La réunion débute à 10 heures 30.
Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.
La Commission examine, en nouvelle lecture, la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale (n° 4452) (M. Alain Tourret, rapporteur).
Nous examinons ce matin en nouvelle lecture la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale. La commission mixte paritaire réunie hier au Sénat n'est pas parvenue à adopter un texte en raison d'un désaccord persistant sur la disposition, introduite par les sénateurs, modifiant la loi du 29 juillet 1881 pour porter de trois mois à un an le délai de prescription des infractions de presse commises sur internet.
Je crois, monsieur le rapporteur, que vous nous proposez de rétablir le texte tel qu'il avait été adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture ?
Oui.Cette loi est importante. L'un de nos collègues a dit qu'il s'agissait de la loi de procédure pénale la plus importante de ces dix dernières années. C'est peut-être exagéré mais cela est agréable à entendre...
Je rappellerai brièvement l'état de la situation. Toutes les dispositions du texte font l'objet d'un accord entre les deux assemblées à l'exception d'une seule : celle relative à la prescription des infractions de presse prévues par la loi de 1881. Vous le savez, le délai est aujourd'hui de trois mois. Le Sénat l'a porté à un an dès lors que l'infraction est commise sur internet. Nous étions d'accord pour adopter le texte voté par les sénateurs. Toutefois, le secteur de la presse en ligne a manifesté sa désapprobation face à cette évolution.
En deuxième lecture, le président Patrick Bloche a déposé un amendement visant à supprimer du texte la disposition en question. L'Assemblée nationale l'a adopté. Cette solution doit désormais prévaloir. C'est ce que nous avons dit, hier, à nos collègues sénateurs, à l'occasion de la réunion de la commission mixte paritaire.
Dès le début de nos travaux, nous avions estimé, M. Georges Fenech et moi-même, qu'il ne fallait pas modifier la loi de 1881 dans le cadre du présent texte. Mais il est vrai que cette loi doit évoluer. Qui peut comprendre que des peines de prison soient encourues pour une injure ? Personne. Elles ne sont d'ailleurs jamais requises. Il en est de même en ce qui concerne la diffamation. Il sera nécessaire, à l'avenir, de revoir l'intégralité de la loi de 1881. C'est une loi mythique, un peu comme celle de 1905, mais elle est sans doute obsolète.
En définitive, je souhaite que la disposition ne figure pas dans la proposition de loi et que l'Assemblée nationale adopte définitivement, jeudi 16 février, le texte dans la rédaction que nous appelons de nos voeux.
C'est évidemment une loi importante parce qu'elle traite d'un sujet fondamental – la prescription – mais aussi parce qu'elle est consensuelle. Elle est le fruit d'un véritable travail parlementaire, ce qui démontre que nous sommes capables de travailler ensemble par-delà les clivages politiques traditionnels. De toute évidence, il y a aujourd'hui un flou juridique en ce qui concerne les règles de prescription.
Notre groupe, que je représente, est très heureux que la proposition de loi soit en passe d'aboutir. D'aucuns pensaient que nous n'y parviendrions pas.
La prescription des infractions de presse est une question particulière. La loi de 1881 devra probablement être modifiée à l'avenir. Il est vrai que les poursuites sont rares, les condamnations également. Ce sont d'ailleurs souvent les victimes qui engagent les poursuites en se constituant partie civile ou en citant directement les organes de presse devant les tribunaux correctionnels. Peut-être faudra-t-il aller vers la dépénalisation des infractions de presse car la réponse pénale n'a pas vraiment de sens en la matière. Mais cette question ne doit pas être traitée par le présent texte. Je n'ai pas très bien compris la disposition introduite par le Sénat. La différence entre la presse papier et la presse en ligne n'est pas évidente à établir. Un article publié sur support papier peut se retrouver très rapidement publié en ligne. Il faut réfléchir de façon globale à la réforme de la loi de 1881.
Nous arrivons au terme du travail parlementaire et je me félicite que nous ayons démontré que nous étions en mesure de faire évoluer le droit sur un sujet très complexe. Le travail de MM. Tourret et Fenech mérite d'être salué. Il est très important pour les victimes.
Mon groupe soutient sans réserve la position du rapporteur. La loi de 1881 sur la presse est un sujet à part. Le Parlement aura l'occasion, lors de la prochaine législature, de réfléchir aux moyens de la faire évoluer. J'ajoute que la disposition introduite par le Sénat pourrait soulever une difficulté d'ordre constitutionnel.
Nous en sommes à l'avant-dernière étape, je l'espère, du processus parlementaire. Ce fut un parcours d'obstacles certes, mais un parcours enrichissant pour ceux qui l'ont vécu, qui montre la difficulté à faire adopter une proposition de loi malgré le large consensus qui s'est dégagé entre les parlementaires. Je remercie les présidents successifs de la commission des Lois pour le soutien qu'ils nous ont apporté.
Je me félicite de ce quasi dernier pas dans l'adoption de la proposition de loi. Je salue une nouvelle fois le travail au long cours mené conjointement par nos collègues Georges Fenech et Alain Tourret, leur ténacité ainsi que la pertinence et la hauteur de vue qui ont présidé à leurs réflexions en vue de mettre un terme à la confusion qui régnait en matière de prescription pénale.
Je souhaiterais toutefois faire une remarque – qui n'est ni un regret, ni une atténuation de mon adhésion à ce texte – à propos de la question de la prescription des infractions sexuelles. Nul n'ignore que, à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, certains, parmi ceux qui sont engagés dans la lutte contre toutes les violences sexuelles, hélas trop nombreuses, surtout à l'égard des mineurs, ont souhaité que soit abordée cette question sensible et délicate. Nous avons été destinataires de propositions visant à rendre imprescriptibles certains crimes et délits sexuels. J'ai décliné ces propositions, non que je considère que ces questions soient mineures mais pour garder la clarté indispensable de ce texte. Nous devrons probablement consacrer une réflexion, par exemple au travers d'une mission d'information, au traitement pénal de la délinquance et de la criminalité sexuelles : il y a là de vrais sujets, avec des meurtrissures gravissimes que subissent très longtemps après les faits de jeunes adultes ou des personnes au milieu de leur vie.
Je tiens à remercier les orateurs pour les louanges qu'ils nous ont adressées. Il faut que cette loi puisse vivre, produise ses effets, et qu'un bilan en soit tiré à l'issue d'une dizaine d'années d'application. Je suis persuadé que, tôt ou tard, l'imprescriptibilité s'appliquera à tous les crimes, comme c'est déjà le cas dans certains pays. En France, les esprits ne sont pas encore mûrs, une telle évolution constituant une rupture très importante par rapport à notre tradition juridique. La décider aujourd'hui serait pour le moins paradoxal, alors que nous avons rejeté, à la demande du Sénat, l'extension de l'imprescriptibilité aux crimes de guerre pourtant prévue par le statut de la Cour pénal internationale. Il me revient également le témoignage de présidents d'associations de victimes, dont les enfants sont morts, eux-mêmes réservés sur l'imprescriptibilité des crimes sexuels. Cette question, d'une grande complexité, devra être débattue par nos successeurs sur ces bancs.
La Commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.
Article 3 (art. 213-5, 215-4, 221-18, 434-25 et 462-10 du code pénal ; art. 85, 706-25-1, 706-31 et 706-175 du code de procédure pénale ; art. L. 211-12 et L. 212-37 à L. 212-39 du code de justice militaire ; art 351 du code des douanes) : coordinations diverses – Prescription de l'action de l'administration des douanes
Cet amendement vise à revenir à la version adoptée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture et à supprimer la disposition introduite par le Sénat qui établit une différence de régime entre les infractions de presse commises sur support papier et celles en ligne, ce qui ne me paraît pas pertinent.
Dès décembre 2012, nous avons abordé la question de la réécriture de la loi de 1881, notamment vis-à-vis de ses prescriptions dérogatoires du droit commun, lors de l'examen du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. À l'issue des échanges que nous avions eus avec nombre d'acteurs, nous avions constaté que cette question, largement débattue à l'époque, n'apparaissait pas mure et nous nous étions contentés de porter de trois mois à un an le délai de prescription de l'action publique du délit de provocation au terrorisme ou d'apologie du terrorisme. Je regrette quelque peu que nous ne soyons pas allés plus loin tant il paraît indispensable de revoir la loi de 1881 afin de tenir compte du phénomène d'internet. En tout état de cause, la disposition proposée par le Sénat me semble très fragile d'un point de vue constitutionnel au regard de la différence de traitement qu'elle instaure entre les supports papier et numériques. C'est la raison pour laquelle j'approuve cet amendement.
Suivant l'avis favorable de son rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL2 de Mme Colette Capdevielle.
Puis elle adopte l'article 3 modifié.
Article 5 (pour coordination) (art. 804 du code de procédure pénale ; art 711-1 du code pénal) : Mesures d'application outre-mer
La Commission adopte l'amendement de coordination CL3 du rapporteur et l'amendement de cohérence CL1 de Mme Colette Capdevielle.
Puis elle adopte l'article 5 modifié.
Enfin, elle adopte l'ensemble de la proposition de loi.
La réunion s'achève à 10 heures 50.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Marie-Françoise Bechtel, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Jean-Michel Clément, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Dominique Raimbourg, M. Alain Tourret, M. Jean-Luc Warsmann
Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Huguette Bello, M. Dominique Bussereau, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, Mme Marietta Karamanli, Mme Sandrine Mazetier, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Michel Zumkeller
Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy