Élysées au Palais Garnier, en passant par les Grands Boulevards, la gare Saint-Lazare, etc. Tous les jours, cette géographie parisienne m'angoisse. Quand les BAC et les commissariats auront-ils des moyens suffisants pour faire face à une frappe forte ou pour un combat rapproché ? Ensuite, et je vous prie de croire que ma question n'a aucun caractère polémique, comment fera-t-on pour acheminer 125 véhicules de secours ou d'intervention, comme ce fut le cas le 13 novembre dernier, si la circulation automobile est supprimée sur la voie express, sur les quais bas ? La maire de Paris envisage effectivement de les rendre aux piétons et aux cyclistes. C'est très sympathique, mais comment traverser Paris s'il n'est possible de circuler que sur les quais hauts de la Seine ? Ils seront absolument saturés. À partir du mois de septembre prochain, ce sera Paris Plages toute l'année ! Comment concilier ce projet avec une menace terroriste « extrêmement grave », comme vous l'avez vous-même souligné ?

Monsieur le ministre, je vous remercie pour le travail que vous faites, avec beaucoup de sérieux et de rigueur, mais en tant que citoyen, et pas seulement en tant qu'élu de l'opposition, je me pose des questions sur la préparation de notre pays à ce qui s'annonce comme une guerre longue et cruelle.

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Votre responsabilité, Monsieur le ministre, était tout d'abord de remédier aux conséquences des réductions budgétaires et d'effectifs intervenues bien avant 2012, et de réarmer vos services. Si nous avons vécu le pire dans Paris, ville des symboles universels, notre responsabilité de protection et d'anticipation doit s'exercer sur tout le territoire. Nous devons donc poursuivre nos efforts et parvenir à la plus efficace répartition des forces d'intervention sur tout le territoire. Ne sombrons ni dans la démagogie ni dans la psychose mais nos concitoyens veulent légitimement être protégés partout. Pouvez-vous, dès lors, préciser quel est le déploiement des forces d'intervention, notamment des premiers secours ? Je songe en particulier aux sapeurs-pompiers. Au-delà du renforcement des moyens, c'est la question de la mutualisation toujours perfectible des services qui se pose. Nous pouvons nous inspirer des dispositifs déjà prévus pour d'autres crises majeures, qui ont donné lieu à des exercices de simulation.

Bien sûr, les préfets ont la responsabilité d'organiser ces simulations qui permettent sur le terrain de préparer et former les personnels de sécurité en lien avec ceux des collectivités territoriales concernées, et même des centres hospitaliers. Quelles sont les modalités de cette politique d'exercices sur tous les territoires ? Vous viendrez d'ailleurs très bientôt dans le Gard pour vous rendre compte de sa mise en oeuvre. Il s'agit de pouvoir faire face, le cas échéant – espérons que cela ne se produira pas – à la prochaine crise majeure.

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Onze projets d'attentat ont été déjoués, nous avez-vous dit, Monsieur le ministre, par les services de l'État, dont six depuis le mois de janvier 2015, mais le risque zéro n'existe pas et tous les moyens du monde ne parviendront jamais à empêcher la réplique de semblables abominations. Cependant, avec le recul et l'analyse des faits, des enseignements utiles pour la sécurité des Français, voire de précieuses préconisations, ont-ils pu être tirés ?

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Monsieur le ministre, est-il envisageable de verser à l'instruction, comme le demandent des avocats des familles de victimes, certaines pièces d'affaires et de dossiers antérieurs ? Je pense aux dossiers de l'attentat du Caire, en 2009, des Buttes-Chaumont ou d'Artigat.

Ensuite, puisqu'une réflexion sur le dispositif Sentinelle est en cours, ne pensez-vous pas que le fichier S, qui rassemble des individus pour des motifs que je qualifierai de très larges, mérite lui aussi une réflexion, et doit peut-être évoluer ?

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Le fichier S, cela concerne le renseignement, cher collègue.

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Lors de la prise d'otages au Bataclan, les forces d'intervention et les terroristes ont-ils communiqué ? Autrement dit, y a-t-il eu négociation ?

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Monsieur Meyer Habib, je propose que nous parlions de la dé-radicalisation une autre fois. Quant à la vidéosurveillance, comme vous le savez, nous avons mobilisé 20 millions d'euros de plus par an sur le fonds interministériel de prévention de la délinquance à des fins d'accompagnement de l'équipement par les collectivités locales des bâtiments ou des axes sur lesquels pourrait être apposée de la vidéosurveillance. Ces 20 millions d'euros sont à la disposition des collectivités locales qui présentent des projets. Nous avons déjà financé dans ce cadre un très grand nombre de projets destinés à améliorer significativement l'équipement en vidéosurveillance et vidéoprotection d'un certain nombre de sites.

En ce qui concerne la doctrine et le protocole d'intervention, soyons, encore une fois, extrêmement précis. Lorsque je parle de la sécurisation des lieux avant engagement de l'assaut, il s'agit de nous assurer qu'au moment de l'intervention nous ne ferons pas de victimes supplémentaires. Par exemple, je me souviens très bien qu'avant que l'ordre d'assaut ne soit donné à l'Hyper Casher, il y a eu de nombreuses discussions sur la configuration des lieux, sur les conditions dans lesquelles nous pouvions intervenir, sur les issues qui pouvaient être empruntées. Selon nos informations, il y avait déjà au moins trois morts : il fallait s'assurer qu'il n'y en aurait pas davantage encore. Lorsqu'il y a des victimes sur un théâtre d'opérations des forces d'intervention rapide, notre doctrine, simple et logique, consiste pour l'instant à créer les conditions qui permettront d'éviter d'accroître le nombre des victimes au moment de l'assaut.

Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas mener de réflexion sur la doctrine d'intervention de ces forces. Je partage le sentiment exprimé par Serge Grouard, par Meyer Habib et par Pierre Lellouche : il est nécessaire de réfléchir en continu sur les modalités d'intervention. Les compétences des forces sont différentes – nous avons pu le constater en novembre dernier. J'ai donc demandé une analyse segmentaire des compétences des forces dans le cadre du retour d'expérience (RETEX). Il s'agit de pouvoir faire intervenir telle force plutôt que telle autre, en fonction de la situation et des compétences, ou plusieurs forces en même temps pour être plus efficaces. Chaque événement doit faire l'objet d'un retour d'expérience afin d'adapter, voire de changer notre doctrine. Je suis, sur ce sujet, extrêmement pragmatique : chaque intervention doit permettre de sauver la vie de ceux qui ont été blessés, il faut toujours faire en sorte qu'il n'y ait pas plus de blessés, plus de morts. Chaque événement fait donc l'objet d'un RETEX qui peut conduire à des modifications de doctrine et à une évolution des modalités d'intervention.

C'est le cas aussi pour des interventions du type de celle de Saint-Denis. À cet égard, monsieur Lellouche, le RAID a tiré 1 300 cartouches ; 5 000, c'est le nombre de munitions dont il disposait. J'ai eu l'occasion de réagir sur l'assaut de Saint-Denis, en défense, effectivement, de mes troupes. Quelque appréciation que l'on porte sur cette intervention, conduite sous le contrôle du juge dans le cadre d'une opération judiciaire, je peux vous dire en effet, pour avoir été toute la nuit en contact avec le directeur général de la police nationale et la directrice centrale de la police judiciaire, qu'il fallait beaucoup de cran de la part des policiers du RAID pour intervenir : nul ne savait comment était le bâtiment, s'il était piégé, etc. J'entends les commentaires formulés ici et là et, dans un pays comme le nôtre, tous les commentaires sont recevables, mais j'estime de mon rôle, compte tenu de la part de risque que comportent ces interventions et du courage dont font preuve mes troupes, de souligner d'abord ce courage. Cela n'empêche pas les légitimes retours d'expérience. Et défendre ses troupes ne revient pas à s'interdire de réfléchir à la manière d'optimiser le fonctionnement des dispositifs.

Monsieur Falorni, en ce qui concerne Jean-Marc Rouillan, j'ai demandé à mes services d'examiner la possibilité juridique d'adresser au procureur de la République un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, afin, si c'est possible, que les procédures adéquates soient déclenchées. D'autre part, il appartient au ministère public de requérir la révocation de la libération conditionnelle de cet individu – c'est l'État de droit. Pour ma part, je n'ai aucune mansuétude à l'égard de ce type de propos. Je considère qu'ils sont une offense à la mémoire des victimes et une blessure supplémentaire pour des familles qui ont déjà beaucoup enduré. La réponse doit être claire, et j'espère, monsieur le député, que vous considérerez que celle que je viens de vous faire l'est effectivement

Sur l'état d'urgence, nous avons régulièrement un débat sur ce sujet, monsieur Lellouche, et c'est très sain. Je considère que la lutte contre le terrorisme appelle la plus grande rigueur juridique dans la mobilisation des moyens pour y faire face. J'ai déjà eu l'occasion de développer publiquement l'analyse que j'ai livrée tout à l'heure concernant les conditions juridiques de déclenchement de l'état d'urgence. J'ai toujours souhaité que la plus grande rigueur soit de mise au sein de mes services, notamment la direction des libertés publiques, quand il s'agit de recourir aux mesures de police administrative de l'état d'urgence. En dépit de toutes les précautions prises, le juge administratif casse néanmoins certaines décisions, parce que le droit n'est pas une science exacte, et le ministère de l'intérieur ou le ministre lui-même sont parfois mis en cause. C'est dans l'ordre des choses, mais ma doctrine est de faire en sorte que le ministère de l'intérieur respecte toujours scrupuleusement le droit, même si ce souci peut entraver un certain nombre d'actions dont nous considérons qu'elles sont utiles.

Bien entendu, monsieur Grouard, le 13 novembre dernier, une coordination était assurée pour les forces d'intervention rapides, comme pour les forces de sécurité civile, soit par la cellule de crise soit par le préfet de police lui-même – selon la décision à prendre. Vous avez pu constater que l'articulation de l'intervention de la BSPP, des forces de protection civile, des forces de sécurité civile mobilisées dans les services départementaux d'incendie et de secours de la couronne parisienne et de la région Île-de-France a été bonne ; il faut nous assurer qu'il en serait de même des territoires plus lointains, ce qui est votre préoccupation d'Orléanais. J'ai donc donné des instructions aux préfets pour déclencher des exercices sur la base d'une méthode extrêmement précise qui permette cette coordination et cette articulation dans chaque territoire. Je me rendrai à Nîmes le 17 mars prochain pour la mise en oeuvre de cette coordination sur le terrain, dans le cadre d'un exercice concret et réel. C'est la même philosophie qui présidera au RETEX et à ce que nous ferons le 17 mars à Nîmes.

Avons-nous tiré des renseignements utiles des attentats déjoués ? Bien entendu. Dans le cadre des entretiens administratifs ou judiciaires qui ont suivi, nous avons récupéré beaucoup de renseignements. Il en ira de même avec les 1 038 individus qui ont été ou seront auditionnés dans le cadre des 236 procédures judiciaires. Ces éléments sont autant de préconisations qui, chaque jour, nous conduisent à adapter l'intervention de nos services face au risque. Face au terrorisme, face à des gens qui font mouvement, nous devons nous aussi faire mouvement chaque jour en fonction des éléments d'information que nous récupérons.

Peut-on, monsieur Laurent, verser des éléments d'affaires antérieures dans les dossiers actuels ? Je n'ai pas à me prononcer sur ce sujet, c'est une affaire de juges d'instruction. Ceux-ci peuvent souhaiter, dans le cadre de réquisitoires supplétifs, obtenir des éléments complémentaires ou, éventuellement, verser dans leurs dossiers des éléments résultant d'enquêtes antérieures susceptibles d'alimenter la suite de la leur. Les avocats sont d'ailleurs là pour faire en sorte que cela soit possible. J'ai compris, de l'audition des victimes et de leurs avocats, que certains souhaitaient qu'il en soit fait ainsi à propos du Bataclan. Très bien. Ayant été engagé sur d'autres dossiers – je pense à celui de l'attentat de Karachi –, je vous le répète très solennellement : je ferai tout pour que le maximum – pour ne pas dire la totalité – d'informations soient communiquées. Les juges et les avocats auditionnés, dont je connais certains, ont une très bonne maîtrise de ces techniques. Ils savent comment il faut procéder pour obtenir ces éléments d'information nécessaires à l'avènement de la vérité.

Quant aux fiches S, il est important qu'elles soient actualisées en permanence. Dans le cadre du travail que nous conduisons avec l'EMOPT et de l'état d'urgence, nous avons dû procéder à plusieurs milliers d'actualisations – je n'ai pas le chiffre exact à l'esprit, je vous transmettrai les éléments par écrit. Il faut donc nous donner les moyens de faire preuve d'une vigilance constante, notamment par des mesures de police, à l'égard de ceux qui sont fichés S et peuvent présenter un danger. La retenue de quatre heures envisagée dans le cadre du projet de loi défendu par Jean-Jacques Urvoas répond tout à fait à cet objectif.

Compte tenu de la rapidité de l'intervention, je ne crois pas que l'on puisse parler de négociation entre la BRI et les terroristes le 13 novembre. Très vite, un terroriste a été neutralisé par les BAC. D'ailleurs, j'en profite pour dire à Serge Grouard, que le schéma sur lequel nous travaillons pour une couverture optimale du territoire, c'est l'articulation entre, d'une part, primo-arrivants – sécurité publique – et primo-intervenants – BAC, PSIG – et, d'autre part, dans un deuxième temps, l'intervention, le plus vite possible, des forces d'intervention rapide.

Le négociateur de la BRI est entré en contact avec les terroristes à 23 h 27, à 23 h 29, à 23 h 48, à 0 h 05 et 0 h 18, mais ces appels permettaient de dénombrer les terroristes et de mesurer leur détermination à mourir en martyrs. Il n'y a pas eu de négociation à proprement parler, c'était plutôt une tentative d'évaluation et de contact. Le dernier appel passé, à 0 h 18, visait à capter leur attention de manière à faciliter l'assaut. Il ne s'agissait pas d'une négociation au sens classique du terme. Je pense vous avoir répondu précisément, mais nous sommes évidemment à la disposition de la commission. Au-delà des auditions, nous pourrons répondre par écrit à vos questions afin que vous disposiez de la totalité des informations souhaitées.

Enfin, monsieur Lellouche, nous sommes tombés d'accord avec la maire de Paris sur le fait que les conditions de sécurité et d'intervention des forces – sécurité civile ou sécurité intérieure – doivent être évaluées en très étroite discussion avec la Ville de Paris, chaque fois qu'un aménagement de voirie est envisagé. Il s'agit simplement de pouvoir faire face à des risques élevés dans les meilleures conditions. Nous aurons cette discussion à propos des voies sur berge.

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Vous allez donc étudier cette question avec Mme Hidalgo ? Normalement, c'est prévu pour le mois de septembre…

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Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

Tel est effectivement le souhait légitimement exprimé par la maire de Paris. Chaque fois qu'il y a des sujets de ce type, soucieux d'accompagner la Ville de Paris, nous étudions les conditions dans lesquelles nous pouvons assurer une intervention efficace des forces de sécurité intérieure et des forces de sécurité civile – pas seulement en cas d'attentat.

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Merci, monsieur le ministre, pour vos réponses et votre disponibilité. Nous nous retrouverons au mois de mai pour parler du renseignement.

La séance est levée à 18 heures 40.