Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du 19 mai 2016 à 9h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures dix.

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Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin des représentants du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNISPV) et du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture (SNTMA).

M. Laurent Lasne et Mme Sylvie Pupulin s'exprimeront au nom du SNISPV dont ils sont, respectivement, président et secrétaire générale. M. Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint, et Mme Alexandra Taillandier, secrétaire départementale du Tarn, prendront la parole au nom du SNTMA.

Je rappelle que les auditions de notre commission d'enquête sont ouvertes à la presse et visible par l'ensemble de nos concitoyens puisqu'elles sont retransmises en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale. Je crois savoir qu'elles sont suivies, parfois même très suivies. Il arrive également qu'elles soient diffusées en direct ou en différé sur la chaîne LCP.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d'enquête, je vous demande de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Laurent Lasne, Mme Sylvie Pupulin, M. Stéphane Touzet, et Mme Alexandra Taillandier prêtent successivement serment.)

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Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

J'ai l'honneur de présider le syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, qui représente les vétérinaires travaillant à titre principal pour l'État, soit environ 800 fonctionnaires, et 550 agents contractuels représentant 300 équivalents temps plein : certains travaillent donc à temps plein pour l'État, d'autres à temps très partiel. Notre syndicat ne représente que les personnels qui travaillent à plus de 50 % pour l'État.

Les images qui sont à l'origine de notre présence devant vous sont inacceptables. Elles ont choqué tout le monde, y compris les professionnels que nous sommes. En même temps, elles ne sont pas représentatives de l'activité des abattoirs français, ni même, je crois, de l'activité quotidienne des trois établissements mis en cause. Nous ne contestons évidemment pas la réalité de ces images, mais elles ne représentent probablement pas la réalité quotidienne des abattoirs en question.

Les abattoirs sont des entreprises fermées – on a parlé de « boîtes noires ». Après les salariés, les techniciens ou les vétérinaires que nos syndicats représentent sont probablement les personnes qui connaissent le mieux l'abattoir pour y travailler tous les jours. C'est donc à ce titre que nous répondrons à vos questions ; nous nous sentons tout spécialement concernés par la question de la protection animale, notamment en abattoir.

D'ores et déjà, la médiatisation qui a entouré ce sujet et les travaux du Parlement facilitent le travail de nos collègues en abattoir, en faisant émerger un problème qui restait jusqu'alors confiné dans la « boîte noire ».

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Le SNTMA est le premier syndicat des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture qui comprennent les inspecteurs sanitaires en abattoirs.

Je commencerai par quelques éléments de contexte.

Vous avez déjà découvert la grande diversité des abattoirs, que ce soit en termes de structure, d'activité ou de gestion. Il est important d'avoir à l'esprit que nous sommes chargés de faire appliquer une réglementation partout de la même manière, alors que les établissements sont tous différents.

Nous souhaitons aussi insister sur les conditions de travail en abattoir qui génèrent une grande pénibilité : des horaires particuliers, des écarts de températures importants, du bruit, de l'agitation, un travail posté avec, la plupart du temps, l'exigence d'un haut rendement ; d'où de la fatigue, des troubles musculosquelettiques, des accidents du travail. Et tout cela dans un contexte de mise à mort massive et de stress.

Certes, ce n'est pas le bagne : les conditions de travail évoluent ; j'espère que des salariés viendront vous parler de leur travail. Reste qu'il faut avoir ces données à l'esprit : lorsque l'on est très fatigué, on ne réagit pas de la même manière que lorsqu'on est serein dans un environnement chatoyant.

Il faut aussi savoir que tous les postes de l'abattoir ne demandent pas le même niveau de qualification. Mais on constate souvent une rotation massive des salariés, qui parfois remet en cause les efforts de formation.

J'insiste enfin sur le fait que l'essentiel aux yeux des opérateurs, c'est la production. Lorsque tout va bien, d'autres paramètres peuvent être pris en compte ; mais si les choses se compliquent, la priorité reste que la production se fasse. C'est un simple constat.

J'en viens aux missions des techniciens à l'abattoir.

Nous réalisons différentes tâches d'inspection et de contrôle officiels sous la responsabilité des vétérinaires. La protection animale en fait partie. Nous sommes donc présents en permanence aux postes d'inspection qui sont matérialisés et dans la plupart des cas adaptés à nos missions. Durant l'abattage, un inspecteur est assigné à ce poste spécifique. Pour le reste, nos missions peuvent s'exercer n'importe où dans l'abattoir, selon les nécessités. Mais si l'inspecteur est seul, il ne pourra le faire qu'après ; l'inspection systématique doit être effectuée coûte que coûte durant l'abattage, en direct.

Quant à nos relations avec les abatteurs, on pourrait les qualifier de complexes : il y a une relation contrôlé-contrôleur, mais également une relation de réelle proximité : nos tâches et nos journées de travail sont étroitement liées ; elles dépendent pratiquement les unes des autres. Nous sommes formés pour gérer cela et travailler dans ces conditions, mais cet élément doit aussi être pris en compte.

J'insiste sur la forte implication de nos collègues, particulièrement dans les petites structures dans lesquelles ils sont souvent amenés à s'adapter aux contraintes et aux problèmes de fonctionnement qui peuvent survenir : les journées de travail peuvent être totalement décalées parce qu'un camion arrive en retard… Les collègues parlent souvent de « leur » abattoir. Il faut aussi garder cela à l'esprit, même si, je le répète, nous sommes formés pour savoir quels sont notre place et notre rôle.

Quels sont nos moyens d'action ? Ils vont de la pédagogie et la persuasion, à la notification des anomalies, voire à la mise en demeure. Nous avons des cahiers de liaison, nous avons la possibilité de rédiger des rapports ainsi que des procès-verbaux. Nous pouvons, si cela est nécessaire, arrêter la chaîne d'abattage, mais il s'agit d'un acte lourd, d'une décision très difficile à prendre dans le contexte d'impératifs de production que je vous ai décrit, avec des gens qui travaillent à l'abattoir, des animaux qui attendent.

L'ultime recours est le déclassement d'un abattoir, qui peut être très lourd de conséquence. Il est également possible de proposer la suspension ou le retrait de l'agrément de l'abattoir.

Quelles difficultés principales peut-on rencontrer lors du contrôle officiel ?

Le problème principal est celui des effectifs de plus en plus tendus en raison des réductions de personnels. Durant des années, ces dernières n'étaient fondées que sur une approche statistique et des objectifs chiffrés, sans tenir compte du travail effectué. Il arrive nécessairement un moment où cela devient compliqué. Au moindre problème du côté des abattoirs ou des inspecteurs qui peuvent par exemple rencontrer des ennuis de santé, il devient très difficile d'avoir toujours la personne qualifiée et en état de travailler au bon endroit.

Autre difficulté, les fortes pressions économiques et politiques dont nous pouvons faire l'objet. Les enjeux financiers, sociaux, et agricoles sont lourds – ne serait-ce qu'en termes d'emplois ; nous en avons conscience. Dès qu'ils veulent agir, les inspecteurs savent qu'ils peuvent très vite devenir des « empêcheurs de tourner en rond ». C'est alors que l'implication, l'investissement de la chaîne hiérarchique deviennent essentiels. Si un inspecteur qui a mis un PV n'est pas soutenu à l'échelon supérieur, et que sa démarche n'aboutit pas, il deviendra la risée de l'abattoir dans lequel il travaille ; il sera même désigné comme celui qui veut nous empêcher de travailler et qui invente des histoires… Si vous êtes décrédibilisé sur votre lieu de travail, il devient très difficile de continuer à travailler au quotidien.

Vous souhaitez évidemment nous entendre sur les images diffusées.

Nous ne contestons pas leur véracité, mais elles ne sont pas du tout représentatives de la généralité des abattoirs. Nous les condamnons de manière nette et incontestable.

Ces images ont toutes été prises au niveau du poste d'abattage, autrement dit à l'endroit le plus sensationnel, le plus spectaculaire, le plus émotionnel de la chaîne. Il y a d'autres endroits où l'on voit des animaux vivants dans l'abattoir : au niveau des quais de déchargement, dans les loges, les couloirs… La question du bien-être animal ne se résume pas à ce qui se passe au poste d'abattage, loin de là. Des problèmes peuvent se poser dans bien d'autres endroits.

Trois problèmes ressortent des films que nous avons visionnés : le défaut d'étourdissement, les animaux échappés, et les maltraitances volontaires.

La question de l'étourdissement, nous ramène à celle du réglage des appareils. Il nous revient de vérifier qu'ils fonctionnent correctement, ce que nous faisons du mieux que nous pouvons. Votre commission d'enquête a beaucoup évoqué les abattages rituels qui constituent une exception à l'étourdissement – avec les abattages familiaux qu'il ne faut pas oublier car ils se pratiquent encore beaucoup dans les campagnes sur les petits animaux.

J'ai participé l'an dernier, au Royaume-Uni, à une conférence sur le bien-être animal : plus de 80 % des animaux abattus selon le rituel halal sont désormais étourdis soit de façon synchronisée, soit après jugulation – en revanche aucune dérogation n'est admise lors de l'abattage casher.

Ces abattages particuliers ne sont pas compris par tout le monde. Ils sont même parfois instrumentalisés pour justifier les dysfonctionnements de postes d'étourdissement. « De toute façon, hier, vous ne nous avez rien dit et, demain, vous ne direz rien lorsque nous abattrons différemment » nous rétorque-t-on ! Tout cela n'est donc pas anodin, même si nous n'avons pas de position claire sur le sujet.

Si les animaux s'échappent, c'est souvent que les équipements ne sont pas adaptés à une espèce ou à leur gabarit. Les abattoirs peuvent changer d'activité ou ne pas disposer de tous les équipements nécessaires. La qualité de la contention compte aussi : les animaux ne réagissent pas de la même manière selon la façon dont on « s'adresse » à eux. La question de la formation des personnels est essentielle en ce domaine. Certains savent très bien faire, d'autres moins.

Ce qui relève de la maltraitance, et les crises de violence des opérateurs dont témoignent les images sont à la fois pour nous complètement inexcusables et, j'allais dire, incompréhensibles. Ou bien nous avons affaire à des malades qu'il faut diagnostiquer, et ils doivent changer de métier, ou bien, et c'est ce que les collègues qui ont été confrontés à ces situations nous disent, il s'agit de gens qui ont « pété les plombs » à cause de l'accumulation des problèmes, des dysfonctionnements, de la fatigue et du stress. Je ne cherche évidemment à excuser personne. Si nous constatons de tels comportements, nous n'avons qu'une seule conduite à tenir : les sanctionner si nous n'avons pas pu prévenir. Nous n'avons malheureusement pas d'autres explications que ces deux-là.

Avant de conclure, permettez-moi de faire un point sur l'actualité des problèmes de bien-être animal.

J'ai parlé de l'étourdissement et des mauvais traitements, mais il faut aussi signaler qu'arrivent parfois à l'abattoir des animaux qui ne sont pas en état d'être abattus. Notre travail consiste aussi à les identifier. Ils n'auraient pas dû faire le trajet : il fallait soit les conserver à l'élevage soit les euthanasier. Ce problème de bien-être animal ne doit pas être imputé à l'opérateur. Certaines images sensationnelles ne sont pas le fait de l'abattoir : l'élevage est un monde vivant, il peut aussi s'y poser des problèmes.

Plusieurs pistes ont été évoquées pour des améliorations.

La solution des caméras nous semble un peu surréaliste. Qui va regarder ce qu'auront filmé plusieurs caméras pendant dix, douze, quatorze ou quinze heures ? Ce sera un travail énorme. Tout dépend aussi de l'endroit où elles seront placées. Nous avons un peu de mal à imaginer comment cette solution s'appliquerait, mais nous sommes évidemment prêts à travailler sur le sujet, sachant qu'il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l'aspect légal de la question.

La création de référents bien-être animal et le statut de lanceur d'alerte peuvent être une solution efficace quand les choses vont bien, et même un « plus » indispensable termes de formation, de progrès, de tout ce qu'on voudra. En revanche, lorsque les choses vont mal, nous savons d'expérience que l'action des référents est limitée, voire totalement illusoire – les opérateurs le confirment eux-mêmes.

La création d'un délit de maltraitance est une autre piste importante. Le passage de la contravention au délit rend toutefois les choses plus compliquées. Il reste essentiel de disposer d'une réglementation opérationnelle : on peut faire toutes les réglementations qu'on veut, encore faut-il être en situation de les faire appliquer.

Pour conclure, nous nous considérons certainement comme le dernier rempart lorsque les choses vont mal – le « nous » désigne les services. Fragiliser ce rempart hypothèque l'avenir en termes de bien-être animal et de sécurité alimentaire.

La révision en cours du règlement européen 8822004, qui est notre base réglementaire, notamment celle de son article 15, nous inquiète beaucoup. Cette révision pourrait donner à la Commission européenne les pleins pouvoirs pour modifier les modalités de réalisation des contrôles officiels, alors que ceux-ci relèvent plutôt du pouvoir législatif. La révision de cet article pourrait modifier les règles en matière de présence des inspecteurs et de délégation des missions. Le « trilogue » ayant lieu en ce moment, nous n'en savons pas davantage, mais les informations dont nous disposons ne sont pas très rassurantes.

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Vous êtes effectivement un maillon essentiel de la chaîne, parfois même l'ultime maillon. Le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt nous a présenté hier les résultats de l'inspection générale qu'il a diligentée après le scandale causé par la diffusion de vidéos de l'association L214. Ces résultats sont assez éclairants. Comment se sont déroulées ces inspections spécifiques relatives à la protection animale ? Peut-on imaginer que d'autres phases d'inspection massives, généralisées et inopinées seront organisées à l'avenir sur cette même thématique ?

Hier matin, un quotidien a publié une interview de M. Martial Albar, qui se présente comme un ex-inspecteur des services vétérinaires. Celui-ci dresse un panorama cataclysmique des abattoirs français. Nous avons évoqué la question avec le ministre qui nous a fourni quelques éléments sur le parcours professionnel de cette personne. M. Albar soutient qu'aucune réflexion n'est menée sur l'étourdissement. Cela m'a surpris, car notre commission d'enquête a reçu la semaine dernière plusieurs chercheurs et universitaires qui ont précisément travaillé sur ce sujet.

Quels sont les signes de perte de conscience et de reprise de conscience de l'animal que les techniciens et les vétérinaires utilisent en abattoir ? Sont-ils identiques à ceux utilisés par les opérateurs, comme ceux de l'abattoir de Feignies, près de Maubeuge, où nous nous sommes rendus le lundi 9 mai au matin de façon inopinée ?

On peut aujourd'hui considérer que le principe de la vidéosurveillance à l'intérieur des abattoirs fait quasiment l'unanimité. Le ministre a lui-même indiqué qu'il n'y était pas hostile par principe. En revanche, les conditions de mise en oeuvre, les règles et les modalités applicables font aujourd'hui débat. Êtes-vous favorables à la mise en place de ces dispositifs ? Selon vous, qui devrait être en charge du visionnage et du contrôle de ces images, notamment celles de la phase critique de l'étourdissement et de l'abattage ? Nous savons comme vous que la question du bien-être animal se pose lors de toutes les phases, que ce soit au moment du transport ou dans les salles de stabulation, mais celle-là est particulière.

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Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Le ministère a dû réagir à l'actualité : les inspections spécifiques à la protection animale sont une bonne chose. Elles ont été menées en terrain favorable : les abattoirs étaient réceptifs en raison de l'écho médiatique du scandale. Autrement dit, le terreau est fertile et l'on peut espérer que ces inspections seront suivies d'effets et que les abatteurs intégreront les remarques auxquelles elles ont donné lieu, y compris celles qui leur avaient été notifiées depuis longtemps, mais dans des cadres moins formels et médiatiques, et mèneront les actions correctrices nécessaires. Cela fera progresser la situation.

Rappelons que le rôle des services vétérinaires dans les abattoirs ne se limite pas à la protection animale. L'inspection permanente en abattoir a trois objectifs. L'un consiste à repérer les maladies contagieuses qui ne l'auraient pas été en élevage, notamment grâce à l'inspection ante mortem. C'est en bouverie d'abattoir que le Royaume-Uni a détecté la fièvre aphteuse sur son territoire. Un autre objectif consiste à protéger la santé publique : ces services garantissent que la viande mise sur le marché est propre à la consommation humaine. Les abattoirs, par le fait qu'ils constituent des goulots d'étranglement, ont énormément fait progresser la filière viande sur ce plan. Je rappelle que des milliers d'élevages apportent leurs animaux en abattoir, et que la viande en ressort, pour alimenter des milliers de boucheries ou d'établissements de découpe. L'abattoir a été déterminant pour faire reculer des maladies contagieuses pour l'homme, comme la tuberculose. Un dernier objectif consiste, pour les services, à veiller à la protection des animaux en abattoirs. Les actions des services en abattoir sont très codifiées : une inspection ante mortem obligatoire – chaque animal doit être vu vivant – est suivie d'une inspection post mortem, également obligatoire, qui est une sorte de mini-autopsie de l'animal mort. Chaque carcasse est inspectée avec les abats correspondants : elle fait l'objet d'un certain nombre d'observations, de palpations, d'incisions, et de prélèvements très codifiés. Ces deux étapes sont des passages obligés, on n'y coupe pas, et l'engagement des services publics est matérialisé par l'apposition d'une estampille sur la carcasse, un sceau de l'État, qui atteste que celle-ci est propre à la consommation. Ces deux inspections sont particulièrement consommatrices d'effectifs, et leur volume est fonction de l'activité de l'abattoir, sur laquelle nous n'avons pas la main.

De ce fait, lorsque les effectifs ont diminué, le nombre des personnels affectés à l'inspection ante et post mortem n'a pas décru. Les réductions d'effectifs ont en revanche eu un impact sur les autres catégories de personnels effectuant des tâches moins codifiées, comme la supervision du tri des sous-produits, l'inspection d'hygiène des ateliers de découpe en aval de l'abattoir, mais aussi les inspections aux postes d'étourdissement et de saignée.

Il est donc possible que la réduction des effectifs de 20 % ait eu comme conséquence un allégement de la fréquence des contrôles en protection animale. Nous espérons que, derrière l'action ponctuelle menée actuellement, un objectif sera fixé en termes de régularité pour des inspections sur ce sujet.

Je ne connais pas M. Albar. J'ai plutôt tendance à faire confiance aux organismes scientifiques qui sont venus témoigner devant vous plutôt qu'à un article de quotidien. Les chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), que vous avez reçus, estiment que l'électronarcose fait perdre conscience à l'animal. En tant que vétérinaire, j'ai l'impression que c'est bien le cas. Je ne veux pas commenter davantage des propos parus dans la presse.

Il n'existe pas un signe unique qui attesterait à coup sûr de la perte de conscience de l'animal. Nous sommes sur du vivant. C'est ce qui fait la complexité de notre métier, mais aussi sa richesse. Il y a d'ailleurs du vivant des deux côtés : au-delà de l'aspect biologique de l'animal, les interventions manuelles humaines restent nombreuses, malgré la mécanisation. Les collègues de l'INRA et de l'ANSES ont évoqué devant vous quelques signes que nous utilisons. Certains doivent être interprétés avec prudence, comme le réflexe oculo-palpébral. On touche l'oeil de l'animal ; s'il ne cligne pas de l'oeil, on peut considérer il n'est pas conscient ; s'il cligne de l'oeil, il peut être conscient, mais il peut ne pas l'être… Autrement dit, certaines interprétations peuvent n'être que conservatoires. Il faut donc savoir croiser les signes : le réflexe oculo-palpébral, le maintien d'une respiration rythmique, le positionnement de la tête, la réaction à la menace… Il est indispensable d'être présent au poste d'abattage pour évaluer ces signes et pour pouvoir réaliser des stimuli sur l'animal.

Cela nous amène à la question de la vidéosurveillance. Pourquoi pas ? Mais attention aux formules magiques : il n'y en a pas. La vidéosurveillance pourrait être une aide pour l'inspection au poste de saignée, mais elle ne remplacera pas l'inspection à ce poste, effectuée à une fréquence régulière à déterminer. Cela peut être un complément.

Pour ce qui est des images enregistrées, c'est au responsable de l'abattoir en premier lieu qu'il revient de les exploiter pour superviser ses équipes, mais aussi pour l'empêcher de se dédouaner de sa responsabilité. Reste à voir si les services d'inspection pourront utiliser ces images par sondages ; encore faudrait-il savoir quelle charge de travail cela représente : il serait absurde de retirer des inspecteurs des postes physiques pour les installer derrière un écran. Les images pourront-elles être utilisées comme preuve pour prendre des mesures de police administrative ou des mesures pénales ? Cela aussi mérite d'être creusé.

Faisons cependant attention aux images. Certaines de celles qui ont été diffusées par l'association L124 sont totalement impossibles à interpréter. Lorsque l'on voit, de dos, un animal suspendu en train de « pédaler », on ne sait pas s'il s'agit de mouvements conscients, parce qu'il souffre, ou de mouvements réflexes – dans ce cas l'animal ne souffre pas. Pour s'en assurer, il faut voir tout l'animal et pratiquer des stimuli. Certaines réactions très spectaculaires pour le grand public ne traduisent pas nécessairement une souffrance animale : ce ne sont que des mouvements réflexes.

L'ouvrier d'abattoir est le premier responsable pénal des actes qu'il commet. En même temps, la direction de l'abattoir ne peut pas s'exonérer totalement de ses responsabilités dans un certain nombre de situations. C'est elle qui a les leviers sur la formation de son personnel, sur la cadence de la chaîne, sur le format des animaux traités, sur le choix du matériel. Si l'abattoir a acheté un matériel destiné aux gros animaux et qu'il en commande des petits, l'opérateur ne pourra pas travailler correctement. Peut-être faudrait-il réfléchir, en cas de maltraitance récurrente, à impliquer pénalement le responsable de l'établissement au-delà du seul opérateur.

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Peut-on imaginer voir perdurer et même développer les inspections relatives au bien-être animal ? Nous le souhaitons parce que l'ouverture et la transparence permettent d'avancer. En tant qu'inspecteurs, lorsqu'on nous parle de nouvelles inspections nous disons oui, mais nous nous demandons toujours qui va les faire, quand et comment… Je ne vois pas d'objection sur le principe, mais il faut régler les vraies questions qui sont pratiques et matérielles.

Je vous confirme que Martial Albar est bien un ancien technicien des services vétérinaires – nous portions ce nom, à l'époque. Je ne connais pas son cursus professionnel ; il vous a été présenté, je n'y reviens pas. Son interview est quasiment un procès-verbal. Lorsque nous sommes amenés à rencontrer le procureur, nous lui faisons part de nos constats sous cette forme : « Je me suis rendu à tel endroit à telle date – il ne le dit pas, mais c'est peut-être mieux –, j'ai vu ceci, j'ai vu cela. » Il est possible qu'il ait vu ce qu'il raconte, nous n'allons pas le contester, mais nous nous interrogeons : qu'a-t-il fait de ce qu'il a constaté à l'époque ? Nous sommes assermentés, et lorsque nous sommes témoins de scènes comme celles qu'a vues M. Albar, nous sommes tenus d'agir, même s'il nous appartient de faire preuve de discernement selon le contexte et les actes concernés. Reste que si nous constatons des infractions, notre première obligation est d'en référer à la justice, surtout lorsqu'il s'agit d'infractions du type de celles que décrit M. Albar. Il s'exprime douze ans après les faits ; mais sur le moment, qu'a-t-il fait ?

Bien sûr, il peut nous arriver de voir ce genre de choses. Mais il faut tout de même prendre cet article avec précaution : il part de faits extrêmes et exceptionnels et glisse ensuite vers la description de pratiques comme l'éviscération, qui sont peut-être « gores », comme on dit aujourd'hui, mais qui font partie de l'abattage. C'est comme cela, et c'est fait aussi proprement et aussi déontologiquement que possible, nous sommes là pour y veiller de notre mieux. Mais faire un lien direct entre des scènes extrêmes et le quotidien de l'abattoir ne nous paraît pas procéder d'un raisonnement très sain.

De la même façon, le rapport rédigé par Marcel Albar pour l'association L214, cherche à tirer des règles de faits constatés. Ce n'est pas ainsi que l'on raisonne : on peut casser une règle à partir d'un contre-exemple, mais on ne peut pas en construire une à partir d'un seul exemple. C'est en tout cas ce que j'ai appris à l'école…

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Alexandra Taillandier, secrétaire départementale SNTMA-FO du Tarn

Je reviens sur la question des signes de perte de conscience des animaux. En raison de la baisse des effectifs, les collègues ne peuvent pas se trouver en permanence au poste d'inspection qui se situe au niveau de la mise à mort pour s'assurer de la perte de conscience des animaux. Dans bon nombre d'abattoirs, les ouvriers en charge de la mise à mort effectuent eux-mêmes cette vérification. Ils sont formés pour cela, et leurs références en la matière sont les mêmes que les nôtres. Ils sont censés vérifier l'état de conscience de l'animal avant de l'affaler et de le saigner.

Pour revenir sur le cas de notre ancien collègue, je crois que chacun vit l'abattoir différemment. Travailler en abattoir exige d'avoir suffisamment de recul dans l'approche de la mort et surtout de ne pas tomber dans le sentimentalisme. Il est très important de savoir garder la distance nécessaire afin de mener nos inspections en toute connaissance de cause et en toute impartialité.

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Qui visionnera et contrôlera les images prises par les caméras qui pourraient être installées dans les abattoirs ? Cela représenterait, en tout cas, un travail considérable. Que fera-t-on de ces images ? Sur ce sujet, nous avons plus de questions que de réponses.

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Alexandra Taillandier, secrétaire départementale SNTMA-FO du Tarn

Ces vidéos pourraient être très utiles en termes de pédagogie pour le personnel de l'abattoir si les choses sont mises en place correctement par les responsables de l'entreprise. Les personnels des abattoirs se réunissent régulièrement pour travailler sur les questions d'hygiène ou de protection animale – dans de nombreux abattoirs que je connais, ces réunions sont mensuelles. À cette occasion, le visionnage d'extraits de vidéos pourrait être l'occasion de corriger le tir en cas de besoin, d'être plus réactifs.

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Les vidéos peuvent incontestablement constituer un outil de pression sur les opérateurs car ils sauraient qu'ils sont filmés – un peu comme des radars sur les autoroutes. Cependant, certains aspects de ce dossier nous dépassent totalement, notamment ceux concernant les relations au sein des équipes des abattoirs, ou ceux relatifs à la réglementation. Nous ne sommes pas du tout mandatés pour nous prononcer sur ces sujets.

En tout cas, dans l'état actuel des choses et de nos effectifs, j'imagine mal nos services visionner des heures de film à longueur de journée. Une question se pose en effet : qu'en serait-il d'images aussi choquantes que celles diffusées par L214 si elles n'étaient pas visionnées ? À nouveau, le sujet nous dépasse un petit peu.

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Le bien-être animal est aujourd'hui sur le devant de la scène alors que, jusqu'à maintenant, il faut reconnaître, en toute honnêteté, que nous n'étions pas très curieux de savoir ce qui se passait dans la « boîte noire » des abattoirs. Nous ne nous interrogions pas davantage d'ailleurs sur les élevages ou le transport des animaux jusqu'à l'abattoir. En fait, deux sujets de préoccupation dominaient, au demeurant parfaitement légitimes : la sécurité des salariés, même si beaucoup reste à faire dans ce domaine sur le plan de la formation et des pratiques, et surtout, le consommateur ne s'en plaindra pas, la qualité des produits qui arrivent dans son assiette.

Monsieur Touzet, vous déclarez que les faits de maltraitance sont exceptionnels. En votre âme et conscience, en êtes-vous sûrs, en êtes-vous intimement persuadé ? Pour ma part, je n'en suis pas aussi convaincue.

En vous entendant tous, je me dis que vous n'êtes sans doute pas mécontents que d'autres aient enfin mis le sujet sur la place publique. La maltraitance est là, on ne peut pas continuer à se voiler la face : parce que vous observez tout cela de plus près que le consommateur, vous pensez qu'il est temps que l'on se penche sur le problème. Suis-je en train de me tromper ?

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Nous avons écouté très attentivement vos propos : ils viennent de gens qui sont sur le terrain et qui savent de quoi ils parlent.

Monsieur Touzet, vous nous avez décrit, dans votre propos liminaire, un métier difficile et des conditions de travail contraignantes : parliez-vous des ouvriers des abattoirs ou des personnels des services sanitaires ?

Monsieur Lasne, si je vous ai bien compris, parmi les missions que vous exercez en abattoir, celle relative à la protection de la santé publique n'a pas eu à souffrir des baisses d'effectifs constatées ces dernières années. Est-ce à dire que vos autres missions, comme celle relative à la prise en compte du bien-être animal, constituent des variables d'ajustement ? Le curseur s'est-il beaucoup trop déplacé en défaveur de la protection animale ou de l'inspection ante mortem ? Avez-vous le temps d'inspecter les animaux dans les bouveries avant l'abattage ?

Monsieur Touzet, en nous détaillant vos moyens d'action, vous avez insisté sur l'importance pour un inspecteur du soutien que doit lui apporter sa hiérarchie. Rencontrez-vous fréquemment des problèmes de ce point de vue ?

Je vous ai entendu dire que 80 % de l'abattage halal se ferait avec étourdissement…

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Au Royaume-Uni.

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Ce détail m'avait échappé. Cela répond à ma question.

Pensez-vous les uns et les autres qu'il serait possible d'archiver l'ensemble des images qui pourraient être filmées en abattoirs ? Il ne me paraît guère envisageable qu'elles soient visionnées intégralement en direct. En revanche, les images archivées pourraient être utilisées à des fins pédagogiques ou pour témoigner, à charge ou à décharge, du comportement des employés ou du fonctionnement du matériel. Cette solution, qui ne suppose pas un visionnage permanent, vous paraît-elle intéressante ? Monsieur Lasne, vous considérez que les images doivent être visionnées par la direction de l'abattoir. Mais le fait que l'oeil du patron soit en permanence fixé sur le travail des ouvriers ne pose-t-il pas un problème social ?

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N'ayant jamais visité d'abattoir, j'ai découvert certaines choses en vous écoutant.

Monsieur Touzet, vous avez eu l'air plutôt réservé, pour ne pas dire réticent, à l'idée d'utiliser des caméras dans l'abattoir. De votre côté, monsieur Lasne, vous considérez que le directeur de l'abattoir pourrait ainsi superviser ses équipes.

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Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Pas vraiment.

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C'est ce que vous avez dit. En tout cas, c'est vraiment ce qu'il ne faut pas faire, si vous voulez mon sentiment. Comme M. Lamblin, je pense que l'on ne peut pas tout visionner et que les images peuvent, à la limite, permettre d'effectuer des contrôles ponctuels. Mais, elles ne doivent en aucune manière servir à vérifier si le personnel respecte la cadence – cela a été rappelé, nous sommes dans un univers marqué par le stress et les impératifs de production et de rentabilité.

Nous parlons du bien-être animal, mais il ne faut pas oublier celui des hommes, qui travaillent dans des conditions très éprouvantes. M. Touzet a évoqué la pénibilité des métiers de l'abattoir. Nos collègues qui ont visité hier celui de Feignies, dans le département du Nord, territoire durement touché par le chômage, nous ont rapporté que le directeur était prêt à prendre vingt personnes en formation, s'il les trouvait !

Ces métiers sont très difficiles. Les salariés sont soumis au stress alors qu'ils peuvent par ailleurs rencontrer des problèmes « personnels », familiaux ou autres. L'abattoir du Vigan, dans lequel certaines des images diffusées ont été filmées, se trouve dans ma circonscription. Le jeune que l'on voit jeter des moutons a complètement pété les plombs – vous-même avez employé l'expression, monsieur Touzet. Mais j'ai parlé avec les gens : ce jeune, il n'était pas comme ça. Peut-être que l'on flanche lorsque l'on est pris dans un engrenage, vous l'avez dit aussi.

Hier, le ministre nous a indiqué que des problèmes ont été détectés dans un tiers des 259 abattoirs inspectés au mois d'avril : 99 rappels à la règle ont été émis. Ces chiffres sont tout de même relativement élevés. Vous nous avez fourni certaines explications, comme le fait que vous ne pouvez pas en même temps, occuper un poste d'inspection qui exige une présence permanente, et vérifier ce qui se passe ailleurs dans la chaîne. Vous êtes aussi parfois considérés comme des « empêcheurs de tourner en rond », ce qui ne rend pas votre travail aisé : vous vous retrouvez entre le marteau et l'enclume. Faire remonter les choses devient de plus en plus difficile. On sait bien que c'est la direction de l'abattoir qui a la responsabilité des cadences, de la production, de la rentabilité ; je me doute que le dialogue ne doit pas être toujours évident.

La formation des abatteurs n'est peut-être pas suffisante – on nous a parlé d'une durée limitée à quarante-huit heures. Pensez-vous qu'il faudrait davantage de formation initiale et de formation continue ? M. Touzet a parlé des rotations entre les postes ; or certains exigent une plus grande technicité que d'autres.

Il peut aussi y avoir des difficultés liées au matériel. Alors que les plus gros abattoirs sont spécialisés par espèce, les plus petits font tout – celui de Vigan produit 300 tonnes par an. Il faut avoir le matériel adapté. Quand les bêtes ont toutes le même calibre, à peu de choses près, c'est plus facile.

La baisse de 20 % des effectifs a sans doute contribué à ce que, parmi les trois missions que vous nous avez décrites, monsieur Lasne, la protection animale en abattoir ait bénéficié de moins d'attention que le sanitaire et la santé publique : après les crises de la vache folle et autres, il n'est pas surprenant que la priorité leur ait été réservée aux dépens de ce qui posait le moins de problèmes. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Dans ma circonscription, 50 % de la production de l'abattoir d'Alès est traitée selon le rituel halal. Quelle est la formation exacte des sacrificateurs ? Il paraît que des organismes religieux organisent des formations. Certaines mosquées seraient d'accord pour pratiquer un étourdissement, les autres le refusent. Quel est votre point de vue sur ces sujets ?

D'après ce que l'on nous a dit hier de votre ancien collègue qui a donné une interview à Libération, il semblerait que ce monsieur ne soit allé que trois fois dans un abattoir en douze ans… Votre parole ayant un autre poids que la sienne, il serait intéressant que vous puissiez vous exprimer clairement sur ses propos, d'autant que votre audition est ouverte à la presse : elle verra ainsi ce qu'il lui arrive de rapporter sans se soucier de respecter la déontologie ou de vérifier ses sources…

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Pour ma part, contrairement à William Dumas, j'ai visité quelques abattoirs, mais un passage rapide ne permet pas d'en connaître le fonctionnement.

Lorsque je suis sur place, j'entends presque toujours les salariés dire que la cadence a été réduite en raison de la présence de visiteurs. À votre connaissance, diminue-t-on toujours le rythme de la chaîne d'abattage dans ce cas ?

Lorsque les abattoirs fonctionnent, les inspecteurs et les vétérinaires assurent-ils une surveillance permanente, sont-ils toujours présents ? Les plages horaires sont parfois très longues – plusieurs abattoirs sont organisés en deux-huit.

Certains types d'abattoirs fonctionnent-ils mieux que d'autres ? Les gros abattoirs mono-espèce ne rencontreraient aucun problème majeur au contraire des petits abattoirs multi-espèces, où ce peut être parfois plus compliqué.

On nous a parlé de moments qui peuvent être difficiles à gérer pour les opérateurs à la tuerie. Le tueur, ou un autre opérateur exposé, peut en effet ne pas se sentir bien à un moment donné. Ces salariés font-ils l'objet d'une attention particulière afin de prévenir les situations qui pourraient dégénérer ? Même si l'on s'habitue à tout, l'ambiance et les conditions de travail en abattoir ne sont pas faciles.

Le ministre nous a annoncé hier un maintien des effectifs, qui tranche avec les suppressions passées. Constatez-vous dans la réalité que les postes sont préservés ?

Les abattoirs rencontrent-ils vraiment des difficultés pour recruter ? Sur ce point, j'ai recueilli des témoignages contradictoires : le représentant des cadres du plus gros opérateur français me dit qu'il n'y a aucune difficulté de recrutement dans ses structures.

Existe-t-il des pays, notamment dans l'Union européenne, dont le fonctionnement des abattoirs vous paraîtrait exemplaire ?

Nous avons entendu parler d'une grande dame américaine, Mme Temple Grandin. Pourriez-vous nous dire ce qu'elle a apporté à l'abattage ?

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Je vous prie d'excuser mon départ mais je dois intervenir dans quelques instants dans l'hémicycle sur la prorogation de l'état d'urgence. Je laisse la présidence à Mme Annick Le Loch.

(Mme Annick Le Loch préside la réunion en remplacement de M. Olivier Falorni)

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Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Si vous le permettez, je laisserai mes collègues traiter de la question relative à Temple Grandin,…

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Moi aussi ! (Sourires.)

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Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

… faute d'être en mesure d'y répondre.

Formellement, la direction de l'abattoir est l'interlocuteur principal du service d'inspection, même si, évidemment, des relations se nouent au quotidien avec les ouvriers ou l'encadrement. Il n'appartient pas aux services d'inspection de l'État de gérer telle ou telle situation individuelle d'un salarié qui aurait des difficultés psychologiques ou autres. Si nous sommes confrontés à cette situation, nous en référons au directeur de l'abattoir qui devra réagir. Je ne sais pas si les fédérations d'abattoirs ou les abatteurs intègrent ces risques psychologiques, mais j'espère que c'est le cas, car les métiers en question sont particuliers.

Madame Allaux, sommes-nous contents que les problèmes des abattoirs aient été mis en lumière par cette affaire ? Nous le sommes en partie, car cela valorise le secteur industriel de l'abattage, mais aussi l'activité de nos services dans les abattoirs qui est méconnue – notre activité dans les restaurants ou contre les maladies animales comme l'influenza aviaire, en ce moment, dans le Sud-Ouest, l'est bien davantage. Cela valorise, en conséquence, un métier qui peut être jugé ingrat, mais qui est utile : on a rappelé nos trois missions principales.

La médiatisation nous aide aussi à faire passer nos messages. Nous sommes longtemps restés avec l'abatteur dans une relation bilatérale, de contrôleur à contrôlé, en vase clos, une sorte de jeu de chat et de la souris. Cela pose deux difficultés.

Comme nos collègues techniciens, nous devons sensibiliser l'ensemble de la chaîne hiérarchique, de notre direction jusqu'au préfet. La situation en la matière dépend du département concerné, mais les choses sont devenues plus compliquées avec la réforme de l'administration territoriale de l'État. Les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) ont un champ d'intervention très large, qui va de l'hébergement d'urgence pendant le plan grand froid jusqu'à l'intégration des réfugiés politiques. Dans un périmètre aussi vaste, la protection animale en abattoir peut ne pas se trouver sur le haut de la pile des priorités du directeur ou du préfet. Et en toute honnêteté, je ne connais pas d'abattoir qui ait été jusqu'à présent fermé en France uniquement pour des raisons de protection animale : on a vu des abattoirs fermés en raison de conditions d'hygiène qui mettaient en péril la santé publique – décision peu facile, en raison des emplois directs et indirects à la clé –, mais jamais pour non-respect de la protection animale. Sans être catégorique, je ne crois pas qu'il existe de précédent de ce genre. Il est bon que ce sujet soit mis en avant : cela va sensibiliser les abatteurs.

Je travaille dans le secteur depuis vingt ans : les objectifs de sécurité des aliments ont été largement intégrés. Personne ne remet aujourd'hui en cause l'objectif de produire des viandes saines, mais il a fallu du temps. Cela sera peut-être aussi le cas pour l'intégration pleine et entière des enjeux de protection animale. Les aspects générationnels – les ouvriers d'abattoirs étaient souvent recrutés autrefois sur leur capacité à être durs au mal, et un peu insensibles – et la féminisation du personnel feront sans doute évoluer les choses.

Afin d'éviter que la « boîte » ne se referme lorsque les feux de l'actualité se seront détournés, nous avons une proposition à vous soumettre : ne pourrait-on imaginer une sorte de comité d'éthique des abattoirs, à l'image de ce qui existe dans d'autres secteurs d'activité, comme l'expérimentation animale ? Il peut être nécessaire de tester des médicaments sur les animaux, et les entreprises concernées se dotent généralement de comités d'éthique qui permettent à la société civile d'avoir un regard sur ce qui se passe dans les laboratoires. On pourrait de la même façon envisager des comités d'éthique rattachés aux abattoirs, où la société civile serait représentée par des bouchers, des éleveurs, des consommateurs, des associations de protection animale… Cela nous éviterait de retourner dans un face-à-face entre le service de contrôle et l'abatteur.

Certains abattoirs fonctionnent-ils mieux que d'autres ? Bien sûr, comme dans tout secteur d'activité. La différence en la matière se fait-elle forcément entre grosses et petites structures ? Je ne sais pas. Cela dépend beaucoup de la prise en compte, au plus haut niveau de l'abattoir, des enjeux de protection animale.

Monsieur Dumas, vous m'interpellez sur la responsabilité du directeur auquel il revient de superviser ses équipes. Je ne sais pas si cela passe par l'utilisation de caméras, mais je confirme que cette tâche lui incombe, et qu'il ne peut pas se dissocier de ses équipes. Nous ne pouvons pas admettre qu'un directeur puisse dire : « Cela s'est produit à cinq heures du matin, je n'étais pas là, ce n'est pas de ma responsabilité. »

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Je suis d'accord sur ce point. Je parlais du fait de filmer les salariés en permanence.

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Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Il y a probablement des aspects de droit du travail que je ne maîtrise pas. Le salarié ne peut sans doute pas être filmé en permanence.

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Il ne faut pas que ça soit du flicage !

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Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Non, mais le directeur doit être solidaire de ce qui se passe dans son établissement. Il faut qu'il puisse visionner les images avec ses équipes pour faire de la pédagogie.

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Alexandra Taillandier, secrétaire départementale SNTMA-FO du Tarn

Je reviens sur les difficultés de nos missions. C'est très dur : nous devons nous plier aux horaires de l'abattoir. La journée commence à trois ou quatre heures du matin et, dans les gros abattoirs, elle est organisée en deux-huit ou en trois-huit. En fait, nous nous plions au rythme et à la cadence de la chaîne d'arrivée des animaux. Nous sommes généralement plusieurs collègues : nous réalisons l'inspection ante mortem, nous assistons au déchargement, puis nous prenons notre place sur la chaîne où nous restons au poste d'inspection carcasses-abats tout au long de la tuée.

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Il n'est pas question de choisir entre l'inspection ante mortem et le post mortem. Dans son état actuel, la réglementation européenne que j'évoquais en conclusion de mon propos liminaire, le paquet hygiène, détaille ce que nous devons systématiquement faire pour chaque carcasse – c'est pourquoi nous sommes très attachés à ce texte. Il y est décrit tout ce qui doit systématiquement être fait : des palpations, des incisions, des examens visuels ou au toucher… Si tous ces gestes ne sont pas faits sur chaque carcasse, nous sommes en infraction. Autrement dit, on ne choisit pas entre la protection animale et la sécurité alimentaire : si un seul membre des services est présent dans l'abattoir, il se trouvera nécessairement au poste d'inspection pendant tout le temps que l'on abattra, du début à la fin. Oui, madame Le Loch, nous sommes en permanence présents dans les abattoirs. Vous y trouverez même parfois six à huit inspecteurs : tout dépend de l'activité, de la taille de l'unité…

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Alexandra Taillandier, secrétaire départementale SNTMA-FO du Tarn

J'ai entendu un directeur d'abattoir affirmer devant vous que dans un petit établissement comme le sien, un inspecteur posté à la chaîne peut également, en tournant la tête à droite, voir le poste de tuerie.

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

C'est faux.

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Alexandra Taillandier, secrétaire départementale SNTMA-FO du Tarn

C'est totalement faux, en tout cas dans les petits abattoirs que je connais. Du poste d'inspection, on ne voit pas le poste de tuerie. Lorsque l'on est seule toute la journée, il est impossible de surveiller ce qui s'y passe.

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Le poste d'inspection le plus stratégique se trouve après l'éviscération : les organes étant encore proches de la carcasse, nous pouvons faire le lien entre les deux, nous avons une vue générale, et nous avons le matériel à portée de main pour pratiquer les incisions et les examens nécessaires. Tout va très vite : ou bien il n'y a aucun problème et la carcasse continue son chemin, ou bien il y a un défaut. Si l'anomalie est mineure, nous pouvons la corriger rapidement ; nous sommes formés pour cela. Si c'est plus grave, il faut détourner la carcasse et la consigner pour un examen ultérieur plus poussé. Mais il y a une cadence à suivre, il faut rester concentrer, on n'a pas le temps de regarder ce qui se passe ailleurs. L'aurions-nous que la séparation matérielle – il y a au moins des cloisons – entre les circuits propres et souillés nous empêcherait de voir comment se déroule la tuerie en secteur souillé. Ce n'est pas possible !

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Alexandra Taillandier, secrétaire départementale SNTMA-FO du Tarn

J'ai également entendu un directeur d'abattoir ou peut-être un membre de la fédération, vous dire que les techniciens vétérinaires n'étaient pas formés à la protection animale, et que nous n'avions pas les mêmes critères objectifs pour évaluer l'état d'inconscience d'un animal. Une nouvelle fois, c'est entièrement faux : la formation initiale et la formation continue, qui nous est dispensée tout au long de la carrière, ne se limite pas aux seules questions liées à l'hygiène et aux aspects sanitaires : nous sommes également formés à la protection animale et nous pouvons en attester.

S'agissant de formation, vous vous interrogiez sur celle des sacrificateurs. Ils nous présentent une carte attribuée par la mosquée ou par la synagogue, mais nous ne pouvons pas attester qu'ils ont bénéficié au préalable d'une formation dispensée par leur culte. C'est seulement en les observant dans l'exercice de leurs fonctions que nous apprécions si leur travail est bien ou mal fait. Dans ce dernier cas, il arrive que nous refusions un sacrificateur.

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Sylvie Pupulin, secrétaire générale du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Les situations peuvent être différentes selon les abattoirs : certains emploient directement des sacrificateurs halal formés au même titre que les autres employés aux règles relatives à la manipulation des animaux vivants et à l'hygiène. Ces sacrificateurs disposent aussi de la carte d'habilitation que délivrent trois mosquées en France – de mémoire, il s'agit des mosquées de Paris, d'Évry et de Lyon.

Dans d'autres abattoirs, les sacrificateurs halal ne font pas partie des personnels, mais il est très difficile de vérifier qu'ils ont bénéficié d'une formation de base : à ma connaissance, l'habilitation donnée par les mosquées n'inclut pas de formation spécifique relative au bien-être animal.

Pour l'abattage casher, les sacrificateurs sont des rabbins, donc forcément extérieurs à l'abattoir. C'est parfois assez compliqué…

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Si vous observez qu'un sacrificateur ne fait pas correctement son travail, pouvez-vous demander qu'il soit exclu de l'abattoir ?

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Sylvie Pupulin, secrétaire générale du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Tout à fait. Je peux même vous faire part d'une anecdote : Lors d'un abattage, j'ai constaté qu'un sacrificateur ne disposait pas d'un couteau suffisamment affûté et qu'il ne savait pas l'aiguiser. Et il refusait que le personnel le fasse pour lui… J'ai fait interrompre l'abattage, et j'ai fait intervenir le directeur de l'abattoir pour qu'il règle le problème.

Dans le quotidien de l'abattoir, l'inspection est conduite par une équipe au sein de laquelle chacun à son rôle et son importance, vétérinaires et techniciens. Notre premier interlocuteur est le directeur de l'abattoir auquel nous signalons tous les jours les problèmes constatés. Une relation bilatérale s'établit avec l'abatteur ; elle peut être conflictuelle – cela arrive – ou beaucoup plus constructive, ce qui permet de faire avancer les choses. En service d'inspection d'abattoir, l'appui de notre hiérarchie est primordial : l'équipe va jusqu'à notre directeur, et, au besoin, jusqu'au préfet.

Il faut gérer la mission d'inspection quotidienne. C'est toute la complexité de nos métiers. Les choses ne sont pas simples pour l'abatteur qui est contrôlé de façon permanente – même si cela peut parfois lui servir de caution. Quant au service d'inspection, il doit en permanence assurer sa fonction dans une posture spécifique. De nombreuses actions ne sont pas formalisées. Ainsi, lorsque je suis intervenue pour interrompre cet abattage rituel, il n'y a eu aucun écrit : grâce à un échange informel avec le directeur, l'animal n'a pas été abattu dans de mauvaises conditions. Nous sommes dans un rapport particulier. Les mesures que nous prenons et la formalisation vont crescendo en fonction de l'importance des problèmes rencontrés. Nous sommes toujours prêts à réagir. Mais ce n'est pas évident à expliquer…

Nous sommes présents en permanence lors de l'abattage. Nous procédons à l'inspection ante mortem. Il arrive que nous n'assistions pas à l'amenée de tous les animaux car les horaires ne le permettent pas – il m'est arrivé de travailler plus de vingt-quatre heures d'affilée pour faire du contrôle de camions. En tout état de cause, nous organisons notre travail, pour pouvoir assurer les tâches systématiques d'inspection ante et post mortem, et pour assurer nos autres missions, avec le temps et avec les moyens qui nous restent ; mais nous faisons en sorte d'organiser les choses pour que tout se passe au mieux.

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Alexandra Taillandier, secrétaire départementale SNTMA-FO du Tarn

Les abattoirs n'ont pas le droit de commencer à abattre si nous ne sommes pas présents et si nous n'avons pas vu les animaux.

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Nous sommes non seulement formés en matière de protection animale, mais bon nombre d'entre nous sont assermentés en sécurité sanitaire des animaux, et en santé et protection animales.

Vous nous interrogez sur les performances comparées des abattoirs mono- et multi-espèces. Il y a une grande diversité dans les abattoirs, j'ai commencé mon propos liminaire par cette précision, et il n'y a pas de règles, seulement des cas particuliers. La complexité de notre travail réside aussi dans cette caractéristique : dans un même département, parfois au sein d'un même groupe, nous pouvons trouver des abattoirs qui ne fonctionnent pas de la même manière, qui n'ont pas les mêmes objectifs, et dont les valeurs ajoutées sont différentes. Entre abattoirs mono-espèce et abattoirs multi-espèces, nous ne pouvons pas vous dire qu'un type de structure est meilleur qu'un autre.

L'abattoir multi-espèces doit en tout cas être équipé pour toutes les espèces qu'il accueille : en matière de contention, on ne traite pas les porcs de la même façon que les moutons, ni les moutons comme les bovins, ni des truies de réforme comme des porcs charcutiers. Reste qu'un abattoir a besoin de faire rentrer du travail, et on prend parfois ce qu'il y a. Encore faut-il être équipé pour, ce qui est a priori le cas dans un abattoir mono-espèce standardisé. Mais à cette particularité près, je ne vois pas beaucoup d'autres différences dans le fonctionnement général de ces établissements.

Sommes-nous sûrs que les maltraitances sont exceptionnelles ? En mon âme et conscience, j'ai envie de répondre que oui. Je pense pouvoir le faire mais, pour être tout à fait honnête, il y a toujours une part de subjectivité dans le jugement. Quand on est au petit matin, au milieu de nulle part, dans le bruit, tout n'est pas aussi évident. Mais, même dans les pires situations, je ne pense pas que l'on puisse accepter des actes de cruauté, et n'en parler que douze ans après – c'est pour cela que les propos de Martial Albar m'ont un peu surpris –, à moins d'être dans l'incapacité de faire son travail pour une raison ou pour une autre. Et parfois, les choses ne sont pas simples. C'est ce que j'ai essayé de vous dire.

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Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Il y a peut-être aussi moins de mauvais traitements lorsque nous sommes en situation d'observation. Cela fausse éventuellement notre appréciation statistique. Sur le nombre d'animaux abattus, c'est marginal, même si cela reste trop.

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

En effet, il ne faut jamais perdre de vue notre rôle de gendarme, ou plutôt la relation essentielle de contrôleur à contrôlé.

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Le ministre nous a indiqué hier que les recrutements avaient repris depuis 2015. Quels effets cela a-t-il eu sur le problème du bien-être animal ?

La question des cadences est souvent revenue. Vous paraît-il utile d'imaginer une normalisation en la matière ? Une limite maximale d'abattage pourrait être appliquée au-delà de laquelle, quelles que soient les performances du matériel, on considérerait qu'il n'est plus possible de préserver le bien-être animal ni celui du salarié à son poste.

Nous n'avons pas du tout parlé des petits animaux. Pensez-vous que, parce qu'ils semblent moins proches de nous sur le plan de la structure, nous nous sentons moins « concernés » ? L'abattage des petits animaux est plus rapide, les cadences sont plus importantes, par exemple pour la volaille ; et, comme ça va vite, on s'en soucie moins. Constatez-vous que la société fait cette différence ? Existe-t-elle au sein de vos services ou dans votre façon de travailler ?

Vous avez parfaitement expliqué que le contrôle sanitaire ante et post mortem est systématique. Chaque animal et chaque carcasse sont examinés. En matière sanitaire, il n'y a pas de rémanence : le fait d'avoir vu quatre-vingt-dix carcasses parfaites ne permet en aucun cas de supposer que la quatre-vingt-onzième pourrait l'être. En revanche, la rémanence existe s'agissant des éléments liés au bien-être animal : si les outils d'abattage et de contention sont adaptés, si les gestes de l'abatteur sont corrects, on peut considérer qu'ils le resteront. Même si, s'agissant d'actions humaines, on peut avoir un doute sur ce qui se passe en l'absence de contrôle, mais il n'y a pas de raison que cela se mette à dysfonctionner complètement. Ne serait-il pas nécessaire de distinguer, dans l'organisation du contrôle, ce qui pourrait être concentré, s'agissant du bien-être animal, là où des problèmes ont été relevés, jusqu'à ce qu'ils soient résolus ? On pourrait concentrer les moyens sans avoir besoin d'exhaustivité. Cela me semblerait plus efficace.

Parmi ce qui pourrait aider à sortir les abattoirs de la « boîte noire », ne pourrait-on pas donner un rôle aux commissions locales d'information et de surveillance, qui se consacrent actuellement à certaines installations classées ? Ce modèle ne serait-il pas plus pertinent que celui des comités d'éthique ? Les questions d'éthique se posent concernant des actes nouveaux, comme en cas d'expérimentation sur les animaux, lorsque chaque cas spécifique doit être étudié. Les actes d'abattage sont répétitifs, et, en la matière, les questions d'éthique ne se posent plus. Doit-on faire souffrir les animaux pour les abattre ? Non. La question éthique a été tranchée, même si de très nombreuses sous-questions demeurent.

Les caméras sont déjà utilisées dans certains milieux professionnels. La cabine de conduite des chauffeurs de bus d'une entreprise de transport parisienne bien connue est filmée en permanence. Les images sont écrasées toutes les demi-heures, mais les chauffeurs peuvent prendre l'initiative, en cas d'incident, de déclencher le stockage de la demi-heure précédente.

La vidéo permettrait une démultiplication du regard, qui pourrait avoir lieu à l'initiative du contrôle – en cas d'inspection, vous pourriez décider d'activer la caméra. Elle serait aussi utile au responsable bien-être animal de l'établissement : s'il constate qu'il y a des difficultés sur un poste, il visionnera les images stockées depuis le matin. Pourquoi ne serait-ce pas aussi un outil pour l'opérateur ? Il dispose d'un droit de retrait, et les images l'aideraient à justifier devant sa hiérarchie qu'il en use, par exemple, parce que l'électronarcose ne fonctionne pas ? Il pourrait déclencher un enregistrement qui montrerait qu'un dysfonctionnement se prolonge, et qu'il exerce légitimement son droit de retrait. La vidéo ne constitue-t-elle pas alors un élément de la démultiplication de la prise de conscience en faveur du contrôle et de la sécurité des êtres humains comme des animaux ?

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Monsieur Lasne, vous travaillez dans les abattoirs depuis vingt ans. Estimez-vous que l'évolution technologique est globalement favorable au bien-être animal ? Elle vise généralement les gains de productivité, ce qui permet sans doute d'augmenter les cadences dans un objectif de rentabilité – nous savons que, dans le secteur, les marges sont faibles –, mais pas nécessairement le bien-être animal. Peut-elle y contribuer ?

Le sacrificateur qui utilise un couteau mal aiguisé, comme celui que vous nous décriviez, madame Pupulin, peut-il refuser de changer d'instrument pour des raisons cultuelles ? Avez-vous la possibilité d'intervenir dans ce cas ? C'est un problème de fond…

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Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Nous avons perdu mille emplois équivalents temps plein entre 2004 et 2014, et nous en gagnons soixante par an depuis 2015. Les effets de la reprise ne sont donc pas encore visibles. Il faut aussi compter avec le temps nécessaire au recrutement puis à la formation des nouveaux personnels.

Je ne sais pas si la normalisation des cadences aurait un effet sur le bien-être animal. Elle faciliterait en tout cas l'inspection post mortem. Certaines cadences sont difficiles à tenir – il faut un certain temps pour pratiquer les incisions et les palpations codifiées dont nous parlions, notamment sur les porcs.

Notre sensibilité est probablement moindre à l'égard d'animaux, comme les volailles, auxquels nous nous identifions moins. Ajoutons qu'il s'agit souvent d'animaux très standardisés dans leur conformation, ce qui permet d'automatiser le processus d'abattage beaucoup plus facilement que pour les animaux de boucherie.

La rémanence de certains éléments constitutifs du bien-être animal justifie, en partie, un contrôle spécifique en la matière. D'une certaine façon, le ministre vous a un peu dit la même chose hier. En théorie, la protection animale en abattoir relève d'une inspection sur analyse de risques et non d'une inspection systématique. Il faut en revanche prendre garde aux effets « opérateur » – il peut y avoir des intérimaires, des remplacements, des périodes de suractivité –, mais également aux effets « animal », si l'on change par exemple la source d'approvisionnement et que l'on passe d'animaux très conformés à des animaux qui le sont moins.

Il nous semble tout à fait possible de donner un rôle aux commissions locales d'information et de surveillance en matière d'abattage plutôt qu'à un comité d'éthique. Notre idée consiste à permettre un regard de la société civile sur les abattoirs.

Sans que nous ayons consulté les collègues, l'idée de l'écrasement progressif des vidéos toutes les trente minutes, effacement qui pourrait être interrompu à l'initiative du responsable protection animale (RPA), du service d'inspection, ou de l'opérateur nous paraît aller dans le sens d'un encadrement plus précis. Je n'ai pas consulté mes collègues, mais cela me paraît aller dans la bonne direction.

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Alexandra Taillandier, secrétaire départementale SNTMA-FO du Tarn

Sur le plan pédagogique, cela ne peut être que positif.

Je veux insister sur le fait que nous faisons de la protection animale tous les jours, en particulier à chaque fois que nous pratiquons des inspections ante mortem : ce sont aussi des inspections protection animale.

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Il semble difficile de concentrer l'inspection en matière de bien-être animal car les débordements et les pétages de plomb dont nous parlons sont ponctuels ; ils ne sont pas prévisibles. On peut certainement en revanche l'organiser et la structurer mieux.

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Que pensez-vous de la conception des secteurs des abattoirs qui accueillent des animaux vivants ? Nous avons entendu beaucoup de choses, y compris concernant des établissements assez récents, qui laissent entendre que les recherches scientifiques les plus poussées en matière de comportement animal n'ont pas été totalement intégrées. La situation est-elle globalement satisfaisante ou reste-t-il encore des progrès à faire pour que l'animal se présente dans les meilleures conditions à l'abattage ?

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Sylvie Pupulin, secrétaire générale du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Tout dépend à nouveau de l'abattoir, de l'époque de sa construction, et de sa conception d'origine. Si, sur ce plan, la situation est différente dans chaque abattoir, il existe toujours des moyens assez simples pour améliorer et corriger les choses. Les travaux de Temple Grandin peuvent y contribuer. Cette éthologue américaine a beaucoup travaillé sur les méthodes d'amenée des animaux en fonction des espèces et de leur sensibilité au stress. Il est ainsi apparu qu'il était préférable de faire avancer les bovins sans les toucher, au moyen, par exemple, de petits drapeaux agités à côté, devant, et derrière eux. De la même façon, on sait que les parcours sans angles droits facilitent la progression, car les angles sont facteurs de stress.

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Stéphane Touzet, secrétaire général adjoint du syndicat national des techniciens supérieurs du ministère de l'agriculture, SNTMA-FO

Nous n'avons pas connaissance d'exemple de pays étrangers qui pourraient constituer un modèle. Il existe en revanche des travaux – en particulier au sein de l'Union Européenne, qu'il faudrait à l'évidence mettre en commun pour progresser.

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Laurent Lasne, président du syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, SNISPV

Je ne sais pas si les évolutions technologiques en matière d'abattage sont vraiment dynamiques. Les méthodes d'étourdissement – pistolet à tige perforante, électronarcose, et gaz –, sont anciennes. Je ne sais pas si des progrès ont vraiment été faits en la matière.

Certains abattoirs récents sont certainement mal conçus, mais il en existe d'autres très bien pensés, dans lesquels les animaux avancent seuls – même si ce n'est pas à l'aide de drapeaux –, et qui fonctionnent très bien. Nous pourrons vous donner une liste. Comme quoi c'est possible…

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mesdames, messieurs, nous vous remercions pour l'ensemble des informations dont vous nous avez fait part.

La séance est levée à dix heures cinquante.