Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La séance est ouverte à 17 heures 30.
La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l'audition de M. Denys Pouillard, directeur de l'Observatoire de la vie politique et parlementaire.
Le ministre de l'Intérieur a présenté un projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral. Ce texte, qui vient d'être rejeté par le Sénat, sera examiné par notre assemblée les 18 et 19 février prochains.
Les avis sont partagés au sein de la Délégation aux droits des femmes quant au nouveau mode de scrutin proposé par le Gouvernement – dont je rappelle qu'il n'existe dans aucun autre pays au monde. La Délégation a souhaité se prononcer sur ce texte et présentera, le 5 février prochain, son rapport pour information sur les articles 2, 14, 16 et 20.
Nous recevons aujourd'hui M. Denys Pouillard, directeur de l'Observatoire de la vie politique et parlementaire, qui va nous présenter ses arguments à l'encontre ou en faveur de ce nouveau mode de scrutin.
Monsieur le directeur, quels sont les avantages et les inconvénients de l'instauration d'un binôme paritaire pour les élections cantonales ? En quoi ce dispositif peut-il présenter un risque d'inconstitutionnalité, comme vous l'avez écrit dans l'un de vos articles ? Quelle solution alternative pourrait être envisagée ?
Que pensez-vous, par ailleurs, de l'abaissement à 1 000 habitants du seuil de population au-delà duquel les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste ?
Comment, selon vous, faire progresser de manière générale la parité dans la vie politique française ?
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre délégation.
En répondant à votre première question, je ne voudrais pas que nous nous enfermions dans un débat centré sur le scrutin binominal, car celui-ci doit être associé à la question du découpage électoral – ce qui n'est pas le cas dans le projet de loi qui vous est présenté. Si une réflexion constitutionnelle devait s'engager, elle devra porter sur ces deux aspects.
C'est la première fois que le pouvoir exécutif doit faire face à un conflit – même si le mot est un peu fort – à la perspective de la modification des limites territoriales des cantons. Aura-t-elle lieu par la voie législative ou par la voie réglementaire ? Un décret en Conseil d'État pourrait être pris sur la base de l'article 3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui a conféré au pouvoir réglementaire la compétence en ce domaine. Cependant je rappelle que cette ordonnance a été prise au lendemain de la guerre, dans un but de simplification, pour mettre fin à une disposition en vigueur sous la troisième République, selon laquelle la création d'un nouveau canton ou le découpage d'un canton existant nécessitait une loi. Jusqu'en 2007, nous avons ainsi procédé par décret, sans jamais aller jusqu'à une refonte totale de la carte électorale cantonale, ce qui sera le cas pour mettre en oeuvre le nouveau scrutin.
Je ne suis pas certain que les débats aient été assez approfondis à cet égard au Sénat, mais cela peut se comprendre car les sénateurs ne sont pas directement concernés par la problématique des cantons, sauf eu égard au cumul des mandats. En revanche, la carte des cantons est directement liée à la présence territoriale des députés. Il s'agit donc pour vous d'un problème « existentiel ». Vous aurez vraisemblablement à débattre afin de déterminer si la modification du cadre du scrutin relève de la loi ou si elle peut être actée par ordonnance. Compte tenu de l'envergure de la refonte de la carte cantonale prévue, je vous invite à prendre en compte cette préoccupation.
J'attire votre attention sur les manques du dispositif législatif qui a été présenté au Sénat. S'agissant d'un redécoupage de la carte cantonale de la France qui diviserait le nombre des cantons par deux, il aurait été souhaitable, comme cela a été fait pour la révision constitutionnelle de 2008 relative aux élections législatives, de créer une commission, consultative ou autre, composée certes de personnalités politiques, mais pas uniquement, car les cantons représentent une géographie à la fois humaine et physique qui exige une représentativité plurielle – ils correspondent notamment à des bassins d'emploi. La réflexion de cette commission aurait complété celle du Conseil d'État et serait à même d'éviter le caractère partisan des découpages. Cette question, qui pourrait avoir un caractère constitutionnel, a un impact sur la valeur démocratique de l'élection.
Vous m'interrogez sur les risques d'inconstitutionnalité de ce texte. Ce n'est pas à moi – ni à vous d'ailleurs – de dire qu'un texte est conforme ou non à la Constitution. Seule la juridiction constitutionnelle en a le pouvoir, mais pour cela il faut qu'elle soit saisie. Elle le sera puisque le Gouvernement a déposé parallèlement un projet de loi organique et que le texte fera certainement l'objet d'un recours. Les deux textes seront donc vraisemblablement déférés devant le juge constitutionnel. Pour ma part, je n'ai jamais affirmé que ce texte fût inconstitutionnel, mais, dans un souci de prudence juridique, j'ai souligné qu'il pouvait présenter un risque d'inconstitutionnalité. Il doit être évalué, au nom d'un principe de précaution qui prévaut en droit constitutionnel comme en droit administratif.
En ce qui concerne le seuil de population au-delà duquel les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste, j'ai en effet publié une étude sur cette question dont le journal Le Monde a fait état. Le projet de loi abaisse ce seuil de 3 500 à 1 000 habitants. Le scrutin proportionnel en vue d'obtenir une majorité de gestion a été voté en 1983, mais il avait un antécédent et plusieurs propositions de loi relatives à ce mode de scrutin ont ponctué le septennat de 1974 à 1981. La loi de 1983 est très importante car elle a mis un terme à deux modes de scrutin en vigueur depuis les débuts de la Vème République, à savoir le scrutin majoritaire uninominal pour les élections législatives et cantonales, d'une part, le scrutin à listes bloquées pour les élections municipales, d'autre part, introduisant le scrutin proportionnel à majorité de gestion, d'abord à un tour puis à deux tours.
Pour assurer la parité, nous voulons aujourd'hui abaisser de 3 500 habitants à 1 000 habitants le seuil à partir duquel s'appliquera le scrutin proportionnel. Je comprends l'objectif de cette modification, mais elle comporte un risque. En France, 6 500 communes ont entre 1 000 et 3 500 habitants. Faut-il politiser l'opinion française jusque dans les communes ? Dans une commune de 2 000 habitants, être maire consiste généralement à défendre les intérêts locaux, et la population se soucie peu de l'étiquette politique des candidats. Je ne suis pas sûr que les électeurs des petites communes souhaitent voir apparaître des fractures entre la droite et la gauche. Cette mesure permettrait sans doute d'assurer la parité, mais selon moi celle-ci pourrait être obtenue d'une autre façon. Je rappelle que plusieurs propositions de loi visant à fixer le seuil à 1 500 habitants ont été déposées au Sénat, dont celle de Jean-Pierre Chevènement et de Jacques Mézard.
S'il faut vraiment abaisser le seuil de population, je préférerais pour ma part celui de 2 500 habitants, qui limiterait la politisation de l'opinion.
Dans l'étude que j'ai réalisée et qui a été présentée par le journal Le Monde, j'ai analysé les résultats du Front national lors du premier tour des élections présidentielles dans les 800 communes de 1 000 à 3 500 habitants où la candidate du Front national est arrivée en tête. Un an et deux mois avant les prochaines élections municipales, j'évalue de 200 à 250 le nombre de communes supplémentaires qui pourraient basculer. Cela tient à un nouveau phénomène, l'électorat décomplexé, bien connu en sociologie politique, qui d'ailleurs concerne la gauche autant que la droite.
Contrairement à ce qui a pu être dit, le scrutin binominal n'existe nulle part, ni au Pays de Galles ni en Écosse. Le système électoral de ces deux pays est à la fois majoritaire et proportionnel de compensation, ce qui n'a rien à voir avec un scrutin binominal. D'ailleurs en Écosse il n'y a pas de parité. Au Pays de Galles, il se trouve que la parité existe depuis deux mandatures mais, compte tenu de la composition des partis, elle disparaîtra dès que les conservateurs auront succédé aux travaillistes.
À ceux qui se demandent pourquoi ne pas essayer un nouveau mode de scrutin, je réponds que nous ne faisons que cela depuis 1789. Je vais maintenant vous décrire les conséquences de ce nouveau type de scrutin en amont, pour l'électeur, puis en aval, pour l'assemblée délibérante.
Tout nouveau mode de scrutin doit répondre à deux principes : celui de l'égalité d'accession et celui de l'égalité de représentation.
Le principe de l'égalité d'accession est la base constitutionnelle du vote. Quelle que soit l'élection, les candidats doivent – selon les termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel – être placés dans une situation identique. C'est la question fondamentale que devra se poser le législateur.
Dans un récent article, j'ai utilisé le terme de « procuration », qui a interpellé un certain nombre de personnes. Ce terme n'existe pas dans notre droit, mais force est de constater que l'électeur, lorsqu'il vote pour un candidat, donne à celui-ci une procuration. Or, la procuration n'a pas de caractère contractuel et celui qui a reçu procuration peut très bien ne pas respecter la volonté de celui qui lui a donné procuration. C'est l'affirmation du principe constitutionnel de l'individualisation du vote, celle de l'électeur mais aussi celle du représentant.
Lorsque par un seul bulletin de vote nous donnons procuration à deux personnes, il s'agit d'un contrat entre trois personnes. Ce n'est donc plus une procuration. L'électeur passe un contrat avec deux candidats, mais ces deux personnes sont elles-mêmes engagées dans une obligation contractuelle puisqu'elles se doivent « mutuelle compréhension », ce qui relève plus du droit privé que du droit public. Le principe de l'individualisation du vote n'est pas respecté puisque deux personnes sont liées. Telles sont les conséquences de ce type de scrutin pour l'électeur.
J'en viens à ses conséquences pour l'assemblée délibérante. S'agit-il d'un vote par canton ou individuel ? Sur ce point, le texte est muet. Or ce type de scrutin pourrait générer des différences importantes en termes de majorité. Il est aisé de calculer la majorité dans une assemblée où le vote est individuel, comme c'est le cas actuellement, mais comment calculer la majorité par canton dès lors que le nombre des cantons aura été divisé par deux ? Dans ce cas, il faudra deux personnes d'un autre canton pour assurer la majorité.
Je suis perplexe quant au mandat « impératif », cette sorte de contrat qui oblige celui qui reçoit le mandat à voter dans les mêmes termes que celui qui lui a donné mandat. À cet égard, les candidats sont-ils dans une situation identique ?
Le scrutin binominal pose un problème d'individualisation de la représentation. Vous allez objecter que l'électeur qui se trouve face à une liste, qu'elle soit proportionnelle ou paritaire, se trouve dans la même situation. Non, car lorsqu'il vote pour une liste municipale, il ne sait pas combien de candidats seront élus. Il en va de même lorsqu'il vote pour les conseillers régionaux par le truchement du département. Dans le cas du scrutin binominal, il sait que les deux seront élus.
Le système peut être comparé à celui utilisé par les délégués sénatoriaux, mais ce dernier est pratiqué sur dérogation et ne figure pas dans le code électoral. Nous pourrions adopter ce système, mais les délégués sénatoriaux votent pour une personne et non pour une liste. Les candidats peuvent se présenter en liste pour des raisons de propagande électorale, mais je n'ai pas rencontré, en vingt ans, un seul vote présentant une égalité de suffrage. On retrouve toujours le principe d'individualisation du vote.
Le présent projet de loi supprime l'article 3 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, qui intégrait les cantons dans les circonscriptions législatives, ce qui nous place dans une situation ambiguë. Pour y remédier, il faudrait ajouter une dose de proportionnelle et revoir la définition des circonscriptions à scrutin majoritaire.
C'est la raison pour laquelle il faut envisager la révision de l'article 125 du code électoral, ou tout au moins définir la nouvelle base des circonscriptions législatives, quels que soient le dosage de proportionnelle et le nombre de députés, en les basant par exemple sur les anciens cantons regroupés. J'attire votre attention sur ce point que le Sénat n'a pas abordé, pour la raison que cela ne le concerne pas. Mais vous, Mesdames et Messieurs les députés, vous devez vous intéresser sérieusement à la question des circonscriptions législatives. Si vous ne les redéfinissez pas, les citoyens ne comprendront plus rien, et pour cause. J'ai procédé à quelques simulations : demain un électeur vivra sur un territoire A dans une circonscription A, celle-ci se trouvant dans un canton qui débordera sur une circonscription B, et sa commune se trouvera au sein d'une intercommunalité s'étendant aussi vers la circonscription C. Le but du Gouvernement n'est certainement pas d'encourager l'abstention, mais il risque de dérouter les citoyens en multipliant ainsi les complexités.
Existe-t-il une alternative à ce dispositif ? Je vous renvoie à la déclaration publique de Manuel Valls quelques jours avant de présenter son projet de loi en Conseil des ministres.
Il serait absurde de penser que s'agissant d'un scrutin départemental, les élus ne sont pas liés à un territoire. Une réflexion est en cours depuis le mois de juillet en ce qui concerne le regroupement des arrondissements. En respectant les règles constitutionnelles en matière démographique et géographique, le système envisagé ferait émerger trois ou quatre délégués par département. Au cas où ils ne seraient que trois, du fait des écarts démographiques, il faudrait regrouper deux arrondissements. Cette nouvelle carte pourrait être la base d'un scrutin proportionnel paritaire et assurer la parité totale. Mais ce n'est pas à moi de vous dire quelles seraient les répercussions politiques de ce regroupement.
Vous avez évoqué l'individualisation du vote. Dans le cas d'un scrutin binominal, l'électeur donne procuration à deux personnes. Dans le scrutin de liste, l'électeur ne sait pas combien de candidats seront élus, mais dans la grande majorité des cas il y a plusieurs élus : l'électeur donne donc procuration à plusieurs personnes. Quelle est la différence entre ces deux scrutins ?
La procuration, dans la mesure où elle n'a pas de valeur contractuelle, n'oblige pas celui qui la détient à suivre la consigne qui lui a été donnée – les exemples de revirement sont nombreux dans le domaine électoral. L'individualisation est basée sur cette liberté authentique. Lorsque l'électeur vote pour deux personnes en bloc, il y a un double contrat : entre l'électeur et les deux candidats, mais également entre les deux candidats, l'un des deux s'engageant à suivre l'autre.
Cela va beaucoup plus loin : on a vu des personnes s'inscrire dans un groupe différent après avoir été élues. Dans ce cas, les électeurs sont floués.
Il y a conflit entre deux contrats : celui passé entre trois personnes et celui qui oblige les deux élus à voter ensemble au sein de l'assemblée délibérante. C'est un conflit entre l'esprit et la lettre. C'est pourquoi j'affirme que le principe d'individualisation est la base constitutionnelle du vote.
Le scrutin binominal pose également des problèmes de majorité, dès lors que le vote au sein de l'assemblée délibérante est un vote par canton.
Le même phénomène se produit dans les scrutins de liste. On a vu des candidats se présenter sur une liste très politisée pour ensuite changer de bord en cours de mandat. Là aussi, l'électeur est floué. Encore une fois, en quoi le scrutin binominal est-il différent ?
Dans le scrutin binominal, les candidats représentent le canton face aux électeurs et ensuite au sein de l'assemblée délibérante. Dans les scrutins proportionnels de liste comme les élections municipales, l'électeur fait face d'emblée à l'assemblée délibérante, il ne vote pas pour un territoire qui sera représenté au sein d'une assemblée délibérante. C'est une différence fondamentale qui m'a amené à examiner le problème en amont, du côté de l'électeur, et en aval, du côté de l'assemblée délibérante. J'en conviens, ma démarche est peu coutumière – mais elle a déjà été employée, lors de l'instauration du scrutin proportionnel à majorité de gestion.
Le scrutin de liste permet d'éviter les arrangements entre les élus. Ce que recherche le législateur, c'est que le territoire soit représenté dans sa totalité.
Dans le scrutin régional, nous votons pour une liste départementale, donc pour les représentants d'un territoire qui siègeront au sein de l'assemblée régionale. La seule différence vient de ce que nous ne savons pas combien de personnes seront élues.
La composition des listes pour les élections des conseils régionaux et des conseils municipaux obéit à une logique paritaire et non à une logique politique, dans la mesure où le deuxième tour permet de recomposer les listes. Un parti politique peut très bien obtenir la deuxième place au deuxième tour pendant que ses alliés se retrouvent à la quinzième place. Le chef de liste compose alors la liste comme il l'entend.
Les associations de partis dans le scrutin binominal ont un inconvénient majeur qui, s'il n'est pas anticonstitutionnel, ne manquera pas de poser des problèmes. Imaginons que le groupe socialiste et les Écologistes signent un accord avant les élections : s'ils ne sont pas d'accord avec les décisions prises, les Écologistes exerceront un chantage à la démission. Or si l'un des membres du binôme démissionne, le second élément du binôme sera démissionné de fait. Ce chantage existe également dans le scrutin de liste, mais lorsqu'un élu démissionne, ce sont les suivants sur la liste qui gagnent du terrain.
En effet, dans un scrutin de liste, le deuxième tour permet de recomposer la liste, tandis que dans le scrutin binominal tout est figé dès le premier tour.
Certes, mais dans ce cas l'un des deux candidats est suppléant.
Ces inconvénients pratiques n'empêcheront pas l'adoption du projet de loi. La seule question que nous devons nous poser est celle de sa constitutionnalité.
Je reviens sur l'abaissement du seuil de population à 1 000 habitants. Je suis favorable à un abaissement du seuil, à condition de placer raisonnablement le curseur. Et j'insiste sur le fait que le scrutin proportionnel, qu'on le veuille ou non, entraîne la politisation des élections locales.
Le panachage par contre favorise la calomnie. Par ailleurs, dans ma commune, par deux fois, les conseillers de l'opposition ont démissionné entre deux élections, nous imposant de procéder à une élection partielle. Je suis favorable au scrutin de liste à tous les niveaux, car il oblige les candidats à annoncer leurs intentions.
Je vous remercie pour votre contribution à nos travaux, qui a notamment permis d'entendre un avis différent sur l'instauration du binôme.
Ensuite, la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l'audition de Mme Armelle Danet, présidente de l'association Elles aussi, sur la parité en politique.
Avant de nous faire part de vos réflexions sur le projet de loi en cours d'examen au Parlement, pouvez-vous nous rappeler les lignes d'action de votre réseau ?
« Elles aussi » est un réseau d'associations qui a pour objectif la parité dans les assemblées élues. Il vise aussi à encourager les candidatures féminines aux élections. Nous organisons par exemple des évènements tels que la remise des « Marianne de la parité » qui récompense les communes et intercommunalités exemplaires en la matière.
Au niveau national, nous luttons pour l'amélioration des lois et pratiques. Nous sommes implantées dans quinze départements. Parmi les actions que nous menons aujourd'hui, figure la valorisation des acquis de l'expérience de l'élu local en fin de mandat, en lien avec les réflexions en cours sur le statut de l'élu. Nous aurons des mairies pilotes dans ce domaine.
J'en viens à notre position par rapport au projet de loi sur l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires. Nous disons oui à la suppression du conseiller territorial élu au scrutin uninominal institué en 2010. Nous avions d'ailleurs dès ce moment là proposé le scrutin binominal, en demandant même son extension à l'élection des députés. Ce mode de scrutin garantit en effet le résultat tout en préservant l'ancrage des élus dans le territoire.
Au niveau symbolique, l'homme et la femme sont au même niveau sur le bulletin de vote. Nous irons ainsi vers des assemblées paritaires qui fourniront un vivier au niveau national. Il est grand temps ! Le scrutin de liste peut selon nous, freiner les candidatures non partisanes.
Quel en est l'avantage ? Lorsqu'on se présente à une élection, c'est bien pour mener une action reposant sur un projet politique. Il n'y a rien d'infâmant dans le fait de prendre une position politique !
J'ajouterai qu'au niveau départemental, il n'y a pas de programme politique au sens strict, c'est l'action sociale qui prime et l'on vote projet contre projet.
Avec le scrutin de liste, nous redoutons les listes dissidentes comme cela a pu se passer pour les élections au Sénat. Cette possibilité y bloque la progression de la parité. Si ce scrutin prenait place au niveau départemental, on pourrait avoir un équilibre d'environ 50 % entre les hommes et les femmes ; par contre, si la liste a comme cadre l'arrondissement, on aurait un pourcentage de femmes inférieur, de 30 % peut-être.
Avec le binôme, nous aurons aussi des listes dissidentes. C'est pourquoi nous demandons la parité au niveau de l'exécutif du conseil départemental qui n'est pas acquise aujourd'hui.
Cependant, si on fait le choix d'un scrutin de liste à la proportionnelle, on se heurte au problème de la taille des arrondissements qui peuvent être déséquilibrés, comme par exemple dans le département du Rhône où l'on a un petit arrondissement et un autre très grand ; il faudrait certainement les réunir pour n'en former qu'un seul.
L'avantage de choisir la base des arrondissements est que ce découpage existe déjà. Par ailleurs, les conseillers généraux sont peu connus des électeurs dans les grandes villes. Actuellement, pour les élections régionales, il y a un homme en tête de liste et on obtient une composition presque paritaire, de 48 ou 49 % des femmes et 51 ou 52 % d'hommes. Si le scrutin proportionnel se tenait dans le département, nous aurions probablement le même petit déséquilibre.
On ne peut le savoir à moins de faire une simulation dans le cadre des départements et des arrondissements.
La réforme des métropoles va modifier les données : ainsi les compétences du conseil général du Rhône seront fondues dans la Métropole à créer, ce qui laisse une incertitude sur la manière dont la circonscription cantonale doit être dessinée.
Le scrutin binominal a beaucoup d'avantages, dont celui de la visibilité. Il faudrait également assurer une présidence paritaire du conseil départemental. Concernant les élections municipales, je partage l'avis de Mme Catherine Coutelle, considérant que l'on doit élargir le scrutin proportionnel en supprimant le seuil de population. La parité dans les conseils municipaux aura pour conséquence d'amener la parité dans les conseils de communautés aussi. Le « fléchage » est une bonne proposition, car il aidera à instaurer cette parité, et empêchera que l'on raye en premier le nom des femmes maires de petites communes, par exemple, pour désigner les délégués au conseil communautaire, comme cela se pratique aujourd'hui (pratique du « tir aux pigeons »). Nous avons récompensé avec nos « trophées de la parité » des petites communes qui ont élu des femmes maires.
L'abaissement, ou si possible la suppression du seuil concernant l'instauration de la proportionnelle dans les petites communes sont importants. En contrepartie, on pourrait admettre la diminution du nombre de membres au conseil municipal : 7 à 9 membres représentent un nombre important de personnes à mobiliser dans les petites communes.
D'un autre côté, on peut considérer que les membres du conseil municipal, bénévoles, donnent beaucoup de leur temps et sont d'un grand apport pour la société. La qualité du lien social dans la commune est souvent liée à leur implication et il serait dommage de s'en priver.
Le fonctionnement du conseil municipal dépend en pratique beaucoup de la manière dont le maire sait partager le pouvoir avec ses conseillers et conseillères.
Pour ce qui concerne la désignation aux conseils communautaires, le maintien d'un seuil de 1000 habitants poserait un réel problème. Nous resterions dans la même situation avec des exécutifs composés d'hommes maires des communes constituées en établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Pour les communes inférieures à 1000 habitants, on délègue une seule personne, le maire ou son adjoint aux finances ou aux travaux publics. Il faudrait prévoir au moins que dès qu'il y a deux délégués, si le maire est d'office délégué à l'EPCI, la représentation soit paritaire pour avoir une femme suppléante. Ou bien établir une représentation minimale pour chaque sexe au sein de l'EPCI, mais cela est sans doute impossible dans notre cadre juridique.
Dans nos travaux concernant la valorisation des acquis de l'expérience pour les élus, nous interrogeons les femmes membres des conseils municipaux pour connaître leurs attentes. Il apparaît ainsi que les femmes aspirent à réaliser des tâches concrètes et utiles au sein de l'équipe municipale, et il faut leur en confier, car sinon, elles sont déçues et ne se représentent pas. L'une de nos recommandations s'adresse aux adjoints aux maires, leur demandant de solliciter de manière systématique l'aide des conseillères municipales sur leurs dossiers, de les y adjoindre en quelque sorte.
La valorisation des acquis de l'expérience est importante, afin que les adjoints au maire et les élus municipaux puissent prétendre ensuite à des métiers dans lesquels leur expérience sera utile. Après deux mandats, il est important que cette expérience soit valorisée. Nous oeuvrons actuellement à encourager les femmes à se présenter en tête de liste pour les municipales de 2014.
En pratique, il est fréquent que les femmes constatent à la fin du deuxième mandat que cette fonction est trop prenante et ne souhaitent plus se présenter.
Votre travail sur la valorisation des acquis de l'expérience est très important, et nous devrons l'examiner. Si l'expérience de l'élu est importante, une limitation de la durée des mandats pourrait être concevable, car voir des maires rester en fonction pendant 40 ans est tout de même surprenant. Une limitation à deux ou trois mandats me paraîtrait suffisante.
Elle contribuerait en outre à limiter ce comportement de certains maires qui font obstacle de toutes leurs forces à ce que leurs adjoints pourtant compétents se fassent élire à leur tour en qualité de maire.
Madame, je vous remercie d'être venue devant la Délégation nous faire part de vos positions et analyses qui nous soutiennent dans notre lutte pour la parité.
Enfin, la Délégation procède à la nomination de Mme Pascale Crozon, rapporteur pour information sur le projet de loi, rejeté par le Sénat, relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires et modifiant le calendrier électoral (n° 631).
La séance est levée à 18 heures 50.