Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de Mme Suzana Grubjesic, vice premier ministre de Serbie, chargée des affaires européennes
La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Suzana Grubjesic, vice première ministre de Serbie, chargée des affaires européennes. Les relations entre la Serbie et l'UE se trouvent aujourd'hui à un tournant, votre pays ayant obtenu, en mars dernier, le statut de candidat à l'adhésion. Le fait qu'une ministre des affaires européennes ait rang de première ministre montre l'importance que vous y attachez et pourrait servir d'exemple à d'autres pays.
Le processus d'adhésion est toujours complexe, en raison des exigences – justifiées – de l'UE en matière économique et politique. Il l'est d'autant plus actuellement que le sentiment se développe en France que ces exigences n'ont pas toujours été remplies par les nouveaux adhérents. La finalité politique de l'élargissement génère des interrogations, y compris au sein de nos commissions. Par ailleurs, après l'adhésion de la Croatie, les nouveaux élargissements devront être approuvés par référendum ; il faut donc que l'opinion publique française soit particulièrement convaincue de leur légitimité. Le passé de la Serbie, marqué par une guerre avec ses voisins, qui avait ensanglanté l'Europe, complique également la démarche de votre pays.
Depuis une dizaine d'années, la Serbie a accompli des progrès spectaculaires en matière de démocratie et de normalisation de ses relations avec la communauté internationale, et en particulier avec ses voisins. Votre coopération constante avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) est également à saluer. Enfin, l'alternance politique que la Serbie a connue il y a quelques mois ne paraît pas avoir remis en cause son engagement européen.
Le Conseil européen a pourtant choisi d'accorder la plus grande vigilance au processus d'adhésion de la Serbie. Des relations fortes et anciennes unissent nos deux pays ; mais si la France s'est fortement engagée pour que la Serbie obtienne le statut de candidat, elle tient au respect rigoureux des conditions posées. Avant tout, le dialogue noué avec le Kosovo doit se poursuivre ; la Serbie doit témoigner d'un engagement crédible et d'une coopération active avec les missions internationales – Kosovo Force (KFOR) et European Union Rule of Law Mission (EULEX) –, cette exigence étant incontournable. Nous comptons sur vous, madame la vice première ministre, pour nous détailler votre programme de négociations avec le Kosovo et la mise en oeuvre des accords déjà conclus. À plus long terme, on ne saurait se contenter d'arrangements limités entre les gouvernements serbe et kosovar, et la reconnaissance du Kosovo risque de devenir une condition préalable à votre adhésion effective, même si elle n'est pas formellement posée comme telle aujourd'hui.
Les rapports de la Commission européenne reconnaissent l'ampleur de l'effort politique et économique accompli par la Serbie pour se conformer à l'acquis communautaire. Les points de préoccupation, classiquement relevés chez tous les candidats à l'adhésion, renvoient à la lutte contre la corruption, à la réforme du système judiciaire – qui devrait assurer une véritable indépendance des juges –, à la coopération avec l'UE en matière de flux migratoires et de politique des visas, ainsi qu'aux progrès à faire en matière d'environnement. Certains événements inquiétants de cet été nous amènent enfin à nous interroger sur l'engagement européen du nouveau gouvernement.
Votre présence ici, madame la vice première ministre, montre l'importance que votre pays attache à l'adhésion à l'UE, et nous espérons vivement que les conditions pourront être réunies pour que ce processus puisse démarrer le plus rapidement possible.
Madame la vice première ministre, la commission des affaires européennes est heureuse de vous accueillir pour cette audition conjointe avec la commission des affaires étrangères. Notre commission entretient des relations suivies avec la Serbie, des liens historiques unissant nos deux pays. J'ai récemment reçu Mme Mirjana Nikolic, ministre conseillère de l'ambassade de Serbie, pour travailler sur les questions que Mme Élisabeth Guigou vient d'évoquer. Les commissions des affaires européennes du Bundestag et de l'Assemblée nationale se rendront ensemble à Belgrade, les 10 et 11 avril prochains. Ce voyage conjoint, après un voyage du même type effectué en Croatie l'année dernière, est pour nous fortement symbolique : l'Allemagne et la France ont un passé historique douloureux, et effectuer une visite de travail conjointe en Serbie – qui porte également une histoire tragique avec les États voisins – est une façon de souligner auprès de vous, et avec vous, le sens même du projet européen, espace de paix et de solidarité. J'espère que ce travail permettra d'améliorer encore nos relations, confortant votre statut d'État candidat à l'adhésion pour lequel vous avez déjà rempli bien des conditions et réalisé bien des efforts.
En vue d'une possible décision concernant l'ouverture des négociations d'adhésion de la Serbie, le Conseil européen de décembre 2012 a annoncé qu'il s'appuierait sur le rapport de la Commission européenne et de la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères pour examiner, au printemps 2013, les progrès réalisés par votre pays sur les points encore problématiques. Dans ses conclusions sur la stratégie de l'élargissement, le Conseil a reconnu que la Serbie s'appliquait à se conformer aux critères politiques et aux conditions du processus de stabilisation et d'association, et a salué la dynamique récente en faveur de la réforme du secteur judiciaire et l'adoption d'un nouveau plan de lutte contre la corruption. Il a cependant encouragé votre pays à poursuivre ses efforts.
Nous portons une attention particulière aux progrès en matière d'État de droit, d'indépendance de la justice, de protection des minorités, de lutte contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle – la gestion des manifestations pour les droits des homosexuels, à Belgrade, constitue un mauvais souvenir – et d'amélioration de l'environnement économique. Éclairez-nous, madame la vice première ministre, sur l'état d'avancement de tous ces programmes de réformes, qui ouvrent la voie vers l'adhésion.
Par ailleurs, le processus d'adhésion est conditionné par la normalisation de vos relations avec Pristina. Nous avons favorablement perçu le récent accord entre la Serbie et le Kosovo en matière de droits de douane et de fiscalité. Les tensions semblent néanmoins persister, notamment à la suite de la présentation par la Serbie, fin décembre 2012, d'une plateforme de négociation sur le Kosovo, que celui-ci conteste. À l'instar du président Van Rompuy qui a récemment rencontré les premiers ministres de Serbie et du Kosovo, nous encourageons vos deux États à approfondir le dialogue. Vous y êtes vous-même favorable, ayant déclaré, le 22 janvier dernier, devant la commission des affaires étrangères du Parlement européen, qu'« il n'y [avait] pas d'alternative au dialogue » entre Belgrade et Pristina. Cela nous semble de bon augure ; je suis certaine que la Serbie a aujourd'hui à coeur de répondre à toutes les attentes européennes, et j'espère pouvoir bientôt vous souhaiter la bienvenue dans l'Union.
Mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur et un plaisir d'être le premier membre du gouvernement serbe à m'adresser à l'Assemblée nationale depuis les dernières élections en France et en Serbie. L'intégration européenne est née en France ; c'est pourquoi cette visite a une grande importance pour mon pays et pour moi personnellement. Je remercie la France d'avoir soutenu la Serbie sur la voie de l'intégration européenne en décembre 2012 et j'espère que votre pays soutiendra également l'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne en juin 2013.
Le gouvernement serbe s'appuie sur une coalition – trois grands partis et deux formations minoritaires – qui représente 147 sur les 250 députés de l'assemblée nationale de la République de Serbie ; mais les forces pro-européennes excèdent largement les contours de la majorité, quelque 230 députés étant favorables à l'intégration européenne. Mon plaisir d'être aujourd'hui parmi vous est d'autant plus grand qu'ayant moi-même exercé deux mandants de députée, j'ai beaucoup de considération pour le travail parlementaire.
Vous l'avez souligné, une longue tradition d'amitié unit la Serbie et la France ; à côté des liens historiques, tant culturels que familiaux, nous avons également signé, en 2011, un partenariat stratégique. Notre coopération concerne aujourd'hui non seulement l'intégration européenne, mais aussi les échanges culturels et économiques, ainsi que la sécurité intérieure. J'espère que ma visite en tant que vice première ministre incitera nos gouvernements et nos parlements à coopérer encore plus étroitement dans tous les domaines d'importance commune. Le soutien technique et politique que la France apporte à la Serbie en matière d'intégration européenne est pour nous primordial.
Le Conseil européen de décembre a salué les progrès de la Serbie, précisant que la date de lancement des négociations pourrait être fixée très prochainement. Depuis, nous avons continué les réformes, notamment la normalisation de nos relations avec Pristina, le renforcement des droits de l'homme et des minorités, et l'amélioration de l'environnement des affaires. Le gouvernement de Serbie est déterminé à les poursuivre, afin d'être certain d'obtenir une date de lancement des négociations, conformément aux recommandations de Catherine Ashton et du commissaire à l'élargissement Štefan Füle. L'octroi de cette date – que nous espérons être fixée à juin 2013 – est d'une importance cruciale afin de maintenir le rythme des réformes dans notre société, et nous comptons sur le soutien du Gouvernement et du Parlement français. J'espère que notre rencontre d'aujourd'hui y aidera.
Nous sommes conscients que la normalisation de nos relations avec Pristina constitue la condition clé de notre intégration européenne. Sur cette question complexe et délicate, la Serbie a pris une position constructive ; tous les pays intéressés doivent travailler ensemble, de façon flexible et pragmatique, afin de trouver une solution acceptable pour tous, et notamment pour les citoyens qui vivent au Kosovo. Nos partenaires européens salueront l'avancée que représente la mise en oeuvre de l'accord sur la gestion intégrée des points de passage frontaliers. Quatre d'entre eux fonctionnent déjà, deux autres s'y ajouteront prochainement, parachevant les termes de l'accord. Début février, nous commencerons également des négociations avec Pristina dans le domaine des télécommunications et de l'énergie. Le dialogue politique entre le premier ministre de la République de Serbie, Ivica Dacic, et Hashim Thaçi est en cours, un nouveau cycle de négociations étant programmé pour les 19 et 20 février. La récente rencontre entre le président de la République de Serbie, Tomislav Nikolic, et Atifete Jahjaga constitue un pas symbolique qui prouve que le temps est venu pour un accord historique entre nos deux peuples. L'Assemblée nationale de la République de Serbie a également participé aux pourparlers en adoptant une résolution sur les principes généraux à suivre dans les négociations avec Pristina.
Parallèlement à cette avancée du dialogue avec Pristina, le gouvernement serbe fait des efforts considérables en faveur des réformes, notamment pour affermir l'État de droit, renforcer la protection des minorités et la lutte contre la corruption et le crime organisé, et aider nos entreprises. Ces réformes sont nécessaires non seulement parce que Bruxelles les exige, mais également parce qu'elles correspondent au souhait de nos citoyens. Nous voulons nous préparer au mieux, pour que la Serbie rejoigne l'Union européenne en tant que membre et partenaire égal. Afin d'y parvenir, nous avons adopté un plan d'action pour la mise en oeuvre des recommandations de la Commission européenne. Le plan national pour l'intégration de l'acquis communautaire – que nous adopterons d'ici fin février – organisera, sur une période de quatre ans, l'harmonisation de notre droit national avec la législation européenne.
Depuis la formation de notre gouvernement, nous avons prouvé notre volonté de réformer le système judiciaire, en toute transparence, notamment en corrigeant les erreurs du passé. Les droits de l'homme et des minorités sont également d'une grande importance pour la Serbie, notre souhait étant de construire de nouveaux standards de vie commune. Le cadre législatif est d'ores et déjà bien développé : ces droits sont garantis par notre Constitution, par la loi sur la protection des droits et des libertés des minorités, et la loi contre les discriminations. L'application de ces normes légales pourrait en revanche être améliorée ; c'est ce que nous cherchons à faire à travers l'adoption de plusieurs documents stratégiques.
La conférence qui s'est tenue le 13 décembre 2012 à Belgrade a marqué le lancement officiel du projet LGBT du Conseil de l'Europe, auquel participent plusieurs autres pays – l'Italie, le Monténégro, l'Albanie, la Lettonie et la Pologne. C'est la première fois qu'une telle conférence est organisée dans notre pays par une institution d'État pour combattre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre. Nous souhaitons également lutter contre la discrimination des Roms, l'objectif étant de protéger tous les groupes minoritaires et marginalisés, et d'en améliorer le statut.
Afin de redresser la situation économique difficile de notre pays, l'assemblée nationale serbe a adopté cette année un budget qui prévoit un déficit de 3 % du PIB, contre 7 % en 2012, opérant une réduction de 50 %. La réforme du système fiscal – actuellement en préparation au ministère des finances – et l'allègement des procédures administratives devraient améliorer la condition des entreprises en Serbie. Le gouvernement travaille activement à l'instauration d'un climat propice à l'investissement. Le principal problème de l'économie et de la société serbes réside dans le taux très élevé de chômage ; cependant, pour la première fois depuis des mois, nous avons réussi à en stopper la hausse. Autre signe encourageant, les institutions financières internationales – la Banque mondiale et la BERD – nous promettent cette année une croissance de 2 %. Par conséquent, l'économie serbe peut espérer sortir prochainement de la crise.
Quelques mots enfin sur la coopération régionale. Nous fêterons cette année le dixième anniversaire du sommet et de la déclaration de Thessalonique. L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, le 1er juillet 2013, enverra un signal positif à toute la région des Balkans occidentaux. Depuis la crise économique, l'Union européenne est repliée sur elle-même ; notre région a pourtant besoin d'un encouragement supplémentaire qui lui donnerait le sentiment de faire partie de la famille des peuples européens. Malgré les problèmes économiques et financiers que traverse l'Europe, il ne faut pas ignorer l'aspiration européenne de notre région ; l'Union européenne n'est plus seulement une idée, mais un concept qui garantit à tous ses membres paix, stabilité et prospérité. C'est pourquoi je vous demande aujourd'hui de soutenir la Serbie sur son chemin vers l'adhésion. J'espère que nous nous verrons au mois d'avril à Belgrade ; vous verrez alors par vous-mêmes les progrès que notre pays a accomplis.
Madame la vice première ministre, nous sommes heureux de vous accueillir. Durant le mandat précédent, j'ai suivi – en qualité de président du groupe d'amitié France-Serbie – la marche de votre pays vers l'entrée dans l'Union européenne. Je me réjouis de la constance de la politique serbe dans ce domaine et de la reprise, par le président Nikolic, de l'orientation pro-européenne du président Tadic.
Lorsqu'on sait la force des liens d'amitié entre la France et la Serbie – que le monument aux morts face à l'ambassade de France à Belgrade suffit à illustrer –, l'on s'étonne de la diminution relative des échanges économiques entre nos pays. Le rapprochement culturel est une belle chose, mais le monde actuel nous interdit de négliger l'aspect économique de la relation. La part de marché de la France en Serbie était de moins de 3 % en 2010 ; nous sommes passés du rang de cinquième à celui de onzième fournisseur, dépassés par l'Allemagne, l'Italie ou la Chine. La refonte de l'imposition des entreprises que vous avez évoquée pourra-t-elle favoriser le renforcement des liens économiques avec la France, et qu'attendez-vous de notre pays pour aller dans ce sens ?
Quelle part tient en Serbie l'enseignement du français ? Notre langue continue-t-elle d'être prioritaire ou bien est-elle dépassée par d'autres et reléguée au second rang ?
Député des Bouches-du-Rhône, je sais d'expérience que la porosité des frontières européennes rend difficile le contrôle des armes de guerre, menaçant nos démocraties. C'est aux frontières de l'Italie et des Balkans que l'on s'échange les armes issues du conflit balkanique des années 1990 ; celles qui circulent à Marseille et dans tout le département – qui ont fait et qui feront peut-être encore des morts – sont originaires de cette zone. Je me réjouis que nos polices collaborent afin d'endiguer plus efficacement cette menace. La question du contrôle des armes et de la lutte contre les mafias est-elle à l'ordre du jour en Serbie ?
Madame la vice première ministre, je suis heureux de vous saluer à deux jours de la fête nationale de la Serbie.
Quelles sont aujourd'hui vos relations avec la Bosnie-Herzégovine ? Plus généralement, comment vous situez-vous entre votre partenariat stratégique très fort avec la Russie et vos relations avec les États-Unis, ces deux grands États pesant lourd dans les relations internationales et européennes ? Comment percevez-vous l'OTAN, compte tenu du passé douloureux de votre pays ?
Vous avez en partie répondu aux questions relatives au Kosovo, mais pourriez-vous en dire plus ? J'ai vécu un moment difficile au parlement serbe au moment de l'indépendance du Monténégro ; quelles sont vos relations actuelles avec ce pays ?
La Serbie n'est pas, pour l'instant – et on peut le comprendre – candidate à l'OTAN. Cette option est-elle exclue ou envisagée par les milieux politiques serbes ?
Vous avez évoqué les progrès réalisés en matière de justice – domaine sur lequel l'Europe sera très vigilante ; pourriez-vous développer ce thème ?
À mon tour de me réjouir de l'entrée prochaine de la Serbie dans l'Union européenne, même si elle devrait s'accompagner d'une réforme des institutions européennes. Le jour où votre pays sera un État membre, l'ex-Yougoslavie disposera de trois commissaires, et la France d'un seul ; jusqu'à quand accepterons-nous cette situation ?
Vous avez conclu, madame la vice première ministre, en affirmant que l'Europe était un concept de paix et de stabilité ; mais l'Europe était également, à l'origine, un projet politique. Sur quel projet repose votre désir d'adhésion ? L'Europe ne se réduit pas aux échanges économiques et aux droits des minorités ! Comment voyez-vous l'Europe de la défense ? Comment comptez-vous construire vos relations avec la Russie et les États-Unis ?
Vous avez également évoqué le terme de prospérité. Alors que l'élargissement de l'Europe suscite aujourd'hui beaucoup d'interrogations au sein des États membres, que pouvez-vous apporter à l'Union européenne ? De quels atouts économiques – et notamment industriels – la Serbie dispose-t-elle, et pourront-ils vous aider à rendre votre adhésion à l'UE pleine et saine ?
Madame la vice première ministre, vous avez justifié votre intention d'entrer dans l'Union européenne par votre souhait d'y trouver paix, stabilité et prospérité. Mais quelle est votre conception de l'Europe, et quel rôle envisagez-vous d'y jouer ? Quand vous parlez de paix et de stabilité, pensez-vous également à la région des Balkans ?
Les données des ministères serbes relatives aux relations économiques bilatérales entre la France et la Serbie diffèrent de celles dont vous disposez. En matière d'investissements, la France est aujourd'hui au quatrième, et non au onzième rang. En 2011, les exportations de la Serbie vers la France s'élevaient à 221 millions, et les importations depuis la France à 387 millions d'euros ; sur les six premiers mois de l'année 2012, les exportations ont atteint 111 millions, et les importations 204 millions d'euros. Nous avons l'intention d'intensifier la coopération interrégionale : un accord a par exemple récemment été signé entre la province autonome de Voïvodine et la Bretagne. La Serbie souhaite développer ses relations économiques bilatérales avec la France de toutes les manières possibles.
Je ne peux malheureusement pas dire avec précision combien d'enfants serbes apprennent aujourd'hui le français, mais c'est l'une des trois langues les plus enseignées à l'école. Les élèves commencent à apprendre les langues étrangères à sept ans, lorsqu'ils entrent à l'école primaire, choisissant toujours deux langues – une obligatoire, l'autre optionnelle – entre le français, l'anglais, l'allemand, et parfois également le russe. À l'université, ils choisissent une langue étrangère dominante, mais en gardent parfois une deuxième. Si vous avez besoin de données plus précises, je les demanderai au ministère de l'éducation et reviendrai vers vous.
En ce qui concerne la circulation des armes, triste conséquence des conflits balkaniques, les forces policières serbes coopèrent non seulement avec la police française, mais également avec d'autres pays. Nous participons activement à toutes les institutions internationales ayant pour objectif la lutte contre le crime organisé et la corruption. Ces derniers mois, la Serbie combat également tous ces phénomènes à l'intérieur de ses frontières, avec des résultats considérables. Nous travaillons d'ailleurs aussi avec les policiers américains, notamment en matière de trafic de stupéfiants. Il faut réunir tous les efforts pour affronter ces fléaux ensemble.
La Serbie entretient de bonnes relations avec la Bosnie-Herzégovine. Après la formation du nouveau gouvernement, Sarajevo fut l'une des premières destinations officielles du président serbe ; la semaine dernière, une délégation de la Fédération de Bosnie-Herzégovine de très haut niveau s'est rendue en Serbie. La position de notre pays est claire à l'égard de ce voisin dont nous respectons la souveraineté et l'intégrité territoriale ; signataire des accords de Dayton de 1995, la Serbie est liée à la Bosnie-Herzégovine par un contrat moral. Nos relations avec le Monténégro sont très amicales. La séparation entre la Serbie et le Monténégro s'est déroulée de manière très civilisée après le référendum organisé dans ce pays ; ce sont donc les citoyens monténégrins qui ont fait de la Serbie un État indépendant.
J'en viens à la question des relations stratégiques de la Serbie avec la Russie, les États-Unis et l'OTAN. À la différence des autres pays des Balkans, la Serbie a signé avec la Russie un accord sur la libre circulation des marchandises. Alors que les pays de l'UE pourraient utiliser la Serbie comme plateforme d'exportation vers la Russie, cet accord reste malheureusement sous-exploité. Nous avons d'excellentes relations – notamment politiques et économiques – avec la Russie. Elles sont également bonnes avec les États-Unis ; nous coopérons ainsi en matière d'industrie militaire et de lutte contre le crime organisé et la corruption. S'agissant de l'OTAN, la Serbie a adhéré au Partenariat pour la paix et participe activement à tous ses projets. Mais le gouvernement actuel, comme ses prédécesseurs, doit respecter la résolution du parlement serbe de 2007 qui proclame la neutralité militaire de notre pays. Aujourd'hui, l'adhésion à l'OTAN ne fait pas l'objet d'un débat en Serbie ; les bombardements de 1999 étant encore très présents dans les mémoires, aucune discussion rationnelle sur les avantages que la Serbie pourrait en retirer n'est pour le moment possible. Pourtant, la question commencera sans doute à être soulevée dans les années à venir, lorsque la Serbie sera entourée par des pays membres de cette alliance, à laquelle elle sera seule à ne pas appartenir.
Quelques mots pour expliquer en quoi consiste la réforme judiciaire. La cour constitutionnelle de Serbie a examiné les plaintes des juges qui n'avaient pas été reconduits au terme des décisions précédentes de justice ; plus de 500 d'entre eux ont été remis à leur poste. Cette mesure capitale fait partie des premières actions du nouveau ministre de la justice. Nous analysons également le réseau des tribunaux sur notre territoire, afin d'en équilibrer le nombre. La précédente réforme s'était, en effet, traduite par la disparition des tribunaux dans beaucoup de villes. La nouvelle stratégie et le nouveau plan d'action quinquennal devraient être adoptés avant la fin du mois de mars 2013. Le ministère de justice mène cette réforme avec le concours des experts envoyés par les pays de l'Union européenne – dont la France – et travaille en étroite collaboration avec la commission de Venise et la Commission européenne.
L'un d'entre vous, messieurs et mesdames les députés, a affirmé que la Serbie devrait entrer dans l'Union européenne ; j'espère que ce jour viendra, mais pour le moment, il n'est question que de commencer les négociations. Leur durée permettra à la Serbie de changer et d'adapter sa législation ; notre objectif, en effet, n'est pas uniquement de devenir membre de l'Union européenne, mais d'utiliser les négociations pour nous aligner sur les normes européennes. Certes, la politique d'élargissement n'est pas à la mode, mais elle était déjà impopulaire avant le début de la crise économique. La Serbie ne demande aujourd'hui qu'une date de début des négociations ; quant au débat sur l'adhésion, il pourra se tenir dans les années à venir. Géographiquement, culturellement et économiquement, la Serbie appartient à l'Europe, et elle devrait également en faire partie au niveau institutionnel. Le soutien du gouvernement serbe au processus d'adhésion de la Serbie à l'UE reste et restera constant en dépit du changement des équipes au pouvoir, notre souhait étant de rendre l'intégration irréversible.
Vous avez enfin demandé ce que la Serbie pouvait apporter à l'Union européenne. Une fois membre, notre pays ne sera pas plus un poids pour l'Europe qu'il ne l'est aujourd'hui. Or, la Serbie fait face à la crise sans aide extérieure, hormis les 200 millions d'euros par an qu'elle reçoit au titre d'instrument d'aide de pré-adhésion (IAP). En janvier 2013, pour la première fois depuis des mois, la production industrielle serbe a augmenté de 2 %, et nous espérons que cette tendance se poursuivra dans les années à venir, nous permettant de sortir de la crise. Je le répète, le principal problème de la Serbie est aujourd'hui le chômage ; sa progression est stoppée, et nous essayons de le résorber en créant un environnement favorable pour les investisseurs étrangers et nationaux. Autre réforme économique d'importance : cette année, nous avons réussi à augmenter nos exportations de 20 %. Grâce à la production de Fiat et de ses sous-traitants – installés dans une ville de la région centrale de Šumadija –, les exportations serbes devraient augmenter davantage encore avant la fin de l'année. Le gouvernement serbe prépare également un plan de soutien au secteur des technologies de l'information. Ce domaine est très important pour notre pays, et nous y travaillerons cette année et dans les années à venir.
Le rapprochement avec l'Union européenne, nous le voyons, vous tient à coeur. La relation avec le Kosovo représente pour nous un point crucial, comme en témoigne l'abondance des questions qui vous ont été posées sur ce thème. Nous serons très vigilants, car le processus d'adhésion de la Serbie à l'Union européenne doit devenir un élément de pacification de la région. Rien ne pourra se faire sans que les relations entre la Serbie et le Kosovo n'entrent dans une nouvelle phase.
Je vous remercie pour votre franchise. L'amitié entre la France et la Serbie compte beaucoup pour l'Assemblée nationale, et nous appuierons votre rapprochement avec l'Union européenne. Mais notre exigence de faiblira pas, pour la réussite même de ce processus d'adhésion.
M. Thierry Mariani a soulevé une question institutionnelle importante. Au début de la construction européenne, et jusqu'au traité d'Amsterdam en 1997, les pays démographiquement importants disposaient chacun de deux commissaires, et les pays moins peuplés d'un seul. Cette prise en compte des réalités a été supprimée – concession regrettable de la part de la France –, et nous devrons y remédier. Le besoin de mieux faire fonctionner les institutions européennes est aujourd'hui patent ; la juxtaposition des différents discours – 27 États membres aujourd'hui, bientôt 28 et un jour 35 – nous amènera nécessairement à revoir l'architecture même de l'Union européenne. Comme le Président de la République l'a souligné devant le Parlement européen, nous irons de plus en plus vers une Europe différenciée, avec des éléments beaucoup plus intégrés pour certains, tout en veillant à développer des projets communs stimulants afin que l'élargissement ne crée en aucun cas une Europe de seconde zone. Il faudra trouver des projets stimulants pour tous les pays membres, tout en menant ensemble une réflexion institutionnelle.
Je vous remercie, Madame la vice première ministre, de votre visite. Danielle Auroi et moi-même avons été heureuses de vous recevoir, et nous vous adressons tous nos voeux de réussite pour ce processus de rapprochement, en espérant que votre statut de candidat à l'adhésion permette l'ouverture prochaine des négociations.
La séance est levée à dix heures quarante-cinq.