L'audition débute à huit heures trente.
Pour débuter les travaux de cette commission d'enquête, nous avons souhaité disposer d'une vue générale de la situation et des difficultés du monde associatif, et nous avons donc fait appel à cet effet à Recherche & Solidarités, réseau associatif d'experts qui recueille des informations à la source grâce à des enquêtes nationales et territoriales, qui analyse ces données pour les mettre à la disposition des acteurs de terrain et des décideurs et qui diffuse des publications ainsi nourries, menant en outre des recherches, des actions et des expérimentations avec le concours de différents partenaires. Cette association publie notamment une enquête annuelle qui fait référence, La France associative en mouvement. C'est donc en votre qualité de « vigies » du monde associatif que nous souhaitons vous entendre, monsieur le président, madame la directrice.
Cependant, je dois au préalable vous demander, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Jacques Malet et Mme Cécile Bazin prêtent serment)
Notre réseau associatif d'experts travaille depuis dix ans sur les sujets de solidarité, la vie associative y tenant une grande part.
Au cours de ces dernières années, nous avons observé la création de 65 000 à 67 000 associations chaque année. Ce chiffre montre que la dynamique associative est forte et que le tissu se renouvelle, ce qui peut être perçu de façon positive dans une société où l'on déplore souvent le repli sur soi. Reste que la multiplication du nombre d'associations entraîne celle des besoins financiers et des besoins en bénévoles, phénomène qui peut aller jusqu'à provoquer une certaine concurrence entre associations.
Grâce à une coopération avec l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), avec les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociales et d'allocations familiales (URSSAF) et avec la Mutualité sociale agricole (MSA), nous disposons d'un tableau complet de l'emploi dans les associations. La croissance constante et régulière que nous avons observée en la matière s'est interrompue en 2010 et, en 2011, quelque 10 000 emplois ont même été perdus. En 2012-2013, l'activité a repris, mais notre suivi conjoncturel montre une légère baisse, à nouveau, au cours du premier trimestre de 2014 alors que l'emploi privé se maintenait.
Notre publication, La France associative en mouvement, repose essentiellement sur ces données trimestrielles, mais aussi sur une enquête auprès des responsables d'associations qui, d'annuelle, est devenue semestrielle depuis que la conjoncture s'est dégradée. Nous avons ainsi interrogé, au mois de mai, 1 700 dirigeants représentatifs du tissu associatif et nous avons constaté que, si l'évolution du bénévolat restait pour eux le sujet de préoccupation qu'elle est de longue date, leur situation financière et l'évolution des politiques publiques figuraient désormais parmi leurs principaux motifs d'inquiétude.
Une enquête importante menée en 2013 a montré que le nombre de bénévoles augmentait – ce dont on peut se réjouir –, mais qu'ils étaient moins nombreux à intervenir de manière régulière chaque semaine : ils ne sont plus que 4,5 millions aujourd'hui, contre 5,5 millions en 2010. Leur comportement change donc, leurs attentes également, et il revient aux associations d'en tenir compte.
Grâce aux données fournies par l'administration de Bercy, nous pouvons mesurer les dons aux associations déclarés par les contribuables dans le cadre de leur déclaration de revenus, étude que nous complétons par une enquête menée auprès des donateurs. Les petits donateurs sont de moins en moins nombreux, faute de moyens. Les donateurs qui estiment percevoir des revenus convenables se montrent eux aussi assez prudents et donnent un peu moins qu'auparavant. Si nous constatons néanmoins une hausse des dons – toutefois ralentie –, elle s'explique donc par une plus grande générosité des personnes les plus aisées.
Le secteur associatif rencontre des difficultés en termes à la fois de représentation et de reconnaissance.
Je tiens à rester objectif en ce qui concerne le premier point : vous et nous avons du mal à construire une représentation cohérente d'un secteur qui regroupe aussi bien des associations comptant seulement quelques adhérents que d'autres employant plusieurs centaines de salariés, sans compter la diversité tenant à celle des domaines d'activité : environnement, sport, action sociale, etc. De plus, en ce qui nous concerne, nous avons coutume de distinguer, de façon quelque peu ironique, entre les associations où l'on travaille « avec les autres », celles où l'on travaille « pour les autres »… et celles où l'on travaille « contre d'autres » ! Il n'est donc pas étonnant que, malgré de grands efforts, la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA), devenue le Mouvement associatif, éprouve quelque difficulté à s'exprimer. Et cela d'autant plus qu'il existe deux formes d'associations : celles qui travaillent en réseau – notamment dans les secteurs sportif ou social – et celles qui sont autonomes et qui constituent entre 50 % et 60 % du total.
Puisque leur représentation se révèle délicate, les associations ont un problème de reconnaissance. C'est le souci premier des dirigeants et des bénévoles, qui souhaitent être considérés, non pas pour obtenir gloire et médailles, mais pour ce qu'ils font ou pour ce qu'ils pourraient faire.
Alors que j'étais en fonction au sein d'une chambre régionale des comptes, j'ai pu observer que, depuis des dizaines d'années, on passait à côté d'un effet de levier exceptionnel. Quand on engage 1 000 euros de crédits publics pour une action de l'administration, on en retire en général, dans le meilleur des cas, un bénéfice de 1 000 euros. Quand on aide une entreprise à hauteur de 1 000 euros, sachant développer un investissement, elle le valorisera à 1 200, voire 1 500 euros. Mais quand on confie 1 000 euros à une association, grâce à l'effet de levier du bénévolat, elle en fera au minimum pour deux à trois fois plus. L'exemple de Recherches & Solidarités est à ce titre assez éclairant : nous ne touchons pas de subvention de fonctionnement et nos moyens reposent à 50 % sur le bénévolat.
De ce manque de reconnaissance résulte une double difficulté : d'abord une limitation de l'action qui peut être menée, ensuite l'absence d'encouragement pour les bénévoles – une subvention de 1 000 euros, c'est pour eux du carburant, une incitation à aller plus loin.
Je relève par ailleurs une certaine faiblesse du secteur associatif, surtout lorsqu'il dépend trop fortement de la puissance publique : pour mettre en oeuvre une politique publique ou pour profiter de crédits publics, il risque de dévier de son projet propre, perdant ainsi ses repères au détriment de la continuité de son action.
Il me faut aussi constater deux fractures.
La première est territoriale. Malheureusement, c'est dans les territoires en difficulté que les collectivités disposent des moyens les plus réduits, c'est-à-dire là où, précisément, on a le plus besoin des associations. Les derniers travaux de Mme Tchernonog l'ont bien montré et il conviendrait de trouver des procédures pour remédier à cette situation.
La seconde fracture est sociale. Parmi les adhérents, les bénévoles, les donateurs ou, plus encore, les dirigeants, les catégories socioprofessionnelles favorisées sont – de loin – les mieux représentées. Cela a un aspect positif : l'épanouissement de ces personnes et la mobilisation de leurs compétences. Mais le déficit d'adhésion et d'engagement bénévole parmi les personnes modestes, les jeunes et les femmes nous prive de certaines ressources.
Je terminerai néanmoins par deux notes d'espoir. À la demande du ministère chargé de la vie associative, et avec une aide financière du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), nous venons d'achever une étude sur l'utilisation du numérique dans les associations. Nous avons constaté qu'elles s'engageaient résolument dans cette voie, avec deux effets positifs. Le premier, immédiat, est que l'information et la mobilisation des citoyens sont facilitées. Le second, différé parce que plus difficile à atteindre, est le développement du bénévolat à distance. L'idée subsiste que l'adhésion à une association implique d'être présent de vingt heures à vingt-deux heures tel jour de la semaine ; or on peut très bien, à distance et en temps non contraint, c'est-à-dire au moment où l'on est disponible, aider une association à reconfigurer son site, à préparer une demande de subvention, etc., même quand on est un cadre surchargé, une jeune mère qui souhaite rester auprès de ses enfants, une personne isolée en milieu rural ou une personne handicapée. Grâce au numérique, toutes ces personnes peuvent bénéficier d'une insertion sociale forte dans le cadre associatif et s'épanouir personnellement.
Le second motif d'espoir est plus délicat à formuler. On compte 24 % de Français engagés bénévolement dans une association, mais seulement 16 % de dix-huit à vingt-cinq ans, non que ces jeunes soient plus indifférents mais parce qu'ils s'impliquent d'une manière plus informelle auprès de leurs amis, dans leur quartier, dans leur village. Il convient sans doute de consentir un effort pour les sensibiliser à la vie associative et pour les accueillir. Les personnes modestes sont également peu représentées parmi les adhérents et les responsables : elles n'osent pas pousser la porte d'une association, de même qu'elles ne poussent pas facilement celle d'une exposition, d'un musée ou d'une salle de spectacle. Cet important déficit peut être comblé. De quel droit, en effet, ces personnes seraient-elles privées de l'épanouissement personnel, de l'enrichissement, de l'acquisition de compétences et du lien social qu'offrent les associations ? En outre, un jeune, une femme, une personne de condition modeste, en adhérant à une association, a proportionnellement beaucoup plus tendance à devenir bénévole. Nous avons donc fait passer aux associations un message qui pourrait passer pour une boutade : ne cherchez plus de bénévoles, vous ne les trouverez pas ou, au pire, vous les prendrez à une autre association ; en revanche, cherchez des adhérents, apprivoisez-les, et ils deviendront des bénévoles, notamment s'ils souhaitent donner du sens à leur vie !
Merci pour votre exposé, à la fois concis et complet. Vous nous ouvrez déjà de nombreuses perspectives pour notre travail.
Vous avez évoqué une fracture territoriale : en dehors du recours au numérique, comment, selon vous, y remédier ? Comment les collectivités locales peuvent-elles susciter ou accompagner la création d'associations durables dans les territoires les moins favorisés géographiquement ou culturellement ?
Voilà une question redoutable. Il semble utile, dans un premier temps, de mesurer réellement cette fracture. Comme je l'indiquais, elle nous est apparue de manière assez vive à la lecture des derniers travaux de Mme Tchernonog, mais ceux-ci demanderaient à être approfondis.
Ensuite, si l'on utilise l'effet de levier que j'ai évoqué, qui d'ailleurs, puisqu'il s'agit d'un investissement productif, peut entrer en concurrence avec certains autres investissements jugés, eux, moins productifs, on peut imaginer une répartition des moyens publics accordés aux associations modulée en fonction des territoires et de leurs difficultés, par exemple en renforçant le FDVA, déjà régionalisé.
Si la coopération entre les collectivités et les associations est indéniablement nécessaire, elle ne doit pas se solder par une relation de suzerain à vassal. Malheureusement, aujourd'hui, les associations jouent parfois – pardonnez l'expression – « petit bras ». Je l'ai vécu lorsque j'exerçais des responsabilités dans la fonction publique. Les associations, modestes, se réjouissent dès qu'on leur accorde un peu d'argent. Or, si elles agissent vraiment au bénéfice du plus grand nombre, il faut les convaincre qu'on leur doit cet argent. C'est sur cette base que doit se développer la coopération avec les collectivités. L'enjeu pour les associations sera aussi, d'une part, de diversifier leurs ressources, certaines d'entre elles dépendant par trop d'une seule source de financement, et, d'autre part, de mutualiser le plus possible leurs moyens pour celles, nombreuses, de leurs activités qui peuvent être réalisées en commun. Les groupements d'employeurs peuvent être un très bel outil à cet égard. Nous n'avons toutefois pas la prétention d'aller beaucoup plus loin dans nos préconisations.
L'association Recherches & Solidarités fait un travail remarquable qui nous permet de disposer chaque année d'un état précis de l'évolution du monde associatif et, en particulier, du bénévolat. Cependant, selon les sources, l'estimation du nombre de bénévoles en France varie beaucoup : 12 millions, 16 millions… Pouvez-vous nous fournir un chiffre précis, à supposer que ce soit possible ? Quelles indications pourriez-vous aussi nous donner, s'agissant de l'évolution de la création d'associations au cours des dernières années, ainsi que de celle de l'emploi associatif, que nous observons, à l'Assemblée, avec la plus grande attention ?
D'autre part, la lourdeur croissante des tâches administratives imposées aux associations risque de dissuader les bénévoles responsables. Avez-vous des données en la matière ?
Quand on évoque le financement de la vie associative, on fait référence aux crédits de l'État, à ceux des collectivités locales, à la participation des usagers, mais on a tendance à oublier les dépenses fiscales : les réductions d'impôt accordées aux particuliers à raison de leurs dons aux associations – que nous ne considérons pas, contrairement à certains, comme une niche fiscale – se montent à environ 1,2 milliard d'euros et c'est là un élément qui participe de l'équilibre général.
Je suis d'accord avec vous, monsieur Malet : les bénévoles ne demandent pas un statut, mais une meilleure reconnaissance de leur engagement. À ce titre, que pensez-vous des mesures en faveur du bénévolat que nous examinerons tout à l'heure, en séance, dans le cadre du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire ?
La fracture territoriale que vous avez évoquée recouvre-t-elle la distinction entre territoires ruraux et territoires urbains ? Dans mon département de la Mayenne, la vie associative est très riche, grâce à la ressource humaine formidable que sont les bénévoles qui contribuent à l'animation de ces territoires ruraux et au maintien du lien social.
La reconnaissance de l'engagement des bénévoles passe-t-elle ou non par la définition d'un statut ?
Pour remédier au manque d'engagement des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, que pensez-vous de la possibilité, proposée par la précédente majorité, de leur permettre de prendre des responsabilités au sein d'une association dès l'âge de seize ans ? Ne pourrait-on également susciter l'intérêt des collégiens et des lycéens pour le bénévolat en leur faisant passer une journée au sein d'une association comme ils le font déjà dans des entreprises pour s'initier à leur fonctionnement ?
La formation des bénévoles dirigeants est-elle à la hauteur de la complexité des textes administratifs régissant la vie des associations ? Quels seraient leurs besoins en la matière ?
J'ai mis en place les temps d'accueil périscolaire dans ma commune, au début de 2013, et j'ai pu constater que cette mesure avait redynamisé l'activité associative. L'avez-vous vous-mêmes relevé au niveau national ?
Quels sont les secteurs concernés par la concurrence à laquelle vous avez fait allusion ? Cette concurrence est-elle plutôt celle du secteur privé – je pense aux services à la personne ?
Enfin, pensez-vous qu'un zonage permettrait à l'État d'agir plus efficacement contre la fracture territoriale ?
Certaines associations, notamment dans le secteur de l'insertion, ont tendance à se plaindre de la concurrence d'un millefeuille qu'il faudrait simplifier. L'avez-vous constatée vous-mêmes ?
Pensez-vous que les outils de l'État permettent une bonne connaissance d'un monde associatif très large, très divers et aux limites floues. Les données de l'INSEE sont-elles suffisantes ? Comment pourrait-on classer, selon vous, les associations ?
Ensuite, quelles mesures concrètes prendre pour le financement des associations ? Le soutien à leur apporter doit-il venir du public ou du privé ? Dans le même ordre d'idées, que pensez-vous de l'idée d'un congé pour engagement ?
Nous sommes très conscients des limites de nos connaissances et soucieux de rester à notre place. Les différents secteurs – sportif, social, environnemental, etc. – n'ayant pas les mêmes besoins, nous estimons qu'il revient aux représentants du mouvement associatif de proposer des mesures concrètes à partir de nos constats, de nos publications. Par conséquent, si nous dégageons parfois des pistes, nous proposons nous-mêmes rarement des mesures.
Comme vous, nous avons le pressentiment que l'organisation des activités scolaires et périscolaires, en coopération avec les associations, ne peut que renforcer le lien entre l'école et la société, mais également bénéficier aux élèves et aux associations elles-mêmes. Toutefois, nous ne disposons pas d'informations récentes, en tout cas pertinentes, sur le sujet.
Nous avons en revanche une position très précise, monsieur le président, sur la question des outils. Le secteur associatif est aujourd'hui très bien connu dans sa diversité. Nous ne sommes pas beaucoup, parmi les chercheurs, à travailler sur le sujet mais suffisamment nombreux – j'ai cité les travaux de Mme Viviane Tchernonog, mais il y a aussi ceux de Mme Édith Archambault, ceux de M. Lionel Prouteau… – et nous publions nous-mêmes des études régulières. Il faut en finir avec les allégations selon lesquelles on ne connaîtrait pas assez les associations, l'INSEE pouvant faire davantage et mieux. Les données sont assez complètes pour qu'on n'aille pas ennuyer en permanence les associations avec de multiples enquêtes.
Est-il d'une importance planétaire de savoir s'il y a un ou 1,3 million d'associations en France ? On sait qu'il y en a beaucoup et qu'elles sont même bien plus nombreuses qu'on ne peut le savoir, car les associations regroupant quelques amis que la philatélie intéresse ne demanderont jamais rien à personne. Existent en outre des associations de fait : nous pouvons très bien, à l'issue de la présente audition, en constituer une parce que nous aurons envie de réaliser un projet ; elle n'aura pas de personnalité morale, pas de compte en banque, mais cela ne nous empêchera pas d'organiser telle ou telle activité.
Notre connaissance des associations a beaucoup progressé. Fédération Asso 1901 travaille depuis plus de dix ans à un recensement très précis. Son équipe a aujourd'hui couvert près de cinquante départements, procédant de façon systématique et rationnelle : partant de la déclaration de création, elle vérifie l'existence des associations et leur action ; elle élimine celle qui sont dissoutes en leur attribuant une pastille noire ; elle attribue une pastille rouge ou jaune aux associations dont elle doute qu'elles existent encore et une pastille verte à celles dont elle a vérifié qu'elles étaient actives et dont elle connaît très précisément l'objet, la localisation et les coordonnées, y compris électroniques – puisque de nombreuses associations ont des sites ou des blogs. Elle en a ainsi recensé plus de 500 000. Nous travaillons beaucoup avec cette association à but non-lucratif depuis deux ans, car nous estimons qu'elle a mis au point un outil extraordinaire. La reconnaissance, la représentation que nous évoquions tout à l'heure se trouvent là aussi.
Nous travaillons par ailleurs avec Paul Franceschi qui dirige à l'INSEE le secteur chargé des associations. Nous connaissons donc très bien l'emploi, à l'établissement près, au salarié près et à l'euro près grâce aux informations de l'ACOSS, de lURSSAF et de la MSA. Aussi, pour ce qui est de la connaissance du monde associatif, il semble plus intéressant, désormais, de porter nos efforts sur les aspects qualitatifs.
Il est vrai, monsieur Juanico, que l'avalanche de chiffres qui ne concordent pas forcément est quelque peu désespérante. Cependant, forts d'une démarche scientifique avérée puisque notre réseau rassemble des experts et des universitaires, nous sommes formels : nous connaissons exactement le nombre des bénévoles, qui représentent, je l'ai dit, autour de 24 % des Français. Reste qu'il ne faut pas confondre ce nombre et celui des interventions de ces mêmes bénévoles : 40 % d'entre eux sont actifs dans au moins deux associations, comme l'a montré très précisément une enquête menée par France Bénévolat, Recherches & Solidarités et l'IFOP en 2013 comme en 2010.
Cette enquête a mis en évidence qu'il ne fallait pas confondre les bénévoles intervenant d'une manière très utile, mais ponctuelle, et ceux qui interviennent régulièrement, formant la colonne vertébrale du secteur associatif. Au moins 85 % des associations n'ont pas de salariés et fonctionnent donc exclusivement grâce à cette ressource humaine. On sait que 10,5 % des Français sont engagés vraiment dans une association tandis qu'ils sont environ 15 % à donner du temps gratuitement sans se considérer comme bénévoles, estimant se borner à « donner un coup de main » – aussi une enquête demandant aux personnes interrogées si elles sont bénévoles serait-elle biaisée dès le départ ; c'est pourquoi toutes les enquêtes sérieuses en la matière évoquent le don de temps gratuit. Dès lors, la proportion de 24 % précédemment mentionnée passe à un peu plus de 30 % de personnes intervenant de manière informelle dans une école, auprès d'une mairie, d'une église, dans le cadre d'un syndicat ou d'un parti. Nous maîtrisons parfaitement ces chiffres.
Nous regrettons ainsi les annonces gouvernementales – et quel que soit le Gouvernement en question – qui pourraient laisser penser au dirigeant de terrain qu'il est mauvais parce qu'il n'arrive pas à recruter alors qu'il y a de plus en plus de bénévoles. Il convient de rectifier ce discours et de bien préciser que la ressource humaine n'est pas inépuisable et que les bénévoles intervenant régulièrement sont au nombre de 4,5 millions seulement.
Parmi les bénévoles qui interviennent à un rythme hebdomadaire, à savoir une grande part de dirigeants, un peu plus de 30 % ont plus de soixante-dix ans – c'est très positif en termes de lien social pour eux et d'utilité sociale pour les autres. Bien entendu, il ne faut rien changer à cela. Il faut simplement attirer les autres tranches d'âge dans les associations.
Les jeunes ont une grande soif de responsabilités. Ils ont compris depuis longtemps que l'engagement bénévole valait au moins un stage pratique dans leur CV. Il faut par conséquent les encourager dans cette voie, inciter les associations à les accueillir. Il est du reste possible qu'ils « se fassent la main » au sein des associations existant dans le milieu scolaire et universitaire – foyers, associations sportives… L'idée d'organiser le même genre de stages que ceux réalisés au sein des entreprises me paraît excellente – nous n'y avions pas pensé. Enfin, on peut très bien encourager les établissements d'enseignement supérieur à valoriser l'engagement bénévole jusque dans les diplômes. J'avais moi-même cherché à introduire une telle mesure, au titre du ministère de l'enseignement supérieur, pour certains DUT où la pratique d'une responsabilité bénévole valait quelques points supplémentaires.
Vous avez raison de souligner qu'en matière de financements, il ne faut rien oublier. L'incitation fiscale que vous mettez en avant représente en effet des sommes non négligeables et qui ont du reste très fortement augmenté, grâce à une hausse continue du taux de réduction d'impôt. Mais on ne parle quasiment jamais de tous les moyens mis à disposition par les collectivités : mise en place de services communs, aide à l'organisation de manifestations, mises à disposition de salles et parfois de personnel – le réseau national des maisons d'associations a accompli un très bon travail de mutualisation.
Quand on observe la proportion d'emplois associatifs dans l'ensemble du secteur privé, on voit qu'elle passe de 30 % en Lozère à 5 % dans les Hauts-de-Seine. Ce n'est donc pas le numérateur mais bien le dénominateur qui change tout : dans une région où le système économique est quelque peu défaillant, le secteur associatif joue un rôle proportionnellement beaucoup plus important, dans la limite de ses moyens bien entendu. En revanche, on ne relève aucune différence entre territoires urbains et territoires ruraux, même si, sur certains sujets, on note un léger écart en faveur des seconds du fait de la proximité qui y prévaut et de réflexes de solidarité – les associations compensant parfois un véritable désert économique et le manque de services. Si, de ce point de vue, le secteur rural est plus animé, le secteur urbain souffre de l'anonymat lié à la vie en ville et du problème des transports – l'intervention en ligne a ses limites et le temps consacré aux trajets quotidiens l'est au détriment de l'investissement dans une association.
En ce qui concerne la formation, les dirigeants et les bénévoles en général, s'ils sont toujours aussi militants et ont toujours autant le souci d'être utiles, nourrissent de plus en plus l'ambition de réaliser un projet et se mobilisent donc beaucoup plus sur celui-ci que durablement pour une cause. Aussi sont-ils immédiatement conscients des compétences nécessaires. Nous avons observé qu'une très large part d'entre eux – quel que soit leur âge – souhaitaient recevoir formations et conseils. C'est très encourageant.
Il existe deux formes de concurrence. Celle qui oppose les secteurs lucratif et associatif n'est pas forcément malsaine à condition que les pratiques du secteur lucratif s'appuient sur une déontologie convenable – on le voit pour la petite enfance, pour l'aide à domicile. Nous travaillons d'ailleurs chaque année avec l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) sur ces sujets – au passage, je vous informe que le secteur de l'aide à domicile a perdu 7 % de ses emplois depuis 2010. En revanche, la concurrence entre certaines associations peut poser problème : la constitution d'une association dans le but de contrebalancer l'action d'une autre peut se révéler stérilisante.
Nous n'avons pas d'informations très précises sur le secteur de l'insertion, madame Fabre, si ce n'est qu'il a perdu de nombreux emplois au fil des années.
C'est en effet un secteur très difficile à appréhender du fait qu'il ne comprend pas que des associations, mais également des sociétés à responsabilité limitée (SARL) par exemple.
Pour ce qui est des jeunes, nous avons pu observer, qu'il s'agisse du bénévolat ou des dons, qu'ils étaient plus nombreux que leurs aînés à avoir des comportements solidaires. Ils sont très motivés pour servir l'intérêt général, certes, mais également motivés pour eux-mêmes ; ils sont de ce point de vue décomplexés, revendiquant un épanouissement personnel dans leur engagement plus qu'une volonté d'utilité sociale. Ils savent aussi pouvoir tirer bénéfice de leur investissement associatif pour leurs études et dans leur recherche d'emploi – et ils ont raison.
Cette note d'espoir doit être tempérée par le fait qu'ils sont moins présents, car attirés par des démarches plus informelles ; de plus, le cadre associatif ne correspond pas à tous. L'enjeu est de les sensibiliser dès l'école, qui devrait s'ouvrir au milieu associatif.
L'audition s'achève à neuf heures trente.