La réunion

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Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la situation au Mali et en République centrafricaine.

La séance est ouverte à dix heures.

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Je remercie le ministre de la défense d'être à nouveau parmi nous ce matin, pour une audition qui n'est pas ouverte à la presse.

La semaine dernière, nos collègues Pierre Lellouche et François Loncle, nous rendant compte de leur voyage au Mali du 19 au 21 mai dans le cadre du groupe de travail sur le Sahel, ont souligné le risque que la France se trouve prise au piège de son engagement en raison de l'hostilité persistante entre les forces en présence. La même crainte vaut pour la République centrafricaine.

Malgré la réouverture du processus de négociation entre les autorités maliennes et les rebelles du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), la situation au Mali demeure très préoccupante. La récente offensive des forces maliennes à Kidal a été un fiasco et le Gouvernement paraît bien peu engagé en faveur du processus de réconciliation qui devait s'enclencher aux termes de l'accord conclu à Ouagadougou en juin 2013.

Aussi nous entendrons vous avec intérêt, monsieur le ministre, faire le point sur la situation au nord du Mali et sur les conditions d'intervention de nos soldats. Où en sont les négociations entre le MNLA et le Gouvernement malien ? Quel est le nouveau calendrier de déploiement des forces françaises dans la bande sahélo-saharienne ? Quel est l'état d'avancement de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) ?

En République centrafricaine, Bangui a connu une nouvelle spirale de violences et de représailles, avec un terrible massacre commis à l'église Notre-Dame de Fatima et le meurtre de trois jeunes musulmans par les milices anti-balaka. La légitimité de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) dépêchée par l'Union africaine semble de plus en plus contestée ; en particulier, son contingent burundais est accusé de prendre parti pour les musulmans. On observe aussi des manifestations d'hostilité aux forces françaises. Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté vendredi, à l'unanimité, une déclaration condamnant les violences à Bangui et appelant à déposer les armes et à accélérer le processus de réconciliation nationale. Il demande également l'accroissement des contributions matérielles et en hommes pour renforcer la MISCA.

Pourrez-vous évoquer l'action de nos soldats en République centrafricaine ? À ceux d'entre nous qui se sont rendus sur place, ils ont paru aussi compétents que dévoués, mais leurs conditions de vie nous ont été décrites comme rustiques, et c'est un euphémisme ; quelles mesures avez-vous prises pour les améliorer ? Comment envisager la suite de notre engagement en RCA dans un contexte si difficile ? Où en est le déploiement de la MINUSCA, qui doit prendre le relais de la MISCA en septembre ? Pourriez-vous faire le point sur la mission EUFOR-RCA, qui a tardé à se constituer ?

S'agissant enfin du budget de la défense, la nouvelle loi de programmation militaire prévoit un budget annuel de 31,4 milliards d'euros, ce qui suppose des économies substantielles. La rumeur a couru que de nouvelles coupes – de 3 à 6 milliards d'euros en trois ans – seraient envisagées. Vous avez vigoureusement défendu votre budget, et vous n'avez pas été le seul : tant à la commission de la défense que dans notre commission des voix se sont élevées, dont la mienne, pour juger paradoxal et inacceptable de revenir sur une loi de programmation militaire votée il y a quelques mois à peine. Le Premier ministre a garanti que la programmation serait intégralement respectée et le président de la République a réaffirmé les engagements financiers définis dans la loi, tout en vous demandant de formuler des propositions visant à améliorer la gestion des matériels et projets ; quelles seront-elles ?

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Jean-Yves le Drian, ministre de la défense

Je traiterai pour commencer du Mali. Comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, la situation s'est fortement dégradée en mai à Kidal. Les graves événements qui ont opposé les autorités et le MNLA ont provoqué des dizaines de morts, principalement du côté des forces armées maliennes. Le fait générateur de ces affrontements a été la venue du nouveau Premier ministre malien, M. Moussa Mara, le 17 mai, à Kidal. Des incidents s'étaient déjà produits la veille pour cette raison, et des combats ont éclaté le jour de son arrivée ; ils ont entraîné la prise du gouvernorat de Kidal par le MNLA. Blessés dans leur honneur, les militaires maliens ont alors tenté de reprendre la ville. Mais, précipitée et mal conduite, leur action a tourné au fiasco. Face à une résistance solide et à une contre-attaque bien organisée du MNLA, les troupes maliennes ont dû se replier vers Gao. Ces violences ont marqué une rupture, car une dizaine de soldats maliens ont été tués, ainsi que des fonctionnaires civils parmi lesquels le préfet de Kidal. Nous avons immédiatement condamné ces actes et, malgré leurs moyens limités, les soldats français présents à Kidal ont agi comme ils le devaient pour soutenir la MINUSMA et éviter que le bilan ne s'alourdisse. Ensuite, depuis Abidjan, nous avons fait venir au Mali une compagnie supplémentaire, ce qui nous a permis de renforcer notre présence à Kidal.

Ces incidents sont révélateurs de ce que le processus de réconciliation nationale souhaité depuis l'arrivée au pouvoir du président Ibrahim Boubacar Keïta est au point mort. Un accord de cessez-le-feu a été conclu le 23 mai grâce à l'engagement personnel de M. Mohamed Ould Abdel Aziz, président de la Mauritanie et président en exercice de l'Union africaine, dont la venue à Kidal, quelques jours après notre rencontre à Nouakchott, a permis la désescalade de la tension. L'accord de cessez-le-feu prévoit le retour aux positions définies par l'accord de Ouagadougou, la libération des prisonniers, le retour dans les zones de cantonnement, le renforcement de la MINUSMA et la restitution des villes et des garnisons perdues. Son application est assez lente.

Il faut maintenant obtenir le lancement d'un dialogue entre les autorités maliennes et les groupes armés du Nord, dont le MNLA – en d'autres termes, mettre en oeuvre l'intégralité de l'accord de Ouagadougou. J'ai insisté sur cette impérieuse nécessité lors de ma rencontre avec le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères algériens, les 20 et 21 mai ; ils m'ont indiqué avoir engagé une consultation visant à créer une plate-forme commune aux groupes armés du Nord pour faciliter la négociation avec les autorités maliennes. La détermination des autorités algériennes à aboutir à un processus de réconciliation m'est apparue entière.

Une difficulté tient à ce que plusieurs acteurs se sont investis en même temps dans des initiatives concurrentes. Outre que, je vous l'ai dit, le ministre des affaires étrangères algérien, avec le soutien du président Ibrahim Boubacar Keïta, a entrepris la tournée des capitales de la région pour préparer les pourparlers, le Burkina Faso est chargé de la médiation depuis plusieurs mois et M. Modibo Keïta, Haut représentant du Président pour le dialogue inclusif inter-malien, vient de se rendre à Ouagadougou – ce qui est un événement en soi – pour rencontrer le président Blaise Compaoré. D'autre part, les chefs d'État de la Communauté économique des États d'Afrique centrale (CEDEAO), qui se sont réunis le 30 mai à Accra, ont appelé à la reprise de la négociation, ce qui est un message positif. Il ne faudrait pas, cependant, que ces bonnes volontés, enfin déclarées, soient source de confusion.

Pendant ce temps, nos troupes poursuivent leur mission. Bien coordonnées, nos opérations de contre-terrorisme connaissent des succès mais, étant donné l'environnement politique interne difficile dans lequel elles se déroulent, j'ai décidé, avec l'accord du Président de la République, de reporter un peu l'achèvement de la réorganisation régionale de nos troupes dont je vous avais exposé le schéma. Il aurait en effet paru inopportun que nous fermions notre base de Bamako alors que des affrontements violents viennent de se produire à Kidal. De plus, il fallait laisser un temps de concertation avec le Tchad, mécontent des critiques adressées au contingent qu'il avait envoyé en RCA dans le cadre de la MISCA. La situation est en passe d'être clarifiée, et nous déploierons prochainement le nouveau dispositif selon la trame dite ; nous mettrons fin à l'opération Serval et fermerons la base de Bamako, et les forces françaises au Mali resteront centrées sur Gao, des troupes étant maintenues à Tessalit ; j'ai évoqué ce dernier point avec les autorités algériennes lors de ma visite à Alger. L'état-major de l'ensemble des forces de la zone, soit 3 000 soldats, sera installé à N'Djamena. La réorganisation n'aura donc été repoussée que de quelques semaines.

En résumé, tout laisse à penser que les pourparlers inter-maliens vont s'amorcer et nous souhaitons que des initiatives concurrentes parallèles ne créent la confusion. Nous avons le sentiment que la démarche entreprise par l'Algérie, qui a recueilli l'accord des chefs d'État de l'ensemble de la zone, pourrait aboutir au début de l'été. Pendant ce temps, nous poursuivons avec détermination notre combat contre les groupes terroristes combattants , dont notre nouveau dispositif renforcera encore l'efficacité.

J'en viens à la situation en République centrafricaine. Je m'y suis rendu il y a quelques jours pour rencontrer nos soldats, avant de poursuivre mon voyage vers le Gabon puis vers le Congo-Brazzaville, où j'ai évoqué la situation régionale avec les présidents Ali Bongo et Denis Sassou N'Guesso. Je me suis également entretenu, à Paris, avec le président du Tchad, M. Idriss Déby.

La situation sécuritaire s'est brutalement aggravée à Bangui les jours derniers : l'attaque meurtrière de l'église Notre-Dame-de-Fatima a entraîné des représailles, dont l'incendie d'une mosquée ; des manifestations violentes ont eu lieu et des barricades ont été installées. En outre, une tentative de déstabilisation de la présidente de transition, Mme Catherine Samba-Panza, a vraisemblablement eu lieu. Tout cela témoigne de la fragilité d'une situation susceptible de dégénérer à chaque instant dans des affrontements entre communautés. Une présence forte de la MISCA, de Sangaris et d'EUFOR continue donc d'être indispensable dans la capitale.

La situation est toujours difficile en province, dans les zones de confrontation entre Séléka et anti-balaka. C'est le cas dans le triangle formé par Kaga-Bandoro, Sibut et Bambari, particulièrement à Bambari où une partie importante des ex-Séléka se sont regroupés. Il y a dix jours, les hommes de Sangaris, ayant été pris à partie par des ex-Séléka, ont dû riposter pour neutraliser un pick-up et plusieurs de ses passagers. Élément nouveau, la Lord's Resistance Army (LRA) ougandaise, groupe de brigands très violents, s'est déplacé de l'extrême sud-est vers le centre du pays et se trouve désormais à 100 kilomètres de Bria, transformant cette zone en un creuset explosif. Au Nord-Ouest, le départ des forces tchadiennes a fragilisé la sécurité ; de graves incidents se sont produits le 5 mai à la hauteur de Boguila, où nos soldats ont neutralisé une colonne de pick-up et de motos lourdement armés.

En RCA, quelque 2,5 millions de personnes ont encore besoin d'aide humanitaire, plus de 600 000 personnes sont déplacées et plus de 100 000 sont reparties dans leur pays d'origine ; on note cependant un premier retour timide de certains musulmans à Bangui et la baisse significative du nombre de réfugiés dans le camp de M'Poko.

Vous avez évoqué, madame la présidente, le travail remarquable accompli par nos soldats dans un environnement que rendent très éprouvant des élongations de milliers de kilomètres, la saison des pluies et aussi la persistance des tensions à Bangui, qui obligent au maintien dans la capitale d'un contingent important. Nos soldats font preuve d'un grand sang-froid et de beaucoup d'intuition, et Sangaris mène une action dissuasive efficace. La sécurisation de l'axe routier reliant Bangui et la frontière camerounaise permet maintenant le passage de 500 convois par semaine ; cette normalisation représente un progrès considérable. Dans les zones clefs, nous démontrons tous les jours notre capacité d'agir contre les groupes armés.

Les parlementaires qui se sont rendus au camp de M'Poko ont appelé mon attention sur la « rusticité » des conditions de vie de nos soldats. Elle s'explique par la rapidité de notre installation, par l'accroissement régulier de notre présence sur place et par les conditions sanitaires locales, celles d'un pays démuni de tout, même d'eau. J'ai pris des mesures visant à améliorer cette situation et je suis allé m'assurer que leur application progressive est effective ; c'est le cas. J'ai également réactivé le sas de décompression qui avait été ouvert pour les soldats de retour d'Afghanistan afin que nos militaires en opération en RCA qui rentrent en France puissent à nouveau bénéficier d'une phase de réadaptation ; ils l'apprécient.

J'ai rencontré les responsables de l'installation de l'EUFOR RCA, dont les premiers éléments sont déployés. La mission, dirigée par le général Thierry Lion, sera pleinement opérationnelle à la fin du mois de juin : elle comptera 800 hommes dont environ 400 Français, parmi lesquels des gendarmes. Y participent un nombre limité de pays – l'Espagne, l'Estonie, la Géorgie, l'Italie, la Lettonie et la Pologne ; je n'ai pour l'instant vu sur place que des Estoniens.

Sur le plan politique, la bonne volonté de Mme Samba-Panza est certaine, mais la situation reste instable et aucun processus politique n'a été lancé à ce jour pour relayer l'effort militaire de la communauté internationale. Au nord du pays, les principaux chefs des ex-Séléka se sont réunis à Ndélé, et la branche militaire de cette coalition, qui prône la partition du pays, semble y avoir pris le dessus sur sa branche politique. Le nouvel état-major des « forces républicaines » – à savoir les ex-Séléka – s'est installé à Bambari, en pleine zone de tension avec le mouvement anti-balaka. La réorganisation des anti-balaka n'a pas abouti, faute d'accord entre ses différentes composantes sur des personnalités jugées légitimes pour les représenter au sein du gouvernement de transition. Enfin, Mme Samba-Panza est très volontaire et très courageuse, mais sa situation est très fragile ; que le Premier ministre ait réclamé un mandat d'arrêt contre le conseiller spécial de la présidente de la transition donne une idée du climat politique qui prévaut en RCA.

Dans ce contexte, le ministre des affaires étrangères et moi-même considérons qu'il faut d'abord assurer d'un appui régional à la réconciliation par la reprise du dialogue entre les présidents Denis Sassou Nguesso et Idriss Déby et la réunion d'une conférence extraordinaire de la CEDEAO convoquée pour fixer de nouvelles règles pour la transition. L'accord de Libreville dispose en effet que les membres du gouvernement de transition ne peuvent se présenter à l'élection présidentielle prévue en février ; cette mesure qui a pour effet de fragiliser le gouvernement de transition devrait être rediscutée. L'inconvénient est que, même si un accord général se fait à ce sujet, la modification des règles fixées à Ouagadougou peut être interprétée comme voulue par Mme Samba-Panza pour assurer sa réélection. D'autre part, un remaniement du gouvernement centrafricain s'impose sans doute pour le rendre plus inclusif ; la présidente en perçoit la nécessité mais ne sait par quel moyen y parvenir. Il est aussi indispensable d'organiser une conférence de réconciliation pour favoriser la restructuration politique du pays.

Dans le même temps, il convient de préparer le déploiement de la MINUSCA, qui aura lieu à partir du 15 septembre. Elle s'appuiera sur les forces de la MISCA et sur d'autres partenariats. Ainsi M. Ould Abdel Aziz, président de la Mauritanie, envisage de mobiliser à cette fin un millier de soldats ; on s'en félicitera, d'autant que ce sont des troupes aguerries. Mon homologue turc, que j'ai rencontré hier à Bruxelles, envisage également l'intervention d'un contingent turc. Mais c'est à l'Organisation des Nations unies qu'il revient d'assurer le déploiement effectif de la MINUSCA, essentiel pour la suite. Enfin, la date de février 2015 prévue pour les élections me paraît difficilement tenable.

Quelques mots pour finir sur la loi de programmation militaire. La mise en oeuvre des dispositions financières du texte a récemment suscité des interrogations. Le climat s'est apaisé après que le Président de la République et le Premier ministre ont réaffirmé le caractère primordial de notre effort de défense et leur volonté que soient respectés les engagements financiers définis dans la loi. Je vous remercie, madame la présidente, comme je remercie tous les parlementaires qui, dans votre commission et au-delà, ont manifesté leur détermination à ce sujet. Quant au communiqué de l'Elysée auquel vous avez fait allusion, il fait référence aux trente chantiers de réorganisation interne du ministère engagés et qui visent à une meilleure gestion du soutien à nos armées.

La vigilance s'impose néanmoins. Je devrai d'abord m'assurer que le projet de loi de finances rectificative préservera les 500 millions d'euros de recettes exceptionnelles supplémentaires pour la défense votés par l'Assemblée nationale sur ma proposition à la fin de l'année 2013 ; presque tout indique qu'il en sera bien ainsi. Il faudra aussi définir le moyen de les financer en 2015 et en 2016. La loi de programmation militaire avait assis ce financement notamment sur le produit de la vente aux enchères des fréquences 700 MHz ; celle-ci ne pouvant intervenir que plus tardivement , il n'est pas certain que nous pourrons disposer de cette ressource en 2015, ni même en 2016. Nous étudions donc avec le ministère des finances, quelles autres voies privilégier parmi les possibilités de financement prévu dans la loi – un nouveau programme d'investissements d'avenir, des cessions d'actifs, des cessions immobilières ou d'autres. L'arbitrage sera fait dans un mois. Se pose enfin, chacun le sait, la question de la sécurisation de nos exportations, et en particulier celles du Rafale. Les négociations à ce sujet avec le Qatar et l'Inde sont en bonne voie, mais elles demandent du temps.

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Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces explications précises.

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Compte tenu de ce que Pierre Lellouche et moi-même avons pu observer lors de notre visite au Mali le mois dernier, nous ne pouvions que soutenir avec force votre appel au respect intégral des dispositions financières de la loi de programmation militaire.

L'accord de Ouagadougou, sans lequel l'élection présidentielle malienne n'aurait pu avoir lieu, a été transgressé deux fois. D'une part, la conférence de réconciliation s'engage à peine, et dans de grandes difficultés, alors qu'elle devait s'ouvrir soixante jours après cette élection. Vous avez mentionné le facteur de confusion que sont les initiatives concurrentes prises pour favoriser le dialogue ; comment organiser la médiation au mieux sans exclure aucune partie ? D'autre part, pourquoi les Nations Unies et Serval ont-ils accepté le maintien à Kidal de groupes rebelles, dont certains sont armés, ce qui a conduit aux événements que l'on sait et à des échecs majeurs pour l'armée et le pouvoir maliens il y a quinze jours ?

Quand aura lieu le déploiement, retardé par la situation à Kidal, de notre nouveau dispositif dans la bande sahélo-saharienne ?

Le principal coupable de l'assassinat des deux journalistes de RFI au Mali a été identifié, mais l'enquête est laborieuse : où en est-on ? Et que pouvez-vous nous dire du sort de M. Serge Lazarevic, dernier Français retenu en otage dans le monde ? Je félicite nos services de renseignement, qui sont pour beaucoup dans la libération de nos autres compatriotes.

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Dans son récent discours devant les élèves officiers de l'Académie militaire de West Point, le président Obama a mentionné, au nombre des missions stratégiques fixées aux armées américaines, le soutien des États-Unis à la France en Afrique. Où s'exercera-t-il précisément, et sous quelle forme ?

Au Mali, et surtout en République centrafricaine, on constate la montée d'un sentiment antifrançais. Quelles initiatives politiques comptez-vous prendre pour contrer cette évolution ?

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Je salue les efforts de nos militaires au Mali et en RCA. En RCA, étant donné le retard de l'arrivée des forces internationales et les difficultés rencontrées pour assurer le maintien de l'ordre, nous avons besoin d'un appui politique local. Peut-on compter sur celui des présidents Denis Sassou Nguesso et Idriss Déby, fondamental pour éviter la partition du pays ?

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Comment parvenir à régler raisonnablement la question touareg, ce que personne n'a réussi depuis soixante ans ?

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Combien de ressortissants français vivent au Mali et en RCA ? Les entreprises qui les emploient ou l'État français ont-ils défini des mesures de sécurité pour eux ?

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Il m'a été rapporté que le moral de nos troupes n'est pas bon, au Mali en particulier. Dans ce contexte, combien de temps pourrons-nous nous maintenir sur les théâtres d'opération ?

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Quel est l'état, à ce jour, de la participation européenne aux opérations engagées au Mali ?

En RCA, il est miraculeux qu'il n'y ait eu ni tentative de génocide, ni attentat contre nos troupes du type de celui qui a visé l'immeuble Drakkar à Beyrouth en 1983. Toute mon admiration va à nos soldats, qui remplissent leur tâche dans des conditions d'extrême difficulté. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que l'on pourrait modifier les règles présidant aux futures élections en République centrafricaine ; mais qui s'y emploierait ? Je n'imagine pas l'éventualité d'une ingérence française.

Je suis de ceux qui ont plaidé en faveur du respect intégral des dispositions prévues dans la loi de programmation militaire. Cela étant, la préparation et la mise en oeuvre de la défense relevant des attributions du président de la République, chef des armées, je ne veux pas croire que ce qu'a dit la presse de votre éventuelle démission, monsieur le ministre, et de celle des chefs d'état-major des trois armées puisse avoir eu une quelconque réalité.

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Vous avez évoqué la contribution de l'Algérie à la négociation politique ; quelles pourraient être les arrière-pensées des Algériens ?

Doit-on s'attendre à de nouvelles fermetures de bases militaires ?

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Je vous remercie, monsieur le ministre, de la disponibilité dont vous faites preuve à l'égard de notre commission, très attachée au volet « défense » de notre politique extérieure. Quel sera l'avenir des deux opérations extérieures sur lesquelles vous avez fait le point ? Ne risque-t-on pas l'enlisement ? La longue expérience de notre engagement en Afghanistan a montré qu'un décalage d'abord minime, puis si prononcé qu'il finit par confiner au grand écart, s'instaure entre la mission initialement définie et la réalité. Est-ce le Conseil de défense qui procède à l'évaluation politique permanente de ces missions ? Comment le Parlement pourrait-il être formellement associé à cette évaluation ?

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Je vous rends hommage à mon tour, monsieur le ministre, pour votre disponibilité à l'égard du Parlement et pour le travail que vous menez. Ce n'est pas sans raison que, pour Jeune Afrique, vous êtes « le ministre de l'Afrique » ! Mais l'évolution de la situation, tant au Mali qu'en RCA, ne laisse pas d'inquiéter. La possibilité d'engager la réorganisation de nos troupes en les faisant stationner dans toute la bande sahélo-saharienne dépendant de la capacité, aléatoire, de la classe politique malienne à régler la question touareg, je redoute que nous ne puissions mettre un terme à l'opération Serval au Mali. Cela empêcherait le redéploiement prévu et, en conséquence, la poursuite de la mission de contre-terrorisme confiée à nos militaires, alors même que monte un sentiment anti-français et que les relations entre les armées, sur place, ne sont pas toujours d'une parfaite sérénité. Autant l'opération Serval a été un succès, autant nous entrons maintenant dans une zone dangereuse.

En RCA, la situation est inextricable. On ne peut continuer de demander à nos militaires d'assurer une mission de police pour maintenir l'ordre entre des civils qui s'entretuent à coups de machette. Est-il raisonnable de maintenir des troupes françaises dans un pays où, chacun le sait, il n'existe aucune perspective de règlement politique ?

Je vous suis reconnaissant du combat que vous menez pour préserver votre budget. En revanche, je n'admets pas la réponse scandaleuse qui m'a été faite hier, en séance publique, par le Premier ministre alors que je l'interrogeais sur le sens précis des propos du président de la République. Ce dernier a certes annoncé qu'il ne toucherait pas à la loi de programmation militaire mais, a-t-il ajouté, « la trajectoire pluriannuelle des crédits militaires doit s'accompagner d'une amélioration des conditions de gestion de nos matériels et projets ». Que faut-il entendre par là, et quelles propositions le président de la République attend-il de vous et du ministre des finances ?

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Il me semble que le ministre a déjà répondu à cette question.

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Vous envisagez de recentrer les moyens sur la bande sahélo-saharienne. Cela traduit-il un partage de la lutte anti-terroriste avec les États-Unis, ceux-ci intervenant dès lors contre Boko Haram au Nigéria et au nord du Cameroun ?

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Quelle est l'implication humaine, logistique et financière de nos partenaires européens en Mali et en RCA ? Dans cette lutte contre le terrorisme, la France joue un rôle moteur, mais l'action qu'elle mène bénéficie à l'Europe dans son ensemble.

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Jean-Yves le Drian, ministre de la défense

Les principes qui sous-tendent l'accord conclu à Ouagadougou demeurent mais le délai de soixante jours après la mise en place du nouveau gouvernement fixé pour la reprise des négociations n'a pas été respecté. Le Président de la République, M. Laurent Fabius et moi-même avons plusieurs fois insisté auprès du Président Ibrahim Boubacar Keita sur la nécessité d'engager la négociation avec l'ensemble des groupes armés signataires (GAS) de l'accord.

L'agglomération de Kidal, bien que peu peuplée, a, de tout temps, été un lieu de passage et aussi de trafics. Nous avons obtenu que les GAS y soient cantonnés. Mais, à ce jour, il n'y a eu à Kidal ni démobilisation, ni désarmement, ni réinsertion. C'est pourtant ainsi, monsieur Gaymard, que l'on réglera la question touareg : en intégrant les Touareg dans un processus politique incluant une forme de décentralisation, et, une fois le désarmement acquis, en engageant un plan de développement socio-économique du Nord du Mali, ce qui n'a jamais été fait. Cela est regrettable car cela peut inciter des jeunes gens sans perspectives à se laisser tenter par de méchantes aventures.

Nous sommes favorables à ce que l'initiative de médiation algérienne se poursuive. C'est celle qui nous paraît la plus aboutie, les Algériens ayant pris soin de consulter l'ensemble des chefs des États voisins, le Maroc excepté, pour obtenir leur accord sur la plateforme de discussion qu'ils proposent. Ils ont obtenu cet accord, ainsi que celui du Président Ibrahim Boubacar Keita.

Je ne peux vous apporter pour l'instant d'autres précisions sur l'enquête relative à l'assassinat des deux journalistes de RFI. Au sujet de M. Serge Lazarevic, toujours retenu en otage, je ne vous dirai rien ; la discrétion doit prévaloir.

J'ai demandé à mon homologue américain de bien vouloir expliciter les propos tenus par le président Obama à West Point, monsieur Poniatowski, et je le lui demanderai à nouveau demain. Mais, déjà, les États-Unis nous soutiennent activement dans la bande sahélo-saharienne, singulièrement en matière de renseignement, domaine dans lequel la synergie est totale. L'ordre du jour de la réunion de ministres de la défense de l'OTAN était plutôt orienté vers l'Est de l'Europe, l'Ukraine en particulier, mais j'ai rappelé les fragilités du flanc Sud. Nos échanges ont aussi porté sur la situation en Libye.

Vous avez fait état d'un sentiment antifrançais. Il est le fruit d'un malentendu. Notre mission est le contre-terrorisme. Il n'est pas de notre responsabilité de régler les discordes entre Maliens, et nous ne devons pas y mettre le doigt ; si, à Kidal, nous avons assuré la protection du Premier ministre Moussa Mara, c'est que ses propres troupes n'y parvenaient pas. Des manifestations antifrançaises ont eu lieu parce qu'après l'échec essuyé par les troupes maliennes à Kidal, on a reproché à nos soldats de ne pas avoir riposté au MNLA – mais ce n'est pas leur rôle.

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Quand un groupe armé, le MNLA en l'occurrence, attaque le gouvernorat, tue 35 personnes dont un préfet et des sous-préfets et prend 30 personnes en otages, il y a matière à ne pas comprendre que les forces françaises présentes sur place s'abstiennent d'intervenir.

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Jean-Yves le Drian, ministre de la défense

Il convient de rétablir la chronologie des faits : la veille de ces événements, l'armée malienne avait commencé à tirer pour « protéger » le Premier ministre Moussa Mara. D'autre part, nous ne disposons sur place que d'une quarantaine d'hommes, dont la mission n'est pas le maintien de l'ordre mais la lutte contre le terrorisme et le soutien logistique, qu'ils continuent de mener avec succès. En bref, la solution du conflit passe par la réconciliation nationale. Il est grand temps de l'engager par le bais d'une médiation que n'entreprendra pas la France mais dont nous espérons qu'elle portera ses fruits.

Pour rétablir la stabilité de la RCA, monsieur Charasse, les présidents Denis Sassou Nguesso et Idriss Déby ont un rôle indispensable à jouer, de même que la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC). Les deux présidents assisteront à la réunion de la CEEAC prévue vendredi prochain à Luanda ; il eût été bon que Mme Catherine Samba-Panza, Présidente de transition, y assistât également.

L'une des difficultés de la RCA est que sa classe politique est très restreinte. Or, aux termes de l'accord conclu à Libreville le 11 janvier 2013 et conçu pour empêcher l'ancien Président Bozizé de se représenter, les acteurs de la transition ne peuvent se présenter aux élections à venir. Peut-être la levée de cette interdiction inciterait-elle les politiques centrafricains à assumer leurs responsabilités.

Je ne connais pas le chiffre exact des ressortissants français demeurés en RCA, monsieur Dupré, mais ils sont peu nombreux et Sangaris assure leur sécurité. Au Mali, excepté à Kidal et au nord, il n'y a pas de problèmes particuliers ; le lycée français fonctionne normalement.

Autant je peux comprendre les interrogations des soldats français stationnés à Bangui, monsieur Cochet, autant ce que l'on vous a rapporté sur le moral de nos troupes au Mali me surprend. J'y suis allé neuf fois et j'ai eu autant d'occasion de m'entretenir non seulement avec les officiers supérieurs mais aussi avec nos soldats. J'ai ressenti chez nos militaires, qui sont relevés tous les six ou neuf mois, fierté et détermination.

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Soit, mais cela ne les empêche pas de s'interroger sur la finalité de leur mission.

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Jean-Yves le Drian, ministre de la défense

Elle est de poursuivre la réorganisation de notre dispositif dans la bande sahélo-saharienne pour renforcer encore l'efficacité du contre-terrorisme, au Mali et, au-delà, au Tchad et au Niger – j'observe incidemment, monsieur Gaymard, que le Niger a mieux géré la question touareg ; cela se peut donc. Nos 3 000 hommes seront déployés sur quatre sites principaux. Je n'ai pas senti d'interrogations sur les missions qui leur sont confiées et qui, au terme de l'opération Serval, auront un spectre à la fois plus vaste et plus clair : le contre-terrorisme sur « l'autoroute des trafics », avec le précieux appui de drones.

La situation en RCA est plus compliquée, et je tiens à dire mon admiration pour nos militaires dont la vigilance, sous un commandement de grande qualité, ne se dément pas. En République centrafricaine, nos forces ont pour mission de permettre à la MINUSCA de s'installer et au processus politique d'aller à son terme. Cette mission compliquée conduit à des actions qui s'apparentent à des opérations de gendarmerie, et parfois de guerre.

M. Bacquet et M. Cordery m'ont interrogé sur la contribution européenne aux efforts engagés. Au Mali, la mission de formation de l'armée malienne se poursuit avec une importante participation de nos partenaires européens, comme l'illustre la présence de la brigade franco-allemande. L'échec subi par l'armée malienne à Kidal amène à considérer qu'il était prématuré d'envoyer ces hommes là-bas au terme de seulement quatre mois de formation. Par ailleurs, de nouvelles forces européennes rejoignent la MINUSMA : ainsi du contingent néerlandais, appuyé par des hélicoptères.

En RCA en revanche, l'implication européenne est nettement insuffisante. Il a fallu du temps pour s'accorder sur le principe même d'une opération européenne , et surtout très longtemps pour voir les forces arriver, et elles sont insuffisantes. Je peux faire état à ce stade de 55 militaires estoniens déployés sur place , ainsi que de 130 Géorgiens, qui voient aussi dans cet engagement une occasion de formation. Cet apport est bien faible, et je ne sais ce qu'il adviendra quand il s'agira de reconduire le mandat de la force européenne. Si la MINUSCA s'installe correctement, il serait souhaitable que l'Union européenne décide de former l'armée centrafricaine ; ainsi éviterait-on que les soldats désoeuvrés de cette armée à présent fantomatique ne soient tentés par de sombres aventures.

La France, monsieur Bacquet, ne demande pas la modification des règles présidant aux futures élections en République centrafricaine : nous nous limitons à donner notre avis quand nous sommes consultés.

La loi de programmation militaire, qui a été préparée pendant 18 mois par le ministère et les états-majors avant d'être longuement discutée et amendée par le Parlement, est équilibrée, au deux sens du terme. Elle est équilibrée en ce qu'elle permet l'accomplissement des missions données aux armées ; mais, parce qu'elle a été conçue en équilibre, retrancher un élément de l'édifice ainsi construit aurait pour conséquence de le faire crouler. En l'état, il y a une parfaite adéquation entre moyens et objectifs ; si l'on veut faire différemment, il faut une autre loi de programmation militaire, ce qui suppose d'autres acteurs – mais la question ne s'est pas posée. Cela étant, d'autres pays ont fait d'autres choix, qui sont tout à fait possibles. Voilà ce que nous avons dit, après avoir fait le tour des armées pour mieux expliquer le vote intervenu au Parlement.

Monsieur Myard, accepter que s'installe un vide sécuritaire dans la bande sahélo-saharienne, ce serait laisser un nouveau terrain de jeu à Boko Haram et permettre des collusions étendues avec les Shebabs et d'autres groupes armés. Lors de la réunion qui a rassemblé le 17 mai, à l'Elysée, les chefs d'État de la région, à la suite de l'enlèvement de dizaines d'adolescentes au Nigéria par Boko Haram, un représentant du président Obama était présent ; et, comme vous le savez, une série de mesures ont été décidées ce jour-là.

La réorganisation régionale de nos forces dans la bande sahélo-saharienne se fera, monsieur Lellouche. Nous l'avons repoussée de quelques semaines pour les raisons que je vous ai dites, mais nous avons l'intention de la mener à bien d'ici juillet. Il n'est pas question d'enlisement ; il s'agit de poursuivre la lutte contre les groupes terroristes combattants dans toute la zone.

En RCA, notre rôle est de permettre l'installation de la MINUSCA afin de préparer une solution politique au conflit. Nous retirerons nos troupes lorsque la MINUSCA sera complétement déployée, avec des forces aguerries.

Les baisses d'effectifs, monsieur Mariani, affecteront pour un tiers seulement les unités opérationnelles ; il faudra en analyser la pertinence poste par poste. J'annoncerai en juillet de nouvelles fermetures de sites à venir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Doit-on s'attendre à des changements concernant les lycées et des écoles militaires ?

Permalien
Jean-Yves le Drian, ministre de la défense

Pas que je sache.

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Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre disponibilité, dont vous nous avez donné une nouvelle illustration.

La séance est levée à onze heures trente.