La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l'audition de M. Christophe Strassel, chef de service adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, et de M. Jean-Marc Huart, sous-directeur des politiques de formation et du contrôle au ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale (n° 1721).
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La Délégation aux droits des femmes proposera des amendements au projet de loi relatif à la formation professionnelle, dont elle s'est saisie. Les services du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social nous ont communiqué un dossier de presse qui contient des illustrations et un glossaire particulièrement utiles au regard de la complexité et de la multiplicité des acronymes : en tant que législateur, nous avons à comprendre les textes que nous votons et, même si nous n'en sommes pas tous des spécialistes, nous devons être en mesure de les expliquer à nos concitoyens. Nul n'est censé ignorer la loi, et surtout pas ceux qui l'écrivent.
Mme Ségolène Neuville, notre rapporteure, ne peut être parmi nous ce matin, mais je me ferai l'écho des questions qu'elle souhaitait poser.
Quels sont les freins à la formation professionnelle pour les femmes, qu'elles soient au chômage ou en emploi ? L'orientation est un axe majeur. À cet égard, le Commissariat général à la stratégie et à la perspective vient de remettre à la ministre des droits des femmes un excellent rapport intitulé : « Lutter contre les stéréotypes filles-garçons, un enjeu d'égalité et de mixité dès l'enfance ». Quelles sont les dispositions du projet de loi pour améliorer l'orientation ? Pour les demandeuses d'emploi comme dans le cadre de la réorientation, le bilan de compétences me semble essentiel, même si, à en croire certaines sociétés de conseil, celui proposé par Pôle emploi est d'une qualité variable…
Nous avons demandé aux syndicats, lors d'une table ronde organisée avec eux, si les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), disposaient de statistiques sexuées sur l'accès à la formation professionnelle : devant notre insistance sur cette question, ils ont fini par répondre que ce n'était pas le cas.
L'entretien de formation tous les deux ans constituera-t-il une nouveauté ? Que peut-on en attendre ?
Le compte personnel de formation (CPF) est bien entendu une mesure intéressante, mais nous souhaiterions qu'il soit alimenté pour les salariés à temps partiel dans les mêmes conditions que pour les salariés à temps plein. Voir les temps partiels privés de telle ou telle partie d'une formation n'aurait aucun sens.
M. Huart et moi travaillons à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), dirigée par une femme, Emmanuelle Wargon, que nous représentons ce matin.
La DGEFP met en oeuvre la politique de l'emploi du Gouvernement, sous la houlette du ministre du travail ; elle est à ce titre chargée du suivi et de l'élaboration du projet de loi présenté hier en Conseil des ministres : le suivi de ce texte est notamment la tâche de la sous-direction de M. Huart.
Le projet de loi, qui résulte d'un accord national interprofessionnel (ANI) signé en décembre dernier, constitue sans doute l'évolution la plus importante en matière de formation professionnelle depuis la loi fondatrice de 1971. Celle-ci avait pour objectif de combler le retard que notre pays, en ce domaine, accusait par rapport à ses partenaires de la Communauté économique européenne. C'est donc l'ouverture au marché européen qui avait révélé cette carence française. Aux termes de la loi, les entreprises devaient consacrer 0,8 % de leur masse salariale brute à la formation professionnelle, soit en assurant elles-mêmes cette formation, soit en versant une somme à des organismes de mutualisation.
Il y a quinze jours, à Poitiers, une coopérative qui existait depuis trente ans a fait faillite ; l'un de ses salariés, en vingt-neuf ans de carrière, n'y avait reçu aucune formation – il n'a même jamais pu passer le certificat d'aptitude professionnelle (CAP).
L'effort des entreprises françaises en matière de formation a beaucoup évolué ; aujourd'hui, elles y consacrent en moyenne 2,8 % de leur masse salariale, soit bien plus que le taux légal de 1,6 %. Cependant, on constate depuis environ dix ans que cet effort, en plus d'être mal réparti, bénéficie d'abord aux salariés qui, compte tenu de leur statut et de la taille de l'entreprise, occupent les postes les moins précaires. Tout l'enjeu du projet de loi est de réorienter cet effort vers les salariés qui en ont le plus besoin, à savoir les salariés ayant une faible qualification initiale, ou qui se trouvent en situation précaire, ou qui sont employés dans les plus petites entreprises – ces derniers sont d'ailleurs, en moyenne, moins formés que ceux des plus grandes.
Selon des données de 2010 du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), 41,2 % des femmes accèdent à une formation professionnelle au cours d'une année, contre 58,6 % des hommes. La situation est donc inégale, même si différents phénomènes contribuent à l'expliquer.
Non, mais ils évoluent peu : ce sont des tendances de long terme.
Le compte personnel de formation, c'est sa grande nouveauté, vise à réorienter l'effort vers ceux qui en ont le plus besoin, à les faire devenir acteurs de leur propre formation et à rendre leur droit en ce domaine effectif par l'octroi de moyens : c'est toute la différence avec le droit individuel à la formation (DIF). Dans ce cadre, le conseil aux salariés sera bien entendu déterminant, d'où l'importance du service public de l'orientation.
La réforme du système de financement, deuxième grande innovation du projet de loi, vise à accroître le degré de mutualisation entre les entreprises, aujourd'hui très faible. Les données des OPCA révèlent en effet que les grandes entreprises ne concourent pas à l'effort de formation des petites.
Si, mais les OPCA redistribuent aux grandes entreprises des sommes plus élevées que le montant de leur contribution, si bien que la mutualisation opère en sens inverse, au détriment des petites entreprises, qui n'utilisent pas toutes les ressources auxquelles elles ont droit. La raison en est simple, d'ailleurs : une petite entreprise ne dispose pas toujours de la logistique nécessaire pour organiser une formation, et l'absence d'un salarié peut être perturbante pour l'organisation du travail.
Quant à la situation des femmes, il faut l'envisager au cas par cas. Parmi les salariés qui bénéficient, au cours d'une année, du plan de formation des entreprises, essentiellement destiné à l'adaptation des salariés aux postes, 1,8 million – soit 46,13 % – sont des femmes : cette répartition reflète en somme la réalité de la population active.
S'agissant de la préparation opérationnelle à l'emploi (POE), principalement destinée aux demandeurs d'emploi, la répartition est bien plus inégalitaire, puisqu'un tiers seulement des 414 000 personnes concernées sont des femmes. Certes, les femmes demandeuses d'emploi sont moins nombreuses que les hommes, mais c'est bien sûr ce secteur de la professionnalisation que l'inégalité est la plus marquée.
Pour les dispositifs ouverts à l'ensemble des salariés, en revanche, les chiffres sont beaucoup plus équilibrés. L'utilisation du DIF, par exemple, est quasiment paritaire puisque, sur les 497 000 bénéficiaires, 48 % sont des femmes.
Les femmes représentent même les deux tiers des salariés bénéficiant d'un bilan de compétences. Celui-ci, en effet, est souvent réalisé après une interruption de carrière, comme un congé maternité. Il en va de même pour la valorisation des acquis de l'expérience (VAE), dont 69 % des bénéficiaires sont des femmes. Là encore, la discontinuité des carrières est une explication ; de plus, la VAE est plus accessible dans les métiers du tertiaire, où les femmes sont majoritaires.
Enfin, sur 38 000 congés individuels de formation (CIF), 19 000 ont été accordés à des femmes : en ce domaine, la parité est donc quasi parfaite.
Mme Neuville souhaite savoir s'il s'agit de données collectées ou d'enquêtes réalisées sur la base d'échantillons Des divergences apparaissent en effet entre les chiffres du ministère du travail, tels qu'ils figurent sur le « jaune » budgétaire, et ceux du CEREQ. Peut-on obliger les OPCA à fournir des statistiques sexuées ?
Nos données proviennent des OPCA, que la loi oblige à nous transmettre des états statistiques et financiers. Ceux-ci contiennent des statistiques sexuées.
Cependant, nous ne disposons pas de chiffres par branche : le plus souvent, les OPCA collectent pour plusieurs branches, quand ils ne sont pas interprofessionnels. D'autre part, la fiabilité des données dépend évidemment de la qualité des déclarations. Enfin, ces statistiques ne concernent que le secteur privé : pour avoir une vision globale, il faudrait y agréger celles du ministère de la fonction publique, avec lequel nous n'avons pas de connexion sur ce point, s'agissant de la formation des fonctionnaires.
La Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) dispose de chiffres plus globaux.
Les données relatives au taux d'accès doivent être maniées avec une certaine précaution, car tout dépend aussi du niveau de représentation des femmes dans tel ou tel statut. Par exemple, les femmes sont plus nombreuses à utiliser les dispositifs ouverts aux contrats à durée déterminée.
Le projet de loi contient trois chapitres essentiels – regroupés dans le titre Ier –, auxquels on peut ajouter l'article 21, relatif au contrôle. Le premier a trait à la formation professionnelle continue ; le second, à l'apprentissage et à l'emploi ; le troisième, aux nouveaux modes de gouvernance. Ce dernier chapitre reprend, en y apportant quelques modifications – notamment en fonction de l'ANI du 14 décembre dernier –, le deuxième volet du projet de loi de décentralisation présenté en Conseil des ministres le 10 avril 2013.
L'entretien professionnel ne s'apparentera en aucun cas à un entretien d'évaluation, puisqu'il doit permettre de vérifier l'application de certains droits en matière de formation, de progression salariale ou professionnelle, et d'acquis par la formation ou l'expérience. Il aura lieu tous les deux ans et, si au bout de six ans, aucune évolution n'est intervenue dans deux des trois domaines que je viens d'évoquer, l'employeur sera fautif et le salarié verra son compte personnel de formation doté de 100 heures supplémentaires. En ce sens, le texte répond à la préoccupation que vous exprimiez à travers le cas de cette coopérative de Poitiers.
Un tel dispositif, à l'inverse, peut être regardé comme une obligation de formation pour les salariés ; or certains ne le souhaitent pas, par exemple au regard d'insuffisantes perspectives de carrière. La formation est tout de même un effort qui doit être assorti d'une gratification.
Les formations dont nous parlons ne relèvent pas forcément du compte personnel de formation : elles peuvent être très courtes, par exemple dans le cadre d'une adaptation à un emploi.
Aux termes de l'article 2 du projet de loi, l'entretien professionnel « est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l'issue d'un congé de maternité, d'un congé parental d'éducation, d'un congé de soutien familial, d'un congé d'adoption, d'un congé sabbatique, d'une période de mobilité volontaire sécurisée mentionnée à l'article L. 1222-12 (du code du travail), d'une période d'activité à temps partiel au sens de l'article L. 1225-47, d'un arrêt longue maladie tel que prévu par l'article L. 324-1 du code de la sécurité sociale ou à l'issue d'un mandat syndical ». Ces différents cas peuvent concerner majoritairement les femmes.
La gouvernance est traitée dans trois articles. L'article 11, tout d'abord, parachève le processus de décentralisation ; à ce titre, il précise que la région « favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux filières de formation et contribue à développer la mixité de ces dernières ». Ce point répond sans doute à la question que vous posiez sur l'apprentissage : celui-ci étant beaucoup plus fréquent dans le secteur industriel, notamment au plus bas niveau de qualification, l'accès des femmes y est automatiquement moins élevé.
L'article 12, quant à lui, prévoit que le service public de l'orientation tout au long de la vie « concourt à la mixité professionnelle », et que la région coordonne les acteurs de ce service public. Cette disposition est logique au regard des principes énoncés dans l'article précédent.
Les acteurs de l'orientation sont, par exemple, les centres d'information et d'orientation (CIO) au sein de l'éducation nationale, les services universitaires dédiés et d'autres opérateurs privés, publics ou parapublics. On trouve des conseillers d'orientation à Pôle emploi, par exemple. Le projet de loi prévoit également des missions spécialisées dans les conseils en orientation et en évolution professionnelle ; l'une d'entre elles sera confiée au service public de l'emploi, à travers Pôle emploi, l'Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (AGEFIPH) et l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) ; d'autres pourront être assurées par les chambres consulaires. La région aura à coordonner l'ensemble du dispositif ; une plus grande décentralisation au sein de l'éducation nationale, notamment, n'aurait rien changé à ce rôle.
L'article 14, enfin, modifie plusieurs mécanismes de gouvernance. Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) et le Conseil national de l'emploi (CNE) fusionnent en une nouvelle entité baptisée « Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles » (CNEFOP), décliné régionalement, pour remplacer le comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle (CCREFP) et le conseil régional de l'emploi (CRE), en comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CREFOP), lequel devra veiller au respect de l'objectif d'égalité entre les femmes et les hommes en matière d'emploi, de formation et d'orientation professionnelle.
Sa composition se veut plus resserrée que celle du CNFPTLV, mais aucune disposition législative n'est prévue sur sa parité.
Nous y veillerons. Les membres de cet organisme seront-ils désignés par les différentes structures ?
Les acteurs seront nombreux : faut-il selon vous les former aux exigences de mixité ? Certains stéréotypes touchant à l'orientation sexuée ont la vie dure, et l'on peut les reproduire sans même en avoir conscience. La mixité n'est pas une lubie de notre part, mais l'on constate que, dans les corps de métiers où elle progresse, les entreprises trouvent plus facilement les profils qu'elles recherchent. Il y va donc aussi de l'efficacité économique.
Le service public régional d'orientation est aujourd'hui expérimenté dans huit régions. Il permettra aux régions de délivrer des labels sur la base d'un cahier des charges qu'elles définiront elles-mêmes. Sans doute la mixité sera-t-elle l'un des critères.
S'agissant des obstacles rencontrés par les femmes dans l'accès à la formation professionnelle, le tableau que nous venons d'esquisser montre qu'ils peuvent être généraux ou spécifiques. D'un point de vue général, les femmes sont surreprésentées dans les statuts précaires – contrat à durée déterminée (CDD) ou intérim, notamment – et ont en moyenne un niveau de formation initiale moins élevé. Sur ce point, le projet de loi offre des outils.
De façon plus spécifique, les femmes connaissent des interruptions de carrière plus fréquentes. Le problème qui se pose alors est celui du retour vers la formation et l'emploi. Une dizaine d'années après la naissance de leur premier enfant, 85 % des mères qui se sont arrêtées moins d'un an sont dans l'emploi, contre seulement 79 % de celles qui se sont arrêtées entre un et trois ans, et 63 % de celles qui se sont arrêtées plus de trois ans ; en d'autres termes, plus l'interruption est longue, plus la probabilité d'un retour à l'emploi est faible. L'effort gagnerait donc à être ciblé sur les catégories qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire celles qui ont connu les interruptions de carrière les plus longues.
Ces interruptions tiennent aussi, souvent, à des niveaux de qualification plus faibles : les inégalités sociales, de ce point de vue, se creusent.
La Délégation aux droits des femmes défend l'idée d'un congé parental d'un an mieux rémunéré, même s'il convient aussi de tenir compte de la conjoncture économique. On m'a récemment fait part du cas d'une femme cadre qui, après un congé maternité, s'est vue – passez-moi l'expression – « mise au placard ».
Quoi qu'il en soit, ne pourrait-on imaginer, pour les femmes qui n'ont pas d'emploi, un entretien d'orientation au terme du congé parental ? Comment remettre dans l'emploi des femmes qui l'ont quitté au moment de prendre ce congé – parce qu'elles étaient en CDD, en stage ou en contrat aidé, par exemple –, ou qui sont au chômage ? Peut-on trouver des financements pour cela ?
Le compte personnel de formation et le service de conseil en évolution professionnelle sont des dispositifs universels, qui s'adressent aux salariés comme aux demandeurs d'emploi et aux jeunes sans qualification.
L'entretien professionnel et le conseil en évolution professionnelle sont deux choses bien distinctes ; le second est à l'initiative de l'intéressé, mais il ne saurait exempter l'employeur du financement du bilan de compétences, par exemple.
Le conseil en évolution professionnelle pourra donc être gratuitement dispensé par des organismes tels que Pôle emploi, l'APEC et l'AGEFIPH. Il faudra le faire savoir, et définir la fréquence de ces entretiens.
Pensez-vous que Pôle emploi, au regard des bouleversements qu'il a connus à sa naissance, est aujourd'hui à même de conseiller des femmes sur des formations après un congé maternité ?
L'offre de services de Pôle emploi évolue dans l'optique d'un accompagnement global. La situation du marché du travail exige en effet que nous portions une attention toute particulière au chômage de longue durée : celui-ci a déjà augmenté depuis le début de la crise, et sa part relative devrait continuer à suivre la même pente, puisque le retour de la croissance résorbera sans doute une partie du chômage conjoncturel. Le rôle de Pôle emploi en matière de conseil en formation est en ce sens l'une des clés de la réussite.
Les femmes ont moins de capacités à la mobilité ; or l'éloignement peut être un obstacle à la formation, notamment au regard de l'hébergement. Lors d'une visite la semaine dernière, en présence du ministre, dans un centre de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) en Poitou-Charentes, on a vu que les possibilités d'hébergement étaient indispensables pour certaines femmes. Des financements sont-ils possibles ? Les salariés pourront accumuler jusqu'à 150 heures sur le compte personnel de formation, avec, pour les formations qualifiantes, un abondement possible jusqu'à 800 heures. Quid dans ces conditions de l'organisation pratique des formations, comme l'hébergement des personnes formées ou des facilités diverses qui peuvent être apportées aux intéressées ?
Cela ne concerne pas directement le projet de loi, mais la façon dont les outils de formation évolueront au cours des prochaines années. L'AFPA, que vous avez évoquée, ne jouit d'aucun statut particulier, mais c'est aujourd'hui le seul opérateur capable de conjuguer une offre de formation, une capacité d'hébergement et un maillage territorial aussi dense.
Le Sénat vient d'auditionner des représentants de la Cour à ce sujet. De fait, les coûts de structure de l'AFPA sont élevés au regard de son chiffre d'affaires déclinant. Reste que, sur la période 2013-2015, l'État a ouvert une enveloppe de 200 millions d'euros – dont 120 millions ont déjà été versés – au titre du plan de refondation de cet opérateur. Certains organismes financiers apportent également leur soutien. Si un tel effort a été consenti, c'est bien parce que l'AFPA répond à un besoin social tout particulier.
La formation est un marché considérable et lucratif. Quels sont les critères de labellisation ? Comment s'assurer de la qualité des formations dispensées ?
Par ailleurs, l'Union européenne semble avoir desserré les conditions des appels d'offre, notamment en limitant les exigences de mise en concurrence auxquelles les collectivités sont tenues. L'AFPA doit assurément se rénover, mais la mettre en concurrence avec d'autres opérateurs pose tout de même problème, au vu des missions spécifiques qu'on lui confie. La mise en concurrence a fait perdre à des acteurs locaux de qualité certains marchés, par exemple dans le domaine de la lutte contre l'illettrisme.
Les labels sont-ils délivrés par le ministère ou par les régions ? Comment le suivi est-il assuré ? Comment trouver un équilibre entre les vertus de la concurrence et la protection du marché local ?
Le marché de la formation professionnelle est vaste et éclaté : on y recense une cinquantaine de milliers d'organismes.
Pour accéder au statut d'organisme de formation, une déclaration suffit : le formalisme est donc très réduit. Il n'existe actuellement aucune labellisation publique.
Il suffit de déposer une déclaration d'activité au ministère du travail, en précisant les conditions d'exercice de cette activité : aucun autre critère qualitatif n'est demandé.
Oui : dans les régions, des services sont en charge du contrôle, notamment financier. Par ailleurs, les organismes doivent transmettre à l'administration un bilan pédagogique et financier. Cela dit, l'examen de ces documents ne peut être que limité, compte tenu du nombre d'organismes et des moyens dont disposent les services dédiés, qui emploient quelque 180 personnes – et doivent aussi contrôler les OPCA.
Le périmètre de la sous-direction dont j'ai la charge inclut le contrôle, assuré par des services régionaux, les SRC.
En tout état de cause, l'entreprise a, vis-à-vis de ses salariés, une obligation de formation. À ce sujet, l'article 2 du projet de loi accroît le rôle du dialogue social au sein des entreprises, notamment celles de plus de cinquante salariés – des amendements viseront probablement à étendre le dispositif à celles qui en comptent moins de cinquante.
Le contrôle sera donc renforcé au sein des entreprises elles-mêmes, et se fera par le jeu du marché, puisque les entreprises sont clientes des organismes prestataires. De plus, l'article 5 prévoit de confier aux OPCA une mission de contrôle de la qualité des formations. Enfin, pour éviter les dérives sectaires, le II de l'article 21 précise qu'« en cas de contrôle d'un organisme de formation, lorsqu'il est constaté que des actions financées par des fonds de la formation professionnelle continue ont poursuivi d'autres buts que la réalisation d'actions relevant du champ défini à l'article L. 6313-1, ces actions sont réputées inexécutées et donnent lieu à remboursement des fonds auprès de l'organisme ou de la personne qui les a financées. À défaut de remboursement dans le délai fixé à l'intéressé pour faire valoir ses observations, l'organisme de formation est tenu de verser au Trésor public, par décision de l'autorité administrative, un montant équivalent aux sommes non remboursées. »
Cette disposition a d'ailleurs occasionné un débat au Conseil d'État, qui a veillé à ce que la possibilité d'un reversement au Trésor public ne se substitue pas aux dispositions contractuelles relatives à l'obligation de remboursement du financeur.
Oui. On considère souvent que la mutualisation permet une redistribution au bénéfice des petites entreprises ; en fait, les entreprises décident des formations qu'elles achètent, même si, pour les financer, elles font valoir leur droit de tirage auprès de l'OPCA. En d'autres termes, celui-ci a un simple rôle de gestion.
La collecte et la redistribution des fonds destinés à la formation est l'une des missions des OPCA : pour l'accomplir, ils doivent faire de l'information et du conseil auprès des entreprises. Aux termes de la législation actuelle, celles de plus de dix salariés peuvent d'ailleurs financer directement la formation : l'OPCA doit donc, pour inciter une entreprise à passer par lui, la convaincre qu'elle a un intérêt à le faire.
Pas tout à fait : ils font plutôt du conseil. Il est vrai que, plus l'entreprise est petite, plus ce conseil peut avoir du poids.
L'esprit du projet de loi, en tout état de cause, est plutôt de renforcer la discipline de marché. Sauf si elles en décident ou que des dispositions conventionnelles le prévoient, les entreprises ne passeront plus par un OPCA : elles géreront elles-mêmes leur programme de formation.
On passera donc d'un système qui, avec une manne financière devant impérativement être redistribuée, ne pousse guère à l'économie, à un autre où les entreprises voudront, passez-moi l'expression, en avoir pour leur argent : cela devrait les inciter à un contrôle plus strict de la qualité des formations.
Le niveau de financement, d'après ce que j'ai compris, variera en fonction de la taille des entreprises. Est-ce à dire que les petites entreprises auront un droit de tirage plus faible ?
Pour les entreprises de moins de dix salariés, non visées par l'obligation de mettre en oeuvre un plan de formation, la contribution est de 0,55 %.
Le projet de loi prévoit que les entreprises de plus de trois cents salariés ne seront soumises à aucune obligation fiscale au titre du plan de formation, contrairement à celles de moins de trois cents salariés ; pour ces dernières, le niveau de la contribution mutualisée sera fixé par voie réglementaire ; aux termes de l'ANI, il est de 0,2 % pour les entreprises de dix à cinquante salariés et de 0,15 % pour les entreprises de cinquante à deux cent quatre-vingt-dix-neuf salariés.
Par ailleurs, il est expressément précisé que les OPCA pourront utiliser les contributions des entreprises de plus de cinquante salariés pour les entreprises de moins de dix salariés.
L'ANI prévoit de consacrer 20 % du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) aux très petites entreprises (TPE) : le projet de loi reprend-il cette disposition ?
C'est dommage. Les députés amenderont peut-être le texte sur ce point. Les TPE, faut-il le rappeler, représentent 90 % des emplois dans le secteur industriel.
La baisse du taux d'obligation fiscale de 1,6 % à 1 % a pu susciter quelques incompréhensions. D'une part, je le rappelle, la répartition variera selon la taille des entreprises ; de l'autre, seules les entreprises de plus de trois cents salariés seront exonérées de la cotisation relative au plan de formation.
Cette réduction de la contribution peut sembler paradoxale au regard des objectifs de formation pour les personnes les plus éloignées. Il faut cependant savoir, je le répète, que la contribution des entreprises, y compris des plus petites, au titre de la formation est supérieure à celle prévue par la loi ; plus elles sont grandes, d'ailleurs, plus ce niveau est élevé – il atteint 4 à 5 % pour les entreprises de plus de trois cents salariés, par exemple.
L'échec du DIF s'explique par le fait qu'il n'était ni transférable d'une entreprise ou d'un statut à l'autre, ni financé. C'est donc au vu des deux constats précédents que le financement a été repensé. Ajoutée aux sommes – d'un niveau de 0,2 % de la masse salariale – destinées au compte personnel de formation, la contribution de 0,2 % au FPSPP s'apparente à une contribution nouvelle, qui permettra une redistribution au profit des salariés les moins qualifiés.
Le ministre fait souvent le constat que les demandeurs d'emploi ne bénéficient pas de la formation, alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin : l'enveloppe qui leur est dédiée devrait passer de 600 à 900 millions d'euros.
Pour que le salarié devienne acteur de sa formation, il doit avoir une connaissance du monde du travail : un accompagnement est-il envisagé en ce domaine ? On ne demande pas un métier que l'on ne connaît pas, ou pour lequel on n'estime pas avoir les compétences requises. Sur ce plan, les femmes ont tendance à se sous-estimer bien davantage que les hommes.
Un tel accompagnement est l'objet du conseil en évolution professionnelle, dont le cahier des charges sera fixé par un arrêté du ministère du travail. Les organismes du service public de l'emploi visent une population très large ; les régions pourront de surcroît en désigner d'autres, en plus de ceux mentionnés dans le projet de loi.
La logique du compte personnel de formation est, en plus de garantir un financement pérenne, d'accueillir des financements ponctuels, de la part des régions, des branches ou des entreprises, en fonction des besoins spécifiques qu'elles pourraient identifier. C'est là un instrument qui peut bénéficier aux femmes également.
Une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) sera à cet égard nécessaire. Les syndicats s'y mettent, dans le cadre de leur organisation territoriale, mais ils devront désormais avoir une vision à l'échelle régionale plutôt que départementale.
Le comité paritaire national pour la formation professionnelle (CPNFP), où les huit partenaires sociaux définissent leur politique en la matière, n'a pas de reconnaissance législative : il sera remplacé par la commission paritaire nationale de l'emploi et de la formation professionnelle (CPNEFP), qui, elle, sera consacrée par la loi, y compris dans sa déclinaison régionale – avec les commissions paritaires régionales de l'emploi et de la formation professionnelle, les CPREFP –, ce qui élargira la représentativité syndicale au plus près du terrain.
L'apprentissage concerne surtout les métiers techniques, fortement sexués : en témoignent les enseignements délivrés dans les centres de formation des apprentis (CFA). Les orientations déterminent des inégalités sociales : plus un métier est féminisé, moins les rémunérations y sont élevées, et plus il apparaît dévalorisé.
Le projet de loi vise à sécuriser les parcours d'apprentissage, notamment à travers la signature de contrats d'apprentissage en contrat à durée indéterminée (CDI).
Non, la signature en CDI n'est pas obligatoire : les employeurs pourront toujours opter pour un contrat d'apprentissage classique.
Tout à fait.
J'ajoute que la gratuité ne concerne que l'acte de signature du contrat, non les frais d'inscription.
De nouvelles missions seront par ailleurs confiées aux CFA, notamment l'aide à la recherche d'emploi.
Le problème des apprentis en CFA est plutôt de trouver des entreprises qui les embauchent en alternance. Peut-être y a-t-il une inadéquation avec le marché, à moins que les employeurs ne soient réticents à signer ce type de contrats… Il va de soi que le système pénalise les jeunes qui n'ont pas de réseaux.
Pour y remédier, l'article 8 du projet de loi prévoit que les CFA « assistent les postulants à l'apprentissage dans leur recherche d'un employeur, et les apprentis en rupture de contrat dans la recherche d'un nouvel employeur, en lien avec le service public de l'emploi ».
La séance est levée à onze heures quinze.