La réunion

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

La séance est ouverte à seize heures trente.

Présidence de M. François Rochebloine, président

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Nous avons le plaisir d'accueillir, sur la proposition de M. Jean-François Mancel, M. Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université de Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique.

Monsieur le président, vous avez, au cours d'une riche carrière universitaire, accumulé les titres et les expériences qui rendront, j'en suis certain, un grand service à notre mission d'information.

Nous inaugurons, en effet, avec vous, une série d'auditions de spécialistes auxquels nous allons demander, si je puis dire, les moyens intellectuels grâce auxquels nous pourrions prendre du champ par rapport à l'objet immédiat de notre démarche qui consiste, je le rappelle, à étudier les relations politiques et économiques entre la France et l'Azerbaïdjan au regard des objectifs de développement de la paix et de la démocratie dans le Sud Caucase.

Il ne serait pas raisonnable, en effet, de mener cette étude sans prendre en considération les relations politiques, les héritages historiques et les conditionnements géographiques qui expliquent le déploiement actuel des stratégies des États, petits et grands, dans cette région.

L'approche par la géopolitique, à laquelle s'attache votre notoriété, nous sera donc très utile dans la perspective de nos travaux.

Bien entendu, vous avez toute liberté pour nous présenter votre appréciation de la situation géopolitique de l'Azerbaïdjan selon les lignes d'analyse qui vous paraissent les plus pertinentes. Je me permettrai seulement de vous interroger sur quatre relations significatives.

D'abord, comment voyez-vous l'évolution des relations entre l'Azerbaïdjan et la Russie depuis la fin de l'Union soviétique ? La question se pose évidemment du point de vue de l'Azerbaïdjan, État indépendant depuis août 1991 : jusqu'à quel point souhaite-t-il et peut-il s'émanciper de la tutelle historique de son voisin ? Mais elle se pose également du point de vue de la Russie : quelle place tient l'Azerbaïdjan dans la complexe stratégie d'équilibre que mène Moscou entre les trois États du Caucase du Sud, à savoir l'Azerbaïdjan, donc, la Géorgie et l'Arménie ?

Qu'en est-il ensuite des relations entre Bakou et Ankara ? Il apparaît – on l'a encore vu récemment avec la répression conduite par le gouvernement de M. Aliev contre de supposés partisans de Gülen établis en Azerbaïdjan – que l'Azerbaïdjan épouse assez facilement la cause du gouvernement turc. Cette proximité est encore plus évidente si l'on se tourne du côté des relations avec l'Arménie, chacun des deux États ayant ses propres raisons de geler indéfiniment ces relations. Pensez-vous, d'ailleurs, que cette situation de blocage soit appelée à durer et, si oui, pour quelles raisons ? Quelle est votre appréciation sur la réalité de l'affirmation laïque des autorités azerbaïdjanaises ? Elle semble désormais plus solide que ne l'est, en Turquie, la tradition d'Atatürk. Mais qu'en est-il dans les profondeurs de la société azerbaïdjanaise ?

La troisième interrogation porte sur les ressorts de la relation de l'Azerbaïdjan avec l'Iran. Il est de notoriété publique qu'une grande partie de la population iranienne ne se distingue pas, en matière culturelle et ethnique, de la population azérie, dont elle partage notamment l'appartenance au chiisme. Comment caractériseriez-vous ces relations et leur évolution possible ?

Un quatrième centre d'intérêt de la mission porte sur les relations avec la France et, au-delà, avec l'Union européenne. Quelles sont les motivations du désir de rapprochement avec l'Europe et avec notre pays, manifesté par le pouvoir azéri ? Jusqu'à quel point les relations avec les trois puissances déjà citées permettront-elles à la coopération bilatérale avec la France de se développer, que ce soit en matière économique, financière, politique ou simplement culturelle ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique. Je vous remercie de m'avoir présenté en tant que président honoraire de l'université Paris I et en tant que président de l'Académie internationale de géopolitique, mais je suis aussi l'ancien président de la fédération internationale du rugby à XIII – le vrai.

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Je suis resté vice-président du département de la Loire pendant vingt-deux ans et nous avions une très belle équipe à Roanne et qui a même été championne de France. Je me suis pour ma part toujours efforcé d'aider le rugby à XV comme le rugby à XIII.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Mais revenons-en à notre sujet. Je suis universitaire et je crois pouvoir à ce titre me montrer objectif. J'occupe la chaire de géopolitique de l'université Paris I depuis 1978 et je tiens à préciser que je ne suis pas un spécialiste du Caucase. J'ai beaucoup écrit sur les États-Unis, où j'ai réalisé ma thèse, sur l'Amérique latine, où j'ai été diplomate, et, dans une moindre mesure, sur le continent africain. Bref, rien ne m'autorisait a priori à m'exprimer devant vous sauf que, hasard des circonstances, en 2010, un de mes anciens étudiants, Ali Bongo, dont j'ai dirigé la thèse, aujourd'hui président du Gabon, m'a demandé si je pouvais réfléchir sur les risques géopolitiques éventuellement encourus par son pays. Je m'y suis attelé et, avec ma petite équipe de l'Académie internationale de géopolitique, dans un esprit différent de celui de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (Coface), dont les analyses me paraissent trop exclusivement économiques, financières, matérielles…

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

C'est en effet son rôle mais, quand on étudie un pays, il me semble qu'il faut analyser d'autres types de risques que ceux que je viens d'évoquer. Aussi avons-nous, toujours en 2010, défini vingt paramètres.

Deux ans plus tard, à l'occasion d'un forum à Dubaï, j'ai présenté notre méthode en prenant l'exemple du Gabon. Se trouvaient là deux de mes anciens étudiants azerbaïdjanais, qui travaillent aujourd'hui pour la présidence de l'Azerbaïdjan, et qui m'ont demandé si je voulais bien appliquer cette méthode au Sud Caucase, à savoir à l'Arménie, la Géorgie et, donc, l'Azerbaïdjan. C'est ainsi que j'ai découvert les réalités du Caucase, même si, en 1988, j'avais déjà eu l'occasion, en tant qu'adjoint à la culture de Gilbert Mitterrand, maire de Libourne, de me rendre dans l'Azerbaïdjan alors soviétique.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Au reste, les deux sont très liés.

Avec mon équipe, nous avons donc écrit un article, puis un rapport, enfin un petit livre, épuisé, Azerbaïdjan, État leader du Sud Caucase.

Les paramètres en question, certes pas très originaux, se divisent en sept paramètres externes – contexte géopolitique de l'ensemble de la zone, influence des États voisins, importance des organisations régionales, impact de la criminalité organisée, poids du terrorisme international, évolution de la situation financière de la zone, immigration clandestine – et treize paramètres internes – cohésion nationale, importance des facteurs ethniques, poids du facteur religieux, importance du fait urbain, potentiel énergétique, rôle de l'État, démographie… et, parmi eux, deux paramètres concernent directement le thème de la présente mission : le respect des droits de l'Homme et la corruption, et il s'en faut que les sources soient toutes objectives en la matière.

L'Azerbaïdjan paraît avoir des perspectives encore plus brillantes que ses deux voisins du Sud Caucase, même si Bakou doit faire face à quelques problèmes récurrents : migrations interrégionales – depuis 1992, le pays a « récupéré » un bon million de réfugiés dont l'assimilation n'a pas été évidente, c'est le moins que l'on puisse dire –, inflation, poids des activités rurales. L'Azerbaïdjan est à mes yeux un pays émergent mais fortement marqué par sa ruralité puisqu'elle regroupe, selon le dernier recensement, près de 48 % des actifs.

Ceux qui, en France, s'intéressent à l'Azerbaïdjan, évoquent souvent un pays où les dépenses militaires seraient très importantes. Or j'ai constaté que celui-ci y consacrait annuellement environ 3,4 % de son produit intérieur brut (PIB), soit davantage, certes, que certains pays d'Europe occidentale, mais bien moins, par exemple, que les États-Unis qui consacrent 4,8 % de leur PIB à leur défense, ou que la Fédération de Russie.

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Certes, mais l'Azerbaïdjan et les États-Unis n'ont pas les mêmes responsabilités.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

J'entends bien. Alors comparons l'Azerbaïdjan avec ses voisins : l'Arménie consacre 4,4 % de son PIB à ses dépenses militaires, soit un point de plus.

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Reste que ces deux pays n'ont pas le même PIB et il faudrait comparer les budgets militaires en valeur absolue.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Tout à fait.

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Vous avez raison de rappeler ces pourcentages, monsieur Soppelsa, mais les dépenses militaires de l'Azerbaïdjan – que ce soit justifié ou non, je n'ai pas à me prononcer sur ce point – représentent deux fois et demie le budget total de l'Arménie. Comparons ce qui est comparable.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Mes sources sont objectives, qu'il s'agisse du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) ou de l'International Institute for Strategic Studies (IISS)…

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

La part des dépenses militaires dans le budget ou le PIB d'un pays n'est au demeurant pas neutre – ainsi quand on songe qu'elle atteint 12 % du PIB en Arabie Saoudite…

Mais là n'est pas le vrai problème.

Contrairement à ce que prétendent nos amis de Bakou, la corruption n'a pas été totalement éradiquée, même si d'importants efforts ont été fournis à cette fin. Deux tiers de siècle d'occupation soviétique…

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

… ne sont pas pour rien dans le degré de corruption de la région. Cela étant, d'après des observateurs, notamment de l'Organisation des nations unies (ONU), l'Azerbaïdjan est sur la bonne voie.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

J'insiste sur le rôle, en la matière, qu'a joué l'Union soviétique, en particulier pour ce qui concerne les républiques musulmanes. Du fait de la conjugaison du poids de la géographie et de l'histoire, la corruption a perduré jusqu'à aujourd'hui dans certains États comme le Turkménistan, l'Ouzbékistan, le Kirghizistan. Il s'agit en outre de lieux privilégiés du trafic de drogue – on songe à la fameuse route de la Soie, la route de l'héroïne, de l'opium…

Les observateurs de l'ONU ont, j'y ai fait allusion, suivi l'application du décret présidentiel de 2007 sur la lutte contre la corruption et ont constaté que le gouvernement était bien déterminé à la mener – une politique vivement soutenue, selon eux, par l'opinion publique et dont les premiers résultats sont positifs. Cela ne signifie toutefois pas que la corruption soit totalement éradiquée.

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Pardon d'insister, mais qui est à l'origine de cette corruption : l'État, les dirigeants, les entreprises ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Deux ou trois de mes étudiants, azerbaïdjanais et arméniens, travaillent sur le sujet, en lien avec l'IISS et plusieurs organisations non gouvernementales (ONG). La banalisation du trafic de drogue et sa mondialisation à partir de l'Asie – j'ai mentionné les routes du trafic de drogue, l'Afghanistan n'est pas loin… – expliquent que l'on puisse trouver des mafias ici ou là dans les pays du Caucase. Leur situation géographique est certes positive pour leurs activités commerciales mais, en contrepartie, je ne suis pas assez naïf pour croire que la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan ne sont pas au moins en partie gangrenés par l'activité des mafias. Je dirais d'ailleurs la même chose s'il était question de l'Albanie.

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Cela signifie-t-il que le crime organisé est implanté…

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Dans l'ex-empire soviétique ? J'en suis persuadé.

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Je voulais plus précisément évoquer l'Azerbaïdjan : des mafias, le crime organisé s'y sont-ils implantés ou non ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

L'État n'est certainement pas en cause, et en tout cas depuis 2007. Reste que, compte tenu des pesanteurs historiques, on n'a pas éliminé toute une génération très liée au système soviétique. Je le répète : la quasi-totalité des républiques, désormais indépendantes, de l'ancien empire soviétique, sont plus ou moins gangrenées par des mafias du crime. Et, j'y insiste, si vous me posiez la question sur l'Albanie, que je connais bien par ailleurs, et qui n'a rien à voir avec notre sujet, je vous répondrais de la même manière.

C'est en tout cas préoccupant. Il y a une trentaine d'années, en effet, on évoquait les mafias italiennes, italo-américaines, le cartel de la drogue colombien… mais très peu les mafias liées à la mondialisation et, surtout, celles liées à l'explosion de l'empire soviétique.

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Pouvez-vous évoquer les relations de l'Azerbaïdjan avec la Russie, avec la Turquie, avec l'Iran, enfin avec la France et, au-delà, avec l'Union européenne ?

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Pour compléter cette question, je dirai qu'on a du mal à se faire une idée précise des différentes influences qui s'exercent sur l'Azerbaïdjan : quelque 25 millions d'Azéris se trouvent en Iran ; on nous explique que les Azerbaïdjanais vivent à la mode turque ; dans le même temps, les Russes sont actifs sur les plans économique et diplomatique ; en outre, la résolution du conflit du Haut-Karabakh n'avance pas malgré le travail du groupe de Minsk et les conditions posées aux parties ; enfin, la présidence concentre l'essentiel du pouvoir.

En somme, comment, en qualité de géopoliticien, appréhendez-vous l'Azerbaïdjan en tant qu'il se trouve à la confluence de groupes d'influence importants, à la confluence d'États – sans oublier les aspects civilisationnels ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Vous avez employé un mot qui a retenu mon attention, celui de « confluence ». Je suis plutôt optimiste sur le potentiel de l'Azerbaïdjan – nonobstant, certes, quelques réserves.

Évoquons la Russie, pour répondre à la première question du président. Elle est surtout, que je sache, un allié privilégié de l'Arménie où se situe la plus grande base militaire extérieure russe.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Le fait est que les relations entre la Russie et l'Arménie sont excellentes. Et comme l'Arménie, à ma connaissance, n'entretient pas des relations totalement amicales avec l'Azerbaïdjan – le rapporteur vient d'évoquer le drame du Haut-Karabakh…

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Ce que vous dites est important : des relations pas tout à fait amicales avec l'Azerbaïdjan ? Vous me permettrez d'en douter…

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Je reprends ma phrase : compte tenu du fait que la Russie a des relations privilégiées avec l'Arménie et que l'Arménie n'entretient pas des rapports totalement amicaux avec l'Azerbaïdjan – c'est le moins que l'on puisse dire –, les relations entre la Russie et l'Azerbaïdjan ne peuvent pas ne pas en être affectées. Ce constat me paraît difficilement niable. Ensuite, les relations entre l'Azerbaïdjan et les États-Unis, d'une part, et celles entre l'Azerbaïdjan et l'Union européenne, de l'autre, sont plutôt positives. Aussi la situation se révèle-t-elle très complexe.

Quant au Haut-Karabakh, il s'agit d'un remarquable exemple de conflit gelé, depuis vingt-cinq ans, et, ne lisant pas dans le marc de café, je ne saurais me hasarder à quelque prévision sur ce qui se passera dans quinze ou vingt ans. Je ne suis par ailleurs pas dans la tête du président Poutine.

Il y a trois ou quatre semaines, Francis Fukuyama, aux États-Unis, m'a dit qu'il voyait émerger trois grands empires, évoquant la velléité de Vladimir Poutine de relancer l'empire russe, celle de Donald Trump de relancer l'empire américain – « America is back », « L'Amérique est de retour » –, enfin celle d'Erdoğan de relancer, si je puis dire, le mythe de l'empire ottoman, dernière hypothèse qui ne me paraît pas devoir être exclue et, en effet, la Turquie peut jouer un rôle – positif comme négatif, là n'est pas la question…

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Les conséquences pourraient en être très spectaculaires au Moyen-Orient.

Pour ce qui est de la Turquie, il paraît que c'est un pays européen, ce qui est à relativiser puisque seulement 3 % de son territoire se situent en Europe ; on me dit également qu'Erdoğan est un islamiste modéré, point sur lequel on peut être sceptique.

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Voyez-vous le président Poutine laisser le président Erdoğan agir dans le Caucase ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

La Realpolitik, c'est du donnant-donnant, du gagnant-gagnant. Je ne puis vous répondre, mais il faut réfléchir à votre question. Lâcher le Caucase pour avoir la paix en Ukraine et avec certaines républiques d'Asie plus orientales, ce ne serait pas totalement inutile. Je suppose que le président Poutine a de la mémoire : comparaison n'est certes pas raison, mais souvenez-vous, même s'il s'agit d'une cause directe et non d'une cause profonde, que l'Union soviétique est morte lorsque l'armée rouge entre à Kaboul en 1980 – dans le bourbier afghan. Aussi, si le bourbier caucasien devient de plus en plus inextricable, l'hypothèse d'y laisser agir la Turquie n'est pas totalement à exclure, mais je peux me tromper.

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Quelle est votre appréciation sur la réalité de l'affirmation laïque des autorités azerbaïdjanaises ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Elle est plutôt positive. Quand j'ai séjourné pour la première fois en Azerbaïdjan, il y a vingt-cinq ans, la république, alors soviétique, était laïque par définition. J'y suis retourné il y a deux ans, des amis m'avertissant que je verrais essentiellement des femmes voilées ; or, jusqu'à la frontière russe, j'ai surtout vu des femmes en minijupe et des églises orthodoxes ouvertes cohabitant avec des mosquées. Il me semble que dans ce pays, qui affiche une constitution laïque faisant référence, vous le savez, à la loi française de 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, comparé aux autres pays émergents voisins, la notion de laïcité ne soit pas totalement surfaite.

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Et que pouvez-vous nous dire des relations entre l'Azerbaïdjan et l'Iran ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Le lien est direct.

Mais je reviens un instant sur la laïcité : il est plus facile d'être laïque dans un pays où 95 % de la population a une même religion, que de l'être dans un pays où vous avez 35 % de chiites, 60 % de sunnites etc.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

C'est un élément qui, pour l'Azerbaïdjan, me paraît positif.

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Tout le monde est laïque musulman ou musulman laïque.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Ce que j'ai vu en Azerbaïdjan, et je parle sous le contrôle de M. Mancel qui connaît mieux le pays que moi, c'est le déclin spectaculaire de la religiosité – ce dont certains se plaignent d'ailleurs. La sécularisation est sans doute liée aux deux tiers de siècle de soviétisation. Voilà en tout cas qui me rappelle l'évolution que j'ai connue à Libourne : quand j'étais enfant, il y avait un curé, deux diacres, trois vicaires pour une seule paroisse alors qu'aujourd'hui celle-ci est servie par un curé d'origine congolaise et qui se retrouve à gérer huit paroisses en même temps. J'ai eu ce sentiment, en Azerbaïdjan, que la sécularisation…

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Entendez-vous par là une baisse de la pratique religieuse ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Il me semble. Certaines ONG (organisations non gouvernementales) constatent également ce phénomène. Le rapporteur spécial des Nations unies va également dans ce sens : « L'Azerbaïdjan est en général un pays où règne une grande tolérance religieuse, une véritable harmonie entre les religions, même si la majorité de la population est de plus en plus sécularisée. »

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Qu'en est-il des relations avec la France et du désir de l'Azerbaïdjan de se rapprocher de l'Europe ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Je crois, comme mon ami Joseph Nye, le professeur américain qui s'en est fait l'apôtre, au soft power.

Je ne suis pas spécialiste de l'économie, mais je crois que les grandes entreprises françaises ont tout intérêt à s'implanter à Bakou qui est en plein développement. La seconde fois que je me suis rendu sur place, j'y ai surtout vu des entreprises allemandes. Je ne suis pas un ami de M. Montebourg, mais il est vrai que si l'on développait les investissements français à l'étranger… C'était une boutade, monsieur le président.

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Mais on peut très bien être un ami de M. Montebourg ! (Sourires.)

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

En tout cas, Bakou me paraît très demandeur de liens culturels, sportifs et autres. Il semble donc que le gouvernement du président Aliev entende jouer la carte du soft power.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

C'est autre chose et je ne vous cache pas que je suis très partagé. Je n'ai pas passé ma vie dans les prisons azerbaïdjanaises ni dans aucune autre prison, d'ailleurs. Je suis, comme tout un chacun, abonné à Courrier international et, dans un article sur les droits de l'Homme dans le monde, on cite, pour l'Azerbaïdjan, les cas de Bayram Mammadov et de Giyas Ibrahimov qui ont apparemment été frappés de cinq ans de prison, si j'ai bonne mémoire, pour avoir tagué : « Bonne fête de l'esclavage », pour parodier le slogan du régime : « Bonne fête des fleurs. »

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Je vous laisse imaginer le nombre de prisonniers, en France, si les citoyens qui taguent leur hostilité au pouvoir étaient traités de la même manière.

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L'Azerbaïdjan n'est certainement pas le paradis des droits de l'Homme.

Souvent on me demande – y compris mes étudiants – pourquoi j'ai écrit un livre sur l'Azerbaïdjan quand on songe à l'atrocité du génocide arménien…

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À propos du génocide arménien… vous voulez parler de la Turquie, non de l'Azerbaïdjan !

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

En effet, car il y a confusion entre la Turquie et l'Azerbaïdjan dans l'opinion publique française…

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Mais si ! Quand j'ai présenté mon livre dans la mairie dont je suis un modeste élu, un certain nombre de personnes sont venues me voir, y compris des intellectuels, qui, sur la question du génocide arménien, confondaient Azerbaïdjan et Turquie…

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Alors ce n'étaient pas des intellectuels car il est particulièrement grave que l'on puisse faire une telle confusion.

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Nous sommes bien d'accord. Et inutile de préciser que je rectifie systématiquement.

Reste, je le répète, que je ne considère pas l'Azerbaïdjan comme le paradis du respect des droits de l'Homme. J'ai néanmoins retrouvé une fiche mentionnant que, parmi certaines des républiques ex-soviétiques de l'Asie centrale et du Caucase, l'Azerbaïdjan est le seul pays à avoir adhéré à vingt-trois conventions sur les droits humains– ce qui n'est pas neutre –, comme le pacte international sur les droits civiques, la convention internationale sur les droits de l'enfant, la convention internationale supprimant toute discrimination contre les femmes… Et j'avoue qu'il m'a fallu attendre 2010 pour découvrir que l'Azerbaïdjan avait donné le droit de vote et l'éligibilité aux femmes une trentaine d'années avant la France ! J'ajoute la convention contre la torture, la convention pour l'abolition de la peine de mort… On peut objecter que tout est de façade, pour ainsi dire, et que le régime signe des textes qu'il ne respecte pas, mais il me semble, objectivement, qu'un assez gros effort est fait pour respecter les droits de l'Homme et le rapporteur des Nations unies chargé de la question se rend régulièrement à Erevan, à Tbilissi, à Bakou et, dans un rapport que j'ai sous les yeux, il écrit que « la promotion des droits humains va dans le bon sens ».

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Que pensez-vous du classement international de l'Azerbaïdjan en matière de liberté de la presse ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

C'est autre chose encore et je suis heureux que vous abordiez la question. L'Azerbaïdjan est très mal classé – 132e…

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Peut-être, en effet, selon le classement de Reporters sans frontières, l'organisation de Robert Ménard.

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Ce n'est plus Robert Ménard, le secrétaire général de Reporters sans frontières ! Il ne faut pas tout mélanger.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Ah, ce n'est plus Robert Ménard ?

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J'ai tout de même découvert qu'en matière de liberté de la presse, l'Arménie et la Géorgie étaient mieux classées que l'Italie ! Je veux bien, dès lors, accepter tous les classements que vous voulez en la matière, mais comprenez que je sois relativement réservé.

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L'une de vos considérations m'a surpris à propos des relations de la Russie avec l'Arménie et avec l'Azerbaïdjan. Jusqu'à présent, en effet, dans le cadre de nos travaux, on nous a plutôt présenté la Russie « en équilibre » vis-à-vis des deux pays afin de contenir les incidents frontaliers tels ceux qui se sont produits avec le Haut-Karabakh en avril dernier, au cours de la « guerre des Quatre jours ». Pouvez-vous approfondir vos affirmations sur ce rôle de la Russie qui serait donc en fait plus déséquilibré que nous ne le pensions, en mettant votre analyse en perspective avec les évolutions qui pourraient avoir lieu dans le cadre du groupe de Minsk ou en dehors de ce dernier, puisque la Russie a des relations bilatérales avec chacun de ces deux pays ?

Ensuite, on nous a affirmé, lors d'une précédente audition, que l'armée turque assurait des formations au bénéfice de l'armée azerbaïdjanaise. Disposez-vous d'informations sur la question ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Le fait que la Russie entretienne des relations anciennes et privilégiées avec l'Arménie n'est pas incompatible avec une forme de Realpolitik à l'égard de l'Azerbaïdjan, qui partage une frontière commune avec la Russie. Il n'y a donc pas d'hostilité totale entre Moscou et Bakou, comme en témoigne l'activité de la Russie au sein du groupe de Minsk, où M. Poutine est l'une des principales forces de proposition pour apporter une solution diplomatique au conflit gelé du Haut-Karabagh. Certes, la situation semble déséquilibrée dans la mesure où la Russie possède d'importantes bases militaires en Arménie, mais M. Poutine sait ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.

De plus, « l'empire poutinien » ne saurait accepter l'implantation croissante de « l'empire d'Erdoğan » dans le Caucase. Cette tendance est encore limitée, mais il est vrai que l'armée turque participe à la formation de certaines unités militaires azerbaïdjanaises. Compte tenu des liens historiques et religieux que la Turquie entretient avec cette région, elle ne peut se permettre de s'en désintéresser.

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Ces derniers temps, pourtant, les relations russo-turques se sont fortement dégradées. Cela a-t-il des conséquences dans la région ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Il n'est pas impossible que M. Poutine, grand joueur d'échecs comme M. Erdoğan, accepte de concéder à la Turquie une influence sur l'Azerbaïdjan en raison de sa proximité historique et religieuse.

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Autrement dit, l'Azerbaïdjan et le Caucase pourraient constituer une zone tampon entre ces deux empires annoncés ?

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Absolument, comme le sont les petites républiques telles que l'Ossétie et la Tchétchénie. Dans une conférence récente, M. Bill Clinton a d'ailleurs estimé que les deux points chauds les plus sensibles de la planète étaient le Cachemire, d'une part, et le Caucase, d'autre part. Objectivement, il s'agit en effet de deux poudrières, la première étant qui plus est encerclée par des puissances nucléaires. Quoi qu'il en soit, le Caucase est une zone de tension potentielle.

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Il semble qu'Israël ait récemment pris position sur le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Le confirmez-vous ?

D'autre part, pensez-vous qu'il existe un moyen – et lequel – de mettre les belligérants autour de la table pour enfin trouver une sortie honorable au conflit du Haut-Karabagh ?

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Mon point de vue est celui de l'ONU : seule la voie diplomatique est envisageable.

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Avez-vous eu des échanges avec le groupe de Minsk ?

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Uniquement avec la partie française. Je ne suis pas surpris que le conflit dure depuis près de vingt-cinq ans…

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Le cessez-le-feu date en effet de 1994 ; il me semble que la France joue un rôle important dans ce processus, quels que soient les représentants de sa diplomatie.

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Soit ; cela étant, le Haut-Karabagh n'est pas une préoccupation de premier ordre dans la relation russo-américaine, ce qui explique peut-être la lenteur du processus. Les quatre premières résolutions de l'ONU datent tout de même de 1993 et 1994, soit plus d'une vingtaine d'années !

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En complément à la question de M. Pupponi sur le règlement diplomatique du conflit du Haut-Karabagh, permettez-moi de vous demander si, selon vous, les États-Unis, la Russie ou la France peuvent faire pression sur les parties prenantes ou si ce conflit gelé, au fond, n'arrange pas tout le monde, y compris les belligérants eux-mêmes ?

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C'est sans doute le cas, hélas : ce conflit gelé arrange tout le monde. Je vois mal le futur président des États-Unis créer des difficultés dans la relation bilatérale avec la Russie au sujet du Haut-Karabagh, comme personne n'a souhaité en créer lors de l'invasion américaine de la Grenade en d'autres temps – ou de l'annexion russe de la Crimée. Sans doute est-ce du cynisme, mais ce conflit gelé risque de l'être aussi longtemps qu'Hibernatus.

J'ignore, monsieur Pupponi, si Israël a exprimé une position sur le conflit.

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Précisons qu'Israël vend des armes à l'Azerbaïdjan.

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En effet. Israël est devenu un acteur majeur du marché de l'armement, en Afrique notamment ; cela pourrait expliquer une prise de position en faveur de Bakou.

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Le contraste entre les réalisations économiques et culturelles de l'Azerbaïdjan et le caractère rudimentaire de sa culture politique, essentiellement fondée sur un système de pouvoir personnel, est saisissant. Jusqu'à quel point cette situation peut-elle durer sans mettre en péril la cohésion interne du pays et, partant, sa volonté d'exister sur la scène internationale ?

Dans quelle mesure le fait que l'Azerbaïdjan, à la différence de ses voisins, soit somme toute un État de constitution récente, explique-t-il les pratiques autoritaires de ses dirigeants ? À l'inverse, quels sont les ressorts et les sources d'inspiration des opposants au pouvoir de M. Aliev ?

Enfin, certains États voisins, par réalisme politique, ne considèrent-ils pas l'existence à Bakou d'un régime certes autoritaire – chacun en conviendra – mais dont l'emprise globale sur la population paraît assurée, comme le prix à payer pour la stabilité de la région ?

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Je préfère, par souci d'impartialité, parler de régime présidentiel que de régime autoritaire : la Constitution de l'Azerbaïdjan, comme celle des pays voisins d'ailleurs, en fait un régime présidentiel. Certes, il est aussi autoritaire ; il me semble qu'il y a là, qu'on le veuille ou non, un héritage culturel, sensu lato, de deux tiers de siècle de régime soviétique. Le père du président actuel, avant d'être lui-même président – et de donner son nom à une fondation particulièrement dynamique sur le plan culturel – était un dirigeant du Parti communiste soviétique !

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La rente pétrolière facilite les choses, en effet, quoique l'Arabie Saoudite puisse être citée en contre-exemple. Cette rente, toutefois, est une source de préoccupation : si la situation économique de l'Azerbaïdjan a pu être plutôt euphorique, le poids des hydrocarbures est tel qu'il devrait inciter les autorités à diversifier les activités, comme elles commencent déjà à le faire, dans les secteurs du tourisme, des services ou d'autres industries.

Les classements de telle ou telle ONG sur la corruption valent ce qu'ils valent, mais l'éradication de la corruption reste un défi majeur en Azerbaïdjan, de même que l'achèvement du processus de démocratisation. Certes, il existe officiellement une cinquantaine de partis politiques, comme autrefois le Parti communiste français servait de parapluie à toutes sortes d'organisations affiliées.

Je ne peux guère vous répondre sur les sources d'inspiration des opposants au pouvoir. J'ai rencontré des personnes plutôt occidentalisées qui, convaincues des acquis du régime en matière de santé et d'éducation – ce qui n'est pas sans rappeler le castrisme – reconnaissaient néanmoins des difficultés sur d'autres plans, mais je n'ai pas rencontré d'opposants notoires. En revanche, je constate un fort courant de francophilie ; l'image de la France est excellente dans le monde rural azerbaïdjanais, notamment, au point que l'on nous a proposé des échanges et parrainages éducatifs lors de notre dernier voyage. Je crois profondément à l'action de la francophonie dans cette région.

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Avez-vous pu vous rendre au Haut-Karabagh ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Non. Certains de mes étudiants travaillent sur le sujet, sous l'angle notamment des possibilités de dégel du conflit.

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Selon Les Nouvelles d'Arménie, l'Arménie et la Russie auraient récemment signé une convention sur la défense commune des frontières arméniennes par des troupes provenant des deux pays. Sans doute serait-il opportun que notre mission se renseigne sur cet accord, qui illustre le rôle souvent complexe que joue la Russie auprès de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan dans le conflit du Haut-Karabagh.

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Cet accord porterait-il aussi sur les frontières contestées ?

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La frontière du Haut-Karakbagh ne serait pas concernée, selon cette revue.

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Des échanges ont lieu entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan au niveau ministériel, mais il ne me semble pas qu'une telle convention ait été signée.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

J'ai lu cet article. Les universitaires ont tendance à se méfier des sources journalistiques mais, en l'occurrence, je ne vois guère ce que des journalistes arméniens auraient à gagner à donner cette nouvelle sans preuves. À l'évidence, les relations russo-arméniennes sont très privilégiées. L'article en question n'évoque pas les frontières du Haut-Karakbagh, mais celles des sept enclaves.

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Le budget de défense de l'Azerbaïdjan est plus de deux fois plus important que le budget global de l'Arménie ; la Russie entend donc rééquilibrer cette situation. Sur le plan strictement militaire, l'Azerbaïdjan aurait réglé le conflit depuis longtemps si le risque d'une intervention russe aux côtés de l'Arménie n'existait pas.

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Il a été suggéré que le gel du conflit arrangeait les parties prenantes, mais ne constitue-t-il pas un inconvénient majeur pour l'Azerbaïdjan ? Ce gel confirme en effet l'occupation par l'Arménie des sept enclaves voisines et celle du Haut-Karabagh lui-même.

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Rappelons que les enclaves en question comptent une dizaine de milliers d'habitants.

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Je pense que la pérennisation de ce conflit arrange non pas les belligérants, mais les deux superpuissances que sont les États-Unis et la Russie ; en revanche, elle ne saurait être favorable à l'Azerbaïdjan, qui a perdu un cinquième de son territoire et doit intégrer environ un million de réfugiés. Les sept districts en question, qui sont presque vides, compliquent considérablement la situation. Lorsque le président Aliev a rencontré son homologue arménien à Paris, il s'est déclaré plus que jamais favorable à une résolution du conflit ; n'était-ce qu'une posture diplomatique ?

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L'accord de Paris conclu sous le président Chirac entre le président Aliev père et le président Kotcharian a été cassé à Key West par l'Azerbaïdjan. De ce fait, le conflit perdure, malheureusement.

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Pour des raisons géopolitiques, la situation semble s'être inversée et les Azerbaïdjanais sont désormais demandeurs, à mon sens, d'un règlement pacifique du conflit, tandis que l'Arménie est plus en retrait. De surcroît, le caractère fallacieux de la République autonome du Haut-Karabagh, que personne ou presque ne reconnaît officiellement, contribue à geler le conflit.

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Chacun sait qu'Israël entretient depuis longtemps de bonnes relations avec l'Azerbaïdjan. Cela n'est-il pas lié au fait qu'il se trouve dans ce pays très majoritairement musulman une communauté juive d'environ 30 000 personnes qui vit très bien depuis des millénaires sur les contreforts du Caucase, et qui témoigne de la capacité de ce pays à favoriser le vivre-ensemble, puisque nous parlions plus tôt de laïcité ?

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Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l'Académie internationale de géopolitique

Il existe en effet une importante synagogue à Qabala. L'existence de cette petite communauté juive contribue sans doute à justifier les bonnes relations entre Israël et l'Azerbaïdjan, mais elle ne me semble pas être décisive. Quant à la laïcité, il est plus aisé de respecter les autres religions dans les cas où la religion majoritaire représente plus de 95 % de la population que dans les situations moins asymétriques… Quoi qu'il en soit, les intérêts économiques israéliens dans le secteur des armes et des nouvelles technologies me semblent jouer un rôle majeur.

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S'agissant du génocide, on confond souvent l'Azerbaïdjan, compte tenu de son image, avec la Turquie. Ne s'ajoute-t-il pas aussi dans l'inconscient collectif le fait que l'Arménie soit un pays chrétien, tandis que l'Azerbaïdjan est musulman ? La combinaison de ces deux éléments n'incite-t-elle pas les pays occidentaux à pencher davantage en faveur de l'Arménie que de l'Azerbaïdjan ?

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Sans aucun doute. Qui plus est, le public français assimile souvent l'Azerbaïdjan aux républiques d'Asie centrale.

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On en parle davantage, tout de même, en raison du conflit avec l'Arménie.

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Hélas. Il est vrai que ce pays majoritairement musulman est souvent confondu avec la Turquie.

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Certes. En tout état de cause, il n'est pas impossible que cette confusion soit nourrie par le puissant lobby qu'est la diaspora arménienne en France.

La séance est levée à dix-huit heures.