Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réunion du 23 janvier 2013 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La séance est ouverte à 16 heures 35.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes examine le rapport d'information sur l'organisation, les moyens et l'action du réseau des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (Mme Catherine Coutelle, rapporteure).

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La Délégation aux droits des femmes a décidé, le 2 octobre dernier, de consacrer des travaux à l'organisation du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes, qui a été, comme vous le savez, profondément modifiée par la révision générale des politiques publiques et la réorganisation de l'administration territoriale, dans les années 2008 à 2011.

La réforme conduite tant au niveau central qu'au niveau déconcentré a eu, de façon rapide et visible, un impact sur l'efficacité du réseau des déléguées régionales et des chargés de mission départementaux. Elle a désorganisé ce service, et a contribué à limiter son action et son efficacité au gré de moyens en personnels qui se réduisaient. L'absence de ministre aux Droits des femmes de plein exercice dans les gouvernements précédents n'aura pas permis de compenser cette érosion, faute d'impulsion politique réelle. Comme de nombreux autres élus, j'ai fait le constat sur le terrain que le réseau des déléguées régionales et chargés de mission départementaux y avait perdu de sa visibilité et avait été par trop souvent la variable d'ajustement du manque de moyens.

Deux raisons étayent ce constat.

La première raison est que, depuis 2009, l'intégration des déléguées régionales aux secrétariats généraux pour les affaires régionales (SGAR) a augmenté le risque d'affaiblissement de leur indépendance par rapport à l'administration déconcentrée. Les délégués départementaux ont été également dissociés de la hiérarchie du service des droits des femmes et placés sous l'autorité des directeurs départementaux de la cohésion sociale. Il convient alors de s'interroger sur l'articulation de ces deux niveaux d'action faute de lien juridique entre eux : sont-ils complémentaires ou ont-ils tendance à coexister ?

La seconde raison est la diminution des ressources en personnel, non seulement avec le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, commun à la plupart des services de l'État, mais également par le non-remplacement de personnels mis à disposition par d'autres administrations ou établissements publics. Or les équipes du réseau du droit des femmes ont toujours été restreintes, aussi peut-on se demander dans quelle mesure les missions peuvent être accomplies correctement lorsqu'il ne reste plus qu'une seule personne en place (voire aucune pendant plusieurs mois dans certains départements), d'autant plus que le champ de ces missions a été récemment accru, ce qui est par ailleurs une évolution positive.

Étudier l'organisation, les moyens et modes d'action du réseau conduit à observer les évolutions mises en place par le gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault. La question qui sous-tend cette étude est la suivante : la ministre des Droits des femmes a-t-elle les moyens opérationnels d'une ambition forte, qui doit s'exprimer tant à l'échelon central qu'à l'échelon régional et départemental ?

La question du statut et celle également des moyens d'action sont centrales : permettent-ils aux déléguées et chargés de mission d'être suffisamment reconnus par l'administration régionale, par les services départementaux, par les associations et l'ensemble des citoyennes et des citoyens ?

La lutte pour l'égalité entre les femmes et les hommes est redevenue une priorité politique : dès cette année, des initiatives importantes ont été prises. La restauration d'un ministère a d'ailleurs déjà eu des retombées concrètes pour le réseau : un arbitrage encourageant en ce qui concerne les crédits, permettant au réseau de poursuivre sa mission, le rétablissement des emplois dans l'administration centrale et la « sanctuarisation » des emplois du réseau au niveau actuel.

Ces mesures sont encourageantes. Il faudra cependant d'autres consolidations pour compenser les diminutions de postes passées et pour que le réseau déconcentré du service des droits des femmes puisse fonctionner dans des conditions satisfaisantes. Mais il faudra aussi apporter des modifications plus substantielles à son organisation et à sa gestion des ressources humaines. Ce réseau souffre d'une cohésion insuffisante entre ses différents niveaux, tant sur le plan hiérarchique que fonctionnel, et a besoin d'une réelle reconnaissance pour que les politiques d'égalité voulues par le Gouvernement s'inscrivent fortement sur tous les territoires.

Je vais maintenant vous présenter les recommandations que je formule en conclusion de mon rapport.

Les trois premières recommandations visent à redonner une visibilité, une autorité et donc plus d'efficacité au réseau déconcentré du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes. Cela suppose de placer les déléguées régionales auprès du préfet de région, ce qui renforcera leur légitimité pour la dimension transversale de leur action.

Mais le fonctionnement du service central doit aussi connaître des modifications : sa responsable doit en particulier regagner un rôle dans la gestion des ressources humaines, pour ce qui concerne les nominations, la mobilité, les promotions, et pour les agents contractuels, les reconductions de contrat et les fins de contrats. Cette implication me semble essentielle pour assurer la cohérence de l'action de l'échelon central jusqu'à l'échelon départemental.

Une deuxième série de recommandations a pour but d'assurer la transversalité, la cohérence et la valorisation des actions menées par les déléguées régionales et les chargés de mission départementaux. À cet égard, l'une des principales mesures serait de placer les chargés de mission départementaux sous l'autorité hiérarchique du préfet de département, ce qui permettrait de renforcer la transversalité de leur action. Leur positionnement fonctionnel au sein de la direction départementale de la cohésion sociale peut être maintenu.

Ensuite, deux recommandations visent à garantir la présence des déléguées régionales et des chargés de mission départementaux sur tout le territoire. Il faudrait en particulier mettre en place, à partir de 2014, une couverture territoriale assurant la nomination d'une personne, adjointe ou soutien administratif, auprès de chaque déléguée, et un chargé de mission dans chaque département, appuyé par un poste de soutien administratif.

Il est important de renforcer les déléguées régionales, pour renforcer les politiques publiques en direction des droits des femmes et de l'égalité. À ce titre, j'estime que la diffusion d'une nouvelle circulaire, consacrée à la mise en oeuvre de la politique interministérielle relative à l'égalité entre les femmes et les hommes, serait utile. Signée par le Premier ministre, elle donnerait plus de poids, de légitimité et donc plus d'efficacité aux déléguées régionales, et à leurs actions en direction des droits des femmes.

Enfin, la transversalité de l'action des déléguées régionales et des chargés de mission nécessite une formation et une maîtrise de modes de travail particuliers. C'est pourquoi l'offre de formation qui leur est destinée doit être renforcée, tant au moment de la prise de fonctions que pendant l'occupation de l'emploi pour les agents déjà en poste. Cette formation doit intégrer le renforcement des compétences en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, la connaissance de l'accès aux droits personnels et sociaux, mais aussi les techniques de l'animation d'équipes territoriales pour améliorer la coordination des actions entre le niveau régional et départemental, et pour mener à bien les concertations locales réunissant les partenaires mobilisés en fonction des actions de terrain.

En conclusion, je voudrais préciser que ce rapport et ses recommandations seront soumis à votre adoption au cours d'une prochaine réunion car il nous faut encore approfondir un point important, en cours d'évolution, qui a trait aux conditions d'intégration des déléguées régionales contractuelles, comme des chargés de mission départementaux, dans la fonction publique. Je souhaite recueillir l'analyse de l'association des chargés de mission départementaux, ainsi que les explications du ministère des Affaires sociales comme celles du ministère de la Réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.

En effet, la loi relative à l'accès à l'emploi titulaire du 12 mars 2012, dite « loi Sauvadet », a ouvert de nouvelles possibilités d'intégration, mais le corps de rattachement de ces agents, qui ont souvent une ancienneté importante, n'a pas encore été décidé. La loi relative à la résorption de l'emploi précaire du 3 janvier 2011, dite « loi Sapin », qui reposait sur la même logique, avait conduit à intégrer certaines d'entre elles dans le corps de l'inspection des affaires sociales à l'issue d'un examen, par un jury, de leur expérience et de leurs compétences. Il serait selon moi souhaitable que leur intégration s'inspire de cette solution, qui était transparente et garantissait la qualité des personnels ainsi intégrés dans la fonction publique.

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Je m'interroge sur le positionnement de la déléguée régionale auprès du préfet de région, qui est l'objet de la proposition n°1. Il est vrai que, actuellement, les déléguées régionales ont perdu toute visibilité en étant placée au sein du secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR). Néanmoins, elles sont recrutées par le cabinet du préfet, sans que le secrétaire général aux affaires régionales intervienne. En outre, il est important qu'elles puissent compter sur la collaboration, non seulement des services du SGAR, mais de l'ensemble des services de la région.

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Placer les déléguées régionales auprès du préfet de région leur assurerait une visibilité, mais il est vrai que la proposition pourrait souligner qu'elles doivent bénéficier de l'appui de l'ensemble des services de la région.

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La question des modalités d'élaboration et celle du contenu des plans régionaux stratégiques me semblent importantes. Dans quelle mesure les chargés de mission ont-ils participé à la construction de ces premiers plans régionaux ? Il est important qu'ils soient élaborés en réelle concertation entre la déléguée régionale et les chargés de mission départementaux, avec une prise en compte de la connaissance du terrain et de l'expérience des seconds. Les plans doivent comporter à la fois des éléments communs à tous, et des éléments purement locaux, tenant compte des besoins et de l'existence d'associations actives dans tel ou tel domaine.

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L'élaboration des plans stratégiques, qui sont conclus pour deux ou trois ans, a été lancée en 2011. Elle est désormais achevée. Leur élaboration semble avoir été différente selon les cas. Certains ont été préparés par la seule déléguée régionale sans association des chargés de mission. D'autres ont impliqué les chargés de mission, mais sans prévoir de latitude pour une déclinaison départementale. D'autres enfin ont été bâtis avec une écoute des chargés de mission, qui ont pu proposer leurs actions, lesquelles ont été intégrées dans le plan. J'estime nécessaire un travail de coordination entre niveaux régional et départemental, dans le respect des priorités définies par le ministère.

Je voudrais signaler qu'en dépit de l'intérêt de ces plans stratégiques, qui ont donné l'occasion de faire le point sur les actions conduites et celles à mener à l'avenir, ils constituent une nouvelle catégorie de plans dans un domaine où ceux-ci sont déjà nombreux. Une petite entreprise peut ainsi être associée à un plan pour l'égalité, un autre sur le handicap, un troisième en faveur de la diversité… Chaque ministère élabore un instrument qui lui est propre. Notre administration a un fonctionnement en « tuyaux d'orgue » qui pose un problème, d'autant que la politique en faveur de l'égalité hommes-femmes est transversale par nature.

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Effectivement, les plans régionaux ont une construction différente suivant les régions, et j'insiste sur le fait que la stratégie régionale comme les situations locales doivent y être présentes. Par ailleurs, il faut insister sur la nécessité d'harmoniser les statuts desquels relèvent les chargés de mission départementaux. Il est vrai qu'il y a trop d'incohérences actuellement.

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La question des statuts renvoie aussi à celle de la mobilité de ces personnels. Pour les déléguées régionales, depuis le décret « SGAR » de 2009, une mobilité obligatoire est imposée au-delà de six ans dans le même poste, comme pour les autres personnels auprès des SGAR. On peut se demander si cette obligation ne conduit pas à une perte de savoir-faire, dans la mesure où il est rare qu'elles exercent ensuite les mêmes fonctions dans une autre région. On ne peut encore se prononcer sur les conséquences de cette limitation, car les déléguées déjà en poste ont vu leur contrat renouvelé à partir de 2009 ; elles peuvent donc rester en poste jusqu'en 2015.

Les discussions que j'ai eues avec les chargés de mission départementaux m'ont fait apparaître que leur mobilité était jusqu'à présent très restreinte, faute de postes ouverts ou faute de soutien de leur hiérarchie. Or il y a une réelle demande de mobilité de leur part, que la titularisation devrait résoudre, pour les agents qui pourront et voudront en bénéficier, vu les conditions peu attractives qui leur sont proposées pour le moment, liées au passage d'un concours.

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Une mobilité au bout de six ans me semble excessive, mais il est vrai que les déléguées peuvent ensuite exercer des fonctions à responsabilité dans d'autres services régionaux.

Je suis d'accord avec la proposition demandant la généralisation des conventions pluriannuelles, même si elle se heurte au principe de l'annualité budgétaire. Les collectivités locales signent déjà de telles conventions, pour ne pas fragiliser les petites structures qui ont besoin de prévisibilité financière. Le conseil général du Rhône par exemple y recours beaucoup, ce qui donne un meilleur cadre de fonctionnement à la coopération avec ce tissu associatif pour mener à bien les actions.

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Je voudrais évoquer aussi la question des relations entre déléguées régionales et unions régionales des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF). Comme les crédits délégués au niveau régional par le service des droits des femmes assurent l'essentiel du financement de ces centres, les premières ont tendance à utiliser les secondes comme un « bras armé », ce qui est souvent mal perçu.

Surtout, la pérennité de leur financement apparaît aujourd'hui menacée. Ces unions régionales jouent un rôle important en assurant la coordination entre les centres départementaux, en remplissant des fonctions en matière de communication et en organisant des actions de formation, notamment à destination de bénévoles. Il faudrait au contraire renforcer leurs moyens.

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Il existe en effet des problèmes ponctuels entre déléguées régionales et unions régionales des CIDFF, qui ont un statut associatif et ont donc en principe leur liberté d'action pour organiser les modalités de travail. J'estime que ces dernières doivent conserver une liberté d'action.

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Ces difficultés ont surgi avec la remise en question des financements. J'ai souligné enfin dans le rapport l'évolution, que je trouve peu opportune, vers un fléchage de plus en plus strict des crédits délégués en région, pour plusieurs raisons qui sont évoquées. Ce fléchage prive l'action au niveau du département de toute latitude ou presque, dans la mesure où les crédits non « fléchés » disponibles, qui étaient de 10 à 12 % encore il y a deux ans, se limitent à présent à 5 à 6 % du total. Cela est très mal vécu par les chargés de mission départementaux. Il faudrait rendre un peu de marge de manoeuvre au niveau local.

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Le fléchage répond à une certaine logique, notamment de garantir l'utilisation des crédits pour les actions s'inscrivant dans des thématiques prioritaires, comme la lutte contre les violences. Mais il comporte l'inconvénient d'obliger à dépenser ces crédits, au lieu de pouvoir les reporter sur d'autres actions en cas de difficulté à les utiliser de manière optimale.

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Je vous propose donc d'enrichir les conclusions à la suite de ce débat et de les proposer très prochainement à l'adoption de la délégation.

Ensuite, la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, prend connaissance d'une communication de Mme Catherine Coutelle dans le cadre de la contribution de la Délégation à la consultation « Au tour des parents » sur l'accueil de la petite enfance et le soutien à la parentalité, à la demande de Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la Famille.

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L'objet de cette contribution de la délégation à la consultation « Au tour des parents » est selon moi d'insister sur l'impact primordial des politiques de la petite enfance sur l'égalité entre les femmes et les hommes.

Je propose d'examiner cette question sous trois angles : tout d'abord, je voudrais montrer le rôle déterminant d'un service public de la petite enfance pour mettre fin aux inégalités entre les femmes et les hommes, puis présenter des propositions concrètes pour développer ce service. Enfin, il me semble que cette thématique doit être considérée au sein de la politique sociale au sens large.

La nécessité de trouver un mode de garde pèse en effet lourdement sur les femmes, souvent davantage impliquées dans l'éducation des enfants que leur conjoint. Cette division sexuée du travail est source d'inégalités entre les sexes. Les politiques publiques doivent donc accompagner les familles pour que les femmes ne soient plus en situation de pallier les lacunes de l'accueil de la petite enfance. De fait, face au manque de places en crèche, beaucoup de mères sont contraintes de rester à la maison pour garder les jeunes enfants, notamment en mettant entre parenthèses leur carrière professionnelle. Ce phénomène est encore plus fréquent dans les familles à revenus modestes, entretenant ainsi les inégalités sociales.

Selon les données publiées, en 2011, par l'Observatoire de la petite enfance, seuls 10 % des enfants de moins de trois ans ont une place en crèche. Plus de six enfants de moins de trois ans sur dix (63 %) sont gardés principalement par leurs parents, et le plus souvent par la mère.

Garder ses enfants est fréquent dans les familles à revenus modestes. Alors que 9 % des enfants des ménages les plus modestes (premier quintile des niveaux de vie, qui regroupe les 20 % des ménages les plus modestes) sont accueillis à titre principal par un intervenant autre que les parents, c'est le cas de 69 % des enfants des ménages les plus aisés (dernier quintile, qui regroupe les 20 % des ménages les plus aisés).

Or ce sont majoritairement les femmes qui s'arrêtent de travailler totalement ou partiellement pour s'occuper des enfants : 97 % des bénéficiaires des aides du complément de libre choix d'activité (CLCA) sont des femmes. Ces mères craignent à juste titre que leur arrêt d'activité ait des conséquences négatives lorsqu'elles voudront revenir à l'emploi. De fait, les femmes qui quittent leur travail pour se consacrer à leur jeune enfant, faute de place d'accueil, se trouvent dans de nombreux cas éloignées durablement de l'emploi : les statistiques montrent que, plusieurs mois après la fin du congé parental, 38 % des bénéficiaires n'ont pas retrouvé d'emploi malgré leurs efforts.

Par ailleurs, beaucoup de mères de famille sont contraintes au temps partiel (80 % des temps partiels sont occupés par des femmes) et à la précarité économique qui l'accompagne. La situation des mères seules est encore plus défavorable.

Face à cet état des lieux, une meilleure prise en charge de la petite enfance contribuerait à améliorer considérablement la condition des femmes, tout en garantissant un service de qualité favorable à l'épanouissement des enfants. Une telle réforme, si elle peut paraître coûteuse au premier abord, serait un facteur de lutte contre la précarité des familles et aurait des répercussions positives en termes de croissance et de recettes fiscales supplémentaires, en contribuant à créer des emplois.

La pénurie de places d'accueil des jeunes enfants est estimée à 400 000, estimation qui varie suivant les études. Force est de constater que les « plans crèches » successifs n'ont pas eu tout l'effet escompté, l'offre restant trop faible et inégale sur le territoire. De plus, le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans a fortement chuté ces dernières années. Le nombre d'enfants de moins de trois ans accueillis à la maternelle a été divisé par trois au cours des dix dernières années. À la rentrée scolaire 2011, 11,6 % seulement des enfants de deux à trois ans fréquentaient l'école (contre 35 % en 2000).

On constate une forte inégalité des capacités d'accueil selon les départements : la capacité théorique d'accueil varie encore aujourd'hui de 9 à 80 places pour 100 enfants de moins de trois ans. Ces disparités départementales de forte ampleur se retrouvent au niveau des taux de scolarisation des enfants de deux ans : 40 % des enfants de deux ans de la Lozère, de la Haute-Loire et du Morbihan fréquentent l'école maternelle contre moins de 3 % à Paris, dans le Haut-Rhin, dans l'Essonne, en Haute-Savoie ou en Seine-Saint-Denis.

Dans ce contexte, le développement de l'accueil collectif avant l'école maternelle apparaît comme une mesure nécessaire. La délégation pourrait formuler plusieurs propositions, en donnant la priorité aux équipements collectifs plutôt qu'aux aides à la personne, et en privilégiant les opérateurs à but non lucratif.

Un objectif pourrait être établi, visant de créer 20 000 places en accueil collectif chaque année pour les enfants de moins de trois ans, ce qui donnerait 200 000 places supplémentaires au terme d'un effort réparti sur dix ans. Sur les trois dernières années, le rythme de création de places en établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE), était d'environ 19 000 par an ; aussi ce nouvel objectif, s'il demande des efforts, semble-t-il réalisable.

Incidemment, est évoquée la possibilité de crèches à horaires décalés. On peut se demander s'il est légitime de satisfaire cette demande pour répondre à la flexibilité des horaires de travail des parents. Répondre à la demande peut sembler contreproductif si l'on veut parvenir à des horaires de travail plus respectueux de la vie personnelle et familiale.

Notre école maternelle est une réussite reconnue par de nombreux pays et constitue l'une des forces de notre système éducatif. C'est un lieu de socialisation de qualité pour les enfants. Il faut partir de cet acquis. L'objectif pourrait donc être de retrouver le niveau de scolarisation des moins de trois ans que la France connaissait en 2000, soit 35,5 %. Cela impliquerait d'accueillir 198 000 enfants supplémentaires dans une structure collective mais qui ne serait pas obligatoirement l'école maternelle que nous connaissons.

C'est en ce sens que la délégation pourrait proposer la création de « classes passerelles » auprès des écoles maternelles, « adossées » à elles, destinées aux enfants de deux à trois ans, qui actuellement dans leur très grande majorité ne peuvent être inscrits à l'école maternelle.

En effet, il me paraît important de repenser le lien entre l'accueil des plus jeunes enfants et l'école préélémentaire et de proposer une offre collective alternative sur le plan pédagogique. Il serait à mon sens utile de développer un mode d'accueil intermédiaire, qui existe dans certaines communes, permettant une prise en charge souple des enfants, éventuellement en cours d'année scolaire, et admettant des horaires adaptés. Une pédagogie spécifique y serait mise en oeuvre, qui ne serait plus celle de la crèche mais pas non plus une préparation à l'école, contrairement à l'école maternelle, dont la pédagogie est vite axée sur l'accès au primaire. Un personnel dédié serait formé en vue de cet accueil intermédiaire. Les enfants pourraient ainsi évoluer dans un milieu collectif socialisant, tout en bénéficiant de soins adaptés de la part d'un personnel qualifié et, c'est important de le souligner, sensibilisé à l'égalité entre filles et garçons et à l'abandon des stéréotypes de genre dans l'éducation.

Reste la question du financement. Il pourrait être partagé entre l'Éducation nationale, la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) et les parents selon une logique contributive.

La solution des classes passerelles me semble convenir particulièrement au milieu rural, car ces classes seraient adossées au groupe scolaire existant, facilitant la vie des parents de plusieurs enfants.

Enfin, il me paraît indispensable d'intégrer cette réforme de l'accueil de la petite enfance dans une réflexion et une action plus large sur les politiques familiales, et sur l'articulation entre les temps de vie personnels et professionnels.

Pour que l'arrivée d'un enfant ne renforce pas les inégalités entre les femmes et les hommes, il faut aussi faire évoluer les rôles des pères et des mères, en agissant dès le plus jeune âge des enfants. Le Président de la République en est d'ailleurs convaincu puisque la réforme des congés parentaux figure parmi ses propositions.

La délégation pourrait proposer que le congé parental soit limité à un an pour chacun des enfants, mieux indemnisé et partagé de manière facultative entre les deux parents, afin d'encourager le partage des tâches au sein des familles. Ce congé parental partagé n'admettrait pas la possibilité de transférer à l'autre parent une partie des mois non utilisés. Ainsi rénové, le congé parental garderait son attractivité, sans enfermer les femmes loin de l'emploi et dans la précarité. Une partie du congé parental pourrait être transformée en heures susceptibles d'être prises de manière fractionnée pendant la journée de travail. Cela permettrait un retour progressif dans la sphère professionnelle.

Le congé paternité, actuellement de onze jours, pourrait évoluer vers un congé d'accueil de l'enfant, mieux rémunéré et plus long : une telle réforme devrait naturellement être soumise aux partenaires sociaux et recevoir leur appui.

Enfin, il faut entreprendre un travail de sensibilisation des entreprises afin qu'elles créent les conditions d'une meilleure articulation de la vie professionnelle et familiale.

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Je salue cette volonté de créer un service public de la petite enfance défendue par le Président de la République. Mais sous l'égide de qui sera-t-il placé ? Est-ce l'État qui va le développer ? Il existe une réelle pénurie de places d'accueil à La Réunion. Malheureusement, le département se désengage de cet investissement actuellement. Développer les structures, en particulier collectives, est un impératif mais encore faut-il résoudre la question du financement. Les structures sont généralement déficitaires, aussi les collectivités doivent-elles les soutenir. Un nouveau plan crèche serait utile, mais cette ambition de développer l'accueil collectif exige des moyens.

Le ministre de l'Éducation nationale a annoncé que des moyens seraient mis en oeuvre pour accroitre la scolarisation des enfants de moins de trois ans dans les quartiers en difficulté. Cette décision est très importante ; il est vrai aussi qu'il faut améliorer l'articulation entre les lieux d'accueil, de manière à ce qu'ils soient complémentaires. Le ministre a évoqué la possibilité de réserver 10 % des places de crèche aux familles défavorisées. Cela se pratique souvent à l'initiative des collectivités ; il y a cependant une difficulté qui demeure, c'est que dans ces familles pauvres, il arrive qu'aucun des deux parents ne travaille, aussi il leur est impossible de verser leur contribution à la structure collective de garde.

En ce qui concerne la diversification des structures et des pédagogies d'accueil, je précise que dans ma circonscription à La Réunion, deux classes passerelles existent, qui ont été mises en place dans les zones d'éducation prioritaires. Cette expérience semble satisfaisante ; le bilan n'en a pas encore été dressé. Ce sont des éducateurs de jeunes enfants qui sont recrutés. Ce mode suppose une bonne association des parents.

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Les classes passerelles sont une bonne solution, qui pourrait être déclinée sur tout le territoire, mais comment le financement s'établit-il ? Actuellement, les collectivités locales doivent déjà faire face à la prise en charge du temps non scolaire au titre de la loi sur la refondation de l'école ; pourront-elles fournir un nouvel effort pour développer ce nouveau mode d'accueil ?

Il est certain que la volonté politique locale est essentielle pour le développement de l'offre d'accueil. C'est d'ailleurs un enjeu important pour les maires qui veulent favoriser l'installation des familles dans leur commune.

Je crains que le terme de familles pauvres ne rende pas compte de toutes les réalités. Dans de nombreuses familles où la mère travaille, et qui ne peuvent donc être placées dans la catégorie des familles qui connaissent les plus grandes difficultés, le fait d'accéder à une place d'accueil pour l'enfant est essentiel.

Je suis favorable au développement des places en maisons d'assistantes maternelles : ces groupements fonctionnent très bien, mais ils supposent l'aide de la commune sous la forme d'un partenariat financier et d'un engagement de la Caisse d'allocations familiales (CAF).

Les femmes veulent travailler et en ont besoin : il faut leur donner les moyens de le faire.

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Il ne faut pas oublier les questions de formation pour les personnels d'accueil de la jeune enfance, et la question de la pénibilité du travail, qui se manifeste notamment par les maux de dos qui touchent ces personnels. Les classes passerelles sont un bon mode d'accueil. Je considère aussi qu'il faudra former des assistants maternels et développer les crèches, qui répondent au souhait de socialisation des parents. La mixité du personnel éducatif est aussi un aspect important, y compris dans les crèches et les halte-garderies, qui sont très intéressantes pour les jeunes parents en milieu rural.

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Une évolution est constatée chez les parents, qui souhaitent de plus en plus des places en crèche et moins des places individuelles chez des assistantes maternelles. Cela impose une modification des investissements outre l'augmentation de l'accueil. Les femmes françaises font plus de deux enfants, cela mérite bien qu'on les aide !

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Il faut aussi mentionner la question de l'accueil des enfants handicapés, pour lesquels il n'y a pas de structure d'accueil. Je reçois beaucoup de parents d'enfants handicapés qui ne trouvent pas de place d'accueil, la mère étant obligée d'arrêter son activité pour garder son enfant.

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Ce problème est certainement lié aux conséquences de la loi « Creton » : il existe des places théoriquement destinées aux jeunes enfants, mais étant donné que les enfants qui atteignent l'âge du primaire ne trouvent pas de place pour les accueillir, ils restent dans la première structure.

Pour conclure cette réunion, je souhaitais souligner que cette contribution de la Délégation ne prétend pas épuiser le sujet de l'amélioration de l'accueil de la petite enfance, qui est très vaste. Elle est plutôt l'amorce d'une réflexion sur ce thème, en espérant contribuer d'une manière novatrice à la réflexion de Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée à la Famille.

La délégation adopte la contribution de Mme Catherine Coutelle à la consultation sur l'accueil de la petite enfance et le soutien à la parentalité, et décide sa transmission à Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la Famille.

La séance est levée à 18 heures 50.