Notre commission avait déjà entendu M. Jean-Louis Bruguière, le 19 juin dernier. Depuis cette date, nous avons auditionné, entre autres, M. Jérôme Cahuzac – à deux reprises –, M. Michel Gonelle – une deuxième fois –, ainsi que M. Gérard Paqueron, qui a été, au printemps 2007, le mandataire financier et le directeur de la campagne de M. Bruguière pour l'élection législative dans la circonscription de Villeneuve-sur-Lot. Ces différents témoignages nous ont permis d'éclairer plusieurs points, mais des contradictions persistent, en particulier entre certaines affirmations de M. Gonelle et celles de M. Bruguière.
C'est la raison pour laquelle, monsieur Bruguière, nous avons souhaité vous entendre une seconde fois.
(M. Jean-Louis Bruguière prête serment.)
Sauf si vous souhaitez faire un exposé liminaire de quelques minutes, je vous propose que nous passions directement aux questions.
Si nous vous revoyons, monsieur Bruguière, c'est parce qu'il y a, entre vos propos et ceux de M. Gonelle, un certain nombre de contradictions.
Tout d'abord, M. Gonelle est persuadé que l'enregistrement transmis à Mediapart avait pour origine la copie qu'il vous a remise. Lors de son audition, quand le président lui dit : « Donc, pour vous, c'est M. Bruguière. », voici ce qu'il répond : « Ce n'est évidemment pas lui qui a donné l'enregistrement à Edwy Plenel. Tout le monde sait que leurs rapports sont exécrables. Mais je pense que cet enregistrement a dû passer de main en main après que je m'en fus dessaisi. » Je pose alors la question : « Via le juge Bruguière ? », et il répond : « Évidemment. C'est lui qui l'a reçu en premier. ».
Que répondez-vous à ces accusations ?
Je vais redire sans ambiguïté ce que j'ai déjà dit : cet enregistrement, je l'ai détruit sans l'avoir donné à personne. Je ne l'ai pas confié à un tiers, ni facilité, par quelque moyen que ce soit, sa dissémination. Ce n'est donc pas par mon intermédiaire qu'il est parvenu entre les mains de Mediapart.
À propos de ce site d'information, permettez-moi une petite observation. Je suis un peu surpris, connaissant un peu M. Plenel et la déontologie dont il se prévaut – à juste titre – en matière de protection des sources, qu'il viole lui-même ce principe de façon négative. En effet, protéger ses sources, c'est non seulement ne pas les révéler, mais aussi s'interdire d'affirmer que quelqu'un n'en fait pas partie. Il s'agit donc d'une première, et je m'interroge sur les raisons qui ont conduit Mediapart à s'affranchir d'une règle revendiquée par toute la presse.
Je réponds qu'il ne s'agit que de suppositions de la part de M. Gonelle et que, bien évidemment, ce dernier ne peut apporter la moindre démonstration pour les étayer. Et je m'inscris totalement en faux contre ces affirmations : comme je l'ai dit très clairement, je n'ai remis cet enregistrement à quiconque, ni facilité sa circulation, directement ou indirectement.
Lorsque M. Gonelle vous rencontre dans son cabinet en novembre 2006, il ne peut vous faire entendre l'enregistrement car son équipement informatique a été remplacé depuis 2001. Disposiez-vous de votre côté d'un lecteur permettant d'écouter son contenu ?
Tout d'abord, cette date, le 12 novembre 2006, résulte des déclarations de M. Gonelle. Pour ma part – et je m'étais exprimé dans ce sens devant la police judiciaire –, j'ai toujours pensé que cette rencontre avait eu lieu plus tard, sans doute au début de l'année 2007. Mais contrairement à M. Gonelle, je n'en ai pas conservé de trace écrite dans un agenda ou un dossier quelconque, et je n'ai pas de raison objective de contester la date qu'il a fournie. Il en est de même pour le lieu de l'entretien – son cabinet d'avocat.
Pouvez-vous me rappeler votre question ?
Je conteste formellement les assertions de M. Gonelle selon lesquelles j'aurais insisté pour l'obtenir.
C'est tout à fait faux, et de surcroît inopérant.
Tout d'abord – il le dit lui-même –, il m'a fait venir dans son cabinet, ce qui n'est arrivé que deux fois, peut-être trois. C'est donc un choix délibéré de sa part, probablement pour des raisons de confidentialité. Peut-être avait-il également des documents à me montrer ou à me remettre – mais à ce moment, j'ignorais tout de l'enregistrement.
D'après mon souvenir – car je ne peux parler que de ce dont je me souviens précisément –, M. Gonelle, au cours de l'entretien, commence à me parler de Cahuzac, un personnage qu'il semble surestimer, sur le plan politique comme sur le plan personnel. Il évoque son train de vie, mais pas ses relations avec les laboratoires Lilly ou Fabre – je ne garde du moins aucun souvenir de ce point. De même, je suis convaincu de ne pas l'avoir entendu aborder la question des associations.
À un moment donné, M. Gonelle me parle de l'enregistrement, que je ne sollicite pas. Il ne me le confie pas, il me le remet.
C'est faux. Je le conteste. C'est habile de sa part, mais c'est inexact.
Il s'agit d'un juriste. S'il m'avait « confié » l'enregistrement, cela aurait été pour en faire quelque chose. J'ai d'ailleurs noté, dans le compte rendu de sa première audition, deux expressions significatives : l'« opportunité » qu'il dit s'être présentée à lui après sa première tentative en 2001, et le fait que, selon lui, je n'ai pas fait de l'enregistrement l'« usage » que j'aurais dû en faire. Mais quel usage ?
Je confirme de la façon la plus forte que je n'ai pas écouté l'enregistrement. Pourquoi l'aurais-je fait ?
M. Gonelle affirme que, averti de la mauvaise qualité de l'enregistrement, j'aurais répondu avoir à ma disposition des techniciens capables de l'améliorer. Mais ce n'est pas le cas ! Comme cet avocat le sait parfaitement, je n'allais pas faire diligenter une expertise alors qu'il faut, pour cela, une commission d'expert. Dans ce domaine qui, en 2000, était encore relativement nouveau, seul un laboratoire disposait d'experts judiciaires compétents : celui de la police judiciaire, situé à Écully, près de Lyon. Or, je n'allais pas demander à ce laboratoire, ni dans cette circonstance, ni dans aucune autre, de procéder à une expertise parallèle !
J'en viens à une question importante, celle du mobile. Si mon intention avait été d'améliorer l'enregistrement, cela n'aurait pu être que dans le but de comprendre les propos tenus et d'identifier les protagonistes. Or, je ne connaissais pas M. Cahuzac, et je ne l'avais jamais entendu. Contrairement à M. Gonelle, j'étais dans l'incapacité de reconnaître sa voix, qu'il s'exprime dans un contexte privé ou public. Par ailleurs, on ne m'a jamais dit qui était son interlocuteur – je ne connais d'ailleurs toujours pas l'identité de cette personne. Qu'aurait donc pu m'apporter, dans ces conditions, une opération technique destinée à améliorer la qualité du son ? Elle n'avait aucun intérêt pour moi.
Comment connaissez-vous l'existence d'un interlocuteur, si vous n'avez pas écouté l'enregistrement ?
C'est M. Gonelle qui me l'a dit. Il m'a parlé de « conversation », ce qui implique la présence d'au moins deux personnes. Notons qu'au moment de cette rencontre, je ne connais pas les informations précises que M. Gonelle va plus tard transmettre à M. Zabulon à l'occasion de leur conversation téléphonique, informations dont ce dernier a fait état lors de son audition devant vous. Il ne m'avait parlé que d'un enregistrement.
Ce que je comprends a posteriori – et sur ce point, je rejoins M. Zabulon –, c'est qu'il y a eu, incontestablement, une tentative d'instrumentalisation. M. Gonelle souhaitait sans doute deux choses : se défaire d'un fardeau devenu trop lourd en le transférant sur une autorité de l'État – en effet, toutes les personnes qu'il a « actionnées » pouvaient être ainsi qualifiées, qu'il s'agisse des douanes, de l'administration fiscale, de la présidence de la République ou de votre serviteur – ; trouver, dès lors que l'article 40 n'avait pas été invoqué ab initio, une autre voie, une voie oblique – l'expression a été employée ici même – pour faire en sorte que ce qu'il considérait comme une preuve soit utilisé par la justice et donne lieu à une enquête, fiscale ou pénale. Du reste, l'échec de la deuxième tentative, celle qui me concerne, sera suivi par une troisième, sa démarche auprès de la présidence de la République.
Je ne peux que faire des suppositions, et je dois me montrer prudent. Je ne tiens pas du tout à engager une polémique avec M. Gonelle, mais j'essaie de comprendre ce qui a pu se passer, et pourquoi il y a eu – c'est incontestable – des tentatives avortées d'instrumentalisation de personnes représentant l'autorité de l'État : M. Catuhe, le haut fonctionnaire des douanes, votre serviteur, la présidence de la République.
M. Gonelle est un bon avocat, réputé dans le département, et qui passe pour un fin juriste – un pénaliste. Lorsqu'il reçoit cet enregistrement de façon fortuite – ce que nous n'avons aucune raison de contester puisque l'enquête judiciaire a écarté toute possibilité de manipulation –, il en perçoit, selon ses propres dires, toute l'importance dans le contexte politique de l'époque. Il sait que la mairie peut basculer lors des échéances électorales suivantes. Il sauvegarde donc l'enregistrement. Mais à partir de ce moment, il a dû réaliser que sa situation était difficile.
En effet, il y avait un risque réel de poursuites – en tout cas, des infractions auraient pu être relevées à son encontre. Or, il est prudent. Vous avez même pu constater à quel point il est soucieux de son image personnelle, voire donneur de leçons. Il était donc important pour lui de ne pas prendre de risques.
Il n'est pas très précis sur les dates, mais il semble y avoir une certaine latence entre le moment où l'enregistrement est réalisé, en décembre, et sa transcription dans les locaux du conseil régional d'Aquitaine, qui a lieu en janvier 2001. Ce délai de trois à quatre semaines entraînait un risque judiciaire : on pouvait considérer qu'il y avait soit soustraction – au sens de vol dit « par rétention », qui est prévu par la jurisprudence – soit violation du secret de la correspondance, via la notion de détournement. En effet, dans le cas où vous recevez fortuitement un document qui ne vous est pas destiné, il faut soit le détruire – aujourd'hui, de nombreux courriers électroniques comportent d'ailleurs un avis de confidentialité appelant à agir en ce sens –, soit en informer le procureur de la République. L'avantage de cette dernière solution est qu'une éventuelle opération de transcription est alors effectuée par réquisition judiciaire et ne pose pas de problème de légalité.
Un autre élément important me trouble, celui de la traçabilité. Si j'ai bien compris, le document dont nous parlons est l'enregistrement brut d'une conversation entre une personne A et une personne B. Mais nous ne savons pas d'où il vient. Même s'il est établi que cet enregistrement n'est pas le fruit d'une manipulation, les explications de M. Gonelle sur son origine, qui permettent d'identifier M. Cahuzac, ne peuvent être techniquement corroborées par la bande elle-même, dès lors que l'on a omis de sauvegarder la conversation précédente. De même, M. Gonelle, semble-t-il, n'a pas conservé la fadette, c'est-à-dire la facturation détaillée des appels téléphoniques dans laquelle l'opérateur retrace l'ensemble des communications émises ou reçues – même si la CNIL impose de masquer une partie des numéros –, qui aurait permis d'assurer cette traçabilité. Il n'est donc pas possible, semble-t-il, d'apporter la moindre démonstration technique permettant de confirmer l'origine de l'enregistrement. Il aurait été préférable de tout remettre entre les mains de la justice et de la laisser faire son travail.
Je me demande donc – tout en étant très prudent – si ce raisonnement n'a pas été effectué tardivement, au-delà du délai de quatorze jours au-delà duquel le message s'effaçait, à un stade où il ne restait plus de traces et où il devenait plus difficile d'expliquer pourquoi on avait tardé à agir. Peut-être qu'il ne se serait rien passé, mais on ne peut exclure qu'une inquiétude soit née dans l'esprit du détenteur de l'enregistrement, compte tenu de sa position au sein du barreau d'Agen et des critiques qui auraient pu être formulées à son encontre.
Je ne suis pas concerné, mais j'ai été extrêmement surpris, voire choqué parce que j'ai appris à ce sujet. Au cours de mes activités, j'ai eu, depuis 1981, des relations avec tous les présidents de la République. D'une façon générale – et cela m'a parfois été reproché –, j'ai eu de nombreux contacts avec l'appareil d'État et l'exécutif, partant du principe que parler à quelqu'un ne signifie pas renoncer à son indépendance. Dans certaines affaires – l'affaire Habache, celles mettant en cause l'Iran, l'attentat contre le DC-10 d'UTA, qui impliquait la Libye –, il est de la responsabilité du juge de dialoguer avec l'exécutif afin que ce dernier puisse être informé de certaines de ses décisions autrement que par la revue de presse du matin. N'oublions pas qu'en France, la gestion des affaires mettant en cause la sécurité de l'État fait l'objet d'une gouvernance exemplaire, ce qui n'est pas partout le cas en Europe. J'ai donc trouvé normal d'avoir ce comportement à l'égard de tous les chefs de l'exécutif. En contrepartie, l'État m'a fourni l'ensemble des moyens matériels nécessaires pour accomplir ma mission. On a même mis, sur l'ordre personnel du Président de la République de l'époque, François Mitterrand, un navire de la marine nationale à ma disposition, ce qui m'a valu le sobriquet d'« amiral ».
Or, tous ces contacts n'ont jamais donné lieu à des fuites : d'un côté comme de l'autre, on a su conserver le secret. La confiance est en effet un élément essentiel de la bonne gouvernance, mais c'est également une exigence sur le plan personnel.
Pour en revenir à M. Gonelle, la remise de cet enregistrement et l'instrumentalisation qu'elle me paraît constituer, m'a convaincu que ma confiance avait été abusée. Or, il s'agit d'un domaine dans lequel je suis particulièrement intransigeant.
À aucun moment, en tout cas, je n'ai eu l'idée de faire fuiter des informations, ni même de me retrouver dans une position permettant à des fuites de survenir. On m'a confié, jusqu'en novembre 2012, des missions sur lesquelles j'estime ne pas avoir à m'étendre, pour des raisons de sécurité, dans le cadre d'une réunion publique. J'estime que lorsqu'il y a une fuite, c'est parce que l'on a fait en sorte qu'elle survienne. Je n'accuse personne, mais je note que des précautions n'ont pas été prises, car on peut fort bien empêcher les fuites, y compris au plus haut niveau de l'État. En l'occurrence, je me demande quel aurait pu être l'intérêt pour la présidence de la République de faciliter la divulgation d'une conversation privée.
Si je comprends bien, vous vous étonnez du fait que la presse se soit fait l'écho de la conversation entre M. Gonelle et M. Zabulon.
Soyons clairs : je ne cherche pas à accuser M. Gonelle. Peut-être me trouvez-vous confus, mais je me dois d'être extrêmement prudent, vous en conviendrez.
Deux choses : d'une part, je ne vois pas l'intérêt de cette démarche effectuée par M. Gonelle auprès de la présidence de la République ; et de l'autre, lorsque l'on cherche à transmettre une lettre au Président – cela m'est arrivé –, on ne fait pas mine de l'envoyer sans l'envoyer vraiment, et on ne passe pas par un canal si compliqué que l'envoi finit par devenir difficile, voire impossible ! Il suffisait d'appeler le secrétariat privé du Président pour signaler que l'on allait déposer une lettre, sans faire plus de commentaires. Le chef de l'État l'aurait reçue et en aurait fait l'usage qu'il convenait, sans qu'aucune fuite ne survienne.
Sur ce point, je fais donc mienne la remarque de M. Zabulon – d'autant que je me suis retrouvé dans la même situation – : j'ai le sentiment qu'il y a eu instrumentalisation.
On comprend mieux.
Vous avez indiqué au cours de votre audition que vous aviez écarté M. Gonelle de votre équipe de campagne avant qu'elle ne soit constituée. L'intéressé nous a transmis un document datant du début du mois de janvier 2007 qui indique qu'il faisait partie, avec M. Merly, M. Costes et vous-même, du « comité stratégique » constitué en vue de votre candidature et qu'il était alors responsable du « pôle Villeneuve-sur-Lot ». Des messages électroniques attestent également du fait qu'il participait, au moins en janvier et février, à des réunions destinées à préparer votre campagne. Pourriez-vous nous expliquer ces contradictions ?
C'est en mars – le 16, je crois – que j'ai fait ma déclaration de candidature. En janvier et février, nous étions donc encore dans une phase de réflexion préliminaire, d'autant qu'il me restait des dossiers à traiter. En outre, ma position administrative n'était pas encore assurée, et je me devais d'être extrêmement prudent, même si j'étais à peu près décidé à m'engager dans cette élection.
Au départ, j'avais peut-être une vision un peu technocratique de ce que devait être ma future équipe de campagne, avec un comité de pilotage, ou stratégique, et des groupes thématiques. Bien évidemment, on s'est rendu compte que tout cela ne pouvait pas fonctionner.
Incontestablement, nous étions donc encore dans la phase préparatoire de la campagne. J'ai consulté mes agendas, et j'ai été surpris de constater qu'en janvier et février 2007, je ne venais presque jamais à Villeneuve – au mieux une fois par mois. Nous avions donc mis en place ce comité composé de moi-même et de ces trois personnes. Cela ne fait que confirmer ce que je dis depuis le début : ce sont M. Gonelle et M. Merly qui, fin 2006, sont venus me chercher et ont tenté à plusieurs reprises de me convaincre de me présenter aux élections. Ils ont même organisé, dans ce but, un déjeuner à Prayssas. L'objectif était d'abord de reconquérir Villeneuve et de bouter M. Cahuzac hors de la mairie. Lorsqu'ils se sont aperçus que cette proposition ne m'agréait pas, ils ont changé de plan – ou plutôt Jean François-Poncet l'a fait, car lui seul pouvait imposer à Alain Merly de laisser son siège – et m'ont proposé de me présenter aux législatives. Cette option, je la jugeais possible, car je voyais arriver la fin de ma carrière en 2008. Nous avons donc créé ce comité stratégique réunissant les deux personnalités incontournables de la circonscription, ainsi que Jean-Louis Costes, dont on peut presque dire qu'il a été la pomme de discorde. Le choix de M. Costes allait en effet à l'encontre du scénario imaginé par Jean François-Poncet, selon lequel Alain Merly devait être mon suppléant. Le système a donc implosé, et ce comité n'a jamais fonctionné – non plus que les comités mis en place pour suivre diverses thématiques.
Tout cela était géré en direct, avec moi, Jean-Louis Costes, Alain Merly – qui a été assez actif, du moins pour tout ce qui ne concernait pas le Villeneuvois. J'ai trouvé d'autres interlocuteurs compétents pour l'examen de certains problèmes locaux sensibles, comme celui de l'hôpital – sur lequel M. Gonelle n'est jamais intervenu –, celui des personnes âgées ou celui de la sécurité. Il y avait notamment tout un débat au sujet de la vidéosurveillance, une question sur laquelle j'étais, à l'évidence, mieux placé que quiconque. C'est d'ailleurs à cette occasion que M. Gonelle, qui ne jouait plus le rôle qu'il estimait devoir jouer, ainsi que M. Cahuzac – car il y a eu une coalition sur ce point – ont lancé l'idée que je faisais peur à tout le monde avec ma voiture blindée et mes gardes du corps. Ils ont été jusqu'à dire que j'utilisais les fonds de la République pour ma campagne électorale, ce qui était complètement faux : je disposais d'un véhicule personnel, et quant à ma protection, c'est la République elle-même qui l'avait jugée nécessaire, compte tenu de la situation dans laquelle je me trouvais à l'époque. Voilà la réalité !
M. Gonelle évoque ensuite la mi-mai, qui est effectivement le temps de la campagne officielle. Mais il était déjà politiquement très pénalisant d'évincer une personnalité de son importance ; je ne pouvais pas, en plus, agir de façon vexatoire ni afficher partout son exclusion. De même, je ne pouvais lui interdire d'accéder à des lieux publics comme la permanence électorale ou les lieux de réunion. Il était même au premier rang de l'assistance lors du grand débat de deuxième tour organisé « chez lui », à Villeneuve, au mois de juin, d'ailleurs en présence des trois députés sortants du département : Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour et Alain Merly. Vous savez comment se passe une campagne : je n'allais pas demander à mes officiers de sécurité de veiller à ce Michel Gonelle ne vienne pas ! En tout état de cause, j'ai pris des décisions et conduit des actions politiques sans qu'il intervienne.
Tout en reconnaissant qu'il ne vous l'avait jamais redemandé, M. Gonelle soutien qu'il vous ne vous avait que « prêté » l'enregistrement et qu'il entendait que vous le lui rendiez. En aviez-vous conscience ? Pourquoi l'avoir détruit, ou plus exactement jeté, au lieu de lui rendre ?
Parce qu'il ne m'a jamais dit qu'il me le prêtait : je conteste formellement l'emploi de ce verbe. À aucun moment, d'ailleurs, il ne me l'a réclamé. Nous avons pourtant eu quelques contacts postérieurs, ne serait-ce que le jour où je l'ai fait venir chez moi pour lui signifier clairement que la confiance était rompue et que je ne voulais plus le voir figurer dans le premier cercle de mon entourage. Cela faisait suite, je le rappelle, à trois incidents : l'affaire de l'enregistrement ; l'organisation, sans que j'en sois avisé, d'une réunion politique dont la responsabilité était imputée à quelqu'un de la campagne, avec les risques que cela faisait peser sur l'approbation des comptes de campagne ; et la plainte pénale déposée contre M. Cahuzac concernant cette affaire d'emploi dissimulé, dont on souhaitait ardemment, compte tenu de mes relations avec le procureur de l'époque, que je puisse la récupérer sur le plan politique. C'est à ce moment que j'ai dit, clairement et publiquement, que je ne voulais plus de campagne de caniveau.
Si vous m'y autorisez, je souhaite ajouter une remarque sur la question du mobile. Lors de toute action humaine, il faut un intérêt pour agir. Si on vous remet un enregistrement et que vous l'acceptez, c'est que vous y avez un intérêt, que vous voulez en faire quelque chose. Le problème est que je l'ai accepté, et j'ai eu tort de le faire. Mais quel intérêt pouvais-je avoir ? Vengeance personnelle, intérêt financier, intérêt politique ?
On peut exclure immédiatement l'intérêt financier. La question de la vengeance personnelle peut être facilement évacuée. M. Cahuzac pourra vous le confirmer : la campagne a été rude, mais loyale. M. Cahuzac n'est pas n'importe qui. Je ne le dis pas au sens où l'entend M. Gonelle, car je n'avais, moi, pas peur de mon adversaire. Mais c'est quelqu'un d'intelligent, qui analyse bien les choses et qui a le sens de la rhétorique. Il est également très pugnace. Nous avons eu un bon débat et l'ensemble a constitué une très belle expérience. J'ai été battu parce qu'il a été le meilleur et a su mieux que moi convaincre les électeurs. C'est la loi de la démocratie, et je ne lui en ai pas voulu. J'en ai davantage voulu à mon camp, je ne vous le cache pas, car j'estime qu'il n'a pas fait ce qu'il devait faire. C'est pourquoi, le jour de ma défaite, j'ai déclaré publiquement vouloir renoncer à toute activité politique, et notamment – laissant ainsi mon camp orphelin – à toute participation aux élections municipales de 2008. Je m'y suis strictement tenu : personne ne peut établir que j'aurais participé ne fût-ce qu'à un embryon de campagne électorale.
M. Gonelle est lui-même conscient de l'importance d'un éventuel « mobile » politique, puisqu'il a déclaré au début de son audition : « J'ai quitté la vie publique depuis plusieurs années, et n'étant plus impliqué dans la vie politique, je ne suis plus l'adversaire de qui que ce soit. » Je suis un peu surpris par ces propos. Je ne suis pas un homme politique, et contrairement à vous, je n'ai guère d'expérience en la matière, mais il me semble qu'exercer un mandat électif, c'est un acte politique ; qu'avoir des responsabilités de haut niveau au sein d'un appareil de parti constitue un acte politique. M. Gonelle s'est tout de même présenté en septembre 2011 aux élections sénatoriales, sous l'étiquette « divers droite ». Il s'agissait certes d'une candidature dissidente, dans la mesure où le candidat investi par l'UMP était Alain Merly. Michel Gonelle a été battu, mais il a pris part à cette élection. Si ce n'est pas un acte politique…
Par ailleurs, M. Gonelle est le délégué national de l'UMP pour la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Il représente donc les militants locaux dans les conventions et congrès, auprès des instances nationales. Il est également membre du bureau de l'UMP 47. Je croyais naïvement qu'avoir des responsabilités au sein d'un parti, c'est aussi un acte politique. Enfin, il suffit de regarder la télévision pour savoir que M. Gonelle s'est montré extrêmement actif pendant la récente campagne de Jean-Louis Costes. Il s'est même présenté un moment comme son porte-parole, puisqu'il a donné une interview de 20 minutes sur i>Télé et mené un débat contradictoire avec Gilbert Collard, du Front national.
En ce qui me concerne, je n'ai eu aucune activité de cette sorte après 2007. Je n'avais donc aucun intérêt politique à divulguer cet enregistrement.
Vous avez évoqué l'importance de la traçabilité, en soulignant que pour Michel Gonelle, fournir directement à la justice le document qu'il détenait lui aurait permis d'attester des conditions dans lesquelles il l'a obtenu. Mais d'après ce que j'ai cru comprendre, le disque réalisé à partir du téléphone mobile contient bien la première conversation relative à la visite de M. Vaillant à Villeneuve.
Ce point est important, dans la mesure où il tend plutôt à justifier, chez M. Zabulon, l'attitude consistant à suggérer à M. Gonelle de se tourner directement vers la justice.
L'enregistrement ne porte que sur la deuxième partie : l'entretien entre M. Cahuzac et M. Dreyfus n'y figure pas.
La personne que nous avons auditionnée tout à l'heure nous l'a rappelé. Si lui-même a écouté sur le portable l'intégralité de l'enregistrement, seule la conversation a été gravée, ce qui a d'ailleurs alimenté dans un premier temps la thèse de la manipulation.
Cela ne fait que renforcer ma remarque : pour que la justice puisse utiliser cet enregistrement, il était important que M. Gonelle témoigne de la façon dont il avait été réalisé, et donc qu'il saisisse directement la justice. Or c'est bien ce que M. Zabulon, après son contact avec M. Gonelle et les péripéties que l'on connaît, a été chargé par le Président de la République de répondre à ce dernier. Cela a d'ailleurs été confirmé publiquement par un communiqué.
Si j'ai compris votre raisonnement, monsieur Bruguière, le délai écoulé entre décembre 2006 et début 2007, pendant lequel M. Gonelle se demande ce qu'il va faire de cet enregistrement, peut être analysé comme une soustraction de preuve à la justice.
Mais ce raisonnement ne vaut-il pas pour la période où vous-même avez détenu un exemplaire de l'enregistrement, entre le moment où vous l'avez obtenu et celui où vous l'avez détruit ?
Par ailleurs, pensez-vous avoir eu la bonne réaction à l'époque ? N'auriez-vous pas dû faire constater par huissier que vous étiez détenteur de l'enregistrement, puis que vous le renvoyiez à M. Gonelle ou le placiez dans un coffre ?
La situation était différente car, ne l'ayant pas écouté, j'ignorais tout du contenu de l'enregistrement. D'ailleurs, l'écouter ne m'aurait pas avancé à grand-chose, car je ne disposais d'aucun élément permettant d'en assurer la traçabilité. De même, j'ignorais tout des circonstances dans lesquelles il avait été réalisé, ainsi que des interventions successives de M. Gonelle. Il reconnaît lui-même ne pas m'avoir informé de sa démarche auprès de M. Catuhe, ni – excusez du peu ! – de ses tentatives de faire diligenter une enquête parallèle par une agence d'intelligence économique. D'une manière générale, si on analyse a posteriori l'ensemble de ses actions, on a le clair sentiment que M. Gonelle a toujours privilégié la voie parallèle plutôt que la voie officielle.
Je rappelle que l'article 40 du code de procédure pénale ne m'était pas applicable, du moins pas son alinéa 2, car je n'étais pas autorité constituée, et je n'avais pas reçu ce document dans l'exercice de mes fonctions. Mais à supposer même qu'il l'ait été, je n'aurais pas saisi le procureur, car « avoir la connaissance d'un crime ou d'un délit », c'est détenir des éléments suffisants, des indices précis et concordants laissant présumer la commission d'une infraction.
M. Gonelle le sait bien, d'ailleurs : il ne pouvait pas faire de dénonciation, dit-il, car il aurait pu encourir une plainte en dénonciation calomnieuse. Pourtant, dans son cas, la démonstration est moins pertinente. Il n'aurait probablement pas fait l'objet d'une telle plainte, car lui détenait tous les éléments, étant à l'origine de l'enregistrement. Je rappelle que la preuve indirecte est interdite : or, je ne disposais que du témoignage de M. Gonelle et d'indications très fragmentaires concernant un enregistrement dont j'ignorais le contenu et sur la sincérité duquel, l'ayant même écouté, je n'aurais pu qu'émettre les plus grands doutes. Je ne vous cache pas, d'ailleurs, que lorsque l'affaire a été rendue publique, je ne l'ai pas trouvée crédible – je n'avais jamais rien observé de tel au cours de ma carrière. De nombreux spécialistes se sont d'ailleurs interrogés sur la véracité de la relation qui a été faite de l'affaire – il appartiendra à la justice de se prononcer sur ce point. C'est donc à la fois pour des raisons juridiques et factuelles que je n'étais pas en situation de saisir le procureur.
Avec le courrier électronique, il est devenu très simple de recevoir un message qui ne vous est pas destiné. Dans ce cas, on vous dit de le détruire, car ce mail ne vous appartient pas. On ne peut pas vous reprocher de l'avoir reçu, mais on pourra vous reprocher de l'avoir utilisé : cela peut être qualifié de vol par rétention ou de violation du secret des correspondances. Il est évident qu'avec le développement d'internet, les possibilités sont devenues beaucoup plus nombreuses.
Si je suis destinataire d'un document pouvant constituer un élément de preuve, vous me recommandez donc de le détruire ? La meilleure solution n'aurait-elle pas été celle que j'ai déjà suggérée : faire constater par huissier la réception du document, puis mettre ce dernier en dépôt, toujours sous constat d'huissier, afin que la justice puisse en disposer un jour si nécessaire ? On ne peut en tout cas détruire un élément matériel dont on vous dit qu'il constitue un élément de preuve.
En droit, la preuve n'est pas présumée, elle doit être documentée.
Mon cher collègue, vous n'êtes pas ici pour demander une consultation juridique au juge Bruguière…
Dans toute cette affaire, monsieur le président, les protagonistes, fonctionnaires, membres de cabinet, ministres, ont parfois été confrontés à des on-dit, et parfois à des choses plus précises, comme cet enregistrement auquel certains ont eu accès. La question de savoir ce que, sur le plan juridique, on doit faire d'un tel élément matériel est donc fondamentale.
Vous avez raison de poser la question. Les choses sont claires : je reçois l'enregistrement dans les conditions déjà évoquées ; je ne l'écoute pas ; je le détruis. Pourquoi, me demanderez-vous ? Parce que cela ne constituait pas pour moi, en l'état, un élément suffisant laissant présumer l'existence d'un crime ou d'un délit ! Si tel avait été le cas, je l'aurais bien évidemment transmis au procureur de la République.
Au cours de campagnes électorales, vous avez sans doute déjà reçu des lettres ou des coups de téléphone de dénonciation. Dans ce cas, que faites-vous ? Vous les mettez au panier, parce que vous ne disposez pas d'éléments de vérification, et que vous ne voulez pas submerger le procureur de la République de requêtes. Dans le cas contraire, d'ailleurs, vous risqueriez de faire l'objet d'une plainte en dénonciation calomnieuse.
Lorsque j'étais magistrat, j'étais parfois inondé de courriers de dénonciation ; je suppose qu'en tant que parlementaires vous en recevez aussi. Il faut faire un tri, et n'agir qu'en cas de forte suspicion de l'existence d'un crime ou d'un délit.
Personnellement, il m'est arrivé de recevoir, par mail, des informations que l'on me demandait de transmettre à la personne compétente. Dans un tel cas, la marche à suivre est claire : nous sommes tenus de transmettre ces informations au procureur.
Je parlais de courriers électroniques reçus de manière accidentelle.
La question est en effet différente lorsque, comme c'est le cas ici, les informations sont obtenues par hasard, et non à la suite d'une démarche volontaire.
En revanche, il s'agit ici d'un document plus substantiel en termes de matérialité, car pouvant constituer un élément de preuve.
La suite l'a montré, mais la preuve ne se présume pas.
Un bon exemple nous est fourni par la deuxième audition de Michel Gonelle, dans laquelle il évoque l'accusation de travail dissimulé portée à l'encontre de M. Cahuzac. Si j'ai bien compris, M. Merly, alors député, avait reçu à ce sujet une dénonciation anonyme et saisi, en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, le procureur de la République de Paris. Ce faisant, il était tout à fait dans son rôle.
Absolument.
Monsieur Bruguière, je vous remercie.
Mes chers collègues, notre prochaine réunion aura lieu au début du mois de septembre. D'ici là, je vous souhaite de bonnes vacances et vous invite à relire et à méditer tous les comptes rendus de nos auditions…