COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 26 septembre 2012
La séance est ouverte à neuf heures dix.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)
La Commission entend Mme Agnès Jeannet, inspectrice générale des affaires sociales, dont la désignation à la présidence du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est envisagée par le Gouvernement (application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique)
Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Agnès Jeannet, inspectrice générale des affaires sociales, dont la nomination à la présidence du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, l'ANSM, est envisagée par le Gouvernement.
Cette audition a lieu en application de l'article L 1451-1 du code de la santé publique, issu de l'article 1er de la loi sur la sécurité du médicament que nous avons adoptée l'année dernière. En effet, l'ANSM fait partie des neuf organismes dont les présidents, directeurs généraux et directeurs doivent être auditionnés par le Parlement – en l'espèce les commissions des affaires sociales des deux assemblées – avant leur nomination.
Nous ne sommes pas dans le cadre de la procédure de mise en oeuvre de l'article 13 de la Constitution : il s'agit d'une simple audition, et les commissions compétentes n'ont pas à exprimer un avis. C'est pourquoi cette audition ne sera pas suivie d'un vote.
Je rappelle que l'ANSM a été créée par la loi du 29 décembre 2011 et mise en place le 1er mai 2012. Établissement public placé sous la tutelle du ministère chargé de la santé, elle a repris les missions, les obligations et les compétences exercées auparavant par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Elle est ainsi chargée d'évaluer les bénéfices et les risques liés à l'utilisation des produits de santé tout au long de leur cycle de vie. Sa compétence s'applique aux médicaments et aux matières premières, aux dispositifs médicaux et aux dispositifs de diagnostic in vitro, aux produits biologiques d'origine humaine – produits sanguins labiles, organes, tissus, cellules, produits de thérapies génique et cellulaire –, et aux produits thérapeutiques annexes, aux produits cosmétiques et aux produits de tatouage.
L'ANSM est dotée de nouvelles responsabilités, notamment dans le domaine de la recherche, des études de suivi des patients et du recueil des données d'efficacité et de tolérance, et de l'encadrement des recommandations temporaires d'utilisation. Ses missions sont également élargies en matière de contrôle de la publicité, d'information des patients et des professionnels, mais aussi de sanctions à l'égard des fabricants de médicaments ou de dispositifs médicaux en cas de manquement à leurs obligations.
Si Mme Agnès Jeannet est nommée à ce poste, elle succédera à M. François Chollet, chef de service au CHU de Toulouse, qui occupait la présidence du conseil d'administration de l'AFSSAPS depuis 2005.
Mme Jeannet a fait parvenir au secrétariat de la commission son curriculum vitae, ainsi que la déclaration publique d'intérêts que la loi l'oblige désormais à souscrire : ces documents sont en distribution dans la salle.
Je vous laisse la parole, madame Jeannet, pour présenter votre parcours professionnel ainsi que les raisons pour lesquelles vous avez postulé à la fonction de présidente du conseil d'administration de l'ANSM. Vous savez combien la représentation nationale est vigilante en matière de politique du médicament. Une lourde tâche incombe à l'agence. Nous attendons qu'elle travaille avec la plus grande rigueur. Même si nous savons que le risque zéro n'existe pas en matière de médicament, l'objectif doit être d'y tendre.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, j'ai effectivement l'honneur de présenter ma candidature au poste de présidente du conseil d'administration de la nouvelle agence chargée de la sécurité des produits de santé. Avant de vous exposer mon parcours professionnel et ma vision du rôle de l'agence et de son conseil d'administration, je souhaite rappeler quelques éléments du contexte très particulier dans lequel ma candidature s'inscrit, contexte marqué par des drames sanitaires, qui ont entraîné la réforme en cours de la sécurité sanitaire.
Dans ce contexte, l'agence doit relever deux défis. Tout d'abord, celui de la continuité. Elle doit en effet continuer de travailler tout en transformant ses règles de fonctionnement. La nomination de l'ancien directeur de l'AFSSAPS à la tête de la nouvelle agence est un atout, la continuité entre les deux structures étant un enjeu essentiel.
Le deuxième défi est celui de l'urgence, de la rapidité et de la réactivité, les victimes exigeant de l'État qu'il leur garantisse au plus vite que les mêmes défaillances ne se reproduiront pas. Il faut agir vite pour remédier aux failles analysées par le Parlement, tout en restant opérationnel. Face à ces deux enjeux stratégiques, je salue l'engagement de toutes les équipes de l'agence et de son directeur. Le conseil d'administration devra naturellement leur apporter son appui pour faire face à ce moment particulier.
Dans ce contexte, l'agence a la chance de pouvoir bénéficier de l'investissement très important, sans doute sans précédent, du Parlement, en particulier de votre commission et de certains députés ici présents. Ceux-ci ont décrit les dysfonctionnements à l'origine du drame, analysé leurs causes et proposé des solutions. La présence de trois députés au conseil d'administration constituera un appui précieux pour permettre à l'agence d'exercer pleinement le rôle que le législateur lui a assigné en matière de sécurité des produits de santé.
Mon parcours professionnel m'a amené à exercer deux métiers, que j'ai l'un et l'autre adorés.
Mon métier d'origine, l'inspection, m'a permis pendant quinze ans de parcourir l'ensemble des services sur tout le territoire et de rencontrer les acteurs des politiques sociales. Ce métier présente trois facettes : à côté de la fonction de contrôle, où il s'agit de vérifier la régularité, voire l'opportunité, des actions de politique publique, j'ai aussi exercé des missions d'évaluation et d'audit.
Ce parcours, voué tout entier au service public, et notamment les missions que j'ai exercées au cours des dix dernières années, m'a permis d'acquérir une bonne expertise du système de santé. J'ai en effet contrôlé tant des hôpitaux que des cliniques privées, ce qui m'a permis de comparer le fonctionnement de ces deux types de structures. J'ai par ailleurs été chargée d'une mission d'évaluation des regroupements des professionnels de santé, ou encore, en collaboration avec l'inspection des finances, de l'évaluation de la mise en place d'un nouveau dispositif d'assurance civile médicale. Avec l'inspection générale de l'éducation nationale, j'ai proposé au ministre des voies et moyens de mise en place de la filière universitaire de médecine générale. Très récemment, j'ai effectué deux missions de sécurité sanitaire stricto sensu : j'ai été chargée, d'une part d'enquêter sur un cas d'infection nosocomiale dans un grand établissement public de santé, et d'autre part d'effectuer un audit de la mise en place de la maîtrise des risques à l'Institut national de veille sanitaire, l'InVS.
J'ai par ailleurs exercé des fonctions managériales, à des niveaux différents, mais toujours dans des établissements publics ou des agences relevant des ministères sociaux. J'ai ainsi assuré des missions de gestion dans de petites structures, telles que le Comité français d'éducation pour la santé, le CFES, ancêtre de l'INPES, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. J'ai été secrétaire générale chargée de la gestion du siège de la Caisse nationale d'assurance maladie, la CNAM, dont les effectifs étaient comparables à ceux de l'agence. J'ai également occupé des fonctions de chef de service à la direction générale du travail, ce qui m'a permis d'acquérir une vision des enjeux de sécurité et de santé au travail, et plus largement du droit du travail.
La fonction qui m'a le plus marquée est celle que j'ai exercée pendant six ans à la direction de l'Agence française du sang. Elle m'a permis de suivre à un poste opérationnel tout le cycle de la réforme de la transfusion, lancée en 1992 et qui a abouti à la loi de 1998. Je voudrais vous rappeler les trois étapes de cette réforme, afin de vous éclairer sur ce qui motive ma candidature. La première étape a été celle de la remise en cause des structures existantes, avec notamment la dissolution de la Fondation nationale de transfusion sanguine, remplacée en 1992 par la première agence française du sang. Dans une deuxième étape, une nouvelle agence a été mise en place dans le cadre de la loi du 4 janvier 1993, qui a aussi créé l'Agence du médicament. Cette Agence française du sang, dont les effectifs ne dépassaient pas quatre-vingts personnes, était chargée de la sécurité des produits sanguins labiles, les produits stables relevant, eux, de l'agence du médicament en vertu de la nouvelle loi. Cette deuxième étape a vu par ailleurs la réorganisation des établissements de transfusion sanguine sur une base régionale et la définition des règles de contrôle. Enfin, la loi du 1er juillet 1998, qui a créé l'AFSSAPS, lui a donné compétence sur l'ensemble des produits de santé, y compris les produits sanguins labiles, afin que tous les produits de santé destinés à l'homme relèvent de la même instance de contrôle. L'ensemble des fonctions de contrôle de l'Agence française du sang ont été transférées à l'AFSSAPS et l'AFS est, quant à elle, devenue l'Établissement français du sang, établissement public national, chargé de fabriquer les produits sanguins destinés aux hôpitaux et le plasma destiné aux laboratoires de fractionnement.
Je voudrais vous livrer les enseignements que j'ai tirés de ces six années. Cette expérience m'a notamment appris que le temps était la première condition du succès d'une réforme de sécurité sanitaire et que celle-ci, toujours fragile, exigeait une vigilance de tous les instants. La seconde condition est qu'il existe une volonté publique d'ancrer les changements dans la durée. Mon expérience m'a prouvé par ailleurs la nécessité d'engager des professionnels de santé, traumatisés par la culpabilité de n'avoir pas fait ce qu'ils auraient dû ou pu faire, à se mobiliser pour adopter de nouvelles pratiques gages d'une amélioration de la sécurité. Elle m'a également convaincue de la nécessité d'associer la société civile à la réforme.
À côté de ces principes généraux, cet épisode dramatique m'a surtout appris que dans le contexte de risque incertain qui était celui de l'émergence du VIH, la sécurité sanitaire avait reposé sur les prescripteurs, en l'occurrence sur ceux d'entre eux qui avaient su renoncer aux transfusions de confort et revenir à des thérapeutiques antérieures, peut-être inconfortables pour les patients mais plus sûres.
À l'issue de cette présentation, vous aurez compris que je ne suis pas du tout une spécialiste du médicament. Je ne suis pas une scientifique, mais une administrative, à qui son parcours professionnel a permis de disposer d'une bonne expertise du fonctionnement du système de santé dans toutes ses facettes, ainsi que d'une connaissance pratique du fonctionnement, tant interne qu'externe, des agences contribuant au dispositif de sécurité sanitaire.
S'agissant de ma vision du rôle de l'agence et de son conseil d'administration, je veux dire d'abord ma foi dans le service public. Je suis convaincue que la sécurité sanitaire relève de la responsabilité de l'État, mais je suis tout aussi persuadée que restaurer la confiance imposera d'agir à quatre niveaux : celui de l'agence elle-même, celui de l'articulation avec les autres agences de santé, celui des autres acteurs du système de santé, professionnels de santé et industriels, enfin au niveau européen.
Depuis la refondation de 1993, l'agence est une structure autonome, distincte du ministère mais exerçant des pouvoirs de police sanitaire au nom de l'État. À partir de ces bases inchangées, la petite révolution qu'elle doit accomplir en vertu de la loi du 29 décembre 2011 comporte deux enjeux : celui de l'indépendance de l'expertise et celui de la transparence des décisions, extrêmement nombreuses, qu'elle devra prendre.
Je suis consciente que l'ANSM s'insère dans un dispositif public beaucoup plus large unissant l'État et ses agences de santé. En tant qu'agence chargée de la sécurité des produits de santé, elle entretient des liens étroits avec la Haute Autorité de santé (HAS), chargée de garantir la sécurité liée aux actes et aux professionnels, et l'InVS, dont relève la sécurité sanitaire de la population. C'est du bon fonctionnement de cet ensemble que dépend la sécurité des patients, voire de la population en général, lorsqu'il ne s'agit pas de produits de santé stricto sensu.
S'agissant des autres acteurs de santé, l'agence devra travailler en amont avec l'industrie et la recherche, publique ou privée, acteurs de l'innovation, et en aval avec les professionnels de santé qui prescrivent et dispensent les produits. Elle a en effet la mission complexe de garantir un équilibre entre l'accès le plus rapide possible aux nouvelles thérapeutiques et le bon usage des produits.
La sécurité sanitaire relève de plus en plus du niveau européen – depuis 1993, le médicament relève, non plus du marché intérieur, mais de la direction générale chargée de la santé –, qu'il s'agisse de la mise à disposition des produits, notamment des autorisations de mise sur le marché des produits innovants, ou du déclenchement des alertes. Là encore, l'agence devra assurer un bon équilibre entre son action nationale et celle qu'elle devra conduire au niveau européen, en appui du Gouvernement.
Le rôle du conseil d'administration, que la loi a ouvert aux parlementaires et aux associations de patients, est, assez classiquement, d'orientation et de suivi.
S'agissant du fonctionnement interne de l'agence, le conseil d'administration aura le rôle d'assurer l'équilibre entre les missions, les moyens et l'organisation. Ce point est stratégique, à un moment où le directeur de l'agence a engagé une mutation profonde de son organisation. De ce point de vue, je ne sais pas si on a toujours mesuré l'importance des moyens nécessaires pour assurer l'effectivité de certaines innovations législatives, comme le passage d'un contrôle a posteriori à un contrôle a priori de la publicité, ou la réévaluation continue du rapport bénéfice-risque. En outre, cet équilibre ne sera stable qu'une fois la phase de transition passée. Il faudra d'ici là, soit accepter quelques dysfonctionnements, soit allouer à l'agence des moyens supplémentaires durant cette phase. Il reviendra au conseil de trancher cette question en toute objectivité.
Le conseil devra également rechercher les moyens de rendre attractifs les métiers de l'agence. Cela suppose de valoriser les compétences existantes et de se doter, via de nouveaux recrutements, de celles qui feraient défaut.
Concernant les orientations stratégiques, je souhaiterais privilégier tout ce qui est en aval de la mise sur le marché des produits de santé. Trois points me semblent cruciaux. L'agence doit d'abord veiller à ce que le rapport bénéfice-risque soit toujours satisfaisant, et réagir rapidement dès qu'il apparaît que tel n'est pas le cas. Elle a par ailleurs, en collaboration avec la HAS, un rôle à jouer en matière de prescription, notamment en vérifiant la fiabilité scientifique de la publicité destinée aux professionnels. Enfin, dans le cadre de la réforme en cours du dispositif de pharmacovigilance, elle aura à appliquer les dispositions législatives relatives à la surveillance des risques.
Au nombre de ses missions de suivi, le conseil d'administration aura à suivre la mise en oeuvre du programme de travail de l'agence ; il devra vérifier que les orientations stratégiques pluriannuelles, prévues par la loi, seront respectées, selon un calendrier qu'il aura à définir ; il aura à statuer sur les méthodes de travail de l'agence, en fixant notamment le format, la composition et le rôle des commissions, et en évaluant leurs résultats. Enfin, l'audit que j'ai conduit à l'InVS m'a convaincue de la nécessité pour le conseil de suivre le plan d'identification et de maîtrise des risques de gestion internes.
Le conseil aura à hiérarchiser ces actions, à fixer un cap et à vérifier que celui-ci sera tenu durant ses trois années de mandat.
Je rappelle que les députés qui siègent au conseil d'administration de l'ANSM sont Arnaud Robinet, Gérard Bapt et Sandrine Hurel. En revanche, après l'adoption d'un de nos amendements à la loi du 29 décembre 2011, les industries du médicament ne sont plus représentées au conseil de l'administration. Ayant assez déploré qu'elles finançaient l'AFSSAPS, nous nous félicitons que ce n'est plus le cas avec la nouvelle agence. Que l'instance de contrôle ait été financée par ceux qu'elle était chargée de contrôler ne pouvait qu'aboutir à des scandales.
Il est vrai que l'initiative parlementaire a alourdi les missions de l'agence, notamment en prévoyant que tous les produits de santé sur le marché devraient être réévalués tous les cinq ans, même en l'absence de remontées négatives du terrain. Cette disposition a pour but d'éviter la répétition d'un drame tel que celui du Médiator.
J'aimerais connaître l'état d'avancement de la base de données Médicaments, que le législateur a voulu publique, accessible à tous, professionnels de santé ou non, et dont la mise en place doit se faire sous l'égide de l'ANSM. Je souhaiterais que cette base ne soit pas un simple portail, mais que ses données puissent être téléchargeables à partir des logiciels d'aide à la prescription.
Allez-vous, madame, conserver la présidence du conseil d'administration de l'Agence nationale d'évaluation de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux, l'ANESM ?
C'est dommage, tant certaines tâches peuvent, me semble-t-il, se recouper. Les problèmes de prescription médicamenteuse dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées, dont on a parlé récemment, rejoignent en effet des problèmes que l'ANSM aura à traiter.
Je me réjouis de votre volonté d'exercer une présidence active, qui contraste avec l'action de votre prédécesseur, meilleur médecin sans doute que président de conseil d'administration. Lorsque je l'avais alerté avant que n'éclate au grand jour le scandale du Mediator, il m'avait assuré que chacun avait bien fait son travail... J'ai noté la virginité de votre déclaration publique d'intérêts. Il serait peut-être bon, madame la présidente de la Commission, que les dirigeants d'agence actuellement en fonction soient également soumis à l'obligation de faire une telle déclaration. Il serait intéressant, par exemple que nous disposions de la déclaration publique d'intérêts du directeur général de l'ASIP, l'Agence des systèmes d'informations partagées de santé.
L'ANSM peut-elle mener à bien sa mission en matière de pharmacovigilance, et donc diligenter les études nécessaires, sans avoir accès aux fichiers de l'Assurance maladie ? Les deux entités se sont-elles rapprochées ? Par ailleurs, certains industriels se plaignent de ne pas pouvoir communiquer sur leurs produits tant le contrôle de l'agence se fait attendre : n'y a-t-il pas là un problème de moyens ? Selon vous, la mission de réévaluation quinquennale de la pharmacopée assignée à l'agence par la loi lui impose-t-elle de lutter contre la psychose générée par des assertions comme celles qu'on trouve dans certaines publications récentes, et selon lesquelles beaucoup de médicaments aujourd'hui sur le marché seraient inutiles ?
Je déplore qu'un parlementaire éminent ait participé à la rédaction de ce prétendu « Guide du médicament » auquel vous faites allusion, et qui ne fait qu'alimenter inutilement les peurs. Nous comptons sur l'agence, comme sur nous tous, pour rétablir la vérité.
Même s'il n'y a pas d'incompatibilité entre la présidence du conseil d'administration de l'ANSM et celle de l'ANESM, je ne souhaite pas cumuler ces postes. Cependant je n'entends pas mettre en difficulté l'ANESM, qui édicte les bonnes pratiques professionnelles pour les établissements sociaux et médico-sociaux, élément essentiel à la qualité de la prise en charge des personnes fragiles qu'accueillent ces établissements. Je ne laisserai donc pas brutalement en plan les équipes à un moment où sont préconisés des regroupements ou des fusions.
J'ignore l'état d'avancement de la base Médicaments. En tout état de cause, il me semble que cela prendra du temps, tant il est complexe d'assurer le meilleur accès à une information exhaustive sur les produits de santé. Il s'agit en effet de fournir une information à la fois fiable, accessible et utile, à la fois au grand public et aux professionnels. A priori, il s'agit là d'un de ces dossiers de moyen terme, institutionnellement, sinon techniquement, compliqués, notamment en raison de la sensibilité des informations en cause. Ce sujet de l'information des patients posait déjà question dans les années 2000, quand je travaillais au cabinet de Mme Guigou – je me souviens du fameux projet de Fonds de promotion de l'information sur le médicament, qui n'a jamais vu le jour. D'autres projets sont restés en souffrance, comme la prescription en dénomination commune internationale, la DCI, dont la possibilité a été ouverte par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 et qui a été rendue obligatoire en 2009 mais n'est toujours pas appliquée. Il a de même fallu des années –quatre ministres de la santé, de bords différents, ont eu le temps de se succéder ! – pour que la liste des 835 molécules jugées inutiles par la HAS passe le cap d'un contentieux au Conseil d'État ! Cela ne signifie évidemment pas qu'il faille baisser les bras, mais qu'il est difficile de prévoir quand les projets aboutiront s'agissant de chantiers aussi complexes. On peut envisager que le conseil d'administration s'attache à proposer un délai raisonnable pour la mise en place de cette base.
Il faut distinguer médicaments inutiles et médicaments dangereux, ces derniers étant ceux sur lesquels l'agence doit agir en priorité. Elle dispose pour ce faire de toute une panoplie d'armes, qui vont des alertes au retrait pur et simple.
Dans le domaine de la pharmacovigilance, la loi a permis un saut stratégique en exigeant d'aller au-delà du réseau actuel et en autorisant l'accès direct, toutefois encadré par décret, aux bases d'information. Je ne suis pas sûr que la solution d'un groupement d'intérêt public (GIP), dont la constitution emprunte une procédure complexe, soit le moyen le plus rapide de permettre l'accès à ce type d'informations.
Il serait plus simple de donner à l'agence la faculté de saisir la CNAMTS ou l'ATIH, l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation, pour avoir accès respectivement au SNIIR-AM, le système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie, et au PMSI, le programme de médicalisation des systèmes d'information. Il faudra, après expertise, choisir la voie la plus rapide.
Je pense effectivement que l'institution d'un contrôle a priori de la publicité exige de donner à l'agence les moyens d'assumer cette compétence.
La solution du GIP fait actuellement débat : il nous semble que l'existence de l'Institut des données de santé (IDS) rend inutile la création d'une structure supplémentaire. C'est comme si l'Assurance maladie cherchait à se rattraper de n'avoir pas fait certains rapprochements dans l'affaire du Mediator.
Je vous souhaite bon courage, madame l'inspectrice générale. Vous allez en effet prendre vos fonctions à un moment où la politique du médicament connaît des turbulences dans notre pays. La France a le triste privilège d'être le pays d'Europe où l'on consomme le plus de médicaments. On y recourt aussi insuffisamment aux génériques, dont il faudrait convaincre nos concitoyens qu'ils présentent les mêmes qualités que les molécules princeps et qu'on peut les utiliser en toute confiance.
Je voudrais à mon tour évoquer l'ouvrage, dans lequel deux éminents professeurs de médecine affirment de manière péremptoire que non seulement la moitié de notre pharmacopée serait inutile mais que 5 % de ses produits seraient même nocifs. Quel est, madame, votre sentiment sur ce genre d'assertions ? Un peu plus de sérieux ne serait-il pas nécessaire ? Qui doit rappeler que les médicaments achetés en pharmacie visent d'abord à guérir ? Je compte sur vous, madame, pour apaiser la situation et redonner confiance à nos concitoyens.
On peut en effet attendre d'une Agence nationale de la sécurité du médicament qu'elle persuade nos concitoyens que les médicaments sont des produits sûrs.
Entendez-vous renforcer la place des patients dans le dispositif de pharmacovigilance ? Comment mieux les associer à la déclaration d'effets indésirables ? Comment sera remplie la fiche de pharmacovigilance ? Faut-il renforcer le rôle des centres régionaux ?
L'ANSM a depuis quelque temps déjà engagé une réflexion sur la place et le rôle des associations dans son champ d'activité. Comment aller plus loin encore dans cette démarche, afin d'améliorer d'une part la transparence de l'information au bénéfice des patients, d'autre part l'évaluation des produits de santé ? Il y aurait tout à gagner à la conduire en lien avec eux, certains risques ne s'avérant que dans certaines conditions d'utilisation.
De quels moyens dispose l'ANSM pour vérifier l'ensemble de la publicité ? D'après des indications fournies sur son site, j'ai cru comprendre qu'elle contrôlait chaque année quelque dix mille documents à destination des professionnels de santé mais seulement deux mille à destination du public. Pourriez-vous faire davantage, de façon à rassurer pleinement nos concitoyens ?
D'importants progrès ont été réalisés lors de la dernière mandature pour limiter l'influence de l'industrie pharmaceutique dans le monde de la santé, notre présidente l'a rappelé.
Pour avoir, madame l'inspectrice générale, suivi la mise en place de la filière de médecine générale dans les facultés de médecine, vous savez que cela n'a pas été facile. Les universités ont pour le moins fait preuve de frilosité, quand certaines n'ont tout simplement pas entravé le projet. C'est qu'il faut dans notre pays compter avec le mandarinat. À côté du lobbying pharmaceutique, il y a celui des grands patrons, comme le montrait un film de 1951, où Pierre Fresnay campait l'un de ces mandarins. Quel est votre sentiment sur leur influence, dont on parle peu mais qui parfois cherche à s'exprimer au travers d'ouvrages ?
L'un des défis de l'ANSM est de poursuivre son activité, tout en se transformant – transformation rendue nécessaire, avez-vous dit, par l'exigence de réactivité. Quels moyens utiliserez-vous pour assurer cette transformation ?
Exposant le rôle d'orientation et de suivi qui doit être, selon vous, celui du conseil d'administration, vous avez indiqué qu'il faudrait accepter des dysfonctionnements ponctuels. Que faire pour qu'ils soient en tout cas les plus limités possible ?
Puisque, d'après vous, madame la présidente, le GIP ne sera pas créé, une autre manière de progresser pourrait être de renforcer les centres régionaux de pharmacovigilance. On sait le mal qu'ils ont à exister dans certains CHU et combien ils manquent de moyens. Il avait été un temps question de conventions tripartites entre ces centres, l'ANSM et les agences régionales de santé, afin de mieux les doter en personnels et faciliter leur tâche. Où en est-on ?
S'agissant de l'ouvrage que plusieurs d'entre vous ont évoqué et qui fait polémique, parce qu'il pourrait saper la confiance de nos concitoyens dans les médicaments, je considère, pour ma part, que ces deux professeurs ont choisi, dans notre pays où, rappelons-le, la liberté d'expression est garantie, d'exprimer sous forme de pamphlet une position personnelle. Celle-ci reflète certes une opinion minoritaire. Mais n'a-t-on pas encouragé à l'expression des opinions minoritaires ? Et il n'est pas inutile d'en entendre de temps à autre, même quand, tant sur la forme que sur le fond, elles ont un caractère excessif.
Aux termes de la loi, l'ANSM « anime et coordonne » le réseau de pharmacovigilance. Elle doit le piloter : les 31 centres régionaux ne sauraient être des électrons libres, ils doivent avoir des règles de fonctionnement précises et être au service de l'agence nationale. Forte de ma connaissance des dispositifs d'alerte dans le cas de crises sanitaires, où des cellules inter-régionales traitent, au sein des agences régionales de santé, les signaux qui leur sont adressés, je pense qu'il faut organiser un dispositif de traitement des signaux de pharmacovigilance, afin que tous soient traités mais que ne remontent au niveau national que des signaux déjà interprétés et requérant d'agir. Le principal dysfonctionnement constaté par le passé a été que les informations ne remontaient pas ou mal – il faudrait d'ailleurs se demander pourquoi. – et qu'il était difficile de les interpréter.
Le conseil d'administration de l'ANSM comporte désormais des représentants d'associations de consommateurs et d'associations de patients, il faut s'en féliciter, car cela participe de la démocratie sanitaire.
Pour ce qui est de l'ouverture de la déclaration d'effets indésirables à l'ensemble de nos concitoyens, un filtre sera indispensable. S'il faut encourager ces déclarations, on ne peut imaginer qu'elles se fassent sans le relais d'un professionnel – médecin généraliste ou pharmacien, l'option reste ouverte. À défaut, le dispositif risquerait d'être inefficace.
On parle beaucoup des médicaments et des patients, mais on oublie, me semble-t-il, les médecins. Or, en matière de médicament, rien ne pourra se faire sans eux.
Pour avoir exercé la médecine pendant quarante ans, je puis témoigner qu'ils ne savent plus aujourd'hui quoi et comment prescrire. Et ce n'est pas la formation continue, pour laquelle ils paient depuis des années sans qu'aucune ne soit organisée, qui les aidera ! Presque tous les médicaments sont contre-indiqués chez l'enfant de moins de trois ans. Si on ne veut pas prescrire hors autorisation de mise sur le marché (AMM), on est obligé d'adresser les enfants à l'hôpital. Or, les médicaments qui y sont utilisés, et qui sont ceux que les médecins ont appris à prescrire durant leur formation puisque celle-ci s'effectue en milieu hospitalier, ne sont pas nécessairement ceux qu'on a à disposition en médecine de ville.
J'ai prescrit du Mediator pendant quinze ans. Comment penser qu'il pouvait exister un lien entre l'apparition d'une valvulopathie et la prise de ce médicament, qui avait reçu une AMM pour le traitement du diabète et de l'hypertriglycéridémie ? Ce qui est anormal, c'est qu'une AMM ait été accordée à ce produit à ce titre alors qu'il s'agissait d'un coupe-faim. L'organisme qui délivre les AMM porte donc une responsabilité.
Trop de médicaments pourtant efficaces cessent d'être commercialisés, pour la seule raison qu'ils ne sont pas assez chers pour être rentables. D'autres les remplacent, beaucoup plus chers, dont l'efficacité est pourtant discutable par rapport aux anciens produits.
Nous avons déjà eu l'occasion d'aborder tous ces sujets mais il n'est pas mauvais de les évoquer de nouveau.
Un dernier mot à la décharge de feue l'AFSSAPS. Il y a deux ans, elle avait fort bien fait de retirer du marché une pommade anti-inflammatoire à base de ketoprofène qui, alors qu'elle n'a quasiment aucune efficacité, avait pu occasionner de graves brûlures. Le fabricant de la molécule princeps a naturellement fait appel de la décision devant le Conseil d'État. La haute juridiction a déclaré attendre la décision de l'Agence européenne du médicament, Elle a également souligné, j'y insiste car cette argumentation n'est pas dénuée de dangers, que le retrait de ce produit, qui représentait l'essentiel du chiffre d'affaires du laboratoire, mettait en danger la santé économique de l'entreprise. L'Agence européenne, elle, a jugé que le ketoprofène n'avait pas à être retiré du marché et notre pays a été obligé de suivre. Voilà un exemple où l'agence nationale, qui avait bien fait son travail, a été contredite par l'agence européenne. Le principe de subsidiarité ne devrait-il pas s'appliquer pour ce qui touche au médicament ?
Nous arrivons au terme de cette audition. Madame l'inspectrice générale, je vous remercie et vous souhaite bonne chance dans vos nouvelles fonctions. Votre tâche sera lourde, et le Parlement sera vigilant.
Je ne peux que me réjouir de cette vigilance.
La séance est levée à dix heures quinze.