Audition de M. Jean-Christophe Belliard, directeur d'Afrique et de l'Océan indien au ministère des affaires étrangères sur la situation en République centrafricaine, en République démocratique du Congo et en Somalie.
La séance est ouverte à neuf heures quarante.
Nous recevons aujourd'hui M. Jean-Christophe Belliard, directeur d'Afrique et de l'Océan indien, pour évoquer trois pays qui font l'actualité, la Somalie, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine.
S'agissant d'abord de la Somalie, l'attaque terroriste de grande ampleur contre un centre commercial, menée par un commando à l'évidence très bien organisé de la milice islamiste Al-Shabaab, dont a été victime, il y a quelques jours, le Kenya, est significative. Le bilan de cette tuerie, qui n'est d'ailleurs pas encore définitif, est effroyable. Cela démontre que la situation interne est très loin d'être stabilisée, malgré les avancées de ces derniers mois sous l'égide des Nations unies qui ont permis un déblocage de l'impasse politique dans laquelle se trouvait le pays depuis le début des années 90. Une constitution provisoire a été adoptée, un Président de la République a été élu, un Parlement fonctionne, mais la situation sécuritaire sur le terrain reste très fragile, et les troubles s'exportent malgré la présence de nombreuses troupes de l'Union africaine réunies au sein de la mission de l'Union africaine en Somalie, l'AMISOM. Je voudrais donc que vous fassiez un point de la situation en Somalie et dans la Corne de l'Afrique.
Ensuite, la Centrafrique a récemment connu un nouveau soubresaut avec le renversement du président Bozizé, remplacé par le chef de la milice Séléka, Michel Djotodia, dont la victoire a plongé le pays dans le chaos et provoqué de grandes violences dont les habitants sont les premières victimes. Le ministre des affaires étrangères nous a indiqué hier qu'il ne restait d'État que le nom et que le pays était livré à des bandes armées qui terrorisent la population. Malgré l'établissement d'une stratégie de stabilisation soutenue par la communauté internationale, on peine à voir une solution se dessiner à court terme. Ici aussi, je souhaiterais que vous nous fassiez part de votre analyse de la situation.
Enfin, la RDC a vécu au cours de l'été une période de tension très vive dans la région du Kivu. Le M23 a repris son offensive en juillet-août mais, au terme de très violents combats face aux forces armées congolaises, il a finalement, et heureusement, été défait. Il faut noter à cet égard que la mission des Nations unies dans la région, la MONUSCO, a récemment été renforcée par une brigade d'intervention qui a pris part aux combats. Si la situation semble évoluer sur le plan militaire, tout reste à faire pour qu'une solution politique, et surtout diplomatique, intervienne. Il ne s'agit pas d'une crise seulement congolaise, mais aussi régionale, que le Rwanda, bien qu'il s'en défende, ne cesse d'attiser. Pouvez- vous nous indiquer l'état des négociations entre les différentes parties prenantes. Qu'en est-il du processus de Kampala ? Enfin, quelles sont les chances de parvenir à une stabilisation de la région des Grands Lacs dont les populations, notamment les femmes, sont victimes de barbarie depuis trop longtemps ?
S'agissant tout d'abord de la Somalie, vous avez qualifié Al-Shabaab de milice islamiste. Je rappelle que le président somalien, qui est issu d'un processus relativement démocratique, est un président islamiste. La milice Al-Shabaab s'apparente plutôt à AQMI ou à Boko Haram. Disons les choses comme elles sont : ce sont des terroristes.
Pendant vingt ans, l'effondrement de l'État somalien a laissé le champ libre aux seigneurs de guerre qui se partageaient le territoire. À un moment, les milices des cours islamiques ont pris le pouvoir puis en ont été chassées par l'Éthiopie. Depuis, un processus démocratique a permis l'installation d'institutions légitimes. Pour la première fois depuis vingt ans, la Somalie dispose d'un Président, d'un Parlement et d'un Gouvernement. Pour autant, si les autorités somaliennes, privées de forces armées, parviennent à contrôler la capitale Mogadiscio, le reste du territoire leur échappe. L'effort de reconstruction d'une armée somalienne est soutenu par l'Union européenne au travers de la mission EUTM Somalie sur le modèle de celle qui existe pour le Mali. L'objectif est d'intégrer dans cette armée les milices et les chefs de guerre.
Le début de stabilisation du pays auquel on assiste est le fruit du travail de la force AMISOM qui compte 18 000 hommes, principalement ougandais et burundais. Je souligne que ces pays ont accepté de lourdes pertes puisque deux mille hommes sont morts dans leurs rangs.
La capitale est actuellement préservée mais reste sous la menace d'attentats. Al-Shabaab, dont le lien organique avec Al-Qaïda est établi, a encore la capacité de frapper au coeur de la capitale, pourtant contrôlée par l'État et la force africaine, et dans les campagnes.
Le difficile processus de normalisation avance.
La force africaine devrait être portée à 25 000 hommes. Mais qui paiera ? Jusqu'à présent, l'Europe a été le seul contributeur à hauteur de 750 millions d'euros. Il nous est demandé de faire un effort supplémentaire et de le maintenir sans que nous en connaissions la durée. Aujourd'hui, la Facilité de soutien à la paix en Afrique, destinée à financer ce type d'opérations, est presque exclusivement dédiée à la Somalie. Alors que l'hypothèse d'une force africaine déployée en République centrafricaine (RCA) prend corps, les ressources européennes manquent car certains de nos partenaires souhaitent concentrer l'effort européen sur la Somalie. Nous cherchons à asseoir nos propres priorités, notamment en assurant un soutien à la force africaine en RCA.
En RCA, les problèmes datent de décembre. Ce pays, qui suscite peu d'intérêt – la France est le seul pays à s'en préoccuper et un des seuls à avoir une présence sur place – a, de surcroît, souffert de la concomitance des troubles au Mali. Il était difficile pour la France, qui était absorbée par la crise malienne, de faire plus malgré le voeu formulé par le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine que celle-ci s'engage davantage.
Les pays de la région – le Tchad, le Cameroun, le Gabon et le Congo Brazzaville – réunis au sein de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC) cherchent à mettre en place une force de 3 500 hommes, à raison de 800 hommes chacun. Près de 2 300 d'entre eux sont déjà sur le terrain. À la différence de la CEDEAO, les pays qui composent la CEEAC ont la capacité de financer une force d'intervention. Au terme de discussions difficiles entre la CEEAC et l'Union africaine, la force régionale est devenue, le 1er août dernier, continentale. Le déploiement de cette force, désormais africaine, commence à faire la différence, à Bangui du moins. Le pays a connu, comme jamais par le passé, selon les acteurs locaux, des pillages généralisés. Les habitants du principal quartier de Bangui n'ont eu pour seul choix que de se réfugier à l'aéroport, sous la protection des 450 soldats français qui s'y trouvent. La situation a été reprise en main par les autorités locales, qui ont demandé à la Séléka de quitter Bangui. Désormais, l'ordre dans Bangui est assuré par la police, la gendarmerie et la force de l'Union africaine. L'amorce d'une stabilisation de la situation se traduit aussi par le contrôle par la force africaine de l'axe reliant la frontière camerounaise à Bangui, qui est le passage de tous les flux commerciaux. Ce contrôle récent permet à l'État, dont les caisses sont vides, de récolter des taxes, là où les chefs de guerre de la Séléka avaient pris l'habitude de se servir.
Le reste du pays est toujours livré à lui-même, c'est-à-dire à des seigneurs de la guerre.
La Séléka n'est pas structurée. Elle rassemble des chefs de guerre qui gèrent chacun leur territoire et, plus préoccupant, des individus qui ne sont pas Centrafricains, mais Soudanais ou Tchadiens, en l'occurrence des opposants tchadiens. Le président Déby a, dans un premier temps, pris acte de l'arrivée au pouvoir de la Séléka. Il s'est, par la suite, rendu compte que la Séléka avait son propre agenda, et comptait, dans ses rangs, des éléments opposés au gouvernement tchadien. L'aspect confessionnel est également troublant, notamment la présence, en RCA, d'éléments soudanais. Les conflits soudanais, notamment celui du Darfour, semblent faire tâche d'huile en Centrafrique.
De la même manière, certains éléments terroristes présents au Mali ont aujourd'hui trouvé refuge au sud de la Libye, depuis lequel il est aisé de rejoindre le Darfour puis la RCA. On retrouve ainsi en RCA toutes sortes de milices qui se livrent au brigandage mais aussi des groupes terroristes dangereux. La « Lord's resistance army », milice ougandaise coupable d'atroces violations des droits de l'homme et qui a semé la mort en Ouganda puis en RDC et au Sud Soudan, est ainsi installée en RCA, tirant profit de l'absence d'État. Il est vraisemblable que se trouvent également en Centrafrique des individus venus du Sahel et du Mali, mais aussi des membres de Boko Haram venus du Nigeria si proche. La situation est donc très dangereuse.
C'est pourquoi la France est active aux Nations unies afin d'obtenir rapidement l'adoption, par le Conseil de sécurité, d'une résolution donnant mandat à la force africaine. Mais nous souhaitons aller plus loin avec la mise en place d'une opération de maintien de la paix car il est difficile de trouver à Bruxelles les moyens importants et dans la durée que nécessite une telle force. La Facilité de soutien à la paix n'est plus abondée pour 2014 – nous devons attendre 2015 et la reconstitution du onzième FED – et finance presque exclusivement la force africaine en Somalie. Nous menons donc des discussions avec le Royaume-Uni afin de lui faire valoir que le règlement du problème somalien – certes important comme l'ont montré les événements au Kenya ou la lutte contre la piraterie – ne doit pas se faire au détriment d'autres crises africaines. Un équilibre doit être trouvé dans la répartition de la contribution européenne entre l'AMISOM et la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA).
Il serait au demeurant souhaitable de créer une facilité mondiale pour la paix car il est anormal que l'Union européenne finance seule les opérations de maintien de la paix conduites par l'Union africaine. Les États-Unis, les pays du Golfe ou encore les nouveaux partenaires de l'Afrique que sont la Chine, l'Inde, le Brésil et la Turquie ont vocation à participer financièrement à la stabilisation de l'Afrique. En Somalie, l'Arabie Saoudite ou le Qatar financent des institutions religieuses quand l'Europe finance la sécurité. Chacun sait qu'il ne peut y avoir de développement sans sécurité.
Quant à la République démocratique du Congo, le dossier est sur la table depuis 1960. La résolution 2098 confiant un mandat offensif aux Nations unies constitue une novation bienvenue. Jusqu'alors, la force de 17 000 hommes présente en RDC était très peu active et par conséquent peu utile. Désormais, la force d'intervention des Nations unies, constituée de contingents régionaux, notamment tanzaniens et sud-africains, est dotée d'un mandat robuste qui trouve un prolongement sur le terrain. Lorsque le M23 a cherché à faire dérailler le processus en cours, la force est intervenue, en collaboration avec l'armée congolaise, en utilisant des armes lourdes et des hélicoptères de combat pour repousser l'offensive, c'est une première. De même, pour la première fois, les tirs d'obus sur le Rwanda ont été officiellement identifiés, par les Nations unies, comme provenant des positions du M23.
Grâce aux opérations des Nations unies, La situation est en voie d'apaisement, à la faveur du recul, d'une part, du M23 et d'autre part, du Rwanda qui menaçait d'intervenir en riposte aux bombardements dont il était l'objet.
La paix est cependant précaire. On espère un dénouement des négociations de paix entre les autorités congolaises et le M23, qui se déroulent à Kampala, avec la médiation de l'Ouganda. Mais il faudra trouver un point d'équilibre, les demandes du M23 (amnistie, intégration) n'ayant, dans le passé, pas fait leur preuve.
Pour la première fois, les Nations unies vont déployer des drones afin de surveiller les mouvements depuis la RDC vers le Rwanda et inversement, et particulièrement les activités des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ce groupe rassemble d'anciens génocidaires de 1994 ayant trouvé refuge en RDC. C'est une demande constante du Rwanda, qui se sent menacé. La MONUSCO devra s'occuper des FDLR. Elle le fera dès que l'affaire du M23 sera réglée.
Les onze pays de la région des Grands Lacs ont signé l'accord d'Addis-Abeba dans lequel sont définies des obligations mutuelles pour les parties prenantes du conflit en RDC : obligation de non-ingérence pour le Rwanda et l'Ouganda, d'un côté, obligation de reconstruction de l'armée et de dialogue interne pour la RDC de l'autre – un dialogue national est actuellement organisé par le président Kabila. Un cadre régional est donc défini pour sortir de l'impasse.
Je préside le groupe d'amitié avec la Centrafrique qui souhaiterait effectuer une mission dans le pays. J'ai reçu récemment le représentant du chef d'État de la transition, M. Djotodia, qui m'a assuré du calme retrouvé à Bangui. Je me suis également ouvert de ce projet à la présidente de la commission et au ministre des affaires étrangères.
Nous avons tous reçu des témoignages sur les atrocités commises et la terreur que faisaient régner les membres de la Séléka à Bangui et les bandits dans le reste du pays. Il serait bon d'aller sur le terrain et de rencontrer les responsables politiques pour apprécier les conditions d'un processus de paix et de réconciliation et le rôle que peut jouer la diplomatie parlementaire en la matière.
J'abonde dans le sens de M. Charasse quant à l'utilité d'une mission parlementaire en RCA. Le rôle de la France dans la crise centrafricaine a été peu glorieux. À cause de la concomitance de la guerre au Mali, ce pays, ô combien ami de la France et qui comptait sur son appui, a été oublié. Les soldats français présents ne sont pas intervenus. Je m'interroge d'ailleurs sur l'utilité de garder l'aéroport comme ils le font alors qu'ils auraient pu aider à sanctuariser la capitale. Je ne reviens pas sur ce qui appartient au passé.
Les éléments dont vous faites état sur la situation ne sont pas satisfaisants même si des progrès doivent être notés depuis une quinzaine de jours. De nombreuses églises ont été brûlées de même que l'état civil, ce qui compromet les chances d'un processus électoral démocratique. D'innombrables tortures et viols ont été répertoriés.
La situation qui a été dramatique reste très difficile. Le moment est peut-être venu d'envoyer une mission parlementaire pour faire le point. Le rétablissement de la paix sera long : tant que la force de la CEEAC n'est pas en mesure de sécuriser un périmètre plus large que la seule capitale, la Séléka peut revenir à tout moment. Il faudra inévitablement agir avec plus de force pour la déloger.
La RDC se porte un peu moins mal. Le M23 a connu quelques déconvenues à mettre au crédit de la force des Nations unies. Il était temps que ce dispositif important – près de 20 000 hommes – rompe avec dix ans d'inefficacité totale. Je me félicite que 2 300 hommes aient désormais mission d'intervenir. Rien n'est réglé mais la situation s'améliore. Nous devons continuer à essayer de garantir par la voie diplomatique l'intégrité territoriale de la RDC et nous devons aussi faire preuve d'une attitude plus réaliste que par le passé à l'égard du Rwanda.
Je vous remercie pour votre exposé qui n'est guère rassurant. Deux questions : quelle peut être l'efficacité de la force africaine présente à Bangui compte tenu de la faiblesse de son équipement ? Quelle est l'attitude de la Chine, très présente en RDC pour des raisons économiques vis-à-vis des différents protagonistes ?
J'ai eu l'occasion de me rendre dans les Kivu avant l'adoption de la résolution 2098. Je peux témoigner à la fois de l'inefficacité des casques bleus et des violences quotidiennes subies par les femmes. La population est très remontée contre l'armée gouvernementale qui a une responsabilité dans ces violences.
Je m'interroge sur le rôle de M. Kabila : quel est-il réellement ? À t-il pour seule ambition son enrichissement personnel ou souhaite-t-il améliorer la gouvernance de son pays pour en finir avec la corruption et la violence ? Quelle doit être l'attitude française à son égard ?
Concernant la RCA, la question posée est la suivante : la France a-t-elle vocation à régler toutes les crises africaines ?
Depuis la création de l'Union africaine, les Africains considèrent qu'ils doivent gérer leurs propres affaires. Dans le cas du Mali, les autorités françaises se sont interrogées sur la capacité de l'Afrique à intervenir dans un court délai. Lorsque la ville de Konna est tombée, en cas d'inaction, le risque était de laisser le Mali devenir un pays terroriste. La région n'était pas en mesure d'intervenir, du moins immédiatement. Quelques mois plus tard, les Africains nous ont remerciés d'être intervenus, mais ils ont également exprimé leurs regrets de ne pas avoir eu la capacité d'agir.
L'idée de doter l'Afrique d'une capacité de réaction rapide en cas de crise n'est pas nouvelle. Elle fait partie des projets de l'Union africaine depuis sa création. Nous savons que cela prendra du temps.
Avec la RCA, la question d'une intervention est posée de nouveau. Mais la France ne fera pas le même choix que pour le Mali. Depuis quelques mois, la France travaille avec la CEEAC. Alors que les Africains nous ont demandé de renforcer notre présence sur place – 600 hommes – nous avons, au contraire, annoncé notre intention de la réduire à 450 hommes afin d'encourager les pays de la région à se saisir du problème. Je pense que nous avons contribué à une prise de conscience de leur part que le travail sur le terrain leur incombait.
Nous n'avons pas vocation à envoyer plusieurs milliers d'hommes en RCA, comme cela a été le cas au Mali. Notre rôle aujourd'hui, en RCA, consiste surtout à mobiliser la communauté internationale, c'est-à-dire les pays de la CEEAC, l'Union africaine, l'Union européenne et les Nations unies afin, dans un premier temps, d'obtenir un soutien logistique des Nations unies à la force africaine, et dans un deuxième temps, de mettre en place une opération de maintien de la paix. L'Union africaine n'est pas dotée des capacités financières et logistiques suffisantes pour tenir ce rôle à long terme. Elle souhaiterait déjà pouvoir passer la main en Somalie mais le Conseil de sécurité s'y oppose, du moins à ce stade.
La France s'est, sur ce dossier, beaucoup investie. Elle s'est emparée du dossier de la RCA pour en faire une priorité. Le président l'a évoqué dans son discours devant les Nations unies et une réunion ministérielle, co-présidée par le Ministre, a été organisée sur le sujet à l'occasion de la semaine ministérielle. Après la Syrie et l'Iran, la RCA a été l'autre sujet important de l'Assemblée générale.
Le sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique, organisé par la France les 6 et 7 décembre prochains, a pour objet de répondre à cette question : comment la France peut-elle aider l'Afrique à se doter des capacités pour intervenir demain dans une situation de crise comme celle de la RCA ?
Le problème de la RDC dure depuis cinquante ans. Comme au Nigeria, la solution passe par le choix de la forme étatique appropriée. Certains redoutent que le fédéralisme ne conduise à un éclatement du pays. Il revient aux Congolais de trouver un équilibre, fragilisé par certains de ses voisins. La question, dans la région, au fond est : comment remplacer les pillages actuels par la coopération régionale, et donc par un développement dans l'intérêt de tous.
Il est évident que les flux commerciaux des Kivu doivent aller vers l'Océan indien plutôt que vers l'Océan atlantique et bénéficier aux pays qui se trouvent à l'Est – Rwanda, Burundi, Ouganda, Kenya et Tanzanie. Cela devrait se faire de manière paisible, sans recourir aux violations extrêmes des droits de l'homme auxquelles nous assistons aujourd'hui. Le viol est une arme de guerre systématique. Il faut trouver un compromis entre les pays de la région, et mettre un terme au pillage et à la violence.
Il faut souligner cependant que la RDC redevient un sujet important alors qu'elle a été oubliée pendant plusieurs années.
Je n'aurais pas compris que la France vole au secours de M. Bozizé lorsqu'il a été débarqué. Certes, il l'a été de manière contestable mais la France n'a pas vocation à sauver les chefs d'État africains en péril. Il faut néanmoins être attentif à la situation comme nous l'avons été dans le cas du Mali.
S'agissant précisément de ce pays, les derniers incidents à Tombouctou et Kidal, qui ont précipité le retour du président Keïta dans son pays, témoignent de la difficulté à appliquer les accords de Ouagadougou en réconciliant les populations touaregs et maliennes. La France est soupçonnée d'être trop conciliante avec les Touaregs, y compris le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) qui prône une indépendance inacceptable pour les autres parties.
En RCA, la dissolution, un peu tardive, de la Séléka par M. Djotodia en tant que chef d'État de la transition est un point positif. Il serait utile d'avoir un contact plus direct avec lui à Bangui. Que peut-on faire rapidement pour apporter l'aide humanitaire nécessaire ? Enfin, que font les 450 soldats français présents en RCA et que devraient-ils faire ?
Quels sont vos pronostics pour les élections à Madagascar ? Quel candidat la France soutient-elle ?
Est-il possible d'établir un lien entre l'émergence économique du continent africain et les turbulences qu'il connaît ?
Ces turbulences ne sont-elles pas une conséquence du tracé des frontières établi lors de la décolonisation ? La ligne de fracture entre Afrique francophone et anglophone n'est-elle pas toujours d'actualité ?
Enfin, est ce qu'il n'appartient pas à l'Europe de prendre en charge la stabilité de l'Afrique si celle-ci n'a pas les moyens de l'assurer ?
Je souhaitais évoquer la situation dramatique des femmes et des enfants en RDC ainsi que le rôle de la Chine mais mes collègues l'ont fait précédemment.
En Somalie, comment remédier à l'insécurité alimentaire ? Où en est le programme d'assistance aux populations civiles ?
La situation que vous décrivez n'est pas fortuite. Elle tient à ce que la France a décidé de ne plus s'embarrasser de l'Afrique – cela date de la dévaluation du franc CFA. Dans le même temps, tous nos moyens ont été transférés à l'Union européenne pour mener des coopérations qui profitent d'abord aux entreprises américaines. Mais l'Afrique revient sur le devant de la scène en raison de la démographie et de l'absence d'État. Nous avons commis une faute majeure en abandonnant les coopérations militaires avec les pays africains qui permettaient de former des militaires dans les règles du service public.
Il est impossible d'ignorer l'Afrique. Nous devons revoir complètement notre politique à l'égard de ce continent. Les moyens dédiés à l'aide multilatérale doivent être réaffectés à l'aide bilatérale. Cela vaut pour le Maghreb, le Machrek et l'Afrique noire. Nous n'échapperons pas à cette question qui n'a rien à voir avec la Françafrique et le néocolonialisme comme on le prétend dans certains salons parisiens.
Monsieur Myard, c'est Édouard Balladur qui a dévalué le franc CFA. Il a d'ailleurs voulu faire porter le chapeau à Abdou Diouf lequel m'a affirmé que cette décision lui avait été imposée.
Je m'interroge sur les propos déplorant l'absence d'intervention en RCA de la part de ceux qui ont approuvé du bout des lèvres l'engagement de la France au Mali. Une telle intervention n'était ni possible ni souhaitable dès lors que l'on cherche à renouveler le lien post-colonial entre l'Afrique et la France. Je rappelle à cet égard la doctrine de Lionel Jospin : « ni ingérence ni indifférence » qui fut appliquée pour la première fois par Alain Richard dans le cadre du programme ReCAMP qui conçoit la formation des militaires africains comme une aide leur permettant de s'organiser eux-mêmes.
En Afrique, il faut avoir à l'esprit l'évolution démographique à moyen terme et les rares poches de stabilité que sont l'Algérie et le Maroc – malgré les conflits entre eux – ainsi que l'Afrique du Sud et quelques États voisins. Le reste du continent est une terre d'instabilité quasi absolue. L'Armée de résistance du seigneur que vous évoquez migre là où elle peut davantage rançonner les populations et n'hésite pas à s'allier avec d'autres forces intégristes.
La France et l'Union européenne ne peuvent aujourd'hui supporter seules le poids financier et militaire des crises africaines. La communauté des nations, si elle existe, doit se saisir de cette question en collaboration avec les organisations régionales africaines et l'Union africaine pour permettre à l'Afrique d'organiser sa propre sécurité demain. Le chemin sera long mais il est seul capable d'assurer la sécurité de l'Europe compte tenu de l'évolution de la démographie africaine. Qu'en pensez-vous ?
En RCA, après la première attaque de la Séléka en décembre, les accords de Libreville, qui prévoyaient l'intégration dans le Gouvernement de la Séléka devaient garantir la paix. Mais le président Bozizé, fort du soutien de l'Afrique du Sud qu'il pensait avoir trouvé, a cru pouvoir ne pas respecter ces accords. Les Sud-Africains se sont alors trouvés dans un imbroglio qui a coûté la vie à seize des leurs. Il est difficile d'intervenir en faveur de quelqu'un qui n'honore pas les engagements pris au terme d'un bon accord au demeurant. Le président a voulu aller trop loin et il a tout perdu.
Au sujet du Mali, le président Keïta a indéniablement une allure, une prestance et une vision. Il est légitime pour conduire le processus de réconciliation nationale comme il l'entend, y compris en appliquant les accords de Ouagadougou à son rythme. En outre, le président est d'abord un homme politique : les élections législatives approchent. Il souhaite obtenir une majorité avant de mener à bien un processus qui n'aura pas été décidé par d'autres mais par les Maliens eux-mêmes.
La relation de confiance que la France entretient avec le président malien permet de lui faire passer des messages – qui sont aussi adressés à d'autres – quant à la nécessité d'oeuvrer à la réconciliation nationale.
À Madagascar, les nouvelles sont encourageantes. M. Rajoelina et M. Ravalomanana ne se présentent pas. 23 candidats se sont déclarés : cinq candidats se réclament de M. Rajoelina et cinq autres de M. Ravalomanana. Le nom des participants au second tour est imprévisible. C'est plutôt rassurant. La France ne soutient aucun candidat, elle félicitera, comme il se doit, celui qui gagnera les élections.
Aujourd'hui l'Afrique va mieux qu'hier. La démocratie est plus présente. Les conflits sont moins nombreux et ils sont davantage des conflits internes que des conflits entre pays. Face aux problèmes qui demeurent, il appartient à l'Afrique d'agir et elle en a la volonté politique. Comment donc aider les Africains dans cette voie ?
La coopération militaire n'est pas la solution. Elle a existé pendant cinquante ans au Mali où les militaires ont été formés. Mais que s'est-il passé dès la première attaque ? Il en va de même pour l'armée centrafricaine.
Le développement de l'Afrique est une chance pour la France et pour ses entreprises. La croissance annuelle est de 6 à 7 % pour l'ensemble de l'Afrique.
Preuve que l'Afrique réussit, tout le monde s'y intéresse, à commencer par les Chinois qui ont des visées économiques et commerciales. Ils ne s'intéressent pas à la sécurité mais ils ne bloquent pas les décisions au Conseil de sécurité sauf dans le cas du Soudan. Ils voteront sans difficulté une opération de maintien de la paix en RCA.
En matière de sécurité alimentaire, nous faisons un effort important en faveur du Sahel, qui est prioritaire. La participation de l'Europe est à cet égard un succès : la conférence des donateurs à Bruxelles a permis de récolter 3,3 milliards d'euros dont 600 millions de la part de l'Union européenne. Nous avons réussi à mobiliser les Européens. Nous souhaitons en faire de même pour la RCA.
La politique de la France repose sur sa capacité à mobiliser la communauté internationale plutôt qu'à agir seule. Pour le Mali, nous avons obtenu que l'Europe et les Nation unies prennent le relais.
En Somalie, les conditions de sécurité ne sont actuellement pas réunies pour permettre une intervention humanitaire alors que les programmes d'aide existent. MSF s'est d'ailleurs retiré du pays. Nous sommes confrontés à cette difficulté : la population a besoin d'être secourue mais elle ne peut pas l'être pour des raisons de sécurité.
Le président de la République a annoncé aux Nations Unies l'intention de la France de déposer une résolution sur la RCA, où en est-on ?
La démocratie a progressé partout en Afrique depuis vingt ans, y compris au travers des élections locales. Depuis quinze ans, la régionalisation et la décentralisation sont à l'oeuvre. L'émergence de pouvoirs locaux peut permettre de stabiliser la situation des différents pays même si se pose, comme partout, la question des recettes et des transferts de ressources. L'argent est davantage consacré à l'économie qu'à la sécurité. Les moyens manquent pour financer des forces territoriales.
Je partage vos propos sur la démocratie. Les élections, dont les résultats ne sont pas connus à l'avance, et sont reconnus par les perdants sont de plus en plus nombreuses. Au Mali, le geste de Soumaïla Cisse se rendant au domicile du vainqueur M. Keita mérite d'être souligné.
Que font les militaires français en RCA ? Les 450 hommes qui contrôlent l'aéroport ont aussi effectué des patrouilles dans Bangui, alors qu'ils n'avaient pas le mandat de tirer. La communauté française a été victime d'exactions et de pillages, mais aucun mort n'a été déploré. Les soldats français ont contribué à stabiliser la situation.
Aux Nations unies, le souhait de la France est de faire adopter une première résolution sur les formes que pourrait prendre le soutien à la force de l'Union africaine en RCA. Une deuxième résolution donnerait le mandat et les moyens, logistiques notamment, nécessaires à cette force. Enfin, une troisième résolution autoriserait une opération de maintien de la paix. Les discussions avec les Américains et les Britanniques portent sur ces différents points.
La RCA a aussi besoin d'un processus politique qui demande, d'une part, la cohésion des institutions et, d'autre part, le départ des éléments étrangers en leur sein. L'homme fort de Bangui est actuellement un Soudanais du Darfour, qui n'a de général que le nom. Les autorités centrafricaines lui ont demandé de partir. M. Djotodia est en passe de réussir à faire le ménage. Il faut se souvenir, malgré le coup d'État, qu'il est un modéré à l'intérieur d'une milice Séléka qui ne l'est pas et qui d'ailleurs n'existe plus vraiment. Il faut encourager ce mouvement.
La séance est levée à dix heures quarante cinq