COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 11 janvier 2017
La séance est ouverte à dix heures cinq.
(Présidence de M. Christian Hutin, vice-président de la Commission)
La Commission des affaires sociales examine, sur le rapport de M. Jean-Patrick Gille, le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-1519 du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l'emploi de l'établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes (n° 4357).
En préambule à nos travaux, je vous souhaite, mes chers collègues, une excellente année 2017, tant au plan politique qu'au plan personnel et familial.
Le projet de loi que nous examinons ce matin constitue une étape décisive dans le processus de refondation de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) engagé par notre majorité en 2012. Chacun peut mesurer, dans nos territoires, le rôle majeur que joue cette association dans le système français de formation professionnelle. Reconnue pour son expertise et son savoir-faire, l'AFPA garantit en effet, depuis plus de cinquante ans, l'accès à la qualification et l'adaptation aux mutations du marché du travail.
L'association a vu toutefois son fonctionnement bouleversé par le nouveau paysage de la formation professionnelle, qui a connu deux évolutions majeures.
La première est la décentralisation de la formation professionnelle, qui a conduit l'AFPA à exercer ses missions dans un cadre régionalisé, tout en restant, jusqu'à récemment, placée sous la tutelle de l'État. Son modèle économique n'a ensuite pas survécu à la fin du financement direct de l'association par l'État en 2009. La division régionale des commandes s'accompagne désormais de financements plus aléatoires que les recettes antérieures de l'État, qui étaient stables et prévisibles, aussi bien que substantielles, à hauteur de 1 milliard d'euros.
L'ouverture soudaine du secteur de la formation professionnelle à la concurrence constitue la seconde évolution majeure. À cet égard, on peut s'interroger sur la lecture extrêmement stricte, voire radicale, qu'a faite le Conseil de la concurrence de la directive « Services ». En tout état de cause, ce nouveau contexte a placé l'AFPA face à des exigences entrepreneuriales et concurrentielles étrangères à son histoire et à son mode de fonctionnement. Faute d'un accompagnement suffisant des pouvoirs publics ou d'une vision stratégique claire, elle n'a pu opérer sa reconversion que de manière tardive et à marche forcée. Il en est résulté un déséquilibre financier structurel qui menace, depuis plusieurs années, son existence même. L'association a donc été contrainte de puiser dans sa trésorerie pour assurer son fonctionnement de base et a nourri un déficit d'exploitation devenu chronique.
L'improvisation en matière de politique patrimoniale n'a pu qu'aggraver ses difficultés. En 2009, la précédente majorité avait prévu de transférer à l'AFPA les biens immobiliers de l'État, à titre gratuit et sans contrepartie particulière, notamment en matière d'exécution des missions de service public. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel l'année suivante, laissant l'association dans la plus profonde incertitude en matière immobilière et financière.
Ainsi, à la fin de la législature précédente, l'AFPA était une association au bord du défaut de paiement, sans vision stratégique ni plan de redressement.
Un choix radicalement différent a été opéré à partir de 2012, sous l'impulsion du Premier ministre Jean-Marc Ayrault : un plan de refondation a été signé le 15 novembre 2012, accompagné d'un soutien financier du Gouvernement à hauteur de 200 millions d'euros. Une nouvelle direction, sous l'égide d'Yves Barou, a pris les commandes de l'AFPA et s'est engagée dans une politique déterminée de réduction des coûts fixes, reposant notamment – il faut bien le dire – sur la baisse des effectifs et le report de certaines dépenses. Des efforts ont donc été consentis et ils ont été maintenus jusqu'à aujourd'hui.
Notre majorité a également clarifié la politique patrimoniale de l'AFPA en prévoyant, dans la loi du 5 mars 2014, la possibilité pour les régions de demander à l'État la cession de ces biens dans le cadre d'un projet de site conclu avec l'AFPA. Puis, la loi « Rebsamen » de 2015 a autorisé le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour créer la nouvelle agence, qui a vu le jour le 1er janvier dernier en lieu et place de l'association. L'ordonnance du 10 novembre 2016, que le présent projet propose de ratifier, en définit donc les principales caractéristiques, que je rappellerai ici en quelques mots et qui n'appellent pas de modifications de ma part.
Le premier chapitre de l'ordonnance définit les missions et l'organisation de la nouvelle agence. Les missions historiques de l'AFPA sont confortées, notamment la formation et la qualification des personnes les plus éloignées de l'emploi, de même que la politique de certification nationale ainsi que l'égal accès des hommes et des femmes à la formation et au service public de l'emploi. Mais l'ordonnance définit également d'autres missions, qui constituent le « complément normal des missions de service public » et pourront être réalisées par les filiales de l'agence. Tel est l'objet des deux nouvelles filiales de l'AFPA, consacrées respectivement à la formation des demandeurs d'emploi et à celle des salariés.
J'en viens à l'organisation de l'AFPA. Celle-ci sera dirigée par un directeur général nommé après avis du Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CNEFOP) et administrée par un conseil d'administration quadripartite où seront notamment représentés l'État, les régions, les partenaires sociaux et des personnalités qualifiées. La nouvelle directrice de l'AFPA, Pascale d'Artois, a d'ores et déjà pris ses fonctions au début du mois.
Les ressources de l'AFPA, enfin, seront constituées des redevances pour service rendu, du produit des ventes et locations et des emprunts. J'ai appelé l'attention du Gouvernement sur la nécessité de garantir l'inclusion des subventions versées par les régions à l'AFPA dans les ressources, et je veillerai, d'ici à l'examen du texte en séance publique, à obtenir confirmation sur ce point.
Le second chapitre de l'ordonnance contient les dispositions transitoires relatives notamment aux transferts des biens immobiliers de l'État et des contrats de travail conclus antérieurement par l'association. À cet égard, je souhaite insister tout particulièrement sur l'enjeu déterminant que représente le transfert, à titre gratuit, à l'AFPA de 116 sites immobiliers, auxquels s'ajoutent deux sites de la région Bourgogne-France-Comté. Contrairement au transfert prévu sous la précédente législature, celui-ci prévoit explicitement l'affectation des sites aux missions de service public, garantissant ainsi la continuité de l'accès aux services de formation professionnelle. L'ordonnance crée ainsi les conditions d'un renforcement juridique et organisationnel de l'AFPA, notamment au regard du droit de l'Union européenne puisque la Commission a validé ce dispositif, moyennant la création des deux filiales. Je tiens, du reste, à saluer ici l'étroite concertation entre le ministère du travail et la Commission européenne, qui a permis de clarifier le statut juridique de l'AFPA et d'éviter l'enclenchement de toute procédure relative à l'existence d'aides d'État.
Je ne méconnais pas les difficultés qui attendent la nouvelle agence. Sur le plan financier, en particulier, sa situation reste extrêmement fragile, car ses besoins de trésorerie se maintiennent à un niveau très élevé. Ces inquiétudes m'ont d'ailleurs été confirmées par les syndicats de l'AFPA que j'ai rencontrés hier.
La seule création d'un nouvel établissement public n'est donc pas, en soi, une garantie suffisante pour assurer l'avenir de l'AFPA. Elle en crée toutefois les conditions nécessaires et offre à l'agence toutes les souplesses dont elle a besoin, non seulement pour reconquérir les parts de marché perdues et adapter son offre de formation au nouveau marché du travail, mais aussi pour contribuer à l'émergence et à l'organisation des nouveaux métiers et de nouvelles compétences, ainsi que pour développer une prospective de l'évolution des compétences adaptée au marché local de l'emploi.
Chacun peut donc mesurer le chemin parcouru sous cette législature. Les conditions du redressement de l'AFPA et de son adaptation au nouveau contexte économique sont désormais établies. Bien entendu, nous devrons observer attentivement les premiers pas de la nouvelle agence, mais nous pouvons d'ores et déjà lui renouveler toute notre confiance. C'est pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi.
Nous examinons, ce matin, le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l'emploi de l'établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes, plus connu sous le nom d'AFPA. Celle-ci est un acteur incontournable de la formation professionnelle en France. Créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elle illustre la volonté des pouvoirs publics de faire de la formation professionnelle un levier essentiel de la politique de l'emploi. Outil, depuis soixante ans, de promotion sociale autant que de formation, l'AFPA est le premier opérateur de formation professionnelle en France. Forte de son réseau sur le territoire national, elle développe une offre globale et complète de formation et de services adaptés – services d'hébergement et de restauration notamment –, accessibles à tous les publics, à commencer par ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi et qui constituent la cible des politiques de l'emploi du Gouvernement.
Toutefois, chacun ici sait – même si certains ont plus de mal que d'autres à le reconnaître – que l'AFPA a été malmenée par les gouvernements précédents, jusqu'à être conduite au bord du dépôt de bilan. Les décisions prises en 2004 l'ont fragilisée, en soumettant, sans aucun accompagnement, l'ensemble de son offre de formation au marché public. En outre, lors des différents exercices budgétaires du quinquennat précédent, la dotation prévue pour l'AFPA a continuellement baissé, passant de 575 millions d'euros en 2007 à 74 millions en 2011. Cette baisse terrible et rapide a contribué à remettre en cause ce service public.
On peut le dire aujourd'hui, l'AFPA a été sauvée par notre majorité, qui a agi avec force et conviction. Dès septembre 2012, lors de la discussion du projet de loi portant création des emplois d'avenir, un amendement du Sénat a été adopté tendant à assurer le paiement effectif des sommes dues par l'État à l'AFPA au titre du contrat de transition professionnelle et du contrat de sécurisation professionnelle. Près de 20 millions d'euros seront alors remboursés à l'association.
Le 14 janvier 2013, le Premier ministre de l'époque, Jean-Marc Ayrault, présente un plan de sauvetage de l'AFPA, qui entend répondre aux difficultés liées au patrimoine, à la capitalisation de l'association, à sa gouvernance ainsi qu'à son bilan social. Puis, l'article 49 de la loi sur le dialogue social de 2015 tire les conséquences des évolutions du marché de la formation professionnelle en ce qui concerne les activités et le positionnement juridique de la structure. Pour réaffirmer le rôle essentiel de cet acteur, il est précisé dans le code du travail les missions qu'il exerce au titre de sa mission de service public.
L'objectif de ces différentes mesures était d'offrir un cadre favorable à l'écriture d'un nouveau chapitre de l'histoire de l'AFPA. La ratification par notre assemblée du projet d'ordonnance qui nous est aujourd'hui soumis constitue un pas supplémentaire vers la refondation engagée en 2012 puisque ce texte définit les principales caractéristiques de la nouvelle agence créée le 1er janvier dernier.
Nous mettons tout en oeuvre pour sauver l'AFPA, en renforçant notamment son statut d'opérateur du service public de l'emploi. C'est pourquoi je vous invite, au nom du groupe Socialiste écologiste et républicain, à adopter ce projet de loi.
L'AFPA est, en effet, confrontée, depuis les années 2000, aux évolutions du marché de la formation. Non seulement la compétence en matière de formation professionnelle a été décentralisée et les crédits budgétaires concernés transférés aux régions, mais le secteur de la formation professionnelle a été ouvert à la concurrence, ce qui s'est traduit, pour l'AFPA, par une perte de près de 25 % de ses parts de marché depuis 2009. À ces difficultés s'ajoute la question récurrente de la gestion du patrimoine immobilier historiquement mis à disposition de l'AFPA par l'État, qui s'est beaucoup dégradé.
Pour redresser la situation, l'AFPA a fait l'objet d'un plan de refondation. Quant à sa transformation en EPIC dans le présent projet de loi, elle vise, d'une part, à régler le problème de la dévolution du patrimoine immobilier à la structure, d'autre part, à adapter son cadre juridique à ses activités concurrentielles.
Si la transformation de l'AFPA en EPIC doit dépasser les clivages politiques – la nouvelle agence doit rester un acteur majeur du paysage de la formation professionnelle –, la manière dont vous avez conduit la réforme ne peut satisfaire les membres du groupe Les Républicains. Celle-ci souffre, en effet, d'un déficit majeur en matière de dialogue social et traduit un véritable mépris du quadripartisme. Près de six mois ont été perdus.
Les régions – notre collègue Gérard Cherpion, président de la commission Emploi et formation des Régions de France, le dirait mieux que moi – vous ont alerté dès juillet sur les risques majeurs qui pèsent sur votre projet, du fait du droit communautaire de la concurrence et de l'atteinte à la décentralisation de la compétence en matière de formation des demandeurs d'emploi. Dès le départ, les régions avaient défendu le principe de la filialisation de la formation de ces derniers, que vous avez dû ensuite intégrer, contraints et forcés, après que votre projet eut été retoqué par la Commission européenne et le Conseil d'État. La secrétaire d'État, qui a fait la sourde oreille, a attendu fin septembre pour recevoir les représentants des régions : on peut parler de temps perdu !
Vous affichez ainsi un mépris des partenaires sociaux et des régions, dont je rappelle qu'elles versent 400 des 700 millions que compte le budget de l'ex-AFPA, l'État n'y contribuant qu'à hauteur d'à peine 100 millions.
Votre calendrier, que nous jugeons intenable, compromet la réussite de votre réforme et l'adhésion des personnels et des acteurs à celle-ci. Le principe d'une transformation de l'AFPA en EPIC date, je le rappelle, de la loi du 17 août 2015. Pourquoi avoir perdu autant de temps ? On peut également s'interroger sur le respect témoigné aux personnels de l'AFPA, laissés dans l'incertitude la plus totale. Comment pourraient-ils adhérer à une réforme qui peut paraître improvisée et qui n'a, en tout cas, fait l'objet d'aucune concertation ? Nous voulons apporter à tous ces personnels notre soutien et notre confiance.
Sur le fond, plusieurs aspects de la réforme ne laissent pas de nous étonner. L'article 1er de l'ordonnance mentionne expressément la création d'un établissement public d'État, alors que de tels établissements n'existent pas – on parle d'établissements publics nationaux. En réalité, vous souhaitez recentraliser une compétence parfaitement assumée par les régions, en contradiction avec votre réforme territoriale même et l'attribution aux régions de la mise en oeuvre du plan « 500 000 ». Ainsi, vous reprenez d'une main ce que vous avez donné de l'autre.
Il en va de même en ce qui concerne les missions. Si l'EPIC a tout son rôle à jouer s'agissant de l'ingénierie des titres et la certification, l'article 1er dispose qu'il « développe une expertise prospective de l'évolution des compétences adaptées au marché local de l'emploi ». Ce faisant, vous créez manifestement un doublon puisque les CARIF-OREF (Centres animation ressources d'information sur la formation-Observatoire régional emploi formation), cofinancés par l'État et les régions, accomplissent déjà cette tâche.
Quant à l'organisation de l'EPIC, monsieur le rapporteur, rien n'est réglé. L'article 1er de l'ordonnance dispose que « les activités prévues de formation des personnes en recherche d'emploi et de formation des personnes en situation d'emploi sont mises en oeuvre au moyen de filiales ». Le décret du 15 novembre 2016 renvoie l'organisation de ces filiales au conseil d'administration de l'EPIC. Qu'en sera-t-il s'agissant de la filiale relative à la formation des demandeurs d'emploi ? Les régions pourront-elles être à la fois acheteuses de formations, soumises au droit de la commande publique, et membres du conseil de surveillance d'une filiale intervenant dans un champ concurrentiel ? Pourront-elles, autrement dit, être à la fois juge et partie ?
Ce texte pâtit de l'impréparation la plus totale. Nul doute que, là encore, le Conseil d'État, voire le Conseil constitutionnel, sauront vous rappeler les règles élémentaires du droit et, le cas échéant, censurer votre texte.
En matière de couverture territoriale, rien n'est résolu non plus. Aucune concertation n'a été menée avec les élus locaux. Vous avez transféré la propriété de 113 sites au nouvel EPIC, mais quel sera l'avenir des vingt-cinq sites qui ne l'ont pas été ? Enfin, vous laissez à vos successeurs l'héritage de la situation financière de l'AFPA et le soin de mettre en place le contrat d'objectifs et de performance.
En conclusion, contrairement à ce que nous avons pu entendre à l'instant, nous considérons que l'AFPA est un organisme de formation important, différent des autres, assumant des charges supplémentaires telles que l'hébergement, et nous souhaitons vivement qu'elle puisse continuer d'agir comme elle le fait depuis soixante-dix ans, en particulier auprès des demandeurs d'emploi. Votre réforme, même amendée sous la contrainte, ne répond pas à l'ensemble de ces objectifs ; le groupe Les Républicains le regrette.
Ce projet de loi comporte un article unique visant à ratifier l'ordonnance du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l'emploi de l'établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes. Le Gouvernement a engagé, sur ce texte, la procédure accélérée, puisqu'il devait présenter celui-ci devant le Parlement au plus tard le dernier jour du troisième mois suivant la publication de ladite ordonnance autorisée par l'article 39 de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.
L'ordonnance comporte dix articles, dont le premier a trait à la création d'un établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes. Nous sommes particulièrement satisfaits du troisième alinéa de l'article L. 5315-1 du code du travail, qui souligne la nécessité d'assurer l'égal accès des femmes et des hommes à la formation professionnelle mais aussi, et c'est important, la promotion de la mixité des métiers. Les articles suivants portent, quant à eux, sur des dispositions transitoires ou finales.
Au stade actuel de la discussion, le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste ne voit aucune objection à l'adoption de ce projet de loi, qu'il soutiendra.
Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte qui a pour objet de sauver l'AFPA. Toutefois, il aurait convenu d'y aborder le fond du problème et de s'interroger sur le niveau auquel la formation professionnelle des adultes doit être organisée pour être le plus efficiente possible. Un véritable travail aurait dû être mené en liaison avec les régions, car elle doit être pensée au plus près des besoins des entreprises et des personnes en reconversion. Il est regrettable que cette réflexion n'ait pas été menée dans le cadre de ce texte.
L'ensemble des responsables politiques admettent qu'il faut décentraliser la formation professionnelle et la confier aux régions mais, dès qu'ils sont au pouvoir, ils recentralisent l'ensemble du dispositif ; je pense en particulier à M. Wauquiez, qui a agi ainsi sous la précédente législature. On peut se poser la même question aujourd'hui. De fait, et c'est normal, les régions assurent l'essentiel du financement de l'AFPA, l'intervention de l'État étant bien moindre, quoique supérieure aux ressources issues du marché privé – il est vrai, cependant, qu'il n'est pas dans la culture de l'AFPA de conquérir des parts de marché.
Dès lors que, comme vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur, le nouveau statut ne suffira pas à assurer la pérennité de l'AFPA, des contreparties ont-elles été obtenues, en matière d'organisation, par exemple, dans le cadre des négociations entre l'État et l'AFPA ?
Ce projet de loi, qui découle de la loi relative au dialogue social et à l'emploi adoptée en août 2015, vise à ratifier l'ordonnance du 10 novembre 2016 portant création au sein du service public de l'emploi d'un établissement public industriel et commercial chargé de la formation professionnelle des adultes. Ce nouvel établissement public reprend, en les élargissant et en les clarifiant, les missions de l'AFPA, dont nous savons qu'elle est actuellement, et depuis plusieurs années, en grande difficulté.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutient ce texte qui réaffirme le rôle et la place de l'État dans le cadre d'un service public de l'emploi, qui acte le transfert du parc immobilier et reprend les missions de l'AFPA : assurer la formation des personnes les plus éloignées de l'emploi et l'aide à l'insertion professionnelle, contribuer à un égal accès des hommes et des femmes à la formation sur tout le territoire et à la promotion de la mixité des métiers. Il étend, en outre, ces missions aux nouveaux métiers et au développement durable, et il clarifie les activités en distinguant les missions de service public et celles des activités concurrentielles, exercées par deux filiales. Ce changement de statut offre également une garantie de l'État en termes de financement, même si des inquiétudes persistent quant à la situation financière de l'AFPA.
Si nous soutenons ce texte, je me demande néanmoins quels seront les poids respectifs des deux activités, concurrentielle et de service public, qui cohabiteront au sein de l'organisme et, surtout, comment elles s'articuleront. De fait, où se situe la frontière entre les chômeurs très éloignés de l'emploi, qui relèvent de la mission de service public, et les chômeurs de longue durée, notamment ?
Sur la forme, la sécurité juridique des dispositions que vous nous présentez n'est pas assurée : les régions seront juge et partie, puisqu'elles appartiendront au conseil d'administration du futur EPIC tout en étant donneurs d'ordre. Je m'interroge sur la pérennité de ce dispositif.
Sur le fond, je rejoins les remarques de Jean-Louis Costes : le nombre de chômeurs est très important dans notre pays, et pourtant tous les chefs d'entreprises, notamment ceux des TPE et PME, se plaignent de leurs difficultés à recruter. Les questions de la formation professionnelle des adultes, de la mobilité entre les métiers ou encore du retour à l'emploi sont au coeur de l'actualité. Je regrette que le rapport – dont, certes, ce n'est pas l'objet principal – les laisse entièrement de côté, alors que l'AFPA devrait être particulièrement mobilisée.
Tout le monde convient que nous devons conserver un opérateur public national important en matière de formation professionnelle, et je m'en félicite. Il ne s'agit ici que de ratifier l'ordonnance relative à l'AFPA, et non d'un débat général sur la formation professionnelle – sujet dont nous pourrons discuter au cours des mois à venir, dans d'autres lieux.
Il fallait trouver un équilibre puisque l'AFPA, opérateur national, doit répondre à des commandes régionales. Cet organisme se voit confier des missions de service public, notamment d'expertise et de certification. Le texte garantit également que l'ensemble du territoire est couvert : vous ne l'avez pas mentionné, monsieur Perrut, mais je sais que vous approuvez cet objectif. C'est pourquoi, et Michel Issindou l'a bien expliqué, nous avons besoin d'un opérateur national.
Monsieur Perrut, vous avez joué votre rôle d'opposant en dressant une liste de toutes les critiques, mais certaines entrent en contradiction les unes avec les autres. Vous relayez les inquiétudes, parfaitement légitimes, des salariés, qui redoutent globalement la décentralisation, même s'il existe des nuances entre eux. Comment conserver un dispositif national alors que ce sont les régions qui s'occupent de la formation professionnelle ? C'est bien la question qui se pose.
Mais vous dites aussi craindre une recentralisation. Je crois, au contraire, que cette réforme atteint un point d'équilibre entre cadre national et adaptation régionale. Vous avez rappelé les débats qui ont eu lieu l'été dernier sur la composition du conseil d'administration. Le législateur a fait, vous le savez, le choix du quadripartisme. Après des discussions tendues, dans lesquelles j'ai essayé de jouer discrètement un rôle de modérateur, nous avons trouvé un compromis : les représentants de l'État et des régions disposeront chacun de deux voix, ce qui assure à l'État la quasi-moitié des voix. Je crois pouvoir vous indiquer que l'Association des régions de France s'est dite satisfaite de ce résultat.
Le calendrier, je le souligne, est respecté : l'ordonnance, publiée dès le 10 novembre 2016 alors que la loi du 17 août 2015 prévoyait un délai de dix-huit mois, a pu être mise en oeuvre le 1er janvier de cette année.
Vous mentionnez, monsieur Perrut, les sites qui ne sont pas transférés à l'AFPA, ce qui suscite naturellement des inquiétudes. Ils ne sont pas fermés, et l'AFPA pourra continuer de les utiliser. Des discussions sont en cours avec France Domaine sur le montant des loyers. Longtemps restés symboliques, ceux-ci ne le sont désormais plus, et il ne faudrait pas que cela constitue un nouveau fardeau financier pour l'AFPA au moment où s'ouvre un nouveau chapitre de son histoire.
Vous le voyez, sur la plupart des sujets, nous avons avancé.
Madame Orliac, je vous remercie de votre soutien.
Monsieur Costes, monsieur Viala, vous regrettez que la discussion de ce projet de loi ne donne pas lieu à une discussion générale sur la formation professionnelle. Je le redis, il ne s'agit ici que de ratifier une ordonnance ! Mais le changement de statut de l'AFPA n'est pas un point mineur, bien au contraire. Sans polémique, je souligne que la majorité précédente ne s'était guère préoccupée du problème, et laissait l'AFPA mourir à petit feu, considérant sans doute qu'il fallait laisser la formation professionnelle à la concurrence. Il est vrai que le secteur privé milite pour cette solution.
La solution équilibrée que nous vous présentons a été, je le redis, négociée avec la Commission européenne : cela a pris un peu de temps, mais la question est réglée. Cela explique d'ailleurs, comme vous l'avez noté avec raison, monsieur Perrut, que le Gouvernement ait modifié son projet, qui comprend maintenant deux filiales et non plus une seule.
Madame Fraysse, vous posez la question de la répartition des activités entre les missions de service public et les activités privées. En termes de chiffre d'affaires, il est trop tôt pour vous répondre, mais les filiales devraient rassembler moins de 10 % des effectifs. Pour le dire très simplement, les filiales seront en quelque sorte des « services de commercialisation » ; elles répondront aux appels d'offres. Elles permettent une clarification juridique.
Monsieur Perrut, monsieur Viala, sur la question très pertinente du rôle des régions dans les filiales, j'essaierai de vous apporter la réponse en séance. À mon sens, les régions ne devraient pas y intervenir, afin d'éviter, comme vous le disiez, d'être juge et partie. Mais vous demandiez aussi que les régions occupent une place plus importante dans le dispositif… Chacun doit gérer ses contradictions.
S'agissant du financement, madame Iborra, les régions ont la possibilité de soutenir directement l'AFPA. Celle-ci a entre autres missions d'ouvrir ses locaux à d'autres organismes ; on peut, par exemple, imaginer des mises en commun de plateaux techniques. Les régions, dites-vous, pourraient être plus présentes. Or force est de constater, alors que la loi de 2014 offre la possibilité aux régions – qui étaient demandeuses – de prendre en charge certains centres, que très peu l'ont en réalité fait.
Le projet du Gouvernement crée donc un établissement national, mais adapté à la régionalisation de la compétence en matière de formation professionnelle. Nous avons trouvé, je le crois sincèrement, un équilibre juridique, et clarifié la situation.
Pour autant, je l'ai dit aussi honnêtement, tous les problèmes financiers ne sont pas réglés. L'État apporte 110 millions d'euros : à mon sens, c'est un peu juste pour permettre à l'AFPA de repartir vraiment.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter ce projet de loi de ratification.
L'AFPA se voit en particulier confier pour mission « la contribution à l'insertion des personnes les plus éloignées de l'emploi ». Quel rôle joue-t-elle dans l'ambitieux plan « 500 000 formations supplémentaires » ?
Ce plan est effectivement une opération importante, pour laquelle le Gouvernement a débloqué 1 milliard d'euros. Lorsqu'il a été annoncé, certains ont crié au scandale, parce qu'ils se sont imaginé qu'il ne visait qu'à sauver l'AFPA ! Mais il est vite apparu, au contraire, que nous n'étions plus en mesure de mettre en place une commande publique nationale : ce sont bien les régions qui ont mis en oeuvre le plan. L'AFPA indique aujourd'hui qu'elle a bénéficié de 18 000 places supplémentaires : ce n'est pas négligeable – soulignons qu'il s'agit de formations longues et qualifiantes – et cela l'aidera pour les deux années à venir. Mais ce n'est pas un chiffre énorme non plus, et cela montre les difficultés que rencontre l'AFPA pour répondre aux appels d'offres des régions – surtout qu'il y a eu, en l'occurrence, une certaine précipitation : les régions se sont donc souvent contentées d'augmenter le nombre de places achetées.
Cet exemple illustre donc bien les difficultés auxquelles est confrontée l'AFPA.
La Commission en vient à l'examen de l'article unique.
Le groupe Les Républicains est attaché autant à la formation professionnelle qu'à l'AFPA. Compte tenu des réserves qu'il a émises s'agissant des conditions de mise en oeuvre de sa réforme, il exprimera un vote d'abstention.
Article unique
La Commission adopte l'article unique du projet de loi, sans modification.
Ce faisant, elle adopte le projet de loi, sans modification.
La séance est levée à dix heures cinquante.