La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR L'IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à midi cinq.

La commission d'enquête procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), accompagné de M. Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales, et de Mme Corinne Prost, administratrice, chef du département des études économiques

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L'INSEE était dans l'ombre des économistes et des universitaires que nous avons entendus se disputer, au cours de nos précédents travaux, l'analyse des diverses études quantitatives publiées sur la réduction du temps de travail. Son enquête Emploi est particulièrement débattue : on s'interroge sur sa fiabilité, on la compare à l'enquête relative à l'activité et aux conditions d'emploi de la main-d'oeuvre (ACEMO) du ministère du travail. L'on se demande aussi quel crédit il faut accorder aux synthèses sur l'emploi d'Eurostat, qui servent à démontrer la singularité de la politique française de réduction du temps de travail.

Ces disputes méthodologiques ne sont cependant pas notre seule préoccupation. Nous nous intéressons surtout à l'incidence du temps de travail sur la compétitivité de notre économie, et sur les disparités de conditions de travail, de rémunérations et de repos que sa réduction aurait accrues entre les secteurs économiques, les types d'entreprises et les catégories de salariés.

Nous pourrions vous demander de nous dresser quelques portraits « stylisés » des salariés français, dégagés des tables statistiques, qui caractériseraient ces employés travaillant 1 600 heures par an, plus ou moins librement réparties. Ces salariés sont sans doute heureux de cette réforme tout en se posant de nombreuses questions à son sujet.

Je vous rappelle qu'aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la Commission d'enquête pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre témoignage qui fait l'objet d'un enregistrement et d'une retransmission télévisée. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la Commission d'enquête.

Le même article 6 de l'ordonnance de 1958 impose aux personnes auditionnées de déposer sous serment, sans toutefois enfreindre le secret professionnel. Ces personnes doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Luc Tavernier, M. Fabrice Lenglart, et Mme Corinne Prost prêtent successivement serment.)

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Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques, INSEE

Après avoir présenté quelques éléments de méthodologie, je vous livrerai les enseignements que nous croyons pouvoir tirer des études réalisées sur la réduction du temps de travail.

En guise de remarque liminaire, je note que si je viens de jurer de dire la vérité, il n'existe pas « une » vérité en la matière …

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Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques, INSEE

Il est surtout essentiel de bien comprendre que les effets de la réduction du temps de travail ne sont pas directement observables sur le plan statistique. Certes, ils font l'objet d'études et d'expertises, mais leur analyse relève de l'évaluation des politiques publiques. Or si l'INSEE peut légitimement se prononcer sur ce sujet à l'égal d'autres acteurs, elle ne dispose pas dans ce domaine de l'autorité spécifique que lui confère son rôle régalien en matière de statistiques. L'INSEE est évidemment en mesure de fournir des statistiques mesurant la durée du travail ou le niveau de l'emploi, mission qui ne doit pas être confondue avec le travail consistant à chercher ce qui peut être imputé à la réduction du temps de travail dans l'évolution des différents agrégats. Il n'existe d'ailleurs aucune publication sous timbre INSEE dans laquelle nous aurions diffusé une position sur l'effet que la réduction du temps de travail (RTT) aurait pu avoir sur l'emploi, la productivité ou les salaires.

Les effets de la RTT ne sont pas directement observables statistiquement disais-je. Il serait par exemple erroné d'attribuer sans précaution à l'évolution de la législation, l'intégralité de la baisse de la durée du travail. En effet, avant que ces mesures ne soient adoptées, le temps de travail était déjà tendanciellement en recul pour de multiples raisons telles que la signature d'accords décentralisés ou le développement du travail à temps partiel. Nous ne saurions décrire aujourd'hui ce qu'aurait pu être l'évolution du temps de travail au début des années 2000 et depuis cette époque sans le processus de RTT.

La statistique publique est aujourd'hui correctement outillée pour suivre l'évolution du temps de travail. Vous avez auditionné Mme Françoise Bouygard, directrice de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail, qui a dû vous décrire le dispositif mis en place pour suivre les accords signés. Aucune rupture de séries massive n'est à signaler dans nos données. En revanche, la comparaison de certaines de nos statistiques avec celles de pays étrangers peut parfois être difficile, même lorsqu'elles font l'objet d'un règlement commun. Je pense à la durée du travail selon notre enquête Emploi par rapport à la mesure pratiquée en Allemagne, ou à l'indice du coût du travail mesuré en France et au Royaume-Uni. Des raisons pratiques et des différences de méthode expliquent ces divergences.

Quelques précautions méthodologiques s'imposent et expliquent la difficulté d'une évaluation des effets des RTT. J'en énumère cinq.

Premièrement, la réduction du temps de travail n'a pas constitué une expérience de laboratoire. Nous ne disposons pas d'un échantillon témoin : toutes les entreprises ont été concernées par le processus car même celles qui ne sont pas passées aux 35 heures ont évolué dans un environnement économique modifié. Par ailleurs, le choix des entreprises de recourir ou non aux lois Aubry I ou II n'a pas été aléatoire : établir des comparaisons a posteriori est en conséquence extrêmement difficile car elles se trouvaient dès l'origine en quelque sorte dans des conditions de température et de pression différentes, comme disent les physiciens.

Deuxièmement, les comparaisons internationales sont complexes. Certes, les 35 heures n'ont pas été adoptées par tous les pays du monde, mais d'autres évolutions, nombreuses, ont eu lieu ailleurs. Il serait vain de mettre en cause la seule réduction du temps de travail en France en nous contentant de nous comparer à nos voisins. Prenons l'exemple de l'évolution du salaire horaire entre la France et l'Allemagne : entre 1996 et 2013, l'écart enregistré est supérieur à 25 %. Mais bien plus que la RTT, la très forte modération salariale pratiquée en Allemagne durant la plus grande partie des années 2000 a constitué le facteur principal de cette évolution.

Troisièmement, la réduction du temps de travail ne constitue pas un choc ponctuel aux contours aisément identifiables. Elle se déroule même au contraire en un processus long comportant de multiples étapes. La mise en oeuvre de la garantie mensuelle de rémunération a par exemple été particulièrement laborieuse, de même que la convergence du nouveau niveau du SMIC à l'horizon 2005.

Quatrièmement, la RTT ne modifie pas une variable et une seule. Tout d'abord, si le temps de travail est officiellement réduit de 10 %, la durée du travail effective baisse souvent en proportion moindre car, à l'occasion de la signature d'accords de RTT au sein des entreprises, certains éléments, comme les temps de pause, sont révisés. Ensuite, un recul de 10 % du temps de travail ne se traduit pas par une augmentation de 10 % du salaire horaire et du coût du travail par unité produite. La plupart des accords comportent en effet des mesures de modération salariale – elle s'impose sur la durée quoi qu'il en soit. Ces accords mettent également en oeuvre une réorganisation du travail et du facteur capital qui génère des gains de productivité.

Cinquièmement, les effets de la réduction du temps de travail sur le court et le long terme peuvent être différents. À vrai dire, sur le long terme, l'observation est de peu de secours car le discours de chaque observateur est déterminé par sa représentation théorique du marché économique. Nous y reviendrons.

Au vu de ces difficultés, une méthode s'impose : il faut tenter d'identifier la baisse du temps de travail effectivement imputable à la RTT, déterminer le quantum de modération salariale qu'il est possible d'imputer aux accords de RTT, et quantifier, ce qui est encore plus difficile, les gains de productivité réalisés grâce à ces accords. Les « allégements Fillon » de cotisations sur les bas salaires, sans lesquels un nouveau choc aurait été enregistré au niveau du coût minimal du travail, ne doivent pas être oubliés.

Si l'ensemble de ces éléments peut être documenté – je vous donnerai divers chiffres – il est en revanche impossible de déterminer ce qui ce serait produit sans les lois Aubry. Nous ne pouvons qu'approcher, grâce à un faisceau d'études et d'indices, ce qui est dû à la réduction du temps de travail, et fournir des ordres de grandeurs, qui résultent de travaux scientifiques divers, sans bénéficier de l'autorité et de la légitimité qui est la nôtre lorsque nous produisons des statistiques. Les sources publiques les plus informatives sont assez anciennes mais restent pertinentes. Je pense au rapport remis en juin 2001 par la commission présidée par M. Henri Rouilleault, dans le cadre de ce qui s'appelait encore le Commissariat général du Plan. Je citerai également un numéro double de la revue Économie et Statistique, datant de juillet 2005, consacrée à la réduction du temps de travail – l'INSEE dirige la publication de cette revue, mais les articles qu'elle contient n'engagent que leurs auteurs. Enfin, je n'oublie pas les comptes rendus très informatifs de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale consacrée, en 2004, à l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail.

De ces diverses études, je retiens que, dans le secteur marchand, la durée du travail effective a baissé en moyenne de 4,5 à 5 %. Le coût des salaires n'a pas augmenté dans les mêmes proportions en raison d'une modération salariale qui peut être estimée à 1 % – le salaire horaire n'a en conséquence nullement augmenté que de 3,5 à 4 %. Les gains de productivité horaire ayant atteint 2 à 2,5 %, le salaire horaire a donc crû un peu plus rapidement que la productivité. Cependant, si l'on tient compte des allégements de charges, on peut considérer que le coût salarial rapporté aux évolutions de la productivité est resté stable.

Les évolutions de la productivité horaire ne compensant pas la réduction de la durée du travail, des gains en emplois sont enregistrés à court terme sur le chômage conjoncturel ou keynésien. Pour le secteur marchand, on estime qu'il s'agirait de 300 000 emplois. L'effet à long terme sur l'emploi est en revanche incertain. Ceux qui estiment que l'économie et le marché de l'emploi connaissent un fort effet d'hystérèse – le chômage conjoncturel de court terme influe sur le chômage structurel de long terme : les personnes éloignées du marché du travail perdent par exemple en employabilité – considèrent qu'une partie des 300 000 emplois créés existent encore à long terme. Ceux qui estiment que les effets d'hystérèse sont mineurs et que la réduction du temps de travail n'a en rien fait évoluer le fonctionnement du marché du travail pensent que le taux de chômage de long terme n'est pas modifié. Tout est donc question de représentation théorique.

Sans aucune ambiguïté cette fois, l'on peut affirmer en revanche que l'effet de la réduction du temps de travail sur le niveau potentiel du PIB à long terme est négatif. Les conséquences de la baisse de la durée du travail l'emportent sur les gains de productivité horaire et sur un éventuel effet favorable sur l'emploi à long terme. Le maximum de perte de PIB potentiel pourrait être de deux points.

Il faut enfin tenir compte des allégements de cotisations patronales. Ils étaient « défensifs » – ils ont empêché une hausse du coût du travail au niveau du SMIC – et non « offensifs » – ils auraient alors permis une baisse du coût du travail. Ces allégements liés à la réduction du temps de travail ont un effet sur les finances publiques d'environ un point de PIB.

Notez bien que l'hypothèse peut être émise, hors mesures de RTT, d'une baisse de la durée du travail dans la prolongation des tendances antérieures, semblable à celle que nous avons constatée. Si l'on y ajoute l'hypothèse d'une poursuite des coups de pouce au SMIC, nous pourrions parvenir à des résultats comparables à ceux que je viens de vous présenter puisque les faits générateurs sont identiques.

J'en viens aux conséquences sociétales des RTT sur lesquelles notre enquête Emploi du temps nous permet de nous prononcer. Sur longue période, le phénomène majeur qui touche l'ensemble des Français de plus de dix-huit ans est l'accroissement du temps de vie passé à la retraite. Cette évolution explique que le temps consacré, en moyenne, par l'ensemble de la population, aux loisirs soit globalement supérieur à celui passé à travailler ou à chercher un emploi. En excluant les retraités, l'on constate, entre 1974 et 2010, un recul du temps passé au travail et une augmentation de celui consacré aux loisirs qui sont de même niveau en valeur absolue, soit cinq heures hebdomadaires. Entre 1998 et 2010, sur une période de douze années durant laquelle sont concentrés les effets des mesures de RTT, cette réduction moyenne du temps de travail hebdomadaire s'élève à 2,8 heures. Ce dernier chiffre masque cependant de grandes disparités : la réduction du temps de travail a été nettement plus forte pour les cadres, soit 5,5 heures hebdomadaires, pour lesquels elle a pris la forme d'une diminution du nombre de jours travaillés – alors que, pour les non-cadres la RTT, s'est plutôt traduite par une réduction de la durée de la journée travaillée, ce qui n'est pas sans avoir des conséquences potentiellement différentes sur les conditions de travail, par exemple en termes de stress. Cette évolution est d'autant plus notable que, sur la période 1974-1986, marquée par le passage de la durée légale du temps hebdomadaire de travail de quarante à trente-neuf heures, les cadres avaient vu leur durée moyenne de travail progresser en raison de l'allongement de leur journée.

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Je crains que l'approche des parlementaires concernant les 35 heures ne soit souvent partielle sur le plan de la méthode car nous sommes essentiellement intéressés par les effets économiques de la réduction du temps de travail. Il faut pourtant bien reconnaître que la RTT a également modifié la vie de la population, la santé des Français…

Nous avons entendu de nombreux chiffres très différents au cours des travaux de cette commission d'enquête. Nous sommes cependant toujours à la recherche de données qui permettraient d'agréger les nombreux paramètres en jeu – à l'instar du taux d'épargne des ménages qui permet par exemple de savoir si les Français sont cigales ou fourmis. La mesure de l'impact des 35 heures sur le temps de travail est sans doute nécessaire, mais elle est insuffisante pour juger de l'incidence économique qu'elles ont eue sur le pays.

Quels indicateurs permettent selon vous d'agréger au mieux l'effet des 35 heures ? Je pense au taux de chômage, à la croissance, au coût du travail, au niveau des salaires… Nous souhaitons simplement mieux mesurer l'impact de nos décisions politiques. Les 35 heures étaient censées donner du bonheur à la population, mais, en 2002, le candidat qui avait mis la mesure en oeuvre a été battu. En 2007, l'article 1er de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA, a permis à une partie des Français de gagner plus d'argent mais, en 2012, celui qui avait décidé de mettre la mesure en oeuvre était battu. Quels éléments pourriez-vous vous nous donner pour nous aider à dépasser les postures idéologiques ? J'avoue que je suis un peu déçu par vos premiers propos, monsieur Tavernier car je n'y ai pas suffisamment trouvé les éléments agrégés qui permettraient aux politiques de faire des choix éclairés.

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Monsieur Tavernier, vous constatez un effet négatif de la RTT sur le PIB en évaluant un « maximum de perte de PIB potentiel » qui serait de deux points. Cela me paraît considérable : pouvez-vous nous donner quelques explications ? S'il s'agit bien d'un maximum, sans doute existe-t-il aussi un minimum ? Pourquoi, dans ce cas, ne pas avoir établi une fourchette ?

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Pouvez-vous nous donner des précisions sur le temps de loisirs ? Il a augmenté, selon vous, de cinq heures par semaine entre 1974 et 2010, alors que le temps passé au travail a reculé dans la même proportion. Le temps de loisirs n'est pourtant pas tout le temps qui n'est pas passé au travail ?

Je précise à notre président de séance que notre commission d'enquête travaille aussi sur l'impact social et sociétal de la réduction du temps de travail. Les disparités en matière de RTT se retrouvent dans la répartition du temps de loisirs, ce qui nous intéresse particulièrement.

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Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques, INSEE

L'INSEE s'est dotée depuis quelques années d'outils permettant de mesurer le bien-être des Français. Des enquêtes nous amènent à interroger les ménages sur les privations qu'ils subissent et sur leur appréciation des divers éléments de leur qualité de vie. La construction d'un outil statistique afin d'établir des comparaisons dans l'espace et dans le temps reste complexe. Elle répond aux recommandations émises, en 2009, par la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi – du nom de MM. Joseph Stiglitz, Amartya Kumar Sen, et Jean-Paul Fitoussi – sur la mesure de la performance économique et du progrès social. Ces enquêtes, de la même façon que celles relatives aux conditions de travail, n'existaient pas avant la mise en place des 35 heures. Il est donc difficile d'établir des comparaisons avec la période préalable à la RTT. Elles seront possibles dans le futur si le législateur continue de nous donner les moyens de disposer d'outils efficaces…

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Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques, INSEE

Monsieur le président, je suis déçu de vous avoir déçu. Je ne puis toutefois que reprendre les éléments que je vous ai fournis : la création de l'emploi à court terme, significative, est de l'ordre de 300 000 postes – à long terme, il est difficile de savoir ce qu'il en aurait été sans la RTT. La durée du travail a enregistré une baisse de 4,5 à 5 % alors que la productivité horaire augmentait de 2 à 2,5 %. À partir du moment où la productivité par tête recule en conséquence d'environ 2,5 %, et où la création d'emplois à long terme, si elle existe, ne progresse évidemment pas au même rythme, le PIB potentiel est indubitablement en recul. Cependant, j'appelle à nouveau votre attention sur le fait que nous ne savons pas ce qui cs serait produit sans les mesures de RTT : en tout état de cause, d'autres formes de réduction de la durée du travail auraient également eu des effets.

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Vous prenez en compte un PIB potentiel mais, pour produire, il faut des marchés et une demande. Or nous ignorons ce qu'aurait été le comportement des entreprises en termes de production et de recrutement sans les 35 heures.

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Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques, INSEE

Il est difficile de passer du raisonnement de court terme au raisonnement de long terme. Si les périodes de déficit de demande et de chômage keynésien peuvent être durables, en théorie, à la fin des fins, l'offre gouverne le niveau d'activité potentiel et ne peut que se réduire lorsque la durée du travail baisse – sauf à imaginer un recul du chômage d'équilibre qui compenserait ce mouvement.

Il est vrai que, dans la période considérée, nous nous trouvons essentiellement en situation de déficit de demande et rarement en excès d'offre. J'ai donc à dessein évoqué le PIB potentiel, celui qui pourra être atteint à terme, et non le PIB effectif. Pour proposer une fourchette, on pourrait dire que la RTT provoque un recul d'un à deux points du PIB potentiel.

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Toutes les décisions politiques sont prises dans un contexte qui évolue. Il faut que nous puissions revenir rapidement sur certaines mesures plutôt que de les laisser prospérer sur des durées très longues dans une conjoncture qui a profondément changé.

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Monsieur Tavernier, suis-je dans l'erreur si je considère que votre raisonnement sur le PIB potentiel suppose le plein-emploi ? Si tel est bien le cas, permettez-moi de dire que nous n'y sommes pas encore vraiment.

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Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques, INSEE

Le PIB potentiel est en effet atteint dans des conditions de plein-emploi au sens d'une situation de chômage soutenable et d'inflation stable, notamment. Ce taux de chômage soutenable est de toute évidence, inférieur à celui que nous connaissons aujourd'hui.

Notre échange me permet de préciser que lorsque je dis que l'on perd du PIB potentiel, cela ne signifie pas que l'on enregistre aujourd'hui moins de PIB effectif…

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Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE

L'enquête Emploi du temps de l'INSEE dissocie le temps de loisirs du temps domestique, consacré par exemple aux tâches ménagères, ou du temps personnel consacré au sommeil, au repas… Le temps de loisirs et le temps de sociabilité sont analysés de façon spécifique et ne sont pas, en effet, l'équivalent du temps non travaillé.

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Les effets de la réduction du temps de travail sur la vie quotidienne et les loisirs sont mal quantifiés alors qu'ils jouent un véritable rôle sur lequel nous devons nous pencher. Les estimations sont d'autant plus complexes que ceux qui ont gagné du temps libre peuvent avoir une activité par ailleurs qui influe sur le PIB.

Les politiques sont trop souvent amenés à prendre des décisions qu'ils ont du mal à remettre en cause en cas de retournement de conjoncture. Ils ont besoin pour agir de disposer de statistiques qui ne sortent pas quinze ans après les faits. Je déplore que le statisticien ne soit pas assez au service du parlementaire : l'histoire et l'archéologie nous sont moins utiles que les instruments pour réagir aujourd'hui.

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Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques, INSEE

Monsieur le président, je me permets de n'être qu'en accord partiel avec vos propos. Vous avez raison : nous devons nous outiller pour mesurer le bien-être – cela dit, en la matière, nous ne pouvons malheureusement pas inventer aujourd'hui les résultats d'enquêtes qui n'existaient pas il y a quinze ans.

Votre critique relative au caractère « archéologique » de nos travaux ne me semble en revanche pas fondée. Nous n'avons pas eu besoin de quinze ans de recul pour fournir les données que j'ai présentées : depuis une dizaine d'années, nous disposons déjà des éléments permettant d'estimer les conséquences de la RTT sur les grands agrégats.

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Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE

Et puis l'appareil statistique a fait des progrès depuis le passage aux 35 heures, ce qui constitue plutôt une bonne nouvelle. Certains des outils dont nous disposons n'existaient pas dans la période précédant la réduction du temps de travail. La mesure du bien-être n'était pas possible, ni la mesure détaillée de la durée du travail par type d'individu – l'enquête Emploi autrefois annuelle et ponctuelle se déroule désormais en continu.

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Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques, INSEE

Les analyses statistiques détaillées sont utiles : j'ai déjà évoqué par exemple les disparités entre cadres et non-cadres au regard de la RTT. Il reste par ailleurs difficile de mesurer la productivité horaire gagnée selon les catégories de travailleurs.

J'ajoute, en faisant écho à l'expression populaire, que « quand je me regarde, je me désole, mais quand je me compare, je me console ». Notre enquête Emploi est par exemple particulièrement fiable, si on la compare à l'outil similaire allemand. M. Fabrice Lenglart peut vous en parler.

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Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE

La durée du travail déclarée par les salariés est mesurée grâce à l'enquête Emploi. Sous règlement européen, elle consiste à interroger un même nombre de ménages et d'individus toutes les semaines sur leur position par rapport au marché du travail. Les réponses de cette enquête en continu doivent être uniformément réparties durant toute l'année afin d'élaborer une estimation de la durée annuelle du travail. En pratique, lorsque nos collègues allemands trouvent porte close, ils reviennent poser leurs questions trois ou quatre semaines après leur premier passage. Il est apparu que les salariés avaient alors tendance à répondre en décrivant non pas la semaine de leur absence – durant laquelle il y avait de fortes chances qu'ils se soient trouvés en congés –, mais l'une des semaines plus récentes durant laquelle ils avaient travaillé. Ce biais fausse probablement les statistiques en majorant la durée du travail en Allemagne. Notre voisin cherche aujourd'hui à résoudre cette difficulté comme les autres pays qui la rencontrent également. (*°)

Il reste que, lorsque nous souhaitons établir des comparaisons internationales en matière de durée du travail, nous privilégions la source de la comptabilité nationale plutôt que l'enquête menée auprès des ménages. Alors que la première établit que les durées du travail sont relativement proches en France et en Allemagne – avec des chiffres légèrement supérieurs pour la France –, la seconde montre que nos voisins nous dépassent.

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Comment la France a-t-elle résolu cette difficulté ?

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Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE

Notre protocole est strict : nous ne nous donnons jamais plus de quinze jours pour collecter des données concernant une semaine de référence. En cas de non-réponse au terme de ce bref délai, nous opérons une pondération ex post afin de reconstruire une variable utilisable.

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Il est tout de même surprenant que les Allemands n'aient pas modifié leur protocole !

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Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales de l'INSEE

Ils y travaillent mais cela prend du temps. Nous avons porté le sujet au niveau européen et demandé la création d'un groupe de travail.

L'audition se termine à treize heures.

(*) A la demande de M. Jean-Luc Tavernier, les précisions suivantes sont apportées au compte rendu :

« Au-delà de cette question du protocole d'enquête sur le terrain, un deuxième élément, qui n'a pas été donné lors de l'audition, contribue à ce que la mesure du temps de travail dans l'enquête emploi allemande soit surestimée : il s'agit du fait que le questionnaire allemand et le questionnaire français ne sont pas conçus de la même façon.

« Plus précisément, le questionnaire de l'enquête Emploi française n'aborde la question des heures travaillées qu'assez tardivement par rapport au questionnaire allemand. Un répondant français passe en effet par une série de questions, décrivant d'abord les principales caractéristiques de ses horaires en régime courant (quotité de temps de travail, type d'horaires, nombre d'heures habituellement travaillées), puis permettant de se remémorer les événements qui ont pu affecter la semaine de référence pour l'enquête (congés pris, maladie, jours fériés, ponts, RTT, jours de récupération, heures supplémentaires effectuées, chômage partiel, formation, grève). Et ce n'est qu'après cette description des horaires habituels et des événements intervenus lors de la semaine de référence qu'il est demandé au répondant de donner le nombre d'heures effectivement travaillées lors de la semaine de référence.

« Le questionnaire allemand est beaucoup plus direct et interroge l'enquêté sur ses heures travaillées sans détailler préalablement les événements qui ont pu toucher la semaine de référence. Comme les répondants allemands ne sont pas incités à se remémorer précisément les événements intervenus lors de la semaine de référence, ils peuvent plus facilement être amenés à donner à l'enquêteur une réponse ‘standardisée', correspondant à une durée habituelle ou contractuelle ne prenant pas en compte les spécificités de la semaine de référence, notamment les absences. »

Présences en réunion

Présents. - M. Jean-Pierre Gorges, M. Philippe Noguès, M. Denys Robiliard, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun

Excusés. - M. Damien Abad, Mme Jacqueline Maquet